Coup de blues au paradis

Chapitre 1 : Coup de blues au paradis

Chapitre final

16180 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 08/11/2016 22:15

En monokini noir, affalée paresseusement sur une chaise longue, la tête à demi-versée sur le côté, Spitfire se laissait chauffer par le soleil. Sous les latitudes de l’île de rêve d’Hoowaï, ce n’était pas très dur.

Tout n’était que plages de sable blanc, lagons turquoises, et oiseaux multicolores. Un décor de carte postale.

 

C’était vrai aussi qu’au prix où elle payait ses vacances, il valait mieux qu’elles soient paradisiaques.

 

Hoowaï était une île peu habitée, à des kilomètres de toute civilisation. Les villages indigènes avaient cédé la place aux complexes touristiques de luxe, et désormais, seuls les equestriens aux bourses bien garnies pouvaient s’offrir un séjour là bas. Spitfire en faisait partie. Pas qu’elle était immensément riche, mais les cachets de ses prestations en tant que chef des Wolderbolts étaient élevés, et elle n’était guère dépensière. Hormis une folie de temps en temps, comme ces quelques semaines au soleil.

 

Spitfire tâtonna dans le sable, à la recherche de son milk-shake. Son sabot finit par trouver le gobelet de plastique, et porter la paille à ses lèvres. Le lait coula dans sa gorge, la rafraîchissant. Mais au bout de quelques secondes, elle n’aspira plus que de l’air. Dépitée, elle secoua le gobelet sans trop y croire, comme si elle refusait d’admettre qu’elle avait déjà fini sa boisson. Elle mourrait d’envie d’en reprendre un autre. Elle adorait les milk-shakes, et avait toujours beaucoup de mal à ne pas les enchaîner. D’un autre côté, ce genre de sucreries étaient dures à éliminer, surtout chez Spitfire.

Céder à la tentation, et courir le risque de devoir encore repasser au sauna ? Ou bien se raisonner, et passer à côté d’un de ses desserts préférés ?

 

La pégase débattait avec elle-même quand on lui fit de l’ombre, l’obligeant à regarder par dessus ses lunettes de soleil fumées.

 

Le pelage encore dégoulinant d’eau de mer, un short de bain plaqué contre la croupe, Soarin lui souriait.

 

_On va faire une partie de water-polo. Chaude pour un petit match, capitaine ?

 

Spitfire grimaça. Pas qu’elle n’aimait pas le sport, ni se dépenser, mais elle avait déjà beaucoup nagé ce matin, avant que tout le monde n’aille se baigner. Et elle n’était pas super douée dans les sports aquatiques. Elle restait une pégase, c’était l’air son élément, pas l’eau.

 

_Sans façon, Soa. Je vais rester bronzer encore un peu, et je rentrerai.

 

_Comme tu veux.

 

Soarin se pencha vers la jument jaune, l’embrassant rapidement sur les lèvres.

 

_Pour la chance, lui sourit-il en lui faisant un clin d’oeil.

 

Puis, il cavala jusque dans l’eau, éclaboussant les pauvres poneys qui se trouvaient à proximité.

Spitfire le regarda quelques secondes avant de reprendre sa position initiale. Elle souffla par les naseaux.

Ça n’allait pas. Elle et Soarin, ça n’allait pas, ça ne collait pas.

En tant qu’ami et partenaire de vol, elle avait trouvé le meilleur étalon possible, même si des fois, il était un peu bêta. Par contre, depuis qu’ils s’étaient mis ensemble…

 

C’était un peu comme si quelque chose manquait à Spitfire, sans qu’elle ne puisse mettre le sabot dessus. Soarin restait Soarin, toujours aussi boute-en-train, avec son amour immodéré pour les tartes, et capable de grandes choses quand il le voulait vraiment, donc le problème n’était pas là.

Et au lit...ça se passait plutôt bien. Spitfire avait beau avoir eu très peu d’expériences hétérosexuelles, elle savait s’y prendre avec les étalons. Soarin lui, était parfois un peu maladroit, mais il s’appliquait, et apprenait vite.

 

Peut-être que c’était...ça. Hoowaï. Ce n’était pas la première fois que les deux pégases allaient en vacances ensemble, mais c’était la première fois qu’ils le faisaient en tant que couple. Il y avait un côté officiel dans tout ça, alors que leur relation avait plus évolué sur un coup de tête, sans vraiment y réfléchir.

 

Ce qui gênait vraiment Spitfire, c’était cette chose qu’elle n’arrivait pas à saisir. Quand elle enchaînait les petites amies, elle identifiait très vite le souci : elle se lassait rapidement de l’autre jument, et préférait rompre. Ça elle connaissait, elle savait comment faire.

 

Mais elle ne se lassait pas de Soarin. Elle continuait à...à l’aimer ? A le désirer en tout cas. Spitfire sentait déjà ses ailes la lancer alors que machinalement, elle portait le regard sur la partie de water-polo, où Soarin était engagé dans un duel endiablé. Rien que de voir l’eau ruisseler sur son pelage, l’écume autour de lui…

 

La wonderbolt se força à revenir sur terre. Calme. Il y avait beau avoir peu d’autres pégases que Soarin et elle sur la plage, ça ne voulait pas forcément dire que les autres poneys ignoraient la signification que prendraient ses ailes si elles se déployaient toutes grandes. Elle avait beau généralement se moquer de ce que pensaient les gens autour d’elle, elle savait faire la part entre espace public, et intimité.

 

Elle aurait toute l’occasion de se laisser aller tout à l’heure, avec Soarin, quand ils seraient tous les deux dans la chambre.

La jument se releva, enroulant son corps dans sa serviette de plage. Trottant sur le chemin de l’hôtel, elle se demandait si elle n’aurait pas besoin d’un bain froid pour se calmer les nerfs...

 

 

***

 

Le marché de l'île était pittoresque, à défaut d'être très fourni. On y trouvait pourtant tout ce qu'on était en droit de chercher dans un lieu de villégiature comme Hoowaï : abrités par des paillotes, des vendeurs proposaient fruits frais, souvenirs, et d'autres biens aux flâneurs.

 

Spitfire déambulait au bras de Soarin, fouinant dans les étals. Elle n'avait besoin de rien, mais ça l'amusait de jouer à la touriste, de dégoter LA chose qui la ferait craquer. Elle avait déjà commencé à céder : sous le grand chapeau de paille qui la protégeait du soleil, elle avait accroché un colifichet à une de ses mèches rousses. Un petit bijou de rien du tout, en verre poli, qui accrochait la lumière. Ce n'était pas souvent qu'elle se permettait d'être coquette. A l'académie, elle devait porter son uniforme, et en représentation, la tenue de vol était incontournable. Quand elle se trouvait avec du temps libre, elle ne s'embarrassait que très rarement de robes, de colliers, et autres accessoires. Elle se trouvait suffisamment belle sans avoir à le souligner, et quelque part voyait toutes ces choses comme une perte de temps. Elle avait mieux à faire. Une demi-heure à s'apprêter dans la salle de bain, c'était autant de temps en moins qu'elle aurait pu passer sur un terrain de hoofby, ou à répéter ses figures aériennes.

 

Mais comme elle se l'était dit à elle-même en passant devant le stand du vendeur de colifichets, elle était en vacances. Elle était ici pour se détendre, et faire des choses qu'elle ne faisait pas le reste de l'année. Alors pourquoi ne pas être un plus féminine qu'à l'accoutumée ?

 

Soarin en revanche, se comportait comme il avait l'habitude de le faire : de façon très impulsive, achetant tout ce qui lui faisait envie. Il ne restait pas cinq minutes en place, quittant toujours Spitfire pour fouiner sur un étal d'artisanat, ou d'aquarelle. Plaise au vent qu'il ne devienne jamais trésorier de la Princesse Celestia, car le pégase dépensait ses bits comme s'ils lui brûlaient le sabot. Le sac de selle du pégase s'était déjà alourdi d'une caricature, d'une statuette en bois, d'une demi-douzaine de cartes postales, tout cela sans compter bien sûr, tous les fruits que Soarin semblait engloutir comme si sa vie en dépendait.

Spitfire le laissait faire. Il était assez grand pour faire ses choix, et ils n'avaient pas de bourse commune. Si ça lui plaisait de dépenser tout son argent dès les premiers jours...

 

_On devrait trouver un cadeau pour Fleetfoot, tu crois pas ? demanda Soarin à Spitfire, sirotant le contenu d'une noix de coco au moyen d'une paille de couleur vive.

 

_Tu lui a pas déjà pris cette statuette de danseuse hoowaïenne ?

 

_Nan, répondit le pégase. Elle est pour Rapidfire, elle. Pour Flee, je pensais plus à une petite pierre ou un truc du genre...

 

Spitfire haussa les épaules. Soarin s'était mis en tête d'offrir quelque chose à tous les membres des Wonderbolts, et la liste était longue. Encore heureux qu'il ne s'occupe que des actifs, et pas des cadets ou des postulants de l'académie. Ou bien il leur faudrait trois dirigeables pour rentrer, dont deux remplis à ras-bord de cadeaux.

 

_Tu sais si Dash est partie en vacances ? demanda Spitfire.

 

Soarin jeta sa noix de coco vide avant de se gratter le menton du sabot, réfléchissant.

 

_Je crois qu'elle m'a dit qu'une copine zèbre l'invitait à passer quelques jours chez elle, au pays.

 

_A Adis-Adhayba ?

 

_Aucune idée, avoua l'étalon. Pourquoi ? Tu connais ?

 

_Un poil. Quand je vivais avec le cirque, on avait reçu une autorisation exceptionnelle de leur Empereur pour se produire à la capitale zèbre. Je me souviens plus de grand chose, j'étais toute petite quand on y est allés, mais je me rappelle encore de deux-trois détails. Comme le soleil au dessus des maisons, ou les zébreaux qui jouaient à chat sur la grande place.

