Life of a Hero

Chapitre 3 : "T'es aussi laid que Méduse"

3051 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 02/10/2018 19:19

Chapitre trois : « T'es aussi laid que Méduse »


28 Décembre 1984,

Mont Olympe,

Résidence d'Hermès,

Chambre à coucher,

18h45.


« Comment … comment j'suis ? »


Droit comme un i, Hermès se tenait devant le miroir sur pied, l'air plus angoissé que jamais.


Ce soir était un grand soir. Ce soir était le soir de son premier rendez-vous avec May Castellan. Et, bien qu'il s'était efforcé de s'y préparer tout au long de la semaine, essayant tant bien que mal d'aborder l'idée comme un événement tout à fait banal, cela lui semblait toujours aussi effrayant. Excitant et magnifique, certes. Mais diablement effrayant. Aussi effrayant et angoissant que de se rendre aux Enfers pour apporter de mauvaises nouvelles à Hadès. Ou que de louper involontairement un appel de Zeus ; on ne savait absolument pas ce qui allait se passer par la suite et ça, le dieu des Messagers n'aimait absolument pas. Non. L'imprévu, le risque que tout aille de travers … tout cela le rendait malade. Frissonnant. Nauséeux.


« T'es aussi laid que Méduse. »


« … Qu … Quoi ?! »


L'air angoissé laissa place à une véritable expression de désespoir. Totalement pris au dépourvu, Hermès tourna précipitamment la tête et regarda son demi-frère, l'air complètement abattu. L'expression grave et impassible d'Apollon finit de le convaincre, et, avec un gémissement à fendre l'âme, Hermès baissa la tête, les épaules soudainement affaissées.


« C'est … c'est le costume, c'est ça ? … ou la cravate ? »


D'un air triste, il attrapa lentement la dite cravate et la fit bouger quelques secondes entre ses doigts.


« Je sais pertinemment que les costumes gris et les cravates noires ne sont pas trop à la mode ces temps-ci … que c'est un peu trop classique, pour ne pas dire ringard mais … »


Sous le coup des émotions négatives qui l'assaillaient, les mots se perdirent dans sa gorge et ses murmures laissèrent place à un lourd silence. Un silence pesant, durant lequel Apollon aurait dû passer un bras autour de ses épaules et le réconforter du mieux qu'il le pouvait. Un silence durant lequel le dieu du Soleil aurait dû s'agiter dans tous les sens, à la recherche de la tenue idéale, de celles qui éblouissaient les passants au premier coup d'oeil. Cependant, aucune main chaleureuse ne vint se poser sur l'épaule droite d'Hermès et aucun vêtement ne se vit propulser dans les airs. Au bout de quelques minutes, le dieu des Messagers redressa alors tête et épaules, et s'exclama, le regard fixé sur son reflet :


« Tu te fiches de moi, c'est ça ? »


Ses sourcils étaient froncés et sa voix était emprunte d'agacement. Un agacement qui ne fit que s'accroître lorsque l'image d'Apollon apparut derrière la sienne, un sourire clairement amusé aux lèvres.


« Tu es ridicule. », souffla-t-il alors, les bras croisés contre sa poitrine et le regard subitement assombri.


« Oooh, allez ! »


Levant les yeux au ciel, Apollon poussa un long soupir avant de s'approcher de son meilleur ami. Qu'est-ce qu'il pouvait être rabat-joie parfois !


« Je ne sais pas quelle mouche t'a piqué, aujourd'hui, mec, s'exclama-t-il alors qu'il essayait – en vain – d'entourer les épaules d'Hermès avec l'un de ses bras, mais t'as franchement besoin de respirer ! Sérieux, on dirait que tu vas à l'abattoir ! Si cette mortelle est aussi tyrannique, pourquoi tu l'as invité à dîner ? Je ne savais pas que ce genre de relations te plaisaient tant ! », ajouta-t-il en tentant un nouveau sourire amusé.


Mais cette tentative d'humour ne sembla pas dérider Hermès, bien au contraire : fusillant son ami du regard, le dieu des Messagers laissa échapper un mince soupir avant de se diriger vers son lit où il se laissa tomber, imitant à perfection l'étoile de mer.


Une étoile de mer bien triste, cependant., pensa Apollon, alors qu'il notait les traits tirés d'Hermès.


Cette navrante constatation lui serra le coeur et le dieu du Soleil se surprit à être envahi par une vague de tristesse. Voir ainsi son demi-frère d'ordinaire si malicieux et enthousiaste …

Avec un soupir presque inaudible, Apollon fit quelques pas et s'assit au bord du lit, son regard fixé sur les paupières fermées d'Hermès.


