Life of a Hero
Chapitre Premier : « Y'a pas de rats. »
30 Novembre 1984,
Salon de thé « Les douceurs de Camille »,
Quelque part dans le Connecticut,
15h01.
Avec un soupir où se mêlaient fatigue, exaspération et profond soulagement, Hermès s'assit lourdement sur la chaise en bois verni et attrapa la carte du jour d'un geste précipité, ses yeux brillants d'un étrange éclat.
Ce n'était pas franchement dans ses habitudes de s'arrêter dans un salon de thé géré par des mortels. Surtout en pleine tournée : d'ordinaire, il préférait avaler des morceaux d'ambroisie et boire quelques gouttes de nectar entre deux clients plutôt que de prendre le temps de faire une pause. Premièrement, parce qu'abuser de la nourriture mortelle n'était jamais bon pour son estomac – cela lui provoquait de terribles douleurs dont il se passerait volontiers – et deuxièmement, parce que les pauses, ce n'était jamais bon. Les pauses, c'était prendre l'horrible risque de se laisser déborder. Dépasser. Les pauses, c'était accepter de recevoir des messages peu aimables de clients impatients. Les pauses, ce n'était pas réellement prévu dans son emploi du temps et ça pouvait allonger de quatre à huit heures ses journées déjà bien chargées. Les pauses, c'était en soi de belles bulles de douceur qui avaient régulièrement de très fâcheuses conséquences. Les pauses, Hermès avait donc appris à les éviter le plus possible.
Cependant, ce jour-là, le dieu en avait plein les bottes. Il en avait ras-le-bol. Il n'en pouvait plus.
Ce jour-là, Hermès était agacé. Agacé par ces centaines de clients toujours plus impatients et malpolis chaque jour. Agacé par les milliers d'appels à la minute qu'il recevait tous les jours et, ce, même le dimanche. Il en avait marre de travailler constamment. Il en avait marre de ne pouvoir manger correctement. Il en avait marre, tout simplement. Marre d'être traité comme un moins que rien par certaines divinités.
La journée avait pourtant bien commencé. Le dieu s'était levé à l'aube, de bonne humeur, et avait commencé sa tournée avec le sourire. Il s'était même octroyé le droit d'échanger deux-trois blagues avec des clients et avait pris le temps de dégoter quelques rats pour George, choses qu'il ne faisait que très rarement. Mais, la visite chez Arès avait été la goutte de trop. Celle qui avait finalement fait déborder le vase. Car, pour une raison encore inconnue, la mauvaise humeur, les moqueries et les sarcasmes du dieu de la Guerre l'avait irrité beaucoup plus que d'ordinaire ; dès qu'il avait croisé le regard de son demi-frère et vu son sourire à la fois hypocrite et moqueur, Hermès s'était senti envahi par une vague de colère et d'agacement inouïe. Jamais, il ne s'était senti si fébrile, si bouillonnant. Il avait même été à deux doigts d'envoyer son calepin à la figure d'Arès et de lui sauter au cou pour l'étrangler, une violence qui ne lui ressemblait absolument pas.
Peut-être Arès avait-il été le seul responsable de ce brusque changement d'humeur – après tout, le dieu de la guerre était connu comme un véritable manipulateur et fauteur de troubles auprès de ses proches et ennemis – ou peut-être Hermès avait-il ressenti ce soudain agacement en prenant subitement conscience qu'il était sûrement le seul Olympien – les Trois Grands et Artémis mis à part – à avoir une telle quantité de travail – après tout, à part quelques conflits en Afrique, qu'avait à gérer Arès ? Et Apollon ? Depuis que son char du soleil avait été équipé de nombreuses options, Hermès était sûr que le dieu du soleil n'avait plus grand-choses à faire … Et Aphrodite ? Créer et défaire des histoires d'amours ne devait pas être si harassant …
Quoiqu'il en soit, depuis qu'une merveilleuse odeur de pâtisserie était venue chatouiller ses narines et qu'il avait pénétré sur la pointe des pieds dans ce salon de thé des plus charmants, la raison d'une telle colère n'avait plus réellement d'importance pour Hermès. Tout ce qu'il souhaitait, à présent, c'était tout oublier et se sustenter. Se sustenter pour tout oublier. Se sustenter pour retrouver sa bonne humeur.
