Un Dernier pour la Route

Chapitre 10 : Chapitre 4 - Partie 1

2313 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/01/2019 14:35

- Quoi ? Encore ? Toutes les six ?

Le cri de Twilight avait résonné dans tout le château, amplifié par les murs et les colonnes de cristal. Dans la cave, Spike haussa les épaules et se pencha pour attraper un autre éclat.

Quelques jours plus tôt, ils s’étaient résignés à reconstruire à la main le puzzle de verre du portail magique. Aucun des sorts testés par Twilight n’avait fonctionné, Spike et elle passaient donc plusieurs heures par jour dans le sous-sol du château, à remettre patiemment chaque fragment de verre à sa place. Le petit dragon soupira en embrassant du regard les centaines d’éclats étalés sur les tables. Ils avaient déjà pu remettre les plus gros en place, mais il ne pouvait que perdre courage face à l’océan de fragments qui restaient à placer. Maxime avait catégoriquement refusé de les aider. D’après lui, le portail lui avait déjà causé assez d’ennuis et qu’il n’était pas question qu’il y touche à nouveau. Twilight et Spike avaient vite compris qu’il était inutile d’essayer de lui faire changer d’avis.

Alors que le jeune reptile scrutait les morceaux de verre, la ponette mauve redescendit l’escalier d’un pas lourd.

- La Carte nous appelle à nouveau. Elle nous envoie à Jumanhattan, toutes les six !

Spike fit la moue. Ils avaient tous les deux entendu la Carte s’allumer, une minute plus tôt, en même temps que la marque de Twilight. L'excitation qui s'emparait de la ponette à chaque nouvelle mission était cette fois mêlée au déplaisir de se voir interrompre en plein tâche, au point qu'elle n'aurait su dire si cela la réjouissait ou la contrariait. Comme à chaque fois qu’elle était indécise, elle fit la seule chose qui lui permettait de continuer à réfléchir malgré tout : tourner en rond en se parlant à elle-même.

- Ce n’est vraiment pas le bon moment. Nous devons finir de reconstituer le miroir, et qui sait combien de temps cette mission nous prendra ? Ça pourrait nous faire perdre des jours entiers !

- Tu n’as qu’à ne pas y aller, alors.

Twilight se téléporta aussitôt face à son assistant, museau contre museau.

- Ne pas y aller ?! lâcha-t-elle, comme si le simple fait d’énoncer une telle idée était un crime. C’est la Carte de l’Arbre d’Harmonie, Spike ! Nous devons faire ce qu’elle nous demande !

- Mais… pourquoi ? Même si vous ne le faites pas, elle ne peut rien vous faire, non ?

- Elle fait appel aux Éléments que nous incarnons ! C’est notre devoir d’y répondre !

- Elle a déjà appelé Maxime, je te rappelle, et il n’incarne aucun Élément.

Twilight fronça les sourcils. Elle jeta un œil au miroir, puis aux centaines de fragments qui attendaient encore d’être placés. La glace n’était encore reconstruite qu’au tiers.

- Nous n’avons pas le choix, le miroir devra attendre. Les autres sont certainement déjà en route vers ici. Tu peux préparer mes affaires pendant que je vais à leur rencontre ?

L’assistant, ravi de pouvoir mettre le puzzle de verre en pause, reposa son fragment et trotta vers l’escalier. En haut, Twilight était déjà en route pour retrouver ses amies.

 

 

***

 

 

 - … et là, Goldie Delicious a dit à Apple Strudel qu’elle préférait la compote de pommes vertes, et ça l’a mis hors de lui. Il lui en a voulu pendant des mois. Mais ensuite, quand il en a parlé à son grand-oncle Apple Seed, il s’est lui aussi fâché, et alors ils ont…

Maxime retint de justesse un bâillement. Le récit de famille dans lequel l’aïeule des Apple s’était lancée semblait ne pas avoir de fin. D’un geste las, il attrapa une nouvelle cosse, l’ouvrit d’un coup d’ongle et en sortit les pois, qu’il catapulta dans le saladier. Assise en face de lui, Granny Smith parlait toujours.

