Nomen avis est omen, ou Le Nom de l'oiseau est un signe

Chapitre 1 : Nomen avis est omen, ou Le Nom de l'oiseau est un signe

Chapitre final

8003 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 04/03/2024 15:58

Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions.fr, Mon animal totem (mars à avril 2024)



Nomen avis est omen, ou Le Nom de l'oiseau est un signe



« Je te hais plus qu'aucun des dieux qui vivent sur l'Olympe

Car tu ne rêves que discordes, guerres et combats »

Homère, Iliade 5, 872-873, traduction de Frédéric Mugler, propos de Zeus à son fils Arès.




Par un beau jour de mars bien avant la naissance du Christ, bien avant même les combats mythiques de la Gigantomachie et de la Titanomachie, au sommet du mont Olympe, qui brille de mille feux sous les rayons d’Hélios à l’apogée de sa gloire un palais semble sommeiller éternellement, vide de tout signe d’activités… Mais ce n’est qu’apparence trompeuse ! Derrière les murs de la charmante maison, toute une famille immortelle y vit ! La maisonnée demeure discrète pour ne pas attirer l’attention de Cronos. Zeus et Héra, avec leurs quatre enfants, Arès, Éris, Hébé et Ilithyie, règnent en roi entre les murs d’or, aux grandes fenêtres vitrées auxquelles des charmants rideaux vert olive, bleu nuit, beige et orange pâle se laissent entrevoir au coucher de l’astre du jour. Le fils de Cronos est assis sur son trône d’or et d’émeraude qui domine le salon, aux côtés de sa femme, réfléchissant aux moyens de conquérir le pouvoir détenu par son tyrannique père, même s’il est conscient qu’une guerre est inévitable et est imminente, tout aussi imminent qu’un orage lorsque le ciel s’assombrit. Se redressant de son siège, Zeus parcourt de ses yeux bleu ciel perçant sa famille, notant la petite table en bois plaquée or près d’Arès qui dessine des plans. Les enfants, maintenant des jeunes adolescents, chacun dans un coin de la salle, cessent toutes actions, tournant leur regard vers leur géniteur. Ce dernier tonne : 

— Mes enfants, sachez qu’il est venu le temps d’acquérir vos pleines capacités divines… Avant que la guerre n’éclate officiellement… Pour y parvenir, vous devez parachever votre éducation et trouver un animal avec lequel vous entretenez un rapport mystique.

— Mais, père, l’interroge de sa grave voix, curieux, le jeune dieu aux cheveux noirs comme la nuit, dignement hérités de sa mère, aux yeux marron brillants, aux traits délicats et gracieux.

L’imposant jeune homme vêtu d’une chlamyde beige et d’une armure en airain, avec, autour de la taille, une ceinture et son fourreau où sommeille son épée, lui donnant un air strict et martial, lâche son stylo et son dessin de carte, tournant le regard vers son père. 

— Comment pensez-vous reconnaître ce lien mystique ?

Sourire énigmatique, Zeus, un svelte, fort et jeune dieu dans la force de l'âge, aux traits délicats et gracieux, éclate de rire avant de lui répondre.

— Mon fils, il est simple ! Vous le saurez immédiatement en votre âme !

— Très bien, merci père, lui répond poliment Arès, mine confuse, jouant nerveusement avec le stylo.

— Les filles, laissez votre mère et ma fille du premier lit, Athéna, vous éduquer aux travaux féminins. Vous, mon fils et Éris, suivrez des leçons militaires avec moi. Je dois vous préparer à la guerre. Ensuite, Arès, vous irez chez Athéna, Aphrodite et Héphaïstos, le fils de votre mère, habile forgeron, pour compléter votre éducation… Aussi, Éris, essayez de ne pas chercher constamment des noises à votre frère ! C’est de votre faute, la gronde-t-il, s’il est si combattant !

Éris baisse la tête de honte, affichant une moue. La réaction de la jeune déesse engendre un rire parmi sa fratrie. Le dieu du Ciel murmure pour lui-même, paroles incompréhensibles pour les enfants :

— J’ai l’impression que mon fils et le fils du premier lit de ma femme entretiendront un rapport avec ces deux déesses, Athéna et Aphrodite, d’une manière ou d’une autre, comme ami ou mari… Laissons le temps nous révéler ce que les terribles Moires nous ont réservé…

Et, sur ces paroles, il se métamorphose en un immense aigle royal, poussant un glatissement puissant qui assombrit subitement le ciel et s’envole par la fenêtre entr’ouverte, laissant les jeunes dieux perplexes. Héra, une gracieuse et svelte déesse aux cheveux aussi noirs que la nuit recouverts d’un sage voile brillant et immaculé comme la neige, aux grands yeux marron brillants d’intelligence et d’autorité, vêtue d’une robe verte avec des arabesques brodées qui souligne sa silhouette féminine, sourit maternellement à ses enfants en descendant de son trône.

— Allez mes enfants, chers à mon cœur, faites comme votre père a dit ! s’exclame-t-elle. Les filles, venez avec moi; Arès, retrouvez votre père, Athéna ou Aphrodite.

Tous les quatre opinent du chef et obtempèrent l’ordre de leur mère. Les trois filles restent dans le salon; Arès sort par la fenêtre en se métamorphosant en un immense épervier. 


Comme tous les dieux, Arès est capable de prendre n’importe quelle forme, mais toutes ne lui plaisent pas nécessairement; telle est celle de l’épervier, une forme pratique pour être dans les airs sans être la proie d’un rapace, mais il n’a pas plus d’affinité mystique avec la créature ailée.