« Voyons voir ce que l'on peut déguster … », pensa-t-il, en détaillant le menu avec soin.
Toute trace d'irritation et de lassitude avait désormais quitté son visage, remplacée par une certaine excitation : les mortels faisaient parfois de sacrés pâtisseries …
« Y'a pas de rats. », fit George, d'un ton particulièrement blasé.
Mais Hermès ne l'entendit pas, trop absorbé par la carte des desserts.
OoOoOoO
Quatre Septembre 1995,
École élémentaire de New Heaven,
Connecticut,
15h45.
Le tic-tac incessant de l'horloge commençait à agacer Luke. Désormais âgé de neuf ans, le jeune garçon tentait tant bien que mal de suivre son cours de géographie. Un cours barbant sur la ville de New York, mené par un professeur au ton des plus monocordes. Passionnant.
Avec un soupir, le jeune blond jeta un coup d'oeil autour de lui avant de reporter son attention vers l'une des fenêtres qui donnaient sur la cour.
Parfois, ses camarades de classe l'irritaient : rarement un sourire, jamais un rire, ils affichaient tout le temps un air des plus sérieux et répondaient avec plaisir aux questions que leur posaient leur professeur. Être ici, enfermés entre quatre murs, à écouter et enregistrer des informations qui ne leur serviront jamais à grand-chose, semblait les ravir au plus haut point. Ils semblaient ne jamais se départir de leur bonne humeur et de leur enthousiasme, même durant l'hiver, lorsque la salle de classe, très mal isolée, ne leur offrait que quelques petits dizaines de degrés. Luke avait bien essayé de les dérider un peu … mais les quelques tentatives qu'il avait faites n'avaient été que de terribles échecs, plus cuisants les uns que les autres : après quelques années – Luke côtoyait désormais ses camarades depuis cinq ans , il lui semblait toujours impossible de se lier un jour d'amitié avec eux. Pas qu'il ne les aimait pas ; certains d'entre eux, malgré leurs airs de premiers de la classe, avaient l'air tout de même bien sympathiques. Mais, le jeune Castellan avait l'impression que ses camarades se méfiaient de lui. Qu'ils préféraient garder leur distance, comme s'ils avaient peur qu'il ne leur arrive quelque problème s'ils s'approchaient trop de lui. Jamais de regards dans les yeux, ni de propos directement adressés au jeune homme. Pas de sourires, encore moins d'accolades ou de jeux nécessitant des contacts physiques. Luke était tout le temps seul durant les récréations et les pauses déjeuner, comme si une barrière invisible le séparait indéniablement et définitivement de ses camarades. Comme s'il n'avait pas la permission d'appartenir à leur quotidien ; comme s'il appartenait à un autre monde.
« Ils ont sûrement peur d'attraper mon fichu trouble … », pensa amèrement Luke.
Il poussa un énième soupir – certainement le centième de cette longue et interminable journée – et détacha ses yeux des arbres pour jeter un regard las et méprisant sur le polycopié que Mrs Knight leur avait distribué au début du cours.
Bien qu'il sache ce qui était inscrit sur cette double page – leur professeur leur en avait parlé il y avait à peine une vingtaine de minutes –, le jeune garçon était bien incapable de le lire : à chaque fois qu'il essayait de s'y atteler, les lettres dansaient irrémédiablement sur le papier, ne lui laissant jamais l'occasion de déchiffrer quoi que ce soit. Oh, bien sûr, il arrivait toujours à déchiffrer les chiffres, mais cela ne l'aidait pas vraiment à comprendre le texte ; celui-ci, composé à quatre-vingt-dix-neuf pourcent de lettres, restait donc un véritable mystère pour lui. Un problème qui ne semblait toucher aucun de ses camarades. Et qui l'agaçait de plus en plus chaque jour. Car, Luke avait beau essayé de retourner le plus loin possible dans ses souvenirs, il lui semblait que cela avait toujours été comme ça. Que, depuis sa toute première année de scolarité, il avait toujours rencontré ce problème. Et que celui-ci s'était même aggravé au fil des années.
