Butterfly Reflect

Chapitre 6 : Chap 4 : Bridge

21373 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 15/07/2023 00:30

Chapitre 4

“Bridge”


***


-Et un deux trois Alice est tombée dans un trou noir…je pourrais peut être la sauver…Mais qu'est ce qu'on a fait de mal ?...Je n'me rappelle de rien…Il y a beaucoup trop de monde autour de moi, Alice ne te retourne pas…chantonnais muettement Izuku en s’habillant.


 Après quoi, il déposa une goutte de son huile essentielle préférée sur ses poignets qu’il frictionna, ainsi que derrière ses oreilles, puis avant de descendre dans la cuisine, il s’accorda encore quelques minutes pour souffler, et humer cette fragrance au pouvoir apaisant. 

 Le calme, Izuku avait fini par le retrouver, et il était désormais prêt à retourner en cours, comme s' il ne s'était rien produit. Il lui avait fallu le week-end entier pour se remettre, deux jours, le minimum syndical pour remettre en ordre le puzzle qui constituait son mental, et soigneusement trier et ranger les événements de la semaine précédente en prenant soin d’enfermer les plus contrariants dans une case de son esprit qu’il nommait “le Mordor”. Une zone interdite et barricadée qui d’une certaine manière, était le pilier central de son esprit, celui qui maintenait l’ordre, et qu’en conséquence, il ne fallait ébranler ou fragiliser sous aucun prétexte. Fort heureusement, celui-ci était resté intact, la chanson d’Elliot ayant offert le soulagement et le réconfort nécessaires à Izuku, comme si on lui avait prodigué un soin pour qu’il évacue la tension en même temps que ses larmes. Des pleurs qu’Izuku avait d’ailleurs veillé à cacher à sa famille en passant son visage sous l’eau glacée un certain temps avant que ses yeux ne dérougissent. Et pour ne pas inquiéter sa mère plus que nécessaire, et justifier son état de faiblesse, il avait fait mine d'être tombé malade, un stratagème qui fonctionnait chaque fois. A vrai dire, il n’avait même pas été nécessaire d’en rajouter : éprouvé par cette surcharge émotionnelle, le ventre d’Izuku avait été suffisamment remué, le rendant véritablement malade au point de le faire vomir. Et Irène qui savait pertinemment que malheureusement, son fils n’avait pas un système immunitaire des plus solide, ne s'était douté de rien, et avait alors accouru avec son attirail de petits flacons d’huile essentielles et de tisanes pour soigner son fils. Ce dernier avait donc passé tout le week-end dans son lit, transformé en véritable forteresse faite de coussins et de plaids moelleux, dans lesquels il s'était enroulé à la manière d’un burrito pour constituer une barrière totalement impénétrable. Bien évidemment, il ne s'était donc pas rendu au refuge durant le week-end, chose qui en soit n’avait pas été un mal, car Izuku n’aurait peut-être pas pu supporter une autre apparition de cette ombre encapuchonnée sur le pont. Toutefois, savoir qu’elle y était peut être allée sans que lui y soit avait angoissé Izuku presque autant que si il s’y était rendu, si ce n’est plus. D’ailleurs, aujourd’hui il était impatient de retrouver Elliot, le vrai, celui du lycée, pour se débarrasser de cette anxiété persistante.  


-...Et 1,2,3 Alice au pays des étoiles, il était une fois quelqu'un comme moi…Mais si tu me vois… je crois que tu grandiras…Et 1,2,3 Jésus Christ est tellement mort pour rien, j'espère que tout ira bien…continua à fredonner mentalement Izuku en vérifiant que sa sélection de disques se trouvait bien dans son sac. 


 Chose faite, il rejoint sa mère et sa sœur qu’il était content de retrouver. Cette dernière avait passé le week-end avec son petit ami, et n'était revenue que tard la veille. Bien que sa relation avec Nami ne soit pas au beau fixe, Izuku aimait la savoir a ses côtés, et elle lui manquait chaque fois qu’elle s’absentait. 


-Bonjour Nami, articula Izuku sans obtenir de réponse de sa sœur qui ne le regardait visiblement pas.


-Tu es sûr que ça va aller poussin ? dit Irène l’air inquiet en regardant son fils qui s'était contenté d’un bol de thé et d’un fruit pour le petit déjeuner.


-Oui, t'inquiète pas maman. Tes huiles essentielles m’ont sauvé et j’ai fait que dormir. Je suis en pleine forme, signa Izuku.  


- T'as été malade ? demanda Nami en jetant un bref regard à son frère.


 Izuku acquiesça avant de joindre son pouce et son index pour signifier à sa sœur que tout allait pour le mieux. 


-Il a pris un coup de froid au ventre le pauvre. Avec ce vent ces derniers jours…expliqua Irène, “C'est terrible d’être aussi frileux, c'est pas les couches de vêtements qui manquent pourtant…'', plaisanta-t-elle ensuite en tirant sur la manche de l'épais sweat de son fils. 

 

-T'as vomi ? questionna Nami.


-Oui, mais c'est bon maintenant, signa Izuku à sa sœur qui acquiesça brièvement avant de replonger dans son bol de thé. 


-Poussin avant que tu files au lycée : tu as toujours ton flacon d’huile essentielle de menthe poivrée ?  On sait jamais si t’es encore barbouillé. 


-Oui toujours. T'inquiètes maman, articula Izuku.


 Avant de partir, il fit tomber une goutte de cette fameuse huile dans son col roulé, qu’il remonta ensuite en en humant doucement le parfum. Ce n’était pas seulement pour faire illusion, à terme c’était devenu une odeur qui le consolait dès qu'il subissait un débordement : sa mère lui en avait toujours donné lorsqu'il avait été, ou avait prétexté être malade. Izuku glissa le petit flacon dans son sac, puis il se rendit au lycée, et une fois sur place, il chercha Elliot du regard, sans le trouver. C’est seulement à la pause qu’il le repéra alors que celui-ci se dirigeait vers la sortie en compagnie de Denki et Kiri. 


-Tu vas où ? demanda Arthur en voyant Izuku descendre du muret et s’en aller. 


-Je reviens, articula Izuku avant de partir 


 Arrivé au niveau du trio, il ralentit sa course, et s'avança doucement  pour se rendre visible et le saluer timidement. Elliot qui ne l’avait pas senti arriver poursuivit sa route, et Denki et Kiri ne cachèrent pas leur surprise de le voir venir à leur rencontre : il n’était pas habituel que d'autres élèves cherchent leur contact, et quand bien même ils côtoyaient Izuku avant leur cours de langue, jamais ils n'auraient pensé que ce garçon chercherait à les voir de lui-même, car après tout, comme tout le monde ici, il devait être au courant de leur réputation.  


-Yo petit ninja, ça va ? dit Denki


-Salut, vous allez bien ? articula soigneusement  Izuku.


-Yep, merci ça va, répondit Kiri avant de se tourner en direction d’Elliot pour le héler : “Hé frérot ! Attends- nous !”


 Elliot se retourna, sa cigarette pendant à sa bouche, et après avoir repéré Izuku, il marcha à reculons sur quelques pas pour revenir à sa hauteur et le saluer.


-Hey, lui dit-il.


-Hey. Fatigué ?  articula Izuku en posant ses doigts sous ses yeux, remarquant qu’Elliot avait les traits un peu tirés.


-Jamais, répondit Elliot fièrement.


-Le jour ou ce mec comprendra ce que ça veut dire grasse matinée on sera tous morts, commenta Kiri.


-Perso, je le soupçonne d’être un vampire ou un truc du genre, c'est pas humain de dormir aussi peu, dit Denki à Izuku sur le ton de la confidence.


-Mdr, Edward Cullen t’sais, ajouta Kiri en ricanant. 


-Vas y Kiri, va dire à Frédéric d'essayer de menacer Elliot avec une gousse d'ail la prochaine fois qu'il veut tenter de l'aplatir, blagua Denki.


-T'es fou, Elliot il va prendre la gousse d'ail et se barrer avec pour préparer son frichti, répondit  Kiri en imitant un cuistot en train de couper énergétiquement un aliment.


-Ah merde ouai. Bon j’espère que Frédéric a le numéro de Buffy la tueuse alors, plaisanta Denki.


-Frérot ! À l'ancienne ! Buffy quoi ! s’exclama Kiri en écrasant la paume de sa main sur son front. 


-Mais ouaiiii ! “La trilogie du samedi soir” frérot ! s’exclama à son tour Denki.


 Puis Denki et Kiri, hilares et trop occupés à multiplier les blagues au sujet des vampires, ne prêtèrent plus attention à Elliot et Izuku qui cru comprendre que selon eux, si Elliot avait eu les cheveux plaqués sur la tête il aurait pu jouer Spike. Izuku qui connaissait cette série, bouda l’idée, en se disant qu’Elliot ne ressemblait pas à ce personnage. D’ailleurs il était difficile de dire à qui il pouvait bien ressembler, et pourtant Izuku restait persuadé qu’il lui rappelait quelqu’un. 


-Ils s’arrêtent jamais, articula Elliot en faisant tourbillonner son doigt sur sa tempe, avant de signifier à Izuku par un petit coup de menton qu’il pouvait en venir au fait.

 

 Ce dernier fit signe de patienter à Elliot, le temps qu’il écrive un message et qu’il sorte la pile de disques de son sac. 

 

-“Si t'es un vampire t'aura le temps d'occuper tes nuits avec ce que j'ai apporté. J’espère que ça te plaira.”, lut Elliot avant d’attraper la pile de disques qu’Izuku lui tendait, les sourcils levés, “Wah. T’as braqué un shop ou quoi ?” dit-il ensuite, surpris par la quantité.


-Prend ton temps pour les écouter, et si t’en veux d'autres tu peux me demander, écrit Izuku.


-Hinhinhin. Si tu m'en ramène autant a chaque fois, je vais en avoir pour la vie, dit Elliot, sa cigarette toujours pendant à ses lèvres.


 Izuku acquiesça en souriant, car c'était bien son projet, tandis qu'Elliot posait son sac par terre et rangeait soigneusement les CD. Puis avant de se redresser, ce dernier s'interrompit brièvement, flairant une forte odeur de menthe qui parasitait le parfum auquel il était habitué. Elliot fronça le nez en remettant son sac sur son épaule, puis il pencha la tête avant de regarder Izuku qui ayant rempli sa mission avec succès, lui signifia par le geste qu’il s’en allait. 


-Hey, articula Elliot avant de signer : “Merci”.


-Pas de quoi, articula Izuku en marchant à reculons et en signant pour qu’Elliot apprenne ses gestes.  


-Sympa le frérot, intervint Kiri.


-Elliot, tu t'es fait un copain, j'en reviens pas, dit Denki, l’air choqué.


-Bon. On va la griller la clope ? Pas envie de la tej’ à la moitié, dit Elliot en s’en allant en direction de la grille. 


 Une fois dehors, le trio s’installa sur une barrière, comme à son habitude (elle leur était d’ailleurs réservée, personne n’y allait sachant pertinemment que c'était là qu’ils se rendaient tous les trois à la pause), sous le regard d’Elise  et d’une de ses amies. 


-Passe moi juste une taffe Kiri, dit Denki avant de remarquer qu’on les observait, “ Han putain, mate frérot.”, dit-il ensuite en attrapant la cigarette que Kiri lui tendait. 


-Ah, c'était ça le frisson que j’ai senti. Quoique, c’est plutôt Elliot qui a dû en avoir un…répondit Kiri avant de s’adresser à ce dernier : “Fais gaffe frérot, je crois qu’elle t’imagine déjà tout nu.” dit-il  en faisant mine de cacher ses parties intimes.


-Et ma main à couper que t’as aussi un ticket avec la meuf qui est à téco, ajouta Denki. 


 Comme seule réponse, Elliot fronça le nez avant de tirer une bouffée sur sa cigarette. 


-Vous croyez qu’elle nous a vu avec le petit ninja ?  demanda Denki, l’air visiblement excité. 


-Mais bien sûr frérot, cette meuf c’est big brother t’sais, elle rate rien, répondit Kiri.


-Hohohoho…Trop bien. Il est donc temps de lancer les paris. Ton pronostique Kiri ? On mise un paquet de clopes ?


-Classique, un petit racket des familles, répondit Kiri, « Vendu, un paquet de clopes », dit-il ensuite avant de faire un check à Denki.


-Ok noté. Elliot ?


-Faites les tout seuls vos paris à la con, répondit Elliot en regardant la cendre de sa cigarette, “10, 9, 8, 7…”, décompta t-il muettement ensuite.


-T’es chiant, participe un peu, t'es le premier que ça fait marrer. C'est même toi qui nous a donné l’idée, dit Kiri avant de s’adresser à Denki, “ Bon frérot, à toi.”


-Hmmm…réfléchi Denki avant de claquer des doigts, “Mauvaise influence, et réputation en grand danger. Ce qui serait très con pour lui, faut le dire.”, dit-il ensuite en serrant les dents.


-Ah c'est pas mal ça,  on va le traîner dans les bas fond et tout, valida Kiri. 


-Et voila, encore un mauvais coup des trois brignands, dit Denki en soupirant, l’air faussement désolé, “Et bah putain, avec tout ça ma reput’ à moi elle va pas aller en s’arrangeant. C’est pas demain la veille que je vais pouvoir accoster une nana ici. C’est con parce que celle qui reluque le frérot Elliot, pas Élise , l’autre, elle est pas mal. 


-Oh c'est bon, ça va aller là,  t'en a tout le tour de la ceinture des meufs , laisse en aux autres, dit Kiri en poussant Denki. 


-Pff ! Essaye déjà de pécho ta Mina avant de regarder ailleurs. Bon courage avec ton nez pété et tes dents en forme de scie. Une dent tous les 6 centimètres. J’te jure tu ressembles à un caillou, répliqua Denki.


-Vas y ta gueule…bougonna Kiri, vexé, en mettant sa main devant sa bouche.


-Oh frérot ça vaaaaa… Fais pas cette tronche, je déconne tu sais bien. T’es pas cheum t'inquiète, le rassura Denki avant de changer de sujet : “Ah !Tiens mattez ça les frérots…Ca doit commencer”, dit-il en remarquant qu’Elise pianotait sur son portable.


-Rohoho…J'ai hâte de voir ce que ça va donner tout ça quand même. Ça promet le lycée, dit Kiri en secouant une main.


-Ouai, mais bon…Y’en a un qui va pas aimer. 


-J’avoue. ‘Faudrait peut-être pas trop qu'il s'approche de nous.


-Il est grand. Il fait ce qu'il veut, intervint Elliot en regardant la cendre de sa cigarette, jusqu'à ce que celle-ci tombe.




***



-Bah t’étais où ? Tu faisais quoi ? demanda Ochaco à Izuku.


-J'avais promis à quelqu'un de lui prêter des disques, écrit Izuku.


-Des disques…?  répéta Ochaco, incrédule.


-Ah ouai ? T’écoute quoi ? dit Arthur, “Enfin heu…Ou écoutait je sais pas…” ajouta t-il, l’air gêné.


-De tout. De la pop, de l'électro, de l’indus, du rock…etc, même de la variété française. Ma playlist c’est n’importe quoi, sans transition tu passes de Mylène Farmer à du métal Japonais, répondit Izuku sur son écran.  


-Du métal japonais ? Je savais même pas que ces deux mots pouvaient aller ensemble, s’étonna Arthur.


 Izuku mima un headbang en se mordant la lèvre inférieure pour expliquer à son camarade que c’était très énervé comme genre de musique.