 

_T'en a de la chance, soupira tristement Soarin. Je suis pratiquement pas sorti d'Equestria.

 

_Une chance pour la Princesse Celestia, lança Spitfire, le sourire aux lèvres. Te connaissant, t'es capable de créer un incident dès la frontière pour une histoire de tarte pas cuite, et précipiter tout le monde dans la guerre.

 

_Hé ! s'offusqua faussement Soarin. Elle était vraiment infecte la tarte qu'ils nous avaient servi sur le dirigeable. C'était normal que je me plaigne.

 

_Tu te plains toujours quand ça concerne les tartes, Soa, continua sur le même ton joueur.

 

_Y a au moins un sujet sur lequel je me plains pas, souffla son partenaire en l'embrassant.

 

Spitfire ferma les yeux, et lui rendit son baiser, sentant le goût de la noix de coco sur la langue de Soarin.

Elle se sentait mieux qu'à la plage. Plus détendue. Peut-être était-ce le fait qu'il fasse un brin moins chaud, peut-être parce qu'elle se laissait davantage aller avec Soarin. Quoiqu'il en soit, les doutes qui la tiraillaient ce matin étaient partis. Ici et maintenant, elle était bien, tout simplement.

 

_T'aurais pas intérêt à demander des réclamations, lui glissa une Spirfire rieuse.

 

_J'oserais pas, lui répondit un Soarin à l'avenant, tamponnant doucement le museau de la pégase du sien.

 

Patte dessus, patte dessous, les deux Wonderbolts se remirent en route.

 

Ils continuèrent leur chemin pendant encore un petit quart d'heure, ponctué de pauses lorsque Soarin voyait quelque chose qui l’intéressait sur l'étal d'un vendeur, ou qu'un de deux pégases voulait embrasser l'autre.

 

Lentement, le marché prenait fin autour d'eux, les paillotes devenant plus rares, et plus espacées. Au bout de quelques mètres, on retrouvait la jetée, et la mer turquoise à perte de vue.

 

Bon, se dit Spitfire. On va peut-être se rentrer.

 

Mais Soarin pointait déjà du sabot la tour en bout de la jetée, d'un air surexcité.

 

_Regarde Spit ! Y a un phare ! Tu crois qu'on peut le visiter ?

 

_J'ai l'air d'avoir la cutie mark d'un office de tourisme ?

 

L'ironie tomba à plat. Spitfire ne l'aurait jamais cru avant de fréquenter Soarin de manière plus intime, mais le pégase était un mordu de panoramas et de points de vue. Il lui avait un soir confié que s'il n'avait pas été Wonderbolt, il aurait tout fait pour travailler comme explorateur de haute montagne, à découvrir des paysages magnifiques.

Nul doute que ce n'était pas tant le phare, mais ce qu'on pouvait apercevoir depuis son sommet qui motivait Soarin à quasiment cavaler jusqu'au bâtiment, un bras toujours passé autour de celui de sa maîtresse.

 

Spitfire elle, cachait peu son manque d’enthousiasme. Elle ne comprenait pas cette lubie. S'il tenait tant à voir Hoowaï d'en haut, pourquoi ne battait-il pas des ailes plutôt que de s'embêter à payer pour monter dans un bâtiment conçu pour les terrestres et les licornes ?

Enfin...elle supposait qu'une jolie vue ne lui ferait pas de mal à elle non plus. Et elle n'allait pas laisser Soarin grimper tout seul là haut quand même.

 

Le couple acheta deux tickets à l'entrée du phare, avant de pousser la lourde porte en bois, et de gravir lentement l'escalier en colimaçon. Les marches, comme la tour elle même, étaient d'un gris uniforme, assez laid aux yeux de Spitfire. A intervalles réguliers, une fenêtre était découpée dans le mur, permettant de voir à l'horizon. Soarin s'arrêtait à chacune d'entre elles, le regard émerveillé.

 

Ils arrivèrent enfin au sommet. Soarin fut le premier à pousser la porte extérieure, et à s'engager au dehors. Spitfire avait à peine fait un pas qu'elle grimaçait déjà sous les assauts du vent, ses mèches rabattues dans les yeux.

Voilà bien pourquoi elle n'aimait pas monter dans ce genre d'endroit. Quand on était en vol, on savait comment se comporter avec le vent, comment se positionner pour qu'il donne plus de force, pour qu'il devienne un allié. Au sommet d'un phare pareil, les sabots plantés dans la pierre, les bourrasques devenaient des ennemies.

 

Ça ne semblait pas déranger Soarin : les pattes antérieures sur la balustrade, il avait les yeux rivés sur l'océan, un grand sourire sur le visage. Spitfire avait du mal à voir autre chose que la mer bleu-verte, et le ciel immaculé, mais voir son amant se comporter avec l'innocence d'un poulain était touchant. Elle aurait du prendre l'appareil photo.

 

La pégase se força à respirer profondément. L'air iodé lui ferait sûrement du bien.

 

Avant qu'elle ne puisse comprendre quelque chose, une bourrasque plus violente que les autres emportait son chapeau de paille par dessus le parapet. Spitfire jura et sauta à sa poursuite.

 

Ballotté par le vent, le chapeau bougeait de façon anarchique. Dès que Spitfire pensait mettre le sabot dessus, il s'éloignait, comme s'il voulait se moquer de lui.

Elle nota que le sol approchait plus vite que prévu. Autant pour la récupération en vol. Elle déploya grandes ses ailes pour amortir sa chute, et tomba parfaitement sur ses pattes. Elle ne put s'empêcher de s'accorder un petit sourire mental. Et dire que cette imbécile de Gabby Gums avait dit un jour que les cabrioles aériennes des Wonderbolts, c'était du chiqué !

 

Elle suivit du regard le couvre-chef qui tourbillonna jusqu'aux pattes d'un étalon sur la jetée.

 

_Désolée ! le héla t-elle en allant à sa rencontre. Mon chapeau s'est envolé et...

 

Elle marqua une pause, notant les couleurs très particulières du poney terrestre : une robe jaune mimosa, un crin violet. De toute sa vie, Spitfire n'avait connu qu'un étalon à porter ces couleurs.

Ce fut quand il leva le visage vers elle que ses derniers doutes ses dissipèrent. Il avait vieilli bien sûr. Il n'était plus ce poney à peine sorti de l'adolescence qu'elle avait connu. Mais ces yeux émeraudes ne la trompaient pas.

 

_Chocolate ?

 

_Spit ?

 

Un moment de flottement, un moment de gène. Aucun des deux ne semblait savoir comment briser la glace. Plutôt ironique si l'on savait à quel point ils avaient été proches, autrefois.

 

_Qu'est-ce que tu fais là ? demanda le poney.

 

_Ho tu sais, répondit Spitfire d'une voix qu'elle voulut aussi détachée que possible, les vacances, le soleil, tout ça.

 

_Pareil pour moi, sourit Chocolate.

 

Celestia qu'ils avaient l'air empotés, l'un autant que l'autre. La pégase avait encore du mal à réaliser ce qui se passait. Une partie d'elle refusait d'y croire, martelant que les chances de tomber précisément sur lui après tout ce temps étaient nulles.

Le terrestre semblait tout aussi gêné. Il parcourait des yeux les alentours en se grattant machinalement l'arrière du crâne, cherchant visiblement un moyen de relancer la conversation. Puis, il se souvint du chapeau, se baissa, le prit en gueule et le tendit à Spitfire.

 

_Merci, dit-elle, le replaçant sur sa tête.

 

_Pas de quoi. Je vais pas t'embêter plus longtemps, tu as sûrement des choses à faire.

 

Il parut hésiter un instant, puis :

 

_Si t'as un peu de temps dans les jours qui viennent, ça serait sympa qu'on mange un morceau ou qu'on boive un verre, non ? Ça serait bête qu'on profite pas de l'occasion, après tout ce temps...

 

_Ouais, acquiesça t-elle. Ça serait bien.

 

Chocolate s'éloigna à petits pas, souriant toujours de cet air mi-poli, mi-embarrassé.

 

_Bon. Ben j'y vais alors. Je suis au bungalow 6. Hésite pas à passer ou à me laisser un message par la réception. Bye !

 

Spitfire le regarda s'éloigner. La tête lui tournait, et son cœur battait fort. Chocolate, ici. C'était...complètement inattendu. Si surprenant qu'une voix dans sa tête lui répétait que ce n'était qu'un rêve, qu'elle avait imaginé toute la scène.

Perdue dans ses pensées, elle sursauta quand un sabot bleu lui toucha l'épaule.

 

_Ca va, Spit ? demanda une voix inquiète qu'elle reconnut comme étant celle de Soarin. J'ai juste eu le temps de me retourner pour te voir plonger en bas.

 

_Oui, répondit-elle sans le regarder, les yeux toujours rivés sur l'étalon qui disparaissait petit à petit. Le vent m'a arraché mon chapeau. Mais un poney l'a ramassé pour moi.

 

_C'est chic de sa part, commenta Soarin. En me rapprochant, j'ai eu l'impression que vous vous connaissiez, non ?

 

_C'est...

 

Spitfire hésita sur les mots qui allaient sortir de sa bouche. Est-ce qu'elle devait cracher le morceau ? Après tout, ce n'était pas comme si c'était un secret. Ou si c'était honteux.

 

C'est mon premier amour.

 

_C'est un ami que j'avais perdu de vue depuis très, très longtemps, se borna t-elle à dire.

 

_Ah bah c'est bien que vous vous soyez retrouvés, alors ! lança joyeusement le pégase.

 

Spitfire hocha la tête, et sans même le remarquer, se mit à frissonner. Absurde d'avoir froid sous ces latitudes. Le vent en haut du phare avait du la surprendre.