Le futur dieu de la Guerre atterrit au sommet d’un chêne centenaire où son père l’attend depuis quelques minutes déjà, fixant l’astre du jour au sommet de sa gloire sans ciller.

— Comme j’ai mon animal, mon fidèle messager, l’aigle royal, il faut que vous trouviez votre oiseau, mon fils, sang de mon sang, lui annonce sérieusement le dieu du Ciel en lui lançant un regard de fierté pour faire changement de ses regards foudroyants. 

Le jeune dieu, Arès, affiche un sourire incertain à son père.

Le Père des dieux et des hommes s’approche de son fils, lui donne une tape amicale dans le dos, ou plutôt un coup d’aile amical et masculin sur le dos plumé et lui murmure paternellement, l’observant attentivement de ses yeux d’aigle :

— Arès, mon fils, faites-vous confiance ! Vous le saurez en voyant le volucre; la créature éthérée vous reconnaîtra comme son chef et vous discernerez en elle une familiarité et un plus grand sentiment de puissance indescriptible ! Votre puissance sera à son apogée à ce moment, mais, je vous avertis, faites attention pour ne pas outrepasser votre position et vous laissez emporter par un délire de grandeur ! Il n’y a rien de pire que l’ivresse de puissance, parce que le réveil sera trop brutal et la chute douloureuse ! Faites attention pour ne pas sombrer dans le sinistre aspect de votre compagnon ailé…

— Merci, père pour le conseil ! J’en tiendrai compte en mon cœur et en mon âme !

— Je vous le dis d’expérience ! Heureusement, j’ai mon épouse, votre mère, pour m’empêcher de me noyer dans mon orgueil et mon sentiment malsain de supériorité qui me transformerait en tyran. Héra, que j’ai peine à dompter, m’empêche de verser dans la perversion du pouvoir !

Il baisse son regard légèrement honteux avant de continuer.

— Ainsi, je ne détourne pas Mètis, l'Intelligence rusée, pour devenir perfide !

Le plus vieux des dieux affiche un sourire joyeux au plus jeune avant de s’envoler dans les lointaines contrées célestes saluant le soleil en glatissant joyeusement.


Le jeune dieu soupire, réfléchissant au prochain pas pour découvrir son oiseau. Perdu dans ses pensées, il ne discerne pas une chouette chevêche tapie dans l’ombre du feuillage non loin de lui qui l’épie discrètement et silencieusement. S’envolant sans bruit, tournant autour du nouvel arrivé, elle pousse un hululement puissant, le faisant sursauter et sortir de ses pensées. La chouette se perche à côté de l’épervier, lui souriant, ses yeux pétillants d'intelligence et de ruse féminine.

— Ainsi vous êtes Arès, fils de Zeus et d’Héra, est-ce exact jeune dieu ?

— Oui, Mademoiselle, je suis Arès.

— Enchanté ! Je suis Athéna, fille de Zeus et de Mètis. J’ai entendu de notre père que je dois m’occuper de votre éducation militaire.

— Exactement, demi-sœur.

— Venez chez moi, il sera plus simple et plus convivial pour discuter ensemble et pour les entraînements.

Les deux déités s’envolent au milieu de la forêt à plusieurs centaines de kilomètres de l’Olympe. S’arrêtant au pied d'un arbre, la chouette reprend forme humaine laissant place à une grande, élégante et bienveillante déesse aux cheveux brun foncé, aux grands yeux pers, aux traits délicats et nobles, sans l’ombre d’un doute, elle ne peut qu’être une fille de Zeus pense Arès. L’élégante silhouette féminine qu’est celle d’Athéna se laisse entrevoir malgré son ample robe vert olive et son gilet tricoté vert foncé, mais Arès est le plus impressionné par sa bienveillance, sa gentillesse, sa délicatesse et son intelligence qu’elle lui inspire, ne discernant en elle aucunement une rivale. Le jeune dieu détaille la demeure de sa demi-sœur : une petite et simple maison faite d’un alliage de fer et d’airain, très sobre, avec quelques fenêtres, un petit jardin bien entretenu, quelques plantes et un immense olivier qui jette son ombre sur la façade, tempérant la chaleur des rayons solaires. 

Très charmant, pense Arès.

Une fois assis dans le salon, une charmante petite pièce en bronze, avec deux sièges confortables et une table basse en cerisier sur laquelle repose un napperon crocheté par la déesse elle-même et deux verres, Athéna lui sert du nectar et lui annonce : 

— Arès, je vous donnerais, pour les entraînements, l'Égide, armure de notre père qu'il m’a donné en cadeau quelques années plus tôt. Je vous souhaite un bon courage pour trouver votre animal.

— Justement, s’impatiente le jeune dieu, comment savez-vous que vous avez trouvé votre animal ? Père m’a mentionné un lien mystique, un sentiment intérieur de certitude et d’accomplissement, mais vous devrez être capable de me l’expliquer, Mademoiselle ?

La déesse lui sourit gentiment, buvant une gorgée de son verre de nectar.

— Disons que c’est simple. Mon animal est la chouette, je l’ai compris en un instant il y a plusieurs années lorsque je me suis métamorphosée en cette créature ailée. J’ai immédiatement ressenti une affinité avec l’animal, symbole de sagesse, avisée que je suis. Je perçois dans les ténèbres de l’ignorance et je vole silencieusement jusqu’à mes proies… Mais j’ai compris que je dois être prudente avec le pendant négatif de mon animal, pour ne pas tomber dans la tromperie, la magie et la perfidie. Tout un jeu d’équilibre, puis-je vous dire !

— Merci pour votre avertissement, Athéna !

