Bien à toi...

Chapitre 1 : Bien à toi...

Chapitre final

1102 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 23/03/2021 00:10

Très cher toi,

Cela fait fort longtemps que je ne t'avais plus écrit... Je ne m'en excuserai guère, car le fait est, que je n'en avais nullement besoin. Pourtant, aujourd'hui, alors que mes déambulations m'ont mené une fois de plus aux vestiges de notre enfance, ce n'est ni la brise automnale, ni la fraîcheur vespérale qui me fait trembler...

Non. En vérité, j'essuie une tempête interne depuis quelques temps déjà et j'espère trouver en cet échange à sens unique, cher confident, un semblant d'accalmie.

Sans doute, pourrais-je te décrire les cohortes de rues inchangées qui s'étendent à mes pieds, vidées de leur ballet frénétique que la nuit a chassé, la forêt, au loin, parée pour un temps de ses atours chatoyants et les milliers de perspectives de voyages et d'histoires qui se jouent en ces lieux...

Tout cela, je peux te le conter avec une facilité déconcertante. Seulement, ce dont je viens te faire part ne saurait être décrit avec des mots exacts. C'est un mélange de sentiments abstraits, à la fois mélancoliques et destructeurs.

Alors, puisque je ne puis définir le « quoi », je suppose qu'il me reste plus qu'à répondre au « quand » ?

Quand et comment me suis-je aperçu pour la première fois que ses intentions étaient mauvaises ?

Me diras-tu, n'était-ce tout simplement pas une intuition conduite par tout un tas de petits détails relevés au cours du temps ?

Et je te répondrai : non.

Le fait est, qu'il y a bel et bien eu une première fois. Une première fois qui résonne désormais en moi d'une façon bien particulière, compte tenu des derniers évènements...

Laisse-moi te la raconter :

Cela faisait bien longtemps que Lysandre et moi ne nous étions pas revus... J'étais alors très pris par mon travail et lui sillonnait le monde des mois durant, afin d'apporter paix et prospérité aux plus démunis. Cependant, nous avions fini par trouver le moment adéquat pour nous réunir le temps d'un café partagé au coin de la rue Méridionale. Je le retrouvai assis à la table que nous fréquentions habituellement, une tasse à la main, le dos appuyé contre la banquette en tissu pourpre et légèrement plus voûté qu'à l'accoutumée... C'est cet étrange et infime changement de posture, qui non content de porter atteinte à sa prestance coutumière, me fit aussi remarquer pour la première fois que cet homme semblait vivre en inadéquation avec le monde qui l'entourait. Monde, qui réduit à l'échelle de ce banal café rendait les tables et les chaises ridiculement petites et parfaitement inadaptées à un tel gabarit.

Je l'interpelai alors et croisai son regard embué et cerné de fatigue. Pensant qu'il s'agissait là simplement des méfaits du décalage horaire, je n'y prêtai pas attention outre mesure et m'installai en face de lui.

Une fois ma commande prise, nous entamâmes une conversation d'une étonnante banalité, bien loin des échanges enrichissants que nous avions autrefois coutume d'entretenir.

Interpelé par le manque effarant de rhétorique dont il faisait preuve, je ne pus m'empêcher de le questionner à ce sujet.

Il me répondit alors par une simple question :

- Mon cher Platane, croyez-vous que l'Homme à l'état naturel soit meilleur que son homologue socialisé ?

Quelque peu surpris par une interrogation que je supposai tirée d'une quelconque philosophie humaniste qui échappait largement à mon domaine d'étude, je lui répondis alors que j'aurais bien du mal à me prononcer sur un tel propos et tentai d'orienter notre discussion sur un autre sujet.

Cependant, Lysandre insista pour connaître ma réponse et refusa d'aborder toute autre question tant qu'il ne l'aurait pas obtenue.

Devant son empressement presque désespéré, je fis de mon mieux pour balbutier une réponse que je jugeai pour le moins cohérente...

Je ne sais si elle fut à sa convenance, mais toujours est-il qu'il me fit part de sa vision des choses avec une indignation résignée qui me glaça :

- Tant que les Hommes continueront à s'attacher à un matérialisme indécent et une ingratitude dévorante, le monde courra à sa perte ! Je refuse d'assister plus longtemps à cette relation parasitaire où l'un donne et l'autre reçoit inlassablement sans la moindre once de reconnaissance ! Il se leva alors brusquement et haussa la voix, animé d'une rage aux frontières de la folie dont je ne l'aurais jamais cru capable. Mais si personne n'intervient pour se débarrasser d'une société qui est l'exact produit de ce modèle, les choses continueront ainsi ! jusqu'à ce que notre monde s'en retrouve irrémédiablement défiguré !

Les clients de l'établissement se turent brièvement pour porter leur attention sur nous, avant de reprendre le fil de leur conversation respective, tandis que je restai là, muet de stupéfaction, alors que venaient de s'écrouler devant moi, les convictions d'un ami estimé.

Je me souviens que nous n'abordâmes plus le sujet directement par la suite...

Étais-je aveugle à ce point ? Ou tout simplement lâche ?

M'étais-je efforcé d'occulter une vérité qui me dérangeait ? Une vérité qui stipulait que quelque chose en mon talentueux ami s'était brisé, qu'il était en train de perdre pied ?

Durant tout ce temps, j'avais préféré endormir ma conscience en me disant que ce coup d'éclat n'était rien de plus qu'une saute d'humeur passagère, et en repoussant systématiquement l'idée que Lysandre puisse commettre quelque préjudice.

Il s'avère pourtant aujourd'hui que je me trompais.

Depuis, je m'interroge chaque jour, chaque heure, chaque seconde.

Qu'aurais-je pu répondre qui aurait pu le faire changer d'avis ?

Et surtout, toi, qu'aurais tu fais à ma place ? 

Je suppose que tu te serais efforcé de remettre ton ami dans le droit chemin, sans te soucier des apparences ni de la retenue qui sont de mise dans le monde des adultes...

Je le souhaite, car je sais désormais que j'aurais pu changer les choses, ou que tout du moins, j'aurais dû essayer de le faire.

J'espère que tu sauras m'accorder le pardon que je me refuse. 

Comme tu le vois, cher Platane du passé, j'ai vécu, j'ai accompli certains de mes rêves, d'autres attendent encore d'être réalisés.

J'ai vécu et j'ai des remords.

J'ai vécu et pourtant, je m'interroge... encore.

Bien à toi.

Platane du futur

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