Il ne pouvait pas y avoir d'autre raison...n'est-ce pas ?

 

***

 

Plus tard, au cœur de la nuit hoowaïenne, Spitfire n'arrivait pas à dormir. La température était élevée dans la chambre d'hôtel, et ils avaient repoussé les draps au pied du lit pour ne pas mourir de chaud. Le grand ventilateur accroché au plafond tournait rapidement, sans vraiment rafraîchir quiconque. L'horloge, dont on distinguait les aiguilles dans la pénombre, indiquait trois heures du matin.

 

Soarin était roulé en boule à côté de la pégase, respirant calmement. Spitfire ne comprenait pas comment il faisait pour trouver le sommeil avec une chaleur pareille.

Elle passa un sabot sur sa joue, le ramenant empoissé de sueur. Elle l’essuya machinalement sur le protége-matelas.

 

Elle roula hors du lit, trottant jusqu'à la porte fenêtre. Elle la fit coulisser pour se retrouver sur le balcon.

Au dehors, il faisait un peu plus frais. Le vent était léger, mais lui donnait une impression de fraîcheur, à cause de sa transpiration. Elle avança jusqu'au rebord, regardant la mer.

 

C'était un autre spectacle la nuit. Rien à voir avec les tons turquoise de la journée, et sa palette infinie de couleur. Juste une mer noire comme l'encre, dans laquelle la lune et les étoiles se reflétaient comme dans un miroir. Luna savait y faire.

Pour un peu, elle comprenait l'attrait de Soarin pour ce genre de paysage.

 

Elle s'éventa. Mais de qui se moquait-elle ? Elle savait bien que ce n'était pas la chaleur qui l'empêchait de dormir. Elle n'avait cessé de repenser à Chocolate depuis qu'elle l'avait croisé au phare. Le terrestre à la robe mimosa était resté planté dans son esprit depuis lors, revenant sans cesse quand elle laissait ses pensées vagabonder.

Elle se demandait ce qu'il avait fait ces dernières années. S'il était marié, s'il avait des enfants. S'il avait souvent pensé à elle depuis leur séparation.

 

Et bien sûr, elle avait revu en boucle le jour de leur rencontre.

 

Une rencontre si bête qu'elle avait presque honte d'y repenser : il avait suffi qu'elle perde son ballon de hoofball, qu'il se crève contre une branche d'arbre, et que Chocolate le trouve. A l'époque vendeur de jouets, il l'avait réparé, avaient sympathisé, et ils s'étaient mis d'accord pour devenir partenaires de sport. Il n'avait fallu que très peu de temps pour qu'ils deviennent plus que ça.

 

Le premier amour de Spitfire. Le petit vendeur de jouets et elle, la pégase qui rêvait d'entrer à l'académie des Wonderbolts.

Elle l'avait très profondément aimé, et savait que le sentiment avait été largement partagé. A l'époque, Spitfire s'était laissé allée à des rêveries, au grand mariage en blanc, à avoir des enfants avec lui. Quelque chose entre le jeu, et l'idée que peut-être, ce mirage deviendrait réalité. Qu'elle était peut-être tombé sur le bon poney du tout premier coup.

 

Mais la réalité s'était rappelé à eux : il avait dû déménager loin dans le sud, et les deux jeunes poneys s'étaient mis d'accord pour mettre un terme à leur couple. Les relations à distance ne marchaient pas.

Spitfire savait qu'ils avaient fait pour le mieux, que c'était le plus sage à faire...mais ça lui avait déchiré le cœur.

Elle avait pleuré toutes les larmes de son corps, roulé en boule dans son lit, essayant de retrouver son odeur, comme une droguée en manque.

 

Puis le temps avait fait son office. Spitfire avait grandi, et réussi à mettre Chocolate derrière elle. Un matin, elle avait réussi à se lever sans que sa première pensée soit pour le terrestre. Elle avait avancé : sa carrière professionnelle avait été phénoménale, passant en l'espace de dix ans, de cadette, à directrice de l'académie des Wonderbolts. Un record unique dans toute l'histoire de l'escadrille.

Sentimentalement, elle avait aussi fait du chemin : elle s'était trouvée une attirance pour les juments, d'abord avec quelques camarades de promotion, puis de façon plus globale, et si ça n'avait été sa liaison actuelle avec Soarin, elle se serait persuadée que l'hétérosexualité n'avait été pour elle qu'un essai de jeunesse.

 

Quelquefois, elle s'était demandé ce qu'elle ferait si elle retombait sur Chocolate. Il lui était arrivé de rester en bon termes avec certaines anciennes petites amies. Rien d'extraordinaire, mais enfin, quand elle les croisait, elle prenait le temps d'avoir un peu de leurs nouvelles, de partager quelques souvenirs. Avec d'autres en revanche, la séparation s'était plus mal passé, et Spitfire avait préféré purement et simplement couper les ponts.

 

A l'époque, elle s'était dit qu'elle n'aurait qu'à suivre ce que son cœur lui dirait de faire.

Mais maintenant, elle ne savait plus. Elle se sentait perdue.

Elle avait à la fois envie de revoir Chocolate, de parler du passé, de découvrir ce qu'il était devenu. Mais tout autant de le renvoyer dans les limbes, de l'enfermer dans ses souvenirs, et d'aller de l'avant, comme ce qu'elle faisait depuis qu'ils n'étaient plus ensemble. Revenir sur ses pas, c'était pas très Wonderbolt dans l'âme.

 

Ce fut un doux baiser posé contre le pavillon de son oreille, et des pattes qui l'enlacèrent tendrement par derrière qui lui firent penser à autre chose.

 

_Des problèmes pour dormir ? lui demanda Soarin, la câlinant un petit peu.

 

La pégase jaune ferma les yeux et laissa échapper un sourire d'aise. De toute façon, elle n'aurait pas de réponse même si elle passait la nuit entière sur le balcon à se triturer les cellules grises. Autant faire autre chose, et s'occuper de façon plus ludique.

 

_J'aurais peut-être besoin d'une berceuse, lui souffla Spitfire, tournant la tête pour capturer sa bouche.

 

S'embrassant, les deux pégases reculèrent jusqu'au lit, sur lequel ils basculèrent. Voilà de quoi avait besoin Spitfire. D'une bonne dose de présent. De l'amour de son partenaire actuel pour effacer les réminiscences de l'ancien, comme une couche de peinture neuve.

 

C'était un bon plan. Il était parfait, et se déroula sans anicroche. A une exception près : lorsque les yeux clos, envahie par le plaisir, Spitfire se laissa complètement aller, dans le noir, ses lèvres prononcèrent silencieusement un prénom masculin.

 

Et ce n'était pas celui de Soarin.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le temps était effroyable. Une pluie battante tombait sans discontinuer, transformant le grand terrain vague en marre boueuse. Les poneys avaient la crinière plaquée contre le visage, de larges rigoles creusées dans le pelage. Il faisait froid, et la boue commençait à saisir quelques malheureux aux sabots.

Pour autant, la foule n’aurait bougé pour rien au monde.

 

A quelques mètres du public, sur une scène tout juste protégée par une bâche dressée à la hâte, un groupe de jeunes poneys jouaient du mieux qu’ils pouvaient, essayant de se faire entendre par dessus le fracas de l’orage.

 

_J’ai demandé à Luna.

Et Celestia ne le sait pas.

Je lui ai montré mes brûlures.

La Princesse s’est moquée de moi.

 

Spitfire, lassée de devoir rabattre ses mèches hors de son champ de vision, avait fini par craquer, et noué sa crinière en un chignon malhabile, mais qui lui permettait au moins de voir clair. Elle grelottait à moitié, transie de froid. Ça lui apprendrait à aller à un concert sans manteau, tiens ! Haydochine ou pas Haydochine, elle allait se retrouver avec un rhume carabiné. Et avec les examens de l’académie qui approchaient, c’était pas le moment de tomber malade !

Elle renifla, cherchant Chocolate dans la foule. Son ami avait promis d’aller leur chercher du café, histoire de se réchauffer un peu, mais il avait disparu depuis bientôt dix minutes. Est-ce qu’elle devrait commencer à s'inquiéter ?

 

Les baffles crachèrent un larsen qui fit grimacer tout le public. La pégase rabattit d’instinct ses oreilles. Ouille.

Déjà qu’elle n’aimait que moyennement le groupe, mais si ça continuait comme ça...c’était bien pour faire plaisir à Chocolate qu’elle était là. Le terrestre avait gagné deux billets d’entrée pour le festival de musique de Hoofstock, un grand rassemblement en périphérie de San Franciscolt. Pendant trois jours, des dizaines et des dizaines de jeunes artistes se succédaient sur scène. Et même si les organisateurs attendaient du monde, ils avaient été visiblement dépassés. Des centaines et des centaines de poneys avaient trouvé un moyen pour accéder au festival, soit en sautant par dessus les palissades, soit en creusant par en dessous, et par mille autres moyens ingénieux. L’affluence monstrueuse n’avait pas diminué malgré le mauvais temps. La foule se pressait d’une scène à l’autre, toujours plus nombreuse. beaucoup de poneys étaient venus avec des pancartes, sur lesquelles étaient marqués différents messages. Spitfire se souvenait d’un “levez de la bière, pas des troupes” qui l’avait bien fait rire. Avec l’aggravation de la pluie, ces panneaux étaient devenus des abris de fortune pour leurs porteurs. L’eau qui dégoulinait des pancartes emportait avec elle de larges portions de peinture qui venaient se mêler à la boue du terrain vague.

 

Un flash blanc illumina la foule, qui fit plisser les yeux à tous les poneys. Presque simultanément, un craquement extrêmement violent se fit entendre. L’orage s’était drôlement rapproché.