— Retenez ce conseil : peu importe quel sera votre animal, vous devez être conscient de son aspect maléfique et nocif pour le dominer, le maîtriser, avant qu’il ne soit trop tard pour vous, conclut la déesse de la Sagesse sur un ton froid et sérieux.

Elle le fixe de ses grands yeux, donnant un frisson dans le dos de son élève, mais il saisit tout le sérieux de son affirmation.



Une semaine s’écoule avant qu’Arès termine les entraînements militaires intensifs chez Athéna, avec la visite occasionnelle de leur père. Il se montre un bon élève, apprenant vite les maniements de toutes les armes existantes dans le monde, avec une nette préférence pour les épées et le corps-à-corps, mais il ne néglige pour autant les stratégies militaires et l’archerie.

— Arès, lui annonce, joyeuse, la fille de Zeus aux yeux pers, je vous apporte une bonne nouvelle ! Vos entraînements ne sont pas vains. D’abord, félicitation ! Je dois admettre votre supériorité dans l’Art de la Guerre, je vous reconnais comme dieu de la Guerre. Je prendrai même votre nom pour marquer notre bonne entente et la légitimation officielle de votre titre comme Chef militaire des armées olympiennes. Mais, comme je vous l’ai souligné maintes fois, faites attention pour ne pas sombrer dans l’enivrante sensation folle de toute puissance que procure la guerre et tout détruire sur son passage… Sinon, il n’aurait plus d’hommes, il n’aurait plus de vie sur Terre… Tout ne serait que désolation… La guerre doit demeurer strictement entre les militaires et aucun acte de barbarie ou de tuerie de masse sur les civils ne doit être toléré. Un tel comportement n’est plus une guerre entre deux armées, mais une monstruosité innommable.

Arès approuve d’un geste de la tête les propos de sa collègue, lueur de fierté dans le regard.

— Je constate également, continue la déesse esquissant un sourire malgré son ton sérieux, que vous avez un sentiment très fort d’attachement à la famille, à nous les Olympiens, même si je suis votre demi-sœur, partageant le même sang paternel. Donc, déjà, vous avez un principe et un idéal qui vous empêcherait de sombrer dans la folie meurtrière du sang pour le sang… Raison supplémentaire pour laquelle je vous reconnais comme mon équivalent masculin dans la guerre. Vous êtes Arès, dieu de la Guerre, de l’Offensive et, si vous penchez trop vers votre aspect néfaste, de la Destruction.

— Merci, Athéna, je note votre conseil, chuchote-il, ému jusqu’aux tréfonds de son âme de la reconnaissance officielle par sa collègue qui le considère même supérieur à elle, malgré les nombreuses années d’expérience dans le domaine.

— Ensuite, Arès, vous passerez chez Aphrodite, elle saura vous guider dans la Guerre et dans bien d’autres domaines. Et bonne chance pour trouver votre volucre.


Soudain, un roucoulement s’entend de la fenêtre entr’ouverte, attirant l’attention des deux déités militaires. Athéna sourit et salue la nouvelle venue, une élégante colombe aux yeux pétillants d’une lueur divine. L’oiseau reprend forme humaine, laissant place à une grande, élégante et gracieuse déesse aux cheveux blonds et aux yeux bleu ciel, son déhanchement féminin, sa grâce et sa beauté hypnotisent le dieu qui ne la quitte pas du regard. Vêtue d’une ample robe bleu marine, à laquelle une magnifique ceinture d’or, véritable œuvre d’art aux arabesques complexes, autour de la taille vient agrémenter son élégance, et d’un merveilleux voile blanc et brillant qui flotte nonchalamment sur sa tête, cachant un peu son abondante chevelure en cascade sur ses épaules, lui donne un air angélique et innocent. 

— Bonjour Aphrodite ! s’exclame la fille de Zeus. Voici Arès, votre élève dans le domaine militaire. 

— Enchantée, affirme-t-elle d’une voix mélodieuse, inclinant respectueusement la tête en direction du dieu. Je suis Aphrodite, fille d’Ouranos, déesse de l’Amour et de la Beauté. Je suis aussi une guerrière… Loin d’être la meilleure, voire la pire, n’est-ce pas Athéna ?

— Vous exagérez, fille d’Ouranos ! s’exclame-t-elle. Dois-je vous avouer que vous êtes meilleure compagnie que feue Pallas, fille de Triton ?

— Merci de compliment, fille rusée de Zeus ! … 

Se tournant vers le dieu, agitant ses mains, ravie comme un enfant.

— Mais, jeune dieu, je saurais vous conseiller en ce qui concerne votre domaine, ayant une autre approche qu’Athéna, et vous aider à trouver votre animal. Comme l’a mentionné votre collègue et demi-sœur, vous êtes très attaché à la famille…

— Deux secondes, mesdemoiselles, l’interrompt, confus, Arès. Mais comment pouvez-vous affirmer de tels propos avec autant de certitude ?

Les deux déesses rient au éclat à sa question.

— Jeune dieu, pour nous, il est tellement évident que vous tenez en grande estime la famille malgré vos apparences d'indifférence, de sang froid et de sérieux. Nous vous lisons comme un livre ouvert ! s’exclament-elles à l’unisson.

— Ah ! Je ne me pensais pas si simple, maugrée-t-il, baissant la tête comme un enfant honteux pris en flagrant délit de vol de confiture. Les femmes sont définitivement une énigme pour moi.

— Raison pour laquelle, commente Aphrodite d’un ton rêveur, que chaque homme doit trouver sa femme… et lui être fidèle.

— Vous êtes une idéaliste, Aphrodite ! ajoute ironiquement Athéna.

