Patrocle

Chapitre 20 : Amour et haine

2227 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 29/05/2023 20:23

Simisée exécuta une course de trois pas et lança le javelot de toutes ses forces. Elle suivit des yeux la trajectoire arrondie décrite par le projectile, dont le fer renvoyait les rayons du soleil. L’arme vint se ficher en terre à plus de douze pas au-delà du meilleur jet réussi par Dates. Elle leva le bras en signe de triomphe et son compagnon d’arme l’applaudit.

C’était maintenant au spartiate de lancer son javelot et Simisée se tourna vers lui. Dates secoua la tête et se saisit de son arme. Il prit sept pas d’élan, vérifia l’équilibre du javelot, puis courut et lança le projectile en grognant sous l’effort. Simisée s’autorisa un sourire au moment où la longue lance prenait son envol.

Le javelot de Dates retomba un peu trop tôt ; trois pas le séparaient encore de celui de Simisée. Le spartiate se tourna vers la jeune femme et s’inclina en souriant.

« Ton bras est fort, mais tu n’arques pas assez ton dos avant de lancer, lui dit-il. Tu dois pouvoir faire au moins huit pas de plus. Travaille ton mouvement.

— Je n’y manquerai pas, promit Simisée en regardant les alentours.

— Si tu cherches Patrocle, il est parti courir dans les bois.

— Comment fais-tu pour deviner mes pensées ? demanda Simisée irritée.

— Tes yeux, ma sœur d’arme, répondit Dates en lui faisant un clin d’œil. Tes yeux ne mentent pas, leur dureté disparaît comme par magie chaque fois que tu le regardes.

C’était une repartie dangereuse, mais Dates ne semblait pas s’en soucier. Simisée ne la considéra même pas comme un défi, mais simplement comme le point de vue direct d’un frère d’arme auquel elle accordait le droit de s’exprimer. Hésitante au début, elle décida d’ouvrir son cœur au spartiate.

— Il m’intrigue, Dates, dit-elle en soupirant. Je n’ai jamais eu de mal pour attirer un homme… ou une femme. Mais lui ? Je ne sais pas… je n’y arrive pas… je ne sais même pas comment l’atteindre.

Simisée baissa les yeux et Dates garda le silence.

— Tu te souviens de l’entraînement avec les épées en bois ? Les parades, les attaques, le placement des pieds, apprendre à garder l’équilibre ? demanda-t-il soudain.

— Bien sûr, répondit-elle surprise. Ma mère était exigeante.

— Et tu te souviens de ton premier combat réel, quand le sang a coulé et que la peur de la mort était dans l’air ?

— Oui.

— Les mouvements sont les mêmes, mais la différence est plus large que la mer Égée. L’amour est comme ça, Simisée. Tu peux passer du temps avec un amant ou une amante, t’amuser, rire et prendre beaucoup de plaisir. Mais quand l’amour frappe… La différence est est plus large que la Mer Egée. L’amour est comme ça, Simisée. Tu peux passer du temps avec un amant ou une amante, t’amuser, rire et prendre beaucoup de plaisir. Mais quand l’amour frappe… La différence est énorme. Tu trouveras plus de plaisir dans le contact d’une main ou dans un sourire de celui que tu aimes que dans mille nuits de passion avec quelqu’un d’autre. Le ciel sera plus bleu, le soleil plus éclatant. Tu ne vois en lui qu’un bon reproducteur en bonne amazone que tu es, mais Patrocle est avant tout un être humain qui respire et ressent comme toi et moi.

— Nous ne sommes pas toutes comme cela, protesta-t-elle vivement.

— Et Patrocle n’est pas comme tous les hommes que tu rencontres. Il attend juste l’amour. J’espère qu’il le trouvera.

— Je ne te comprends pas.

Il soupira.

— L’amour demande une sorte différente de bravoure, Simisée.

Elle sourit.

— Cette réponse ne me semble pas très claire.

Dates haussa les épaules.

— Il y a un acte qu’un guerrier espère n’avoir jamais à accomplir, mais qu’il doit se résigner à faire s’il veut trouver l’amour.

— Encore une énigme, et je ne suis pas douée pour les résoudre, dit-elle.