En théorie, des paratonnerres avaient été installés en bordure du festival, mais la pégase connaissait assez bien la foudre - l’académie demandant des connaissances météo poussées - pour savoir qu’ils n’étaient pas toujours suffisants.

 

La foule scrutait le ciel noir avec inquiétude, se demandant visiblement si le concert valait la peine de prendre le risque. En théorie, il n’y avait pas grand chose à craindre, mais quand même, quand on avait un orage au dessus de la tête, on voyait les choses autrement.

Même le groupe s’était momentanément arrêté de jouer, hésitant à poursuivre le concert, ou bien à se retirer en coulisses.

Le nouvel éclair qui tomba juste au sommet de la pancarte “Hoofstock” en haut de la scène, les décida à préférer la seconde option.

 

Comme si le starter d’une course de fond venait de donner son signal, la foule courut se mettre à l’abri, le plus loin possible du terrain vague, et de la foudre qui menaçait. Spitfire déglutit quand elle se rendit compte qu’elle était au beau milieu d’un mouvement de foule, bloquée avec des poneys paniqués, qui étaient à la limite de se marcher les uns sur les autres pour gagner quelques mètres. Le décor, avec les gouttes de pluie qui tombaient en cascade, et la boue qui emprisonnait les pattes, ressemblait de plus en plus à un film d’horreur au rabais.

 

Elle se força à avancer avant qu’une grosse licorne avec un chapeau ne lui rentre dedans. Mais elle était écrasée contre d’autres poneys, qui avaient autant de mal qu’elle à marcher. Elle joua des coudes, essayant de se frayer un chemin. Pas devant elle : c’était noir de monde, et tous les poneys allaient dans cette direction. Mais peut-être que si elle parvenait à déployer ses ailes, et à s’envoler...

 

Un nouvel éclair effraya la masse, qui se pressa encore plus vite vers la sortie. La vitesse surprit Spitfire qui se fit bringuebaler comme un vulgaire ballon de hoofball. Le temps qu’elle comprenne, elle était déplacée contre sa volonté, la cage thoracique écrasée contre l’échine d’une pégase à la crinière tressée.

La jument jaune aperçut une minuscule trouée à quelques mètres, et fit de son mieux pour l’atteindre. C’était compliqué d’aller dans un sens contraire à celui d’une foule quasiment en proie à la panique...elle se serait bien gardée de le découvrir.

 

A quelques pas de la trouée, elle dérapa dans la boue gelée. Elle sentit son coeur manquer un battement. Ça y est. Elle allait glisser, et être piétinée par tous ces poneys effrayés. Elle allait mourir ici, bêtement, stupidement, à un concert d’Haydochine ! Sans même être entrée à l’académie des Wonderbolts ! Sans jamais avoir embrassé un garçon de sa vie ! Sans…

 

Une patte mimosa l’agrippa par le sabot, et la tira hors de la foule, en sécurité sous les gradins. Emportée par son élan, elle se sentit partir comme un bouchon de champagne, percutant la personne qui l’avait sauvée.

Elle se frotta le crâne du paturon, persuadée qu’elle aurait une belle bosse. Mais mieux valait ça que de se faire passer sur le corps par une centaine de poneys effrayés.

 

Les étoiles qu’elle avait devant les yeux se dissipèrent et elle reconnut Chocolate, qui se tenait le ventre en grimaçant.

 

_T’as le crâne solide, dit-il d’une voix sifflante.

 

Elle comprit que c’était son sauveur. Sans réfléchir, elle se jeta à son cou en tremblant. Elle n’arrivait pas à se défaire de l’idée qu’elle avait failli se faire écraser vivante. Si Chocolate n’avait pas été là, elle…

 

_Je te cherchais depuis les gradins quand j’ai vu tout le monde paniquer, expliqua t-il en passant malhabilement son sabot dans la crinière rousse de la jument. J’ai foncé en bas pour essayer de t’aider. Oh merci Celestia, tu vas bien !

 

Les tremblements de Spitfire se clamèrent un peu. Le stress retombait. Et être dans les pattes de Chocolate avait quelque chose d’apaisant.

Elle leva les yeux vers lui, observant avec attention ses grands iris émeraudes. Chocolate était sans doute la seule personne qu’elle puisse considérer comme un ami. Elle était d’une nature plutôt solitaire, et en dehors des gens du cirque, de sa famille, elle ne se liait pas beaucoup. Même depuis qu’elle était à l’académie.

C’était un étalon agréable, sportif, et même assez séduisant si on mettait de côté cette bizarrerie génétique qui l’avait fait naître avec un pelage jaune pour une crinière violette.

Et il lui avait sauvé la vie, sinon, évité d’être sérieusement blessée dans un mouvement de foule.

 

Spitfire se souvint que quelques minutes auparavant, elle avait craint de mourir sans jamais avoir embrassé quelqu’un.

 

Il était temps de rayer ceci de sa liste.

 

Toujours collée contre Chocolate, Spitfire s’humecta les lèvres et approcha doucement la bouche de celle du terrestre. Quand leurs lèvres se frôlèrent, le coeur de la pégase manqua un nouveau battement.

Mais cette fois-ci, la peur n’en était plus du tout la raison.

 

 

 

 

 

Spitfire se réveilla, blottie contre son oreiller. Elle regarda à côté d’elle, surprise d’être seule dans le lit quelques secondes, avant qu’elle ne se souvienne que Soarin avait décidé de partir en excursion tôt ce matin, dans le nord de l’île. La pégase ayant décliné son invitation hier au soir, son petit ami y était allé seul.

 

La wonderbolt sortit du lit, se dirigeant d’un pas peu assuré jusque dans la cabine de douche. L’eau brûlante qui jaillit de la pomme la réveilla quelque peu, effaçant le brouillard dans lequel elle nageait plus ou moins.

 

Front posé contre la paroi de la douche, sabots occupés à shampooiner sa crinière, Spitfire se rappela du rêve qu’elle avait fait cette nuit. Bien sûr, il avait fallu qu’elle repense à la première fois où elle avait embrassé Chocolate, ce, juste après avoir fait l’amour avec Soarin.

Saleté de cerveau.

 

Maintenant qu’elle repassait le film dans sa tête, elle se rendait compte que son imagination avait quand même un peu exagéré les choses. Elle n’avait jamais manqué de mourir broyée : la foule n’était pas si importante que ça, et même si l’orage avait fait peur à la tout le monde, on avait été loin d’un vrai mouvement de panique.

Par contre, c’était vrai qu’elle avait perdu l’équilibre, et que Chocolate l’avait relevée avant que quelqu’un ne lui marche dessus. Et qu’elle l’avait embrassé sous les gradins, comme si elle n’avait été qu’une écolière.

 

Le souvenir de ce premier baiser oscillait entre fierté, nostalgie, et une pointe de honte.

Fierté, car ce n’était pas rien dans une vie amoureuse. Nostalgie, car cela avait été un des moments les plus heureux de sa vie. Et honte, car elle aurait quand même aimé qu’il se déroule dans un cadre plus romantique que sous des gradins détrempés de pluie.

 

Spitfire passa la tête sous l’eau chaude, laissant le jet emporter shampooing, saleté, et dernières traces du sommeil. Elle tourna les robinets, sortit de la cabine, et se drapa dans un grand peignoir blanc, griffé des armes de l’hôtel. Attrapant une serviette-éponge, elle se confectionna un turban à la va-vite, et regagna la pièce principale.

 

Elle ne commanda qu’un petit-déjeuner léger au room-service. Il était déjà tard, et la pégase évitait de prendre un premier repas trop lourd quand midi approchait. Sinon, autant sauter purement et simplement le déjeuner.

 

Son plateau arrivé, Spitfire remercia le groom d’un signe de tête - pas de pourboire pour ce genre de choses, il ne fallait pas exagérer - et alla s’installer sur la terrasse. Elle parcourut le journal du jour en attendant que son café refroidisse.

 

Rien de très passionnant à signaler. Un fait divers insolite la fit glousser toutefois, signalant que deux pégases très éméchés, avaient dans la nuit, dérobé un pingouin au zoo de Maneapolis. L'animal avait été récupéré sans dommage dans la journée, et les deux étalons avaient été quittes pour une belle amande.

Elle reposa le quotidien, et scruta la mer, grignotant ses biscottes.

L'océan était turquoise, et Spitfire mourait déjà d'envie d'aller piquer une tête. Mais elle savait déjà très bien qu'elle n'aurait pas la tête à nager et à s'amuser. Pas avec cette pensée, cette envie qui tournait en boucle dans son esprit.

 

Y céder serait complètement adolescent. Maiiiiiiis...

 

 

***

 

 

 

_Spit, ma pauvre fille, tu deviens complètement gamine avec l’âge.

 

Elle tira la chaînette de la porte qui carillonna joyeusement. Si tant est qu’une sonnette puisse être contente, mais Spitfire n’avait de toute façon, pas l’esprit aux questions métaphysiques.

 

Le bungalow était plutôt chic vu de l’extérieur : bois blanc, persiennes, hamac sur la terrasse...qui plus est, il n’était pas situé avec les autres résidences, mais à l’écart, vers les falaises de l’île.

Déjà qu’une chambre dans l’hôtel coûtait la peau de la croupe, Spitfire n’osait imaginer combien déboursait Chocolate pour s’offrir un luxe pareil. Et surtout, comment est-ce-qu’il avait eu les moyens de régler la facture ? Il avait gagné à la loterie, ou quoi ?

C’était vrai que dans ses souvenirs, l’étalon était un chanceux. Mais il y avait quand même des limites.

 

La porte s’entrouvrit, révélant l’oeil vert de Chocolate.

 

_Salut C. C’est moi.