« Tu ne comprends pas, 'Pollo., soupira ce dernier après quelques instants d'un énième silence, comme s'il sentait qu'Apollon souhaitait comprendre son état. D'ailleurs, je ne suis même pas sûr de comprendre moi-même. May, c'est … je n'ai jamais ressenti quelque chose comme ça auparavant. Je n'ai jamais aimé aussi fort. Jamais. »

« C'est plutôt une bonne chose, non ? »


La voix d'Apollon était douce et encourageante. Celle d'Hermès pleine de tristesse et de douleur. Le dieu du Soleil en avait presque les larmes aux yeux.


« … Oui, bien sûr que oui. Enfin, je suppose. », finit par répondre le dieu des voleurs.


Les traits tirés, il ouvrit les yeux et se redressa en position assise, le dos collé contre la tête de lit. Il jeta à plusieurs reprises de rapides coups d'oeil à Apollon avant de déglutir difficilement, les bras croisés contre la poitrine.


« Mais ça m'effraie., s'exclama-t-il alors, dans un souffle. Ça me terrifie. Ça me paralyse. Et si je n'y arrivais pas ? Si je gâchais tout dès ce soir ? Si je n'adoptais pas le bon comportement envers elle ? … si je ne la méritais pas, tout simplement ? »


« Tu … »


Mais Apollon n'eut pas l'occasion d'aller plus loin : Hermès était parti sur sa lancée et rien ne semblait pouvoir l'arrêter.


« Parce qu'il faut le dire, je n'ai pas toujours été très fidèle. J'ai eu énormément d'aventures et je crois bien que j'ai brisé plus de cœurs que je ne le pense, ou pire, ne m'en souviens. Et si je lui faisais du mal ? Si tu la voyais, 'Pollo ! Il s'agit sans aucun doute de la personne la plus pure et la plus gentille qui puisse exister sur la planète Terre ! Elle ne ferait même pas de mal à une mouche ! Elle a un coeur fait d'or pur ! Je ne peux pas prendre le risque de la blesser ! Je ne peux pas ! Ce serait inhumain ! »


Apollon eut alors envie de répliquer qu'un dieu olympien n'était en aucun cas un être humain. Mais un coup d'oeil à Hermès l'en empêcha : se laissant aller au profond sentiment de désespoir qui le rongeait depuis plusieurs heures déjà, le dieu des messagers s'était brusquement levé et, après avoir jeté sa veste de costume, essayait tant bien que mal d'affliger le même sort à sa cravate, qui ne semblait pas vouloir se dénouer. Alors, même si Apollon savait que son humour passait pour l'un des plus efficaces sur le Mont Olympe, il sut que ce n'était pas le bon moment de blaguer. Hermès semblait trop épris par sa jeune mortelle pour pouvoir saisir quelconque phrase au second degrés ; et Apollon ne voulait pas se disputer avec lui. Pas maintenant.


« Écoute, Hermy. », commença-t-il


Un air inhabituellement sérieux sur le visage, il s'approcha de son demi-frère et, tout en prenant le relais dans l'affaire « dénouement de cravate », il reprit :


« Je pense – et je suis loin d'être le seul dans ce cas – que tu es l'un des dieux les plus gentils qui soient. L'un des plus gentils, mais aussi l'un des plus attentionnés et des plus aimants. Et je sais de source sûre que tu as tendrement aimé toutes les personnes avec lesquelles tu es sorti. J'en suis certain. Parce que tu es comme ça, toi : tu as grand coeur. À chaque fois que tu aimes quelqu'un, tu l'aimes passionnément. Jamais à moitié. T'es comme ça. Mais … mec, ne passe pas à côté de ce qui s'annonce comme une formidable histoire d'amour à cause de ça. Tu aimes profondément May donc tu cherches à la protéger. Parce que tu sais que votre histoire ne pourra certainement pas durer éternellement. Parce que c'est une mortelle, mais aussi et surtout à cause de tes nombreuses responsabilités. Tu as peur de la blesser, c'est logique et parfaitement normal. Cependant, si tu ne sautes pas le pas, vous serez tous les deux malheureux. Et May souffrira d'avantage. Crois-moi. Elle en aura le coeur brisé et toi, tu broieras du noir en tournant en rond dans ta chambre et en te gavant d'ambroisie. Tu prendras du poids. Tu commenceras à souffrir de calvitie précoce. Et peut-être même que tu choperas quelques caries à cause du trop plein de sucre. Bref, tu t'enlaidiras petit à petit et avec ça, ta confiance en soi s'envolera. Et tu seras encore plus stressé et tête à claques que d'habitude. Or, moi, je ne le veux pas. Je veux garder mon Hermès enthousiaste et blagueur, mesquin et moqueur, quoique légèrement lèche-bottes et râleur. Je t'adore, Hermès. Je t'aime de tout mon coeur. Et, même si je louche sur ta console de jeux vidéos depuis plusieurs mois déjà, tout ce que je veux, c'est ton bonheur. Alors, tu vas me faire le plaisir d'aller à ce rendez-vous. Et de passer du bon temps avec May. De vivre une belle histoire d'amour. Parce qu'au sinon, je te fais avaler tes maudits serpents. »