— Peu de gens le sont. Les guerriers craignent avant tout de devoir capituler. Ils sont fiers et hardis. Ils se battront jusqu’à la mort pour les choses auxquelles ils croient. Ils luttent pour conquérir. Mais l’amour n’a rien à voir avec la conquête. Un homme ne peut le trouver que s’il accepte de se soumettre à lui. En ouvrant son cœur et son âme à sa partenaire, et en disant : « Voici mon amour ! L’essence de mon être. Il est à toi. Tu peux le nourrir, ou le détruire. »

Simisée regarda le spartiate dans les yeux, et éprouva une grande tendresse pour lui.

— Maintenant, je comprends pourquoi ta femme t’aime.

Il rougit.

— Ne le dis à personne, je suis un spartiate, et j’ai une réputation à préserver.

— Pour ma part, Dates ! Reprit-t-elle d’une voix sérieuse. Je ne pourrais jamais être une femme Grec. Je suis une amazone, et nous sommes des guerrières, pour nous les hommes sont destinés à nous servir, jamais nous pourrions un jour les traiter en égaux. Et il est vrai que j’éprouve des sentiments pour Patrocle, mais je refuse de mendier son amour, soit il me voit et m’accepte comme je suis, soit il ne le fait pas.

Dates poussa un soupir et secoua la tête désolé. C’était ce qu’il craignait, comment faire comprendre à cette femme entêtée que l’amour c’est aussi se soumettre, et qu’il n’y avait aucun déshonneur à le faire.

 

*

La forêt était bordée de chênes au nord et à l’ouest. À l’est se dressait un temple aux colonnes immenses, consacré à Artémis la Pure, déesse de la chasse. Alors que Patrocle assouplissait les muscles de ses cuisses avant de commencer à courir, il laissa son regard errer jusqu’au temple de la déesse. Sa bienfaitrice, son ange gardien qui veillait sur lui pour une raison qu’il ignorait. Il avait demandé la célébrité, et en quelque sorte il l’avait obtenu. Toute le monde connaissait le hoplite sanglant de Qadesh, le bras droit de Ramsès, le général mercenaire qui avait conquis la Lybie et pacifier la Nubie au nom du pharaon. Aujourd’hui sa mère réclamait son aide pour découvrir ce qu’Agamemnon manigançait. Et lui contre toute attente il avait accepté.

Il inspira profondément et se mit à courir, puis partit d’une foulée souple et en profita pour examiner la forêt et les environs, sa patrie était d’une beauté digne d’élision, contre toute attente il se sentait bien, comme si une main divine avait dissipé ses craintes et ses angoisses, et il continua donc de s’exercer une bonne heure durant, alternant courses rapides et courses d’endurance. Enfin, il s’arrêta et marcha tout en inspirant et expirant. Et c’est alors qu’un un chant l’arrêta :

Coure, et coure au loin,

Toi le lion autant craint qu’aimé,

Regarde, les poussières, dans le repaire de la nuit,

Et que l’air tremble de ton cri,

Amère existence, fais en sorte qu’il vive en paix quelque part à l’abri,

La voix d’une jeune fille lui parvenait, limpide comme de l’eau et douce comme une caresse. Mais d’où venait-elle ? Patrocle regarda autour de lui et ne voyait personne. Un buisson couvert de jasmins fleuris entourait un petit bois de pommiers et d’oliviers dont il apercevait les plus hautes branches. La voix venait de là.

Patrocle s’approcha et écarta les buissons. Il vit une jeune fille vêtue d’une tunique blanche, attachée haut à la taille par une ceinture, avec des manches courtes et un décolleté qui révélait des épaules parfaites presque musclées. Derrière sa tunique il voyait nettement la forme de ses seins et le tracé de ses mamelons. Ses jambes étaient lisses et bronzées, sa taille fine et ses hanches voluptueuses. Elle cueillait des pommes, remarquant sa présence, elle s’arrêta et vint vers lui sans aucune crainte.

— Qui es-tu ? demanda-telle en s’approchant. Et qu’est-ce que tu fais à moitié nue dans les bois ? Tu espérais trouver une nymphe ?

Pris en faute, ainsi confronté à deux grands yeux gris et un visage d’une beauté incomparable, il n’avait pas tardé à se rendre compte qu’il rougissait.

— Je… je cours, balbutia-t-il.

