Et si les Moires s'ennuyaient ?

Chapitre 1 : Et si les Moires s'ennuyaient ?

Chapitre final

3563 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 01/12/2023 15:01

Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions.fr : Le fil du destin (septembre à octobre 2023)




Et si les Moires s’ennuyaient ?




Les trois Moires, Κλωθώ (Clotho), Λάχεσις (Lachésis) et Ἄτροπος (Atropos), plus connues, à tort, sous le nom de Parques, filaient les destins des hommes et des dieux depuis des millénaires dans leur château isolé de tous. Loin des dieux et des hommes, loin des guerres et des combats, loin des villes et des villages, loin des tumultes et des rumeurs, loin de tous êtres vivants, à quelque part au milieu de l’Antarctique, le seul bruit qui résonnait dans le salon était celui de la navette qui créait les destins et des ciseaux métalliques qui coupaient les fils des vies mortelles à droite et à gauche en un geste automatique. Cet immense salon, fait de bronze, ployait sous le poids des tapisseries les plus bariolées des vies humaines et immortelles, formant un immense, complexe et harmonieux bijou au regard des trois habitantes immortelles; non seulement une merveille à rendre envieux les meilleurs bijoutiers, mais aussi une source de contentement et d’orgueil pour les fileuses.


Des fils aussi divers que l’or, l’argent, l’émeraude, le rubis, le topaze des immortels auxquels des fils beiges, blancs, noirs, rouges, verts, bleus et gris des mortels se mêlaient de temps en temps, étaient éblouissants sous la lumière artificielle. Des tapisseries tellement différentes que l’immense salon qui pouvait accueillir un géant de deux mètres en occupait chaque millimètre de la salle jusqu’à son sommet, voire que les Moires étouffaient sous le poids. La pièce semblait petite avec tous les imposants tapis qui feraient pâlir de jalousie les meilleures tisserandes du monde disposés en désordre les uns sur les autres. Toutes les nuances de toutes les couleurs imaginables sur les innombrables œuvres d’art chatoyaient de mille couleurs.


Clotho, vêtue d’une longue robe bleue richement décorée de pierres précieuses, tenant son fuseau à la main, les cheveux bruns relevés en une tresse, le regard noir brillant d’une lueur mystérieuse, murmura à ses sœurs :

— Lachésis et Atropos, je ne sais pas pour vous, mais je me demande à quoi peut bien servir toutes nos tapisseries des vies humaines si elles ne font qu’accumuler de la poussière après autant de millénaires. Et, comme par hasard, gémit-elle, c’est à moi qu’incombe cette tâche ingrate de les dépoussiérer ! Au lieu de m’énerver, je pourrai vendre ces tapis aux mortels… Imaginez la publicité qu’on peut faire. 

Elle prit une inspiration et agita théâtralement ses mains, déposant son fuseau sur la table.

— Oyez oyez, bonne gens ! Ici les tapis filés de la vie de célèbres héros, Achille, Ulysse, Ajax, Patrocle, mais aussi, par là-bas, les tapis de la vie d’Homère, d’Hésiode, de Theucydide, d’Hérodote, d’Agamemnon, d’Œdipe, de Ptolémée, d’Anaximandre, de Pythagore, d’Euclide, d’Alexandre le Grand, de Napoléon, de Louis XIV, de Jules César, de Cyrus le Grand, d’Adolf Hitler, de François Ier, de Joseph Staline, d’Emmanuel Kant, de Tito, de Jean de la Fontaine, de Pierre de Ronsard, de Baudelaire, de Catherine la Grande, d’Arthur Rimbaud, l’Ivan le Terrible, de Jean-Paul Sartre, de Philippe Pétain et de tant d’autres individus. Qu’en pensez-vous ? Nous aurons un succès incroyable, tout le monde voudra nos merveilles, non ?

Lachésis, vêtue d’une robe blanche scintillante, les cheveux ramassés en un chignon, soupira et continua à filer; Atropos, la plus petite des Moires, vêtue d’une robe vert émeraude et les cheveux libres en cascade sur ses épaules, se racla la gorge, cessa de manier ses ciseaux bien aiguisés et commenta ironiquement :

— Je ne veux pas paraître inflexible et rabat-joie de ton bonheur, ma sœur, mais je ne pense pas que l’idée soit géniale.

Clotho geignit :

— Atropos, pourquoi dois-tu être pire que l’espèce de reptile qui porte ton nom … Le Bitis atropos ?

