Patrocle

Chapitre 14 : Achille

2582 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 04/09/2022 12:06

Ile de Skyros, Grèce, trois ans plus tard

Pélée roi de Thessalie, contemplait une charge de cavalerie du roi Lycomède de Samos. C’était un après-midi ensoleillé et les lances brillaient au soleil. Puis l’infanterie défila en phalange. Armés d’une lance et d’une épée courte, les soldats tenaient un bouclier carré en bois renforcé de bronze dans leur main libre. Ils portaient une cuirasse, un casque à cimier et des jambières, mais allaient cuisses nues. Sur un ordre de son général, la phalange changea de direction et se mit à avancer sur trois rangs, lances dressées.

Pélée et ses compagnons s’aperçurent que les Samiens disposés de part et d’autre d’eux reculaient discrètement.

— Ne bougez pas, quoi qu’il arrive, ordonna le roi à mi-voix.

Dans une clameur assourdissante, les fantassins chargèrent. Les voyant fondre sur lui, Pélée se demanda s’il allait mourir là. Rien ne semblait pouvoir stopper cette masse hurlante, et la première pointe en fer s’enfoncerait bientôt dans sa poitrine. Refusant de reculer, il se campa, mains sur les hanches, et toisa l’approche des soldats.  

La phalange s’arrêta à l’ultime seconde, et le monarque se retrouva à contempler une lance immobilisée à un cheveu de sa poitrine. Prenant délibérément son temps, il passa le pouce sur la pointe avant de regarder le soldat.

— Elle est rouillée, remarqua-t-il. Tu devrais en prendre soin.

Sur ses mots, il fit volte-face. Aucun de ses compagnons n’avait bougé d’un pouce durant la charge et cela l’emplit de fierté. Lycomède lui fit un signe et Pélée alla le rejoindre sur un banc placé au bout d’une table chargée de nourriture.  

— Très impressionnant je dois dire, commenta Pélée en dégustant une coupe de vin coupé au miel.

— Oh oui ! dit Lycomède avec un large sourire. Une armée capable de repousser n’importe quelle invasion. Deux mille soldats bien entrainés.

— Qui manquent toutefois d’expérience, fit remarquer Pélée.

— Et qui vont sans tarder l’acquérir, sois en certain. Agamemnon de Mycènes projette de marcher contre Cotys de Thrace et je vais le rejoindre d’ici la fin du printemps.

Pélée garda le silence. Mycènes était la nouvelle puissance montante. Ses armées étaient nombreuses et Agamemnon rassemblait autour de lui plusieurs alliés, parfois sous la menace et parfois en nouant des alliances. Pélée avait une armée et n’avait pas peur de combattre, mais contre Mycènes et ses nombreux alliés, il perdrait à coup sûr. Même Télamon son propre frère avait donné sa fille à l’un des neveux d’Agamemnon. Pélée lui n’avait qu’un enfant, et ce dernier ne se trouvait pas à ses côtés. Il fit signe à Phénix, son général, ce dernier se pencha vers lui.

— Trouve le et ramène le moi ici en vitesse.

Le général Phénix obtempéra et se retira discrètement. Puis Pélée regarda le roi Lycomède. Il y avait davantage de fils d’argent dans le rouge de sa chevelure, mais il était toujours impressionnant.

— Avez-vous entendu dire qu’Agamemnon est à Milétos ? demanda Pélée.

— Non. Il est bien loin de chez lui.

— Il voyage beaucoup depuis deux ans. La Thrace, la Phrygie, la Carie, la Lykie… Il fait des cadeaux aux rois et tisse des alliances. Dit Pélée d’une voix sombre

— Pourquoi a-t-il besoin d’alliés de ce côté de la mer Egée ?

— Pourquoi en effet ? dit Lycomède. Je connaissais son père, Atrée. C’était un vrai dur – mais il y était contraint. Les peuples de l’Ouest étaient constamment en guerre les uns contre les autres, à son époque. Mais Agamemnon ? C’est un mystère ! La plupart des hommes loyaux envers son père ont été remplacés ou tués. Ceux qui l’entourent maintenant sont des sauvages. Saviez-vous qu’Agamemnon avait remis au goût du jour les sacrifices humains avant une bataille ?

— J’ai entendu cette rumeur, oui. Et c’est pour cela que je suis là. Je n’ai pas envie de courber l’échine devant Agamemnon, si il doit venir me parler ce sera entre et roi et roi.

— Mais vous n’avez pas d’armée. Fit remarquer Lycomède.

— J’ai mon fils.

— Aussi puissant soit-il. Il ne peut pas combattre les armées d’Agamemnon tout seul. Voici un conseil d’ami, bâtissez une armée capable de contrer n’importe quelle menace, et peut être Agamemnon réfléchira a deux avant de regarder la Thessalie.

— La mienne serait donc si faible ?

— Pas faible, et pas assez forte non plus. Fit Lycomède en buvant son vin. Vous devriez rappeler Chiron pour vous venir en aide.

