Les Rubans Bleus

Chapitre 3 : La couleur de la vérité

4467 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 30/05/2019 19:05

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Il y eut un violent orage qui éclata au-dessus du sentier Saklaus. Sous la menace bruyante des grondements du tonnerre, les arbres perdirent leurs feuilles, les fleurs égarèrent leurs pétales, et les terres creusées se noyèrent sous l’eau de pluie gelée. Le vent, fidèle compagnon de l’éclair, apporta à ce spectacle une tonalité brutale. Les branches d’arbres, jadis droites et fières, finirent par courber l’échine comme un vieil homme grabataire. Le pédoncule des fleurs, autrefois si élégant et si élancé, devint rapidement rabougri et ramassé contre l’herbe trempée. Et les étendues de terre, naguère solides et sèches, se transformèrent progressivement en amas boueux et caillouteux. C’est alors que la pluie commença à cesser de tomber. Les averses violentes, qui s’étaient déversées sur le sentier telle une cascade contre une falaise, devinrent de petits jets menus qui s’entrecroisèrent dans leur course. Les nuages, qui s’étaient contractés comme de gros muscles, se séparèrent lentement et firent poindre les rayons du soleil comme des lasers dorés. Et le ciel, qui s’était noirci, arbora désormais une teinte bleutée très pâle qui sous-tendait la blancheur des nuages. Aux extrémités des feuilles verdâtres se suspendirent des gouttes d’eau scintillantes qui, une à une, tombèrent contre la terre humectée du sentier. Et partout, dans les moindres recoins, se répandit un parfum exaltant. L’odeur d’humidité naissait de la terre et s’élevait dans les airs pour former une atmosphère enivrante, à l’image de l’odeur que dégage le miel en découvrant les alvéoles d’une ruche.


Un petit Pokémon à la couleur cannelle marchait d’un pas pressé jusqu’à sa maison pour s’y réchauffer. C’était Feunnec. Arrivé à destination, il grimpa deux petites marches à l’aide de ses minuscules pattes velues, puis il posa l’une de ses griffes acérées sur la poignée de la porte afin de la faire pivoter. Après avoir poussé cette dernière dans un grincement strident, il entra à l’intérieur de son habitacle, puis referma sèchement le portillon en le claquant contre le chambranle fragile. De l’extérieur, on ne pouvait entendre aucun bruit provenant de la bâtisse ni voir ce qui s’y déroulait. Les carreaux étaient étrangement recouverts de lattes en bois, disposées de telle sorte qu’elles empêchaient tout regard indiscret de pénétrer à l’intérieur. De la poussière traînait sur les rebords de fenêtre et les fleurs qui avaient été disposées sur ces mêmes rebords étaient flétries.


Feunnec vivait au détour du sentier Saklaus depuis de longues années. Dès sa rencontre avec Zorua, qui ne datait que de quelques mois, son attitude était devenue plus hostile et rares étaient les étrangers qui avaient la chance de rencontrer sa famille. Un excès de retenue, sans doute. Feunnec était un Pokémon d’apparence très introvertie et pudique. Il n’aimait pas partager les détails personnels de sa vie ni faire étalage de ses sentiments. Lorsqu’on lui demandait des informations sur ses parents, il grognait en montrant ses crocs. Dès que l’on faisait une allusion à sa vie privée, il frappait lourdement le sol avec ses pattes. Quand on cherchait à se faire inviter chez lui, il déclinait la proposition avec un air dédaigneux. Du reste, c’était un Pokémon sympathique, qui avait de la conversation et qui savait faire preuve d’humour. Zorua s’était tout de suite attachée à lui, quasiment de manière instinctive. Elle semblait apprécier son côté spontané, cette nature libre qui le caractérisait. Peut-être identifiait-elle en lui ce qu’elle ne trouvait pas en elle-même.