— Je ne suis pas méchante, je suis réaliste ! s’offusqua-t-elle.

Lachésis, déposant sa navette et son schème de tissage d’un motif complexe, grommela d’exaspération de l’enfantillage de ses sœurs et leur hurla, courroucée :

— Vous deux, pouvez-vous vous taire un peu ! J’ai presque raté le joli motif ! Vous n’imaginez pas la répercussion qu’il peut y avoir sur la vie de cet homme ! Écervelées !

Clotho et Atropos s’entr’observaient, étonnées de la réaction de Lachésis, se turent pendant quelques minutes.


Ce temps semblait une éternité à Clotho qui réfléchissait au prochain appel téléphonique aux Nornes, leur équivalent nordique qui vivaient au pied de l’Arbre de Vie, ou aux Parques, leur équivalent romain. Une fois que Lachésis termina le motif, Clotho reprit la parole et suggéra à ses sœurs :

— Si on commence par un concours avec nos homologues scandinaves et romaines, nous sommes certaines de gagner. Ne faut-il pas oublier que les meilleures fileuses viennent de notre pays, le pays des Dieux, la Grèce ? Vous rappelez-vous tous d’Arachné et d’Athéna ?

Les deux autres approuvèrent d’un geste de la tête.

— Ne me fait pas rire, n’oublie pas que nous ne sommes pas les seules à savoir filer, les Germaines et les Latines aussi savent comment faire. Ne sous-estime pas les Barbares, commenta amèrement Atropos.

— Précisons, ajouta ironiquement Lachésis en continuant à filer, que ces barbares sont aussi des goyim*.

— Je ne savais pas que nous sommes juives, s’étonna Clotho, lâchant de peu son fuseau.

— Non, répliqua Atropos, nous sommes chrétiennes depuis les premiers siècles après Jésus-Christ ! Mais il est exact que les Scandinaves avec leurs runes divinatoires et les Romains avec leurs augures sont loin d’être les plus rationnels et raisonnables. Ils ne sont certainement pas éclairés par la science divine, contrairement à nous, les Grecs. Nous sommes les plus influents au monde : tout le monde mentionne nos philosophes, nos mathématiciens, nos historiens, nous sommes les pionniers en presque tous les domaines… sauf pour l’électricité, malheureusement !

— Atropos patriote ! s’exclama Clotho. Je dois rêver ! … Depuis quand il t’importe que les Grecs soient premiers en tous les domaines, je te pensais plus neutre. Laissons la blague de côté, mais sérieusement, on peut appeler les Nornes et les Parques pour un concours de filage et de tapisserie et on demande à un mortel, Fiodor Pavlovich, habitant de Russie, à Kaliningrad, d’évaluer laquelle d’entre nous est la meilleure. En Russe, il n’aura aucune préférence nationale, il peut être notre juge, mieux que Pâris. Seule sa connaissance a priori lui permettra de conclure la plus belle tapisserie.

— Au non ! Clotho, ne commence pas avec ta terminologie kantienne ! se lamenta Atropos.

— Atropos, tais-toi ! s’offusqua Clotho. Tu crois que tu es meilleure avec ta terminologie schopenhauérienne de représentation et de monde comme volonté. Tu ne fais que nous déprimer avec ce philosophe !

Lachésis ne pouvait pas croire les disputes si peu sérieuses de ses sœurs autour des philosophes tous défunts depuis longtemps et leur hurla, pour les faire taire :

— Clotho et Atropos, si vous ne cessez pas de vous disputer les dix prochaines minutes, vous n’aurez pas le droit à mes madeleines, ni d’appeler nos homologues des autres mythologies pour le concours.


Lachésis, depuis un voyage en France, connaissait la recette secrète des madeleines. Ces dernières étaient l’unique dessert quotidien des trois sœurs depuis cinq siècles. L’aînée et la benjamine ne soufflèrent mot pendant trois heures, prenant la menace au sérieux.


Trois heures plus tard, Clotho demanda d’une petite voix à peine audible :

— Mais, participerons-nous à ce concours, non ?

— Mais oui ! commenta Atropos sur un ton cinglant. On ne restera pas les bras croisés et attendre que le ciel nous tombe sur la tête… On n’est pas des Gaulois ! Tu as trop lu Astérix depuis ton voyage en France en l’an 2000.

— Vous pouvez appeler nos concurrentes, ordonna Lachésis. J’ai trouvé une machine de tricotage, un tricotin intelligent, pour faire avancer mon tissage. Je l’ai mis en mode automatique.

