Un Dernier pour la Route

Chapitre 4 : Chapitre 1 - Partie 4

2302 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/01/2019 14:28

Le silence s’était fait dans le château. Depuis la cave jusqu’au grenier, depuis les oiseaux sur le toit jusqu’aux insectes dans les plates-bandes, tout et tous semblaient s’être arrêtés pour tendre l’oreille vers la salle aux trônes, sur laquelle planait l’orage.

Twilight se tenait debout face à la table, visage fermé, tête haute. Assis le trône d’en face, Maxime la fusillait du regard.

Cela faisait des heures qu’il n’avait pas dit un mot. Le derrière vissé sur l'inconfortable siège de cristal, il se contentait de serrer les dents en adressant à la ponette mauve le regard le plus noir et le plus haineux dont il était capable. La table de cristal se dressait entre eux, cependant elle était désormais couverte d’une grande nappe à fleurs qui en masquait entièrement la surface. Maxime laissa un moment ses yeux s’attarder sur les motifs entrelacés du tissu avant de fixer à nouveau la ponette en face de lui. Twilight inspira.

- Essayons de rester calmes, cette fois, tu veux bien ? fit-elle d’un ton poli mais ferme.

Pour toute réponse, Maxime pianota des doigts sur l’accoudoir du trône. Twilight inspira à nouveau. Évidemment, c’était sur le sien qu’il s’était assis.

- Écoute, je sais que tu n’es pas très content d’être à nouveau ici...

Un frémissement parcourut la mâchoire du bipède. De toute évidence, « pas très content » était largement en dessous de la vérité.

- … mais ce n’est pas de ma faute, ni de celle d’aucun autre poney. C’est autre chose qui a provoqué ça.

Une étincelle de rage s’alluma dans le regard de l’humain. Provoqué ?

- Tu te souviens que, la dernière fois, tu avais établi un lien avec la carte, n’est-ce pas ? continua Twilight. À cause de ta… marque.

Maxime inspira bruyamment. Depuis son retour dans le monde humain, il avait déployé d’immenses efforts de volonté pour tenter d’oublier la « tache » qui ornait désormais le haut de sa cuisse, en vain. À chaque fois que ce souvenir revenait effleurer son esprit, elle se mettait à piquer ou à le gratter, comme si elle refusait de se faire oublier.

Alors que l’humain portait inconsciemment sa main à sa cuisse, la ponette activa sa magie et retira la nappe qui couvrait la table. En dessous, la carte holographique brillait toujours de son éclat bleuté, cependant, aussitôt que le tissu fut retiré, une forme brune surgit au centre et vint couvrir la partie qu’occupait Poneyville. Maxime serra les poings en reconnaissant le dessin de chope qui décorait son flanc.

- Elle est comme ça depuis une semaine, expliqua Twilight, sans quitter l’humain des yeux. Elle n’affiche plus rien d’autre.

- Et alors ? grinça Max d’un ton menaçant.

- Et bien, je pense que c’est elle qui t’a appelé.

Elle se tut pour surveiller la réaction de l’humain, mais il ne fit pas un geste. Frémissant d’une colère contenue, il continua à pianoter sur l’accoudoir, avant de finalement se lever. Dressé de toute sa hauteur, il contempla la carte et sa marque qui flottait au-dessus.

- J’étais enfin revenu chez moi… commença-t-il, poing tremblant.

- Oui, je sais.

- … et ce truc a décidé de me faire revenir ici, c’est ça ?

- Ce n’est qu’une hypothèse, mais c’est ce que je pense.

- Et donc, ce machin a envoyé un bus me rouler dessus en pleine nuit pour me faire revenir ici, c’est bien ça ?

- Je ne suis pas encore sûre de comment ça s’est produit, mais c’est ce qu’il semble, en effet.

Twilight attendit que Max pose d’autres questions, mais il resta silencieux. Après avoir contemplé la carte avec rage pendant quelques secondes, il prit une grande inspiration et ferma les yeux. Lentement, la jeune princesse put voir ses épaules redescendre, sa mâchoire se desserrer, ses poings s’ouvrir.

- Je… je crois que je vais aller faire un tour, annonça-t-il avec calme.

Twilight, impressionnée par ce sang-froid inattendu, le regarda contourner la table et quitter la pièce. Elle s’était attendue à bien pire. Avec un petit sourire, elle prit à son tour le chemin du couloir, avant de se retourner. Au moment où elle allait franchir la porte, un beuglement de rage retentit.

