Clair-Obscur

Chapitre 11 : Feu

Catégorie: G

Dernière mise à jour 09/11/2016 17:24

 

Feu

 

Même les meilleurs ninjas l’admettaient : aussi préparé soit-on, aussi assuré et confiant, il y avait toujours dans une mission une part de chance pure, ou parfois aussi, de malchance crasse et absolue. Une part d’imprévisible le plus total qui s’abattait sur vous dans un déferlement de ce que l’on ne pouvait qu’appeler poisse, ou éventuellement sens de l’humour particulièrement tordu et malfaisant du destin.

Il se trouva que cette mission appartenait finalement à la catégorie de celles qui aussi bien préparées et engagées soit-elles étaient vouées à virer à la catastrophe et à la débandade la plus démente, de celles qui passaient du statut “niquel, tout se passe comme sur des roulettes” à “Putain de Bon Sang de Bordel de MERDE !!!” en moins de temps qu’il n’en faut pour dire “loi Murphy”.

Et comme la loi Murphy (ou le destin, ou la malchance selon qu’on se plaisait à la nommer) avait un sens du timing tout à fait affûté, il était communément admis qu’elle choisissait, bien entendu, le pire moment pour lancer le début des opérations.

 

Cela dit, -et les meilleurs ninjas l’admettaient également-, ce qu’on appelait poisse pouvait parfois avoir un autre nom, mieux caché.

Et ce nom était trahison.

 

---

 

« Du thé Naruto-san ? Sasuke-san ? »

Depuis son poste accroupi contre un mur, les yeux rivés sur le sembon qu’il était en train de recoudre dans le revers de son T-shirt (les fils maintenant l’aiguille étaient desserrés, et celle-ci glissait et lui piquait le flanc), Naruto secoua la tête de manière négative. Près de la fenêtre Sasuke en fit autant.

Takara s’agenouilla à côté d’O-kana sur le futon et versa le liquide chaud dans les coupes d’un geste habile et élégant.

« Juste le temps de boire, et nous sommes partis, » annonça-t-elle avec un sourire ravi. « Le feu d’artifice n’est pas avant des heures, mais les spectacles de rue ne devraient pas tarder à commencer. J’ai discuté avec l’aubergiste, elle m’a conseillé d’aller voir du côté de la grand-place, il paraît qu’il y aura des jongleurs et des marionnettes ! »

Sasuke pour lequel l’habileté des jongleurs n’avait rien de très exceptionnel et qui même après la fréquentation intensive de Kankuro restait parfaitement imperméable à la porté artistique des spectacles de marionnettes haussa les épaules, et se replongea dans l’observation de la rue animée par la fenêtre. Naruto, lui, sourit par-dessus le T-shirt sur ses genoux puis reprit sa couture avec une moue concentrée.

« J’aimerais beaucoup voir des cracheurs de feu… Et me faire lire les lignes de la main, quand j’étais petite nous allions voir la voyante avec ma sœur et mes frères tous les ans à la Courte Nuit, il paraît que cela porte-bonheur… »

« Nous faisions la même chose au Pays de la Foudre, » sourit doucement O-kana en serrant sa tasse de thé entre ses mains frêles. « Mais là-bas nous l’appelions la fête des Trois Temps, et les mariages qui ont lieu cette nuit-là sont consacrés par les Dieux car- ho ! »

La tasse qu’elle tenait vacilla entre ses mains et du thé se répandit sur le tatami tandis que Takara se précipitait vers elle. En une fraction de seconde Sasuke avait quitté la fenêtre pour s’agenouiller à ses côtés, une main légère contre le haut de son dos pour la stabiliser. Naruto était encore en train de se dépêtrer de son ouvrage.

« O-kana-sama ! 

- O-kana, souhaitez vous que j’aille chercher Ojiro-san ? 

- Non… non, ça va… » Un sourire incrédule illumina le visage pâle d’O-kana tandis que ses mains se posaient en coupe contre son ventre. « Ça va aller. C’est juste… Il a bougé, je l’ai senti. »

Sasuke retira sa main comme s’il s’était brûlé tandis que Takara se répandait en murmures ravis et avec l’autorisation de sa maîtresse posait les mains à plat sur le ventre tendu.

« Je le sens… » murmura-t-elle d’une voix étranglée, « vous voyez il n’y avait aucune raison de s’inquiéter, Ojiro-san vous l’avait bien dit. Je le sens… »

Sasuke avait battu en retraite vers la fenêtre. Figé contre son mur, Naruto fixait les mains d’O-kana crispées sur son ventre avec une expression à mi-chemin entre le désarroi et la stupéfaction.

Les yeux noirs croisèrent les siens, écarquillés et inquiets et elle sourit avec douceur, comme si elle voyait exactement ce qui se passait en lui.

« Voulez-vous toucher, Naruto-san ? »

L’expression de Naruto vira une brève seconde à l’incrédulité mêlée d’une horreur immédiatement submergée par le désir, comme un homme assoiffé qui se verrait proposer une oasis.

« C’est… Je peux, vraiment ? 

- Venez, » Elle souligna l’ordre d’un petit geste de la main, et le jeune homme obéit, comme hypnotisé, oubliant toutes convenances à respecter entre un ninja et son client –mais à vrai dire ce n’était pas comme s’il s’était jamais beaucoup soucié des convenances.

« Tenez, posez votre main là. » Naruto hésitait, comme si le ventre de la jeune femme était piégé, susceptible de lui exploser à la figure ou de disparaître avant qu’il ne l’ait touché.

« Aller. »

 

Avec prudence il posa deux doigts sur le tissu du kimono couvrant le ventre arrondi, avec autant de délicatesse qu’il aurait manipulé des explosifs ou une sculpture de cristal. Un sourire d’abord hésitant puis stupéfait éclaira son visage.

« Je le sens bouger… »

O-kana sourit en retour.

« C’est la première fois… C’est tard dans la grossesse, le sixième mois... On pensait qu’il y avait peut-être un problème, mais… »

La chaleur à travers les vêtements, la courbe douce du ventre. Et sous des doigts…

« C’est… incroyable… Je le sens bouger ! »

La jeune femme rit de l’émerveillement enfantin du ninja blond, mais il y avait aussi du soulagement dans sa voix.

« Sasuke, c’est incroyable, tu devrais.... » Ses mots moururent dans sa gorge à l’instant où il jeta un coup d’œil en direction de son équipier. Sasuke était figé dans l’encadrement de la fenêtre, livide. « … monter la garde, » acheva-t-il un peu stupidement en laissant ses mains retomber sur ses genoux.

 O-kana n’avait pas remarqué l’incident, et le retour de Takara armée d’un linge pour éponger le thé renversé et suivit d’Ojiro acheva de détourner son attention. Quand Naruto risqua un nouveau coup d’œil vers la fenêtre le visage de Sasuke était de nouveau composé, figé dans son habituelle expression impassible, et son regard mordant l’aurait dissuadé de dire quoi que ce soit s’il en avait eu l’intention.

Ce qui n’avait pas été le cas.

 

Depuis qu’il avait pris la décision de parler avec Sasuke au terme de la mission, quelque chose avait dû changer dans son propre comportement, et leurs relations s’étaient étonnamment rapprochées de la normale. Il avait bien surpris le Regard de son équipier sur lui une fois ou deux, mais il l’avait ignoré avec bien plus d’aisance que précédemment, et ils avaient tenu une conversation presque dénuée de tensions et de silences –presque normale- sur le plan de l’auberge et ses désavantages défensifs.

Et Naruto avait réalisé a quel point ça lui avait manqué, à quel point ce semblant de normalité qui était le leur avait été cruellement absent du mois qui venait de s’écouler.

Et c’était pour cela qu’il n’aurait rien dit. Les secrets et les problèmes de Sasuke étaient les siens, l’avaient toujours été. Ils étaient hors limite, et tant qu’ils ne concernaient ni lui ni la mission alors Naruto n’avait pas à s’en mêler. Plus simplement il savait à quel point Sasuke haïssait laisser transparaître toute trace de faiblesse. Revenir sur ce qui en était visiblement une ne ferait que l’insulter gravement.

C’était quelque chose qui ne lui appartenait pas, et pas plus que Sasuke ne commentait ses pupilles fendues, ses crocs anormalement protubérants ou le chakra bouillonnant du Kyuubi il ne questionnerait son équipier sur sa réaction.

C’était comme ça, ça l’avait toujours été. Et d’une certaine manière c’était parfait.

 

-

 

Il avait pensé qu’après l’incident du bébé O-kana préfèrerait rester à l’auberge pour la soirée, mais apparemment il aurait difficilement pu se tromper plus.