 

Voilà que sans réfléchir, elle utilisait son vieux surnom. Au tout début de leur relation, ils s’étaient moqués de voir à quel point leurs patronymes confirmaient leurs clichés de race : Chocolate Cake le terrestre, et Spitfire la pégase.

D’un commun accord, les deux amants avaient décidé de se trouver des surnoms à eux. Ils n’avaient pas fait compliqué : Chocolate était devenu C, et Spitfire, raccourci en Spit. C’était à partir de ce moment qu’elle avait commencé à s’approprier ce diminutif, et à se faire appeler ainsi par ses plus proches amis.

Mais c’était à Chocolate que revenait l’honneur de l’avoir utilisé le premier...entre autres choses qu’il avait fait pour elle la première fois.

 

Le terrestre ouvrit la porte en entier, s'écartant pour laisser passer Spitfire.

 

_Je t'attendais pas aussi tôt, confessa t-il, d'un ton où la surprise se mêlait à la joie.

 

_Tu me connais. Quand on me propose un coup à boire ou un repas gratuit, je suis pas la dernière à en profiter.

 

_Qu'est-ce qui te fait croire que je t'invite ? demanda Chocolate d'un air pince-sans-rire.

 

_T'es un gentlecolt, je te connais, répondit-elle sur le même ton. Tu laisserais pas une pauvre jument dans l'embarras parce qu'elle a oublié de prendre de l'argent avec elle quand elle est sortie.

 

Echange fugace de sourires.

 

Ils faisaient tous deux référence à l'habitude qu'ils avaient eu quelquefois, de sortir sans leurs bits, pour se faire inviter par l'autre. Plus une blague qu'un vrai coup tordu, leur technique imparable s'était retourné contre eux le jour où ils avaient tous deux laissé leurs bourses à la maison. Spitfire se souvenait encore à quel point ça n'avait pas été facile de fuir le diner, spécialement le ventre alourdi de toutes ces glaces et ces pancackes.

 

_Et puis t'as l'air de t'en sortir pas mal, glissa t-elle en découvrant le décor.

 

Ce dernier était luxueux. Mais même dans l'opulence d'Hoowai, l'intérieur du bungalow accrochait l'oeil. Les peintures accrochées au mur donnaient l'impression d'être véritables, plutôt que des reproductions, et Spitfire ne pouvait s'empêcher de noter le grand piano à queue d'angle. Qui pouvait avoir les moyens de louer un bungalow avec un piano dedans ?

 

_Oui, dit l'étalon en se grattant la crinière du sabot, comme si le sujet le mettait un peu mal à l'aise. J'ai pas trop à me plaindre.

 

_Et dire que je t'ai connu qui négociait le prix d'un colta-cola au bar, souffla Spitfire en faisant quelques pas.

 

_C'était avant, ça. Le petit vendeur fauché n'est plus là.

 

_Dommage, ne put s'empêcher de lancer la pégase à brûle-pourpoint. Je l'aimais bien moi, le petit vendeur fauché.

 

Un signal s'alluma dans sa tête. Le genre de signal que son cerveau lui envoyait quand elle savait qu'elle s'engageait sur une pente glissante. Du genre faire ce style de remarques à son ex qu'on avait pas revu depuis des années, alors qu'on était en couple. Ce genre de choses.

 

Chocolate toussota pour dissiper le silence qui venait de se glisser à la suite de la phrase de la wonderbolt. Il désigna le salon du sabot.

 

_Installe-toi, dit-il aimablement. Je vais nous chercher à boire.

 

Spitfire prit place près de la table basse, sur un gros pouf blanc. Deux autres coussins identiques encadraient la table. Chocolate revint, tenant dans sa gueule un plateau sur lequel étaient posés deux verres, et plusieurs bouteilles.

 

_Je sais pas ce que tu voulais, sourit le terrestre en déposant le plateau, alors je t'ai amené deux-trois trucs du minibar.

 

Spitfire loucha sur les bouteilles, relevant l'âge du whisky, ou l'origine de la vodka.

Encore une fois, c'était le genre d'alcool qui coûtait une patte entière. C'était évident que Chocolate avait bien réussi professionnellement, elle ne l'aurait pas croisé à Hoowaï sinon, mais à ce point ?

Il était étonnant. Spitfire ne se souvenait pas de Chocolate comme d'un étalon particulièrement travailleur. Bon vivant oui, amusant oui, et bourré d'un tas de qualités. Mais il avait tendance à se borner au minimum syndical, et à ne pas trop donner dans le zèle.

Peut-être qu'il avait changé, et s'était mis à bosser d'arrache-sabot. Ou bien peut-être qu'il avait vraiment gagné au loto. Allez savoir.

 

_Et voilà pour l'apéro, ajouta le terrestre en amenant un assortiment de petits fours aux herbes.

 

_Quiche à la luzerne et canapés au cresson ? demanda Spitfire après avoir senti le plateau. Je vais encore devoir faire de l'exercice pour éliminer tout ça.

 

_T'es une sportive, lui répondit-il du même ton joyeux en prenant place sur un pouf. T'y arriveras.

 

Spitfire gloussa avant de se rendre compte que la gêne qu'il y avait entre eux hier était désormais envolée. Ils parlaient tous les deux autour de l'apéritif, comme des amis qui s'étaient perdus de vue depuis longtemps. Ce qu'ils étaient en fin de compte. Et il n'y avait aucun mal à ça. Non, aucun mal à ça.

 

_A propos de sport, dit-il en se servant un verre d'alcool amer, je m'attendais pas à ce que t'ailles aussi loin. A l'académie, je veux dire.

 

_Je faisais partie des cadettes les mieux notées, je te ferais dire.

 

Spitfire avait toujours été très fière de ses classes militaires. Elle, la petite pouliche de la balle, la pégase de rien du tout qui avait dû travailler encore plus dur que les autres, éviter les coups tordus des envieux, et clouer au poteau ceux qui essayaient d'avancer par leurs relations, plutôt que par leurs compétences.

 

_Oui, ça je m'en souviens, lâcha t-il en déposant deux glaçons dans son verre. Mais quand même : passer d'apprentie...

 

_Cadette, le corrigea t-elle, se servant un kir.

 

_Cadette, se reprit-il, à chef d'escadrille. Et directrice de l'académie en plus. En seulement dix ans !

 

_Qu'est-ce que tu veux que je te dises ? rit-elle en haussant les épaules. Je suis douée, c'est tout.

 

Spitfire trempa le bout des lèvres dans le kir. Il était très bon, mais le goût était différent de ce à quoi elle s'attendait.

 

_Crème de framboise et champagne, lui expliqua Chocolate en notant son air étonné. On appelle ça un kir impérial. Comme un kir royal quoi, mais en mieux.

 

La pégase jaune hocha la tête dans une mimique d'approbation. Elle n'avait beau pas raffoler des alcools, elle devait bien admettre que celui-ci était particulièrement savoureux.

 

Chocolate fit tourner son verre dans le sabot, attendant que les glaçons refroidissent.

 

_Et toi ? demanda t-elle brusquement. Qu'est-ce que tu as fait pendant tout ce temps ?

 

_Ben tu te souviens que la vente de jouets, ça allait un moment, hein ? questionna t-il réthoriquement avec une ombre de sourire. Quand j'ai eu l'occasion de trouver quelque chose de mieux, j'ai pas traîné.

 

Le sourire ne fut pas partagé cette fois ci. Elle ne savait que trop bien que c'était pour des opportunités professionnelles que Chocolate avait dû déménager de Ponyville, et rompre de fait leur liaison. Des séparations, elle en avait vécues d'autres depuis. Son cuir s'était endurci.

Mais la première avait été dévastatrice.

 

_C'était un copain qui avait racheté un fond de commerce à Maresseille. Un caviste. Je me suis donc retrouvé à vendre des bouteilles de vin, et des alcools.

 

_T'as réussi à te retenir de boire tout ton stock ?

 

C'était une plaisanterie. Mais le ton était à la limite du mordant. La remarque nonchalante de Chocolate sur son avenir professionnel avait rejeté du sel sur des plaies que la pégase n'avait jamais tout à fait cicatrisées. Elle s'était préparée pourtant : il était évident qu'en le questionnant sur son passé, il allait mentionner son travail dans le sud. Mais Spitfire ne s'était pas attendue que ça fasse encore aussi mal.

 

_J'ai réussi la plupart du temps, répondit-il d'un air amusé, sans relever – ou sans vouloir relever – le ton sec de la jument. Et on faisait quand même attention. Même si y a eu cette fois après notre première grosse vente, où on a débouché une bouteille de champagne pour fêter ça. Je sais pas comment on a fait le coup, mais on a réussi à expédier le liège dans l'oeil du client. Du coup, il a eu un mouvement de recul automatique et bam ! Dans les grands crus qu'il venait de choisir.

 

Spitfire ne put faire autrement que pouffer à l'image mentale d'un Chocolate effaré voir son client se vautrer dans les bouteilles de vin.

 

_Et depuis vous évitez d'ouvrir le champagne au travail ?

 

_Non, la corrigea t-il, on l'ouvrait après que le client ait signé.

 

Le pouffement devint gloussement, puis un éclat de rire tout à fait franc. Le terrestre lui, préféra dignement tremper les lèvres dans son verre de vin.

 

_Du coup, t'es caviste ? questionna t-elle, une fois son rire calmé.

 

_J'étais. Pendant huit ans et demi, presque neuf. Je m'étais pas attendu à ça, mais j'aimais vraiment travailler dans le vin. Conseiller les clients, découvrir de nouveaux cépages, voir la réputation de la cave grandir avec les années. On a même racheté deux concurrents. J'irais pas jusqu'à dire que c'était l'unique cave de Maresseille, mais on pesait quand même.