— Peuh ! s’offusque-t-elle faussement, ajustant son voile.

Se tournant vers le dieu.

— Arès, venez chez moi, je saurai vous guider vers un oiseau qui sera le vôtre.

L’interpellé, intrigué, se lève d’un bond et sort de la maison. Les déesses le suivent et Athéna donne une dernière accolade à la fille d’Ouranos et au fils de Zeus avant de s’envoler dans les hauteurs éthérées sous forme d’hirondelle, rapportant fidèlement à son père le succès de l’éducation de son fils. Aphrodite dirige Arès vers sa maison blanchie à la chaux au toit bleu ciel, très élégante et gracieuse comme sa propriétaire, faite d’or et de lapis lazuli, au bord de la mer, rappelant son origine. L’intérieur est très féminin et fort bien entretenu avec de jolis lustres en or et des meubles beige et or, une table en cerisier et des couvertures tricotées. De l’agencement des meubles, des napperons et des chaises, l’endroit dégage une douceur féminine, quasiment maternelle, rappelant au jeune dieu son insouciance enfantine chez sa mère, le laissant presque nostalgique. Mais, lors des entraînements, la déesse est très sérieuse, voire même très redoutable et dangereuse malgré son apparence très gracieuse et fragile.



Une semaine plus tard, Arès a terminé son éducation chez Aphrodite. Amoureux de la déesse, il a essuyé un refus de sa part, mais il se promet qu’il réessayera plus tard. Affligé de ne pas trouver encore son animal, il ne désespère pas pour autant. Il complète son éducation auprès de son demi-frère, Héphaïstos, le dieu du feu et de la métallurgie, qui le sensibilise à la création des armes. Ce dieu, costaud par son métier, grand et fort, aux mêmes traits, couleurs de yeux et cheveux de leur mère, inspire confiance et bienveillance au plus jeune. Loin d’être laid, difforme et boiteux, il est même très masculin et imposant par sa stature et sa présence. 

Arrivant devant la forge de son demi-frère, un immense atelier d’où se dégage une chaleur insoutenable, après trois heures de vol, Arès note la présence d’activités importantes. Des Cyclopes et des nains secondent le dieu forgeron. Ce dernier, en le discernant à l’entrée de son atelier, s’essuie le front de sueur et les mains de son travail, déposant son enclume et son ouvrage. Il rejoint son demi-frère et l’accueille, mine sérieuse au visage.

— Arès, mon demi-frère par ma mère, j’ai entendu que vous veniez à moi pour parler d’armes et d’armures… Vous m’apporterez un peu de changement aux bijoux, aux foudres et aux trônes, conclut-il, le regard brillant d’intérêt. Venez par là-bas…

Il lui montre une petite maison, non loin de la forge, faite d’airain. L’intérieur est relativement bien ordonné, mais très austère. Austérité d’un célibataire pense le dieu de la Guerre. Après une discussion très animée autour des armes, des armures et des drones, les demis-frères s’entendent bien rapidement et se quittent avec beaucoup de respect. Ainsi, Arès vient tous les jours pendant une semaine écouter Héphaistos lui expliquer la création des armes, des armures et des drones. L’artisan est particulièrement fier de ses portes automatiques et de ses deux servantes, deux automates humanoïdes à l’apparence féminine et à la voix humaine, qu'il montre à son demi-frère.



Deux semaines plus tard, terminant son éducation, le dieu de la Guerre déambule dans la forêt depuis une heure déjà, recherchant son volucre sacré, mais aucun digne d’intérêt ne se pointe à l’horizon. Il lève les yeux au ciel, appuyé sur une branche d’arbre, sous forme humaine, et remarque un point noir dans le ciel, point qui devient de plus en plus précis : un aigle royal. Il s’étonne lui-même de son regard perçant.

— Bonjour, père, s’incline respectueusement son fils.

— Arès, dieu terrible de la Guerre, avez-vous trouvé votre animal ? Êtes-vous toujours en quête ? Avez-vous des indices ?

— Toujours en quête, mais je constate deux détails, j’ai une vue très perçante, discernant tous mouvements sur plusieurs kilomètres et je suis très endurant, selon Athéna. Je peux porter toute une armure de plusieurs kilogrammes et parcourir un marathon sans m’épuiser, contrairement à elle.

— Intéressant, commente son père, mine pensive. Avez-vous pensé à une espèce de rapace ?

— Non, pour être honnête.

— J’ai l’impression que la réponse est dans l’une de ces espèces. Seul un rapace à une excellente vue et est endurant pour les vols de longue distance.

— Merci, père.

L’aigle le salue joyeusement et regagne sa demeure sur l’Olympe.



Le lendemain, Arès continue sa promenade sans but. Il soupire, désespéré de ne pas trouver son volucre. Soudain, il entend deux voix avinées en dispute dans un fourré. Il tend l’oreille et capte les mots suivants :

— … Si seulement Héra pouvait être mienne, que je la connaisse…

Le regard d’Arès couve une terrible colère, arme à la main, il fonce, sans réfléchir, vers la voix qui ose désirer sa mère, portant déesse mariée. La voix appartient à un nain très laid, vêtu de haillons, regard brillant de malice, visage disgracieux et grossier.

— Ignoble nain, personne n’a le droit d’insulter ma mère ! éructe-t-il, lueur de folie meurtrière dans ses sombres yeux.

Le dieu le tue net dans son ire. Son comparse, effrayé, se dégrise en constatant le cadavre à ses côtés, et se jette à ses pieds, le suppliant de ne pas répandre son sang dans sa colère. Le regard du terrible dieu s’attendrit un peu et lui hurle :

— Vous êtes chanceux que je sois clément ! Mais notez une information dans votre minuscule cervelle avinée…

Il le prend par le collet de sa chemise, secouant le nain comme s’il était une feuille, le forçant à confronter son regard brûlant de rage.