La jeune femme était pleine d’une énergie renouvelée, et en adéquation Takara vibrait littéralement d’excitation, pliant et repliant des tissus avec une nervosité fébrile tandis qu’ils se préparaient pour sortir. Même l’irascible et intraitable Ojiro-san semblait tout à coup trouver qu’un peu d’exercice ne pouvait que faire du bien à la future mère, et malgré quelques exhortations bien senties il se montra presque civil avec les ninjas, allant même jusqu’à sourire avec indulgence devant le sourire hébété dont Naruto ne parvenait pas tout à défaire son visage.

Même une fois dans la rue, au sein de la foule enfiévrée, il surprit son regard à venir se poser sur le ventre d’O-kana, et il pouvait presque sentir sous ses doigts les mouvements d’un enfant à naître.

 

Le crépuscule bordait les nuages bleu d’un liseré d’or, et les lampions suspendus à des câbles repoussaient l’ombre montante. Des enfants armés d’éphémères bâtons d’artifice sillonnaient la foule à toutes jambes, courant d’un groupe à l’autre, laissant dans leur sillage de brèves traînées de lumière. Kimonos finement brodés, étoffes colorées et chatoyantes, le flot des habitants de Kaga semblait sans fin, et les rires amusés ou émerveillés fusaient de toute part dans un brouhaha immense et gai.

Naruto se tenait à droite d’O-kana, la gardant des mouvements brusques de la foule tandis Ojiro-san marchait à sa gauche, l’entretenant des coutumes comparatives entre le Feu et la Foudre en ce qui concernait la célébration de la Courte Nuit.

 

Sans s’être consulté ils avaient repris leurs places habituelles dans ce genre de cas, Naruto gérant la protection au corps à corps et Sasuke marchant à distance, suivant dans la foule à une dizaine de mètres.

Sharingan ou non, il était d’entre eux celui qui avait la meilleure vue, le meilleur œil pour les détails, et il était le plus à même de voir venir le danger de loin. Naruto ignorait si c’était un trait héréditaire lié à la possession du Sharigan, ou si c’était plus simplement Sasuke et son irritante habitude d’être toujours le meilleur, mais en plus d’un oeil de faucon sans même avoir besoin d’activer sa capacité héréditaire, son équipier possédait une mémoire visuelle presque parfaite. Il lui suffisait d’une lecture pour se souvenir au mot près du contenu d’un parchemin (ce qui de l’humble avis de Naruto lui enlevait tout mérite pour ses réussites scolaires quand ils étaient encore à l’académie), il était capable de reconnaître des visages  près d’une dizaine d’années après, et plus étonnant encore aux yeux du jounin blond, il pouvait identifier une personne instantanément d’après une photo.

Comment il s’y prenait ? Mystère.

Pour Naruto, les traits figés d’un visage sur le papier étaient à peu près aussi utiles qu’un tome du Paradis de la Drague pour les tortues de Maito Gai (c’est-à-dire absolument pas.) Ce n’était pas ainsi qu’il identifiait un homme, mais à sa manière de bouger, de se tenir, à son langage corporel et toutes ces choses qu’une photographie ne rendait pas…

Et pourtant, Sasuke y parvenait avec une aisance confondante. Et s’il absorbait religieusement la nouvelle édition du Bingo Book tous les trois mois, grand bien lui fasse. Personnellement Naruto n’y avait jamais trouvé le moindre intérêt et décrochait invariablement au bout de la troisième fiche listant toutes les informations disponibles –ainsi que possibles, imaginables et parfois totalement hors de propos- sur tel ou tel déserteur sanguinaire, depuis sa marque de dentifrice préférée jusqu’à sa dernière localisation connue qui datait parfois de plusieurs années auparavant…

Ce qui justifiait doublement que Sasuke se charge de la protection à distance et de l’évaluation des risques.

 

D’une poussée délicate, il guida O-kana un peu plus loin d’un cracheur de feu autour duquel était rassemblée une foule dense et fébrile. Tandis qu’un champignon de flammes fleurissait au-dessus des têtes accompagnée d’applaudissements et de cris enthousiastes, il sourit avec indulgence pour lui-même. Il était quelque peu difficile d’être impressionné par une petite boule de feu quand Sasuke était capable d’embraser la tour de l’Hokage d’un seul souffle...

Un étalage de friandises offrait des spécialités venant apparemment du pays de la Foudre, et Takara attira O-kana vers l’échoppe décorée de bannières vertes et rouges aux couleurs vibrantes malgré la pénombre montante.

Les deux jeunes femmes se penchèrent sur les bacs emplis de confiseries de toutes sortes et couleurs, et O-kana demanda au vieil homme qui tenait l’étalage un petit paquet de sucre de palme emballé dans une section tronçonnée de bambou fermé par des feuilles de palme habilement pliées. C’était une spécialité du pays de la Foudre, expliqua-t-elle avec un sourire, et l’on en trouvait très peu au pays du Feu. Takara semblait ne savoir que choisir, car son regard allait et venait sur l’étalage sans s’arrêter sur un produit particulier, et elle rongeait distraitement l’ongle de son pouce.

Elle avait l’air… Naruto redressa la tête et chercha Sasuke dans la foule. Elle avait l’air nerveuse.

 

Il trouva Sasuke à une dizaine de mètres de là près d’un étalage un peu éloigné des flambeaux, feignant d’examiner avec attention un cadre de bois. Mais Naruto savait que son regard courait sans cesse sur la foule mouvante. Avant même qu’il n’ait tenté d’attirer l’attention de son partenaire dont la vigilance était dirigée sur un croisement un peu plus loin, la main de ce dernier voleta à hauteur de son visage, très vite, comme s’il remettait une mèche en place. Son autre main était plongée dans le sac qu’il portait à l’épaule.

D’abord le signe pour ‘danger’, puis ‘trois’. Suivant son regard Naruto n’aperçu que deux des hommes, taille moyenne, musculature sèche, regard dur, indubitablement des ninjas. Ils se dirigeaient d’un pas rapide droit vers l’étalage –droit vers O-kana. Il doutait qu’ils veuillent un bonbon.

Et soudain, alors que son regard glissait vers le haut, sur un point qui était caché à Naruto par une oriflamme jaune frappée du symbole de Kaga, l’expression de Sasuke se durcit brutalement et, juste avant qu’il ne s’élance, Naruto saisit les deux derniers symboles, articulés clairement, sans plus aucune précaution.

Fui’,  et ‘maintenant’.

 

-

 

À la seconde où le regard de Naruto s’était posé sur eux, les hommes qui approchaient se surent découvert et accélérèrent, fendant la foule toute discrétion jetée aux orties. Naruto attrapa le poignet d’O-kana et la tira loin de l’étalage, plantant là Takara et Ojiro, se plaçant entre elle et les hommes tout en fouillant dans la sacoche qu’il portait en bandoulière.

« Il faut sortir d’ici, vite. 

- Que… 

- Ils nous ont trouvés. Il va falloir que vous restiez calme O-kana. Vous pouvez le faire ? »

Sans plus aucun égard pour les groupes de civils les ninjas s’étaient élancés à toute vitesse et l’un deux prit son appel sur l’étal d’un vendeur de charmes. O-kana était devenu livide et sa main tremblait dans celle de Naruto juste avant qu’il ne la lâche. Il n’y avait plus le temps.

« Kage Bushin no Jutsu ! »

 

La suite s’enchaîna très vite. À l’instant où les ninjas allaient établir le contact une explosion et un nuage de fumée obscurcirent un instant toute visibilité. Des cris paniqués retentirent dans la foule, couvrant la note claire de l’acier rencontrant l’acier.

La vue s’éclaircit, révélant une quinzaine de Naruto tous vêtus du même T-shirt orné d’un bol de ramen et d’un pantalon de toile beige. Quelques-uns étaient dispersés au sein de la foule terrifiée et refoulaient tant bien que mal les civils, leur ordonnant sans grande efficacité de s’éloigner le plus possible tandis que quatre autres clones retenaient les deux ninjas déserteurs en plein milieu de la rue et qu’un dernier Naruto entraînait la silhouette frêle d’O-kana au milieu du flot refluant de villageois.

 

L’air doux de la soirée avait été empli du brouhaha des rires et des discussions, du craquement des flammes dansant sur les torches, des multiples bruits de la nuit et de la fête se mêlant les uns aux autres. Il ne fallut qu’une fraction de seconde pour que la rumeur joyeuse soit rompue. L’explosion, puis les hurlements couvrirent tout le reste, appels de couples séparés, jeunes gens bousculées par le flot paniqué fuyant l’affrontement, questionnements affolés, sanglots hystériques.

