Les Dragons et les Veilleurs

Chapitre 7 : Chapitre 7 Partie 2

3212 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 12/02/2017 18:23

Une fois arrivé aux installations d'Overwatch, Angela donna les instructions pour qu'une équipe aille chercher l'adolescente gravement atteinte et que quelqu'un se charge de l'opérer. Puis elle se dirigea vers la cantine.

 

- Mais où allez-vous ? lui demanda alors Gérard.

 

- A la cantine, dit-elle. Nous allons dîner, non ?

 

- Je ne mange pas là-bas, précisa le français. Je me suis installé dans une maison un peu plus loin. Nous y serons bien plus à l'aise pour discuter de détails importants.

 

Angela suivit Gérard vers son lieu de résidence. Comme ils étaient de nouveau dans la partie sécurisée de la ville, ils n'avaient plus besoin d'escorte.

 

- Pourquoi ne logez-vous pas dans les installations ? demanda la suisse au français.

 

- Vu mon travail, il vaut mieux que je reste à l'écart. Cela me rend plus discret et facilite les rencontres avec des informateurs.

 

Ils atteignirent leur destination. La maison était une petite villa construite en pierre rouge. Elle avait deux étages ainsi qu'un petit jardin retourné à l'état sauvage.

 

- C'est joli, commenta Angela. A qui appartient-elle ?

 

- A la ville. Le précédent propriétaire, et toute sa famille, sont morts il y a quinze ans, durant la Crise Omnium.

 

Le français ouvrit la porte et entra, la docteure à sa suite. Il faisait chaud à l'intérieur, ce qui surprit agréablement la suisse. Elle suspendit son lourd vêtement à un vieux porte-manteau. Entre temps, un robot humanoïde s'était approché de Gérard avec qui il avait échangé quelques phrases en français.

 

- C'est un simple drone majordome, précisa-t-il, notant le regard curieux d'Angela. Venez, la salle à manger est par là.

 

La présence de ce domestique devait expliquer pourquoi les lieux étaient propres et bien tenus. La table du dîner avait déjà été installée. Des assiettes en porcelaine décorée côtoyaient des verres à vin, en plus de ceux pour l'eau, tandis que couteau et fourchette étaient en lot de trois. Le tout donnait l'impression d'un restaurant de luxe.

 

Impression qui ne fit que se renforcer quand le drone revint leur servir l'entrée : une salade de laitue agrémentée de fromages, de poisson et d'olives, le tout bien assaisonné et accompagné d'un verre de vin.

 

- Du Bordeaux, précisa Gérard. Un agréable breuvage du sud pour égayer ce nord froid et triste.

 

- Comment avez-vous obtenu tout ça ? demanda Angela, stupéfaite. Le drone, les couverts, le vin, la nourriture, votre chauffage…

 

- Eh bien, je l'ai fait venir de France, bien sûr, dit-il, comme si cela était évident.

 

- Mais des pirates bloquent nos lignes de ravitaillement. Ça ne vous a pas posé problème ?

 

- J'utilise mon propre réseau de transport. Je ne vais pas faire appel aux ressources d'Overwatch juste pour mon confort.

 

- Et ce réseau n'est pas affecté par les pirates ?

 

- Non.

 

- Est-ce que vous pourriez l’utiliser pour faire transiter notre matériel ?

 

Il marqua une courte pause, restant une poignée de secondes sans réagir.

 

- Oui, cela devrait être possible, dit-il finalement avec un grand sourire. Après un petit temps d'adaptation, bien sûr.

 

- Merci, dit Angela en soupirant de soulagement. Cela nous enlèverait une sacrée épine du pied.

 

Elle se mit à manger. Dès la première bouchée, elle se rendit compte à quel point elle avait faim.

 

- Mes excuses. J'aurais dû proposer cette solution dès le début des problèmes avec les pirates, dit Gérard avec un air désolé, avant de se mettre à manger à son tour.

 

- Vous n'avez pas à vous excuser. Vous avez déjà sauvé cette mission avec cette levée de fond. Et je ne peux pas vous reprocher de n'avoir pas fait le travail d'autres personnes.

 

- Merci, docteur Ziegler.

 

Angela avait déjà fini son assiette. Fort heureusement, le drone lui en apporta immédiatement une autre.

 

- En ce qui concerne les journalistes, débuta Gérard, la première chose que je vous recommande est de ne pas les voir comme des ennemis, quelles que soient les questions qu'ils vous posent.

 

- Pourquoi cela ?

 

- Parce que ça ne sert à rien et peut causer du tort. On ne gagne jamais rien à se montrer agressif, si ce n'est énerver son interlocuteur.

 

- Vous prêchez une convertie, monsieur Lacroix, lui répondit-elle en souriant.

