Patrocle

Chapitre 28 : Le Pacte des Héros

3076 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 28/11/2023 18:24

Après la fête, Patrocle et Pélée se promenaient dans les jardins du palais. La proposition des rois était à la fois alléchant et captivante, mais il demanda un délai pour réfléchir, et Pélée l’invita pour visiter avec lui les jardins royaux de Créon, ce dernier loua Patrocle pour sa victoire et lui offrit même une place d’officier supérieur au sein de son armée.

Pélée, quant à lui, demeura silencieux un moment. En réalité, il avait scruté Patrocle avec attention, découvrant un homme d'une sérénité profonde, préférant écouter plutôt que de parler. Patrocle ne possédait pas la ruse subtile d'Ulysse, mais il percevait intuitivement lorsqu'on tentait de le manipuler. Il ne possédait pas non plus la sagesse pondérée de Nestor, mais sa voix était écoutée avec respect, et ses paroles portaient un poids particulier.

Patrocle de son côté marchait en se tenant toujours le côté, grimaçant de douleur, mais l’air frais du soir lui fit du bien. Le roi lui fit signe de s’asseoir sur un banc. Patrocle lui sourit avec reconnaissance.

— Mon fils se montre impitoyable avec ses adversaires, déclara Pélée en prenant place à ses côtés. Et rares sont ceux qui survivent face à ses poings ou à son épée.

— Je veux bien vous croire, vous pouvez être fier de lui, majesté. C’est un guerrier que je n’aimerais pas affronter de nouveau.

Pélée éclata de rire.

— Tu l’as impressionné toi aussi, et je dois dire que tu as ébranlé ses convictions. J’avoue que c’est la meilleure chose qui pouvait lui arriver. Achille n’est pas un mauvais garçon, mais il se laisse beaucoup gouverner par ses émotions, et sa mère… ne l’a pas aidé non plus… ni moi d’ailleurs.

Patrocle le regarda avec gravité. Ainsi, Achille possède une mère aussi redoutable que la sienne ?

— Thétis est une déesse, un être divin qui souhaite voir Achille devenir l’égal d’Héraclès. Cependant, elle oublie que la gloire s’accompagne toujours d’une tragédie terrible, et j’en sais quelque chose. Achille a grandi avec cette idée, chaque fois qu’il voit quelqu’un accomplir un exploit, il fait tout pour le dépasser ou le défier en duel.

Pélée soupira et poursuivit :

 

— Il grandit dans l'ombre des exploits des autres. Chaque acte héroïque le pousse à s'élever encore plus haut, à chercher la reconnaissance divine. C'est une quête sans fin, un fardeau qu'il porte depuis son enfance. Thétis le voulait invincible, mais la vraie force réside aussi dans la compréhension de nos propres limites.

Il jeta un coup d'œil à Patrocle.

— Ton combat a remué quelque chose en lui. Il voit en toi un égal, quelqu'un qui ne recule pas devant la difficulté. Cela le déstabilise, mais c'est peut-être ce dont il a besoin. Un rappel que la vraie grandeur ne réside pas seulement dans la puissance brute, mais dans la compréhension de soi et des autres.

Patrocle secoua la tête et déclara tristement.

— Je ne fais que me rebeller contre la réalité, c’est pour moi une ennemie, il m’arrive parfois de prendre le dessus, mais j’ai reçois des coups terribles, comme mon combat contre Achille. Il se pourrait même que les dieux me punissent pour mon audace.

Pélée posa une main amicale sur l'épaule de Patrocle.

— Les dieux peuvent être cruels, mais ils peuvent aussi être témoins des actes héroïques. Achille peut sembler indomptable, mais même lui à ses faiblesses. J'ai vu quelque chose dans vos yeux, Patrocle, quelque chose qui va au-delà de la simple rébellion. C'est une force intérieure, une volonté de défier non seulement les dieux mais aussi les démons qui hantent votre propre esprit.

Patrocle leva les yeux vers Pélée, cherchant des réponses dans son regard sage.

— La vie est pleine de tragédies et de triomphes, Patrocle. Parfois, il faut faire face à la réalité, mais d'autres fois, il faut la défier. Vous avez le choix, même si cela signifie vous rebeller contre les dieux eux-mêmes. La vie est ce que vous en faites.

Patrocle baissa les yeux mais sentit un poids se détacher de ses épaules.

— Merci, votre majesté.

