Les Rubans Bleus

Chapitre 1 : La beauté du monde

1272 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 30/05/2019 18:32

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Le ciel était étoilé cette nuit-là. Dans les hautes et glaciales atmosphères, il n’y avait pas âme qui vive, et le silence était assourdissant. On s’y sentait tranquille, paisible et serein. Seul le murmure glacé du vent venait chuchoter à notre oreille. En un rien de temps, les nuages commencèrent à s’accumuler et à déverser sur le monde leur froide pluie, qui, à mesure qu’elle chuta, se métamorphosa en une multitude de glaçons d’où réverbaient des nuances cristallines. Dans cette fulgurante dégringolade, les bruits du monde firent progressivement leur apparition, naissant d’abord en notes isolées, puis grandissant en intensité. Très vite, on put entendre des bruits de pas, des bribes de conversations, des claquements de portes, des éclats de rire, des échauffements d’esprit, et le monde, dans sa plus large totalité, se dévoila sans aucune pudeur. Les innombrables gouttes d’eau poursuivirent leur descente, et l’une d’entre elles, plus scintillante que les autres, se heurta au toit d’une vieille chaumière en bois, puis roula sensuellement le long de celui-ci jusqu’à atteindre son rebord humide, duquel elle commença à se suspendre. Avec une douceur nonchalante, la jolie goutte se détacha du rebord et vint s’éclater contre le sol, aux pieds d’un petit Pokémon sanglotant.


Ses petites pattes recouvertes d’une légère fourrure rouge orientaient le regard vers un pelage plus sombre et plus épais, d’une couleur délicieusement stalactite. Son visage noir et ébouriffé était orné d’une collerette aux nuances d’aile de corbeau et au-dessus de sa tête s’érigeait une petite crête chatoyante semblable à une flamme qui vacille. Ses paupières rougeoyantes comme le crépuscule dissimulaient des yeux d’un bleu profond, similaire à celui d’une hyacinthe tout juste éclose. On pouvait remarquer sur son museau quelques larmes qui glissaient lentement vers son menton, et, si l’on se concentrait davantage, quelques sanglots pouvaient parvenir jusqu’à nos oreilles. De ce Pokémon émanait une bien triste aura, pénétrée à la fois d’un profond sentiment d’injustice et d’un désespoir indescriptible. 


Soudain, le grincement d’une porte se fit entendre et rompit la rêverie douloureuse du petit Pokémon. Une délicate créature, aux jambes galbées et à l’allure féminine, sortit de la chaumière et se dirigea avec bienveillance vers l’âme en peine.

D’un ton presque naïf, elle lui dit : 


« Zorua ? Est-ce que tout va bien ? »


Le petit Pokémon tourna lentement la tête vers elle, et, après avoir hâtivement frotté ses pattes contre ses yeux pour sécher ses larmes, il lui répondit:


« Ça va, Manternel. J’avais simplement besoin d’être seule ». Puis, d’une voix chancelante, Zorua ajouta : « Tu sais, même avec tous les conseils que tu m’as donnés, ils se sont encore moqué de moi... »


Manternel resta immobile pendant quelques secondes, puis, dans un geste quasi maternel, elle déposa affectueusement sa patte contre la tête du petit Pokémon, en esquissant un bref sourire.


« Ne te laisse pas abattre, ma petite », dit-elle sur un ton encourageant, « je suis certaine qu’un jour, tu réussiras à leur montrer ce que tu vaux réellement ».


Après avoir effectué plusieurs caresses sur le doux pelage de Zorua, Manternel, qui était transie de froid et trempée jusqu’à l’os à cause de la pluie, s’en retourna vers sa petite chaumière et disparut en un rien de temps à l’intérieur. Zorua ne la suivit pas. Elle préféra se mettre debout sur ses quatre petites pattes, et, réfléchissant à un endroit où elle pouvait se rendre, elle s’exclama ainsi à haute voix :


« La plage Onthulling ! Il faut que j’aille là-bas me ressourcer avant de rentrer ! »


Elle se mit donc en route vers sa nouvelle destination, et, pendant qu’elle marchait, ses pattes clapotaient contre les flaques d’eau engorgées dans les différents creux du sentier, créant ainsi des vagues d’ondes à la surface de l’eau.


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La plage Onthulling était un endroit à couper le souffle, de jour comme de nuit. Lorsque Zorua commença à marcher sur les grains de sable gelés, la pluie cessa. À mesure qu’elle s’avançait vers l’écume de l’océan, le doux chant des vagues parvenait jusqu’à ses oreilles. Le va-et-vient des vagues créa une eau écumeuse qui venait étreindre le pourtour de ses pattes. Zorua, d’un œil fasciné, observa les rayons de la lune argentés qui recouvraient la surface de l’océan. On aurait dit qu’il portait une robe aux couleurs de l’anthracite. Puis, inclinant sa nuque vers l’arrière, Zorua orienta son regard vers le ciel étoilé. Quelques nuages sombres planaient comme des ombres menaçantes au-dessus d’elle, et absorbaient à leur passage la lumière étincelante des étoiles, avant de la faire réapparaître lentement, comme un ultime caprice. En fermant ses yeux, Zorua s’exprima à haute voix :


« Je ne dois plus me laisser faire ! C’est décidé, dès demain, je leur montre ce dont je suis capable ! Il faut que je croie en moi ! Manternel l’a dit, je suis forte, je n’ai aucune raison de me soumettre à ces imbéciles ! Oui, je suis différente, je ne suis pas comme eux, mais c’est justement ce qui fait ma force, pas ma faiblesse ! Je dois juste... avoir foi en moi ! »


Zorua prit une grande inspiration, puis expira avec soulagement tout l’air contenu dans ses poumons. Cette vague de chaleur au contact du froid environnant devint une brume blanchâtre capiteuse qui se dissipa aussi vite qu’elle se forma. Ses paupières à nouveau ouvertes, Zorua put contempler l’époustouflant paysage qui se présentait à elle. La nature était si belle, si harmonieuse, si sereine, si apaisante, qu’un tel tableau déclencha quelque chose dans l’esprit du petit Pokémon. En une fraction de seconde, l’image de cette nature parfaite remonta jusqu’aux racines de sa conscience, et de cette connexion entre nature et esprit émergea une multitude d’interrogations sur le sens de l’existence et sur ses origines si nébuleuses. 


« Je me demande bien comment une nature aussi belle a pu créer des êtres odieux », remarque-t-elle d’un air cynique, les yeux rivés sur les ondulations lumineuses de la lune contre l’océan.


Puis, dans la continuité de sa réflexion, elle s’exprima :


« J’aimerais tellement connaître la vérité sur ce monde. J’aimerais savoir d’où les Pokémon viennent... une telle connaissance remettrait à leur place pas mal de prétentieux ! », dit-elle en déclinant son regard de façon désenchantée. 


Enfin, en exhalant un soupir désespéré, elle concèda :


« Si seulement c’était possible... »


Après avoir admiré le paysage, Zorua décida de faire demi-tour et de rentrer chez elle pour se reposer. Mais cette réflexion qu’elle avait amorcée sur les origines de ce monde et sur son possible créateur, tout cela n’allait plus jamais la quitter. Elle s’était certes posé la question au détour d’une pensée, mais désormais, son esprit avait reçu une empreinte métaphysique. Tout dépendait maintenant de ses choix et de sa volonté. Libre à elle de suivre les pas de la connaissance ou de laisser la neige les recouvrir...


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