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À quelques kilomètres de là, dans la petite chaumière de Manternel, Zorua s’était enroulée dans une couverture chaude en laine. Elle s’était assise sur un sofa confortable, où se reflétaient les faibles rayons du soleil qui traversaient les carreaux. Près d’elle, sur une table faite de bois d’hêtre, une tasse de chocolat chaud remplie à ras bord, d’où émanaient de grandes effluves de chaleur. À quelques centimètres de cette tasse, un livre ouvert. Certaines pages semblaient être écornées, et la reliure épaisse du grimoire avait l’air abîmée. Le tissu déchiqueté qui enveloppait la couverture ressemblait à la surface écaillée de ces coquillages en forme d’accordéon qu’on trouve communément sur les plages. Alors que Zorua était sur le point de s’en emparer pour poursuivre sa lecture, une porte grinça en s’ouvrant. Elle tourna la tête pour identifier l’origine du bruit. La silhouette féminine de Manternel apparut alors, un panier en osier suspendu à son bras gauche.



« Je dois te laisser, ma petite Zorua. J’ai quelques courses à faire.


- Des courses ? Mais Manternel, la nuit tombe bientôt ! s’exclama Zorua en désignant l’extérieur de sa patte droite.


- Je sais. Mais nous n’avons plus de provisions, et je n’aurai pas le temps d’y aller demain, répondit Manternel en affichant une petite moue.


- Oh... mais je ne voulais pas rester toute seule..., lança Zorua d’un air dépité.


- Ne t’en fais pas, je n’en ai que pour une heure. Dès mon retour, on parlera de ce qui s’est passé tout à l’heure. Mais sache que je suis très fière de toi. Le fait que tu aies tenu tête à ces deux imbéciles montre que tu es très courageuse. Tu vaux bien plus qu’eux, et ça je l’ai toujours su. »



À ces mots, les yeux de Zorua se remplirent de fierté et étincelèrent de reconnaissance. Manternel, qui esquissa un large sourire sincère, respirait la bonté. Elle avait légèrement penché sa tête sur le côté et ses yeux étaient à demi clos. On put voir transparaître à travers elle une certaine mansuétude. Puis, dressant à nouveau sa nuque, elle reprit cette allure pimpante et distinguée qui lui était propre et se dirigea vers la porte de la chaumière. Elle en sortit en quelques secondes. Avant même qu’elle s’en aperçoive, Zorua se retrouva seule dans la bâtisse, avachie dans le fond de son sofa.


Le silence fut lourd. Seules quelques gouttes d’eau, encore suspendues au toit de la chaumière, se firent entendre en tombant contre le rebord des fenêtres. Finalement, Zorua tendit ses deux pattes pour saisir la vieille encyclopédie qu’elle avait posée sur la table. Elle le déploya devant ses yeux, de telle sorte que les pages puissent être parfaitement visibles, puis se mit à lire un nouveau chapitre.



Chapitre XVIII – Mythes autour de la Source


On dit de la Source qu’il s’agit d’une entité vivante, mais qu’elle n’est pourvue d’aucune forme physique. Les rares témoignages que nous avons recueillis nous apprennent que la Source demeure au fond d’une clairière enneigée, au sommet du Mont Rétive dans la région d’Iludere, et qu’elle apparaît sous forme de rayon lumineux à ceux qui l’invoquent. Les Pokémon qui prétendent l’avoir déjà entendue s’exprimer affirment qu’elle possède une voix féminine. D’après eux, le pouvoir de la Source réside dans la révélation de toutes les vérités.


En effet, la Source serait capable de répondre à toutes les questions, même les plus abstraites. Elle aurait la capacité transcendantale de voir le passé et l’avenir de tous les Pokémon qui viennent l’interroger, mais aussi du monde lui-même. Plus impressionnant encore, elle posséderait la faculté de sonder le cœur des Pokémon et de révéler leurs intentions. L’un des témoins raconte qu’en interrogeant la Source sur son amnésie, cette dernière lui aurait en même temps dévoilé une partie de sa vie future et l’aurait aidé à déjouer une trahison. D’après lui, tous les événements qu’elle a décrits se sont réellement produits. 


Ce mythe, né il y a plus d’un siècle, se renforce depuis que les gouvernements successifs ont décidé de condamner l’accès au Mont Rétive. Sous le règne du roi Bastiodon, le Mont Rétive était autorisé au public, mais il lui était interdit d’atteindre le sommet. Le régent avait d’ailleurs engagé une armée de Scalproie, postée au sommet de la montagne, pour dissuader les visiteurs les plus curieux d’accéder aux neiges éternelles. Son successeur, le monarque Roigada, avait délaissé cette politique jugée trop sévère pour permettre l’essor du tourisme à Iludere. Les forêts enneigées du Mont Rétive étaient alors devenues accessibles, mais toutes les clairières avaient été mises sous protection royale. Néanmoins, on enregistre pas moins de soixante-deux témoignages sous son règne, ce qui en fait la période la plus riche en terme de spéculations.