— Personne n’a le droit d’agonir d’insultes ma mère, cette belle et noble déesse qui me donna le jour. Compris ?

— Oui, oui, déglutit-il difficilement, évitant le plus possible son regard insoutenable.

Il le lâche sans ménagement et l’observe déguerpir le plus rapidement possible. Une idée lui traverse l’esprit, ayant l'intuition que le nain sera bavard devant l’ennemi, il le suit et l’attend, impatient, regagnant la lisière de la forêt à tir-d’aile sans se fatiguer. Il sort son arc et sa flèche et le tue froidement. Ressentant une joie morbide à la vue de son cadavre, il murmure amèrement : 

— Petit nain, malheureusement, vous étiez un témoin gênant. Un petit changement pour vous, meilleure chance dans l’autre monde.

L’odeur du sang assaillit ses narines, encore plus puissamment qu’auparavant, le grisant. L’Olympien enterre le cadavre sous l’arbre, lui offrant une sépulture convenable, soucieux d’éviter une épidémie s’il le laisse pourrir et ne désirant pas éveiller les soupçons des Titans et des Géants sur son existence.

Le terrible dieu se métamorphose en faucon, s’envolant pour revenir auprès de sa demi-sœur, discutant de stratégies et de tactiques militaires, tout en pensant au meilleur moyen de conquérir la main d’Aphrodite.


Le soir, observant les étoiles, Arès est perdu dans ses pensées, ne s’attendant pas la présence de sa collègue à quelques mètres de lui, l’observant. Soudain, elle rompt le silence.

— Arès, mon collègue, je constate que vous êtes perdu dans vos pensées, est-ce une déesse qui vous préoccupe ainsi ?

Détournant son regard d’elle, fixant le ciel constellé d’étoiles. Il opine du chef et murmure :

— Effectivement, Athéna ! Et ce n’est pas n’importe laquelle !

— Qui est l’heureuse déesse ? l’interroge-t-elle, curieuse, sourcils redressés.

— Aphrodite… D’ailleurs, je n’ai pas remarqué qu’elle est mariée, est-ce exact ?

— Oui, elle n’a pas encore de mari, trop de dieux et de mortels lui ont demandé sa main… et elle les refuse tous, parce qu’elle perçoit bien qu’ils ne l’aiment aucunement comme un mari devrait aimer sa femme, inconditionnellement. Ils sont uniquement attirés par sa beauté physique, mais aucunement par sa noble âme. N’oubliez pas que l’amour, sous toutes ses formes, est son domaine, elle reconnaît les subtilités que je ne perçois pas toujours.

— A-t-elle un prétendant sérieux et ennuyant ?

Athéna sourit à sa question, discernant aisément le sens de sa question et son motif.

— Non, pas à ma connaissance.

— J’irai la conquérir. Je me décide à franchir le cap… Elle deviendra mon épouse, je serai son mari.

La déesse de la Sagesse sourit de la détermination de son collègue.

— Mais, Arès, êtes-vous conscient que bien des Nymphes désirent se glisser dans votre lit ? Et qu’Aphrodite peut ne pas partager votre amour ?

— Croyez-vous que je n’ai pas remarqué ces femmes ? Elles ne sont d’aucun intérêt pour une relation durable. Une aventure sans lendemain est leur style, mais ce n’est pas ce que je veux. Cumuler des conquêtes ne m'intéresse pas, une vie commune sérieuse m’intéresse… Et j’espère que mon amour pour la plus belle des déesses est réciproque.

— C’est bien être si jeune et si décidé dans ses intentions et ses projets !

— Et vous, avez-vous l’intention de fonder une famille ?

Souriant faiblement, elle élude la question en le laissant seul à ses rêveries, revenant dans sa chambre. Elle plonge rapidement dans les bras de Morphée. Arès, ne parvenant pas à dormir, se métamorphose en buse, puis en autour, en crécerelle, en harpie et en hibou, mais, frustré, il ne parvient pas à trouver sa créature ailée.



Quelques jours plus tard, Arès, rendant visite à Aphrodite, suivi d’Athéna, pour discuter de stratégies militaires, reste une heure avec elle. Se quittant poliment, Arès sort de la charmante maison de la déesse de l’Amour et de la Beauté qui a conquis son cœur. Les deux déesses le suivent et sourient en notant un immense rapace dans le ciel qui pousse un cri puissant et joyeux, comme s’il a rencontré son supérieur. Levant les yeux vers la voûte céleste, dégagée de tout nuage, Arès s’étonne de l’immense vautour fauve devant lui. Serrant son poing pour permettre au charognard de s’y poser, il ressent un lien avec l’animal.

Il a compris ce que son père et sa demi-sœur voulaient lui expliquer en mentionnant le lien mystique et le sentiment de puissance et de complétude. Ses yeux brillent de joie, caressant de l’autre main le plumage du volucre, il le laisse s’envoler rejoindre sa famille. 

— Félicitation, Arès ! hurlent les déesses de joie, sincèrement émues de la manière dont leur semblable ait trouvé son animal. Vous venez de trouver votre oiseau sacré !

— Et, continue Aphrodite, radieuse, vous avez gagné ma main, jeune dieu, cher à mon cœur. Votre amour est d’une rare pureté… Mais lorsque vous étiez mon élève, je ne pouvais être votre maîtresse… Et votre oiseau est le signe de votre sérieux, mon père m’avait dit, il y a longtemps, que mon mari sera un noble fils d’un dieu, avec un oiseau sacré réputé pour sa monogamie.