-Moi aussi j'aime bien le rock, je vais souvent à des concerts avec mon père, dit Arthur en hochant la tête.


-Génial ! articula Izuku l’air rayonnant, “Vous allez voir quoi comme concert ?” écrit-il ensuite.


-Pas du metal, mais plutôt des groupes dans le style des Rollings Stones, répondit Arthur qui était très content de s'être trouvé ce point commun avec Izuku, “Tu…Tu vas a des concerts toi ?”, tenta-t-il ensuite.


-Ça fait longtemps que j'en ai pas fait, mais oui j'adore ça, écrit Izuku.


-Mais…Tu…Tu entends un petit peu quand même alors ? Je veux dire, si tu vas à des concerts…dit timidement Ochaco, craignant que sa curiosité ne froisse Izuku.


-Non, j’ai perdu 100% de mon audition. Mais la musique ça se “sent”. Tu la sens, la,  écrit Izuku avant de poser sa main sur son ventre.


-Ah d’accord…Et..Tu dis “perdu”, mais alors…T’entendais avant ? Qu’est ce qu’il t’es arrivé ?


-Oui, articula Izuku avant de consentir à répondre à la curiosité palpable d’Ochaco, “J’ai fait ce qu’on appelle un blast tympanique. On a eu un accident de voiture sur l’autoroute avec ma mère à cause d’un cinglé qui l’a doublé par la droite au moment ou la voiture qui était sur la voie de droite devant nous se rabattait sur celle de gauche. Je vous laisse imaginer la suite. Apparemment, mes oreilles ont été abîmées par les airbags, et le tympan de l’une d’entre elles à été perforé par un débris. Et manque de bol, dans le carambolage il y a avait un camion citerne qui a explosé. Boum ! C’est ce qui a fini de m’exploser les tympans. Lol, la poisse quoi ^^’. Mais bon, au moins, par miracle ma mère a eu seulement quelques blessures, et ses oreilles sont restées intactes. Elle a juste eu des acouphènes pendant un moment.”, écrit Izuku en se remémorant les bribes de souvenirs qu’il avait de cet accident dont on lui avait surtout fait le récit, car lui se rappelait principalement du parfum de sa mère, qui s'était jeté sur lui et l’avait entouré de ses bras pour le protéger. 


-Oh mon dieu…Je…Je suis désolée…Ca a dû être terrible…dit Ochaco après avoir lu le récit d’Izuku.


-Bah, c’est un peu de ma faute aussi. J’avais fait un cinéma à ma mère pour qu’elle me laisse aller devant à côté d’elle. J’avais 8 ans. Si j’avais pas fait de caprice, peut-être que je serait pas devenu sourd. Quoique je serai peut-être mort, parce que l’arrière de la voiture à fini en accordéon lol xD, écrit Izuku sur le ton de l’humour.


 A la lecture du message, Arthur tiqua en se disant que le l’emoji “mort de rire” qu’Izuku avait ajouté à la fin n'était peut être pas des plus approprié. Toutefois il était aussi possible que le ton léger d’Izuku soit un moyen pour lui de parler d’un sujet qui le mettait potentiellement mal à l’aise. Dans le doute, et pour justement ne pas faire perdurer le malaise, surtout celui d’Ochaco qui, il le savait, regrettait probablement d’avoir posé la question, Arthur choisit de changer de sujet. 


-En tout cas, heureusement que t’es toujours en vie, parce que mort, pas de musique. Et justement, quoi de mieux qu’un bon concert pour se sentir vivant, dit Arthur.


-Ah oui, c’est vrai ça… articula Izuku en hochant la tête.


-Ça donne envie quand vous en parlez. On pourrait en faire un un jour, ça serait l'occasion pour moi de découvrir un peu, proposa Ochaco.


-T’aime pas le rock Ochaco, et je te vois mal dans une salle comble. T'es tellement petite, on te perdrait, dit Arthur en se mimant en train de chercher quelque chose à ses pieds avec sa main en guise de visière.


-Hé (Ochaco gratifia Arthur d’une petite tape) ! Bah je sais pas, faut faire des expériences dans la vie. Yolo quoi, dit Ochaco en haussant les épaules, “Puis tu dis ça, mais t’as même pas envie d’essayer d’aller en boîte un jour.” ajouta-t-elle ensuite.


-“Yolo”, ahahahah ! Non Ochaco crois moi, je te connais, et je sais que c'est pas ton délire le rock. Tu perdrais ton temps. Et les boites c’est différent…Je sais pas, ça me dit trop rien. Même en concert je vais rarement dans la fosse, alors m’agglutiner à des gens dans un club…Puis avant d’en trouver qui acceptent de faire entrer des mineurs…Bon courage.


-Y'a que les cons qui changent pas d'avis, dit Ochaco en tirant la langue à Arthur, “Et regarde, Izuku écoute de tout, on peut bien trouver un truc pour mettre tout le monde d’accord…Je suis jamais allée à un concert, je suis sûre que ça doit être super, rock ou pas.”, ajouta-t-elle ensuite. 


-Ca l’est, articula Izuku en acquiesçant, “Enfin, ça “l’était”..., songea t-il ensuite, se rappelant maintenant à quel point il aimait les concerts, et à quel point ça lui manquait.

 

 Il n’avait plus mis les pieds dans une salle depuis deux ans, et pourtant avant son harcèlement, il en faisait tout le temps et de toutes les sortes, ça avait été une véritable drogue pour lui. Et aujourd’hui, pour la première fois depuis longtemps, Izuku sentait comme une sensation de manque qui faisait palpiter son cœur, un besoin viscéral de se retrouver de nouveau dans la fosse d’une salle de concert. Cette passion restée trop longtemps endormie se réveillait de son profond sommeil, et Izuku s’en sentit même ému. C’était significatif pour lui, car le harcèlement dont il avait souffert l’avait conduit petit à petit à se couper de tous ses hobbies, jusqu'à ce qu’il perde définitivement le goût de faire quoique ce soit. Retrouver l’envie, la motivation et l'énergie de faire les choses qu’il aimait avait demandé beaucoup de temps et d’effort à Izuku qui, aujourd'hui enfin, retrouvait une pièce manquante du puzzle. Un petit morceau de lui-même retrouvé grâce à Arthur, qu’il regarda avec reconnaissance en le remerciant mentalement. Toutefois, ce n’est pas avec lui qu’Izuku envisageait de refaire un concert (surtout que pour lui c'était non négociable : fosse ou rien), car définitivement, Arthur lui rappelait trop une personne du passé. En revanche, c'était quelque chose de pourquoi pas envisageable avec une toute autre personne.


-Tu dois bien aimer ça toi aussi…Non ? pensa Izuku en regardant Elliot  qui arrivait dans la cour. 


 L'idée de proposer à Elliot d'aller à un concert traversa l'esprit d’Izuku, mais pour cela, encore fallait-il qu’il cerne ses goûts, et qu’il s’en fasse un ami. Impatient d'être vendredi pour en apprendre plus sur lui, Izuku sourit sans le savoir à ses mains avant de jeter de nouveau un regard en direction d’Elliot qui disparaissait dans l’un des bâtiments du lycée. 


-Ça a sonné Izuku. Il faut retourner en classe, dit Ochaco en tirant doucement sur la manche d’Izuku qui sursauta avant de descendre du muret. 


-Pardon , j'étais dans la lune, écrit Izuku avant d’attraper son sac.


-Ca, je l’avais bien remarqué, dit Ochaco qui en suivant les yeux d’Izuku, avait deviné à qui avait été prêté les disques. 



***



-Ko-no wa…jisatsu… no..No…? Ha, ouai :  niwa-sa tano…Tanoshii…? Soko wa… sub…Sube-te ga kanau ni wa ? Menomaewaikiru imi…Wha c’est chaud… ga nai ? Menomaewa fukai omaeranouzu… to uso no hakoniwa…essayait de chanter Elliot, sans trop savoir s' il y arrivait. 


 Malheureusement pour lui, le livret qui accompagnait le disque qu’Izuku lui avait prêté était en Japonais, donc impossible pour lui d’y comprendre quoi que ce soit. Mais peut-être allait-il avoir une traduction (voire un cours de japonais pourquoi pas) prochainement, car l'intéressé arrivait justement. Bien que ça soit inutile car il était seul dans le couloir, Elliot se signala en levant légèrement la main, et Izuku le rejoint.

 

-Hey, articula Izuku en s’asseyant doucement aux côtés d’Elliot qui le salua à son tour avant de bailler la bouche grande ouverte. 


 Amusé, Izuku chercha rapidement l’image d’un lion baillant la gueule ouverte sur internet avant de la montrer à Elliot qui pouffa en soufflant du nez en la regardant. 


-C’est toujours mieux qu’un putain de chihuahua, dit-il ensuite.


 Izuku rit en silence, puis il reprit son sérieux, remarquant qu’Elliot avait toujours les traits tirés. 


-Petite nuit ? articula Izuku en posant ses doigts sous ses yeux.


-Je me déguise en Robert Smith. Ouai j'aime bien "The Cure" aussi, répondit Elliot en enlevant ses écouteurs, “Hey”, ajouta t-il ensuite en tendant l'écran de son Mp3 à Izuku qui reconnut la toute première chanson qu’il avait donné à Elliot : “Audience Killer loop”.

  

 Izuku acquiesça simplement en souriant, tandis que dans sa tête avait lieu un véritable feu d’artifice. Puis, alors qu’il se faisait déjà une liste mentale de la prochaine sélection de disques qu’il allait prêter à Elliot, ce dernier lui en rendit justement un. 


-Tiens. Je garde les autres encore un peu, dit Elliot en tendant le boîtier à Izuku.


-Le temps que tu veux,  articula Izuku en rangeant le disque dans son sac, auquel Elliot jeta un coup d'œil en reniflant discrètement. 


 De nouveau, cette odeur de menthe vint chatouiller le nez d’Elliot qui l’avait aussi sentit sur les disques qu’Izuku lui avait prêté et qui en étaient imprégnés. Cherchant la source de ce parfum, il se pencha discrètement sur le contenu du sac dont l’un des objets l'interpella. Avant qu’Izuku ne ferme le rabat en cuir, Elliot posa un doigt sur un carnet à la couverture marbrée noire et rouge, dont les tranches étaient salies par du crayon. 


-Mh. Dessinateur, dit Elliot en penchant la tête et en tapotant la tranche de son doigt.


  Izuku acquiesça, l’air un peu embarrassé.


-Ha ? Quel genre ? Abstrait ? Figuratif ? Ou…Paysagiste…? 


  Izuku signifia par le geste qu'il faisait ce qui lui passait par la tête, et il tapota le boîtier du CD.


-Ha. La musique. Ça inspire. 


 Izuku appliqua le boîtier du CD sur son carnet pour signifier que c’était  indissociable, et il tapota sa tempe et mima des écouteurs pour indiquer que sa tête faisait très bien office de Mp3. 


-Hm. C’est vrai, dit Elliot, “Et après tout…Rien t'empêche de chanter hm ?”, ajouta-t-il par la pensée avant de poursuivre la conversation: “J’me demande ce que ça fait. Ce que ça fait de sentir la musique. La sentir comme toi tu la sens. L’entendre, comme toi tu l’entends.”


-Ca va être un peu long à expliquer…articula Izuku en tendant son écran devant lui.


 Elliot lui signifia par le geste de prendre son temps avant de hausser un sourcil en voyant à la vitesse à laquelle Izuku écrivait. Finalement, il n’eut pas à attendre longtemps pour lire le message : 


 -“Vu que je suis pas né sourd , j'ai encore la mémoire des sons. Pour la musique, je peux superposer ce que je sens, les rythmes, les vibrations, à des sonorités ou des mélodies. En gros, je matérialise la chanson dans ma tête, avec les souvenirs que j’ai de la musique. Ça marche aussi dans la vie courante : en me fiant au visuel, je peux deviner les sons avec ce qui m'entoure en me rapportant aux matières ou au poids des objets. Comme les casiers par exemple, j'ai pas de difficulté à imaginer le bruit des portes. Ou encore, je peux facilement imaginer le bruit que font tes chaussures quand tu marches. Dans ma tête, j’entends. Et quand je rêve, je rêve comme un entendant.”, lut Elliot en hochant la tête.


-Cling, cling, cling…articula Izuku en attrapant une des sangles détachées des rangers d’Elliot.


-Wah, souffla Elliot en regardant sa chaussure, “Ok. C’est un trip le bordel. Les sourd planent h24 en fait. Donnez m'en un peu que je fasse l’expérience”, blagua t-il ensuite en tendant la main devant lui et en agitant les doigts avant de s'interrompre, réalisant la bêtise de ce qu’il venait de dire.

 

 Car bien que lui rêve d’avoir un bouton on/off pour profiter du silence à volonté, il devait certainement être déplacé de faire une telle remarque à quelqu'un à qui le silence avait été imposé. Elliot se pencha vers Izuku, pour tenter de se raccrocher à une branche, mais ce dernier lui tendait déjà son portable.


-Il va m'engueuler…?  pensa Elliot en se saisissant de l’appareil.


-Promis, si ça devient possible de te faire faire un aller-retour dans ma tête, je te laisserai essayer. Mais j’espère être réparé avant que ça puisse arriver, avait écrit Izuku.


-Ha ? Ça se soigne ?  demanda Elliot (content de ne pas s'être fait engueuler), en rendant son portable à Izuku.  


-Pas sûr. J’espère, articula Izuku en tripotant ses lacets. 


-C'est pas grave si t’es comme ça, dit Elliot.


-Oui, c’est pas une fin en soi. Beaucoup de gens vivent bien la surdité. Certains refusent même de porter des appareils ou de se faire soigner.  Mais en ce qui me concerne, si j'ai le choix et l'opportunité de réparer mes oreilles je saute dessus, écrit Izuku avant de se mimer en train de saisir un objet imaginaire. 


 Elliot pouffa en soufflant du nez en appuyant sa tête contre le mur, tout en s’imaginant ce Izuku animal, sans véritablement lui donner de forme car il ne trouvait pas encore quel Pokémon lui irait le mieux. A défaut, c’est l’image d’un petit chat noir qui tentait d’attraper un papillon qui lui vint en tête. Puis, Elliot tourna la tête en direction d’Izuku, et leva légèrement le menton sans quitter son voisin de couloir des yeux qui se tassa sur lui-même en le regardant l’air de dire : “J'ai un truc sur la figure ?”.


-Haaaaaaa......fit Elliot d'une voix rauque, la bouche grande ouverte sous le regard incrédule d’Izuku, “T'imagine quoi la : Haaaaaaaaaaaaa....Comme son. Haaaaaaaaa....”, dit-il ensuite.


 Izuku pouffa dans son poing, avant de faire signe à Elliot de se mettre face à lui. Ce dernier s'exécuta et s’installa en tailleur en face d’Izuku qui, bien évidemment, s'était déjà fait une idée de ce que pouvait être la voix d’Elliot. Mais aujourd’hui on lui offrait l’opportunité de savoir si son imagination ne l’avait pas trompé, et Izuku en était ravi.


-Je peux t'entendre. D'une certaine manière c'est possible je veux dire, articula Izuku à Elliot qui pencha la tête en plissant les yeux, “Je peux ?” ajouta t-il ensuite un approchant sa paume de la gorge d’Elliot. 


-Ouai, dit Elliot qui se sentit aussitôt devenir tendu.