— C’est comme les voitures, les avions et les bateaux, commenta narquoisement Atropos. Tous sont en mode automatique… Lachésis devient paresseuse.

Clotho se précipita sur le téléphone, faisant tourner les numéros, pour appeler les Parques. Elle tomba sur leur boîte vocale qui disait :

— Nona, Decima et Morta ne sont pas disponibles pour l’instant, veuillez laisser votre message après l’enregistrement sonore. Mamma mia uno… 

— Bonjour, c’est la Grecque Clotho qui vous appelle de l’Antarctique. Vous êtes invitées à un concours de filage et de création de tapisserie avec les Nornes et nous-mêmes, les Moires, et le juge sera un Russe. Donc aucun favoritisme national. Veuillez confirmer votre présence au concours si vous êtes intéressées. À la prochaine.

Mamma mia duo… Enregistrement en cours… Au revoir.

Clotho raccrocha le téléphone et appela les Nornes. Skuld répondit à l’appareil :

— Bonjour, ici au pied du Yggdrasil, vous avez Skuld à l’appareil, que puis-je faire pour vous ?

— Je suis la Grecque Clotho…

— Je le sais, la coupa abruptement la Scandinave. Avez-vous oublié que je sais le futur ?

— Eh ! Je l’ai oublié, effectivement ! Mais revenons à ce que je voulais vous dire… Vous êtes invitées à un concours de filage et de création artisanale de tapisserie chez nous, en Antarctique…

— Je le sais, commenta-t-elle, énervée. Et nous acceptons.

— Excellent ! Il ne manque que la confirmation des Romaines. À la semaine prochaine.

Sur ces mots, chacune raccrocha le combiné et avertit les autres de la nouvelle.



Une semaine plus tard, les trois Scandinaves et les trois Romaines arrivaient devant la porte du palais de pierres, d’airain et d’or des Moires. Ces dernières les accueillirent chaleureusement… Surtout que les visites étaient rares sur un continent si lointain et froid. Divers biscuits et desserts les attendaient : des palmiers, des croissants, des brioches, des baklavas et des tartes aux pommes étaient soigneusement disposés dans divers plats de porcelaines sur des immenses tables de bois plaquées or.

Clotho affirma solennellement en agitant ses mains gantées de fine dentelle pour l’occasion :

— Mes amies de la lointaine Scandinavie et de la lointaine Rome, vous êtes invitées, avant de commencer le concours, à goûter aux délicieux gâteaux et desserts préparés. Faites comme chez vous, installez-vous confortablement ! Après avoir bien remplis nos ventres, nous nous laisserons trois heures pour digérer convenablement. Et, finalement, nous commencerons le concours. L’organisation de la journée vous convient, mesdames ?

Les six étrangères opinèrent du chef. Les neuf femmes s’attablèrent et engloutissaient rapidement les desserts en une heure. Alors que chacune se reposaient, Lachésis demanda à ses sœurs :

— Atropos et Clotho, je n’aurai qu’un détail à clarifier pour le concours…

Les deux lui lancèrent un regard interrogateur, l’incitant à continuer.

— … À savoir s’il est permis d’utiliser des navettes automatiques pour le concours.

— Non, sinon tu tricheras, Lachésis ! s’emporta l’inflexible sœur. Et on sera rapidement éliminée du concours.

— Dommage, murmura-t-elle, une pointe de déception dans la voix.

Les Moires réfléchirent à la tapisserie qu’elles fileront pour le concours.


Trois heures plus tard, les trois Moires, dans leurs plus beaux vêtements d’apparat — vêtements rarement habillés en raison du peu de visites — qui scintillaient de mille feux sous les lumières du salon, des torches électriques, arrivaient dans le salon, lieu du concours. Atropos annonça, d’une voix forte et claire, une fois que chacune des fileuses s’installèrent derrière leur métier à tisser :

— Bonjour mesdames, nous sommes ici pour un concours de filage et de tapisserie. Notre juge, un mortel, est Fiodor Pavlovich de Kaliningrad, en Russie. Accueillons-le amicalement.