 

_T'as dit “j'étais”, nota Spitfire. Qu'est-ce qui t'a fait arrêter si t'aimais ça ?

 

Pour la première fois depuis qu'elle le revoyait, un voile d'amertume et de tristesse nimba quelques secondes les yeux d'émeraude de l'étalon.

 

_Les affres de la vie, on va dire.

 

Chocolate souriait toujours, mais c'était un rictus de pure forme, un sourire de clown blanc.

Il ferma les yeux, but quelques gorgées de son verre, souffla par les naseaux comme pour expulser ces mauvaises pensées, et quand il releva les paupières, il était redevenu aussi enjoué que d'habitude.

 

_Maintenant, je profite de la vie. Je fais une pause. Je m'accorde quelques années sabbatiques comme on dit...faire le tour du monde, essayer d'écrire enfin ce roman idiot de fantasy qui me trotte dans la tête depuis que je suis ado...ce genre de choses, quoi.

 

_D'où les vacances à Hoowaï.

 

Il leva son verre à moitié vide en un toast exagéré.

 

_Et le prix de la plus brillante détective de la principauté est accordé à...

 

_C'est méchant de se moquer, dit-elle souriante, lui donnant un petit coup de patte sur le bras.

 

Elle réalisa soudain que c'était la première fois qu'ils se touchaient physiquement depuis dix ans. Et quelque part...à moins que son esprit ne lui joue des tours...elle avait l'impression que la sensation n'avait pas changée. Que son pelage avait toujours la même texture, sa peau, la même chaleur.

Elle se rendit tout aussi rapidement compte du danger de ce genre de pensées. Mais c'était peut-être ça qui faisait d'elle une bonne Wonderbolt : le danger, elle savait l'apprivoiser.

 

 

***

 

 

 

Soarin trottait tranquillement sur le chemin de montagne, ses sabots crissant sur les cailloux. Il faisait chaud, mais sa bonne vieille casquette de sport le protégeait du soleil.

Le pégase se moquait bien de la température. S'il avait appris quelque chose lors de ses classes à l'académie, et plus tard, en devenant sportif professionnel, c'était bien que la gêne était mentale, bien avant d'être physique. Le corps était une mécanique merveilleuse, qui pouvait encaisser n'importe quoi.

Soarin se souvenait d'une fois, lors d'une course très importante, il s'était mal réceptionné, et s'était foulé la patte. N'importe qui aurait abandonné. Et personne ne lui en aurait tenu rigueur : comment courir sur trois jambes ?

Mais le pégase s'était accroché. Il avait serré les dents, ravalé sa douleur, et s'était concentré sur la ligne d'arrivée.

Il avait fini troisième. La médaille de bronze, ce n'était pas le nirvana, mais compte tenu de sa blessure, c'était exceptionnel.

 

Soarin n'avait jamais oublié cette leçon.

 

La situation était loin d'être aussi grave aujourd'hui : il était en vacances, sa blessure était guérie depuis longtemps, et il prenait tout son temps. Mais quand il jetait un oeil derrière lui, et qu'il voyait les autres touristes suer à grosses gouttes, et laisser échapper une langue pendante de leurs gueules, Soarin se bornait à se concentrer sur son objectif pour ne pas penser à la chaleur.

 

Ils étaient au nord d'Hoowaï, près du volcan qui était le point culminant de l'île. Soarin ne goûtait que peu la géologie. Ce n'était donc pas pour les cailloux que le pégase était ici, mais pour la vue.

Le wonderbolt avait du mal à l'expliquer rationnellement, mais il avait un amour, un amour pur et sans limite pour les panoramas. Au fond, il se demandait si Celestia ne l'avait pas fait pégase juste pour qu'il puisse se percher sur les plus hauts nids-d'aigles d'Equestria.

Dès que Soarin avait l'occasion de découvrir un nouveau point de vue, il s'en abreuvait, en prenait plein les yeux jusqu'à en avoir la tête qui tourne. Il aimait tout dans ces moments là : le repérage, où du coin de l'oeil, il distinguait déjà quelle montagne, ou quel édifice il allait devoir gravir; le fantasme, où sa tête s'illuminait déjà de paysages splendides; et la réalité, quand il pouvait enfin poser son regard sur cette beauté.

 

Il aurait pu atteindre le chapiteau du volcan en quelques coups d'ailes, mais concernant son hobby, Soarin qui était d'ordinaire si souple devenait incroyablement intransigeant. Tout devait se faire au sabot, à l'ancienne. Juste à la force des pattes. Et quand bien même il aurait été licorne, c'était la même chose. Gravir les panoramas sans aide, c'était une question de principe pour lui. Il prenait son temps, lui dont le métier exigeait d'aller vite. Et si certains se vidaient la tête en faisant le ménage à fond, ou en descendant bière sur bière, Soarin préférait la marche à patte.

 

Et la session de ce matin tombait à pic, le pégase ayant pas mal à penser.

 

Spitfire.

 

Spit lui échappait totalement. Sa petite amie avait un comportement de plus en plus bizarre. Un moment, elle était totalement normale, pleine de répondant, de vie, et d'entrain, et la seconde qui suivait, ses yeux se perdaient dans le vide, et elle devenait presque...mélancolique. Comme si elle ressassait en permanence quelque chose.

 

Ce que n'arrivait pas à comprendre Soarin, c'était pourquoi. Pourquoi est-ce qu'elle faisait ça ? C'était quoi la cause ? Il avait beau se creuser la cervelle, il ne se rappelait jamais avoir vu la jument d'or ainsi. Du moins...pas avant qu'ils se soient mis ensemble.

 

Pour Soarin aussi ça avait été bizarre de passer de collègues à amants. Surtout avec Spitfire. Ce n'était pas une jeunette qui était entrée dans l'équipe deux mois avant. C'était la chef. Le capitaine. Bon sang, il avait même été à l'académie avec elle !

 

Le matin qui avait suivi la première nuit où ils avaient fait l'amour, Soarin s'était inquiété. Il s'était persuadé que Spitfire avait eu un mouvement de faiblesse à cause de l'alcool, que ce n'avait été qu'un accident, et que ni l'un, ni l'autre ne mentionnerait jamais plus cette soirée. Mais Spitfire s'était réveillée comme une fleur, avait embrassé Soarin à pleine bouche, et s'était levée pour préparer le petit-déjeuner.

 

C'était ça qui perturbait Soarin. Spitfire se comportait toujours comme si tout allait très bien. Et elle ne parlait que très rarement de ses sentiments, ou de ses pensées. Soarin ne se souvenait pas d'une fois où elle aurait évoqué, même sommairement, la nuit où tout avait basculé entre eux.

 

A se demander si...si elle l'aimait. En tant qu'ami, c'était indéniable. Il en avait eu la preuve pendant des années. Mais désormais, ils couchaient ensemble.

Du coup, ils étaient quoi ? Sex-friends ?

 

Même pas puisque ce type de relation exigeait quand même un accord commun des deux parties. Il n'y avait rien eu du genre entre eux. Tout s'était fait comme ça.

 

Quelque part, Soarin avait l'impression que sentimentalement, Spitfire n'avait pas bougé d'un iota à son encontre.

C'était peut-être bêta de la part du pégase de séparer à ce point sexe et sentiment – en plus, il paraissait que c'était un truc de juments ça – mais il était ainsi. Plus jeune, il avait vécu quelques mois de liaison avec une terrestre. Relation purement physique. Il n'avait jamais réussi à l'aimer.

Soarin avait préféré rompre. Si les sentiments n'étaient pas là, il ne voyait pas l'intérêt de faire durer.

 

Le cas Spitfire était particulier. Si de loin, on pouvait avoir l'impression que la situation ressemblait à la précédente expérience de Soarin, en réalité, il n'en était rien.

 

Tout simplement parce que l'étalon était amoureux de la pégase. Amoureux à s'en damner.

 

En gros, on pouvait résumer la situation ainsi. Ils couchaient ensemble. Soarin était amoureux. Et Spitfire...et bien il n'en savait rien, et c'était bien ça le plus gênant. Il ne demandait pas forcément qu'elle lui dise “je t'aime” ou quelque chose d'aussi formel. Il savait bien comment Spitfire n'était pas jument à suivre les convenances.

Mais il aurait aimé le sentir, à défaut de le savoir.

 

En fait c'était ça. Depuis qu'ils étaient amants, Soarin avait l'impression qu'un grand point d'interrogation trônait au dessus de son couple. L'étaient-ils ? Ne l'étaient-ils pas ?

 

Le pégase pencha la tête en arrière, une ombre de sourire sur le visage. Heureusement qu'il était là ce volcan. Ca coûtait moins cher qu'une séance chez le psy, et ça marchait tout aussi bien.

 

***

 

Spitfire déambulait dans les couloirs de l'hôtel, la mine basse, le visage plissé de réflexion. Elle avait donc déjeuné avec Chocolate. Après l'apéritif, ils avaient mangé des aubergines braisées, arrosées de vin blanc. Et en dessert, un flan aux épices mexicoltiennes.

Celestia que c'était bon. Chocolate avait semblait-il pris le coup de sabot pour la cuisine ces dix dernières années.

 

Elle souffla pas les naseaux. Qu'est-ce qu'elle était en train de faire ? Ce n'était pas normal de se rendre à un déjeuner en tête à tête avec son ex. Pas normal du tout.

Oui, il lui était déjà arrivé de recroiser certaines de ces anciennes petites amies. Mais ça n'allait pas plus loin qu'un salut de la tête, deux trois mots échangés, ou un verre en terrasse dans de très rares occasions. Et puis à tous ces moments, elle était célibataire. Là, elle était avec Soarin.

Et même si elle n'avait rien fait avec Chocolate, elle aurait menti en disant que pendant le déjeuner, elle n'avait pas eu envie de lui plaire, pas envie que peut-être, il se passe quelque chose.

