L’enfant renard

Chapitre 1 : L'enfant renard

Chapitre final

2518 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 23/09/2020 22:48

L'enfant renard

 

 

Lorsque j'étais petit, je vivais dans un petit village de campagne, où les champs remplis de pokémons domestiqués côtoyaient les forêts dominées par leurs homologues sauvages.

Ma maison se trouvait à S., à une demi-heure en voiture de la ville G., et était bordée par deux autres veilles bâtisses de briques datant du siècle dernier, à plusieurs mètres d'écart entre chaque.

L'une d'elles était une vieille baraque qui tenait à peine debout. Dedans vivait une vieille femme qui avait connu bien des printemps et des automnes, et qui semblait épuisée de son parcours dans la vie.

Ma mère m'interdisait d'aller la voir et même de lui parler, argumentant qu'elle était folle et dangereuse. Pourtant, lorsque je croisais ses iris argentés, je me faisais difficilement à l'idée que cela pût être le cas. Et même si elle avait pu être une quelconque menace pour l'enfant frêle que j'étais, elle était si faible qu'elle ne pouvait marcher bien longtemps, si bien qu'elle n'aurait jamais pu me faire le moindre mal.

Un jour, bravant l'interdit de feu ma mère, comme tout jeune garçon de mon âge curieux de découvrir l'inconnu, je franchis le portail grinçant de sa propriété, et vins la voir sur son perron. Elle se trouvait là, assise dans une chaise à bascule en bois, un coussin sous son postérieur, et tricotait ce qui ressemblait à vue d'œil à un pull de laine. À bien observer son travail, elle arrivait à la fin, et pourtant le vêtement était minuscule pour sa taille. Il correspondait bien plus à un enfant de mon âge.

Intrigué, je lui demandai alors ceci :

« Pour qui vous tricotez, Madame ? »

Elle leva le nez de son travail, et me regarda avec tristesse.

« C'est pour l'enfant qui vit dans ces bois. Il faut bien que chaque année il soit couvert pour affronter l'hiver, vois-tu.

– Un enfant dans la forêt ? C'est impossible ! »

Ma réaction était bien sensée pour un garnement qui passait son temps à rêvasser. Et pourtant cela sembla la blesser. Ses yeux fatigués me lancèrent des éclairs, et elle délaissa quelque peu ses aiguilles à tricoter, dont le cliquetis m'avait irrité les oreilles.

« Et pourtant, mon petit, tu devrais me croire. Il y a bien un enfant qui vit là-bas. Veux-tu que je te raconte son histoire ? »

Sa voix tremblante m'avait posé cette question de telle sorte qu'il me sembla qu'elle n'attendait pas de réponse. Je me surpris à hocher la tête pour lui signaler mon envie d'entendre ce qu'elle avait à me dire, et m'assis en tailleur sur le sol de bois, devant elle, afin de l'écouter le plus attentivement possible.

Je me souviens aujourd'hui encore, bien des années après, de cette histoire qui m'avait été contée avec forte émotion. Ce qui suit est le récit qu'elle me fit ce jour-là, que je retranscris aujourd'hui avec le plus d'authenticité possible.

 

À une époque, ce village n'était qu'un hameau. Il y avait cette maison, et uniquement des champs aux alentours. Il fallait autant de temps de marche pour aller chez le voisin que l'on en met aujourd'hui pour aller à la ville dans une de ces voitures. C'est ici que je vivais avec feu mon époux. Nous étions deux jeunes mariés qui avaient repris la ferme familiale de ses parents, et cette vie nous comblait.

Les choses firent que nous voulions fonder nous aussi notre famille. Nous ne parvenions pas à avoir d'enfant, malgré tout ce que nous avons pu tenter, et peu à peu je désespérais de me retrouver sans progéniture à choyer. Je recevais parfois des lettres de mes parents, restés à la capitale, qui me confiaient leur joie de voir les enfants de mon frère, de trois ans mon aîné. Cela me plongeait dans une tristesse sans pareille.

Lorsque, enfin, un bébé prit place dans mon ventre, je ressentis un contentement inimaginable. Je mourrais d'impatience de rencontrer cet être que j'avais tant désiré. Et à sa naissance, je me jurai de le protéger contre tous les malheurs du monde aussi longtemps que la vie me le permettrait.

Je prénommai mon fils Honoré, en reprenant ainsi la tradition qui voulait que l'on nomme l'enfant selon ses aïeux. Il était plein de vie, et était aussi curieux qu'un étourmi tout juste sorti de l'œuf.

Les années passèrent, et il grandissait à une vitesse folle. Jamais je n'avais connu de bambin si vivant et avide de découvertes. Puisque nous n'avons jamais réussi à lui offrir de petit frère ou de petite sœur, il resta fils unique et fut choyé de l'aurore jusqu'au crépuscule.