Aphrodite sourit au dieu et l’enlace tendrement.

— Le vautour est le signe de votre fonction et de votre être dans son essence, complète Athéna. Oiseau divinatoire, il est symbole du feu et du soleil, principe masculin et actif, et est rattaché à la mère. Il est liée à la force de la famille, mais aussi symbole de changement, de régénération et de renouveau, ce que vous apportez avec la guerre. Le rapace a une vue et un odorat très développés, ainsi qu’un fort bec, comme vous êtes habile au maniement de l’épée. Ses larges ailes, pouvant atteindre les trois mètres, lui permettent de parcourir de longue distance en vol plané sans se fatiguer. Charognard, tâche très ingrate, il se nourrit d’animaux morts, évitant des épidémies et des maladies aux autres, lié à la propreté, à l’harmonie et à la pureté. Dans sa vie de couple, il est toujours avec la même partenaire, monogame, jusqu’à ce que la mort les sépare et élève leurs petits, en père attentionné qu’il est. Animal grégaire, je suis certaine que vous ne supportez pas facilement l’isolement et la solitude. Par contre, faites attention pour ne pas verser dans l’aspect sombre du rapace, celle de l’attente maladive de la mort d’une victime, celle de la recherche de la destruction et de la décadence. Votre aspect agressif doit être contrôlé, sinon vous ferez des actes sur un coup de tête que vous regretterez plus tard, alors que vous êtes très intelligent et fin stratège.

— Merci, Athéna aux yeux de chouette pour l’explication, dans laquelle je me reconnais, et pour l’avertissement, je tâcherai de le graver dans ma mémoire.

— Ne pensez pas que vous êtes le seul. Moi-même je dois surmonter mon aspect occulte et sournois, revers de mon intelligence, de ma ruse et de ma perspicacité. Nous, les dieux, avons tous ce défi constant, mais nécessaire !

Aphrodite approuve les propos de la déesse de la Sagesse d’un geste de la tête à son attention. Arès sourit à sa collègue et se métamorphose en un vautour fauve géant et s’envole dans les hauteurs ouraniennes, ne se sentant jamais aussi puissant de toute son existence. Sentiment très enivrant d’une complétude de son être, saisissant enfin ce qu’est être le Dieu de la Guerre.

— Je prendrais le nom de mon bien-aimé, annonce rêveusement la déesse de l’Amour, pour signifier au monde entier qu’il est mien, que je suis son épouse !

— Aphrodite est romantique ! je l’ignorais ! la taquine amicalement Athéna.

La plus belle des déesses se renfrogne faussement et regagne sa maison sous forme de colombe.


Un peu plus tard, une fois la première euphorie passée, Arès regagne l’Olympe et salue sa fratrie, très satisfait de lui-même. Zeus sourit à son fils, regard brillant de fierté, tonne :

— Bon retour à la maison, mon fils, Arès. Ainsi, avez-vous trouvé votre oiseau sacré ?

Reprenant forme humaine, le dieu de la Guerre note une lueur d’inquiétude présente en une fraction de seconde dans les yeux de son père.

— Oui, père. C’est le vautour… Mais pourquoi cette lueur d’inquiétude dans le regard ?

— La guerre est à nos portes et vous arrivez à point nommé !

— Voulez-vous dire que les Titans et les Géants nous ont déclaré la guerre ?

— Exactement… Cronos est déchu, la place est vacante… Conseil de guerre immédiatement !

Zeus revêt, d’un claquement de doigt, l’Égide et le Gorgonéion, et disparaît, rapide comme la lumière, dans une salle secrète de la maison. Son fils doit reconnaître qu’il est terrifiant à voir ainsi. Arès le rejoint en tenue militaire dans cette pièce inconnue de lui toujours gardée sous clé, et remarque une carte du mont Othrys, le quartier général de leur ennemi, projetée sur le mur d’airain. La mystérieuse salle est spacieuse, avec, en son milieu, une table en chêne plaquée or et des chaises qui ressemblent à des trônes aux motifs complexes et entrelacés en or et en diamant. Héra, Athéna, Aphrodite Apollon, Artémis et Poséidon sont déjà assis sur leurs sièges, attendant l’arrivée de Zeus et d’Arès. Les huit dieux réunis, réfléchissent à la meilleure tactique pour prendre au dépourvu les Titans. Ils s’entendent vite autour d’une méthode d’encerclement de l’ennemi, sans trop s’épuiser. 


Les Olympiens arrivent à tir-d’aile aux environs du mont ennemi, guettant leurs allées et venues. La déesse de la Beauté, en armure, s’avance vers la base titanesque avec beaucoup de précaution. Arès, sous forme de vautour fauve, vole au-dessus de la base, surveillant sa bien-aimée, très inquiet. Discernant un soldat des Titans qui s’avance vers Aphrodite, lueur lubrique dans le regard, le dieu, courroucé que quelqu’un pense ainsi atteindre la déesse chère à son cœur, appelle d’un cri strident tous les vautours des environs pour qu’ils soient prêts à attaquer l’ennemi avec leur bec si quelqu’un ose menacer les siens. Et les rapaces répondent à l’appel de leur chef, fondant sur le pauvre soldat qui n’eut même pas le temps de donner un signal à ses confrères. Le dieu de la Guerre sourit à sa compagne et se perche sur le bord de son bouclier, lance un cri de guerre strident, assourdissant et reprend forme humaine, devant elle. Il la protège ainsi. Le couple dos à dos, et les autres dieux non loin d’eux, livre un terrible combat. Le dieu militaire a toujours un œil sur sa compagne et sur les siens, les aidant lorsqu’il discerne un danger pour leur vie, tantôt en donnant un coup bien appliqué à l’ennemi, tantôt en lui crevant les yeux avec son bec et ses serres. Lorsqu’il remarque Aphrodite blessée, il la dépêche auprès d’Apollon pour qu’il la guérisse rapidement. Il continue à se battre, encore plus férocement qu’avant, très enragé et agressif. Ses ennemis ont peur de lui, de la lueur de folie meurtrière dans son regard, il ravage tout sur son passage, pourfendant à droite et à gauche. Soudain, Athéna s’approche de lui, sous sa forme animale, et lui hulule au-dessus de sa tête :