 Tout comme Izuku, en temps normal Elliot n'était pas friand du contact physique avec d’autres. Ce n'était pas habituel pour lui de laisser les gens le toucher, surtout pas dans un point vital comme la gorge, et encore moins quand il ne savait pas à quoi s’attendre. Néanmoins, il se laissa faire, et Izuku posa sa paume avec douceur sur la gorge d’Elliot qu’il pressa doucement ensuite en se faisant la réflexion que ce dernier avait tout d’un radiateur humain, contrairement à lui. Au contact de la main glacée d’Izuku, Elliot eut la chair de poule, et dut cacher un tressaillement en s’étirant brièvement les épaules. Après quoi  il attendit les instructions d'Izuku que son expression d’incompréhension avait l'air d'amuser.


- Parle, articula Izuku en faisant tourbillonner son doigt. 


-Ha ! Heu...Gaufre ? dit Elliot.


-“Gaufre ?” articula Izuku l’air moqueur en prenant mentalement note que les gaufres devaient être l’un des péchés mignons d’Elliot si c’est ce qu’il lui était instinctivement venu à l’esprit.  


-Bah j’sais pas moi. T’es marrant. J’dis le premier truc qui vient, rétorqua Elliot tandis qu’Izuku lui faisait signe de continuer, “Ouai. Ok heu…Fenêtre. Paraparpluie. Merde. Parapluie p’tain. Arrête de te foutre de ma gueule. Ha. Hinhinhin…Tiens :”, dit il ensuite avant de prendre un air sévère, et de chanter :Seht ihr mich...Versteht ihr mich...Fühlt ihr mich....Hört ihr mich.....”


-Ah, bien joué, articula Izuku en souriant.


-Könnt ihr mich höooooren, Könnt ihr mich seeeeehen, Könnt ihr mich fühlen ! Ich verstehe euch niiicht...


-Rammstein , “Ich will”, articula Izuku en claquant des doigts.


- Gagné…dit Elliot, “...I-zu-ku.” ajouta-t-il, cette fois-ci à voix basse.


 La sensation de son prénom, prononcé de la sorte, provoqua un léger frisson à Izuku qui dans le même temps enleva sa main de la gorge d’Elliot pour masquer son tressaillement. 


- Alors ? dit Elliot en posant sa tête sur le dos de ses mains. 


-C'est ce que j'avais imaginé. Tu as la voix grave et…un chouilla nasillarde, articula Izuku en insistant sur le “chouilla” en créant un tout petit espace entre son pouce et son index.


En vérité, l'analyse d'Izuku était bien plus poussée : son imagination ne l'avait pas trompée, la voix d'Elliot était bien grave, mais plus que ça, à certains moments elle lui avait paru rocailleuse voire caverneuse, et son imitation de Till Lindemann l'avait rendue gutturale et mystique. Cependant, quand Elliot avait prononcé son nom, sa voix était alors devenue douce, aussi chaude que l’était sa peau, et aussi pénétrante que l’étaient ses yeux. Un timbre réconfortant qui avait rappelé à Izuku ce chant et cette musique qu’Elliot lui avait fait découvrir, et qui aujourd’hui, curieusement, lui avait fait le même effet que dans la salle de danse. Mais pourquoi ? Pourquoi Izuku avait subitement senti sa gorge se nouer ? Pourquoi durant l’espace d’une seconde, il avait eu le sentiment qu’il allait s'écrouler, de la même manière qu’il l’avait fait une semaine auparavant ? La crise était pourtant passée, et de plus, jamais, Ô grand jamais, Izuku ne comptait se montrer ainsi à qui que ce soit, et encore moins à Elliot. Et pourtant, c’est comme si l’instinc d’Izuku avait reconnu quelque chose, quelque chose dont il ne voulait pas : un confident. 

  

-En gros, j'suis un mix entre Garou et un putain de canard, conclut Elliot.

 

 Izuku rit et fit “non” de la tête pour rassurer Elliot qui s’approcha un peu plus de lui, jusqu'à ce que leurs genoux se touchent.


-A moi, dit Elliot, “Qu’on soit quitte”, ajouta-t-il en voyant l’air peu motivé d’Izuku.


-C'est pas nécessaire,  articula Izuku en faisant “non” de la tête.


 Non seulement Izuku n’avait nulle envie de trouver un confident pour s'épancher, mais en plus il n’avait aucune envie de parler, et encore moins celle de faire entendre le son de sa voix qui lui était totalement inconnu. Il n'avait que le vague souvenir de sa voix d'enfant, et ignorait même s'il avait mué du fait que ses cordes vocales n'étaient jamais ou que très rarement sollicitées. Et qui plus est, bien qu’Izuku ait appris à articuler les mots par mimétisme, il ignorait s'il était capable de véritablement bien prononcer le Français. Cette langue, il ne l’avait parlé que très brièvement, contrairement au Japonais bien évidemment, et à l’Anglais ainsi que l’Allemand que son père l’avait forcé à étudier très jeune. La prononciation du Français, Izuku n’avait guère eu le temps de la travailler, car avant qu’il ne vienne en France, ce n’est qu’en Japonais qu’il s'était exprimé quotidiennement, y compris avec sa mère qui pourtant, aurait voulu que ses enfants soient bilingues dès le plus jeune âge. Mais dans la maison familiale au Japon, la règle avait été de parler seulement et uniquement le Japonais, alors Izuku et sa sœur n'avaient pu véritablement apprendre leur langue maternelle que lorsque décision avait été prise de vivre en France. Et malheureusement, c’est peu de temps après qu’Izuku était devenu sourd et muet. Et muet, il comptait bien le rester, y compris avec Elliot qu’il scruta du coin de l'œil en espérant qu’il renonce à son idée. Mais malheureusement pour lui, Izuku allait apprendre aujourd’hui qu’Elliot était plutôt du genre buté borné quand il avait une idée en tête. 


-Je sais. On va faire un jeu. Ouai un jeu (Elliot balaya les alentours du regard), proposa Elliot pour motiver Izuku à faire un choix, “Ha. Tiens regarde. Tu vois l'arbre dans la baie vitré la ? Ouai ?”, dit-il ensuite. 


 Izuku acquiesça en repérant l'arbre en question dont les branches, quasiment dégarnies de feuilles, projetaient des ombres inquiétantes sur le sol.


-Si une feuille tombe dans les 5 secondes, tu me laisses t’entendre, dit Elliot.


 Izuku réfléchit et accepta en hochant la tête, espérant que les feuilles résistent suffisamment au vent pour emporter le jeu, et il envisagea quand même un stratagème en cas de défaite.


-Ok. Go. 5...4…3…décompta Elliot, tandis qu’Izuku regardait avec inquiétude une feuille qui vacillait dangereusement, “...2...Ha ! Gagné !” s’exclama t-il ensuite en regardant s’envoler la feuille dont le vent avait eu raison.


L'ai satisfait, Elliot se tourna ensuite vers Izuku, et lui fit signe qu'il était temps pour lui de lui donner sa récompense. Se dernier scruta nerveusement le couloir en se tordant le cou, et constatant qu’il était complètement désert, il sortit son téléphone et ses écouteurs de sa poche. Izuku choisit un titre sur Youtube, quelque chose de suffisamment énervé pour s'assurer qu'Elliot n'entendrait rien, et lui tendit les écouteurs. Celui-ci s'en saisit l'air dubitatif, et Izuku insista pour qu'il s’en équipe. Elliot s'exécuta et reconnut le morceau qui jouait désormais à fond dans ses oreilles.

Keine Lust - Rammstein

 https://www.youtube.com/watch?v=rmmMZcly25o



 Izuku s'assura qu'Elliot n'entendait rien, et il l’invita par le geste à imiter ce qu’il avait lui-même fait un peu plus tôt. Elliot s'exécuta et pressa doucement sa main sur la gorge d’Izuku, qu’il sentit glacée sous sa paume. Une peau si froide qu’au contact de la main chaude d’Elliot, c’est une brûlure qu’Izuku cru sentir. Ce dernier déglutit avant de se racler la gorge pour essayer de retrouver sa contenance, et sa voix, qu’il imaginait rouillée. Elliot lui, ferma les yeux pour concentrer tous ses sens sur sa main, pendant que sa jambe et sa tête marquaient instinctivement le rythme de la musique. Puis à son tour, Izuku imita Elliot, qui sentit alors sous sa paume une vibration qui se répandit dans ses doigts, puis le long de son bras. Elle se diffusait doucement, de la même manière qu’un venin l’aurait fait en s’insinuant dans ses veines, et atteignit son ventre, d'où Elliot pouvait maintenant clairement sentir la musique d’Izuku. Un chant qui avait tout l’air d’un murmure.


-Ich habe keine Lust mich nicht zu hassen, Hab' keine Lust mich anzufassen, Ich hätte Lust zu onanieren, Hab' keine Lust es zu probieren, Ich hätte Lust mich auszuziehen, Hab' keine Lust mich nackt zu sehen...


 Ce qu'Elliot sentit sous sa paume lui fit l'impression de quelqu'un de malade tant les cordes vocales d’Izuku semblaient devoir fournir un effort colossal pour vibrer. Considérablement affaiblies par des années de mutisme, la voix d’Izuku semblait avoir quelques ratés qui la rendait frêle, presque aussi fragile que du cristal. Si il avait pu l’entendre, elle aurait presque paru imperceptible à Elliot qui toutefois, la devina douce et profonde bien qu’elle soit voilée. Un chuchotement, comme une confidence, qui rappela à Elliot ce chant, celui de la musique qu’Izuku lui avait fait découvrir. 


-...Lustlos fasse ich mich an, Und merke dann, Ich bin schon lange kalt.... So kalt... Mir ist kalt... So kalt... Mir ist kalt...finit de chanter Izuku avant de souffler doucement, sentant que sa gorge lui faisait mal,   “Elliyo’ teu..?” dit-il ensuite dans un souffle, remarquant qu’Elliot ne bougeait plus d’un poil.

 

 Au même moment, Elliot ouvrit soudainement les yeux, pour les plonger dans ceux d’Izuku qui pencha la tête en le regardant, l’air curieux. Durant quelques secondes, Elliot ne bougea pas, jusqu'à ce qu’enfin il quitte le contact d’Izuku. Ce dernier retira avec douceur ses écouteurs des oreilles d’Elliot avant de lui demander par le geste s' il était satisfait. 


-Ouai. Je me fais une idée. De sur, t'as pas la voix de Till Lindemann, dit Elliot, “ Plutôt…Plutôt celle de Bjork. Ouai. Bjork.”, ajouta t-il ensuite en fronçant les sourcils. 


 Elliot pouffa en soufflant du nez, convaincu qu’il n’aurait pas pu trouver meilleure comparaison pour matérialiser la voix d’Izuku. Bien que celle-ci ait l’air plus grave, elle possédait  le même timbre feutré et vacillant, toutefois probablement capable de pousser de toute la force de ses poumons, comme la chanteuse. Une comparaison évidente qu’Izuku devait aussi à ses yeux, et à ses épais sourcils, qui rappelaient ceux de Bjork, mais pas que. Elliot se tordit la bouche tandis qu’il cherchait à qui d’autre pouvait bien lui faire penser Izuku.


-Donc..J’ai une voix de fille..? articula ce dernier en plissant les yeux.


-Nan. La voix “d’un” Bjork, précisa Elliot avant de pouffer, “Venus as a boy” hinhin…”


-Bon ça va. J’aime bien Bjork. J’accepte, articula Izuku, “Quitte ?” ajouta t-il ensuite.


-Ouai. J’aime bien aussi, dit Elliot, “Quitte.”, confirma t-il ensuite, avant de sursauter quand Denki arriva soudainement à côté de lui en glissant sur le sol.


-Hellooooo les frérots ! s'exclama Denki en freinant juste à temps pour ne pas se casser la figure sur Elliot et Izuku. 


-Bah qu'est ce que vous foutez là ? demanda Kiri en mettant un petit coup de menton.


-Une pétanque, ironisa Elliot.


-Mdr pas surprenant pour papy Elliot. Non mais plus sérieusement,  toi t'aurais pu profiter d'avoir un cours en moins pour pioncer, mais non, tu te pointes au bahut aux aurores, dit Kiri.


-Dormir c'est faiblir, répondit Elliot avant de réaliser, “De quoi, “un cours en moins” ?”, ajouta-t-il en fronçant les sourcils.


-Bah ouai, les profs d'Allemand et de Russe font un stage ou je sais pas quoi. Les espagnols ont pas eu droit au même traitement de faveur, répondit Kiri en grimaçant.


-On est les seuls connards à devoir aller en seconde langue, se plaint Denki.


 Izuku qui avait lui aussi complètement raté cette information, se joint à Elliot dans la stupeur tout en se faisant la réflexion que le fait que le couloir ne se remplisse pas ne les avait pas interpellés.


 -P’tain. Bon. On se casse, dit Elliot en se levant, “Tu veux ?” ajouta t-il ensuite à l'adresse d’Izuku qui bondit presque en se levant, content d'être invité à suivre Elliot.  


- J'suis dans ma jalousie, grommela Denki.


- Priez pour nos âmes por favor, supplia Kiri


 -Bon courage, à plus tard, articula Izuku en saluant de la main les camarades d’Elliot qu’il suivit ensuite sous le regard stupéfait des autres élèves qui arrivaient. 


 Il était inhabituel pour eux de voir Elliot sans ses sbires, et encore moins accompagné d’un autre élève qui en plus, n'était ni plus ni moins celui qui l’avait vaincu en EPS. Bien évidemment, la rumeur circulait déjà que “Naruto” semblait côtoyer “la brute du lycée”, mais tous s’imaginaient qu’Elliot attendait le bon moment pour coincer celui qui l'avait humilié dans un coin de rue afin obtenir réparation, et qu'il préparait simplement le terrain sans éveiller les soupçons du pauvre ninja sourd. Une future confrontation dont toute la population du lycée attendait les échos, à l’exception de quelques-uns, comme Ochaco qui arrivait elle aussi, et qui croisa la route d’Izuku en montant les escaliers. 


-Coucou Izu...ku, commença Ochaco avant de remarquer la masse d’Elliot aux côtés de son ami,  “Heu…Bonjour…” dit -elle timidement ensuite. 


-'Jour,  fit l'effort de répondre Elliot.


 Occhaco frissonna en entendant pour la première fois la voix d’Elliot qu’elle trouva glaciale, et elle fronça le nez en sentant une odeur de cigarette. Elle acquiesça brièvement nerveusement, puis elle se détourna du regard d’Elliot qui encore une fois l'avait soumise à ses lasers, pour retrouver celui bien plus agréable d’Izuku.

 

-Ton prof d'Allemand ne devait pas être absent ? demanda Ochaco en vérifiant la date du jour sur sa montre. 


 -J'ai raté l’info, écrit Izuku en serrant les dents. 

 

-Ah d'accord. Dommage, t'aurais pu profiter de ta matinée…


-Bon on y va ? s’impatienta une fille aux côtés d’Ochaco.


-Oui deux minutes Celine, j’arrive, lui répondit Ochaco qui attendait patiemment qu’Izuku finisse d'écrire son message.  


- C'est pas grave. On se retrouve aux cours d’après. Bon courage pour l'Espagnol. A tout à l'heure Ochaco.


- Oui à tout à l'heure Izuku. Et heu.. au revoir heu…Elliot.


 Elliot grogna en guise de réponse, et finit de descendre l'escalier en sautant les dernières marches, Izuku sur ses talons,  effrayant au passage deux élèves qui s’aplatirent contre un mur.