Le Russe, un grand homme d’un mètre quatre-vingt dix, aux yeux bleus et aux cheveux brun noisette, âgé de trente-sept ans, vêtu d’un complet bleu marine, d’une chemise blanche et des souliers de même couleur que son complet, rentra dans la salle, accueilli par un tonnerre d’applaudissements. Il salua poliment les femmes et s’assit à la place assignée pour le jury. Il ne prononça que vingt-quatre mots :

— Que le concours commence à mon signal. Vous avez trois heures pour terminer votre tapisserie. Bonne chance ! Cinq… quatre… trois… deux… un… zéro… Maintenant !


Les Grecques, les Romaines et les Scandinaves s’activèrent à leur tissage sous le regard attentif du mortel. Trois heures plus tard, Fiodor Pavlovich enregistra un son de cloche qu’il diffusa pour signaler la fin du concours. Toutes les déesses lâchèrent leur travail et présentèrent leur tapis. Le mortel observa attentivement et minutieusement leur travail. Les Normes avaient illustré avec des fils d’or, d’argent et d’émeraude une vue aérienne réaliste de la ville de Kaliningrad; dans chaque coin, les armes de la Russie, l’aigle bicéphale couronné. Urd, la Norne du passé, murmura :

— La Russie était un grand pays.

— La Grande Russie est un immense pays, compléta Verdandi, la Norne du présent.

— La très Sainte Russie sera un grand pays, conclut énigmatiquement Skuld.

Le Russe griffonna quelques mots sur un papier et se dirigea vers les Grecques.


Les Moires firent une immense tapisserie d’or, d’argent, de bronze, d’émeraude, de rubis, de jaspe et d’autres pierres précieuses représentant la Vierge Marie Theotokos (Mère de Dieu) dans toute sa gloire très similaire à la mosaïque de la basilique Sainte-Sophie, à Constantinople. Dans chaque coin, des anges et des chérubins. Lachésis commenta l’œuvre :

— Chrétienne tu étais, chrétienne tu redeviendras, Hagia Sophia.

Le juge prit quelques notes sans dire un mot.


Il observa l’œuvre des sœurs romaines. La tapisserie de ces dernières, faite d’or, d’argent, d’émeraude et de jaspe, illustrait la basilique Saint-Pierre de Rome vue de face. Morta commenta ironiquement :

— Ville éternelle, ville de l’Église une, catholique et apostolique… pas très sainte…

Le Russe ne commenta pas et griffonna quelques phrases. 


Revenant s’assoir à sa place, il observa théâtralement l’assistance pendant quelques minutes et affirma :

— Mesdames les Moires, les Nornes et les Parques, vous avez tous un talent hors pair… Époustouflantes sont vos tapisseries. Faire un choix est très difficile. La plus colorée des tapisseries est incontestablement celle des Moires qui illustre une basilique chrétienne très importante reconvertie en mosquée, jouant sur une veine de patriotisme religieux. Les Nornes veulent me corrompre en représentant ma ville et les Parques présentent un patriotisme cynique, désillusionné et amer.

— Mais laquelle de ces trois tapisseries est la meilleure et la plus belle, insista Atropos sur un ton menaçant. N’oubliez pas que nous pouvons toujours vous forcer…

Sourire sadique et cruelle aux lèvres, elle prit, de ses longs doigts décharnés, un fil blanc brillant autour duquel était entrelacé un fil vert olive. Fil apparut mystérieusement entre ses mains d'un claquement de doigt.

— … Nous pouvons changer votre destin… , continua-t-elle froidement. Votre épouse peut aimer un autre homme et divorcer de vous…

Lachésis défit un peu le fil blanc pour le laisser pendre dans les airs, rapprochant un fil rouge vermeil.

— Elle peut aimer cet homme qu’est Grigori Vladimirovich, votre supérieur hiérarchique.

— Non, s’il vous plait, les supplia-t-il, désespéré, à genoux aux pieds des Moires. Ne me faites pas ce coup si bas, mesdames.

Atropos le regarda, fixa les trois fils devant elle et murmura à sa sœur :

— Très bien… Lachésis, laisse-moi faire ! Sachez qu’il existe une autre option, Fiodor Pavlovich…

— Vous n'avez pas le droit de corrompre le juge ! s'offusquèrent les six autres participantes.

Decima s'avança vers Lachésis pour lui arracher le fil de ses mains, mais Clotho la ralentit. Elle lança sur celle-ci, comme un filet de pêche dans l'eau, les fils des tapisseries de Jules César, de Mussolini et d'Hitler, la paralysant dans un immense réseau. Ses sœurs essayèrent de la délivrer, mais en vain. L'Italienne ressemblait à une mouche prise dans la toile d'une araignée. Urd sauta à la gorge de Lachésis, mais ne parvint à lui arracher le fil. Les deux tombèrent lourdement au sol. La plus petite des Moires, soudainement à côté de sa sœur depuis qu'Urd montra l'intention d'agir, claqua ses ciseaux qu’elle rapprocha des fils vert et blanc entre ses mains.