L’un des deux ninjas que Naruto avait intercepté s’écrasa dans une échoppe, brisant sous lui l’un des poteaux, renversant les tables qui supportaient des poteries vert céladon qui s’écrasèrent au sol dans un fracas énorme. Peu de personnes avaient réellement compris ce qui se passait, et cela ne qui ne faisait que renforcer la panique qui s’étendait dans les ruelles bondées comme un incendie sur de l’huile répandue. Un homme serrant contre lui une femme d’âge moyen fut poussé vers eux par un mouvement de foule et les bouscula en jurant de manière indistincte, manquant d’écraser O-kana contre un mur malgré la barrière des deux bras de Naruto autour d’elle.

« Putain merde, c’est pour ça que je déteste me battre en ville… »

Il tendit le cou par-dessus la foule pour tenter de repérer les ninjas ennemis sans grand succès, jusqu’à ce qu’un clone puis deux en se dissolvant ne lui apprennent que l’un des déserteurs avait été mis à terre par les kage bushin, mais que le troisième ninja repéré par Sasuke était arrivé en renfort.

La dernière image dansant devant les yeux du clone avait été une éruption de terre.

 

Des flambeaux avaient été renversés et la toile d’une série d’échoppes avait pris feu, ajoutant à la confusion et projetant une lumière orangée dansante et des ombres découpées sur la foule. Avec un soupir de soulagement, Naruto tira O-kana dans une ruelle adjacente, prenant soin de ne pas quitter les remous protecteurs de la multitude qui leur fournissait une couverture. La jeune femme était pâle comme la mort et elle tremblait légèrement, mais elle tenait debout, une main crispée contre son ventre et l’autre fermement agrippée au T-shirt de Naruto, et elle ne se débattait pas de manière hystérique comme cela arrivait parfois.

Une fois de plus, brièvement parce ce n’était pas le moment pour de tels sentiments, Naruto ne pue s’empêcher de ressentir une pointe d’admiration pour elle et son courage.

 

La note explosive qu’il avait repêchée dans le fond de sa sacoche s’était révélée plus efficace qu’il ne l’avait espéré, et les ennemis avaient perdu O-kana de vue. Pour l’instant la priorité n’était pas de vaincre les assassins mais de mettre la jeune femme à l’abri. Avec l’état dans lequel elle se trouvait il ne pouvait se permettre de la prendre simplement sous le bras pour la mettre hors de portée le plus vite possible. Ojiro avait pris grand soin de souligner sur tous les tons à quel point trop de cahots ou de mouvements brusque pouvaient se révéler dangereux pour la mère, et plus encore pour l’enfant et risquaient de déclancher une fausse-couche… Avant de régler le problème des ninjas déserteur Naruto devait s’assurer de mettre O-kana en sûreté. Avec l’ombre grandissante et la foule, il leur serait encore plus difficile de la repérer… Mais…

« Bordel, Sasuke, qu’est ce que tu fous ? J’ai besoin de toi connard. » 

Il avait murmuré pour lui-même, les yeux balayant la multitude bigarrée et les maisons plongées dans l’ombre au-dessus d’eux, cherchant en vain une trace de son partenaire.

« Sasuke… »

Comme en réponse à son appel, son équipier s’écrasa dans une échoppe de fortune une quinzaine de mètres plus loin, provoquant un nouveau mouvement de panique dans la foule, et quelque chose qui ressemblait étrangement à du soulagement se dénoua en Naruto.

 

Bon, à vrai dire il était unanimement admis Sasuke Uchiha ne pouvait faire quelque chose d’aussi dépourvu de grâce que s’écraser où que ce soit… Il effectua donc un atterrissage quelque peu incontrôlé en plein milieu d’une échoppe. Et avant même que les éclats de bois ne soient retombés et qu’une femme ne se mette à hurler il était de nouveau sur ses pieds, sa Kusanagi en garde haute et agrippant encore dans l’autre main le rouleau d’invocation vide dans lequel son katana avait été stocké.

Les flammes se reflétèrent un instant sur la lame nue, créant un caléidoscope de lumière, et les civils refluèrent en panique, menaçant d’entraîner de nouveau O-kana et Naruto. Ils avaient plutôt raison de refluer d’ailleurs, car Sasuke avait lâché le rouleau, planté sa lame en terre, et articulait à toute vitesse une série familière de sceaux.

« Katon, boule de feu majeure ! »

Le champignon de flammes prit naissance à sa bouche, enfla, s’ouvrit comme une fleur pourpre en train d’éclore. Et à la seconde où Naruto se demandait ce qu’il visait, le feu heurta en plein vol une trombe d’eau énorme.

Les éléments se rencontrèrent dans un sifflement assourdissant de vapeur en expansion, se vaporisant mutuellement avant de pourvoir retomber sur la foule et noyant toute visibilité dans un brouillard chaud et humide qui envahit les rues.

Parfait.

 

« Sasuke, par ici ! »

Sans attendre Naruto se plaça dos à O-kana, face à la foule, et forma de nouveaux les symboles avec cette aisance machinale aussi instinctive que la respiration. À présent que Sasuke était là ils pouvaient passer aux choses sérieuses.

« Kage bushin no jutsu ! »

Le chakra se concentra, s’épandit. Et alors qu’il y avait une quinzaine de Naruto dans la foule, il y en eut soudain cinquante, cent, plus encore, bien plus qu’on ne pouvait en compter… Et avant même que la fumée ne se soit totalement dispersée, la moitié d’entre eux formait les sceaux de la technique de transformation, prenant presque immédiatement l’apparence d’O-kana, et d’autres encore l’apparence de Sasuke.

« Idiot ! Qu’est-ce que tu fais encore là ?»

Sasuke –le seul, l’unique- se matérialisa à ses côtés, Kusasnagi toujours en main et son Sharingan tourbillonnant follement.

 

« T’as pris ton temps connard. Statut ? 

- Mobile, pas de dommages. Mais on a un sérieux problème. » Il tira de son sac un étroit rouleau d’invocation bordé de rouge et de vert, et calla son katana sous son bras le temps d’articuler trois sceaux à toute vitesse puis d’appliquer sa main à plat sur le parchemin avec une expression tendue, ignorant Naruto un instant. « Tenez O-kana, » continua-t-il en tendant le rouleau à la jeune femme. « On va vous mettre à l’abri le temps de s’occuper de ça. Si jamais vous avez un problème, qu’un ennemi vous trouve ou quoique ce soit, mettez du sang là-dessus. Vous recevrez de l’aide. 

- Une simple goutte fait l’affaire. », ajouta Naruto d’un ton bien plus détendu tandis qu’elle acquiesçait faiblement. Sasuke était nul à rassurer les gens, heureusement qu’il était là pour faire les relations publiques…

- Ne vous inquiétez pas, avant de vous atteindre ils devront nous passez sur le corps, et ils auront du mal à faire ça vu que crétin ici présent met une mauvaise volonté extrême à se faire tuer, et que je suis le futur Hokage de Konoha… » Il lui adressa un sourire confiant et féroce auquel elle répondit à peine, mais elle hocha la tête.

- Ça suffit maintenant, » siffla Sasuke en fouillant les toits du regard. « Allez-y. 

- On est parti, » murmura Naruto tandis que quelques clones lançaient sur la foule et les toits des bombes fumigènes. Il attrapa O-kana et la souleva sans effort, la callant dans ses bras avant de s’élancer et de rejoindre les toitures où il la transféra délicatement dans les bras d’un des clones.

« ALLER LES GARS, ON Y VA ! 

- YO ! »

 

Et comme un seul homme les clones quittèrent soudain de la foule pour prendre pied sur les toits et s’égailler dans toutes les directions par groupe de deux ou trois, les Naruto portant les O-kana, et comme une vague humaine ils s’élevèrent un instant, emplissant le ciel et provoquant de nouveaux hurlements dans la foule. Et le feu de Sasuke jaillit de nouveau pour intercepter une gerbe d’eau venue de nul part, qui manqua d’emporter une dizaine de clones d’un coup, et la vague retomba dans une nouvelle explosion de vapeur, et il ne resta plus que l’Uchiha et Naruto sur les toits, à une dizaine de mètres l’un de l’autre, en position de combat, et le ninja blond sourit de nouveau, mais cette fois-ci il n’y avait rien de rassurant dans l’expression. Uniquement de la férocité.

Les choses sérieuses pouvaient vraiment commencer.

 

-

 

« Alors ? »

Naruto bondit, kunaï en main, vers la rue où les derniers clones tenaient encore tête aux deux déserteurs. Sasuke était quelque pas en avant de lui, volant au-dessus des étalages en feu. Les civils avaient déserté la rue du premier contact et ne subsistait que la rumeur des cris, de l’information qui se propageait et de l’incendie qui gagnait. Le feu était le pire ennemi d’une ville comme Kaga.

