Une annonce de paternité
Chapitre I
D'un geste triomphale, Sasuke Uchiwa jeta le magazine ouvert sur le comptoir du bar.
- Voilà qui résout mon problème, Shika ! s'exclama-t-il en décochant à son compagnon une bourrade amicale. Dans un mois, je serai marié !
Ebahi, Shikamaru Nara reposa son cocktail et fit pivoter son tabouret pour se tourner vers son interlocuteur.
- Toi, marié ? Mais avec qui, pour l'amour du ciel ?
Un sourire mystérieux joua sur les lèvres de Sasuke.
- Imagine-toi que je ne le sais pas encore moi-même !
Shikamaru leva les yeux au ciel.
- Sasuke ! Tu ne changeras donc jamais ! J'ai cru un instant que tu parlais sérieusement.
- Et tu ne te trompais pas ! Je n'ai jamais été aussi sérieux de ma vie.
- C'est ça, bien sûr ! grommela son compagnon. Viens, essayons plutôt de trouver une table. Nous avons des affaires importantes à régler.
Avec un haussement d'épaules, Sasuke suivit Shikamaru dans une petite salle annexe et ils s'installèrent à l'écart face à la fenêtre. Konoha s'étalait à leurs pieds, dorée par la lumière chaude de l'après-midi finissant. Sasuke se renversa dans son fauteuil, un sourire amusé au coin des lèvres.
- Ainsi tu refuses de m'écouter, Shika. Ce n'est pas à mon ami d'enfance que j'ai affaire, mais à mon avocat, le respectable et distant maître Nara.
- Les deux ne font qu'un, en l'occurence, et l'avocat s'inquiète autant que l'ami. Ce qui t'arrive est grave, mon vieux. Et il faudra bien que tu te décides un jour ou l'autre à chercher une solution réelle au lieu de traiter ce problème comme une farce.
- Je ne dis pas le contraire, Shika. Et c'est précisément pour cette raison que je t'ai demandé de venir ce soir. Cette fameuse solution, je la tiens enfin ! Je te répète : je vais me marier pour de bon afin de remplir cette maudite clause que mon père a fait inscrire dans les statuts de la société. C'est aussi simple que ça !
Shikamaru haussa les épaules, refusant de prendre au sérieux ces déclarations d'intention d'épourvus de fondement. Sasuke n'avait pas eu de relations stables avec une femme depuis longtemps et il ne pouvait tout de même pas prendre le risque d'épouser la première inconnue venue ! Quoi qu'il en soit, il courait droit à sa perte en se cantonnant dans cette attitude passive. Le père de Sasuke avait pris, juste avant de mourir, cette disposition pour le moins particulière : si son fils devait encore être célibataire à l'âge de trente-cinq ans, l'usine familiale serait mise en vente au profit d'une institution de charité quelconque. Ainsi, dans moins d'un an, Sasuke qui dirigeait actuellement l'entreprise, perdrait à la fois sa source de revenus et sa raison de vivre.
Préoccupé, Shikamaru passa la main dans ses cheveux. Il était grand temps de trouver une parade. Mais laquelle ? Il avait eu beau se creuser la tête depuis deux ans que le père de Sasuke était mort, aucune solution acceptable ne lui était venue à l'esprit.
Le bar se remplissait rapidement et le bruit de fond s'amplifiait autour d'eux. Cette rumeur sonore leur offrait l'isolement nécessaire pour aborder une discussion qui s'imposait depuis longtemps. Le moment était venu de regarder l'avenir en face et de trancher une fois pour toutes dans un sens ou dans un autre... Shikamaru se tourna vers Sasuke d'un air déterminé.
- L'échéance approche, mon vieux. Et si tu ne prends pas les mesures nécessaires, les Etablissements Uchiwa et Cie seront mis en dépôt de bilan. Naturellement, tu peux toujours traîner l'affaire devant les tribunaux et il n'est pas du tout exclu que tu obtiennes satisfaction. Mais ce sera long, très long. Et tu auras les mains liées pendant toute la procédure. Autant dire qu'il ne restera pas grand-chose de l'entreprise une fois que tu auras gagné ton procès.
- En bref, ce n'est pas une solution ! Nous pouvons d'ores et déjà éliminer cette possibilité. D'autant plus que j'ai beaucoup mieux que cela à te proposer, mon vieux Shika.
Sasuke ouvrit le magazine qu'il avait apporté et se pencha vers la lampe à abat-jour qui diffusait une lumière discrète.
- Ouvre grand les oreilles, et surtout ne m'interromps pas. Je crois vraiment que nous tenons là un élément de réponse.
Sasuke s'éclaircit la voix. En vérité, il aurait pu réciter le texte de mémoire. Il avait lu et relu la petite annonce tant de fois qu'il en avait enregistré la moindre virgule.
