Breakouedo, le bruissement des bois

Chapitre 3 : Little pyromane

748 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 08/12/2021 19:12

29 juillet 1989



Elle avait chaud, la couette lourde l’enveloppait, absorbait sa moiteur, un pied à l’extérieur prenait le frais, climatisait le corps comprimé. Elle fit voler son enveloppe moelleuse au-dessus de sa tête. La couette retomba au sol sur un son mat de fruit blet. Les pieds de Stella valsaient doucement au-dessus de sa tête, elle observa leur ballet silencieux dans la pâle lumière nocturne. La petite fenêtre de sa chambre donnait sur la place du hameau, les vitres vibrèrent ; le bruit familier du moteur de la vieille Mercedes de son père. Les pneus écrasèrent les gravillons sur le goudron grêleux et puis le grincement du frein, bientôt le volet de la porte d’entrée s’entrouvrirait en un râle sourd. Il avait ouvert trop vite, Stella n’avait entendu que le claquement de la porte vitrée. Le chuchotement soucieux de son père commença sans préliminaires.

- Elle dort ?

- Je ne sais pas, je viens de l’entendre remuer dans son lit juste avant que tu arrives.

- Il faut que vous veniez voir ça. Il y a un départ de feu sur le Sangle.

- Je ne sais pas si c’est bon, il faudrait qu’on téléphone à Monique…

- C’est bon, ma fille n’est pas une pyromane ! Il y en a marre des psys ! On ne fait plus de barbecue, on a condamné la cheminée ! J’en ai assez qu’on la mette dans du coton ! Ignifugé en plus !

Son père monta les deux demi-étages, elle n’entendit pas sa mère aller s’enfermer dans la salle de bain pour pleurer, mais elle savait, comme à chaque fois qu’ils parlaient d’elle. Pull Mickey, socquettes blanches, culotte imprimé « Mercredi », jogging jaune fluo, elle était déjà habillée quand son père entra dans sa chambre laissant jaillir la lumière crue du couloir dans les ténèbres de son antre. Elle, le monstre qui avait détruit la forêt de Brecouedo, elle voulait voir flamber la Sainte-Victoire. Sentir les ailes de papillons gris tomber du ciel sur son visage par millier, se mêler à ses larmes en sillons noirs. Elle voulait respirer le bois occis, écouter les branches devenues fusains craqueler sous ses pieds nus. Elle voulait marcher dans la cendre fraîche et douce comme le sable d’une rivière, tapis moelleux, virginal. Mais son père ne l’emmenait qu’à quelques kilomètres de là, au bord de la route départementale, un large plan dégagé par l’incendie qu’Elle avait causé. Elle contempla sa garrigue sèche et hostile. Elle s’éloigna un peu de la voiture garée sur le bas-côté portières grandes ouvertes, pour que l’argelas et la salsepareille rampante lui griffent la peau. Le Mistral agitait le paysage ras, de vagues inquiétantes.

- Stella, viens voir avec les jumelles.

Elle porta enfin son regard sur l’horizon empourpré d’une ligne orangées, frétillante. Elle ondulait, s’arrêtait, repartait plus loin, courait sur les remparts de la montagne.

-L’enfoiré, il doit être en voiture, regarde, regarde ! Il vient d’en allumer un autre.

Son père ne lui passa pas les jumelles, il l’avait oubliée, il s’agitait, scrutait la nuit à la recherche de son pyromane. Un autre départ de feu. Ce n’était pas son secteur d’intervention, il enrageait d’être impuissant. L’incendie sautait tel un phœnix, de loin en loin, éclats pyrotechniques linéaires. Stella tentait d’y discerner une écriture. Est- que celui qui était entrain de faire ça était atteint du même mal qu’elle ? Était-il fasciné par le sang grenat qui gouttait, vermeille au bout d’un doigt ? S’émerveillait-il des derniers instants de la vie d’une cigale chantant son ode funèbre plus fort que le chant d’amour de ses consœurs ? Restait-il étranglé d’émotions jusqu’à sentir un doux fourmillement au creux du ventre lorsque la mort se glissait dans son quotidien ? La recherchait-il comme elle ? Dans ses yeux luisaient des brasiers étincelants, lointains comme les étoiles d’une autre galaxie. Elle s’endormit sur le siège arrière, le roulis du moteur berçant ses sublimes cauchemars.

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