« Ce ne sont pas eux le problème… » Un autre appel, une foulée, et ils se laissèrent tomber dans la mêlée comme deux fauves sur leurs proies, se partageant la tache d’un commun accord. « Il y en a d’autres. » La Kusanagi traça un arc sanglant et ce fut fini. « Deux… » Naruto n’était pas aussi rapide que son équipier et sa cible eut le temps de se retourner et de tenter une riposte. « Bingo Book. » Non pas que cela fasse une grande différence… « Ne t’arrête pas ! »

Naruto obéit à Sasuke sans réfléchir et reprit son élan vers les toits sans chercher à dégager son kunaï de la gorge de l’homme. Bien lui en prit, car s’il ne vit pas ce qui le frappa, il sentit nettement le remous d’air, l’odeur furtive d’humidité, et la lame qui l’aurait sans doute transpercé déchira son T-shirt et traça une ligne écarlate sur son flanc droit.

 

Il réagit instinctivement, se jetant de côté pour mettre de la distance entre lui et l’attaquant, prit pied sur le rebord du toit et se laissa brusquement retomber.

Comme il s’y attendait le son de la Kusanagi croisant une autre lame retentit au-dessus de lui avant même qu’il ait touché terre, et il mit à profit les quelques secondes que lui avait gagné Sasuke pour récupérer le dernier rouleau dissimulé dans sa sacoche. Trois sceaux plus tard il jetait le rouleau de stockage vide et finissait de sangler autour de sa taille le poids rassurant de sa ceinture d’arme.

Le temps qu’il rejoigne de nouveau les toits Sasuke et son adversaire s’étaient séparé et se toisaient depuis les extrémités du toit, figés dans une posture ramassée et agressive. La nuit n’était pas encore totalement tombée, et la lumière grise qui baignait le toit perdurerait encore un moment, -c’était, après tout, la Courte Nuit. Mais cela ne durerait pas plus d’une demi-heure, et les lueurs orangées montant de la rue peinaient déjà à illuminer la scène. Heureusement la nuit était claire, et la demi-lune accrochée au-dessus d’eux fournirait un minimum d’éclairage.

« ‘tain, ce mec est rapide, » marmonna Naruto en atterrissant près de Sasuke. « Lee va être mort de jalousie de ne pas avoir été là. » Puis son regard se posa sur la kunoichi perchée sur la cheminée et il haussa les épaules en réponse au regard sarcastique qu’il savait que Sasuke lui avait adressé. « Ok, ok… Bingo Book tu dis ? 

- S, tous les deux je crois. Village caché de la bru-…

Sasuke s’interrompit, la kunoichi avait bougé, si rapidement que Naruto l’avait à peine vue. Avec un juron, il rompit la position de défense qu’il avait adoptée et prit un peu plus de champs, se plaçant de manière à couvrir les arrières de Sasuke sans qu’ils ne se gênent mutuellement.

- Où est l’autre bordel ? »

À l’arrière de son esprit, il pouvait sentir des clones disparaître, sans même savoir ce qui les avait frappés.

La kunoichi avait changé de toit, se déplaçait avec une vitesse hallucinante et des mouvements sûrs et fluides sur les tuiles bleu-grises. Une fraction de seconde, la lune se refléta sur la lame courbée d’un tachi, puis elle bougea de nouveau et interrompit brusquement l’arc de cercle qu’elle décrivait autour d’eux pour bondir droit sur Sasuke, un mouvement, deux mouvement, et les lames se rencontrèrent dans un crissement d’acier, un crépitement de chakra, et le jounin brun rompit d’un pas pour reprendre son équilibre.

Elle avait presque failli prendre Sasuke par surprise, réalisa-t-il bouche bée.

 

Mais déjà elle s’éloignait de nouveau, bondissant en arrière puis infléchissait de nouveau son attaque, engageant puis rompant à toute vitesse, tournoyant et testant les défenses de Sasuke qui dansait de même, éprouvait sa rapidité, son style avec son habituelle froideur analytique. Ce n’étaient que des passes d’armes pour l’instant, tests, à peine une touche de chakra pour corser l’affaire.

Puis soudain elle rompit plus largement, revint s’accroupir sur le faîte d’un toit à une distance prudente de Sasuke, et son rire clair retentit dans la nuit, couvrant un instant la rumeur et le feu en contrebas.

« Ils sont bons. Il va falloir les tuer si on veut trouver la femme tranquillement. Finalement on a pas tout perdu. Ne fais pas la tête Saï, tu vas bien t’amuser aussi si l’autre vaut le quart de celui-là.»

C’était… légèrement insultant. Sasuke paierait. C’était sa faute si les gens le prenaient toujours comme point de référence. Il le faisait exprès parce qu’il savait que ça irritait Naruto, c’était forcé.

« Vu la quantité de clones produits, il doit au moins en valoir autant, » murmura une voix froide dans l’ombre. « J’en ai pourchassé quelques-uns et ce sont des clones d’ombre. Tous corporels. 

- Ho, impressionnant. C’est pas donné à tout le monde, » la femme pencha la tête et la demi-lune blanche d’un sourire fut un instant visible. « Je suppose que c’était à prévoir, ils n’ont pas assigné n’importe qui à la protection de la maîtresse du premier conseiller du Daimyo… 

- Ce serait plus simple si on pouvait simplement raser la ville. Elle n’a pas dû quitter les murs. » fit remarquer l’homme. Naruto et Sasuke avaient manœuvré de manière à se trouver dos-à-dos, et malgré tous ses efforts Naruto ne parvenait pas à distinguer la silhouette du second ninja dans l’obscurité. Mais… une minute

« Comment ça, la maîtresse du premier conseiller de Daimyo ?! » L’exclamation indignée lui échappa un peu malgré lui. «  C’est au moins une mission A ça, merde ! Et ils nous envoient seulement tous des deux en prétendant que c’est une B ? Si la vieille était au courant, je lui fais la peau, bordel ! 

Il détestait ça. Pourquoi l’Intel n’était jamais fichu de donner des renseignements exacts? C’était leurs vies, putain…

- Pas maintenant, » siffla Sasuke entre ses dents. Son dos était chaud contre le sien, et il pouvait sentir la tension qui irradiait de son ami. C’était étrange, parce qu’il n’avait jamais vu Sasuke autre chose que férocement satisfait à la perspective d’un combat. « Ecoute-

- Hé, vous deux là-bas, je suis Uzumaki Naruto ! Le futur Hokage de Konoha ! Et je vais vous faire cracher vos dents si vous essayez de toucher O-kana ! C’est compris ?! »

 

 Sur le bord du toit, se découpant en ombres chinoises sur le ciel bleu sombre, la kunoichi s’immobilisa brutalement.

« Uzumaki de Konoha ? Le jinchuuriki ? »

HA ! Ils connaissaient son nom ! Prends ça, Sasuke…

La silhouette d’un homme fit son apparition à côté de la femme, mince et élancé, aussi grand qu’elle était menue. Ils formaient un couple dépareillé mais étrangement harmonieux. Rien qu’a la manière dont la femme avait fait un infime pas de côté pour laisser place à son compagnon, on devinait la familiarité d’une équipe terriblement efficace. Dangereuse. Dans l’ombre, il distingua la forme inhabituellement longue et étroite de l’épée que l’homme portait aux côtés.

La voix de la kunoichi se fit soudainement plus basse, sérieuse.

« C’est lui qui a tué Kisame, si la rumeur dit vrai. 

- Oui, » murmura son compagnon d’un ton neutre, et soudain une bouffée de vent attisa les flammes, dans la ville, et le feu enfla, grimpant sur les toits et jetant ses lueurs dansantes et orangées sur la scène, permettant à Naruto de mieux distinguer leurs adversaires. Contre lui il sentit Sasuke prendre deux respirations profondes.

« Elle c’est Kô des Trois Rivières, » récita-t-il dans un murmure, suffisamment bas pour que seul Naruto l’entende, « Ancienne sabreuse de la brume, rapide, spécialisée dans le corps à corps, utilise des techniques de Vent et d’Eau. L’autre c’est Hakujin Saito, sabreur aussi. Il y a très peu d’infos sur lui. Bon stratège, techniques de Foudre et d’Eau. Fais gaffe à son épée, c’est une des trois tokurei, s’il faut en croire les rumeurs. 

- Bien reçu. Je savais bien qu’un jour ou l’autre ça finirait par être utile que tu apprennes le Bingo Book par cœur, » railla Naruto à mi-voix.

 

C’était mauvais. Il n’était pas à son meilleur contre des escrimeurs, et même si se battre régulièrement avec Sasuke lui avait donné une certaine expérience en la matière, sa spécialité restait le corps à corps.

Il lui était arrivé d’étaler des ennemis armés de sabres malgré leur plus grande allonge… Hoshigashi Kisame était l’exemple le plus récent (et le plus dangereux), mais il ne comptait sans doute pas, vue que la seule raison pour laquelle Naruto était encore en vie était qu’il avait fait exploser son arme en la surchargeant d’énergie démoniaque.