Puisqu’il refusait de participer à la reconstruction du miroir, Twilight avait exigé qu’il consacre une partie de son temps à aider les Apple à la ferme, comme il l’avait déjà fait lors de sa première venue. Maxime, qui trouvait le marché honnête, n’avait protesté que pour la forme. Cette fois, Applejack lui avait épargné le ramassage des pommes, préférant pour aujourd’hui l’écossage des petits pois en compagnie de la vieille jument. Dire qu’il aidait Granny était très exagéré, puisque cette dernière ne faisait rien d’autre que le regarder faire en racontant des histoires. Depuis plus d’une heure, il faisait seul diminuer l’énorme tas de cosses qui trônait en face de lui, sur la table de la cuisine. La voix chevrotante de l’aïeule et la répétitivité hypnotique de ses mouvements avaient tissé autour de lui une bulle de torpeur ouateuse qui lui émoussait les sens. Il n’en fut sorti que par la voix aigüe d’Applebloom, qui geignait face à sa sœur.

- Mais tu avais dit que tu resterais avec nous ! Scootaloo et Sweetie Belle viennent pour ce soir !

Applejack croisa les pattes, aussi contrariée que sa sœur.

- Désolée, sucre d’orge, mais ça ne va pas être possible. Si je pars en mission pour la Carte, ça veut dire que Big Mac devra accompagner Granny à ma place à Appleloosa, et alors il n’y aura personne pour vous garder.

- Mais on a déjà tout prévu ! Tu ne veux quand même pas qu’on…

La pouliche fut interrompue par le bruit de la porte. Tel un boulet de canon violet, Twilight se rua vers Applejack. Avant qu’elle n’ait pu commencer à parler, la fermière lui mit le sabot sur la bouche.

- Je sais, Twilight, désolée. J’allais me mettre en chemin.

La jeune alicorne, à moitié rassurée, reposa ses quatre sabots au sol.

- Les autres nous attendent déjà au château. La carte nous envoie toutes les six à Jumanhattan. Nous partirons dès que tu nous auras rejointes.

- Non ! Lança Applebloom en attrapant la patte de Twilight. Applejack ne peut pas partir, elle a promis de rester avec nous ce soir pour notre nuit à la ferme, à Scootaloo, Sweetie Belle et moi.

Twilight baissa les yeux vers la pouliche, comme surprise de la voir là.

- Désolée, Applebloom, mais c’est la Carte qui nous appelle, expliqua-t-elle en lui passant la patte sur la crinière. Nous devons y aller.

- Mais Rarity et Rainbow Dash n’ont qu’à rester avec nous, alors !

- Elles doivent venir aussi, sucre d’orge, renchérit sa grande sœur. Désolée, mais il faudra remettre la soirée à une autre fois. On ne peut pas vous laisser toutes les trois ici sans personne pour vous garder.

Applebloom, à court d’arguments, baissa tristement les yeux, sous les regards peinés des deux juments.

- Moi, je pourrais rester.

Toutes les trois tournèrent la tête dans une direction différente, comme si elles cherchaient qui venait de parler. Twilight sembla brusquement remarquer la présence de Maxime, toujours attablé face à ses petits pois. Elle et Applejack le fixèrent, yeux écarquillés, jusqu’à ce que la fermière éclate de rire. L’humain fronça les sourcils.

- Je suis sérieux, je te signale ! lança-t-il.

- Oh oui ! fit Applebloom en filant pour lui attraper la jambe. Maxime va rester avec nous ! Ça va être super !

L'humain, surpris par l'enthousiasme de la pouliche, tenta de se dégager avec délicatesse, sans succès. Face à la réaction de sa sœur, Applejack s’arrêta de rire. Twilight elle-même semblait hésiter.

- Attends, on ne va quand même pas faire ça ? s’inquiéta la terrestre.

- Et bien… Il y a Spike, sinon...

L’inimitable levé de sourcil de la terrestre régla la question avant même qu’elle ne soit posée. Toutes deux tournèrent le regard vers l’humain, puis à nouveau l’une vers l’autre. Applejack pouvait presque suivre en direct les pensées de son amie. Que l’humain se porte volontaire pour quoi que ce fût était déjà un signe encourageant. De plus, les trois pouliches semblaient bien l’aimer et lui-même les appréciait assez pour veiller à ce qu’il ne leur arrive rien. Quand elles furent toutes deux arrivées au bout de leur raisonnement, la jeune princesse esquissa un sourire.

- Ça pourrait être une solution, non ?

- Mais tu as dit toi-même qu’il n’était plus question de le laisser seul où que ce soit, hésita Applejack.

- C’est ça ou l’emmener avec nous.

La terrestre déglutit.

- Bon, c’est d’accord, alors.

