Les Train Twins

Chapitre 6 : Un faux air de champion

9773 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 30/09/2021 22:51

Chapitre 6

 

Un faux air de champion


Le lendemain, les trois ados se préparèrent à décoller en direction de l’île Pomelo. Jessy sortit Etna, Jenny sortit Sweet et Fry sortit Kelly, son Békipan femelle. Les filles regardèrent l’oiseau marin avec circonspection.

« Tu arrives à voyager sur son dos ? S’étonna Jenny. Elle est petite et tu es grand.

- Ce n’est pas pratique mais pour les courtes distances on se débrouille.

- Mouais, elle ne doit pas voler très vite, fit remarquer Jessy.

- Je la gêne un peu mais ça va encore comme je voyage sans sac à dos la plupart du temps.

- Jusqu’à ce que Jane récupère son Wailord tu ferais mieux de monter sur Etna avec moi. »

Fry s’étonna de la proposition de Jessy, c’était aimable de sa part. Elle s’installa sur le dos de son dragon de feu et regarda le jeune homme jusqu’à ce qu’il se décide à monter derrière elle, puis elle ajouta :

« Au fait, à la première main baladeuse je te pousse dans le vide, c’est clair ?

- Pour qui tu me prends ? »

Fry était un peu vexé, mais il se doutait aussi que Jessy et Jenny devaient souvent avoir affaire à de gros relouds. Suite à cette menace, Fry hésitait à poser ses mains autour de la taille d’apireine de Jessy, il n’avait pourtant pas le choix s’il voulait voyager avec elle en toute sécurité sur dracaufeu. Jenny affichait une petite moue boudeuse, elle aurait bien voulu faire du frotti-frotta avec Fry sur son altaria, mais l’oiseau bleu était malheureusement bien plus petit que dracaufeu, il pouvait éventuellement prendre deux voyageurs sur son dos mais ce n’était pas raisonnable. Békipan se contenta de porter les affaires de Fry et Jessy fermement ficelées à son dos et ils s’envolèrent tous vers le nord de l’archipel.

Le vent qui soufflait dans leurs cheveux durant le trajet portait avec lui les prémices d’une nouvelle aventure exaltante, du moins tous les trois le sentaient ainsi. Alors que l’île Pomelo pointait à l’horizon, Jessy s’adressa à Jenny d’une voix forte pour couvrir le bruit de l’air sifflant à leurs oreilles.

« On devrait profiter de notre petit détour à Pomelo pour affronter Reese encore une fois ! Dit Jessy avec un sourire presque maléfique.

- Je crois que Reese en a assez de nous voir ! Lui répondit Jenny en grimaçant.

- C’est le seul dresseur de l’archipel à être à peu près à notre niveau et c’est son taf d’affronter les gens comme nous !

- Ih ih, "à peu près", t’es dure avec lui ! Dit Jenny sans pouvoir retenir son rire.

- Je commence à comprendre pourquoi papa m’a supplié de revenir… Marmonna Fry en réprimant un sourire lui aussi.

- Qu’est-ce que tu dis Fry ?

- Qu’il devait y avoir de l’ambiance au stade ces derniers temps ! Cria Fry pour se faire entendre en plein vol.

- Et pas qu’un peu ! Fanfaronna Jessy. Ah, ça y est on arrive ! »

Les trois ados se posèrent sur la plage à l’est des quais de la ville. Avec le siège de la Ligue Orange, les badauds avaient l’habitude des allées et venues des dresseurs à dos de pokémon vol, mais un atterrissage était toujours un spectacle sympa à voir, et puis la grande dracaufeu de Jessy avait tendance à attirer les regards. Les Train Twins et leur nouveau camarade furent accueillis avec des regards pétillants et enthousiastes. Quelques passants avaient certainement reconnu les jumelles.

« Ils habitent où tes parents ? Demanda Jessy à Fry alors qu’il descendait du dos d’Etna.