- "" Avocate, célibataire, la trentaine, cherche homme entre trente et quarante ans, physique agréable, intelligent et esprit ouvert, en vue paternité.Envoyer...
- Paternité ! Mais ce n'est pas...
- Hé, attends ! Je n'ai pas fini. Ou en étais-je ?... Voilà. Envoyer un curriculum vitae avec photo en un certificat médical détaillé "".
Les yeux au ciel, Shikamaru termina d'un trait le reste de son cocktail.
- C'est une plaisanterie, j'espère ?
Son ami tourna vers lui un regard exaspéré.
- Combien de fois faudra-t-il que je te répète que c'est sérieux, Shika. La date limite approche et je suis au pied du mur. Puisqu'une solution pratique s'offre, je vais la saisir. Un point c'est tout... Oh, cesse donc de me considérer de cet air incrédule, je t'en prie ! Si tu as mieux à me proposer, j'attends tes suggections avec impatience !
Shikamaru exhala un soupir résigné. Personne jusqu'ici ne semblait prêter attention à eux mais Sasuke avait élevé la voix et l'ambiance était à l'orage. Or il n'avait pas la moindre envie de se donner en spectacle en se lançant dans une querelle retentissante ! Puisque son ami semblait vraiment tenir à cette idée ridicule, il ne lui restait plus qu'à la développer et à en peser le pour et le contre, exactement comme s'il s'agissait d'une proposition raisonnable. Rien de plus simple que de mettre en évidence les points faibles de ce projet insensé...
- Très bien, admettons que tu ne plaisantes pas. Ta "" solution "", si on peut l'appeler ainsi, n'en demeure pas moins abracadabrante. Cette jeune femme cherche un géniteur et toi une épouse. Je ne vois vraiment pas en quoi vos besoins se rejoignent ! Ton père n'a jamais exigé la paternité, que je sache !
Les traits tendus, Sasuke se versa une nouvelle rasade de scotch.
- Bon sang, Shika ! Inutile de récapituler les clauses ! Essaie de réfléchir : si cette avocate a placé une annonce, c'est qu'elle désire avoir un bébé, c'est clair. Or, pour ma part, il suffirait que je sois marié quelques mois pour déjouer les projets de mon père. Si elle est d'accord, nous procéderons à un échange de services et le tour sera joué !
Shikamaru secoua la tête.
- Franchement, c'est ridicule ! Tu sais pertinemment quel était le bu de ton père lorsqu'il a imposé cette condition. Pour lui, la famille était la valeur suprême, la seule chose qui rende la vie digne d'être vécue.
Shikamaru se pencha vers son ami et posa sa main sur son bras en continuant de plaider avec force :
- A mon avis, ton père était parfaitement conscient que sa clause n'a pas une réelle valeur juridique. Il n'a pas vraiment voulu te contraindre, seulement te donner un petit coup de pouce dans ce qu'il pensait être la bonne direction. Si le mariage te répugne à ce point, attaque la disposition statutaire en justice ! Tout vaut mieux que de te prêter à une mascarade aussi sinistre.
- Pour perdre des mois ? Peut-être même des années ? s'exclama Sasuke. Il n'en est pas question, tu m'entends ! Depuis deux ans, la société est en plein essor, mon nouveau secteur jouet bat des records de vente ! Et tu voudrais que je laisse péricliter mes affaires pendant que la machine judiciaire se met lentement en branle ? Tu sais très bien ce que cela implique de se retirer ainsi du marché pendant quelque temps : la faillite assurée !
Shikamaru scruta son visage décomposé par la colère d'un regard perçant.
- Tu es toujours furieux contre ton père, voilà pourquoi tu t'obstines à vouloir lui jouer ce mauvais tour. Mais le pauvre homme est dans la tombe depuis deux ans, Sasuke, et tu ne réussiras à punir que toi-même. Ton père n'était pas un tyran. Un peu autoritaire, peut-être, et avec des idées bien à lui. Mais il pensait agir pour ton bien.
Une fugitive lueur de tendresse éclaira les prunelles sombres de Sasuke.
- Je ne le nie pas, fit-il en soupirant.
Il lui fallait même admettre que le vieil homme lui manquait beaucoup plus qu'il ne l'avait prévu ! Sasuke lui avait pardonné depuis longtemps sa manie de vouloir organiser le monde à sa façon. Mais que son père pousse le vice jusqu'à disposer de son existence même après son décès dépassait les bornes ! Sasuke assena son poing sur la table.