En réaction à ce laxisme politique, le monarque Roigada est destitué de ses fonctions par la reine Milobellus qui réussit à prendre le pouvoir par la force. Dès son couronnement, la régente interdit les visites du Mont Rétive et renvoie tous les Pokémon étrangers dans leurs régions d’origine. Elle ordonne ensuite la construction de son château sur les flancs du Mont Rétive pour en empêcher définitivement l’accès. Depuis son arrivée au pouvoir, la reine Milobellus a fait plus de deux cents prisonniers et a poussé une multitude de Pokémon à l’exil.



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Une fois sortie du sentier Saklaus, Manternel marcha pendant de longues minutes le long d’un chemin de terre boueux. Elle prit soin d’éviter les larges flaques d’eau qui s’étaient formées dans la terre en passant par dessus grâce à ses grandes jambes. Le vent était aussi doux que la soie et embrassait délicatement le visage du Pokémon à mesure qu’il avançait. Soudain, Manternel aperçut une petite pancarte érigée de manière bancale dans la pelouse. Elle indiquait le chemin vers Andela, le prochain village. La pluie avait partiellement effacé les inscriptions sur le panneau. Certaines lettres fraîchement repeintes bavaient sur la surface et se déformaient progressivement jusqu’à devenir méconnaissables.


« Quels dégâts... il va falloir que je remette tout ça en ordre dès demain matin ! », s’exclama Manternel en agitant doucement son visage de gauche à droite.


Alors qu’elle reprit la route vers Andela, un froissement inquiétant se fit entendre dans les buissons. Elle s’arrêta aussitôt tout en dirigeant son regard vers la végétation environnante. Le bruissement des feuillages s’interrompit. Un silence pesant s’installa tandis que Manternel tentait d’identifier l’origine du bruit. C’est alors que, comme des spectres malveillants, deux silhouettes bondirent des buissons, renversèrent Manternel par accident, et s’enfuirent au fond des bois après avoir traversé le petit chemin de terre. Les bruits de pas pressés et les respirations haletantes retentirent avec force pendant un court instant, avant de s’évanouir lentement dans les profondeurs de la forêt. Manternel, qui avait amorti sa chute en posant ses deux pattes à plat contre le sol, pivota son regard vers les grands arbres qui l’entouraient. Mais elle ne distingua aucune silhouette familière. Comme deux éclairs, ces mystérieux Pokémon étaient apparus sans prévenir, puis avaient disparu sans laisser de trace.


« Mais... qu’est-ce qui vient de se passer... ? », se demanda Manternel avant de se remettre debout.


Le vent souffla paisiblement dans les arbres. La nuit, elle, commença à tomber. Il était temps de reprendre la route. C’est ce que Manternel fit, l’air un peu perplexe.


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Zorua referma son livre après avoir dévoré un chapitre entier. Ses yeux se perdirent dans le vague tant sa lecture l’avait laissée rêveuse. Elle posa ses petites pattes sous son frêle menton pour soutenir sa tête, et fixa un point précis du salon de la petite chaumière. Elle rêva alors. Elle s’imagina au sommet du Mont Rétive, à l’entrée d’une de ces forêts enneigées. Puis elle songea à la Source et aux révélations qu’elle pourrait lui faire. Savait-elle tout de ses parents ? Connaissait-elle tous les détails de sa vie ? Pouvait-elle l’aider à réaliser l’un de ses plus grands rêves ?


Cette rêverie fut interrompue par trois coups distincts contre le petit carreau de la chaumière. Zorua sursauta. Puis elle orienta son regard vers la fenêtre et aperçut Feunnec. Ni une ni deux, elle déposa ses deux pattes velues sur la clenche de la lucarne puis l’ouvrit dans un mouvement ferme. Zorua sentit le vent entrer timidement dans la chaumière et faire vaciller la flamme des bougies.



« Feunnec ! Mais qu’est-ce que tu fais ici, à cette heure ?