— Pour ce qui est de la proposition des rois, j’ai une autre à te faire, et je serais heureux que tu acceptes.

— Je vous écoute.

— Crois le ou non, mais j’aurais aimé avoir un second fils qui te ressemble. Achille a grandi seul et il a besoin de quelqu’un pour le guider. Et moi je pense que tu es cette personne.

Patrocle leva le regard vers Pélée, les yeux écarquillés par la proposition inattendue.

— Moi ? Un guide pour Achille ?

Pélée acquiesça.

— J'ai observé comment vous avez influencé mon fils aujourd'hui, comment vous avez touché quelque chose de profond en lui. Achille peut être un guerrier féroce, mais il a besoin de quelqu'un pour lui montrer d'autres facettes de la vie, quelqu'un qui puisse l'apaiser, le comprendre, et, si nécessaire, le guider sur le chemin de la sagesse.

Patrocle ferma les yeux un moment, absorbant les paroles de Pélée.

— Je ne sais même pas comment l’approcher, il m’en veut toujours c’est certains, comment voulez-vous que je guide quelqu’un comme lui ?

— Avant de répondre à cette question, je dois savoir si vous êtes d’accord avec la proposition des rois.

— J’y réfléchis encore, mais en quoi cela à avoir avec cela ?

— Qui dirigera cette troupe d’élite d’après vous ?

Patrocle ouvrit grand les yeux et regarda le souverain.

— Vous voulez que ce soit Achille qui commande cette armée ?

— Et vous allez tous les deux la façonner, qu’en dites-vous ?  

Patrocle réfléchit un instant, se perdant dans ses pensées. L'idée de travailler aux côtés d'Achille pour former une troupe d'élite semblait à la fois stimulante et complexe. Puis, il se souvint de la fureur avec laquelle Achille l'avait attaqué sur le champ de bataille, de la brutalité de chaque coup, et il hésita.

— Je ne suis pas certain qu'Achille acceptera cela. Notre relation a été... tendue, pour le dire doucement.

Pélée posa une main rassurante sur l'épaule de Patrocle.

— Les relations prennent du temps pour évoluer, surtout celles entre deux personnalités aussi fortes. Si vous avez touché quelque chose en lui aujourd'hui, alors il y a de l'espoir.

Patrocle soupira, sentant le poids de la responsabilité et de la décision.

— Je suppose que c'est une proposition que je dois peser sérieusement.

— Prenez votre temps, Patrocle. Je ne vous demande pas de donner une réponse immédiate. Réfléchissez à ce que vous voulez, à ce que vous pouvez apporter à Achille et à cette armée. Mais n'oubliez pas que vous n'êtes pas seul dans tout cela. Si vous décidez de prendre ce chemin, je serai là pour vous soutenir.

Patrocle hocha la tête puis déclara d’une voix puissante.

— Je n’accepterai que si Achille est d’accord. Je ne veux pas qu’on lui impose quoi que ce soit, s’il doit commander une armée il doit le faire par choix, et s’il accepte aussi que je le seconde ce sera sur son choix aussi.

Le regard de Pélée se durcit légèrement, traduisant une certaine méfiance.

— Tu es prudent, Patrocle, peut-être même trop prudent. Achille est un homme complexe, et sa colère peut être aussi impitoyable que son épée. Ne te laisse pas emporter par une loyauté qui pourrait te coûter cher. Je ne te demande pas d'ignorer tes principes, mais sois conscient des risques. Réfléchis bien avant de t'engager dans cette voie.

— C’est tout réfléchi, majesté. Si Achille doit un jour diriger, qu’il prenne sa première décision tout seul, moi en tant que général mercenaire je dois d’abord savoir vers qui je dois jurer mon épée. Ceci dit, permettez-moi de prendre congé.   

Patrocle salua respectueusement le roi Pélée et se retira, laissant ce dernier perdu dans ses pensées. Le souverain demeura assis dans les jardins royaux, contemplant les étoiles éclairant le ciel nocturne. Le murmure de la fontaine voisine ajoutait une ambiance paisible à cet endroit serein.

Les paroles de Patrocle résonnaient encore dans l'air. Pélée ne pouvait s'empêcher de réfléchir à la complexité de son fils. Achille, le guerrier féroce, avait besoin de plus que des batailles et des victoires pour trouver son équilibre. Patrocle avait touché une corde sensible en évoquant la nécessité pour Achille de prendre ses propres décisions.