Sur ces mots, Apollon donna un léger coup de poing dans l'épaule droite d'Hermès, un sourire radieux aux lèvres et les yeux brillant d'émotion. Le dieu n'avait pas pour habitude de faire de telles déclarations, aussi il s'en sentait encore tout chamboulé. L'envie de prendre Hermès dans ses bras était forte mais Apollon savait que ce geste les gênerait quelque peu tous les deux, aucun d'entre eux n'étant de nature très tactile. Alors, il resta immobile, les bras le long du corps, se contentant de sourire à son plus vieil ami, dans l'espoir que l'un d'eux trouve quelque chose à dire, et ce, avant que la situation ne devienne embarrassante. Fort heureusement, Hermès était déjà sur le coup.


« Lèche-bottes ? », s'exclama-t-il soudain, en haussant un de ses sourcils.


Le ton de sa voix mêlait surprise et vexation, et seul un novice n'aurait pas aperçu l'étincelle d'amusement qui régnait au fond de ses yeux. Cependant, Apollon s'y laissa prendre. En toute conscience ou non, personne ne l'a jamais su.


« Je te fais une déclaration et c'est tout ce que tu retiens ?! Eh bien ! Faites plaisir aux gens, je vous jure ! »


D'un geste agacé, il jeta la cravate à terre et soupira longuement. Puis, immobile, il observa Hermès pendant quelques instants avant de se diriger à pas rapides vers l'armoire de celui-ci.


« Tu sais quoi, Hermy ? Oublie le costume, il te faut quelque chose de beaucoup plus décontracté ! »


OoOoOoOoO


28 Décembre 1984,

Salon de thé « Les douceurs de Camille »,

18h46.


Avec un soupir de soulagement, May Castellan ôta son tablier et l'accrocha au porte-manteau, non loin de l'entrée du salon. Nom de dieu, mais qu'est-ce que cette journée avait été longue ! Et que Katherine avait été ennuyante ! D'accord, May avait eu quelques instants de rêveries et de paresse, mais ce n'était pas une raison pour lui crier dessus au moindre écart de conduite ! Surtout qu'elle n'avait créé aucun malaise du côté des clients ! Qu'il y avait donc de mal à se perdre quelques instants dans ses pensées ? Katherine ne connaissait-elle pas elle-même le phénomène ?


Un brin agacée par ses pensées, May secoua la tête et lâcha un autre soupir. Puis, alors qu'elle glissait l'une de ses mains dans la poche de son tablier pour vérifier qu'elle n'y avait rien laissé de personnel – ici, les potins allaient bon train –, un mince sourire déforma ses lèvres. Un sourire qui trahissait son plaisir à retrouver ce mince bout de papier qui avait été la cause de tant de problèmes de comportement.


« Aaron … », souffla-t-elle alors qu'elle dépliait le papier et que ses yeux se posaient une énième fois sur les mots qui y étaient inscrits.


Une drôle de lueur dans le regard et une agréable chaleur au niveau de l'estomac, et la revoilà repartie dans cette bulle de bien-être qui n'avait cessé de l'envelopper tout au long de la semaine.


Aaron. Ils ne se connaissaient que depuis une trentaine de jours, mais elle ressentait déjà pour le jeune homme une affection toute particulière. Jamais, ô grand jamais, elle ne s'était confiée à quelqu'un avec autant de volonté et de facilité. Jamais, ô grand jamais, un garçon avait été capable de percer son coeur avec une telle rapidité. La jeune femme avait certes déjà eu quelques relations. Mais aucun jeune homme ne lui avait paru aussi digne de confiance, aussi gentil et aussi attentionné qu'Aaron. Son humour lui plaisait, sa façon de la regarder lui plaisait. Ses boucles brunes et ses yeux bleus perçants faisaient accélérer les battements de son coeur.


Et sa maturité l'étonnait. Il n'était âgé que de vingt-trois ans et pourtant, il était bien plus mature, bien plus responsable, que la majorité des jeunes hommes qu'elle connaissait : c'était comme si son enveloppe charnelle abritait une âme plus ancienne. May pouvait facilement l'imaginer évoluer dans une époque beaucoup plus classique, où la gente masculine était alors composée de véritables gentlemen. Parce qu'il se conduisait véritablement comme tel : toujours poli et respectueux, il n'avait jamais tenté de lui toucher les fesses, de l'embrasser ou de lui enlacer la taille. Leurs rendez-vous se résumaient à de longues promenades dans le parc, durant lesquelles, son bras enroulé autour du sien, il l'écoutait parler de son quotidien et de ses passions. Pourquoi travaillait-elle dans ce café ? Quelles études faisait-elle ? Quel type de carrière envisageait-elle de mener ? Était-elle heureuse ? Pour quoi se passionnait-elle ? Il semblait vouloir tout connaître à son sujet et, alors que les autres hommes se comportaient ainsi pour amadouer, faire croire qu'ils s'intéressaient à l'objet de leur désir, lui, semblait étonnamment sincère. Et, même si cela l'avait surprise au premier abord, May devait avouer qu'elle en était incroyablement flattée.