Sa mère et son médecin traitant lui avaient dit qu'il s'agissait de dyslexie. Qu'il s'agissait de dyslexie et qu'il devait apprendre à vivre avec, aucun traitement ne pouvant faire disparaître ce trouble. On pouvait l'atténuer, certes. Mais jamais s'en débarrasser complètement. Il devait l'admettre et se montrer patient. Des consignes qui avaient tendance à le mettre hors de lui.
« Eh, tu peux arrêter, s'te plaît ? J'arrive plus à suivre le cours ! »
Plongé qu'il était dans ses pensées, Luke s'était emparé de son crayon de bois sans s'en rendre compte et le tapotait répétitivement contre le bois verni de la table. Un geste qui le prenait souvent, déclenché par la trop grande nervosité que provoquaient ses désagréables pensées ou l'environnement dans lequel il se trouvait. Parce que le jeune garçon détestait être assis trop longtemps. Il détestait l'école et l'immobilisme que cela impliquait. Il avait toujours eu beaucoup de mal à tenir en place. Surtout à cette heure, alors qu'il ne restait que quelques minutes avant la fin de la journée et qu'il assistait à un cours des plus ennuyeux …
« Désolé. », fit-il, d'une voix atone, les yeux encore légèrement dans le vague, à l'adresse du garçon qui était assis juste devant lui et qui l'avait ramené à la réalité.
Se mordant nerveusement la lèvre inférieure, il posa son crayon et sourit à son camarade. Un sourire timide, qui ressemblait d'avantage à une grimace. Mais son interlocuteur n'eut pas l'impression d'y faire attention, se contentant de lui jeter un regard froid avant de se concentrer de nouveau sur ce que disait leur professeur. Avec un léger soupir où transparaissait une légère déception, Luke baissa la tête et ferma les yeux un moment, priant silencieusement pour que le temps passe plus rapidement.
Quelques secondes plus tard, il avait de nouveau son crayon gris dans la main et était la cible de nombreux regards agacés de la part de ses camarades.
OoOoOoOoO
30 Novembre 1984,
Salon de thé « Les douceurs de Camille »,
Quelque part dans le Connecticut,
15h07.
« Vous avez choisi, Monsieur ? »
Encore absorbé par le menu, Hermès sursauta légèrement avant de jeter un coup d'oeil autour de lui. À sa droite, une jeune fille d'une vingtaine d'années lui adressait un sourire timide, un plateau vide entre les mains. Ses longs cheveux blonds et lisses étaient attachés en une queue de cheval et ses yeux bleus brillaient d'un vif éclat, le fixant avec un mélange de curiosité et de grande gentillesse.
« Hum … pas … pas tout à fait … », répondit Hermès, d'une voix étrangement tremblante. Auriez-vous quelque chose à me conseiller en particulier ? », ajouta-t-il après s'être raclé la gorge.
Puis, il regarda la jeune serveuse, en essayant tant bien que mal de cacher son trouble. Un trouble profond et immense, qui l'avait envahi dès qu'elle l'avait interpellé. Non pas parce qu'il avait eu une petite frayeur en entendant une voix à côté de lui alors qu'il était plein réflexion. Mais parce que, tout, dans la voix comme dans le physique de la serveuse, l'avait bouleversé. Pas qu'il la trouvait incroyablement sexy et qu'il éprouvait la furieuse envie de lier son corps au sien, non. Hermès n'était pas de ce genre là. D'ailleurs, ce n'était pas franchement le physique de la jeune fille qui le chamboulait autant. A bien y réfléchir, c'était son aura. La jeune femme dégageait en effet une étrange chaleur : le son de sa voix, ses yeux, ses gestes, son sourire, sa présence … tout irradiait et semblait capable de réchauffer et de faire fondre le coeur des plus impitoyables des hommes. Sa présence avait quelque chose de divin, de miraculeux, d'incroyablement chaleureux. Tout inspirait en elle la générosité, la gentillesse, la bienveillance, la tendresse. Il n'avait fallu qu'un unique coup d'oeil à Hermès pour savoir avec une profonde certitude que la personne en face de lui était un être exceptionnel. Un être exceptionnellement beau et bon. Le dieu n'éprouvait même pas le besoin d'essayer de percevoir les pensées de la jeune femme pour confirmer ces impressions. C'était une certitude, il le savait au plus profond de lui : la jeune serveuse était une personne fabuleuse.