-Il est pote avec ce mec Naruto ?  s’étonna Céline.


-“I-zu-ku.”, corrigea Ochaco, “Et il ne font que discuter avant leur cours d'Allemand.”, ajouta-t-elle ensuite.


-Pf , à défaut d’être aimable ce type doit être patient j'imagine, dit Céline en pouffant.


-Hein ? 


-Bah c'est pas évident de “discuter” avec un sourd. Tu vois ce que je veux dire…précisa Céline sur le ton de l'évidence.


-Hé ! Izuku est un garçon super intéressant, moi j'aime bien discuter avec lui, lui répondit Ochaco que la réflexion avait contrarié.


-Oui il doit l’être, mais flemme quoi. C'est dommage, parce qu’il est plutôt mignon dans son genre. Le genre heu…Emo-goth chelou…On sait pas trop ce que c’est quoi…


-Bah tu sais pas ce que tu perds voilà tout !  s'emporta Ochaco avant de planter sa camarade de classe qui haussa les sourcils avant de glousser.


-“Hou…On dirait que le Arthur a de quoi s'inquiéter…", pensa Céline tout en pianotant sur son portable.

  


***



-Gagné ! s’exclama Elliot en sortant in extremis de l'établissement, suivis de près par Izuku qui sprinta pour se faxer au travers de la grille qui se refermait tout juste.


 Déçu d’avoir perdu la course, Izuku signala par le geste à Elliot qu’un jour il aurait sa revanche. 


-Pf. Rêve pas. Moi, je perds jamais, répondit Elliot en fouillant sa poche intérieure pour prendre une cigarette, “Bon. Qu'est ce qu'on va foutre de nos culs”,  ajouta t-il en essayant d’allumer son briquet qui, visiblement, arrivait en fin de vie.


 Izuku pointa du doigt un petit bistrot non loin du lycée que les élèves fréquentaient beaucoup. Il y était lui-même déjà allé avec Arthur et Ochaco, et appréciait l’endroit. 


-Hm…hésita Elliot, “Wah p’tain !”, pesta t-il ensuite quand une bourrasque de vent emporta la flamme de son briquet mourant ainsi que sa capuche qu’il rabattit aussitôt sur sa tête. 


 Izuku mima l'action de boire et se frotta les bras avec ses mains pour proposer à Elliot une boisson chaude. 


-Hm. Ok. Pourquoi pas, finit par accepter Elliot en haussant les épaules avant de suivre Izuku.


 Arrivé sur place, ce dernier montra une table à l'abri du vent sur la petite terrasse et demanda ce qu'il voulait boire à Elliot en lui tendant la carte des boissons.


-Un thé noir. Nan. Pas de sucre, répondit Elliot en s’installant à table. 


 Profitant qu'Izuku soit allé chercher les boissons, il balaya la terrasse du regard en ricanant, remarquant que les quelques élèves qui s’y trouvaient s'étaient tous subitement mis à regarder leur pieds, à l'exception de l’un d’entre eux. Elliot reconnu celui qu’il appelait “la fouine” (surnom que cette personne devait à ses petits yeux noirs et à son attitude), ainsi que les deux filles qui l’accompagnaient systématiquement (prénommées par Elliot: “les glues de la fouine”), qui elles étaient occupées sur leur portables. La fouine scrutait l'entrée du bistrot le cou tendu (Elliot se demanda si en fin de compte “le suricate” ne serait pas plus adapté comme surnom), et quelques minutes plus tard, Elliot comprit ce que la fouine suricate cherchait quand Izuku sortit  avec deux tasses fumantes. Ce dernier en tendit une à Elliot qui la saisit à pleine main avant d’aussitôt en boire une grande gorgée.


-Il est fou ?? Il va s’ébouillanter la bouche !! s’exclama mentalement  Izuku en secouant une main pour mettre en garde Elliot. 


-Bah quoi. Ça se boit chaud nan ? dit Elliot.


 Izuku resta béat un instant, se demandant si Elliot possédait la même capacité que le commun des mortels à réguler sa température, puis il s’installa dos au reste de la terrasse pour ne pas voir Théo qu'il avait reconnu quelques tables plus loin. Après quoi, Elliot secoua son briquet pour allumer sa cigarette, avant d’interrompre son geste et de jeter un regard à Izuku.


-Ça me dérange pas, j'aime bien l'odeur, articula Izuku en se tapotant le bout du nez.


 Elliot alluma finalement sa cigarette dont il tira une grande bouffée, s’installa confortablement en s'avachissant sur sa chaise, et posa un pied sur une autre. A croire qu’il était impossible pour lui de s’asseoir ou de se tenir de manière normale, Elliot ayant apparemment le besoin irrépressible de plier au moins un genoux où qu’il soit, chose qui dans le futur allait poser problème à son dos, si ce n'était pas déjà le cas. Très observateur avec Elliot, Izuku avait remarqué qu' étrangement, celui-ci ne se tenait jamais droit, comme si un côté de son corps pesait plus lourd que l’autre. Une attitude corporelle toute particulière, curieuse et unique, mais aussi incohérente avec le personnage, si toutefois, on se fiait seulement à son apparence. Izuku pouffa discrètement en se rappelant cette posture étrange qu’Elliot prenait en cours, où contraint de devoir se tenir plus convenablement, il repliait une jambe sous lui et s’aplatissait sur son bureau pour écrire en se tordant le poignet. Ce dernier était gaucher, et un jour pendant le cours d’Allemand, Izuku avait rit intérieurement, en se faisant la réflexion qu’Elliot avait tout l’air d’un enfant qui apprenait tout juste à écrire, chose qui contrastait terriblement avec son apparente maturité. Un paradoxe et une singularité qui donnaient à Elliot un côté “sale gosse” qu’Izuku trouvait très original et très attachant. Un gamin effronté, mal élevé, au langage de charretier et que la politesse semblait écorcher, mais qui pour autant ne dérangeait aucunement Izuku qui ne se préoccupait pas du manque de savoir vivre d’Elliot. A vrai dire, c'était même un trait de caractère qu’il appréciait, tout comme cette façon qu’il avait de parler, et plus particulièrement cette manie qu’il avait de dire “Nan” plutôt que “Non”, comme un petit garçon qu’on aurait contrarié. Un garçon en colère qu’Izuku trouvait très attendrissant et qui décidément attisait chaque jour un peu plus sa curiosité.

   

-Là…Oui nous sommes en vie…Comme tous ceux de nos âges… Oui nous sommes le bruit… Comme des garçons en colère…fredonna mentalement Izuku en posant un regard attendrit sur Elliot.


-Quoi. J'ai un truc sur la tronche ? Nan ? Tiens, passe moi le cendar. Ouai derrière toi, dit Elliot.


-...Je comprend qu’ici c’est dur d’être différent pour ces gens…Quand je serais sur de moi, un petit peu moins fragile ça ira…I want to see you…continua à fredonner mentalement Izuku en s’excutant, “Ah ! Non ! Toi j’veux pas te voir !” s’insurgea t-il par la pensée ensuite en remarquant que Théo l’avait gratifié d’un petit clin d'œil, “La…Oui nous sommes les bruit…Comme un serpent en colère…”, poursuivit Izuku en faisant mine de ne pas avoir remarqué Théo, contrairement à Elliot.


-Il veut quoi lui ?  demanda Elliot avant de reprendre une gorgée de son thé.


-Mon numéro, articula Izuku, lui-même surpris par son honnêteté qu’il regretta aussitôt en voyant Elliot s'étrangler.


-PFFFFFFFFFFFFFFFT ! s'étouffa Elliot en recrachant son thé, provoquant l’hilarité d’Izuku qui se mit à convulser en se tenant le ventre, “P’taiiinn…!” jura Elliot ensuite entre deux quintes de toux. 


-Bah alors ? Tu vois, c'était trop chaud, articula Izuku entre deux spasmes, “Tu veux de l’eau froide ?” proposa-t-il ensuite en tendant un mouchoir à Elliot. 


-Nan nan. C'est bon, répondit Elliot en s'essuyant, “Pf, donne lui. Ou ses yeux vont lui sortir de la tête.”, dit-il ensuite en écrasant son mouchoir dans sa paume. 


-Ca va pas ?? Je le connais pas ce type, articula Izuku en se tapotant la tête du doigt.


-Hinhin, il s'est fait tej’, marmonna Elliot en jetant son mouchoir sur la table. 


 Puis préférant éviter le sujet Théo, Izuku entreprit de plutôt discuter musique avec Elliot, espérant découvrir quels étaient ses artistes préférés. Durant la conversation, Izuku prit mentalement note de plusieurs d’entre eux dont deux groupes qu’Elliot semblait apprécier tout particulièrement, et qu’il se promit de découvrir. La notion du temps leur échappa à tous les deux, jusqu'à ce que finalement Elliot s’en inquiète en regardant les aiguilles de la montre d’Izuku.

 

-Merde, dit Elliot en attrapant le poignet d’Izuku qui eut un malheureux réflexe en dégageant brutalement son bras, “Ha?”, souffla Elliot en haussant les sourcils, sa cigarette fumante pendant à sa bouche. 

 

-Pardon, j’étais dans la lune, ça m'a surpris. T' as bien fait de regarder, on va y aller, articula Izuku. 


 Elliot acquiesça avant de se lever, et il fouilla l’une des poches de son perfecto pour en sortir des pièces qu’il jeta sur la table. Izuku les récupéra et les tendit à Elliot pour qu’il les récupère.


- Quoi. T'as payé ? Nan. Garde alors, dit Elliot en refermant lui-même les doigts d’Izuku 


-Non c’est bon, c’est pour moi, articula Izuku.


-J'aime pas être redevable, insista Elliot en tirant un bouffé sur sa cigarette.


 Izuku leva les yeux au ciel pour signifier qu'il n'y avait pas de ça, et Elliot réfléchit un instant avant d’ouvrir les doigts d’Izuku un par un pour finalement récupérer sa monnaie. 


-Ok. Je te paie ton café la prochaine. On sera quitte, dit Elliot en fourrant les pièces dans sa poche. 


-D'accord, articula Izuku, content d’apprendre qu’il y aurait peut-être une prochaine fois.


 Après quoi, tous deux se dirigèrent en direction du lycée, sous le regard de Théo qui soupira tandis que Jyl s’éventait le visage. 


-Houlala je vais pass out, les deux en même temps c'est trop pour mon petit cœur, couina Jyl


-Kkrkrkrrkrk…ricana Lya.


-Bah quoé ? dit Jyl en tendant le cou vers son amie qui lui montra son téléphone portable qui affichait une photo plutôt réussie d’Izuku et d’Elliot, “Seigneur, je me sens défaillir." dit-elle ensuite en s’extasiant sur le cliché avec Lya. 


-Oh pitié meuf, envoies la moi, supplia Théo en se saisissant de l’appareil.


-Azy c'est mort, nous on les contemple de manière chaste, toi tu vas faire des trucs crad’ avec, dit Lya en récupérant son portable. 


-Comme t’es méchante…bouda Théo.

 

-Réaliste, objecta Jyl.


-Connasses, répliqua Théo avec humour, “Rohlala mais y'a pas moyen…’Faut que j'essaye de l'attraper ce ninja. Vous avez vu ses cheveux ? J'ai  littéralement eu un air orgasme en le voyant l’autre jour. Ce petit undercut qui dégage son cou qui demande qu'à être croqué…Aaaaah!” ajouta t-il en se mordant le poing avant de poursuivre : “J'en peux plus. Puis merde, y'a quoi sous ses maudits hauts oversize ? Ca c’est comme la fucking capuche du Elliot, ça gâche la vue…Mais moi je VEUX savoir (Théo frappa la table du poing) !”


-Une élève qui était en EPS avec eux quand il se sont fightés à dit....commença Jyl avant de tendre le doigts en direction de Lya pour lui passer le relais.


- …Qu'elle avait eu le plaisir de voir son tee shirt se soulever entre deux prises, termina Lya en haussant les sourcils. 


-...Dévoilant au passage une musculature insoupçonnée…surenchéri Jyl.


-Ok, vos gueule. Mon imagination me fait limite avoir une demi molle. Je les imagine lutter tous transpirants la...dit Théo en joignant ses mains dont il croisa les doigts pour imiter deux corps qui fusionnent.


-Vas-y frérot , passe nous les détails de ce qui se passe dans ton calbut wsh,  s'insurgea Lya en fermant très fort les yeux, la bouche ouverte de dégoût. 


-Oh frérot ça y est, t'as les yeux du mec qui part à la chasse krkrk… dit Jyl en éventant Théo avec son cahier de correspondance. 


-Ok je crush totalement sur Izuku, c’est sur,  dit Théo avant de mettre ses mains en prière, “S’il vous plaît, dieux du peuple gay faite qu'il soit homo, ou bi. Facilitez moi la tâche.”, dit-il ensuite en s’adressant au ciel.


-Vas y ton gaydar il est cassé ou quoi ? s’inquiéta Lya.


-Bah, il est kéblo sur la position “je ne sais point”. Mais quand bien même…Si vous saviez le nombre de mecs hétéro, que j'ai pu galocher, voire plus, en soirée…Enfin si je suis con, vous savez en fait, gloussa Théo, “Rien n'est impossible. Bon sauf le Elliot, il est genre si inaccessible.", ajouta t-il ensuite en s’effondrant sur le dossier de sa chaise. 


-Bah pas si inaccessible que ça, je sais pas si t'as remarqué, mais il était en train de siroter une tasse avec ton crush oklm. Il a même souris. Un peu. C’est incroyable. Et qui à déjà vu Elliot avec d'autres gens que ses potos habituels ? Personne ! Et ce, depuis le collège, dit Lya en tapotant le cliché qu’elle avait pris en guise de preuve. 


-Y'a un beug dans la matrice moi je dis, conclut Jyl très sérieusement en se grattant le menton. 


-Grave, si Elliot se met à fréquenter d'autres gens que «vanille fraise» on peut s'attendre à tout , même une pluie de météores, plaisanta Lya.


-Ouai bah avant qu'on finisse écrasés par des météores, je propose de lancer l’opération “pécho le ninja”. Je voudrais pas mourir con, dit Théo, avec détermination.



***



 Ne pas mourir idiot, c’est ce a quoi pensait Izuku ce samedi, tandis que lui aussi songeait à lancer une opération, celle qui allait peut être l’encourager à entrouvrir sa coquille. Mais la stratégie comportait plusieurs risques qu’il fallait peser avant de prendre une décision. Un choix équivalent à un saut dans le vide, le tout sans être assuré, et sans savoir ce qui allait se trouver à la réception. S'écraser au sol ou alors, retomber sur ses pattes, difficile de savoir ce qui attendait Izuku qui pressentait que sa décision marquerait d’une manière ou d’une autre un tournant dans sa vie,  pour le meilleur, ou le pire. 


-Poussin...?


-Ich schrei’ in die Nacht fur dich…lass mich nich im Stich, Spring nicht…Die Lichter fangen dich nicht, sie betrugen dich, Spring nicht…Erinner’ dich an dich und dich, Spring nicht…Die Welt da unten zÄhlt nicht… chantonnait mentalement Izuku en tortillant machinalement les lacets de la capuche de son sweat.


-Poussin…? 


-...Bitte, spring nicht, spring nicht…Und hÄlt dich das auch nicht zÜruck…Dann spring’ ich fÜr dich…continua de fredonner Izuku, bien trop plongé dans ses pensées pour voir que sa mère essayait de l’interpeller. 