- J’suis venu voir comment tu te portais. Je m’inquiétais un peu.


- Oh... ça va ! Je suis encore un peu secouée... Et puis, je ne réalise vraiment pas ce que j’ai fait !


- Mais tu l’as fait ! J’y croyais pas au départ, hein. Mais tu m’as bien étonné. T’es plus forte que t’en as l’air ! »



Zorua et Feunnec se regardèrent droit dans les yeux. Un sourire naquit sur le coin des lèvres de Zorua. Il fut alors instinctivement transporté sur celles de Feunnec. 



« Bon, si on allait à la plage pour se détendre un peu ? Ça te dit ? demanda Feunnec après avoir réprimé son sourire.


- Oh je ne sais pas... J’étais justement en train de lire un livre pass...


- Allez, sors de là, s’exclama Feunnec en coupant la phrase de son amie, j’ai pas envie qu’tu restes toute seule ce soir !


- Bon... Je sors alors. Attends moi. »



Zorua referma la lucarne dans un léger grincement. Elle laissa le vieux grimoire ouvert à la page qu’elle n’avait pas encore lue. Elle saisit un petit sac avec ses deux pattes et posa la lanière de ce dernier sur son dos. Sans se retourner, elle ouvrit la porte et sortit de la chaumière pour rejoindre Feunnec.



« T’as fait la sieste ou quoi ? T’as l’air toute fatiguée, lança Feunnec d’un ton faussement réprobateur.


- Non, non. J’ai juste lu quelque chose qui m’a intriguée. Un truc sur la Source. »



Les deux Pokémon se mirent en route vers la plage Onthulling. Alors que les premières étoiles commencèrent à luire dans le ciel encore clair, ils échangèrent quelques paroles.



« Ah, ouais. Perso, j’ai jamais cru à ces légendes. Une entité qui nous dirait la vérité sur tout, c’est un peu fantaisiste je trouve, repartit Feunnec d’un ton plus sérieux.


- Alors comment tu expliques l’engouement pour le Mont Rétive si c’est faux ? enchaîna Zorua d’un air convaincu.


- Qu’est-ce que j’en sais, moi ? Pt’être qu’il y a un trésor caché là-haut.


- Un trésor, oui. Mais pas un trésor matériel. Quelque chose de plus important, qui dépasse notre entendement à tous. J’en suis certaine.


- Ouais, tu t’emballes un peu je pense. De toute façon on pourra jamais aller vérifier.


- Ouais... je sais bien... », soupira Zorua en abaissant tristement son regard.



Les deux Pokémon arrivèrent sur la plage Onthulling. Ils s’installèrent sur le sable tiède, non loin de l’écume formée par les vagues. Le soleil avait disparu depuis plus d’une heure, mais le ciel était toujours clair et dégagé. Les étoiles, dont la lueur était encore faible, peinaient à s’imposer devant la clarté de l’azur. L’horizon, quant à lui, était traversé par des faisceaux de couleurs vives. Une pyramide colorée s’était bâtie au loin, par dessus la surface de l’océan. Au sommet de cette pyramide trônait un rose délicat, puis de ce rose naissait, par un dégradé fluide, un violet sombre et hostile. Mais ces deux couleurs, imbriquées l’une dans l’autre, étaient soutenues par une troisième, plus violente et plus brutale. Un rouge foudroyant longeait le paysage, comme si le soleil s’était étalé le long de l’horizon. Il marquait par son éclat l’ombre des derniers nuages, lesquels étaient au centre de cette explosion chromatique.


Alors que Zorua toisait le ciel avec une grande admiration, elle sentit sa patte se faire secouer par une autre. Son regard se détacha alors des étoiles et se posa sur Feunnec qui, à travers son regard alerte, tentait de lui dire quelque chose.



« Regarde, là bas ! s’écria Feunnec en forçant Zorua à se lever avec lui.


- Où ça ? De quoi tu parles ? Je ne vois pas ! répondit Zorua, l’air un peu décontenancé.


- Mais là ! Regarde bien ! Tu ne vois pas ? »



Feunnec avait en effet repéré deux voiles étendus sur le sable. Les deux Pokémon se penchèrent au-dessus de ces derniers pour les examiner minutieusement. Un bleu extrêmement pur était brodé sur ces deux tissus. La couleur était si vive que Zorua dût plisser les yeux pour pouvoir la contempler. À l’aide de sa patte gauche, Feunnec souleva l’une des deux étoffes afin de la scruter davantage.