 Ces deux-là… Ces deux-là seraient certainement d’une toute autre trempe. Il pouvait sentir le chakra lourd et paresseux s’étendre entre eux, l’attente et l’anticipation, la fraîcheur mordante de la nuit, la danse du feu et l’étincelle glorieuse qui ne demandait qu’à s’enflammer…

Il n’était pas vraiment certain de ce qu’était une épée tokurei –il avait le sentiment qu’il était censé le savoir, mais il fallait être soit Sasuke soit Tenten pour parvenir à retenir toutes les informations sur toutes les lames spéciales, maudites, forgées par les Dieux, les Démons ou autres… Il sourit, donna un coup de coude à Sasuke, et se détendit imperceptiblement lorsque son partenaire le lui rendit sans le regarder, plus vicieusement qu’il ne l’était strictement nécessaire.

« On va bien s’amuser. »

 

Même si le feu éclairait à peine son visage, il sut que la kunoichi souriait en réponse –à son propre sourire, à sa déclaration, à la nuit peut-être, et à l’étincelle qu’elle sentait aussi, qui pouvait le dire ? La lumière accrocha un instant ses pommettes, la ligne de sa mâchoire, se perdit dans les courtes mèches qui encadraient son visage. Souligna les traits longs et sérieux de son compagnon, accentua le temps d’une bouffée de flammes le relief d’une main négligemment posée sur la garde sombre de la tokurei, légèrement, comme une caresse.

Puis le feu recula, et l’obscurité gagna de nouveau, ne laissant que la lueur bleutée de la lune et des étoiles, et le contact de l’épaule de Sasuke contre la sienne.

« Allons-y alors. »

 

-

 

Ils bondirent en avant d’une impulsion simultanée, se séparèrent à mi-chemin alors que leurs adversaires se mettaient en mouvement.

Ou du moins la kunoichi bougea-t-elle, s’élançant à la rencontre de Sasuke dans un mouvement tourbillonnant. Hakujin Saito tint son terrain, dégainant simplement à toute vitesse et glissant dans une posture de blocage haute, pointe de son arme vers Naruto. Ce dernier feinta sur la droite, vers le bord du toit, dansant sur la pente raide. Du coin de l’œil il perçut l’éclat orangé d’une fleur brûlante s’épanouissant, fugitivement, sans y prêter attention.

Trois clones, un kunaï en main, une ouverture, peut-être, pour le premier sang qui compte vraiment de la Courte Nuit.

Mais non.

 

Il pensait l’avoir, mais le sol se dérobe sous ses pieds, il trébuche. Le coup qui aurait dû porter déchire le vide, il se recule précipitamment, et il est encore sur le toit, et pourtant il tombe, il tombe.

Et en un éclair une silhouette, une nouvelle fleur de feu, un contact, et le bras de Sasuke vient s’enrouler autour de son torse, stoppant brutalement la chute. Confusion, incohérence.

Il peut sentir l’épaule de son équipier appuyer désagréablement contre ses côtes et pourtant ses yeux lui donnent une information différente, et ils atterrissent à l’horizontale sur un poteau électrique, sauf que les pieds de Sasuke reposent dans le vide… Et soudain « rupture », murmure contre son oreille sa voix un peu rauque, tendue, et le monde autour de lui se décale brutalement d’une vingtaine de degrés, retrouve sa place, et les sandales de Sasuke sont bel et bien fixées sur le bois du pylône.

« Genjustu, » ajoute ce dernier en guise d’explication, un peu inutilement, avant de laisser aller son équipier et de s’élancer de nouveau pour rejoindre le toit.

 

« Merde. » Naruto reprit pied, observant d’un œil noir la silhouette du ninja déserteur qui semblait attendre patiemment presque au même endroit. Un genjutsu, et un terriblement subtile en plus, autant dans l’application que dans les effets. Il ne s’était rendu compte absolument de rien.

Il n’était pas un pratiquant très acharné de la subtilité, mais il ne put s’empêcher de ressentir  une pointe d’admiration reluctante. Un genjutsu qui modifiait les sens de l’adversaire, suffisamment pour qu’il soit totalement perdu et incapable de se battre efficacement, mais suffisamment peu pour qu’il ne s’en rende pas compte. L’autre n’avait même pas eu à esquiver, son attaque même avait été décalée, inefficace comme l’aurait été toute tentative de parade de sa part si le ninja de la brume avait poussé son avantage au lieu de le laisser venir. Et il avait trébuché parce que la configuration du sol ne correspondait pas à ce que lui disaient ses yeux…

Une chute comme celle du toit était plus que suffisante pour tuer un ninja s’il se réceptionnait mal (bon, peut-être pas lui, mais un ninja qui n’avait pas de démon personnel chargé d’assurer les soins, oui…)

Avec une grimace, il imagina la notice nécrologique… “Uzumaki Naruto, anbu et ex-futur Hokage, tué au combat parce qu’il a confondu le rebord du toit avec le vide…” Aussi irritant cela soit-il, avoir un équipier imperméable à quatre-vingt dix-neuf  pourcents des genjutsu pouvait se révéler utile de temps en temps…

 

« Sasuke… 

- Oui, on change. »

Aussi doué soit-il dans d’autres domaines, il était unanimement reconnu que Naruto n’était que d’une efficacité plus que moyenne face aux genjutsu, alors que d’un autre côté le Sharingan de Sasuke rendait ces derniers tout à fait inopérants…

« On y va alors. HÉ TOI LÀ BAS, C’EST MOI TON ADVERSAIRE MAINTENANT, TU VAS VOIR CE QUE TU VAS VOIR ! »

À ses côtés Sasuke grinça des dents et lui lança un regard irrité –il n’avait jamais été sensible à la beauté intrinsèque des défis en bonne et due forme de toute manière.

« Naruto, ne traîne pas, » murmura-t-il finalement avant de s’éloigner vers le déserteur de la brume qui était à présent son adversaire.

Le blond lui jeta un bref coup d’œil intrigué, puis fut obligé de reporter toute sa concentration sur le combat : la kunoichi attaquait.

 

Si le peu qu’il avait vu d’elle jusque-là dans ses attaques et ses réflexions l’avaient laissé penser qu’elle avait un caractère plus expansif et plus impulsif que son compagnon et qu’il y avait peut-être moyen d’exploiter cela, il découvrit que cela n’était pas vraiment le cas. Pas au combat, du moins. Elle se battait avec une détermination et une concentration effrayantes, entièrement tournées sur lui et sur leur danse aérienne.

De loin ses attaques avaient paru désordonnées –rapides et dangereuses peut-être, mais sans cohérence globale, comme le vol aléatoire d’un papillon. À la seconde où la lame du tachi rencontra pour la première fois celle des kunaï longs qu’il avait dégainé, il réalisa qu’il n’en était rien. Et qu’il aurait du mal à accéder à la requête de Sasuke et de “ne pas traîner”.

Elle méritait plus que largement son rang S.

 

De manière automatique il avait infusé les lames de ses kunaï de chakra de Vent, comme Asuma-sensei lui avait enseigné à le faire longtemps auparavant, avant les Akatsuki immortels. Ce fut la seule chose qui lui sauva la vie à ce moment-là.

Elle avait rompu un instant, prit du champ comme elle l’avait fait précédemment contre Sasuke. C’était visiblement sa manière de combattre, une multiplication de contacts très brefs aux corps à corps pour déborder la défense et profiter son élan et de sa force de frappe sans laisser à l’adversaire le temps de mettre à profit sa plus grande taille et sa force physique.

Malgré le tourbillon du combat, elle haletait à peine, tournant autour de Naruto d’un pas léger et souple, comme un fauve autour de sa proie.

Et soudain ses muscles se contractèrent avec vivacité, et Naruto réagit au quart de tour en levant ses kunaï en position de garde. Mais contrairement à ce qu’il avait cru elle n’attaqua pas, le tachi fendit l’air nocturne dans un sifflement, et pourtant elle était trop loin, mais-…

Il n’eut qu’une fraction de seconde de réalisation pour renforcer ses protections avant que la lame de chakra ne heurte ses défenses, avec une violence inouïe, crépitant contre sa propre énergie. C’était comme une lance, un coup de perce, qui rencontra d’abord son chakra, puis les lames, croisées pour parer, dévier… Mais ce n’était pas assez, et l’attaque transperça les défenses.

 

Naruto avait toujours été plus droitier qu’ambidextre –dans les familles ninjas on apprenait aux enfants à se servir de leurs deux mains dès leur plus jeune âge, mais ninjas ou non, ce n’était pas comme s’il avait jamais eu de famille pour commencer-, et il avait toujours éprouvé plus de difficultés à projeter son chakra à gauche qu’à droite :  ce fut le kunaï de gauche qui se brisa en premier.