Maxime venait de surgir de la cuisine, en brandissant une chaise qu’il tenait pas les pieds. Tel un taureau enragé, il remonta au pas de charge le couloir, droit vers l’entrée de la salle aux trônes. Les babines luisantes et les yeux pleins d’éclairs, il fonça vers la table, leva les bras et fracassa la chaise en plein centre de la carte. Des morceaux de bois volèrent à travers toute la pièce.

- Non mais c’est une manie, chez toi ! hurla Twilight en se plaquant contre le mur.

Maxime se tenait toujours face à la carte, un pied de chaise encore en main. En moins d’une seconde, il pivota sur ses talons et se tourna vers elle.

- Tout ça, c’est entièrement de votre faute, à toi et à tous les autres ! beugla-t-il en brandissant le bout de bois dans sa direction.

- Quoi ?!

- Oui ! J’étais enfin chez moi, tout était redevenu normal, et vous avez envoyé cette folle me courir après !

- Mais quelle folle ?

- Tu le sais très bien ! cria-t-il en se penchant vers elle, son visage tout près du sien. Votre faute, à tous !

Dans un ultime geste de colère, il lança son dernier bout de chaise sur la carte, où il rebondit dans un bruit boisé. Il quitta ensuite la pièce, blême de colère, tel un nuage d’orage porté par le vent. Twilight le suivit du regard pour être sûre qu’il n’allait pas revenir avec autre chose, puis revint vers la carte pour en vérifier l’état. Le cristal, aussi dur et solide que du marbre, n’avait même pas une éraflure. L’hologramme bleuté et la marque à la chope flottaient toujours, comme si rien ne s’était passé. Rassurée, la ponette se laissa tomber sur le trône le plus proche.

- Bon, ça s’est quand même légèrement mieux passé que prévu…

 

 

Il faisait presque nuit quand Maxime revint au château. Sans dire un mot à personne, il monta vers sa chambre, s’enferma en claquant la porte et s’effondra sur le lit.

Rien n’avait changé. Ça recommençait, exactement comme la fois passée. Alors qu’il ruminait son malheur, les paroles de Twilight lui revinrent en tête. La carte l’avait appelé, sa marque l’avait fait revenir… Mais était-ce vraiment important de le savoir ?

Tandis qu’il laissait son regard errer dans les ombres, ses yeux tombèrent sur la table de chevet, sur laquelle était posée une boîte en carton. Il grinça des dents. Elle avait dû être transportée en même temps que lui, vu qu’il l’avait dans les mains lorsqu’il s’était fait percuter. Malgré sa mauvaise humeur, il tendit le bras pour l’attraper et en laissa tomber le contenu sur les draps. La figurine et le fragment de miroir rebondirent jusque sur l’oreiller, tandis que la lettre glissait vers le bord du matelas.

Je sais qui vous êtes et d’où vous venez. Je sais où vous êtes allé et ce que vous y avez vu…

Maxime s’arrêta avant d’en lire plus. Y repenser le rendait malade. Cette femme savait. Elle savait ce qu’était Equestria, elle savait qui y vivait et, surtout, elle savait qu’il s’y était rendu. Devait-il l’expliquer à Twilight ? Devait-il l’avertir qu’elle lui avait parlé du miroir ? Devait-il la prévenir que d’autres humains savaient qu’il était possible de rejoindre son monde ?

Alors que son esprit fatigué se perdait dans ce tourbillon de questions, il tendit la main pour attraper le morceau de miroir et le leva devant son visage pour y voir son reflet. L'espace d’une seconde, il lui sembla voir un autre visage se superposer au sien ; un visage féminin à l’abondante chevelure dorée. Entre ses doigts, le morceau de verre était devenu chaud. 

 

 

***

 

 

Sunset Shimmer retira la main de la surface de pierre. Avait-elle rêvé, ou avait-elle réellement vu l’ombre d’un visage se dessiner brièvement sur la surface polie ? Et le bloc de pierre ne s’était-il pas réchauffé sous sa paume ?

Elle n’eut pas le temps de se poser plus de questions. La nuit tombait et l’averse menaçait. Sans plus attendre, la jeune femme rabattit sa capuche sur sa tête, referma sa veste, tourna le dos à son ancienne école et reprit le chemin du centre.