 Sauter ou ne pas sauter, la question tournait en boucle dans la tête d’Izuku depuis la veille, sans qu’il ne puisse y trouver de réponse. Dans son esprit se confrontaient son cœur, qui lui ordonnait de faire un choix, que sa raison, elle, contestait vivement, et pour cause : écouter son cœur et le suivre, ça voulait aussi dire l’ouvrir et l’exposer, au risque de le blesser. Un risque qui pourtant ne pesait pas suffisamment lourd pour Izuku qui de manière générale préférait privilégier les autres plutôt que lui-même ainsi que sa propre douleur. Or, Elliot était devenu une priorité absolue pour lui, comme cette amitié qu’Izuku voulait construire avec lui. Une construction dont les fondations reposaient elles aussi sur ce choix qui, s' il était le mauvais, menaçait de détruire l'édifice, cette amitié naissante, qui s'écroulerait alors comme un vulgaire château de cartes, emportant Elliot dans la chute. Or ce scénario catastrophe, cette issue, la pire de toute, Izuku ne voulait même pas y penser, car pour rien au monde il ne voulait risquer de perdre ce garçon rencontré sur un coup de chance. Une opportunité improbable et inattendue, accompagnée d’un véritable coup de cœur. Car bien qu’initialement Izuku n’ait pas envisagé d’amitié avec qui que ce soit, contre toute attente, on avait mis sur sa route quelqu’un qui réunissait à lui seul tout ce qu’Izuku aurait pu attendre d’un ami, et plus encore. Elliot, ce garçon qui en plus d'être original, intéressant, et intelligent, avait un pouvoir tout particulier sur Izuku. En paix, c’est ainsi que ce dernier se sentait en présence d’Elliot, qui tout naturellement lui inspirait la sécurité, comme si ce dernier, par sa seule existence, repoussait toute forme d’agression extérieure voire intérieure. Un bien être que de tout coeur, Izuku espérait lui aussi apporter à Elliot, quand bien même il pensait qu’il était prétentieux de sa part de s’en croire capable. Mais Izuku avait envie d’y croire, et après tout, il avait quelques raisons de penser qu’Elliot appréciait lui aussi sa compagnie. Il n'était pas difficile de deviner que ce dernier n'était pas du genre à s'embarrasser des gens, surtout de ceux qui pouvaient lui être désagréable, alors de toute évidence, quelque part, Izuku avait su gagner sa place près de lui. Et un détail qui n’en était pas un : comme Izuku l’avait déjà deviné auparavant, Elliot était clairement du genre à économiser son énergie, ne serait-ce même que pour parler. Il avait cette étrange façon de s’exprimer, de manière incisive, avec des phrases brèves, concises, probablement parce qu'il ne devait pas être d’une nature très bavarde. Or, quand ils discutaient ensemble , Izuku avait l’impression qu’Elliot n'économisait pas sa salive, et c’est d'ailleurs lui qui lançait certains sujets de conversation. Des éléments positifs qui pesaient dans la  balance et la prise de décision d’Izuku qui pourtant, continuait à débattre dans sa tête sur ce dilemme à se tirer les cheveux.


-Je dois le faire…Mais…Et si il se met en colère…? Si il m’en veut..? Mais si je m’excuse…Ca ira non…? Peut être qu’il vaut mieux pas le faire…Moi à sa place, ça m’aurait fait ni chaud ni froid…Mais c’est pas le sujet, mes états d’âme on s’en fou, et en fait…Il est pas obligé de savoir ce que je pense…Ce qu’on ignore ne nous cause pas de tord…Mais…Si ça marchait...? Si grâce à ça, juste ça…? Le jeu en vaut la chandelle non..? Après tout…Faut prendre des risques à la hauteur de ce qu’il y a a gagner non..? Mais si ça foire…Ça serait con de tout gâcher...On s’entend bien non..? Ça fait longtemps que je me suis pas aussi bien entendu avec quelqu'un…J'ai pas envie de le perdre…Mais si je le fait pas…Je risque de le perdre aussi…Mais…C’est peut être plus safe de renoncer…Non…Allez Izuku, un peu de courage merde ! Elle disait quoi Ochaco déjà ? Ah oui : “Yolo”. On a qu'une vie. Et l’amitié, ça se base sur la confiance, et surtout l'honnêteté…Enfin…Ce qu’il ignore ne me causera pas de tort…Promis, je ferais ce qu’il faut pour que tout aille bien, aucun faux pas…songea Izuku avant de s’interrompre, en sentant qu’on lui pressait doucement le bras.

 

-Poussin ? Tout va bien ? demanda Irène, l’air inquiet. 


-Heu…Pardon, j’étais dans la lune, articula Izuku.


-Sur Neptune je dirais même, dit Gaëlle en rigolant. 


 Izuku était même probablement sorti du système solaire tant il s’était perdu dans ses pensées, et il se mit une paire de claques mentale pour redescendre sur terre. Après quoi, il s'excusa de nouveau auprès de sa mère et de son amie, gênée d'avoir interrompu la conversation et d'avoir eu une absence alors qu'ils fêtaient ensemble l'anniversaire de Gaëlle.


-Si tu préfères te reposer plutôt que de venir au restaurant ce soir c'est pas un problème. T'as été malade tout le week-end dernier, et ta semaine a dû t'épuiser…dit Irène.


-Non non, ça va promis. J'ai juste un devoir qui me prend un peu la tête, signa Izuku.


- Un devoir de quoi poussin ? 


-Heu…articula Izuku avant de signer la première chose qui lui vint en tête: “Philo. C’est un devoir de philo.”


-Oh vas-y, trop top la philo ! J’a-dore Nietzsche ! s’exclama Gaelle, “Si je peux t'aider...c'est quoi le thème ?”, ajouta-t-elle ensuite en posant sa tête sur le dos de ses mains.


- La religion, signa Izuku au hasard.


-Pas mal, il y a de quoi débattre. Alors quelle est la question ? répondit Gaelle en hochant la tête.


-Heu…articula Izuku en réfléchissant à la vitesse de l'éclair avant de signer la première chose qui lui passa par la tête : «Selon vous, pourquoi Eve à croqué la pomme, et a-t-elle bien fait ?».


-Aaah…Fascinant...La tentation et la raison qui se confrontent en somme...C'est un excellent sujet ! 


-Heu oui…Mais un peu prise de tête…articula Izuku en se grattant la tête. 


 Après quoi, en essayant de superposer la métaphore à la réalité, Izuku prit mentalement note de ce que suggérait Gaëlle, tout en espérant qu’elle réussisse à guider sa décision. Un choix imminent qu’il allait falloir faire le lendemain,  dimanche.


***


Sombre Dimanche - Damia.

https://www.youtube.com/watch?v=IFt_LN_cR7U


 Cling, cling, cling…


Sombre dimanche...Les bras tout chargés de fleurs...Je suis entré dans notre chambre le coeur las...car je savais déjà que tu ne viendrais pas.... 


Cling, cling, cling…


 Sombre…dimanche...Je mourrai un dimanche où j'aurai trop souffert...Alors tu reviendras, mais je serai parti...Des cierges brûleront comme un ardent espoir...Et pour toi, sans effort, mes yeux seront ouverts…


 Un chant marmonné, ponctué d’un cliquetis régulier, brisait le silence des lieux. Dérangé par le bruit métallique, quelques oiseaux s'envolèrent de leur branche en abandonnant quelques plumes derrière eux. 

 Elliot marchait lentement dans la forêt, en laissant dans son sillage la fumée de sa cigarette qu'il ne fumait pas, la laissant se consumer toute seule au bord de ses lèvres, tandis qu’il arrachait quelques feuilles des buissons environnants avant de les envoyer voler devant lui d'une pichenette. Comme à son habitude, il se rendait au pont, et arrivé au niveau du chemin qui menait plus bas sur la rive et qui croisait le sien, il attrapa une pierre qu'il choisit suffisamment plate pour pouvoir la faire tenir sur une pile qu'il tentait de faire monter le plus haut possible. Mais souvent, toujours d’ailleurs, celle-ci s'écroulait avant d’atteindre son point culminant, au grand dépit d’Elliot qui parfois, aurait aimé que la pile puisse tenir en place une bonne fois pour toute. Alors chaque fois, il la recommençait, inlassablement, comme il avait dû le faire tout récemment. Prudemment, il déposa une pierre sur le petit monticule, puis il écrasa sa cigarette dont il déposa le mégot dans un petit cendrier de poche en argent. Après quoi, il enleva un de ses écouteurs et tendit l’oreille, pour n’entendre que le bruit des feuilles, secouées par une faible brise, ainsi que celui des remous de l’eau du fleuve. Elliot s’engagea ensuite sur le pont, et arrivé au milieu de celui-ci, il se frotta les yeux  avant de jeter une branche dans le vide qu’il regarda flotter à la surface des flots qui l’emportait. Quand elle disparut de son champ de vision, il observa les alentours, et s'arrêta sur un oiseau qui se lavait les plumes. 


-10, 9, 8, 7…décompta Elliot en se faisant la réflexion que l’oiseau devait être sacrément sale tant il s’acharnait a picorer sous son aile, “...3, 2, 1…0. Ha.”, souffla-t-il ensuite, voyant que l’oiseau n'était pas prêt d’avoir fini sa toilette. 


 Se laver et prendre un bain brûlant, c’est d’ailleurs ce qu’Elliot était impatient de faire pour délasser son dos qu’il sentait raide, et dont il fit craquer quelques vertèbres avant de s’asseoir au bord du pont. Un étirement qu’il allait falloir recommencer, car soudainement, il devint plus tendu encore, croyant avoir entendu un bruit venant d’un buisson duquel il cru voir un furtif reflet vert. Elliot cessa presque de respirer, puis il plissa les yeux, avant de légèrement sursauter quand l’oiseau qu’il avait observé un peu plus tôt se mit a battre furieusement des ailes pour échapper au petit chat noir qui avait bondi hors du buisson pour l’attraper. Malheureusement pour ce dernier, l’oiseau réussit à échapper à ses griffes, et le chaton regarda  tristement son repas s’envoler dans le ciel avant de se tourner vers Elliot qu’il scruta de ses grands yeux verts. 


-Me regarde pas comme ça. J’ai rien pour toi, dit Elliot au chat qui miaula tristement en guise de réponse, “Rien. J’ai rien.”, insista Elliot.


 Le chaton s’assit, attendant probablement qu’on vienne lui faire une caresse, puis finalement, il s’en alla en miaulant la gueule fermée, et disparut dans les fourrés.


-N’ai pas peur de mes yeux si ils ne peuvent te voir…Ils te diront…fredonna Elliot avant d'être interrompu par un bâillement.


 Dans le même temps, il interrompit Damia en éteignant son Mp3 qui jouait la chanson en repeat, puis il rangea ses écouteurs et s’installa plus confortablement en balançant ses jambes dans le vide. Après quoi, il alluma une cigarette dont il tira une longue bouffée pour cette fois-ci la déguster pleinement. Elliot la fuma lentement, les yeux fermés, en se concentrant sur les crépitements du papier qui se consumait, et une fois le filtre atteint, il regarda son mégot, déçu que sa cigarette se soit finie si vite, avant de l'écraser sur le béton du pont. Puis aussitôt après avoir déposé son mégot dans son cendrier de poche, il fouilla sa veste pour attraper une autre cigarette dans son paquet. Mais alors qu’il allait l’allumer, Elliot interrompit son geste et renifla, pensant avoir reconnu un parfum que la brise avait emporté jusqu'à lui. Puis un craquement se fit entendre, tout près de lui. Alors, sans tourner la tête, Elliot jeta un regard à sa droite, et ses yeux tombèrent sur une paire de Nike en piteux état. Izuku venait de se matérialiser sur le pont, dans le plus grand des silences. Seuls cette branche sur laquelle il avait marché, et son parfum avaient trahi sa présence. Elliot leva la tête, et suivit du regard Izuku qui s’installa en tailleur près de lui, le cœur battant. 


-Hey… articula Izuku en tirant sur ses manches. 


-Hey, souffla  Elliot.


-Je peux…? demanda timidement Izuku en regardant du coin de l'œil Elliot dont curieusement, le visage n'affichait aucune surprise, ni quoi que ce soit d’autre. 


  Elliot signifia par le geste à Izuku qu'il s'y était déjà autorisé. Embarrassé, ce dernier insista d'un regard pour avoir une réponse.


-Ha, souffla Elliot avant de retirer une feuille qui s’était coincé dans les cheveux d'Izuku, et qu’il envoya voler d’une pichenette. 


 Puis sans un mot, il alluma sa cigarette, tandis qu’Izuku le regardait toujours du coin de l'œil avec appréhension. Impossible pour lui de deviner dans quelle humeur se trouvait Elliot qui plus que jamais, était totalement inexpressif : la neutralité de son visage ne laissait entrevoir aucune forme d'émotion. Puis enfin, après un temps qui dura une éternité pour Izuku, Elliot rompit enfin le silence. 


-Tu viens souvent, dit Elliot sans regarder Izuku, qui posa son portable entre eux pour y écrire sa réponse, pensant qu’on lui avait posé une question : 


-Depuis la rentrée. Le jour où on s’est croisé dans le train.


-Hm. Je me disais aussi, souffla Elliot avant de prendre une bouffée sur sa cigarette, “Un ninja pas très doué.” ajouta t-il ensuite en regardant le bout incandescent de sa cigarette.


 L’air coupable, Izuku se tassa sur lui-même en tirant plus fort sur ses manches, comprenant par là que d’une manière ou d’une autre il avait dû se faire griller. Et comme s' il avait lu ses pensées, Elliot expliqua par le geste à Izuku en quoi il était un piètre ninja. Il tapota d’abord du doigt les Nike d’Izuku dont il retira une des petites branches qui s’y était coincée, puis il ouvrit d’un geste sec le rabat du sac d’Izuku pour cette fois ci tapoter la tranche de son carnet à dessin. Carnet qu’Izuku se rappela avoir oublié derrière lui lorsqu'il s'était précipitamment caché la dernière fois qu’il était venu, et qu’il avait récupéré ensuite sans penser qu’il avait pu être vu.


-Et le chat noir est trop petit pour faire autant de bruit, dit Elliot avant d’ajouter par la pensée : “Et un chat, ça chante pas.”

 

 Car avant le son de cette branche qui s'était cassée, et bien avant qu’il n’arrive sur le pont, Elliot  qui exceptionnellement ce jour-là avait rompu le rituel et était venu sans écouter de musique, avait cru entendre un chant, que le vent avait emporté jusqu'à lui. Une chanson presque imperceptible, comme un souffle, qui lui avait donné l’impression que les lieux étaient habités par un esprit, un revenant qui tentait de rentrer en communication avec lui. Un signe de l'au-delà, ou une  hallucination auditive pour Elliot qui ce jour-là, avait cru devenir fou. Et pourtant, plus tard, il avait compris que peut-être, l'hallucination n’en avait pas été une. A raison, car aujourd’hui c'était matérialisé devant lui, ce revenant, cet esprit qui existait bel et bien,  fait de chair et d’os. 


-Pardon…articula Izuku avant de regarder courageusement Elliot qui l’observait du coin de l'œil, “Tu…T’es en colère…?”,  ajouta-t-il en plantant ses ongles dans sa paume. 


-Nan.


-…Tu m’en veux…?


-Nan. 


-Elliot…Pardon…Je voulais pas…T’importuner…Je te promet…Je te promet que je t’ai pas suivi ou quoi…Je…articula Izuku avant d’être interrompu par Elliot. 