 

Tout cela tournait et retournait dans sa tête.

 

Après le dessert, Chocolate avait annoncé à Spitfire qu'il devrait quitter l'île après demain, et que la préparation de son départ l'occuperait tout le lendemain. En conséquence, il avait proposé à la pégase qu'ils se rejoignent dans la soirée, pour disputer une partie de hoofball. C'était par ce biais qu'ils s'étaient rencontrés, et liés. Ce sport restait extrêmement important pour l'un et l'autre.

 

La jument avait accepté sans réfléchir. C'était la dernière occasion qu'ils auraient de jouer au hoofball avant peut-être très longtemps. Et c'était un tel hasard de s'être recroisés, ils seraient idiots de reprendre chacun leur route sans faire une dernière partie ensemble.

 

C'était pour cette raison que Spitfire reprit la route du bungalow de Chocolate, plus tard en début de soirée, après avoir passé l'après-midi à nager et à jouer au billard. Soarin n'était pas encore rentré. Tant mieux. Spitfire s'épargnait ainsi une explication qui aurait pu être gênante. La partie de hoofball terminée, la wonderbolt n'aurait même plus à évoquer Chocolate devant son petit ami. Ca mettrait un point final à toute cette histoire, et toute cette gène.

 

Le terrestre n'était pas à sa maison de location, mais en contrebas, en bord d'une petite crique. On l'atteignait en descendant une pente de sable et Spitfire devait bien avouer que le décor, déjà beau d'ordinaire, tutoyait le sublime avec les tons rosés du couchant.

Le ciel était une kyrielle de rose, de violet, et de rouge. Le soleil était désormais si bas qu'on avait l'impression qu'il se baignait dans les eaux irisées de la crique.

Le sable crissait agréablement sous les pattes de la pégase. A quelques pas d'elle, les sabots presque dans l'eau, ballon de hoofball sous le bras, l'attendait Chocolate. La robe mimosa et la crinière zinzoline de l'étalon se fondaient plus que jamais dans ce décor de coucher de soleil tropical.

 

Il salua Spitfire d'un signe de tête, qu'elle rendit bien volontiers.

 

_Prête à te faire humilier ? lança t-il d'un ton de défi, faisant tournoyer le ballon sur son paturon d'un air assuré.

 

_Parle pour toi, répliqua une Spitfire qui s'empara prestement de la balle d'un geste rapide.

 

Chocolate sourit, et la pégase fit de même. Les deux adversaires s'éloignèrent doucement l'un de l'autre.

Le hoofball n'était pas le plus complexe des sports. Surtout dans sa variante à deux joueurs. Un attaquant, un défenseur. Le premier devait garder la balle et l'amener dans le but adverse. Le second devait tout faire pour l'en empêcher. Dès que le défenseur s'emparait de la balle, les rôles s'inversaient.

Le premier joueur à atteindre dix points gagnait. Simple et efficace.

 

La wonderbolt avait toujours aimé ce jeu. Il était rapide et physique. Et même si elle savait se débrouiller en équipe – n'était-elle pas capitaine des plus grands voltigeurs d'Equestria ? - elle préférait un adversaire en solo. Les duels étaient plus amusants. On finissait par comprendre comment son opposant fonctionnait, quelle était sa tactique. C'était un jeu autant psychologique que purement physique.

Et quelque part, c'était un plus beau spectacle. Spitfire n'avait jamais oublié la leçon de base du cirque où elle avait grandi : le show avant tout.

 

La jument cala le ballon sous sa patte. Pas droit aux ailes. Normal. Elle affrontait un terrestre. Si Chocolate avait été un poney ailé, ou bien une licorne, ils auraient peut-être négocié ce que l'on appelait une partie avec “avantages”. Mais dès lors qu'un poney était engagé, le fair play le plus élementaire voulait qu'on se batte avec les mêmes armes que lui.

 

Le but était juste derrière Chocolate. Cinq mètres de long, délimité par deux coquillages posés sur le sable.

Pour l'instant, le terrestre ne bougeait pas. Il semblait attendre le premier mouvement de Spitfire. Il n'allait pas être déçu.

 

Elle s'élança.

 

D'une bonne impulsion du sabot, elle fonça droit devant elle, sans subtilité. Ses sabots martelaient la plage dans un rythme rapide.

Elle vit Chocolate se tendre, mais rester toujours immobile. Est-ce qu'elle devait le contourner ? Dangereux. Il n'aurait qu'à plonger pour la bloquer, et elle risquerait de perdre la balle.

Autant jouer de façon plus acrobatique.

 

Elle continua sa course, se rapprochant du but, et de Chocolate. Ce dernier attendait visiblement de savoir si elle bifurquerait à droite ou à gauche, afin de la gêner.

 

Mais ni l'un, ni l'autre. Arrivée presque devant l'étalon, Spitfire sauta, lui passant au dessus, atterrissant juste derrière les coquillages. Elle laissa tomber la balle, et se retourna avec un petit sourire.

 

_Tu disais quoi sur l'humiliation ?

 

_Toujours aussi agile, hein ?

 

_Tu m'as connue plus souple que ça.

 

La phrase était sortie toute seule. Mais cette fois, la jument n'en ressentit aucune gêne. C'était normal de faire toutes ces plaisanteries, toutes ces phrases à double sens. Surtout avec lui.

 

Spitfire reprit le ballon, et retourna à la ligne de départ. Elle attendit quelques secondes, que Chocolate se mette en place, et s'élança à nouveau.

 

Elle allait refaire exactement la même chose.

Combien de fois avait-elle marqué un but en reproduisant tout à fait le précédent ! Il fallait être fou pour imaginer qu'on tenterait deux fois la même action. Mais Spitfire savait d'expérience que ça marchait. C'était justement parce que c'était évident que c'était inattendu.

 

Tout se passa exactement comme quelques minutes auparavant. A l'exception près qu'elle rencontra Chocolate dans les airs à mi-chemin, qui lui chipa le ballon sans autre forme de procès.

 

Le couple atterrit plus ou moins en même temps sur la plage.

 

_Trompe moi une fois, lança un Chocolate d'une voix déjà saisie par l'effort physique, honte à toi. Trompe moi deux fois, honte à moi.

 

Spitfire gloussa. Très bien joué de la part du terrestre jaune. Elle avait peut-être un peu trop pris d'assurance.

 

Ils reprirent leurs positions de départ, en inversant naturellement les rôles. Cette fois, c'était à la voltigeuse de défendre les buts.

 

Chocolate se lança. Pas aussi vite qu'elle ne l'avait fait aux tours précédents, non. Chocolate le faisait par acoups. Il courait vite, avant de freiner, de quasiment marcher, et de courir à nouveau. La course fractionnée. Malin. C'était extrêmement troublant. On ne savait jamais si l'adversaire allait arriver à fond la caisse, ou bien privilégier une approche plus lente et contrôlée.

 

Et Celestia savait que l'étalon savait se montrer imprévisible quand il le voulait.

 

Spitfire décida de ne pas prendre de risque. Quand on était aux cages, il fallait jouer la sécurité tant qu'on le pouvait.

Elle attendit que Chocolate se rapproche pour lui sauter dessus. Mais pas pour lui prendre le ballon, comme on aurait pu l'attendre.

 

Elle le plaqua aux pattes.

 

Chocolate chuta droit sur Spitfire qui, emportée par son élan, alla rouler jusque dans les vagues.

Elle sentit l'eau salée les entourer, le sable mouillé s'agglutiner sur le pelage.

 

Elle toussa. De l'eau de mer était entré dans ses poumons.

 

Elle tourna la tête, pour découvrir un Chocolate dans un état approchant : sa robe mimosa était agglutinée en gros paquets par l'eau, sa crinière était pleine de sable, et du sabot, il chassait un minuscule crabe qui s'était égaré sur son museau.

 

Spitfire rit. Elle rit si fort, si franchement qu'elle eut l'impression que cela faisait des siècles qu'elle ne s'était pas amusée comme cela. Contaminé par ce geste idiot, Chocolate se mit à rire aussi.

 

Spitfire fixa les yeux émeraudes de l'étalon. Et eut envie de faire un autre geste idiot.

 

Elle se colla à lui, passa ses pattes derrière son cou, et colla ses lèvres aux siennes.

 

Embrasser Chocolate l'électrifia de plaisir. C'était comme une décharge qui remontait le long de son dos, avant de gagner l'ensemble de son corps.

Il avait un goût salé, et il lui restait de l'eau de mer dans la bouche. Spitfire, en laissant sa langue caresser celle de l'étalon, en but un petit peu.

 

Le geste lui sembla érotique au possible, et d'instinct, elle sera plus fort Chocolate contre elle.

 

Les yeux clos, les lèvres verrouillées à celle de Chocolate, prise dans un baiser fiévreux, Spitfire se sentait incroyablement bien. C'était comme se régénérer à une fontaine de jouvence. Elle se sentait plus forte, plus apaisée, plus heureuse.

Les souvenirs des moments heureux passés avec l'étalon revenaient en masse, du concert d'Haydochine, à la première fois où ils avaient fait l'amour, de leur première Saint Galopin, à la fois où il lui avait fait découvrir l'orgasme.

 

Une voix intérieure lui martelait que cette fois ci, c'était la bonne. Que si le destin avait réussi à les séparer dix ans plus tôt, désormais, ils reprenaient le fil de leur histoire.

 

Qu'ils se donnaient une nouvelle chance.

 

Le baiser perdit en intensité, les langues s'apaisèrent, les lèvres se décollèrent. Front posé contre celui de l'étalon, Spitfire inspirait à pleins poumons, voulant sentir son odeur au maximum.

 

_Spit...