— Chiron n’est… pas en pleine forme, dit Pélée tristement.

— J’en suis chagriné, j’aimais beaucoup cet homme.

— On l’aimait tous.

— Mais je ne vois pas votre fils ? fit remarquer Lycomède en levant un sourcil.

— Il va venir, j’ai envoyé Phénix le chercher, dit Pélée en masquant habillement son embarras.

 

*

— Encore, supplia Déidamie.

Achille fit un pas en arrière et contempla la jeune femme. À l’inverse de son visage et ses bras, très bronzés, sa poitrine et sa taille étaient blanches comme le marbre. D’un geste sûr, il lui caressa le sein, titillant le mamelon dressé.

Il la buvait littéralement des yeux. Elle avait les paupières closes et les joues rosies par le plaisir. Il se pencha vers elle et leurs lèvres s’effleurèrent ; aussitôt, elle entrouvrit la bouche et sa langue vint le provoquer. Sentant qu’il était incapable de se contenir davantage, il se s’éloigna d’elle.

— Non, gémit Déidamie en le serrant contre elle. Qu’est-ce que tu fais ?

Sans répondre, il se dégagea, s’agenouilla sur le lit et promena sa langue sur le ventre plat de la jeune femme. Elle tenta de s’asseoir lorsqu’il lui écarta doucement les jambes, mais il la repoussa sur le dos et plongea la tête entre ses cuisses. Son buisson était doux comme la fourrure d’un petit animal et il la caressa de nouveau de la langue. Elle se mit à gémir, doucement d’abord, puis de plus en plus fort. Enfin, elle fut prise d’un long spasme et elle jouit en se mordant le poing.

Baignés de sueur, ils restèrent longuement serrés l’un contre l’autre. Maintenant que la passion était retombée, la jeune fille sombra dans le sommeil et Achille contempla le plafond richement orné. Il y avait une peinture au plafond ; c’était une scène de chasse montrant des hommes avec des lances et des arcs, poursuivant un lion à crinière de feu. Quel genre d’homme pouvait bien faire représenter ce genre de scène au-dessus du lit marital ? se demanda-t-il.

Achille sourit. Le roi de Skyros devait avoir un ego démesuré, puisque quand il faisait l’amour avec sa femme, elle était forcée de regarder un groupe d’hommes tous plus beaux que son époux. Au moins sa fille unique était ardente et généreuse, quand il lui proposa de faire l’amour dans le lit de ses parents, elle ne s’est pas dérobée.

Il se mit sur le côté et regarda la fille endormie. Elle lui tournait le dos, un bras passé sous l’oreiller, les jambes en chien de fusil. Ses cheveux étaient roux, presque rouges sur l’oreiller blanc. Il ne pouvait pas voir son visage, mais il visualisait bien ses lèvres pulpeuses et son merveilleux long cou. La première fois qu’il l’avait vue, elle se tenait assise au côté de son père Lycomède. Le roi était entouré par des sous-fifres et des flagorneurs, et Déidamie avait l’air de s’ennuyer à mourir. Elle n’était pas à sa place.

Achille était resté immobile pendant que son père s’adressait a Lycomède, attendant que ses yeux viennent dans sa direction. Quand ils le firent, il lui adressa un sourire. Un de ses meilleurs – rapide et étincelant, qui signifiait : « Moi aussi, je m’ennuie. Je suis une âme sœur.»

Elle haussa un sourcil, indiquant son dégoût pour une telle impertinence, et se détourna. Il attendit, sachant qu’elle regarderait de nouveau vers lui. Après la cérémonie de bienvenu elle se rendit à un balcon proche pour contempler la baie de Samos.

Il se fraya un chemin jusqu’à elle. Elle leva les yeux, surprise de le voir si près.

— Bonjour, princesse Déidamie, dit-il. (Elle l’ignora.) Vous êtes très belle.

— Et vous êtes bien audacieux, prince Achille.

Sa voix avait un léger accent ronronnant du nord qu’il trouvait irritant d’habitude. Mais pas cette fois.

— La beauté exige de l’audace. Autant qu’être adorée.

— Vous êtes bien sûr de vous, dit-elle en se rapprochant pour le perturber.

Elle ne portait qu’une simple robe d’un bleu éclatant, et un châle de soie blanche. Mais c’est son parfum qui lui fit tourner les sens – un musc riche et parfumé qu’il reconnut : l’Ombre Gris, un produit d’importation qui coûtait cinq talents d’or les trente centilitres.

— Êtes-vous heureuse ? demanda-t-il.

— Quelle question ridicule ! Qui pourrait y répondre ?

— Quelqu’un d’heureux, répliqua-t-il.

Elle sourit.

— Et vous, prince, êtes-vous heureux ?

— À présent, je le suis.

— Je pense que vous êtes un séducteur professionnel, et qu’il n’y a pas une once de vérité dans vos propos.

— Alors soyez juge de mes actions, princesse. Et faisons semblant de ne pas nous connaître. Je me nomme Achille.