 

Il sourit en retour :

 

- C'est une bonne chose que vous le preniez ainsi, car certains de ces journalistes ne vont pas vous faire de cadeau. Certains se contenteront de quelques jolis plans de vous, accompagnés d'un résumé de notre mission. Mais d'autres vous mettrons face à vos contradictions entre votre engagement pacifiste et votre ralliement à Overwatch. Ou vous poserons des questions sur votre frère.

 

- Comment savez-vous pour mon frère ? s'exclama Angela, surprise.

 

- C'est mon travail d'être bien informé, répliqua calmement Gérard.

 

Le drone apporta à ce moment le plat principal : du poulet au vin jaune et aux morilles, sur un lit de légumes et de céréales.

 

- Je pense que notre meilleure stratégie, poursuivit Lacroix, sera de répondre honnêtement mais de toujours tourner votre réponse de sorte à parler de notre mission actuelle. Comme ça tout le monde obtient ce qu'il veut : les journalistes ont leurs réponses exclusives d’une célébrité sur des questions sulfureuses et vous, vous pouvez fixer l'attention sur ce que vous faites ici, nous attirant plus de donateurs.

 

- Mais...ça ne va pas poser de problème si je donne une mauvaise image de moi ?

 

- Non. On dit en communication qu'il n'y a pas de mauvaise publicité. Ce n'est pas totalement vrai, mais ça l’est dans le cas présent. Les personnes qui vous détesteront pour avoir rallié Overwatch, ou fait emprisonner un criminel, ne sont pas celles qui donneraient de l'argent pour soigner des pauvres. Nous n'avons rien à perdre.

 

- Vous devriez faire cette conférence de presse à ma place, dit Angela. Il vous sera beaucoup plus facile d'en tirer profit que moi.

 

- Impossible. Vous êtes la docteur Ziegler, jeune prodige qui a révolutionné la médecine moderne et toujours défendu des soins accessible pour tous. Moi je suis juste un parvenu qui a épousé une riche héritière. Vous êtes bien plus intéressante et, pardonnez-moi l'expression, « vendable », que moi.

 

- Vous êtes bien plus qu’un parvenu, protesta Angela.

 

- Sans doute. Mais c’est seulement comme ça que les journalistes me verront.

 

- D'accord, finit-elle par admettre.

 

Le dessert fut présenté. Il s'agissait de gâteaux fait d'un mélange de pâte feuilletée, de crème chiboust, avec une pointe de caramel au sommet. Des Saint-Honorés, si les souvenirs d’Angela étaient bons.

 

- Faisons un test, dit Gérard. Je vais faire le journaliste et vous poser une question. Prête ?

 

Angela hocha la tête.

 

- Docteur Ziegler, vous avez toujours défendu un point de vue pacifique. Pourtant, vous avez intégré Overwatch, une organisation militaire responsable de nombreux morts de par le monde. Comment justifiez-vous cette contradiction ?

 

La question fit se braquer Angela. Elle s'était-elle même de nombreuse fois demandé si elle avait fait le bon choix et si elle ne regretterait pas cela dans le futur.

 

- Rejoindre Overwatch me donne accès à plus de ressources pour développer et distribuer en masse des produits médicaux, dit-elle sur la défensive. J'ai donc accepté de prendre sur moi et mes idéaux pour les rejoindre même si je continue de penser que la violence est plus une source de problèmes que de solutions.

 

- « ...et distribuer en masse des produits médicaux, comme le remède à l'épidémie qui ravage cette région ». Il faudrait aussi ajouter « Si je ne l’avais pas fait, organiser l’opération actuelle aurait été impossible et des centaines de personnes que nous avons déjà soignées seraient toujours malades. Ou mortes ». N'oubliez pas : vous devez parler de ce que nous faisons ici. Ou personne d'autre n'en parlera.

 

- Oui, oui, désolée.

 

- Faisons un autre essai : Docteur Ziegler, divers témoignages de vos anciens voisins assurent que votre frère et vous étiez très proches. Pourtant ce sont les preuves que vous avez fournies à la justice qui ont mené à sa condamnation. Qu'est-ce qui a autant fait changer vos relations ?

 

Cela évoqua immédiatement à Angela de mauvais souvenirs. De très mauvais souvenirs. Comme pour la question précédente, elle répondit avant tout pour se justifier à elle-même son comportement :

 

- Il avait trahi l'éthique médicale et violé notre code déontologique, dit-elle d'une voix faible. Je me suis rendue compte que moi seule avait les preuves pour l'arrêter. Ne rien faire était comme approuver ses crimes et je ne le pouvais pas, peu importe l'amour que je lui portais.