Malheureusement, il perdit la vie lors de l'hiver de ses six ans. La maladie l'a emporté, et le médecin avait mis trop de temps à venir le consulter. Nous l'avons enterré au fond du jardin, sous le rosier qui, aujourd'hui encore, nous offre ses plus belles fleurs. Mon époux et moi-même étions ravagés par la tristesse. Je crus ne jamais pouvoir me réveiller de ce cauchemar de chagrin qui me hantait.

Pourtant, quelques semaines après le départ de mon précieux enfant, en allant au bois chercher de quoi approvisionner notre cheminée, je rencontrai un petit garçon. Il devait avoir l'âge de mon pauvre Honoré à son départ. Il me fixait de ses beaux yeux verts, et semblait implorer mon aide. J'eus beau lui poser des questions, il ne me répondit que par hochements de tête.

Je compris alors que cet enfant était seul, probablement abandonné par des parents trop pauvres pour le nourrir, et décidai de le ramener dans notre demeure. Il me laissa le prendre dans mes bras sans faire d'histoire, et sembla ravi de pouvoir se retrouver au chaud une fois sous mon toitmoumou.

Je fis de mon mieux pour établir un contact, et même s'il nous comprenait, il était dans l'incapacité de me répondre. Je crus alors qu'il était muet.

Nous avions choisi de le nommer Céladon, du fait de ses sublimes yeux de la même couleur. Il était adorable, bien qu'un peu sauvage sur certains points. Et même si nous avions fait le tour du hameau pour retrouver sa famille, personne ne signala de disparition ou d'enlèvement.

Et puisque nous ne pouvions décemment pas livrer ce pauvre enfant à lui-même, la décision de l'adopter officiellement fut rapidement prise.

Puis les jours et les semaines passèrent…

J’avais pris pour habitude de tricoter à Honoré de nombreux pulls de laine récoltée sur les moumoutons de notre pré, et filée par mes soins. J’en avais teint les fils de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, et mon fils en raffolait de son vivant. Alors Céladon eut droit au même sort, et fut couvert de vêtements aussi chauds que parfaitement ajustés à sa taille. Il les adorait, plus que tout. Je revois encore sa mine ravie lorsqu’il me trouvait près de la cheminée à tricoter le prochain.

À force de vivre ensemble, et pour remédier à son silence, nous lui avions appris à lire et écrire. Comme les enfants de son âge, il adorait dessiner, et nos crayons disparaissaient à vue d’œil. Mon époux devait assez souvent aller troquer quelques-uns de nos produits contre une nouvelle boîte de pastels lors de ses passages en ville.

L’un de ses dessins, que je garde toujours précieusement dans un cadre, représentait une forêt abstraite, et de nombreuses formes colorées laissaient penser à des pokémons sauvages. Je me suis toujours demandé ce à quoi il avait été confronté là-bas, s’il avait côtoyé des bêtes dangereuses ou non. Mais à voir son corps dépourvu de cicatrices lorsque je lui donnais son bain, je compris qu’il n’avait pas eu à faire face à eux. Oh, quel soulagement…

Un jour que je tricotais un gilet pour mon mari, Céladon vint me voir et me demanda, de son écriture maladroite inscrite sur une feuille, qui était l’enfant dont la photo trônait encadrée sur la cheminée. Je lui expliquai alors qui était Honoré, et ce qui lui était arrivé. Il eut un instant de réflexion, et me répondit, toujours grossièrement que sa mère aussi était partie. Alors je l’interrogeai pour en savoir plus sur les circonstances de son abandon, et il prit son temps pour me raconter.

Il avait empoigné un crayon, et chercha longuement ses mots. Lorsqu’il ne trouvait pas comment s’exprimer, il dessinait des formes, des silhouettes, représentant l’élément manquant à son vocabulaire. Son rébus fut quelque peu difficile à déchiffrer, mais je constatai sur un grand dessin que sa mère avait été attaquée par un zoroark et une horde de démolosses. Quand je lui demandai de me confirmer ce que j’avais compris, il se contenta de hausser les épaules, incapable de me dire si je m’étais trompée ou non.

J’eus beau faire part de mes inquiétudes à mon mari, il me rétorquait que je réfléchissais trop. Je me souviens précisément de ce qu’il m’a dit ce jour-là.

« Vous les femmes de la ville, vous voulez toujours attirer l’attention sur vous. »

Sa remarque blessante me brisa le cœur, mais pas autant que le hurlement que nous entendîmes quelques secondes plus tard. C’était un cri de détresse, ni humain, ni bestial, mais entre les deux. Je me précipitai dans sa direction ; mes pas me menèrent jusqu’à l’étage, devant la porte de la chambre de Honoré, désormais occupée par Céladon.