-Hm. Le fruit du hasard…? dit Elliot dans un souffle en regardant le ciel, “Ou pas..?” ajouta-t-il par la pensée 


-Je…Oui c’est le hasard…La première fois que je suis venu…Je m’attendais pas à…A te trouver ici…Puis je t’ai vu, là…articula Izuku en mettant un coup de menton là où ils étaient assis. 


-Ha. Tu m’as vu, dit Elliot dans un souffle. 


  Izuku acquiesça


-Moi, je t’ai pas vu.


-C’est que…Je voulais pas te déranger…articula Izuku en frictionnant nerveusement ses avant bras.


-Ha ? Et pourquoi tu veux maintenant ? 


-Pour…articula Izuku avant de s’interrompre, “Pour deux raisons.”, ajouta t-il ensuite, en se disant que s' il voulait se faire d’Elliot un ami, la confiance et l'honnêteté devaient être bâties aujourd’hui. 


-Ha..? souffla Elliot, le visage toujours aussi neutre, en penchant la tête pour encourager Izuku à poursuivre.


-Je…Je crois que j’ai eu envie…Non en fait…J’ai voulu venir sur le pont dès la première fois mais…On se connaissait pas…Maintenant…C’est différent, on se connait…Un petit peu. Et je...articula péniblement Izuku avant de poursuivre, plus gêné encore : “...Je t’apprécie...bien. Mais je me disais qu' ici…J’ai le sentiment que…C'est comme ton refuge, le tient…ton pont quoi. Et que, peut-être, tu…tu voulais pas être dérangé…”


-Bien deviné, dit Elliot, “La deuxième raison ?” ajouta t-il ensuite.


-Je suis venu…Il y a deux semaines…Il y a deux semaine j'étais là…articula Izuku en regardant les yeux d’Elliot pour tenter de deviner si ce qu’il s'apprêtait à dire allait provoquer une quelconque réaction,  “Je t’ai vu, ici, sur le pont…Et je…J’ai eu peur. Ce que j’ai vu…m’a fait peur…”, avoua t-il ensuite à demi-mot.


 -”Peur”, répéta Elliot en penchant la tête plus encore.


 N’arrivant pas à verbaliser le fond de sa pensée, Izuku déglutit en regardant le vide, et Elliot suivit son regard. Un ange passa, puis d’un doigt Izuku fit une rapide recherche sur son portable pour lancer un titre qui se chargerait a sa place de dire ce qu’il avait sur le cœur.



Spring nicht - Tokio Hotel.

https://www.youtube.com/watch?v=wZ4_fGp5Vvs&list=PL0pXSmOVQWwooBac6hu2UG458ROzcexhz&index=3



 Elliot ne sourcilla pas, ni ne bougea, lui donnant tout l’air d'être devenu une statue. Seules les mèches blondes qui émergeaient de sa capuche ondulaient doucement au gré de la brise. Il resta ainsi durant toute la durée de la chanson, un temps qui parut interminable à Izuku qui leva courageusement la tête au moment ou enfin, Elliot brisa le silence. 


-J’veux pas m’écraser sur ce putain de rocher, dit Elliot en regardant l’immense pierre qui se trouvait dans le fleuve.


 Puis de nouveau, un silence pesant s’installa. Izuku se tassa un peu plus sur lui-même, se sentant assailli par quantités d'émotions, et curieusement, le soulagement n’était pas l’une d’entre elles. Pourtant Elliot avait compris le fond de sa pensée, et venait d’affirmer que visiblement, tout n’avait été que le fruit de son imagination. Mais Elliot disait t-il la vérité ? Après tout, si Izuku avait été à sa place, il aurait lui-même été tenté de mentir, tout simplement parce que c’est choses là, on ne les confie évidemment pas au premier venu. Or pour le moment, Izuku était encore un étranger pour Elliot, et il craignait que maintenant, ce statut devienne définitif. 


-J’aime pas mentir, dit Elliot comme s' il avait deviné les pensées d’Izuku.


-Jamais ? articula Izuku.


-Jamais, affirma Elliot.


-Même…un peu...?


-Jamais. 


 Izuku acquiesça doucement,  en se demandant si d’aventure il demandait à Elliot s' ils pouvaient devenir amis, celui-ci aurait l'honnêteté de le rejeter. Et réflexion faite, il était évident pour Izuku que oui, et l’idée lui serra la gorge. 


-Elliot…Si tu veux…Je comprendrais…Si…Si tu veux que je m'en aille…Je…articula Izuku la bouche tremblante avant d’être interrompu par Elliot. 

 

-Tu connais “l’appel du vide” ? demanda Elliot en regardant le fleuve.


-…Non ?


-C’est marrant. Un truc que ton cerveau fait quand t’es au bord d’un précipice. Il te dit “saute”. Parce qu’il sait que tu peux le faire. Tu peux sauter. Ton cerveau en fait, c’est comme si il mesurait ton instinct de survie. C’est un truc con qui traverse l’esprit de tout le monde, dit Elliot en attrapant le carnet de croquis d’Izuku qui posa un doigt dessus pour en interdire l'accès, “Ha ? Hm. Si tu veux qu'on soit quitte. Hm. Ouai. Je partage mon pont, alors tu me laisses regarder.”


 Izuku relâcha aussitôt la pression de son doigt, comprenant par là qu'Elliot ne comptait peut-être pas particulièrement le rejeter, ou du moins, pas tout de suite. Et si pour cela il fallait seulement le laisser accéder à son carnet ce n’était pas cher payé. Toutefois, Izuku préféra quand même s'épargner de voir quelle réaction allaient provoquer ses dessins, et il choisit plutôt de regarder le paysage en balançant ses jambes dans le vide. Elliot lui, se mit à l’aise en repliant une jambe sous lui, puis il se plongea dans le carnet, qu’il consulta en prenant son temps. Il en oublia sa cigarette, qui se consuma toute seule entre ses doigts, et qui finit par s'éteindre, à mesure qu’il tournait les pages avec soin. Des feuilles noircies de dessins, représentant pour la plupart des fleurs et des serpents, ou encore des mains, beaucoup de mains. Elliot pouffa en soufflant du nez en écartant ses doigts devant lui, se faisant la réflexion que ces mains avaient plus ou moins été faites sur le modèle des siennes, à l’exception de quelques-unes d’entre elles, noires et crochues, qui n’avaient rien d’humain. Des mains démoniaques qui pourtant, sur une page, étaient représentées en prière, tenant entre leurs doigts décharnés un couteau auquel elles étaient scellées par un crucifix dont la chaîne les ligotaient. Elliot se demanda à quelle musique Izuku avait bien pu penser en les dessinant (il pouffa en chantant mentalement “Ameno” de Era), et ce qui lui était passé par la tête à ce moment-là. Quelque part, il aurait pu être difficile de croire qu’Izuku, ce garçon d’apparence douce et calme avait pu être l’auteur de ces dessins noirs, aux traits incisifs, à l'ambiance lugubre, et réalisés avec tant d'énergie et de brutalité qu’ils donnaient l’impression que le dessinateur avait voulu écraser la mine sur sa feuille. Un coup de crayon brouillon, voire parfois bâclé, qui encore une fois, dénotait avec l’artiste dont les mains, loin de celles qui se trouvaient dans le carnet, semblaient manipuler tout ce qu’elles touchaient avec douceur et minutie. Mais paradoxalement, ce contenu ne surprit pas Elliot qui savait aujourd’hui que l’artiste possédait plusieurs facettes, dont l’une visiblement, n’existait que sur le support papier. Néanmoins, Elliot retrouva aussi ce Izuku doux, voire un peu candide, dans d’autres dessins, notamment des croquis du chaton noir, et des petites bande dessinée ou Izuku s’amusait à le mettre en scène. C’est sur ces dessins qu'Elliot termina son exploration du carnet qu’il referma ensuite doucement avant d’en tapoter la tranche sur la jambe d’Izuku. 

   

-Nan. On est pas quitte en fait. J'ai changé d'avis. Ça suffit pas pour partager le pont, dit Elliot.


 Triste que le deal ne tienne plus, Izuku remit lentement le carnet dans son sac en baissant  la tête pour cacher sa déception. En le voyant faire, Elliot sourit en coin, puis il se pencha pour être vu d’Izuku et lui parler : 


-Si tu me fais un dessin, je veux bien partager, souffla Elliot, “Monsieur…Bill Kaulitz.”, ajouta-t-il en se faisant la réflexion qu’Izuku avait aussi des airs du chanteur. 


 En voyant que le sourire en coin était de retour sur la bouche d’Elliot, le visage d'Izuku s'éclaircit aussitôt, et il s’empressa de lui répondre. 


-Ce que tu veux, articula Izuku.


-Un papillon de nuit. Un sphinx, dit Elliot en faisant des ailes avec ses mains.


-Avec plaisir, promis, assura Izuku avant de s’incliner, “Promesse de Bill Kaulitz.” ajouta-t-il avec humour.


-Ok. On est quitte, dit Elliot avant d’étirer ses bras devant lui en baillant.


 Izuku joint ses mains entre elles et les posa contre sa tête pour signifier à Elliot qu’il fallait qu’il dorme un peu plus. 


-Dormir c'est faiblir, répondit Elliot avant de glisser une cigarette entre ses lèvres.


-On faiblit si on ne dort pas, articula Izuku sur le ton de l'évidence.


-Je dormirai quand je serai mort, ricana Elliot en allumant sa cigarette. 


-Ne précipite pas les choses, articula sévèrement Izuku en pointant la cigarette du doigt. 


-Bah. Je crèverai le jour où l’univers et le reste l’auront décidé, dit Elliot en regardant le ciel, “Hey. Pourquoi tu viens ici.”, ajouta t-il ensuite.

 

-Comme toi j’imagine ? Seul, tranquille, articula Izuku en mimant une expression de paix.


-Hm. Pf. On sera seuls ensemble maintenant, dit Elliot en regardant le bout incandescent de sa cigarette, “Bienvenue dans mes ruines.”,  ajouta t-il ensuite.


 Ce message d'accueil qui signifiait qu’il était le bienvenue auprès d’Elliot eut l’effet d’un véritable feu d’artifice dans l’esprit d’Izuku qui sentit son cœur bondir de joie. Toutefois, par pudeur, il n’en montra rien et parvint à contenir son excitation  avant de reprendre la discussion. 


-Ton palace, objecta Izuku en balayant le paysage du regard.


-Pf. Un palace en béton. Un putain de taudis, dit Elliot avec un petit rire.


-Un beau taudis alors. Tu y viens depuis longtemps dans ton taudis ? 


-Hm. Un jour j’suis monté dans un train au pif, comme ça. Je savais pas où j'allais et j’en avais rien a foutre. Je suis descendu au hasard, j’ai marché au hasard, et par hasard j’ai atterri ici. Comme toi. 


-Oui c'était à peu près ça…Sauf que moi j’ai un peu fouillé le net avant. Je voulais juste un endroit avec de la nature. J’ai toujours aimé ça, les arbres, les forêts…


-Ha…? Hm. C’est ton élément. Ton territoire.


-Oui c’est ça. Même si pour le coup…C’est ton territoire avant d'être le mien…C’est chez toi ici.


-Notre territoire, corrigea Elliot avant d’ajouter : “Chez moi ouai. Un bout de mon monde.” 


-Il est pas mal ton monde. 


-Pf, pouffa Elliot avant de poursuivre, “Et toi ? Ouai toi. Ton monde. Il est où.”, dit-il en mettant un coup de menton en direction d’Izuku qui réfléchit un instant avant de répondre.


-Un peu ici aussi, articula Izuku en regardant le fleuve.


-Ha ? De quoi. Dans la flotte ? “Sous l'eau” ? Ok. Donc tu vis dans un sous-marin.


-Tu voulais expérimenter la surdité ?  articula Izuku en plissant les yeux.


- Ouai, j'ai dis ça, répondit  Elliot en pensant qu'en fin de compte, il allait peut-être se faire engueuler.


-Quand tu mets ta tête sous l'eau, c'est ce qui se rapproche le plus de la sensation d’être sourd, expliqua muettement Izuku en se tapotant l’oreille du doigt. 


-Ha ? Ca ? Ca, c’est ton monde…?


-Le monde du silence...articula Izuku comme si il annonçait le nom d’un terrible film d’horreur. 


-Vous êtes quoi les sourds, des putains de poissons ? dit Elliot en regardant le fleuve, “Hinhinhin…T’es con.”, ajouta t-il ensuite en voyant Izuku imiter un poisson. 


 “Magicarpe”, c’est le Pokémon qui vint à l’esprit d’Elliot qui secoua brièvement la tête en pouffant, se disant que le monde d’Izuku, qui semblait se définir seulement par sa surdité, devait être bien plus vaste que celui d’un poisson dans son bocal. Un aquarium d’ailleurs bien trop étroit pour Izuku à qui définitivement, l’image d’un Magicarpe ne correspondait pas, et qui peut être, aurait tout intérêt à visiter d’autres territoires, selon Elliot qui pressentait que le monde et le palace d’Izuku devaient aussi se trouver ailleurs. 


-Izuku Kaulitz…Pas qu’un mec sourd…Et pas un putain de Magicarpe, songea Elliot en se tournant vers l’horizon.


 Izuku imita Elliot, puis il ferma les yeux, sentant sur sa peau la brise fraîche qui répandait l’odeur de ces cigarettes dont, à compter d’aujourd’hui, il n'oublierait jamais la marque : “Lucky strike”. Un coup de chance, c’est exactement ce qui s'était produit aujourd’hui, et même bien avant, ce jour où Izuku s'était fait bousculer devant la grille du lycée, ou encore celui où il avait atterri dans ce lieu, puis sur ce pont. Un endroit reculé et inconnu de tous, qui donnait l’impression à Izuku de se retrouver dans un univers qui n’appartenait pas au reste du monde, et dans lequel seuls lui et Elliot pouvaient rentrer. Une drôle de coïncidence qui faisait même se demander à Izuku si il n’avait pas été question de destin plutôt que de chance, comme si tout sur sa route avait été fait pour qu’il rencontre ce garçon qu’il veillerait maintenant à ne pas perdre, sous aucun prétexte. Non, Izuku ne ferait aucun faux pas avec lui, et jamais, non jamais, il ne  laisserait tomber Elliot.


-Hehe…Elliot Kaulitz ne sautera pas…songea Izuku avant d’ouvrir les yeux, sentant qu’Elliot l’interpellait en tapotant le cadran de sa montre.


 Izuku jeta un œil à l’heure et signifia par le geste à Elliot qu’il était aussi temps pour lui de partir. Tous deux se levèrent en même temps, et après avoir timidement salué son futur ami, Izuku s’en alla en direction de sa droite, avant d'être retenu par Elliot qui lui saisit l'épaule.


-C'est plus court par là, dit Elliot en indiquant du pouce le chemin par lequel il arrivait chaque fois. 


-Je te suis, articula Izuku, content d’avoir droit à une petite prolongation. 


-Go, dit Elliot en s'équipant de ses écouteurs.