 

_Chuuut, murmura t-elle d'une voix qui ne lui ressemblait pas. Embrasse moi encore au lieu de perdre du temps à parler...

 

Elle tendit les lèvres. Mais Chocolate restait sans bouger.

 

Elle rouvrit les yeux, et nota que l'étalon était très mal à l'aise. Doucement, très doucement, il se sépara d'elle.

 

_Chocolate, murmura t-elle, qu'est-ce qui se passe ?

 

_Je savais, finit-il par dire. Je savais que ça risquait d'arriver. Je savais qu'on se sauterait dessus à un moment ou à un autre. Mais je ne peux pas. Je ne peux pas faire ça.

 

_Bien sûr que tu peux ! objecta t-elle avec force. Tu n'es plus obligé de partir à des milliers de kilomètres pour ton travail. On peut reprendre notre vie là où on l'avait laissée ! Toi et moi, comme avant.

 

Un sourire, un minuscule sourire éclaira le visage de l'étalon.

 

_C'est pas aussi simple. D'une, tu as un petit ami...

 

_Les choses ne vont pas bien entre lui et moi ! le coupa t-elle. Aucun de nous deux ne voulait vraiment se l'avouer, mais ça ne marche pas. Maintenant, je sais pourquoi. Il n'y a qu'un seul étalon dans tout Equestria avec qui je veux être et...

 

_Spitfire, s'il te plaît...

 

_...et c'est toi. On pourra prendre notre temps si tu veux. Je suis prête à attendre le temps qu'il faudra et...

 

_Spit. C'est pas aussi simple que ça.

 

Il leva les yeux vers le ciel. Ses yeux verts émeraude étaient embués de larmes.

 

_J'aimerais que ça soit aussi simple.

 

Il déglutit et abaissa la tête.

 

_Tu veux savoir pourquoi j'ai arrêté de travailler ? J'ai été marié, Spit. Ouais, ça doit faire bizarre à entendre, pouffa t-il quelques secondes devant les yeux ronds de la pégase.

 

Son regard se perdit dans le vague.

 

_Autumn Comet. Elle était venue dans le magasin pour nous acheter un grand cru pour l'anniversaire de son père, un des plus gros industriels de la côte. On a parlé vin, on a beaucoup sympathisé. Je lui ai fait un prix sur une bouteille, et elle m'a invité à la fête. On a appris à mieux se connaître là bas.

 

Spitfire n'en revenait toujours pas. Chocolate, marié ?

 

_On s'est mariés pile un an après notre rencontre. Quelques très belles années, même si on avait tous les deux des emplois du temps difficiles. Et puis l'an dernier, elle est morte. Un AVC foudroyant. Une saloperie qu'elle se trimbalait depuis des années, mais dont elle m'a jamais parlé, sans doute pour pas m'inquiéter. Bref, un beau matin, elle est tombée raide. Comme ça. Comme si...comme si Celestia avait éteint un interrupteur, et puis pouf. Fini.

 

La voix de Chocolate était percluse de sanglots.

 

_Je te laisse imaginer le choc. J'ai...j'ai pété les plombs. J'avais mal. Partout. Comme si j'avais du feu à l'intérieur de moi, qui me brûlait de l'intérieur. Je hurlais. Je la détestais pour m'avoir abandonné, et je me détestais de la haïr. J'ai passé pas mal de mois dans un institut. J'ai essayé d'en finir au tout début, mais avec le temps, j'ai fini par accepter. Lentement, mais ça s'est fait. Un peu.

 

Il souffla, soulagé d'avoir prononcé ces mots.

 

_Depuis que je suis sorti, je prends des vacances. De grosses vacances. J'avais économisé un poil, et surtout, Autumn était riche. Elle m'avait inscrit comme légataire universel. Du coup, je me suis retrouvé avec plein de fric. J'en ai mis la moitié de côté, le reste, je le dépense ici et là, pour faire ce qui me fait plaisir.

 

Son sabot plongea vers son encolure, en tirant une chaînette dorée, au bout de laquelle était passée une bague argentée.

 

_Un jour, j'arriverais à l'oublier un peu, et sûrement que je rencontrerais quelqu'un avec qui refaire ma vie. Mais pas maintenant. Je ne suis pas encore prêt.

 

Il porta les yeux sur Spitfire, souriant tristement.

 

_T'es une fille géniale Spit. J'ai été heureux chaque minute où on a été ensemble, et je sais quelle chance j'ai eue de t'avoir comme première petite amie. Je te jure que je ne t'oublierais jamais. Mais ce qu'il y a eu entre nous, c'est du passé. On ne peut pas le faire revenir.

 

Il s'approcha d'elle, et l'enlaça. Pas comme un amoureux, pas comme un amant. Non, comme ce qu'il avait été avant ça. Comme un ami.

 

_Oublie jamais que t'es géniale, et ne laisse jamais personne te dire le contraire. J'étais quand même ravi de te revoir. J'espère qu'on se croisera encore dans le futur. Que Celestia veille sur toi. Porte toi bien.

 

Il l'embrassa sur le front, brisa leur câlin, et s'éloigna à petits pas, sans se retourner.

 

Spitfire restait éberluée, à demi dans l'eau, grelottante de froid. Son cerveau et son corps tout entier était pris dans la glace. Un trou béant à la place de la poitrine, son coeur avait sûrement dû couler dans les profondeurs hoowaïennes.

 

Ses tremblements gagnèrent en force, les larmes lui virent aux yeux, coulant sans discontinuer.

 

Autour d'elle, le décor n'avait plus rien de paradisiaque, plus rien de rose, de violet, ou de rouge.

Plus que du noir, le noir absolu.

 

Le noir qui l'avait avalé crue et qui la digérait lentement.

 

 

 

***

 

Tête posée contre le sabot, affalée dans son siège, Spitfire laissait son regard se perdre par delà le hublot du dirigeable.

Elle était extrêmement fatiguée, mais elle refusait de s’assoupir. Elle avait eut une mauvaise nuit, bourrée de cauchemars, et elle craignait que ses mauvais rêves ne reviennent la tourmenter.

 

Et encore, s’il n’y avait eu que les cauchemars...hier, après s’être reprise, Spitfire avait volé jusqu’à l’hôtel, avec comme unique volonté de se doucher, et de se rouler en boule sous les couvertures.

Quand elle était entré dans sa chambre, elle y avait trouvé Soarin, qui l’attendait. Assis sur le lit, le pégase avait simplement dit qu’il fallait qu’ils parlent.

Spitfire connaissait assez cette formule pour savoir qu’elle n’augurait jamais rien de bon.

 

Sans tourner autour du pot, il lui avait simplement dit qu’il avait bien réfléchi au cours de la journée, et qu’il décidait de la quitter. Il avait invoqué le fait qu’elle était ailleurs quand elle était avec lui, et qu’il ne pouvait pas supporter cela.

Spitfire n’avait pas cherché à se défendre. Surtout pas avec les souvenirs de la partie de hoofball qui étaient encore brûlants. Elle s’était jetée sur Chocolate en sachant très bien qu’elle trompait Soarin. Et même si les choses ne collaient pas entre elle et le pégase, ce n’était pas une excuse valable. Ce qu’elle avait fait était mal. Et elle ne pouvait pas donner tort à Soarin de se dégager d’une relation où il était mal à l’aise.

 

Ils redevenaient ce qu’ils étaient auparavant. Des amis, et des équipiers. Ca prendrait sûrement du temps pour dissiper la gêne qu’il y aurait forcément entre eux, mais Spitfire savait qu’à la longue, ça marcherait. Ils arriveraient à surmonter cela.

 

Pour le cas Chocolate...Spitfire était encore brisée. Voir une lueur d’espoir s’allumer pour s’éteindre violemment, c’était horrible. Mais cela aurait été encore plus horrible de profiter de Chocolate alors qu’il était en deuil.

Spitfire n’était pas mauvaise. Elle ne le ferait pas.

 

Donc, adieu Hoowaï et retour au pays. Elle avait pris sur elle d’écourter ces vacances qui ne lui avaient apporté que des ennuis.

Retrouver l’académie lui ferait du bien. Bosser un peu, au calme en attendant que les élèves reviennent.

Soarin lui, restait encore deux semaines sur l’île. C’était le mieux à faire, de rentrer séparément.

 

Spitfire souffla par les naseaux, fermant les yeux. Bon sang.

 

Les vacances devaient être là pour décompresser, et tout ce qu’elles lui avaient apporté, c’était tristesse et stress. Elle avait beau se dire que ce qui s’était passé était le plus juste, ça ne le rendait pas plus agréable pour autant.

 

_Est-ce que vous voulez à boire mademoiselle ?

 

La voix de l'hôtesse de bord fit rouvrir les yeux de la pégase. Une jolie licorne en uniforme poussait un plateau rempli de bouteilles diverses.

 

_Vous avez de la tequila ?

_Importée directement de Mexiclot, lui répondit la jument en lui servant un verre d’alcool. J’espère qu’elle est à votre goût.

 

Spitfire prit quelques secondes pour savourer la tequila, prenant son temps alors que son regard parcourait l’hôtesse de la tête aux sabots.

 

_Très à mon goût, répondit la wonderbolt dans un petit sourire.

 

_Parfait. N’hésitez pas à m’appeler si vous avez besoin de quoique ce soit, lui glissa la licorne en reprenant magiquement son chariot et en s’éloignant dans la travée des fauteuils.

 

Spitfire tendit le cou pour admirer la démarche chaloupée de l’employée, ce qui élargit son sourire.

Elle se remit droite dans son siège, scrutant le fond de son verre.

 

Bon. Des vacances pourries, ça d’accord. Mais au moins, le retour s’annonçait agréable.

 

Satisfaite, Spitfire finit son verre, déjà prête à en commander un autre.

Laisser un commentaire ?