Mais la résistance des lames et de son chakra lui gagnèrent suffisamment de temps pour qu’il puisse esquiver, et quand la seconde lame rompit à son tour la lance de chakra ne fendit que le vide, s’enfonçant dans le toit et transperçant les tuiles.

Il y eut des cris, dans la maison sous eux, mais quand bien même y aurait-il prêté attention, il n’aurait rien pu y faire : la kunoichi de la brume attaquait de nouveau.

 

---

 

Naruto laissa échapper un sifflement entre ses dents, et balaya du revers de la main la sueur qui lui coulait dans les yeux. Quelque part au-delà de son centre d’attention, l’éclair bleuté d’un Chidori Nagashi illumina la nuit de sa froide lumière.

Le combat durait. Bien trop.

Autour d’eux les toits étaient plongés dans l’ombre, mais même sans les voir il devinait les ravages causés par les techniques diverses dont tous les combattants avaient fait usage. Incendies sur les charpentes en ce qui concernait les stigmates les plus visibles, mais aussi cratères de rasengan ayant manqué sa cible, tranchées de tuiles pulvérisées, et zones dévastées par des techniques d’eau. Quelque part sur la droite il était à peu près certain qu’au moins une maison s’était écroulée, et dans la ville l’incendie se propageait toujours.

Il ne s’autorisa aucune pensée pour les civils.

 

Avec une explosion de fumée, trois des crapauds qui l’avaient épaulé durant les dix dernières minutes du combat regagnèrent leur propre dimension.

Il n’arrivait à rien. Sa plus grande endurance et les pouvoirs régénérateurs du Kyuubi lui donnaient une marge de manœuvre et de meilleures chances de vaincre à l’usure, mais il ne parvenait pas à coincer la femme ninja. Elle lui semblait se jouer de lui comme une souris d’un chat –ou peut-être bien le contraire. Même lorsqu’il avait appelé des clones à la rescousse, elle leur avait échappé comme un courant d’air. Un courant d’air qui contrairement à lui avait un panel d’attaque à distance assez confondant pour quelqu’un censée être une sabreuse.

Mais il s’y était attendu. Il n’était pas le meilleur choix pour affronter une combattante comme elle, et vice-versa. Si elle ne sortait aucun as de sa manche et qu’il ne commettait pas d’erreur, il finirait par l’avoir à la fatigue.

Les déchirures nettes qui marquaient son propre T-shirt étaient marbrées d’auréoles sombres, visibles même dans la nuit, témoins des endroits où la lame de la kunoichi avait mordu. Mais en dessous la peau était déjà de nouveau refermée, boursouflée et rougie peut-être, alors que le démon forçait son corps à des cadences de guérisons anormales qui consumaient ses réserves, mais refermées, et les muscles sous la peau étaient peut-être abusés et douloureux, mais ils étaient aussi parfaitement fonctionnels. Il finirait par gagner.

Il y avait plus glorieux comme victoire et il n’aimait vraiment pas cette perspective, mais il saurait s’en contenter.

Non, ce qui l’inquiétait plus, c’est que le combat de Sasuke aussi traînait en longueur. Cela n’aurait pas du être le cas.

Peut-être était-il temps de changer de tactique. Il siffla de nouveau, un signal de rassemblement cette fois, un trille qui fendit la nuit et couvrit un instant toute autre rumeur.  Puis il s’élança pour rejoindre son équipier.

 

Dos-à-dos avec Sasuke, il réalisa que le souffle de ce dernier était plus labouré qu’il n’aurait dû l’être, et surtout il y avait une lourdeur dans ses mouvements, dans sa manière de bouger…

« Naruto. » La voix de Sasuke était sifflante et Naruto tressaillit intérieurement à la note vulnérable qui transparaissait, comme une discordance infime mais bel et bien présente. Mais ce ne fut qu’en jetant un coup d’œil en biais à son équipier dans la pénombre qu’il réalisa à quel point Sasuke était véritablement déstabilisé. Terrifié, aurait-il dit s’il s’était s’agit de n’importe qui d’autre que son équipier.

Ses yeux étaient bien trop écarquillés, même pour la trop faible luminosité de la lune et des feux, et au lieu des prunelles écarlates auxquelles il s’attendait, le sharingan de Sasuke fluctuait et se brouillait, comme une tache d’encre rouge mêlée à de l’eau, et sa couleur changeait constamment, passant sans cesse d’une teinte à l’autre dans un camaïeu de pourpres.

Le souffle de Naruto se coinça dans sa gorge, mais sa voix était parfaitement calme quand il demanda à mi-voix « Depuis combien de temps ? »

Sasuke haussa les épaules.

« Le début du combat. Ça empire. »

Naruto coula un regard au ninja déserteur qui reprenait son souffle plus loin dans l’ombre, bientôt rejoint par la kunoichi aux cheveux courts.

« Ça ne t’était jamais arrivé avant ? »

 

Sasuke émit un bruit agacé entre ses dents, et répondit à la question avec une reluctance audible.

« Non. Mais je n’ai pas utilisé mes yeux depuis… depuis la dernière fois. »

Depuis qu’il avait tué Itachi.

À présent qu’il le disait, Naruto réalisait que pas une fois lors de leurs affrontements matinaux des semaines passées Sasuke n’avait utilisé le sharingan…

Il se força à sourire dans la nuit, et à bannir la moindre inquiétude de sa voix.

« Bon, on va tacher de faire vite alors. »

Il aurait dû se souvenir qu’il n’était pas dans le style de Sasuke d’admettre gracieusement la moindre faiblesse… Son ton se durcit et se fit mordant.

« Je n’ai besoin d’aucune forme d’aide de ta part », siffla-t-il rageusement, et Naruto sentit s’éveiller brutalement en lui la colère familière mêlée de tristesse qu’il ressentait toujours devant les barrières que son équipier dressait pour se protéger. L’irritation chassa la peur, et c’était bien plus confortable ainsi.

« C’est l’occasion rêvée de l’essayer, tu ne trouves pas ? 

- L’essay-… Maintenant ? 

- Bien sûr. A moins que tu n’ais peur. Si on est synchrones il n’y a rien à craindre. 

Sasuke siffla de nouveau entre ses dents en faisant face à leurs adversaires.

- N’essaye pas de me manipuler Uzumaki. C’est une tentative pitoyable. On ne peut pas le faire ici, on risque de détruire la ville. 

Il n’avait pas tord, mais Naruto haussa les épaules.

- Le combat nous a amené sur les limites de Kaga, On est a peine à cinquante mètres des murs, y’a moyen. »

À la soudaine tension dans les épaules de Sasuke, Naruto réalisa que ce dernier ne s’était pas vraiment rendu compte qu’ils s’étaient tant déplacés, et cela aussi était terriblement hors caractère, pas tout à fait autant que la presque peur, mais pas loin, pas loin du tout.

Au début il avait profité de l’ivresse du combat et de l’adrénaline pulsant en lui. À présent il souhaitait simplement que le combat s’achève, le plus vite possible.

Quel qu’en soit le prix.

 

-

 

Il fallut une technique de foudre et cinq kunaï explosifs supplémentaires pour repousser la bataille au-delà des murailles de Kaga, vers la campagne nue sous la lumière de la lune. Cette région du pays du feu était dénuée des hautes futaies qui faisaient la force et la réputation de Konoha. Le couvert était maigre, uniquement offert par des arbustes rachitiques qui ne dépassaient pas les cinq mètres de haut dans le meilleur des cas –ce qui était ridiculement bas aux yeux de tout ninja de la Feuille normalement constitué.

Naruto avait de nouveau engagé la kunoichi de la brume et peinait d’autant plus à garder sa lame de vif-argent à distance qu’une bonne moitié de son attention était dédiée à suivre du coin de l’œil les progrès du combat de Sasuke.

Ce dernier était peut-être handicapé par son sharingan aléatoire, mais il le masquait avec une redoutable efficacité, et la manière dont il mena Hakujin Saito presque exactement où ils le voulaient aurait pu servir de cas d’école pour les classes d’Iruka-sensei.

Dès qu’ils furent alignés Naruto rompit son engagement, dressant entre la kunoichi et lui un mur de clones qui la ralentiraient juste le temps nécessaire –il ne fallait pas espérer plus.

 

Ils avaient longuement travaillé cette technique, avant la mission de poursuite d’Itachi, mais jamais encore ils n’avaient eu l’occasion de l’essayer en combat réel… Naruto mit un genou en terre pour plus de stabilité, les doigts entamant déjà le second sceau de sa technique de Vent. À ses côtés Sasuke achevait ses propres sceaux, et portait déjà sa main droite à sa bouche.

« Katon, boule de feu majeure. 