- Je ne céderai pas à ce chantage, Shika. Point final. Il a voulu me contraindre par ce stratagème stupide et je répliquerai par une ruse qui l'est tout autant ! Si je dois épouser une femme, ce sera parce que je l'aime et qu'elle m'aime. Et ceci en un temps et en un lieu que nous aurons choisis ! Crois-tu vraiment que je réussirais à vivre à côté d'une femme qui ne saura jamais si je me suis marié avec elle par amour ou pour sauver mon entreprise ? Ce serait sordide, ni plus ni moins.
Vaincu, Shikamaru se renversa dans son fauteuil.
- Je comprends ce que tu ressens, Sasu. Tout ce que ton père aura obtenu, finalement, c'est de te détourner de ce mariage auquel il tenait tant. Chaque fois que tu as rencontré quelqu'un, ces dernières années, je t'ai vu prendre la fuite à cause de cette maudite clause.
Avec une vague sensation d'amertume, Sasuke se concentra sur la fenêtre, observant les lentes métamorphoses de la lumière déclinante qui inondait la ville d'un flot d'orange et de mauve. Il aurait tant voulu se consacrer à son travail au lieu de se battre pour contourner cette disposition ridicule. Qu'avait-il à perdre, après tout, en répondant à cette annonce ? Si la jeune femme lui paraissait digne de confiance, ils passeraient un pacte et seraient tirés d'affaire l'un et l'autre. Pas de tribunaux, pas de procédures coûteuses, pas de tracas. Tout serait réglé avec un minimum de contraintes. Voilà ce qu'il devait essayer de faire comprendre à Shikamaru...
Son avocat et ami, hélas, ne semblait guère disposé à se montrer coopératif. Bien au contraire, Shikamaru le considérait d'un air sombre, comme s'il s'apprêtait à commettre la plus grosse erreur de sa vie !
- Je sais bien que le temps nous est désormais compté, Sasu, mais il nous reste quand même un délai d'une année. Je suis certain que nous pouvons trouver une solution acceptable. Tiens, vendre, par exemple. Si nous nous y prenons bien, rien ne nous empêchera de conclure un arrangement à l'amiable qui assurerait ton avenir à la tête de la société. Le plus important n'est pas de détenir tout le capital et nous...
- Ah non, Shika, jamais ! Il est exclu que je renonce, mets-toi bien cela en tête.
La voix de Sasuke se radoucit lorsqu'il ajouta avec une émotion voilée :
- Ce n'est pas comme si je produisais des chaussures ou des serviettes en papier. Lorsqu'on construit des meubles pour enfants, l'orsqu'on leur invente des jouets, ce n'est pas seulement dans un but de rentabilité et tu le sais. Mon travail est toutes ma vie, et il me passionne. Je suis fier d'avoir mis cette entreprise sur pied et je ne puis me résoudre à la perdre.
A court d'arguments, Shikamaru se laissa lourdement retomber contre son dossier.
- Entendu, Sasu. Il est clair que tu as envisagé la situation sous tous ses angles. Revenons donc à ton fameux projet : comment comptes-tu le mettre à exécution ?
Un large sourire éclaira les traits de Sasuke. Son ami se résignait enfin à l'écouter. C'était déjà un gigantesque pas en avant !
( ** je sais... un Sasuke qui sourit, n'est pas un Sasuke... mais là j'en avait marre de voir partout un Sasuke qui reste un glaçon ! ^ ^ )
- Voilà : mon plan est à la fois simple et avantageux pour chacune des parties. Je réponds à l'annonce, je propose à cette jeune femme de m'épouser seulement pour quelques mois. Pour elle, cela ne peut qu'être appréciable de rendre ainsi son enfant légitime. Nous fixons par contrat une date de séparation qui mettra fin automatiquement au mariage et nous irons chacun de notre côté. Pas de drame, pas de disputes. Elle aura son bébé et moi les Etablissements Uchiwa.
- Le tout bien net et sans bavure, soupira Shikamaru d'un air sceptique.
Saisissant le magazine abandonné sur la table, il relut le texte en secouant la tête.
- Franchement, Sasu, je n'arrive pas à imaginer quel genre de femme a pu passer une offre aussi bizarre. Qu'est-ce qui te prouve d'ailleurs, qu'il ne s'agit pas d'une plaisanterie ?
- Bah... nous verrons bien. Qu'avons-nous à perdre ? Je ne risque pas grand-chose, si ce n'est de me rendre ridicule. Mais à mon avis, nous avons affaire à une gentille créature terriblement effacée, un peu effrayée par les hommes. La maternité la consolera de sa solitude.
- Si tu l'épouses, la créature en question sera en droit d'exiger une pension alimentaire. As-tu songé à cela ?
- Parfaitement ! De toute façon, j'envisage d'ouvrir un compte à l'intention de cet enfant. Je suis peut-être un opportuniste mais pas un rustre.
Shikamaru le regarda droit dans les yeux.