Applebloom lança un cri de joie puis fila comme une flèche pour prévenir ses amies. Maxime, heureux qu'elle le lâche mais flatté par sa réaction, se tourna vers les deux juments, l’ombre victorieuse d’un sourire sur les lèvres. Applejack inspira.

- Twilight et moi allons partir, maintenant, expliqua-t-elle comme s’il n’avait rien suivi. Granny et Big Mac partent pour Appleloosa dans une heure. Ça veut dire que tu vas rester seul avec les filles jusqu’à demain. Tu as bien compris ?

Au lieu de se fâcher qu’elle lui fasse la leçon, Maxime catapulta un petit pois qui atterrit pile dans son chapeau. La terrestre se retint stoïquement de réagir.

- On te fait confiance, alors pas de bêtises, reprit-elle avec gravité. S’il arrive quoi que ce soit à ma sœur ou à ma ferme, c’est toi qui serviras d’engrais pour les prochains épandages, compris ?

Sans un mot, l’humain se leva, le même sourire malin aux lèvres. Il ramassa le pois qu’il avait projeté dans le couvre-chef de la terrestre, plia les jambes pour lui faire face et le croqua tout cru. Applejack soutint son regard, jusqu’à ce qu’elle sente Twilight commencer à trépigner. Alors que l'alicorne quittait la cuisine, la fermière adressa à l’humain un dernier regard d’avertissement, auquel il répondit par une pichenette sur son chapeau. Elle était à peine sortie qu'il laissait déjà son regard dériver vers la cave, où les Apple stockaient leur cidre.

- Et interdiction de te saouler avant que les filles ne soient couchées ! cria Applejack avant de filer vers la gare.

 

 

***

 

 

Le reste de l’affaire s’était enchaîné assez vite. Le trio de pouliches était arrivé juste à temps pour souhaiter bon voyage à Granny Smith et Big Macintosh, avant de laisser exploser leur joie d’avoir la ferme pour elles seules. Elles avaient commencé par entraîner Maxime vers la cabane qui leur servait de repaire. Celui-ci, malgré leurs demandes insistantes, avait catégoriquement refusé de leur montrer sa marque. Plié en quatre dans le cabanon, il les regardait s’enthousiasmer pour tout et rien quand Spike était arrivé à son tour, porteur d’un long message. Depuis le train vers Jumanhattan, Twilight venait de lui envoyer par magie la liste détaillée de tout ce qu’elle et Applejack lui interdisaient de faire en leur absence. Sans même en lire une seule ligne, l’humain avait plié le papier en huit avant de le fourrer dans sa poche. Il imaginait avec délice la tête qu’avait dû tirer Rarity en apprenant que c’était lui qui gardait sa sœur pour la nuit.

Quand le soleil avait commencé à baisser, les trois pouliches avaient allumé un feu derrière la grange et avaient fouillé la cuisine à la recherche de choses à faire griller. Elles, Maxime et Spike étaient à présent assis en rond autour des flammes, sur lesquelles les trois petites s’amusaient à faire cuire le fruit de leur récolte. L’humain, bravant l’interdit de la maîtresse des lieux, s’était déjà servi une grande chope de cidre, qu’il sirotait à petites gorgées. Applebloom, son marshmallow déjà carbonisé, terminait de raconter une histoire sans queue ni tête à propos des branche-loups qui peuplaient la forêt. À côté de Max, Spike ne pouvait s’empêcher de jeter des regards inquiets vers les bois, dont la lisière dessinait son mur d’ombres dans le lointain. L’humain soupira.

- Si vous voulez rencontrer de vrais monstres, attendez que je vous parle de ma cheffe de service.

Les trois pouliches se tournèrent aussitôt vers lui, brusquement intéressées.

- Hin, j'aimerais bien voir ça, ricana Scootaloo. Ça ne peut pas être aussi effrayant que ce qu'on a déjà vu ici.

- Moi, je n'aime pas les histoires de monstres, se permit Spike, sans quitter la forêt des yeux.

- Alors parle-nous d'autre chose ! s'enthousiasma Applebloom, sans s'apercevoir que son marshmallow était tombé dans les braises. Raconte-nous une histoire de là d'où tu viens !

Maxime se tâta un moment. Il sentait contre sa cuisse la lettre de Twilight qui lui déformait la poche. Avec une moue de dédain, il la roula en boule et la laissa tomber dans le feu. De l’autre côté des flammes, les trois pouliches attendaient qu’il commence, les yeux brillants. Il prit une nouvelle gorgée.

- Cette histoire se passe il y a plus de deux cent ans, dans le glorieux royaume de France...

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