En la poussant, je tombai nez à nez avec un petit pokémon effrayé, que je reconnus d’après les images des livres illustrés que je lisais étant enfant. C’était un quadrupède, à la fourrure gris ardoise, et au col bien fourni et plus foncé. Les petites pattes pourvues de griffes étaient de la couleur des feuilles de l’automne, et ses yeux bleus me fixaient avec effroi. La queue touffue était tout autant figée que le reste du corps, ses oreilles plaquées en arrière traduisaient toute l’angoisse qui l’animait.

Que diable pouvait donc faire ce zorua dans ma demeure, qui plus était, dans la chambre de Céladon ?

J’en compris soudainement la raison en repensant à ces mêmes livres illustrés.

Mon préféré, de tout temps, restait Le petit zorua, et relatait les aventures de ce pokémon qui, grâce à ses pouvoirs d’illusion, s’amusait à faire des farces aux autres créatures qui vivaient dans la forêt avec lui.

Mon petit Céladon n’était donc qu’une illusion.

Ravalant mes larmes, je me penchai vers lui et lui tendis le bras.

« N’aie pas peur, Céladon, l’appelai-je. Maman est là pour toi. »

Il répondit par un petit couinement qui dévoila ses canines affûtées. Je l’invitai à se blottir dans mes bras, ce qu’il fit sans plus attendre. Il laissa s’échapper quelques autres petits couinements de satisfaction qui remplirent mon cœur de chaleur.

Son dessin traînait là, posé au sol. Je revis la forme de ce zoroark entouré par des démolosses. Et je compris que sa mère tuée par ces monstres n’était autre que le zoroark. J’aurais pu m’en douter ; il avait dessiné ce qui ressemblait à du sang, coulant du corps de la créature aux longues griffes.

 

« Mon petit Céladon, pleurai-je, je suis désolée de ne pas avoir compris. Tu peux rester ici autant que tu le veux, tu es chez toi, tu sais ? »

Il se frotta à moi, et laissa s’échapper un bruit semblable au ronronnement d’un miaouss. J’enfouis alors mon visage dans son doux pelage, et respirai son parfum, mélange de diverses senteurs de la maison qui étaient devenues siennes après tout ce temps passé sous mon toit.

La porte derrière nous s’ouvrit dans un grand bruit, et j’entendis la dure voix de mon mari tonner, demandant où était passé notre fils adoptif. Je le vis, son fusil de chasse tenu par ses grosses mains creusées, et fus prise d’un tremblement de panique.

Jamais je n’aurais dû répondre qu’il se trouvait là, dans mes bras, en lui montrant la petite créature qui s’y était réfugiée. L’expression de dégoût que prit son visage me terrifia, et il manqua de peu de mettre son arme en joue, tout droit pointée vers mon cher Céladon.

« Sors ce monstre de notre maison, maintenant, » gronda-t-il.

J’eus à peine la possibilité de protester. Il me fit vite comprendre que Céladon n’était plus le bienvenu sous son toit.

Je voulus laisser mon pauvre protégé quitter notre domaine à son rythme, me doutant bien qu’après tant de temps auprès d’humains il ait pu oublier la vie sauvage. Mais sitôt eut-il posé une patte sur le sol terreux s’étendant au-delà de ces mêmes marches que celles que tu as montées, que mon mari tira un coup de feu dans ce même sol afin de l’effrayer.

Céladon prit la fuite, aussi vite que son petit corps le lui permettait. Il courut jusqu’aux bois voisins, et disparut entre les feuillages des buissons fleuris qui servaient de limite à notre terrain.

Cette séparation brusque me fit tant souffrir… Pourtant je dus reprendre ma vie quotidienne, entre les champs et les bêtes. Mais jamais je n’ai oublié mon pauvre Céladon, à qui je laissais chaque hiver quelques pulls de laine au cas où il aurait froid.

J’ignore ce qu’il est devenu. Mais j’espère qu’il est heureux, où qu’il soit désormais.

 

Sur ces mots, la vielle femme m’adressa un regard fatigué mais pourtant ravi ; elle semblait heureuse d’avoir enfin trouvé une oreille pour écouter son histoire.

Les yeux encore brillants d’excitation, je m’empressai de raconter cela à ma mère. Elle réprimanda mon comportement innocent, me reprocha d’être allé parler à cette « sorcière », et m’interdit de la revoir.

J’ignore ce qu’est devenue cette vieille femme depuis ; au vu des années qui se sont écoulées, elle doit à présent être enterrée dans le caveau familial, aux côtés de son mari.

Et je me demande encore ce qu’est devenu ce petit zorua si injustement chassé de la demeure où il avait trouvé refuge…

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