- Tu as entendu les arguments de l'avocat, mais voici ceux de l'ami : te rends-tu compte que ce bébé sera le tien et qu'il te sera enlevé ?
Une lueur d'incertitude traversa fugitivement les prunelles noires de Sasuke.
- J'ai réfléchi longuement à cet aspect de la situation. Mais cela ne présentera aucun problème, j'en suis certain. Cet enfant sera à elle et à elle seulement. Il n'y aura aucun investissement affectif de ma part.
- C'est précisément ce qu'affirmait Hinata lorsqu'elle est partie. Elle a claqué la porte en clamant haut et fort qu'il lui était tout à fait indifférent de ne jamais nous revoir, les garçons et moi. La maternité n'avait prétendument aucun sens pour elle. Tu connais la suite...
Alarmé par les inflexions douloureuses dans la voix de son ami, Sasuke se tut un instant. Le profil détourné, Shikamaru contemplait sans les voir les lumières de la ville maintenant plongée dans la nuit. Se remettrait-il un jour du départ de sa femme ? se demanda Sasuke, le coeur serré par la compassion. La plaie laissée par cette rupture brutale ne s'était jamais refermée, voilà pourquoi le jeune avocat réagissait avec sensibilité excessive dès qu'il était question de couple et de paternité.
- Ecoute Shika, si Hinata a tout abandonné, c'est qu'elle avait de graves problèmes. Combien de fois déjà n'avons-nous pas abordé ce sujet ? Mais la situation sera entièrement différente en ce qui me concerne. Je ne m'engage pas à la légère, tu sais. J'ai longuement médité sur...
- Hinata aussi avait médité à loisir sur nos relations ! Elle avait décidé d'opérer une coupure nette, sans retour possible. Adieu le couple ! Adieu les enfants et bon vent ! Elle allait recommencer, reconstruire une existence en oubliant le passé. Mais cela n'a pas fonctionné du tout, Sasu. Quelques mois plus tard, elle me suppliait de lui laisser Mikoto et Taiyo.
Ebranlé, Sasuke secoua la tête.
- Tu n'ignores pas à quel point tout cela me touche, Shika, mais pourquoi établis-tu cette comparaison ? Hinata était devenue dépressive, irritable, instable. Ce qui n'est pas mon cas, tu es bien d'accord ? De plus, il y avait des liens très forts entre elle, toi et vos enfants. Moi je ne le verrai même pas, ce bébé ! Comment veux-tu que naisse le moindre attachement ?
- Et pourtant, je soutiens que ce serait jouer avec le feu ! Penses-tu que ce soit si facile de mettre fin à un mariage ?
- Il ne s'agira pas d'un mariage, que diable, mais d'un arrangement ! La nuance est tout de même de taille.
Avec un soupir résigné, Shikamaru entama son deuxième cocktail.
- Autrement dit, rien ne te détournera de ce projet, c'est bien cela ?
- A moins que tu aies une autre solution à me proposer...
- Pas pour l'instant. Mais je continuerai à réfléchir.
Estimant que le débat était clos, Shikamaru fit signe au serveur de lui apporter la note. Puis il sourit en se penchant de nouveau sur l'annonce.
- Bah, avec un peu de chance, elle aura déjà trouvé quelqu'un d'autre, s'exclama-t-il avec bonne humeur. D'ailleurs, rien ne prouve que tu satisferas à ses exigences. Voyons... pour l'ouverture d'esprit, cela devrait aller. Mais le physique agréable ? La beauté ?
Sasuke éclata de rire.
- L'avenir nous le dira, mon cher ! Et en tout cas, merci d'avoir eu la patience de m'écouter.
Les deux hommes se séparèrent à la sortie de l'établissement. Sasuke laissa son ami s'éloigner avant de sortir de sa poche une enveloppe adressée au City Magazine Express. Sourcils froncés, il prit une carte de visite dans son portefeuille et la glissa à l'intérieur. Il s'apprêtait à la cacheter lorsqu'il suspendit son geste. L'annonce précisait clairement que les postulents à la paternité devaient joindre à la fois un curriculum vitae et un certificat médical. Indécis, il s'attarda un instant sur le trottoir.
Un curriculum vitae ! Quoi de plus fastidieux à rédiger, de plus sinistre à lire ? Jamais encore, il n'avait eu l'occasion d'en écrire un et il n'avait pas la moindre envie de commencer aujourd'hui !
Avec un sourire résolu, il ferma l'enveloppe. Si cette demoiselle avocate avait le moindre sens de l'humour, elle s'intéresserait peut-être à cette candidature pas comme les autres. Et si elle n'en avait pas, tant pis pour lui. De toute façon, le projet entier n'était qu'un coup de dés... Alors autant s'en remettre au hasard jusqu'au bout !