Elle était certaine de deux choses, à présent : le miroir avait été endommagé et n’était plus en état de s’ouvrir, et Maxime y était mêlé. Elle était sûre, désormais, qu’il avait lui aussi voyagé d’Equestria jusqu’au monde humain, et le miroir et la statue étaient les seuls passages connus. Elle doutait cependant sérieusement qu’il soit, comme elle, un habitant d’Equestria venu vivre dans le monde humain. Plus elle en apprenait sur lui, plus elle était convaincue qu’il s’était simplement retrouvé transporté là-bas par accident puis en était revenu. Avait-il découvert par hasard le portail, ou était-il possible qu’il y soit arrivé par un autre chemin ? Si seulement elle avait retrouvé sa trace plus tôt…

Après une vingtaine de minutes de marche, elle s’arrêta devant une petite maison au jardin mal entretenu, sortit une clé de sa poche et ouvrit la porte. Comme à chaque fois qu’elle entrait là, elle ne put s’empêcher de sourire. Après tout, quelle meilleure manière d’enquêter sur quelqu’un que de s’installer dans sa propre maison ? Se procurer un double des clés n’avait pas été difficile, et cela lui faisait un pied-à-terre bien pratique. Alors qu’elle allumait la lumière, le chat entra dans la pièce en miaulant, la queue dressée comme pour lui souhaiter la bienvenue. La jeune femme se baissa pour le caresser avant de suspendre son manteau au crochet et de monter à l’étage.

Elle n’avait pas pu fouiller toute la maison lors de sa première intrusion et il lui restait encore un certain nombre de choses à inspecter, parmi lesquelles le bureau. Elle savait qu’il n’y avait que peu de chances qu’elle trouve quelque chose d’utile dans la paperasse de Maxime, mais mieux valait ne rien négliger. Elle fit craquer ses doigts, rejeta ses cheveux en arrière et ouvrit le premier tiroir.

 

 

La ville était plongée dans le noir depuis longtemps, à présent. Sunset Shimmer se redressa en soupirant.

Cela faisait des heures qu’elle fouillait la paperasse désordonnée de Maxime, et les seules choses dignes d’intérêt qu’elle avait trouvées étaient des convocations de police, des rappels d’impôt et une farde remplie de ce qui ressemblait à des dessins d’enfants, qu’elle avait aussitôt mise de côté. Alors qu’elle remettait en ordre les feuilles éparpillées devant elle, le chat vint se frotter contre sa cheville en ronronnant.

- Toi aussi, tu commences à avoir faim, pas vrai ? sourit-elle en se baissant pour le caresser.

Mais le chat évita sa main et s’éloigna d’elle. Il renifla quelques-uns des paquets de feuilles posés au sol puis se mit à gratter la farde contenant les dessins. Curieuse, Sunset la ramassa et l’ouvrit pour les observer plus attentivement.

Ce qu’elle avait pris pour des gribouillages d’enfant étaient en réalité des croquis de couleur maladroits, étalés sur une dizaine de feuilles ; des croquis d’animaux quadrupèdes aux couleurs étranges, aux têtes disproportionnées et aux derrières rebondis ornés de curieux symboles. Terrestres, licornes, pégases, et même quelque chose qui ressemblait à un bébé dragon… Au-dessus, deux fois plus grande, trônait une grande jument blanche dotée d’ailes et d’une corne, à la crinière pastel et au flanc orné d’un soleil. La main de Sunset qui tenant la feuille se mit à trembler.

Elle avait presque oublié à quoi elle ressemblait. À quoi ils ressemblaient tous. Se souvenait-elle distinctement du visage de ne serait-ce qu’un seul des poneys qu'elle avait connus avant de fuir Equestria ? Depuis combien d'années n'avait-elle pas essayé de se rappeler leurs traits, leurs couleurs, leurs voix ? Ses camarades d'écoles, ses rares amis d'enfance, ses voisins, ses parents... Leurs visages s'étaient perdus dans la brume de ses souvenirs, hors de portée désormais. Elle tira la chaise et se laissa tomber dessus, frissonnante. Les poneys d’Equestria défilaient sur ces feuilles, sous ses yeux, tout proches et cependant hors d’atteinte. Sunset sentit sa vue se troubler. Il lui fallut quelques secondes pour comprendre que la tache foncée qui venait d’apparaître sur un des dessins était une larme. Lorsque le chat revint se frotter contre sa jambe en ronronnant, elle le prit dans ses bras pour le serrer contre elle.

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