« Ce n’est pas à nous, Feunnec. Repose ça…, conseilla Zorua en fronçant légèrement les sourcils.


- Mais... non, c’est impossible..., murmura Feunnec en analysant le tissu de son regard.


- Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?


- Tu te rends pas compte Zorua... Je crois... Je crois que c’est un ruban bleu !


- Euh... Oui... et alors ? concéda Zorua d’un air perplexe.


- T’es sérieuse ? C’est les rubans qui permettent d’entrer dans le château de la reine ! »



À l’entente de ces mots, Zorua écarquilla largement les yeux et ouvrit légèrement la bouche. Son regard à la fois perplexe et fasciné se déclina sur le ruban que Feunnec tenait dans sa patte. Elle se rapprocha timidement de la broderie bleue afin de mieux l’apercevoir. Elle tendit ensuite sa patte droite afin de palper le tissu, qu’elle sentait assez épais sous ses griffes. En plissant légèrement le regard, elle remarqua sur l’étoffe une minuscule inscription brodée en fil d’or :

“ Ruban numéro 119 ”.



« Je... Je ne comprends pas... Si on porte ces rubans, on pourra entrer dans le château de la reine, c’est ça que tu dis... ? demanda Zorua en balbutiant.


- Ouais. J’crois que la reine Milobellus a fabriqué ces rubans pour empêcher les imposteurs de s’infiltrer dans son château.


- J’en... j’en ai jamais entendu parler, vraiment...


- C’est connu pourtant. Tous les invités d’la reine portent ces rubans. C’est une sorte de passe pour entrer dans son château. Bref, autant t’dire que ça a d’la valeur, ce truc.


- Mais... comment ces rubans se sont retrouvés ici ? Quelqu’un les a perdus ? s’interrogea Zorua en tournant la tête de gauche à droite, à la recherche d’un éventuel propriétaire.


- Sans doute. Mais on s’en fiche, maintenant c’est à nous. On va pouvoir les r’vendre, ou quelque chose comme ça. »


Il fallut quelques minutes à Zorua pour réaliser l’opportunité que ces rubans représentaient. Elle qui cherchait désespérément un moyen de rencontrer la Source, elle qui avait lu tant d’ouvrages à son propos, voilà que lui était présentée sa porte de sortie. Le dénouement de sa crise identitaire. Elle avait l’impression que ces deux étoffes n’étaient pas apparues ici par hasard. Qui était le responsable ? Le destin ? Arceus ? Ou peut-être les deux ? Quoi qu’il en soit, c’était un signe, et il fallait qu’elle y réponde. Il n’était pas question que cette occasion soit manquée.


Elle se mit alors à supplier Feunnec d’emporter ces rubans et de partir à l’aventure jusqu’au Mont Rétive, où se dressait le château de la reine. Bien sûr, ce ne fut pas facile de le convaincre. Il fut d’abord réticent à cette idée. Il ne croyait pas à l’existence de la Source et ne voulait pas s’attirer des ennuis. Mais il n’y eut pas de réelle fermeté dans sa prise de position. C’est comme s’il faisait semblant de n’être pas convaincu. À force d’yeux larmoyants, de tendres baisers et de cajoleries, Zorua finit par avoir gain de cause. Feunnec accepta d’accompagner son amie dans sa quête de vérité. On sentit dans cette décision, non pas une concession, mais davantage un soulagement. La négociation fut rapide. En quelques minutes, les deux partis se mirent d’accord. Ce fut presque étonnant, voire anormal. Les arguments de Zorua ne furent pas abondants, ni spécialement convaincants, et pourtant Feunnec acquiesça. Ils étaient prêts tous les deux à faire main basse sur la vérité, mais peut être que ce mot avait une signification différente pour chacun d’entre eux.


« Tu verras, Feunnec. Je vais retrouver mes parents. Et quand ça sera fait, quand je serai reconstruite, j’aurai enfin la possibilité de vivre ma vie à fond. Et tous ces gens, comme Rosélia et Ratentif, ils ne pourront plus m’atteindre. Plus jamais. », affirma solennellement Zorua, en dressant son regard vers le ciel de plus en plus étoilé.