« … est très bonne, mais la tarte chocolat blanc – framboise est réellement délicieuse., était en train de déclarer la jeune femme, un sourire éclatant aux lèvres. Avec un bon thé à la bergamote, c'est le goûter parfait ! »
Hermès, dont le coeur avait accéléré ses battements au fil des minutes, acquiesça d'un air entendu. Oui, la serveuse l'avait convaincu, il commanderait ceci !
Les joues légèrement rouges et la poitrine envahie par une agréable chaleur, il se laissa aller contre le dossier de sa chaise et observa encore une fois la jeune femme.
« May. Elle s'appelle May. », pensa-t-il, se remémorant le prénom qu'il avait vu épinglé sur la poitrine de la concernée.
Très vite, et alors que la collègue de May lui ramenait sa commande, ce prénom s'imposa dans son esprit, au même titre qu'une étrange mais très agréable sensation de bien-être. Un sourire presque niais éclaira alors son visage, alors qu'il croquait dans un premier morceau de tarte.
May.
Il fallait qu'il en sache plus.
OoOoOoOoO
Quatre Septembre 1995,
Maison de May Castellan,
Quelque part dans le Connecticut,
17h00.
« Maman, tu es là ? », s'écria Luke, à peine arrivé dans le vestibule.
Pressé de se débarrasser de son imposant cartable, le jeune garçon n'attendit pas la réponse : il entra dans le séjour et, d'un geste aussi rapide qu'impatient, il expédia le sac près du canapé avant d'enlever ses chaussures.
Enfin ! Il était enfin chez lui ! Et dire qu'il avait pensé que cette journée ne se terminerait jamais !
Avec un profond soupir, il se jeta dans l'un des fauteuils qui encadraient le canapé et la table basse et s'ébouriffa les cheveux, profondément soulagé. Premier jeudi de l'année et le garçon était déjà certain que ce jour allait être le pire de la semaine ! Géographie et sciences dans la même journée … Mais qui avait fait cet emploi du temps ? Qui donc avait eu cette idée aussi terrible ? Qui pouvait être aussi sadique ?
Une mine boudeuse sur le visage, Luke, encore sous le choc de cette terrible nouvelle, grimaça à plusieurs reprises. Puis, se rendant soudainement compte qu'il n'avait toujours pas obtenu de réponse, il se redressa, les sens à l'affût.
« Maman ? T'es là ? », tenta-t-il de nouveau.
Seul le silence lui répondit. Fronçant les sourcils, Luke se leva et inspecta la pièce. Mais il était évident que sa mère ne s'y trouvait pas, sinon, elle se serait déjà manifestée. Intrigué, il s'avança alors dans le coin cuisine. De la vaisselle était entreposée dans l'évier, quelques grains de farine traînaient sur le plan de travail et une odeur de brûlé commençait à piquer les narines. Mais là encore, sa mère n'était pas là.
« Oh, non, ils ont encore cramé … », grommela Luke.
Ayant deviné que l'odeur désagréable provenait du four, le jeune garçon avait ouvert ce dernier et, avec l'aide d'une manique, avait entrepris de sortir ce qui y cuisait. Des cookies, en l'occurrence. Des cookies aux pépites de chocolat, comme ceux que Luke adorait dévorer. Mais en plus noirci. Et plus dur.
L'odeur lui montant à la gorge, Luke fut soudainement pris d'une quinte de toux. Les larmes aux yeux, il fit de grands gestes avec les bras, comme pour tenter de dissiper la fumée, tout en maudissant sa mère. Pourquoi s'entêtait-elle à faire des gâteaux si c'était pour les rater à chaque tentative ?
« Maman ? »
Agacé, Luke s'essuya les yeux avec sa manche et poussa un grognement. Et puis, pourquoi ne lui répondait-elle pas ? La maison était loin d'être immense, elle devait forcément l'entendre ! Alors pourquoi l'ignorait-elle ?
« MAMAN ! »
OoOoOoOoO
Quatre Septembre 1995,
Quelque part dans le Connecticut,
18h30.
Cours. Ne t'arrête pas. Cours. Ne t'arrête surtout pas.
Voilà les pensées qui s'imposaient dans l'esprit de Luke depuis une vingtaine de minutes. Ou plutôt, depuis qu'il avait eu la force et le courage de sortir du placard et de se précipiter vers la porte en hurlant de terreur.