— Nous pouvons terminer la tapisserie de votre vie, maintenant, hurla-t-elle. Et votre épouse pourra vous suivre simultanément.

L’Inflexible agita son implacable arme, les deux fils frémissaient sous les tranches, comme pris entre l’enclume et le marteau d’un habile forgeron. Le mortel eut peur pour sa vie et celle de sa femme, ayant l’impression, avec le jeu de lumière de la salle, que les ciseaux exécutaient son terrible travail.

Fiodor Pavlovich, suant à grosses gouttes, le visage obscurcit de crainte, tremblant comme une feuille agitée par le vent automnal, se releva, toussa fort et affirma d’une voix qui se voulait neutre, hurlant de peur :

— J’ai choisi. La meilleure tapisserie est celle des Moires.

Ces dernières sourirent et congédièrent le mortel à Kaliningrad d’un claquement de doigt. 


Les Nornes et les Parques s’offusquèrent de l’ingérence de leur homologue grecque et hurlèrent à l’unisson :

— Vous avez triché, collègues. Le concours ne peut être valide !

— Non, répliqua Atropos. Nous ne sommes pas fautives si nous nous occupons de sa vie et de celui de sa femme.

Les Germaines et Romaines firent une moue enfantine, mains croisés sur la poitrine, s’entr’observaient et un sourire illumina leurs visages austères.

— Notre juge doit être un dieu ! s’exclama Urd, mais qui ?

— Je suggère Huitzilopochtli, lança Decima.

Les Moires approuvèrent d’un geste de la tête et Clotho accourut appeler le dieu aztèque. Ce dernier répondit à l’appel et arriva immédiatement. Les Normes le saluèrent respectueusement.


Huitzilopochtli, promenant son regard rempli de malice et de fourberie entre les trois œuvres d’art, éclata de rire :

— Vous êtes comique mesdames ! Il est impossible de trancher tellement vous êtes talentueuses.

Morta lança un regard noir au juge et, tenant un fil d’or entre ses mains, éructa :

— Donnez une réponse précise… Sinon, vous connaissez les conséquences…

Et la Romaine, brandissant ses ciseaux, les approcha du fil de vie du dieu. Ce dernier, muet, retenant son souffle de peur, déglutissant avec difficulté sa salive, trembla néanmoins et fixa intensément son fil. Il n’oubliait pas que les dieux étaient destinés à mourir lors du Ragnarök pour les Germains et que les Soleils fonctionnaient par cycle successif dans sa mythologie.


À la lumière des ampoules électriques, il avait l’impression que les ciseaux mettront fin à sa vie. Par moments, les ciseaux semblèrent menaçants, par moments, ils semblèrent s’éloigner pour mieux revenir, sauf si c’était une illusion…


Le dieu ramassa son courage à deux mains et se métamorphosa en aigle, son animal, pour attaquer la déesse, récupérant son fil de vie... et la tapisserie. Reprenant forme humaine, gardant jalousement sa vie en-dessous de son manteau, il reprit son discours :

— Mesdames, il ne sert à rien de me menacer. Au contraire, vous abusez de vos pouvoirs et de votre position ! Mais sachez qu'il est vain pour vous de faire de tel concours, puisqu'impossible à déterminer le vainqueur. Je vous dirai que vous êtes toutes les neuf gagnantes du concours.

Sur ces mots, l'immortel claqua des doigts, délivrant la déesse du Destin emprisonnée dans les fils et revint en Amérique latine, laissant les neuf femmes penaudes et contentes. Déconfites, parce qu'elles s'attendirent à ne pas partager la couronne de laurier avec les autres; ravies, parce qu'elles gagnèrent le concours.



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Goy (גוי) / Goyim (גויים), qui signifie littéralement en hébreu « nation », désigne, usuellement, les non-Juifs pour les Juifs. L’usage du terme se rattache également au peuple qui possède une organisation institutionnelle et politique, mais qui n’a pas reçu la science divine, la Torah. Ce terme est toujours collectif en hébreu et peut référer, selon les contextes, aux païens, aux mécréants ou aux gentils (en son sens premier).

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