Fuuton, le souffle divin. »

Le sabreur avait évidemment réalisé qu’il s’agissait d’un piège, avant même que Sasuke et Naruto ne se rejoignent. Mais la plaine était nue, et la distance entre eux trop grande. Et il n’eut aucun couvert lorsque la boule de feu blanc naquit des lèvres de Sasuke, et que le Vent de Naruto se mêla à elle.

 

Jamais lors de l’entraînement Naruto n’avait mis autant de chakra dans son souffle, et les résultats de leur technique jointe avaient pourtant été dévastateurs, déjà. Cette fois-ci il voulait en finir, achever ce combat qui durait trop, rejoindre O-Kana et le vieil Ojiro, quand bien même il y avait-il fort peu de chance que celui-ci puisse faire quoi que ce soit pour un Dojutsu hors de contrôle. Il voulait en finir, désespérément. Il mit dans son souffle bien plus de chakra qu’il n’en avait jamais mis.

Et à partir de la seconde où le Vent rencontra le Feu, le déserteur n’eut plus aucune chance.

Le katon de Sasuke avait eu une puissance plus qu’honorable, corolle de flammes blanches en expansion dans la nuit, veinées de flammèches bleues et pourpres.

Mais lorsque le Vent rencontra le Feu, il fit jour un instant au plus sombre de la Courte Nuit.

 

Il y eut une explosion de chaleur, de lumière aveuglante et vorace qui se répandit face à eux comme une avalanche de lave, chaleur écorchante  en expansion perpétuelle.

Le ninja de la brume le vit, ne perdit pas de temps à chercher à fuir –mais où aurait-il pu fuir, face à la déferlante ? À la première seconde de l’explosion, il achevait les sceaux, et un mur d’eau se dressait entre lui et le brasier.

Mais le feu brûlait trop fort, trop vif, et la muraille liquide fut vaporisée presque immédiatement, balayée dans une explosion de vapeur. La seconde dressée en hâte ne tint pas plus longtemps, à peine une fraction de battement de cœur avant de s’effondrer à son tour, engloutie par le brasier

Derrière la muraille de clones qui la retenaient, la kunoichi hurla, juste avant que la vague de feu n’atteigne son compagnon, juste avant que la chaleur et de lumière ne se fassent trop fortes pour que l’on puisse encore garder les yeux ouverts.

 

-

 

Le feu parcouru encore deux cents mètres avant de mourir finalement, ne laissant derrière lui que le terre nue, claire et écorchée, réduite en cendres.

« Oh, putain. » fit Naruto en laissant retomber ses mains légèrement tremblantes sur ses genoux.
Son visage le brûlait, et ses yeux pleuraient, réaction physiologique à l’éblouissement et la chaleur.

« Tu as mis trop de chakra, idiot,» croassa Sasuke sans réel venin en s’appuyant sur son katana pour ne pas vaciller. Il était tout aussi stupéfait que Naruto de l’ampleur de la destruction. Simplement il le cachait bien mieux –comme d’habitude. « On se croirait à Suna maintenant. »

Il y avait effectivement un certain air de ressemblance, sous la lumière de la lune qui gommait les couleurs. Seuls sur les pourtours du sinistre loin du cœur d’impact de la technique, là où la chaleur avait été moindre, des foyers résiduels d’incendie brûlaient encore, projetant une luminosité fluctuante. Le sol en face d’eux était entièrement dénudé sur des centaines de mètres, plus un brin d’herbe, pas même les moignons calcinés que ce qui avait été des arbres. Rien, juste une poussière très fine, rendue blanche par la combustion totale de tout ce qui était susceptible de brûler.

 Sauf au centre, où dans un étroit cercle d’herbe noircie–mais encore là, contrairement à la végétation alentours- était affalé le corps immobile et recroquevillée du ninja de la brume, étrangement intact au cœur de la destruction.

Ou du moins relativement intact, en comparaison de l’anéantissement total du paysage.

Même depuis l’endroit où ils se trouvaient, à une trentaine de mètres, les chairs à vif étaient visibles, mêlées aux lambeaux calcinés de tissus incrustés dans ce qui restait de peau, et en dessous les muscles mis à nu, tout le long du dos, et des bras protégeant le visage…

 

Naruto se remit debout, et l’odeur de chair brûlée le frappa de plein fouet, hideuse et malsaine.

« Comment… ? »

« La kunoichi, » murmura Sasuke. « Elle a créé une prison aqueuse autour de lui, intercalée de couches d’air pour ralentir la diffusion de la chaleur. » Il y avait comme un respect contraint dans sa voix. C’était une combinaison de techniques difficile dans l’absolu, alors exécutée à plus d’une quarantaine de mètres de distance, et dans de telles conditions, avec uniquement une fraction de seconde de décision quand il était devenu évident que l’homme ne pourrait arrêter la technique seul…

Mais même ainsi cela avait été à peine suffisant, il suffisait de le voir pour s’en rendre compte. Naruto se demanda s’il était encore en vie, puis se dit que cela n’avait que peu d’importance, pas avec de telles blessures. 

 

Il était en train de faire volte-face vers le véritable danger lorsqu’il sentit le dernier clone disparaître, et ce fut cela, ainsi que le visage de Sasuke toujours tourné vers le ninja de la brume qui le poussa à s’élancer, à temps encore, mais tout juste.

Trop juste. 

À son avertissement aboyé et encouragé par une vigoureuse poussée au niveau des épaules, Sasuke se jeta hors de la trajectoire, presque aussitôt suivit par Naruto que son mouvement impulsif avait mis un peu plus dans la trajectoire de l’attaque.

Trop juste, et trop tard.

 

La lame de chakra et de vent perfora son thorax nettement, juste au-dessus du cœur, exactement là ou Sasuke avait un jour enfoncé sa main jusqu'à l’avant-bras pour le tuer.

« Ah, merde, » marmonna–t-il en sentant la lame se retirer de biais, causant de nouveaux dégâts internes.

Ses oreilles bourdonnaient, et son sang battait inhabituellement fort entre ses tempes, couvrant presque l’insulte ordurière de Sasuke dirigée à son encontre puis le chant de l’acier contre l’acier.

Il cracha un peu de sang, et dégaina un kunaï. C’était si caractéristiquement stupide de la part de Sasuke d’attaquer alors que son Sharingan était en rade et qu’il était visiblement à court de chakra, alors que lui-même avait des réserves frôlant l’illimité… Même si elles étaient certes bien entamées et baissaient encore tandis que le démon forçait son corps à ressouder vaisseaux et veines, à raccorder les muscles sectionnés à un rythme qui n’avait rien d’humain.

En toussant un peu, les dents serrées, il observa un instant le combat devant lui à la recherche d’une ouverture pour en finir.

 

Le vent s’était levé, tourbillonnant autour d’eux, mordant et froid, miroir des mouvements de la kunoichi des Trois Rivières.

Il cracha de nouveau du sang, qu’il essuya machinalement avec son avant-bras nu. Quelque chose avait changé, réalisa-t-il. Dans sa manière de se battre à elle, avec une focalisation, une concentration exclusive et délibérée, glaciale, qui n’avait pas été là avant. Mais aussi dans les mouvements de Sasuke, plus rapides, plus assurés qu’ils ne l’avaient jamais été depuis le début du combat plus d’une demi-heure auparavant. La Kusanagi dansait dans sa main comme animée d’une vie propre et ses attaques et ripostes étaient comme le miroir inversé de celles de la kunoichi, en un peu plus rapide. En un peu plus en avance.

Se pouvait-il que le problème avec son sharingan soit réglé ? La kunoichi brune se battait comme si c’était le cas, les yeux baissés, sans jamais croiser son regard, et ils étaient ombre parmi les ombres de la nuit.

Et soudain Sasuke accéléra encore, se porta sur la gauche dans l’ouverture infime laissée par une feinte trop audacieuse.

La lame mordit dans la tunique puis dans la chair, juste au défaut du coude. Un coup net, puissant, qui sectionna proprement le bras dans une gerbe de sang sombre, et la bouche de la jeune femme se tordit dans un cri silencieux, immédiatement ravalé.

Mais durant cette seconde, elle avait relevé la tête dans un mouvement instinctif de tension pour lutter contre la douleur, pour récupérer son équilibre compromis, et même dans l’ombre Naruto devina que son regard avait croisé celui d’Uchiha Sasuke : son corps se raidit brutalement, et la lame sans nom s’échappa d’entre ses doigts.

Elle recula d’un pas, de deux pas. S’effondra sur elle-même, recroquevillée, comme une poupée de chiffon et ne bougea plus.

 

« Sasuke ?»

La fatigue engourdissait soudain les membres de Naruto, trop d’énergie dépensée, trop de blessures graves, même pour lui. Mais il tiendrait aussi longtemps qu’il était nécessaire, bien entendu, juste sur l’adrénaline, par pure obstination même, si besoin était.