Les émotions se mêlaient dans le cœur de Pélée. L'amour pour son fils, la culpabilité pour son rôle dans son éducation, et la crainte de le voir succomber à des chemins sombres. Le roi savait qu'il devait faire des choix difficiles pour l'avenir d'Achille, mais la voie à suivre restait encore incertaine.

Assis sous le ciel étoilé, Pélée se perdit dans ses pensées, méditant sur le destin d'Achille et sur le rôle crucial que Patrocle pourrait jouer dans son évolution.

 

*

Quand Patrocle se réveilla, l’aube pointait et des nuages de pluie se rassemblaient au sud. Il avait choisis de dormir à la plage, loin du palais et de ses intrigues. Il resta un moment allongé sur le sable, Pour la première fois depuis des jours, ses rêves avaient été paisibles, et il n’avait pas non plus été réveillé par la douleur de ses blessures. Il s’assit avec précaution. La douleur avait diminué, et il sentit que son corps avait commencé à guérir. Le soleil levant brillait sur la baie de Déméter et baignait les collines d’une douce lueur dorée.

Il se leva, enleva sa tunique, gagna la mer et plongea. Il nageait avec aisance et alla presque à la limite de la baie. Puis il fit demi-tour et revint vers la plage. Mais il ignorait que des hommes l’observaient. Leur chef, un grand Arcadien du nom de Lagos, était venu a Corinthe pour participer aux jeux, mais il avait perdu contre le prince Diomède d’Argos, qui avait perdu contre l’homme qui se baignait a la plage. Il le regarda sortir de l’eau et l’un des amis de Lagos déclara surpris.

— Je le voyais bien plus effrayant, dit-il. C’est curieux. Il ressemble seulement à un robuste et amical marin. Même le prince Diomède est plus impressionnant. Et plus baraqué que lui.

Lagos ne répondit pas, il fit signe a ses comparses de le suivre. Patrocle avait passé un pagne en lin et se séchait, torse nu. Et ne vit même pas le groupe approcher, leur expression était fermée et dure, et ils étaient groupés comme s’ils partaient à la chasse et non pour une promenade le long de la plage.

Lagos à la barbe rousse s’arrêta devant Patrocle, les mains sur les hanches, et dévisagea le jeune homme. Patrocle continua à sécher sa chevelure noire, ignorant l’Arcadien. Le géant rougit. Puis il parla d’une voix dure.

— Ainsi, tu es le champion Patrocle c’est cela ?

— Oui, dit Patrocle, jetant la serviette sur ses épaules.

— Tant mieux. Maintenant que je t’ai vu, je sais que je pourrais te défoncer le crâne.

— Tant mieux pour toi aussi, alors, dit doucement Patrocle.

L’Arcadien plissa les paupières.

— Je suis Lagos.

— Très bien, dit Patrocle d’un ton las. Maintenant, sois un bon garçon, Lagos, et va-t’en. Tu as impressionné tes amis, et tu m’as dit ton nom.

— Je partirai quand je le déciderai. J’ai bien envie de mettre ta légende à l’épreuve, petit gars.

— Ce ne serait pas avisé, dit Patrocle. Sur cette plage, il n’y a rien à gagner, ni or ni vivats.

Lagos se tourna vers ses camarades.

— Vous voyez ? Il a peur de m’affronter.

Quand Patrocle parla, il n’y avait aucune colère dans sa voix, mais ses paroles furent entendues de tous.

— Tu es un homme stupide, Lagos, un benêt et un moulin à paroles. Il te reste désormais deux solutions : partir d’ici sur tes pieds, ou être emporté par tes amis.

Pendant un instant, le calme régna, puis l’Arcadien se jeta sur Patrocle. Le jeune se porta à sa rencontre, baissa une épaule et lança un puissant crochet du droit à la mâchoire de Lagos. Il y eut un craquement de mauvais augure, et Lagos tomba en criant. Il se remit maladroitement sur pied, et fut accueilli par un direct du gauche qui lui éclata les lèvres contre les dents, puis un uppercut qui lui écrasa le nez et le projeta, inconscient, sur le sable.

Les hommes se rassemblèrent autour du champion évanoui, mais Patrocle était déjà en train de s’éloigner.

— Il a la mâchoire fracturée, dit quelqu’un.