— Arès, Arès, fléau des mortels et des monstres, destructeur des remparts et des villes, calmez-vous ! Ne vous laissez pas aveugler par votre ire ! Reculez avant que les ennemis ne vous encerclent ! Marche arrière ! Repliement sur nos positions !

Le dieu de la Guerre obéit à sa collègue et se replie, malgré une lueur de mécontentement dans le regard.


Mais Cronos, le Titan du Temps et roi déchu, un géant aux yeux bleu glacial brillant de perfidie, aux cheveux brun parsemés de quelques cheveux gris près des tempes, du sommet du mont Orthys, assis sur son trône d’or, remarque bien Arès… Une idée germe en son esprit retors, illuminant ses yeux d’une lueur malsaine. Se frottant les mains d’anticipation, pliant et dépliant de joie ses élégants doigts autour de sa faux emblématique, il appelle son fidèle messager.

— Mon fidèle messager, mon Siri, voulez-vous contacter ces deux forces brutes que sont les Aloades ? Dites à Otos et Éphialtès qu’ils doivent capturer mon petit-fils vivant pour qu’ils puissent le torturer et l’attirer dans notre rang… Il sera un atout considérable s’il change de parti… Et vous n’avez qu’à mentionner devant lui que vous voulez récupérer Héra et Aphrodite pour en faire vos femmes et il réagira rapidement, mon petit-fils de vautour…

— Oui, Seigneur Cronos. À vos ordres.

Et Siri s’envole, rapide comme le vent, auprès des jumeaux géants, fils de Poséidon, les informant de leur mission qu’ils acceptent immédiatement, certains de réussir.



Le lendemain matin, Arès, se promenant dans la forêt non loin de la base ennemie sous sa forme animale, perché sur une branche d’un charme, il capte une étrange discussion. Otos et Éphialtès, non loin de son lieu d’observation, armés jusqu’aux dents, se dirigent vers l’Olympe.

— Otos, commente Éphialtès, que penses-tu de faire d’Héra et d’Aphrodite nos épouses ? Nous n’avons qu’à les enlever et le tour est joué, simple, non ?

— Exactement, frère… Et en plus, quelle belle déesse !

Devant les deux frères se matérialise un immense vautour au plumage beige gris, les ailes déployées, menaçant, dardant sur eux un regard de braise, très irrité. Reprenant forme humaine, le dieu les affronte en corps-à-corps. Le combat est âpre, mais Arès les aurait vaincu, si Éphialtès ne l’aurait pas frappé dans l’entrejambe le forçant à se plier de douleur et à rater son coup. Otos profite de ce moment pour l’emprisonner dans des filets infrangibles volés à la forge d’Héphaistos à l’aide d’un complice. Arès se métamorphose successivement en vautour, en aigle, en colombe, en chouette, en abeille, en fourmi, en guêpe, en coq, en sanglier, en chien et en épervier pour essayer de se libérer des liens, mais en vain. Il lance un cri d’appel puissant dans l’espoir de rallier tous les vautours des environs, mais Otos le bâillonne rapidement pour l’empêcher d’alerter les volucres ou les autres dieux. 


Les deux frères traînent le fils de Zeus et d’Héra par terre comme s’il était un vulgaire sac jusqu’à leur arrivée devant un sombre château, perdu au milieu de nulle part, autour duquel un sombre sort est jeté, empêchant au dieu de localiser correctement l’endroit. Sinistre château immense en fer avec des meurtrières desquelles une faible lumière artificielle filtre à travers les rideaux bruns, aisément perceptible au regard perçant du dieu. Traversant le seuil, l’Olympien est certain que les deux monstres ne sont pas seuls, il doit avoir une femme dans les parages, puisque tout est trop bien ordonné. Soudain, sans ménagement, Éphialtès l’enferme dans une amphore géante magique et lui hurle, victorieux :

— Ainsi Arès, fils de Zeus et d’Héra, le dieu de la Guerre, tu es à notre merci, maintenant ! Vous n’êtes pas si invulnérable que vous le laissiez croire !

L’Olympien leur lance un regard foudroyant et se débat, mais en vain. Il se métamorphose en mouche pour se libérer des liens. Il sort de l’amphore, mais les liens l’encerclent toujours, l’entravant dans son envol et permettant à Otos de le repérer sans difficulté. Éphialtès lui murmure :

— Arès, mon petit.

Il prend le filet et le resserre autour de la mouche, jetant le tout dans l’amphore, la scellant.

— Tu sais, continue-t-il avec un rictus, Héra et Aphrodite seront nos femmes maintenant que tu ne peux pas les défendre… Et elles collaboreront avec nous !

— Non, cessez vos inepties ! Monstres ! Personne n’a le droit de toucher à ma famille ! Dégagez ! hurle l'Olympien.

Arès se débat et se métamorphose en éléphant, mais il ne parvient à briser l’amphore, parce qu’elle s’adapte magiquement à sa taille, à l’instar du filet.