Le bruit d'une portière que l'on claque brutalement retentit et May sortit de sa douce torpeur en clignant plusieurs fois des paupières. Puis, un sourire toujours aussi radieux aux lèvres, elle plia de nouveau le papier et le fourra soigneusement dans sa poche.


Ce soir, était son premier dîner avec Aaron. C'était un soir important, qui promettait d'être riche en émotions. Et elle ne manquerait cela pour rien au monde …


OoOoOoOoO


28 Décembre 1984,

Restaurant « A la bonne assiette »,

20h00.


Alors mec, comment ça se passe ?


C'était la cinquantième fois en cinq minutes qu'Hermès déverrouillait son téléphone portable et que son regard se posait sur ce message, envoyé par Apollon quelques minutes plus tôt. Et, à chaque fois, la douleur se faisait de plus en plus vive, de plus en plus cruelle.


Il aurait aimé pouvoir répondre à Apollon. Il aurait adoré pouvoir sourire en écrivant son message, pouvoir dire à son meilleur ami que le dîner était succulent et qu'il passait un merveilleux moment en compagnie de la douce et si agréable May Castellan. Il aurait aimé pouvoir lui dire que c'était sans aucun doute la plus belle soirée de son existence.

Mais, il ne le pouvait pas. Il ne le pouvait pas, parce qu'au bout d'une demi-heure d'attente, il n'avait toujours rien commandé. Au bout d'une demi-heure d'attente, la chaise en face de la sienne était toujours aussi vide. Au bout d'une demi-heure d'attente, May Castellan n'était toujours pas arrivée.


Et Hermès ne pouvait décrire le profond sentiment qui le rongeait à chaque fois que cette réalité lui revenait en pleine face. Une demi-heure et toujours rien. Au fond de lui, le dieu savait que ce n'était pas normal. Que tout humain ou dieu normalement constitué aurait lâché l'affaire. Qu'il aurait poussé un long soupir, aurait peut-être ressenti un léger pincement au coeur et serait rentré chez lui, tête basse. Tout simplement.


Mais le dieu des messagers ne pouvait faire cela. Il ne pouvait pas renoncer à May. Pas maintenant. Pas après toutes les conversations qu'ils avaient eu. Pas après tous les regards qu'ils s'étaient échangés. Pas après tout ce qu'ils avaient partagé. C'était trop dur, trop cruel.


La jeune femme avait-elle pensé qu'un rendez-vous un mois seulement après leur rencontre était inapproprié ? Que tout cela était trop tôt ? Dans ce cas, pourquoi ne lui avait-elle pas dit ? Et puis… il l'avait observée tout au long de la semaine. Il avait vu son immense sourire quand elle avait trouvé le mot sous la tasse. Il l'avait aperçue rêvasser à plusieurs reprises. Il avait ressenti sa joie aussi intensément que la sienne. Alors, pourquoi ? Pourquoi n'était-elle pas en face de lui, en train de déguster les plus succulents mets de Manhattan ? Pourquoi ne la voyait-il pas passer le seuil de la porte, emmitouflée dans cette jolie doudoune bordeaux qu'elle appréciait tant ? Pourquoi n'était-elle pas tout simplement ici, à ses côtés ? Avait-elle pris peur ? S'était-elle dit que, finalement, il ne l'intéressait pas ? Ou avait-elle trouvé mieux ailleurs ? …


Toutes ces questions ne cessaient de tourmenter l'esprit du dieu et il en souffrait énormément. Chaque minute, chaque seconde qui passait lui déchirait un peu plus le coeur et le plongeait dans une tristesse incommensurable. Se lever de sa chaise demandait trop de sacrifices. Cela équivaudrait à accepter la triste réalité. Celle qui avait ô combien envie de lui crier que May ne l'aimait pas, que lui, misérable dieu des voleurs au physique des plus banaux, n'était définitivement pas assez bien pour elle. Et Hermès ne pouvait pas. Tout cela était bien au-dessus de ses forces …


Alors, les larmes aux yeux, les épaules affaissées et le visage livide, le dieu des messagers gardait le les yeux fixés sur l'entrée du restaurant, plus malheureux que jamais.


OoOoOoOoO A SUIVRE OoOoOoOoO


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