— Je le vois bien. Par ta carrure tu sembles un guerrier, un soldat peut-être ? Tu fais partis de la garde de la cité ?

Patrocle pencha la tête de côté et l’observa, puis répondit cette fois d’une voix très calme.

— Non je suis Misthios, et je ne suis pas d’ici. Mais toi par ton accent tu n’es surement pas de la Locride.

— Observateur et menteur à la fois. Dit-elle avec un sourire étincelant. Tu as raison je ne suis pas d’ici, mais toi par ton accent tu es bien originaire de la Locride.

Elle avait passé la main dans ses cheveux blonds aux reflets roux. Patrocle avait eu l’impression que les rayons du soleil venaient se perdre dans ses boucles qui scintillaient telles des pierres précieuses.

— Tu as bien deviné, dit-il en souriant à son tour. Je m’appelle Patrocle !

À cet instant précis, la tranquille et agréable jeune fille avait disparu, pour faire place à un être au regard dur comme l’acier. A tel point que Patrocle recula instinctivement sur ses gardes. Puis, aussi rapidement qu’il était parti, le masque de la jeune fille reprit sa place.

— Le Hoplite Sanglant, dit-elle d’une voix malicieuse. Le héros de Qadesh, le conquérant des marécages de Nubie, pour une surprise ! Je te voyais… plus grand.

— Serais-tu déçu ?

— Peut-être un peu… dit-elle en faisant la moue. Tu vas représenter la Locride aux jeux de Corinthe ? Comment ça va se passer ? On tirera au hasard le nom des duellistes ?

— Je ne sais pas, mais si le prix de la victoire c’est de te revoir, eh bien…

Il ne finit pas sa phrase.

— Si tu ne te fais pas tuer avant. Tu sais comme il est gros, Ajax de Télamon ? Gigantesque. Une montagne qui marche. Et son cousin Achille ? Une foudre. Il te coupe en deux avant même que tu n’aies pu mettre la main à l’épée.

— J’essayerai d’être plus fort et plus rapide dans ce cas, dit Patrocle en souriant. Mais je ne connais toujours pas ton nom ?

Elle avait un regard étrange, une expression indéchiffrable. Et Patrocle était de plus en plus troublé par son attitude, il se souvenait de Néfertari l’épouse de Ramsès, elle avait comme cette fille une aura impressionnante et Patrocle se sentait plus petit qu’il n’était.

— Je m’appelle Sthéléné, murmura-t-elle d’une voix douce. Je te souhaite bonne chance Patrocle fils de Ménétios.

— Faut-il déjà que vous partiez ? Je… j’apprécie notre conversation, dit-il maladroitement.

— Oui, je dois m’en aller.

Il tendit la main vers elle. Elle hésita un instant puis lui frôla les doigts. Le rythme cardiaque de Patrocle s’accéléra. Portant la main gracieuse à ses lèvres, il la baisa et la libéra à contrecœur.

Elle s’en fut sans un mot et Patrocle se laissa lourdement retomber, stupéfait de l’effet qu’elle avait eu sur lui. La jeune fille avait disparu derrière la colline.

Il courut jusqu’au sommet pour l’apercevoir une dernière fois. Elle marchait en direction des bois et, quand les rayons du soleil la baignèrent de leur clarté, il eut une nouvelle fois l’impression qu’elle avait les cheveux blonds.

La fille mystérieuse continua de marcher, puis aperçut un homme qui l’attendait avec deux chevaux. Ce dernier se secoua la tête d’un air désolé et la regarda déposer son panier par terre. Sans faire attention à son compagnon, elle se débarrassa de sa robe et enfila rapidement une bure noire. Phénix poussa un soupire et lui demanda d’une voix triste.

— Sera-t-il le prochain sur ta liste ?

Quand Sthéléné se tourna vers lui, ses cheveux blonds étaient attachés en fine queue de cheval, et son visage avait changé par une magie divine. Transformant la femme en un être cruel sans merci.

— Il est déjà sur ma liste, répondit Achille fils de Pélée.

Phénix ferma les yeux en proie à une tristesse inexpliquée. Achille sauta sur son cheval et fonça sans regarder en arrière, le combat allait être sanglant et Sthéléné n’aura aucune pitié. Achille tuera Patrocle.

  


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