— On verra, ajoute Otos, si vous serez si arrogant après des cauchemars, affamé, assoiffé et privé de sommeil par moments !

— Idiots ! lance une voix caverneuse derrière le dos des géants. Avez-vous oublié que les dieux n’ont pas besoin de dormir ? Que le nectar et l’ambroisie ne sont pas nécessaires à leur immortalité ?

Se retournant avec frayeur, ils discernent dans l’obscurité le redoutable Cronos qui les fixe, sa faux à la main.

— Les dieux ne dorment jamais, ils veillent toujours ! Et, précisément, ajoute le Titan en baissant la voix pour la rendre inaudible au prisonnier, il faut le maintenir dans un sommeil éternel. Ainsi, il nous sera plus utile. Sans mentionner qu’il sera forcé à collaborer avec nous.

Les interlocuteurs de Cronos opinent du chef à ses mots, tremblant néanmoins de peur. Le grand-père d’Arès s’évapore aussi mystérieusement qu’il est arrivé, reculant un peu le temps pour le détenu.




Arès, prisonnier depuis un mois, n'a plus la sensation du temps; il lui semble une éternité qu’il est perdu dans la noirceur. Ni la faim, ni la soif, ni la fatigue ne l’épuisent réellement, seul les cauchemars le laissent mort de frayeur pour sa famille, mais il n’abandonne pas pour autant la lutte, continuant à réfléchir aux meilleurs moyens de se libérer de cette sordide et sombre prison, refusant de collaborer avec l'ennemi.


Et les mois se succèdent, et sa famille est de plus en plus angoissée, le cherchant inlassablement, consultant même Hélios qui refuse de les aider, affirmant qu’il est retenu prisonnier dans un lointain château en Orient. Leurs recherches sont vaines jusqu’à maintenant.



Treize mois plus tard, Arès, fatigué, épuisé, maigre, au bord de la capitulation, ne cesse de lutter. Soudain, une minuscule mouche noire, nul autre qu’Hermès, apparaît à sa droite et lui communique par télépathie :

— Arès, Arès, je vous ai enfin trouvé, mais sachez que je ne peux vous délivrer sans éveiller l’alarme de l’ennemi… Rappelez-vous de votre animal, la solution vous viendra naturellement.

— Merci pour le conseil, dieu messager. J’ai bien pensé que vous veniez récupérer mon âme… Pour être honnête, ce n’est pas une vie !

— Un dieu ne meurt jamais ! Mais avant, je dois vous aider du mieux que je peux !

Et Hermès, avant de regagner l’Olympe, s’arrête devant le château des Aloades et murmure une incantation, libérant l’endroit du sort qui agit comme un somnifère sur le prisonnier immortel.


Simultanément à l’aide du messager divin, Arès réfléchit à sa situation.

— J’ai trouvé ! s’exclame le détenu. Mon animal, le vautour, est symbole de changement, de renouveau et de régénération… Je dois faire de même !

Et le dieu se métamorphose en un vautour fauve géant et, malgré son épuisement, s’élève jusqu’au plafond de l’immense salle vide, lançant un terrible cri de guerre qui résonne sur plusieurs kilomètres à la ronde. Avec son bec puissant et sa vue perçante, il repère une faille dans l’amphore et le filet. Brisant l’amphore d’un coup de bec et se dégageant du filet, il s’attaque à Éphialtès qui est dans la salle, avant qu’il ne donne l’alarme. Il le tue net, sans la moindre hésitation. Poussant un puissant cri de ralliement, toutes les familles de vautours des environs arrivent pour se nourrir du cadavre. Otos, intrigué par le bruit, accourt dans la salle du prisonnier. En notant le cadavre de son frère duquel il ne reste que les os blanchis, bien propres de toutes parties putrescibles, et la meute de vautours qui le fixent, il est devenu livide, ses bras et ses jambes tremblent. Il hurle :

— Arès ? Comment es-tu…

Il ne complète jamais sa phrase, le dieu, reprenant forme humaine, malgré sa fatigue, décoche une flèche qui l’atteint au cœur.

Il laisse aux vautours le soin de se nourrir du cadavre, revenant à sa demeure d’un vol incertain, encore épuisé de la torture psychologique.


Arrivé devant l’Olympe, il reprend forme humaine. Au seuil de la porte, Aphrodite accourt la première vers lui, l’enlaçant pour être certaine qu’il soit bien vivant, arrachant un sourire sincère au dieu. La déesse de Amour est suivie d’Athéna, de Zeus, d’Héra et de sa fratrie, tous très ravis de son retour inespéré.

— Mon fils, vous venez de comprendre l’union avec votre volucre d’une manière plutôt extrême ! commente son père. Mais vous avez pleinement saisi ce rapport mystique jusqu’au bout ! Je vous donne un conseil, mon enfant, faites attention et ne soyez jamais seul sur un terrain ennemi !

— Ne vous inquiétez pas, père, j’aurai soit Aphrodite à mes côtés, soit ma collègue, Athéna… Un cerveau féminin apporte toujours un autre point de vue que le mien.

Les deux mentionnées lui sourient poliment et approuvent ses paroles. Le dieu de la Guerre fait un baise-main à la plus belle des déesses et s’éclipse avec Athéna pour discuter de stratégies militaires pour attaquer les Titans.



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Note informative

Arès apparaît comme épiclèse, sous la forme de ᾿Αρεία [Aréia] (pour les déesses) et de ῎Αρειος [Arèios] (pour les dieux), chez seulement quatre dieux, à savoir Zeus, Athéna, Aphrodite et Dionysos.

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