Le Masque Noir

Chapitre 3

1357 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 09/11/2016 23:40

3. … quelques années plus tôt… Le vieux marchand jeta un regard triste aux douze enfants, tous des adultes maintenant, qui lui faisaient face. Mes enfants, se dit-il. Il se frotta les yeux. Douze garçons, douze bouches à nourrir. Tous trop idiots pour être capable de se débrouiller dans la vie. Il risqua un coup d’œil à sa femme et grimaça. Il y avait sa fille aussi. Ou est-elle encore passée? La gamine sortait en douce sans arrêt, croyant sans doute que son vieux père était trop fatigué pour s’en apercevoir, trop démolit, trop saoul. Mais il savait parfaitement où elle allait. Il se l’imaginait bien sur la rive de Port-Royal, le corps balloté par le vent, les yeux perdus dans l’horizon. Le cœur de sa fille était vendu à la mer, il s’en rendait bien compte. Et il la comprenait. Il était exactement comme ça dans ses jeunes temps. Mais ce n’était pas pareil. Bien sur que non. Lui était un homme. Sa fille était, et bien, elle était une fille, quoi! La mer était aux hommes, ou plutôt les hommes étaient à la mer, c’était connu. Les femmes n’y avaient pas leur place. Leur rôle était de garder la terre. Et de se marier, évidemment. Il entendit la porte claquer. Il tendit le cou et appela sa femme. - Sarah? - Oui?, lui répondit une voix bourrue. - Emmène-moi la petite. Quelques secondes plus tard, sa femme revint, trainant leur fille Katherine par le bras. Celle-ci, arrivée devant son père, se dégagea brusquement en jurant, pour recevoir aussitôt une claque derrière la tête. - Sois polie, veux-tu? grogna sa femme. - Tu peux nous laisser, grogna-t-il. Sarah tourna les talons en jurant à son tour. Il attendit qu’elle soit hors de vue et détailla sa fille de la tête aux pieds. - Quel âge as-tu, déjà? Katherine serra les dents, insultée. - Dix-sept, pourquoi? - C’est moi qui pose les questions, ici. À partir de maintenant, tu ne sorts plus d’ici sans être accompagnée de moi ou d’un de tes frères. Sa fille se redressa, indignée, et lui cria au visage. - Pourquoi? Qu’est-ce que j’ai fait? - Tu te maries la semaine prochaine. Cette fois, elle s’étouffa carrément. - Pardon? - Tu as très bien compris. Il la jaugea d’un regard maladroit. - Tu as de la chance que Cutler Becket veuille de toi, parce que si ce n’était que de moi… Katherine serra les poings, puis elle se pencha sur son père et renifla. - Vous êtes complètement saoul! À peine avait-elle finit sa phrase que son père la saisit par le bras et la tira vers lui. - C’est grâce à moi que tu es en vie, et tu va m’obéir. Elle se dégagea et lui hurla au visage. - Jamais, vous m’entendez? Jamais je ne marierai ce… cet ignoble… Ne trouvant pas ses mots, elle se rua hors de la pièce. Elle eu malheureusement le temps d’entendre son père crier : - Le mariage aura lieu dimanche! Elle voulut sortir de la maison, mais John, un de ses frères, lui bloqua la route. - Dégage, John. Un rictus carnassier se dessina sur les lèvres du jeune homme. Elle tenta de le contourner mais son jumeau, James, lui bloqua le passage. - Dans ta chambre, firent-ils d’une même voix en lui pointant le recoin de la pièce qui lui était destiné. Elle fut contrainte d’y aller, toujours sous le choc. Pourquoi est-ce que c’est à moi que ça arrive? Pensa-t-elle alors que son plus vieux frère, Tom, la rejoignait. Elle ne desserra pas les dents à son approche, bien qu’il fût le seul de sa famille qu’elle arrivait à supporter. Il posa une main rassurante sur son épaule. - Tu viens d’apprendre ton mariage avec Lord Becket? - Quoi? Tu étais au courant? Il hocha la tête, la regardant d’un air désolé. - Je ne l’ai appris qu’aujourd’hui, en revenant ici. Il prononça le dernier mot avec amertume. Il détestait leur maison. Il détestait Port-Royal. Il était contraint à rester pour gérer l’entreprise qui les faisait vivre, pour gérer à la place de leur père qui n’était plus en… état de le faire. - Tu vas être bien traitée, j’en suis certain. Elle lui jeta un regard noir. - Ne ment pas. Cet homme est d’un ennui… et il a le triple de mon âge. Il est plus vieux que toi! - Tu exagères. Le frère et la sœur avaient douze années de différence. Tom ébouriffa les cheveux de sa petite sœur. Il ne voulait pas le laisser paraître, pour la rassurer sans doute, mais ce que leur père avait fait le rendait malade. Katherine, une âme si libre allait être contrainte à une vie de servante, pour assouvir les désirs d’un voleur. Le dimanche tant redouté finit par arriver. Chaque jour, Katherine avait tentée de se sauver, mais ses frères l’en empêchait à chaque fois. Elle était plus surveillée qu’en prison. Le samedi, on lui avait fait parvenir un coffre énorme, dans lequel flottait une robe crème, énorme. Sa mère la força à l’enfiler, lui passant tout d’abord le corsage qui venait avec, l’empêchant de respirer et la torturant a chacun de ses mouvements. Un attelage vint ensuite la chercher. Elle y monta seule mais ne tenta même pas de sauter du char en route, étant à peine capable de bouger. L’attelage s’arrêta brusquement, l’envoyant valser contre la banquette qui lui faisait face. La porte s’ouvrit et le visage de Tom apparut. - Si tu veux t’enfuir, c’est maintenant ou jamais. Sans réfléchir, Katherine se précipita hors de la voiture. Elle ne pu s’empêcher de regarder derrière et vit le cocher étendu sur le sol, assommé. - C’est toi qui as fait ça? Tom se retourna vers elle. - Écoute, on n’a pas beaucoup de temps, les autres vont bientôt nous rattraper. Elle regarda autour d’elle. Ils étaient en haut d’une falaise. La mer qu’elle n’avait pas vu depuis si longtemps l’appelait, juste sous ses pieds. Tom prit sa sœur par les épaules et la força à le regarder. - Si tu décides de t’enfuir, on ne se reverra probablement plus. Même si tu décides de rester, d’ailleurs. - Où vas-tu? Il hésita, mais finit par secouer la tête. - Je ne peux pas te le dire. Elle hocha la tête, elle comprenait. Elle regarda la mer et tenta de prendre une grande respiration. Son corsage l’en empêcha. Elle prit son frère dans ses bras et lui murmura à l’oreille. - On se reverra à Tortugas. Il s’écarta d’elle, surpris. - Comment… Mais elle prit son élan et s’élança dans le vide. Tom regarda sa sœur chuter, sa robe formant un ballon autour d’elle. Le choc avec l’eau fut brutal. Kate coula comme une roche. Elle tenta de remonter à la surface, mais n’y parvint pas. Sa robe la tirait vers le fond. Elle battit des jambes pour remonter. Elle n’avait déjà plus d’air. Ce foutu corset! Elle se débattit, en vain. Alors qu’elle fût sur le point de sombrer, elle entendit une douce mélodie. - Viens vers moi, fit une voix, puissante. Katherine tendit les doigts, relâchant sa dernière bulle d’aire. - Je veillerai sur toi pour l’éternité. Puis la paix l’envahit. Et elle ferma les yeux.

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