Oui, en ce quatre septembre 1995, à deux jours à peine de son neuvième anniversaire, Luke avait finalement décidé de prendre la fuite. De s'échapper. De prendre les jambes à son cou et de mettre le plus de distance possible entre sa mère et lui. Une envie de longue date qui s'était enfin concrétisée. Et cela, même s'il ne savait pour le moment où aller, lui procurait une sorte de soulagement. Enfin. Enfin il pouvait espérer ne plus faire de cauchemars.
Car, bien qu'il aimât profondément sa mère et qu'il se sentait terriblement honteux de l'abandonner ainsi, Luke devait bien avouer qu'il avait une peur bleue de May Castellan. Depuis maintenant quatre ans, depuis qu'il était en âge de comprendre ce qui se passait, sa terreur et son désespoir ne faisaient que grandir : sans qu'il puisse pour autant mettre un mot dessus, quelque chose chez sa mère clochait. Quelque chose faisait qu'elle n'était pas comme tout le monde. Quelque chose la rendait malade. Par périodes, certes. Mais c'était ce qui rendait la chose encore plus effrayante. Parce que, la majorité du temps, May Castellan paraissait normal. Agissez comme vous et moi. Était entièrement capable de s'occuper de son fils et de sa maison et d'entretenir de longues conversations avec n'importe quel individu dont elle se sentait proche. Mais, parfois, il en était tout autrement.
Parfois, elle devenait terrifiante. Parfois, ses beaux yeux bleus devenaient verts fluo, son corps se raidissait et elle se mettait à déclamer des trucs incompréhensibles. Ou à pousser des cris effroyables. Des cris à percer les tympans. Des cris qui glaçaient le sang de Luke et faisait sévèrement blêmir le jeune garçon. Parfois, elle hurlait. Elle hurlait et obligeait Luke à se cacher dans le placard.
C'était d'ailleurs ce qui s'était passé, lorsqu'il était rentré de l'école. Ne la trouvant pas au rez-de-chaussée, il s'était rendu au premier étage sur la pointe des pieds, soudain animé par un très mauvais pressentiment, le silence n'étant jamais de très bon augure dans la maison. La gorge serrée et l'estomac douloureux, il avait eu peine à retenir un cri d'effroi lorsqu'il l'avait trouvée, là, assise dans un coin de la chambre parentale, ses bras frêles entourant ses genoux. Les yeux fermés, elle se balançait d'avant en arrière et marmonnait à voix basse.
Enfin, ça, ça avait été avant. Avant que Luke, la peur lui serrant les entrailles, ne fasse un pas en arrière et que son pied droit ne heurte le mur avec un bruit sourd. May avait alors ouvert brusquement les yeux et s'était redressée. Elle s'était redressée, et, les bras tendus devant elle comme le ferait une momie égyptienne, elle s'était avancée vers lui, ses yeux d'un vert terrifiant fixés sur lui,des paroles incompréhensibles sortant toujours de sa bouche. Luke avait alors poussé un cri et s'était enfui, se réfugiant dans l'unique placard de cuisine. Tremblant de tous ses membres, il avait alors regardé sa mère errer dans la maison pendant plus d'une heure. Il l'avait regardé crier, se jeter contre les murs et à genoux sur le sol. Il l'avait regardé hurler à plein poumons et déblatérer des mots qu'il ne comprenait pas. Il l'avait regardé faire une énième crise, le désespoir et la colère lui brûlant les entrailles. Et il avait prié. Il avait prié pour qu'on vienne le sortir de là. Pour que quelqu'un vienne et guérisse sa mère. Pour que son père, parti peu après sa naissance, lui prenne la main et l'emmène loin d'ici. Mais personne n'était venu.
Personne ne venait jamais.
Désemparé, désespéré, en colère, Luke avait alors ouvert la porte du placard d'un geste aussi soudain que brusque, et, sans un regard pour sa mère, il avait fui. Sans aucune provision ni habits de rechange. Il était parti. Comme ça.
Parce que rien ne pouvait être pire que de rester ici.
Cours. Ne t'arrête pas. Cours. Ne t'arrête surtout pas.
OoOoOoOoO A SUIVRE … OoOoOoOoO