2nd World - HVOB

https://www.youtube.com/watch?v=lpnbdSRv-GI


 Puis tous deux quittèrent le pont, et arrivé au niveau du sentier, Izuku leva un sourcil en découvrant ce qui avait tout l’air d'être le début d’un cairn qu’il devina être l’oeuvre d’Elliot en se rappelant des pierres qu’il avait vu dégringoler deux semaines auparavant. Izuku s'arrêta devant le petit monument, puis il chercha lui aussi une pierre suffisamment plate pour en commencer un deuxième, juste à côté de celui d’Elliot qu’il rejoint ensuite en trottinant. Après quoi, ils s’enfoncèrent dans la forêt, sur un étroit sentier, ou plutôt un sillon, qui semblait ne s’être ouvert que par le passage répété d’une seule personne. Probablement Elliot, d'après Izuku qui manqua à plusieurs reprise de se casser la figure sur ce chemin accidenté et peu éclairé, tant il était assombri par les arbres, plus arborescents que de l’autre côté de la rive, et qui ne laissaient filtrer que peu de lumières dans leur ramifications. Puis l’obscurité fut totale, quand ils s’engouffrèrent dans un tunnel fait de briques, au sol boueux et aux murs humides, parcourus par des racines qui s'étaient frayées un chemin dans les fissures. Avec le temps, celles-ci s'étaient étirées sur toute la surface du tunnel, dessinant sur les murs un réseau qui rappela à Izuku celui complexe du système nerveux, et au plafond, leur accumulation avait fini par former comme une immense toile d’araignée. 


-Hehe…Une araignée au plafond…Mon alice, alice, arachné high-tech…Mon alice, alice, pendue au bout de son fil…Dépressive, l'artiste, exit, exit…chanta mentalement Izuku avant de se presser pour rejoindre Elliot au bout du tunnel. 


 Un tunnel qui eut tout l’air d'être un portail pour Izuku qui une fois sortit, retrouva la lumière qui éclairait désormais un paysage complètement différent du précédent. Amusé, il pensa au film “Le voyage de Chihiro”, ou la protagoniste, après avoir traversé un tunnel qui menait dans une gare, se trouvait projetée dans un autre monde, habité d’esprits. Un univers fantastique qu’à l’inverse, Izuku et Elliot venaient de quitter, pour retrouver celui des hommes, qui avaient fait reculer la nature qui se faisait plus rare à mesure qu’ils avançaient. Des constructions parfois recouvertes de mousse, surgissaient des lierres, jusqu'à qu'il n’y ait plus que quelques traces de verdure, mêlées au béton et au métal. Des infrastructures qui dans le futur allaient elles aussi être englouties par la forêt qui reprenait ses droits doucement, mais sûrement. Et dieu sait qu’elle avait encore du chemin à faire avant de se réapproprier ses terres et prendre possession de l'intégralité de l’usine, dont Elliot et Izuku atteignaient le cœur. Un endroit fréquenté, contrairement à celui d'où ils venaient, et marqué par le passage de graffeurs, comme Izuku l’avait remarqué la première fois qu’il était venu. Mais les tags grossiers qu’il avait vu ce jour-là n'avaient rien à voir avec ceux qu’il découvrit en arrivant dans ce qui aurait dû être ou avait été un hangar, voire une zone de stockage. Izuku prit le temps de photographier un immense graffiti qui lui avait tapé dans l'œil, et Elliot l’attendit patiemment en regardant lui aussi l’immense dessin qui représentait un serpent auréolé en proie aux serres acérées d’un aigle à l’air furieux. 


-Vénère, dit Elliot en hochant la tête quand Izuku lui montra les clichés qu’il avait pris, “Ha. Nan. Ça tu supprimes.”, ajouta t-il ensuite , remarquant qu’il apparaissait sur l’une des photos.


 Izuku regarda de plus près le cliché, et il acquiesça sans pour autant obéir. Après tout, la photo était jolie (fait rare, car il était plutôt mauvais photographe), et c’est à peine si on voyait Elliot qui non seulement était flou, mais en plus semblait minuscule comparé à l'aigle qui se trouvait au-dessus de lui. Après quoi, ils continuèrent leur route, et comme l’avait prédit Elliot, ils arrivèrent à la gare en moins de temps qu’il ne l’aurait fallu si ils avaient pris le chemin d’Izuku qui en fait faisait un grand détour. Celui d’Elliot les avait simplement fait arriver de l’autre côté de la gare, et il ne leur restait plus qu'à traverser les rails pour rejoindre le quai. La dangereuse traversée faite, le train ne tarda pas à arriver, et ils s'installèrent l’un en face de l’autre dans un carré de siège. Quand le train quitta la gare, Elliot inspecta la rame en se tordant le cou, avant de regarder le tableau qui affichait les stations et curieux, Izuku lui demanda par le regard ce qu’il faisait.


-Un jeu. Ouai un jeu. Un paris. Moi j’ai parié que le type la bas, ouai en rouge la, il allait descendre dans deux stations, expliqua Elliot.


-Ah ? Et tu gagnes quoi si tu remportes le paris ?


-Hinhin…Ce que je veux. Mais ça, c’est l’univers qui décide.


-Plutôt le hasard.


-“Nul vainqueur ne croit au hasard.”, récita Elliot sans quitter le passager en rouge des yeux, “Et moi…Je perd jamais.”, ajouta t-il ensuite en regardant Izuku.


-Ca me dit un truc ce que t’as dis…articula ce dernier en fronçant les sourcils.


-Nietzsche. “Le gai savoir”, dit Elliot, “Ha…Ha ! Gagné !” s'exclama-t-il ensuite en voyant le passager se lever pour descendre là ou il l’avait prédit.


 Izuku applaudit sans bruit en pouffant, se disant qu’Elliot qui semblait être particulièrement amateur de jeu avait définitivement tout d’un enfant. Un gamin qui toutefois semblait occuper son temps libre avec des lectures bien trop mures pour Izuku qui les trouvait barbantes, et auxquelles il préfèrait de loin un bon album de Batman ou un manga, voire une partie de jeu vidéo. D’ailleurs, si Elliot était joueur, Izuku pensa qu’il pourrait en faire un excellent “player two”, bien qu’il le soupçonne d'être du genre mauvais perdant. 


-Bah, tant qu’on casse pas mes manettes, moi ça me va, songea Izuku avant de s'adresser à Elliot, “Alors ? T’as gagné quoi ?” 


-Hinhinhin…J'avais raison…dit Elliot.


-Wah, c’est tout ? 


-Hm. Ouai. C’est ça. C’est tout. 


-Pourquoi pas…Mais…Moi j’aime bien mettre un truc en jeu. Par exemple, si je gagne, je me paye une fringue, et si je perd j’ai un gage. La dernière fois j’ai perdu, du coup je me suis pas offert de nouveau pantalon, articula Izuku en faisant mine de bouder.


-Ha…Tu joues aussi, souffla Elliot avant de basculer la tête en arrière, “Ok. Jouons.”, ajouta t-il ensuite en regardant le plafond.


 Il resta ainsi quelques secondes, puis s’installa plus confortablement sur son siège, croisa les bras, et ferma les yeux, tandis qu’Izuku regardait le paysage. Ce dernier tressauta légèrement quand le train entra dans un tunnel, remplaçant le paysage par le reflet d’Elliot qui semblait s'être assoupi. Sa tête bougeait lentement, ballottée par les bringuebalements du train, et Izuku pouffa dans sa barbe, en se disant que plus que d’avoir l’air endormi, Elliot semblait être dans une intense réflexion ou contrarié par le rêve qu’il faisait. Mais Elliot ne rêvait et ne dormait pas, contrairement à ce que pensait Izuku qui sursauta légèrement de nouveau, quand Elliot ouvrit soudainement les yeux, dans le même temps que le train sortait des ténèbres, faisant disparaître son reflet aux yeux d’Izuku. Celui-ci replongea alors dans sa contemplation du paysage, la tête reposant dans sa paume, jusqu'à ce que passé un moment, Elliot attire son attention avec un petit coup de genou.  


-See ya, dit Elliot en se levant.


-See ya, articula Izuku. 


-Hey, souffla Elliot en marchant à reculons vers la porte de la rame.


-Hey ? 


-J'aime bien le Dimanche, articula Elliot avant que les portes de la rame ne se referment sur lui.


 Izuku sourit à la porte, et fit mentalement une croix sur tous les dimanches du calendrier, en suivant Elliot du regard, jusqu'à ce qu’il s’engouffre dans le couloir labyrinthique qui allait le mener à son prochain train. 


-With your hand, you kept the real world outside…I hear you, and you hear me, throught the songs…fredonna Elliot  tout en faisant un compte avec ses doigts, “Hm. Ça, ouai. Ça aussi. Ok. J’ai tout. Tout.  Bon...”, souffla t-il ensuite en cochant des cases imaginaires dans les airs.


 Puis, alors qu’il avançait en laissant machinalement ses jambes le porter, Elliot s’interrompit soudainement, surprenant la personne qui marchait derrière lui qui manqua de lui rentrer dedans de peu.


-Quoi. Tu veux ma photo, lui dit Elliot lorsque celle-ci passa devant lui en soufflant et en lui jetant un regard désapprobateur.


 Puis sans y prêter attention plus longtemps, Elliot prit le temps de choisir un nouveau morceau sur son Mp3, planté au milieu du couloir, sans se soucier des autres passants dont il gênait le passage. Après quoi, il se remit enfin en marche,  en marquant son pas du rythme de la musique et en claquant des doigts, sous le regard interloqué des gens qui en le croisant, se demandaient si l'hurluberlu qu’ils voyaient fredonner en  dansant avait toute sa tête. 

 


Sick with it - Moderat

https://www.youtube.com/watch?v=DKA68SSkb9c


-Come and see my perfect mediacenter, all my money, all my time I've spent on it..  All specialized, all reinvented, state of the art to enter the internet…I can hear my demons howling, into the cyberspace they're calling…Login the pass, pandora's box is open…chantait Elliot (sans se soucier du volume de sa voix) en arrivant sur son quai.


 Puis, bien que ce soit interdit, Elliot s’alluma de nouveau une cigarette, en tendant le cou pour vérifier toutefois qu’aucun agent de la gare ne se trouvait à proximité. Sur d'être tranquille, il reprit le cours de sa chanson et de sa danse, tout en s’amusant à marcher le long des bandes blanches du quai à la manière d’un funambule.


-It makes you feel like ice cold winter, in this labyrinth of filth and sin. Some things are sweet and some even sweeter…Link by link the ice is getting thin. On my deadly journey right to the center, this dragging twister taking me under, I'm willing to survive, can't surrender, to the call of this phony splender…Waa-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha…!


-Maman, il a quoi le monsieur là- bas ? demanda une fillette en croisant la route d’Elliot.


-Ne le regarde pas chérie…Ca doit être un toxicomane…répondit la mère en se pressant pour s'éloigner d’Elliot qui continua sur sa lancée jusqu'à ce que son train arrive à quai.


-My head, my feet, my brain…Driving me insane. My blood, my lungs, my veins…Are burning up in flames…Call from a distance…Voices of bliss…Voice from a distance…Calling my name…Calling my name…Calling my name…Calling my name…Ha, repeat.


 Durant le trajet, Elliot ferma les yeux, sans véritablement s’endormir, bien qu’il aurait largement eu le temps de faire une sieste, sa destination se situant au bout de la ligne du train. Un temps qu’il mettait la plupart du temps à profit pour faire (bâcler) ses devoirs, bouquiner, ou griffonner sur un petit carnet qu’il avait toujours sur lui. C’est d’ailleurs ce qu’Elliot choisit de faire, quelques stations avant la sienne. Un peu comme Izuku, il y écrivait ce qui lui passait par la tête, pour coucher sur le papier des pensées ou des idées, griffonnées sans application et qui se mêlaient aussi à des notes prises à la volée, donnant au tout un aspect particulièrement désordonné et brouillon. Pourtant, cela n'empêchait pas Elliot de se retrouver dans ce “bordel organisé” comme il l’appelait, et qu’il était bien le seul à pouvoir comprendre et déchiffrer.   


-Ha, souffla Elliot en fermant d’un geste sec son carnet, voyant qu’il arrivait à destination. 


 Elliot sauta du train, puis avant de prendre la route de chez lui, il fit un détour par une petite supérette qui avoisinait l'établissement scolaire de la ville afin d’y faire quelques courses. Chose faite, il jeta un œil à un panneau indiquant l’heure, il la retint, lança mentalement un décompte, puis d’un coup, il se mit à courir à toute jambe. Elliot se mit au défi d'obtenir le meilleur temps possible, le tout en prenant des raccourcis dépourvus de réverbères, et remplis d’obstacles sur lesquels il fit du saut de haies. Il manqua de se casser la figure sur l’un d’entre eux, se réceptionna maladroitement, et reprit aussitôt sa course, jusqu'à arriver dans une modeste résidence composée de petits pavillons grisâtres, tous identiques, et pour la plupart inhabités. Elliot suivit la petite route labyrinthique qui sillonnait entre les maisons, et il s’arrêta net devant le numéro 45. Précipitamment, il fouilla sa poche pour trouver ses clefs, et une fois la porte déverrouillée, il se jeta dans le hall d’entrée pour consulter une horloge, fixée sur le mur de droite du petit vestibule.


-Hinhin…Gagné, haleta Elliot, avant de fermer la porte derrière lui.


 Une fois celle-ci verrouillée à double tour, Elliot rangea ses clés dans sa veste avant de prendre le courrier, laissé dans un vide poche. Il jeta brièvement un œil aux enveloppes, puis il remit en place un cadre dépourvu de verre qui penchait légèrement pour l'aligner avec les autres. Après quoi, il s’enfonça dans la maison, mais s'arrêta dans le couloir, trouvant que les lieux étaient beaucoup trop calmes. Hormis le son de la télé en fond, la maison était totalement silencieuse. 


-Chelou, commenta mentalement Elliot en s’avançant en direction de l’entrée du salon, située sur sa droite. 


 Dans la pièce, aucun signe de vie, si ce n’est une cigarette abandonnée qui se consumait toute seule dans un cendrier posé sur la table basse du canapé. Elliot l'écrasa, puis il s’avança dans la véranda qui jouxtait la pièce. N’y trouvant personne non plus, il rejoint la cuisine, qui se trouvait juste en face du salon, de l’autre côté du couloir. Elliot tourna sur lui-même à 360 degrés pour balayer la pièce du regard, mais n'y trouva pas âme qui vive non plus. Pourtant quelqu’un avait bien laissé une trace de son passage, notamment en abandonnant négligemment sa vaisselle dans l'évier.


-P’tain..! Andreï… fulmina Elliot en attrapant du bout des doigts une cuillère à peine rincée, qu’il jeta ensuite dans l'évier en soufflant.


 Au grand dam d’Elliot, Andreï, son frère d’un an son aîné, ne partageait pas la même vision de l'hygiène de vie que lui, chose qui était source de conflit au sein de la maison, dont l'entretien laissait à désirer chaque fois qu’Elliot s’absentait. Or, ce dernier mettait un point d’honneur à ce que toute chose soit propre et rangée dans les lieux. Un trait de caractère visiblement trop extrême, voire maladif aux yeux d’Andreï qui fit enfin entendre sa voix, sortit du fond de la maison.


-Elliot ? Elliot ! s’exclama Andreï avant de pester des suites d’un bruit de klaxon de voiture.


-Quoi ! Ho. C’est quoi ce putain de bordel ?? répondit Elliot en abandonnant ses courses et son courrier sur la table de la cuisine.


-Ramène toi ! C'est maman, elle fait sa crise…


-Elle est où, dit Elliot en rejoignant son frère dans le couloir.


-Dans le garage.


-P'tain ! Et pourquoi il était ouvert le foutu garage ??