Mais il semblait qu’il n’y en ait pas le besoin, finalement.

Ce n’était pas fini bien sûr, la douleur pulsait dans son torse, à l’endroit où la lame l’avait transpercé, comme un nœud de souffrance drainant toute l’énergie environnante. Ce n’était pas fini et il restait des choses à faire, et malgré sa brillante fin de combat il était clair que quelque chose qui n’allait pas avec Sasuke, mais… Le combat avait finalement pris fin. C’était déjà cela. C’était bien.

Mais quand Sasuke se tourna vers lui, Naruto fut bien près de changer d’avis.

 

Ce ne fut qu’au second appel, plus insistant, que l’anbu brun se détourna de la kunoichi tombée, vacillant sur ses appuis, et fit quelques pas dans sa direction.

Et c’est alors que Naruto le vit.

Comme il l’avait deviné le sharingan dans les prunelles de son équipier s’était stabilisé, de nouveau d’un rouge profond et uniforme.

Mais si la forme des pupilles noires d’encre qui y tourbillonnaient était familière à Naruto, jamais encore il ne les avait vus dans les yeux de Sasuke. Jamais il n’aurait cru les y voir un jour en vérité.

Et pourtant.

 

« Qu’est ce que tu croyais faire ? » gronda Sasuke d’une voix très basse, la voix qu’il prenait lorsqu’il était en colère, plus terriblement en colère qu’il ne pouvait se permettre de le monter. « À ce point ça ne relève plus seulement de la stupidité, mais de l’incompétence pure. »

Même à demi-mort de fatigue et de déplétion de chakra, il trouvait encore les mots les plus durs, savait encore frapper à l’exact endroit où ils blessaient le plus. Des reproches pas tout à fait immérités à vrai dire, et seule la conscience évidente que son geste instinctif de pousser Sasuke hors du chemin n’était pas la véritable cause de sa colère et de son désarroi retint Naruto de réagir bien plus violement qu’il ne le fit.

« Ho, parce que tourner le dos à l’ennemi ce n’est pas de l’incompétence peut-être ? » siffla-t-il sur le même ton. « Va falloir t’y faire Sasuke, je t’ai encore sauvé la vie. » Ce qui à vrai dire n’était pas un argument des plus percutants, car ils se sauvaient mutuellement la vie en moyenne deux fois par mois depuis trois ans.

Mais Sasuke était trop en colère pour relever de toute façon, sa mâchoire était contractée, et ses pupilles retournés au sharingan normal étaient d’un rouge violent, dilatées et furieuses.

« Bien sûr. Et se faire embrocher dans un mouvement irréfléchi même pas digne d’un genin est tellement  professionnel, n’est-ce pas ? »

La conversation dérapait, vers des terrains trop dangereux, des sujets périlleux qui se rapprochaient bien trop de ce dont ils ne devaient absolument pas parler. Pas maintenant.

Pas sans risquer de briser définitivement Sasuke.

 

Mais il était en colère. Tellement, tellement inquiet.

Et quiconque le connaissait savait que dans ces moments-là, les mots se précipitaient à sa bouche sans prendre le temps de s’arrêter par la case cerveau.

« Vraiment ? Il me semble me souvenir d’un genin, au pays de l’eau… »

Sasuke gronda littéralement, les dents découvertes en une grimace de colère.

« J’étais jeune et stupide. Crois-moi, je ne referai pas quelque chose d’aussi inepte que de me mettre entre toi et une attaque, jamais. »

Et ces mots n’auraient pas dû faire aussi mal, pas alors qu’il savait exactement que Sasuke était tout aussi terrifié et perdu que lui-même, et qu’il savait pourquoi. Pourquoi, en vérité.

Les mots avaient été blessants, mais il aurait pu en faire abstraction, peut-être, malgré la déchirure, l’amertume qu’ils provoquaient. Ils le blessèrent pourtant, bien plus cruellement que tout autres, justement à cause du pourquoi. À cause du mangekyou sharingan dans les yeux de Sasuke.

Et Naruto fit ce qu’il faisait quand il se sentait acculé, quand la douleur devenait trop grande, il contre-attaqua, aveuglément. Et il prononça les mots qu’il n’aurait jamais dû prononcer, avec une lenteur délibérée et amère, l’intention tout aussi délibérée de blesser en retour.

 « Évidemment que tu ne le ferais pas. Je ne suis pas ta personne la plus importante n’est-ce pas ? Et maintenant que tu l’as tué tu as le mangekyou. Toutes mes félicitations, je suppose que tu dois te sentir redevable ton frère. »

 

Avant même que les mots n’aient fini de franchir ses lèvres, Naruto les regrettait. Ils étaient de la cruauté pure, au-delà de toutes les limites, de toutes les protections de Sasuke.

Rien de ce qu’il pourrait dire à présent ne pourrait les effacer, ni même les atténuer. Parce qu’ils étaient la stricte vérité, d’une certaine manière.

Et ils étaient lancés entre eux à présent, avec le poids d’un rêve de plomb, le tranchant d’une lame nue.

 

Sasuke devint livide, presque aussi blanc que son t-shirt, et se figea brusquement, de l’immobilité d’une pierre sans plus un tressaillement des muscles. Une parfaite statue de sel.

Et durant ces instants, Naruto eut la certitude absolue que la douleur hideuse qui couvait dans ses yeux allait se matérialiser, briser toutes les barrières. Que Sasuke allait l’attaquer, et essayer de le tuer, quel qu’en soit le prix.

Et il n’était pas sûr qu’il se défendrait, dans ce cas.

 

Mais Sasuke n’attaqua pas.

Il resta simplement immobile une éternité, épaules contractées et visage figé dans une expression indicible, colère, douleur, dégoût, tristesse, fatigue, rage brûlante et bien plus encore, mêlés en un masque d’une vulnérabilité terrifiante. Il resta immobile ainsi, silencieux dans l’ombre de la Courte Nuit, silencieux sous la lumière de la lune et des étoiles, silencieux à la lueur des feux mourants.

Et finalement il se détourna, le visage de nouveau inexpressif, et murmura « Allons chercher O-kana. »

 

Et Naruto lui emboîta le pas vers Kaga toujours en feu, laissant derrière eux la campagne dévastée et les corps des deux déserteurs de la brume. Il le suivit car il n’y avait rien d’autre à faire, qu’il était si terriblement épuisé, et que Sasuke lui-même trébuchait tous les trois pas tandis qu’ils se dirigeaient vers le faubourg où les clones avaient emmené O-kana.

Il ne vint pas marcher à hauteur  de son équipier, ne lui offrit pas son épaule.

Il n’en avait pas le courage, et Sasuke n’aurait pas accepté de toute manière. Plus maintenant.

 

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Même les meilleurs ninjas l’admettaient : aussi préparé soit-on, aussi assuré et confiant, il y avait toujours dans une mission une part de chance pure, ou parfois aussi, de malchance crasse et absolue. Une part d’imprévisible le plus total qui s’abattait sur vous dans un déferlement inévitable, vous entraînait plus loin que tout ce que vous pensiez être capable de supporter.

Cette mission était de celles-là. Mais malgré tout, malgré les blessures béantes créées par les lames ou les mots, elle était un succès finalement, et cela était presque à même de contrebalancer tout le reste. Assassins neutralisés, cliente en sécurité.

Mission accomplie.

 

Lorsqu’ils arrivèrent au bâtiment miteux que Naruto avait choisi comme point de ralliement, et  qu’ils  entrèrent par la fenêtre, ce fut pour trouver Hinata et Ojiro-san agenouillés aux côtés d’O-kana qui était étendue sur une paillasse de fortune dans un coin de la pièce.

L’odeur métallique du sang emplissait l’endroit, prégnante, et les avants bras d’Ojiro-san étaient rougis, tandis que les mains d’Hinata passaient avec une infinie douceur sur le ventre à présent plat, infusant du chakra guérisseur.

Shino était là aussi, réalisa Naruto avec un peu de retard tandis que Sasuke prenait lourdement appui sur un mur pour rester debout. Il montait la garde à l’autre bout de la pièce, son visage normalement inexpressif marqué par d’étranges rides d’expression aux commissures des lèvres. Il tenait dans ses bras un paquet emmailloté, silencieux et immobile.

Mort.

Les deux clones qui s’étaient tenus dans un coin de la pièce disparurent dans un nuage de fumée, et Naruto sut ce qu’il en était avant même qu’Hinata ne prenne la parole.

« Je suis désolé, » murmura la jeune femme dans un souffle, ses yeux pâles emplis de cette compassion qui était sienne rivés dans ceux de Naruto. « Le stress créé par la situation a déclanché une fausse-couche. L’enfant était trop prématuré pour survivre. »

Et en cet instant ce fut trop, trop, trop.

Quelque chose se brisa en Naruto.

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