Il lui prit la main pour y déposer un baiser. Puis sa retira mais sentit le regard ardent de la jeune fille.

Un serviteur s’était présenté à lui deux jours plus tard.

Elle bougea dans son sommeil. Achille glissa sa main sous les draps de satin pour lui couvrir le sein. Comme elle ne réagissait pas, il continua à caresser sa peau, lui pinçant le téton jusqu’à ce qu’il durcisse. Elle gémit et s’étira.

— Tu ne dors donc jamais ? lui demanda-t-elle.

Il ne répondit pas.

Plus tard, alors que Déidamie s’était rendormie, il se colla contre elle. La passion s’était évaporée, il était d’humeur chagrine. C’était sans aucun doute la plus jolie femme avec laquelle il avait couché. Elle était vive, intelligente, dynamique et passionnée.

Pourtant, il s’ennuyait déjà…

Il se leva et quitta discrètement les appartements de Lycomède, puis retourna vers ses quartiers et trouva Phénix entrain de l’attendre.

— Je me demandais où tu étais, fit Phénix en le scrutant durement.

— Avec un ami, répliqua Achille en versant une coupe de vin. Tu en veux ?

— Non merci, tu devrais cesser de te comporter comme un chien en chaleur, mon garçon.

— Tu es venu me faire un sermon, Phénix ?

— Ai-je l’air d’un prêtre ? C’est ton père qui m’envoie et il se doute très bien de ce que tu faisais avec la fille de son ami, un roi très vindicatif.

Achille se mit à rire.

— Il ne me fait pas peur.

— Ce serait peut-être bon pour toi, d’apprendre la peur.

— Que veux-tu tu veux dire ?

— Tu sais ce que je veux dire, fit sérieusement Phénix. Tu as choisi de te faire un ennemi de l’un des hommes les plus puissants de la mer Egée. Et ses ennemis meurent, Achille. Par le poison, une lame, ou une corde autour du cou pendant le sommeil.

— Est-ce que toute le palais est au courant de mes affaires ?

— Évidemment. Il y a une centaine serviteurs dans ce palais. Tu espérais pouvoir garder une relation secrète alors que ses cris d’extase résonnent dans tout le bâtiment en plein milieu de l’après-midi, au petit matin ou au beau milieu de la nuit ?

— Ou les trois, fit Achille en souriant.

— Je ne trouve pas ça drôle, répondit sèchement Phénix. Tu n’es qu’un chien en rut, et tu risques de gâcher sa vie comme tu en as déjà gâché d’autres. Et pourtant, je préfère te savoir en vie que mort – les dieux seuls savent pourquoi !

— Je lui ai donné un peu de plaisir, c’est tout. Mais je vais quand même réfléchir à ton conseil.

— Ne réfléchis pas trop longtemps. Lycomède ne tardera pas à apprendre le… plaisir qu’a reçu sa fille. Ne sois pas étonné s’il la fait tuer également.

Cette fois Achille se tourna vers lui et Phénix trembla de tous ses membre. Devant lui se tenait le tueur tant redouté de tous. Certes il avait une beauté divine avec un visage glabre et des yeux bleus magnifique. Mais Phénix avait vue comment Achille tuait ses ennemis, sans aucune pitié ni aucun remords, à croire qu’un monstre se cachait derrière cette apparence juvénile.     

— S’il la touche, je le tuerai.

—Tu n’aurais jamais dû la courtiser. Tu n’as même pas l’excuse d’être amoureux ; tu voulais baiser, c’est tout.

— N’est-ce pas ça, l’amour ? contra Achille.

— Pour toi, sans doute. (Phénix secoua la tête.) Je ne crois pas que tu comprendras un jour, Achille. Aimer, c’est donner, pas recevoir. C’est partager son âme. Mais je perds mon temps à essayer de t’expliquer cela. Ton père te cherche

— Oh, par pitié, inutile d’épargner mes sentiments avec de jolis mots. Crache ce que tu as à me dire !

Phénix se leva.

— Le roi Rhésus de Corinthe va organiser des jeux et tous les princes et champions Grecs vont y participer, ton père a affrété un navire qui lèvera l’ancre dans deux jours. Fais profil bas jusque-là, et ne cherche pas à revoir Déidamie – pas si tu veux qu’elle vive.

Le général se dirigea vers la porte, mais Achille l’appela.  

— Tu n’as pas beaucoup d’estime pour moi, pas vrai ?

Phénix se retourna à moitié.

— Je t’estime plus que tu ne t’estimes toi-même.

— Je suis trop fatigué pour les charades.

— Tu n’arrives pas à oublier le siège de Thèbes.

Achille tressaillit, comme foudroyé, et se leva d’un bond.

— C’est du passé. Cela ne veut plus rien dire pour moi. Tu comprends ? Rien !

— Si tu le dis… Le navire se nomme la Fille de Déméter. On se voit dans douze jours.

— J’y serai. Ou pas.

— Un homme a toujours deux choix, mon ami.


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