-C'est bon...j'ai zappé de le refermer en allant chercher une conserve...


-Tu fais chier, ragea Elliot en se rendant au garage, bousculant son frère au passage.


-C'est bon…Le volet est fermé. Elle a voulu se barrer d’un coup, et elle s'est excitée sur moi quand j'ai refusé de l'ouvrir.

  

-Elle a voulu se barrer ?? T’as fais quoi !? Il s’est passé quoi p’tain !


-M’engueule pas, c’est de ta faute ! T’as vu l’heure ? Elle a du vriller parce que t’es pas rentré comme d’hab c’est tout ! Du coup elle a voulu prendre la bagnole, et elle s’est enfermée dedans…J’arrive pas à la faire sortir.


-’Fallait lui dire que j’allais arriver ! C’est pourtant putain de pas compliqué p’tain ! Si le putain de téléphone sonne pas, c’est que j’arrive ! répliqua Elliot en se tapotant énergétiquement le front du bout des doigts, “Et pourquoi, mais putain, pourquoi, la bagnole était ouverte ??”, ajouta-t-il ensuite en tendant le bras en direction du garage.

 

-Me regarde pas comme ça ! J’y suis pour rien ! Qu’est ce que tu veux que j’y touche à cette caisse ?? J’ai pas le permis ! C'est le père qui a dû laisser ça comme ça ! 


-Putain de…commença Elliot avant de s’interrompre en entendant un autre bruit de klaxon.


 Celui-ci mit fin à la dispute d’Andreï et d’Elliot qui se précipita dans le garage ou il trouva sa mère dans la voiture, derrière le volant qu'elle essayait visiblement d'arracher en pleurant à chaudes larmes.


-Je te laisse gérer, moi elle m’écoute pas, dit Andreï las, avant d’aller dans sa chambre.


-Mama, ouvre, ordonna Elliot en tapant d’une phalange la vitre côté conducteur.


-Milyy !! s’exclama sa mère en le découvrant derrière la vitre, les yeux grands ouverts, comme si elle s'était retrouvée face à la soudaine apparition d’un fantôme.


-Mama, tu sors, insista Elliot sur un ton plus ferme, “Allez, viens.” ajouta t-il plus doucement ensuite, voyant que sa mère prenait l’expression d’un enfant qui se fait gronder. 


 Puis enfin, d’un geste vif, comme si la portière allait lui manger la main, la mère d’Elliot consentit à ouvrir le loquet avant de s’enfoncer dans l’habitacle pour s’installer sur le siège passager. Elliot n’entra pas dans le véhicule, et d’un bras il s’appuya sur le toit de la voiture tandis que de l’autre il tendit la main vers sa mère. 


-Viens, ordonna de nouveau Elliot en attrapant doucement le bras de celle-ci pour la tirer hors de la voiture.


-Non... Moi…Moi j-j’veux voir t-ton père, balbutia la mère d’Elliot en regardant dans le vide de ses yeux d’un bleu transparent.


-Il est partit Mama. 


-Nonnonn…il…Il m'a abandonnée…Pourquoi il m’a abandonnée…sanglotta la mère d’Elliot en s’effondrant sur l'épaule de celui-ci. 


-Il revient à Noël.


-Oh non ! Je le déteste ! couina la mère d’Elliot en se collant à lui comme pour se cacher.


-Tu veux manger ? 


-Non. Dormir… répondit la mère d’Elliot en fourrant sa tête dans le cuir du perfecto, “Milyy, Milyy, Milyy…” sanglota- t-elle ensuite, le corps parcouru de spasmes.


 Comprenant que pour ce soir, il n’y avait rien à faire, Elliot n’insista pas, et il conduit sa mère jusqu'à sa chambre où il l’allongea sur son lit avant de la couvrir jusqu’au menton de sa couette. 


-Je reviens, dit Elliot avant de quitter la pièce pour rejoindre la cuisine. 


 Une fois sur place, Elliot s'accroupit devant un placard en fouillant sa veste d'où il sortit son trousseau de clefs. Il ouvrit ensuite un petit coffre, caché dans le meuble, et fouilla  les médicaments qui y étaient rangés. Elliot en sortit une petite boîte blanche et bleue, celle d’un puissant somnifère, et il pressa une capsule pour libérer un cachet. Chose faite, il remplit un verre d’eau et rejoint sa mère à son chevet.


-Mama, dit Elliot à voix basse en tendant le verre d’eau et le cachet à sa mère qui lui fit signe de lui glisser dans la bouche, “Tiens. Ho, doucement.”, dit-il ensuite en aidant sa mère à boire. 

-Tu restes un peu Milyy ? Je suis triste.


-Da, dit Elliot par réflexe en s’asseyant sur le bord du lit, “Ouai.”, corrigera- t-il ensuite en voyant que sa mère grimaçait.


-Dit Milyy…Comment je m'appelle Milyy…Dis mon nom…murmura la mère d’Elliot en sombrant petit à petit. 


-Bonne nuit Yéléna, répondit Elliot.


-Hmmm…gémit Yéléna en se blotissant contre Elliot qui, comme d’habitude, posa sa main sur la tête de sa mère, jusqu’à ce qu’elle s’assoupisse. 


 Une fois assuré qu'elle dormait à point fermé, Elliot se leva et entreprit de ramasser les vêtements qui traînaient dans la chambre, particulièrement désordonnée aujourd’hui. Il rangea avec soin les belles robes qui traînaient dans la penderie, et forma un tas avec le reste qu’il comptait emmener dans la buanderie ensuite. Elliot en  profita aussi pour raccrocher au mur un cadre, lui aussi dépourvu de verre, comme tous ceux qui se trouvaient dans la maison, et qui avait visiblement dû être jeté au travers de la pièce, certainement par sa mère, dont le portrait lui souriait d’un air mystérieux. Sur cette photophaphie, les yeux d’un bleu limpide de Yéléna luisaient derrière les mèches de sa longue chevelure d’un blond presque blanc, agitées par un vent fictif, que la photographie avait gelée.

 Figée, c’est aussi ainsi que se trouvait  aujourd’hui la mère d’Elliot à qui en fait, la notion du temps échappait complètement. Cette dernière, malade mentalement, se trouvait parfois comme aujourd’hui, soumise à des crises où sa désorientation atteignait un pic, bouleversant plus encore sa notion de la réalité et du temps. Un désordre qui se reflétait alors dans sa chambre, voire parfois dans la maison entière, et c’est pourquoi Elliot tenait tout particulièrement à ce que chaque chose soit rangée, et reste à sa place. Pour lui, maintenir l’ordre dans la maison, c'était aussi tenir celui de l’esprit de sa mère, ainsi que celui de sa mémoire, qui malheureusement, étaient tous deux considérablement détériorés. C’est d'ailleurs ce qu’il était conseillé de faire, d’après Andreï, qui à défaut de s’occuper des tâches ménagères, se chargeait du suivi médical de leur mère qu’il accompagnait parfois à l'hôpital de jour pour prendre connaissance des préconisations des médecins. Des “déblaterations de putain de gus en blouse blanche” pour son petit frère qui lui, avait une manière bien à lui de soigner sa mère qui de toute façon, enfant effrontée qu’elle pouvait être, ne répondait qu’à l’autorité d’Elliot qui participait grandement à maintenir son fragile équilibre mental. Bien que ce dernier suive scrupuleusement le traitement médicamenteux qu’on avait prescrit à sa mère, il avait aussi trouvé comment la “traiter” d’une autre manière, et ça avait fait ses preuves. Mis à part quelques épisodes “down” comme les appelaient Elliot, et quelques crises, globalement Yelena se maintenait plutôt bien, ou disons autant que faire se peut, au vu de son état malheureusement irréversible. 


-Ça, ça se “répare” pas, souffla Elliot en attrapant son tas de linge. 


 Du pied, Elliot ferma de moitié la porte de la chambre de sa mère, puis il se rendit dans la buanderie pour lancer une machine. Après quoi, il se débarrassa de son perfecto, pour le remplacer par un tablier de cuisine, et organisa son plan de travail sur lequel il déposa les ustensiles nécessaires à la préparation du repas. De la vaisselle, et des couteaux (préalablement sortis d’un tiroir fermé à clef), déposés dans l’ordre dans lesquels Elliot allait les utiliser, le tout, parfaitement aligné. Un ordre lui aussi présent dans le frigo, parfaitement rangé, à l’exception d’une assiette à moitié pleine, négligemment posée sur l’une des étagères. Elliot souffla en la découvrant, et la retira brutalement, avant de refermer sans douceur la porte du frigo. Son assiette toujours en main, il s’en alla d’un pas décidé dans la chambre d’Andreï, qui était occupé à jouer sur sa console dans sa chambre. 

 

 -Ho ! C’est trop te demander de ranger derrière toi dans la baraque ?! le sermonna Elliot à voix basse.


-C’est bon…souffla Andreï sans quitter son écran des yeux. 


-J’me suis fait chier à tout remettre en ordre après qu’il se soit barré p'tain ! Essaye de pas vivre comme un porc et ramasse ta merde !


-Ah, parce que j'ai rien ramassé p’tetre,  rétorqua Andreï en consentissant enfin à décrocher les yeux de son écran pour regarder ceux de son frère, qui le fusillaient du regard. 


-Baisse le son. La mère pionce, dit sèchement Elliot avant de quitter la pièce.


-Oui, oui…soupira Andreï avant de mettre un casque.


-Tss…Branleur, fulmina Elliot entre ses dents en retournant à la préparation du dîner. 


 Quand bien même la préparation nécessitait du temps, Elliot choisit de cuisiner des Piroshki, un plat que sa mère aimait beaucoup, espérant ainsi la consoler et limiter le nombre de ses crises. Puis, comme Izuku l’avait justement deviné, Elliot qui n’aimait pas perdre son temps profita de celui de la cuisson pour se rouler un joint qu’il s’en alla fumer dans le jardin. 


-P’tain de porc…marmonna Elliot en fouillant du pied les feuilles mortes qui s'amoncelaient sur la pelouse dont l'entretien laissait à désirer. 


 Elliot y ramassa quelques mégots de cigarillo, nonchalamment jetés par terre, avant de les balancer dans un cendrier où il déposa aussi son joint, sentant l’odeur de la pâte briochée des piroshki lui chatouiller les narines. Une fois le plat prêt, Elliot dîna seul sur la petite table de la cuisine tout en écoutant le son de sa propre voix, enregistré sur un magnétophone. Après quoi, il réserva une portion de son plat dans un tupperware, qu’il joint aux autres dans le frigo en prenant soin de les aligner et de les remettre dans l’ordre dans lequel il allait les manger. Puis une fois la cuisine propre et le lave vaisselle lancé, Elliot s’en alla finir son joint avant d’attaquer la seconde partie de ses tâches quotidiennes. Pour se faire, il se rendit dans sa chambre afin d'y récupérer son ordinateur portable ainsi que l’un des disque qu’Izuku lui avait prêté, et de retour dans la cuisine, il s’installa à table. Elliot prit un instant pour regarder l’album de plus près, l’air curieux. D'après la jaquette il s'agissait de la bande originale d’un film qui lui était totalement inconnu, pour la simple et bonne raison qu’il n’en regardait jamais, il n’était d’ailleurs jamais allé dans un cinéma de sa vie. 


-Ok. Pourquoi pas, pensa Elliot en faisant un “u” inversé avec sa bouche avant de glisser le disque dans l’ordinateur. 


 Elliot fronça les sourcils, troublé par le premier titre de cet album, une musique introduite par un sifflement du domaine de l’ultrason, accompagné du bruit lointain d’un orage, et où la mélodie se jouait avec lenteur, comme si elle avait été emportée par le son du vent qu’on entendait en fond. Puis soudain, c’est celui d’un orgue qui se manifesta, provoquant un frisson dans la nuque d’Elliot qui soupira de plaisir en se dégourdissant les doigts avant de pianoter sur son clavier dont le cliqueti se joint au tic-tac de l’horloge accrochée au mur de la cuisine. Un décompte également omniprésent dans cet album où les chanson étaient parfois ponctué de cette mesure hypnotisante, et soporifique. Et à mesure que l’album jouait, la tête d’Elliot flancha, une fois, puis deux, puis trois, puis le cliquetis du clavier se fit moins régulier, jusqu'à ce qu’il s'évanouisse. Sans le réaliser, Elliot s’assoupit, un certain temps, jusqu'à ce qu’un fortissimo ne le sorte du sommeil. 


-H-ha…? souffla Elliot en se réveillant soudainement, avant de pester en regardant l’heure puis son écran sur lequel il était écrit : “...réseeeaaaaavvvbbbbhhhhhjjhfjdjkkjlsdfgkjfdskgkkkkkkkkkkkkkkkk…”


 Elliot se frotta la joue, marquée par le clavier de l’ordinateur, puis il se redressa en grimaçant, sentant quelques vertèbres craquer. Il s’étira pour finir de les remettre en place, et attrapa le boîtier du disque qu’il observa sous toutes les coutures avant de l’ouvrir. La bouche d’Elliot forma une moue, tandis que ses doigts pianotaient sur le compartiment en plastique qui servait à abriter le disque. 


-Tick-Tock…souffla Elliot en le remettant en place avec soin.


 Après quoi, tout en imitant le tic-tac de l'horloge d’un claquement de langue, Elliot glissa le disque dans une poche de sa veste, prévoyant de l'écouter de nouveau ailleurs. Puis son ordinateur sous le bras, il s’en alla dans sa chambre pour l’y ranger avant de se rendre dans la salle de bain. Malgré l'heure tardive, Elliot se doucha, et il se fit couler un bain, dans lequel il prévoyait de rester jusqu'à ce que l’eau devienne froide. Avant d’y entrer, il s'équipa d’un écouteur, puis il se glissa dans l’eau brûlante jusqu’au cou en soupirant de contentement. 


“2:16”-HVOB

https://www.youtube.com/watch?v=ZFp2CQ4VVqQ


-Hm…Le monde du silence hein ? articula Elliot en créant des remous à la surface de l'eau avant de se tordre le cou pour balayer la pièce du regard. 


 Il s’arrêta sur le mitigeur qui goûtait à rythme régulier, puis sur une petite pendule dont il retint l’heure. En faisant des bulles dans l’eau avec sa bouche, Elliot compta les gouttes qui tombaient du robinet, puis une fois le nombre voulu atteint, il regarda de nouveau l’heure. 


-Haaa..? souffla Elliot en se redressant, “Gagné…20 gouttes en 1 minute…”, chuchota t-il ensuite, surpris d’avoir remporté ce jeu qu’il avait volontairement choisit difficile. 


 Puis Elliot s’enfonça de nouveau dans l’eau, en attrapant son collier dont il fit glisser le pendentif sur le cordon en cuir. 


-Spassiva…souffla t-il en posant la pierre sur ses lèvres.


Puis Elliot expira, lentement, jusqu’à ce que ses poumons soient vides, il se débarrassa de son écouteur, et il s’immergea dans l’eau.



  • Note :

-La scène dans le couloir du cours d'Allemand est inspirée de "SKAM France", saison 5. Celle ci traite du handicap (invisible), en l'occurrence de la surdité.

Petite précision (ou rappel je sais pas) si il y quelques braves lecteurs qui suivent cette histoire, vous pourrez trouver quelques unes de mes illustration dans le topic consacré à Butterfly Reflect. Je vous laisse le lien ici :

https://forum.fanfictions.fr/t/my-hero-academia-mais-pas-que-fanfiction-butterfly-reflect/5012/30



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