 

- « Les médecins ont vocation à soigner, pas à s'enrichir, ce que nous faisons ici en est la parfaite illustration. J'aurais pu faire breveter et vendre ce remède. Mais j'ai choisi de le faire distribuer gratuitement pour aider le plus de monde possible. »

 

Ce rendant compte de son erreur, Angela arbora une mine abattue :

 

- Ils vont vraiment me poser ces questions, n'est-ce pas ? demanda-t-elle.

 

- Bien sûr.

 

- Qu'est-ce que nous allons faire ?

 

- Le problème, c'est que vous êtes trop stressée. Votre travail vous prend tout votre temps, vous oubliez de vous détendre et après il est impossible de prendre un peu de hauteur quant à la situation. Ou sur soi-même.

 

- J'ai trop de travail à faire pour prendre le temps de me détendre, répondit-elle, sur la défensive.

 

- Non, c'est faux. Vous pourriez travaillez moins. Mais vous tenez tellement à ce que votre objectif réussisse que vous y consacrez tout votre temps, en oubliant de vivre.

 

Angela ouvrit la bouche pour répondre...et la referma. Elle ne trouva aucun contre-argument. Il avait raison. Encore une fois.

 

- Je ne vous jette pas la pierre, poursuivit Gérard. Je suis exactement pareil.

 

Son regard perdit son éternel air détendu et confiant, remplacé par une légère tristesse :

 

- Comme moi, vous avez dû éprouver très jeune l'envie de changer le monde. Mais d'abord, il faut sortir de la scolarité et obtenir ses diplômes. Alors nous travaillons toute la journée pour être débarrassés de cela au plus vite. Nos diplômes arrivent et nous nous disons que les choses sérieuses commencent. Mais la réalité n'est pas d'accord avec nous : blocage et inertie nous empêchent d'accomplir notre grand dessein. Je me trompe si je dis que vous auriez pu développer vos nanites des années plus tôt ?

 

- Non. Si on m'avait accordé plus rapidement des crédits de recherche, j'aurais pu créer cette technologie il y a deux ans, dit Angela, triste.

 

- Voilà. Alors vous avez redoublé d'effort pour vaincre ce blocage, persuadée que plus de travail apporterait des solutions. Et ici, vous faites la même chose : le ravitaillement pose problème, alors vous travaillez dans l'espoir de compenser.

 

Angela retourna ses paroles plusieurs fois dans sa tête. Et plus elle le faisait, plus elle avait l'impression que le portrait que Gérard dressait d'elle lui correspondait.

 

- Comment faites-vous pour deviner tout cela sur moi ?

 

- J’ai été psychologue avant de devenir agent de renseignement. Et il est plus facile de repérer des personnalités proches de la sienne.

 

Comme elle ne répondait rien, il continua :

 

- En réalité, nous travaillons pour oublier nos échecs, nos problèmes et nos petites douleurs. Pour avoir une impression de contrôle sur les choses. Mais c'est une illusion. Et après on oublie de profiter de la vie. De choses simples comme un bon repas et du vin de qualité…

 

Il montra d'un geste vague la table du dîner et leurs assiettes, où se trouvaient encore quelques traces de nourriture.

 

- ...Ou le fait de prendre quelques heures à pratiquer une activité relaxante ou juste amusante. Croyez-moi, vous seriez bien plus efficace et auriez beaucoup plus de bonnes idées si vous étiez détendue et heureuse. D'ailleurs cela doit être quelque chose que l'on vous apprend en médecine, non ?

 

Angela eut un mince sourire :

 

- Entre la théorie et la pratique, il y a tout un monde.

 

Cela fit rire Gérard.

 

- Je ne vais pas vous dire le contraire. Je ne compte plus les fois où j'ai passé une nuit blanche à travailler, simplement pour avoir l’impression de contrôler les événements.

 

Il reprit un ton plus sérieux :

 

- Mais il reste qu'il faut que vous soyez détendue pour la conférence de demain. Prenez le reste de la soirée pour faire quelque chose qui vous amuse.

 

Angela prit quelques secondes pour réfléchir. Mais elle n’arriva pas à trouver une activité qui répondait à cette définition.

 

- Comme quoi ? demanda-t-elle finalement.

 

Gérard eut une mine surprise.

 

- Hum, je ne sais pas… A quoi jouiez-vous quand vous étiez petite, avant de vous mettre à rêver de changer le monde ?

 

- J'ai...j'ai oublié, avoua piteusement Angela, tandis que le drone commençait à débarrasser la table.

 

Le Français resta silencieux quelques seconds, réfléchissant.

 

- Dans ce cas, accepteriez-vous que je vous fasse un massage ? finit-il par proposer, d’un ton beaucoup plus formel.