Zorua saisit l’un des deux rubans bleus et l’enroula autour de son maigre cou, avant de faire un nœud contre sa nuque pour qu’il se maintienne. Feunnec suivit le mouvement et emmaillota son cou, plus robuste, avec l’autre étoffe. Zorua prit alors l’initiative de nouer le tissu elle-même, à l’aide de ses pattes velues, contre la nuque de son ami. Ils passèrent ensuite une partie de la nuit à rire et à chanter au bord de la mer, mais aussi à s’imaginer les aventures qu’ils étaient sur le point de vivre.


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Le jour s’était levé depuis maintenant deux heures. Devant la chaumière de Manternel, on vit deux Pokémon qui s’occupaient d’organiser leur départ. Zorua prépara un gros sac de provisions ramenées par Manternel du marché d’Andela. Feunnec, lui, se chargea d’aller récupérer deux épaisses branches dans les bois afin qu’elles soient utilisées comme support pour les sacs. Manternel, qui se tenait élégamment sur le seuil de la porte, rapporta une petite boîte qui contenait une grosse somme d’argent. Lorsque tout fut prêt, et que les sacs furent disposés à l’extrémité de chaque branche, Manternel s’avança vers les deux petits Pokémon.



« Je savais que ce jour viendrait, dit Manternel en se penchant délicatement vers Zorua, mais je suis surprise qu’il soit arrivé si tôt. Tu as envie de connaître ta vraie famille et je le comprends. Je suis navrée de ne pas pouvoir t’apporter les informations que tu cherches. Je t’ai recueillie sans savoir d’où tu venais, ma petite. »



Manternel embrassa Zorua sur le front pendant un instant. Puis elle se recula.



« Feunnec, tu dis qu’un Pokémon à Iludere est capable de la mettre en relation avec sa famille biologique ? demanda Manternel d’un air faussement assuré.


- Oui M’dame. Il a déjà aidé plusieurs d’mes amis. Et j’suis sûr qu’il pourra aussi aider Zorua.


- Je vois. Quant à toi, as-tu prévenu ta famille de ton départ ?


- Ouais, ouais. Ils le savent. Faut pas s’inquiéter M’dame. »



Manternel baisa également le front de Feunnec. Elle ne put alors s’empêcher de remarquer les rubans que les deux Pokémon portaient autour du cou.



« Quels beaux rubans vous portez là ! Où les avez-vous dégotés ?


- C’est la grand-mère de Feunnec qui les a tricotés, Manternel, répondit Zorua en esquissant un sourire forcé.


- Oh je vois. Ils sont très bien faits. Vous pourrez lui transmettre mes compliments. »



Sur la recommandation de Feunnec, les deux Pokémon mentirent ouvertement à Manternel. Zorua savait pertinemment que sa mère adoptive ne connaissait rien ni de la Source ni des rubans bleus mis en circulation par la reine. Mais Zorua savait également qu’elle ne l’aurait jamais laissé partir si elle avait compris son intention d’aller au Mont Rétive. La reine Milobellus était dangereuse, disait-on au sentier Saklaus. Il était donc hors de question de dire à Manternel que le voyage devait s’achever dans son château.


Les adieux furent longs. Pour les menteurs, ils furent pénibles. Les deux Pokémon finirent par s’éloigner de la chaumière. Ils firent de grands signes à Manternel qui, après y avoir répondu à plusieurs reprises, disparut dans sa chaumière en fermant la porte à double tour. Quant à Zorua et Feunnec, ils empruntèrent le chemin en direction d’Andela.


À quelques mètres de là, deux voyeurs. Deux observateurs qui avaient assisté à la scène des adieux. Il était impossible de déterminer leurs silhouettes ni de reconnaître leurs visages. Ils se tenaient immobiles, au milieu des branchages, et regardaient en direction de la chaumière. L’un d’eux avait l’air aussi élégant qu’une fleur, et l’autre aussi trapu qu’un rongeur. Ils semblaient avoir un accessoire autour de leur cou. Qu’était-ce ? C’était très difficile à deviner. Mais cela n’avait pas d’importance. Car on ne les revit plus jamais au sentier Saklaus.


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