Patrocle ne se retourna pas. La confrontation sur la plage avait été aussi brève que percutante, mais elle avait eu le mérite de clarifier les choses. Malgré la victoire qu'Achille lui avait laissée lors des jeux, il n'était pas prêt à laisser Lagos, l'Arcadien imbu de lui-même, sous-estimer sa force. Une pointe de douleur persistait sur son côté, une séquelle de son récent combat avec Achille. Il s'arrêta brièvement, reprenant son souffle et cherchant à apaiser la sensation désagréable qui perçait à travers chaque mouvement. Les regards des passants dans la rue semblaient être une mosaïque de curiosité et de respect mêlés.

Au croisement d’une ruelle, il passa devant une grande silhouette qui était adossée à l’ombre et semblait l’observer.

— Tu sais ? dit une voix qui arrêta Patrocle brusquement. À ta place, je n'aurais pas essayé de persuader ce type de ne pas se battre. À l’instant où cet abruti serait arrivé devant moi, je l’aurais détruit et l’aurais laissé mort sur le sable.

Se retournant lentement, Patrocle vit Achille, tout sourire, adossé contre le mur, en train de croquer une pomme. Il portait une bure bleue foncée, sa chevelure attachée en tresse qui tombait sur son dos.

— Tuer n’arrange personne, répliqua froidement Patrocle. Tu es venu te venger de moi ?

Achille se mit à rire.

— Me venger ? De quoi ? Tu ne m’as rien pris. Tu ne m’as pas battu – et tu n’aurais pas pu y arriver.

— Pourquoi tu m’as donné la couronne de lauriers dans ce cas ?

Achille abandonna son sourire, le visage devenu grave.

— Ça ! Ça me regarde, et puis je ne suis pas venu ici pour me battre, mais pour parler, et tu devrais en profiter car c’est rare que je parle.

— Parler de quoi ? dit Patrocle surpris.

— Mon père m’a informé de ta… condition, et je dois dire que ça m’a amusé. C’est même la première fois qu’on me demande mon avis, généralement on me dit toujours ou cogner ou tuer… mais toi ? Tu dis à mon père que c’est à moi de choisir si je décide de commander les soldats que tu vas former, c’est bien cela ?

— Et je devine que tu vas refuser, N’est-ce pas ?

Achille croqua encore sur sa pomme, regardant au loin. Au bout d’un moment, Patrocle vit ses yeux se rétrécir.

— On dit que tu sais commander une armée, n’est-ce pas ? demanda Achille gravement.

— Oui, répondit Patrocle.

Achille le détailla puis poussa un soupir, détournant les yeux. Il posa une autre question qui étonna Patrocle :

— Est-ce que tu as mal ?

— Il me faudra du temps, mais j’irai bien, répondit Patrocle.

— Tant mieux, dit-il à voix basse, comme s'il craignait qu’on l’entende. Comment se fait-il que tu gagnes souvent tes batailles ? ajouta-t-il comme pour détourner la conversation.

Patrocle désigna une maison devant eux.

— Tu sais pourquoi cette bâtisse est solide ? Parce que les fondations sont profondes, et il le faut bien, en raison des tremblements de terre qui frappent parfois la région. La beauté d’un bâtiment importe peu. Si ses fondations ne sont pas stables, il finira par s’effondrer.

Achille opina du chef sans le quitter du regard.

— Et il en va de même des armées. As-tu affronté les Thraces ?

— Oui. Et ce fut une belle victoire, j’ai lutté comme un lion… non, comme dix, répondit Achille en souriant de toutes ses dents.

— Comme dix ! Vraiment ? dit Patrocle avec ironie.

— Plutôt vingt, répondit Achille, mais je suis d’un naturel modeste.

— Je sais que tu as traversé la phalange adverse pour aller abattre le chef ennemi, et que ton père semait la débandade chez les archers et les lanceurs de javelots Thraces en chargeant leur centre.

Achille, sans quitter son sourire, le regarda plus amusé que jamais.

— Intéressant, tu essaies de me dire que c’est la victoire de mon père ?

— Elle est tienne aussi, même si le roi Pélée a su comment utiliser tes talents guerriers à bon escient.

Achille jeta la pomme et réfléchit un moment.

— Pourrais-tu me montrer comment mener une troupe au combat ? demande Achille avec un léger tremblement.

— À condition que tu me montres comment combattre comme vingt lions, répondit Patrocle en souriant.

Achille éclata de rire et lui flanqua une tape sur le dos.

— Par les dieux c’est d’accord, viens ! Allons manger, et tu me raconteras comment tu as conquis les marécages de Nubie.

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