 

- Vous savez masser ? demanda Angela, surprise.

 

- J’ai appris cela quand j’ai commencé à courtiser ma femme. Je suis devenu doué et cela a beaucoup aidé, acheva-t-il en souriant.

 

- Oui...Pourquoi pas ?

 

Il se leva et lui fit signe de s’asseoir sur un tabouret. Une fois qu'elle se fut exécuté, il se leva à son tour et retira sa montre et son alliance. Puis il posa ses mains sur les épaules d'Angela et se mit très délicatement à les presser. Angela ressentit très vite du soulagement, ce qui la fit soupirer de contentement. Gérard n'avait pas menti, il savait y faire.

 

Il la massa pendant une heure. Au bout d'un moment, Angela accepta de s'allonger et de se faire masser directement sur sa peau nue. Le français garda tout au long un comportement impeccable, se contentant de toucher le dos et les jambes.

 

Lorsque ce fut fini, Angela se sentait, pour la première fois depuis des mois, détendue.

 

- Est-ce que je pourrais retourner vous voir en soirée ? demanda-t-elle à Gérard. Je…j'apprécie votre compagnie.

 

- Bien sûr, docteur Ziegler. J'apprécie aussi la vôtre.

 

- Je pense que vous pouvez m'appelez Angela maintenant, répondit-t-elle en souriant.

 

*Aujourd’hui*

 

- Houa, dit Mei. J’ai vraiment du mal à t’imaginer crier sur quelqu’un.

 

- Je me suis assagie en vieillissant, répondit Angela en souriant. Mais à l’époque…c’était plutôt courant.

 

Elle avait tout raconté à son amie, excepté la dernière proposition de Gérard et le fait qu’elle avait accepté. C’était un souvenir trop personnel.

 

- Et je ne savais pas que la mission avait été aussi difficile. Quand on écoute ce qu’on raconte aujourd’hui, on a l’impression que c’était une promenade de santé !

 

- Tout paraît toujours plus facile une fois terminé.

 

- Quand même ! Travailler dans le froid avec juste du gruau comme nourriture…brrr. Même nous, à l’observatoire de l’Antarctique, on avait un chauffage interne de 15 degrés et un plat différent à chaque repas.

 

- J’ai connu pire dans le reste de ma carrière. Mais jamais aussi longtemps.

 

- Quand à monsieur Lacroix… J’avoue que je l’ai toujours pris pour un espèce d’administrateur qui se contentait de rassembler et organiser des informations.

 

- A l’époque, je lui avais dit « C’est injuste, personne ne sait le rôle crucial que tu as joué. » et il m’a répondu « Vu mon travail, il vaut mieux que je ne sois pas connu du public. Et puis la propagande saura bien mieux exploiter un succès à ton nom. »

 

- Je comprends mieux que, vers la fin d’Overwatch, certain aient envisagé de lui donner la place du commandant Morrison.

 

A ces mots, Angela arbora une mine très triste.

 

- Oui, cela aurait évité bien des malheurs. Gérard aurait pu changer Overwatch de telle sorte à éviter sa destruction. Mais son assassinat a empêché tout cela.

 

Mei, s’étant rendu compte de la mélancolie de Ziegler, changea rapidement de sujet. Les deux femmes se mirent à discuter de choses badines pendant le reste de la soirée.

 

Les agents d’Overwatch restèrent à Olomouc quelques jours encore, soignant les blessés, aidant aux reconstructions ou assistant les forces d’auto-défense contre les groupes de bandits qui espéraient pouvoir profiter du chaos d’après-guerre.

 

Puis, à un certain point, ils jugèrent que la ville pouvait se passer de leur aide et qu’ils étaient temps pour eux de partir.

 

- Est-ce que tu voudrais venir avec nous au point d’observation de Gibraltar ? proposa Winston à Angela. Tu pourras voir tout ce que nous avons réalisé pour remettre la base en état !

 

- C’est gentil Winston, mais je préférerais retourner à mes recherches.

 

- Cela ne prendra pas beaucoup de temps ! Et puis tu pourras revoir d’autres anciennes connaissances. Il y a Etienne qui est là-bas.

 

Etienne était autrefois l’assistant de Gérard Lacroix. Angela avait pu le côtoyer un peu. Elle appréciait ses manières affables et son humour joyeux. Mais la docteure n’avait jamais été très proche de lui, préférant traiter directement avec Gérard.

 

Elle se prépara à formuler un nouveau refus, quand Winston ajouta :

 

- Genji sera également présent ! Je lui ai proposé plusieurs fois de venir et il a enfin pu dégager du temps pour le faire !

 

- Oh, d’accord alors. Cela me fera plaisir de le voir. Cela n’est pas arrivé depuis bien longtemps.


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