- Dans le quartier du stade.

- Sérieux ? S’étonna Jenny. Il n’y a quasiment que des belles villas là-bas, comment ça se fait que tu n’aies pas d’argent ?

- Il y a surtout des plantations et mes parents ne vivent pas dans une villa. Enfin bon, c’est dur à expliquer, vous verrez bien quand on y sera. »

Le jeune homme était souvent évasif dans ses propos, les filles ne savaient pas trop si c’était dans son tempérament ou s’il avait du mal à faire la conversation avec elles. Jenny avait réussi à le faire un peu parler en tête à tête avec lui sur ses rêves de voyage, mais depuis il n’avait rien dit de vraiment sincère ou d’intéressant. Les deux sœurs libérèrent leurs raichu pour qu’ils se dégourdissent les pattes. Alors qu’ils marchaient tous les cinq dans les rues du port de Pomelo, Jessy et Jenny entendaient la rumeur qui gonflait autour d’eux et se transformait en brouhaha. Les amateurs de matchs pokémon les avaient immédiatement identifiées, du moins c’est ce qu’elles croyaient. Avec leur cote de popularité, elles avaient l’habitude de ces réactions béates d’admiration et leur dernier match contre Reese remontait à moins d’un mois, mais alors qu’elles avançaient dans les rues de la ville derrière les pas de Fry, le seul à connaitre le chemin de sa maison, Jenny commença à entendre des trucs bizarres.

« Il est resvenu, c’est lui !

- Tu crois ?

- Mais oui c’est lui ! Il est encore plus beau qu’avant !

- Kyah mais c’est Fry ! »

Jenny jeta un coup d’œil à Fry, de dos elle ne pouvait pas voir son expression, puis elle en jeta un autre à sa sœur qui n’avait encore rien remarqué et enfin elle en jeta un dernier à la foule. Les femmes gloussaient en regardant Fry, les hommes frissonnaient et leurs visages se crispaient d’excitation, ils ne semblaient même pas la remarquer elle, alors qu’elle avait sa jolie petite robe d’été qui mettait si bien en valeur ses jambes et ses fesses rebondies.

« C’est quoi ce délire… » Chuchota Jenny pour elle-même. Seul Chu l’entendit et regarda sa dresseuse.

« Chu ?

- Chuchu ? » Releva Pit qui sentait le trouble de la sœur de sa dresseuse.

A force de perplexité, Jenny était à la traine et Jessy et Fry avaient pris de l’avance sur elle. Elle accéléra le pas pour tenter de les rattraper, talonnées par les deux raichus qui l’imitèrent. Alors qu’ils avançaient en ville, plusieurs personnes agitèrent frénétiquement les mains pour les saluer. Fry, avec un sourire de complaisance, répondit à chacun.

« Bah dis-donc t’as la côte par chez toi ! Lança Jessy qui se posaient un peu moins de questions que sa sœur.

- T’avais l’air d’en douter mais je suis plutôt bon comme dresseur tu sais.

- Si tu ne veux pas que j’en doute, la prochaine fois affronte moi à la régulière ! » Répliqua Jessy avec une pointe d’agacement.

Pour toute réponse, Fry lui sourit avec malice mais ne répondit rien, ce qui eut le don d’irriter encore davantage Jessy. Jenny les rattrapa, elle voulut dire un mot à sa sœur mais alors qu’ils arrivaient au niveau du Palais Victoire, le sol se mit à trembler légèrement. Un gros pokémon rouge cavalait vers eux à toute vitesse. Pit et Chu étaient en alerte, ils se mirent en position de combat. Les filles se figèrent et instinctivement approchèrent leurs mains de leurs ceintures de pokéballs. Fry lui s’avança confiant et ouvrit grand les bras pour accueillir ce que les jumelles identifièrent comme un colhomard mâle.

« Salut Momo ! »

Le colhomard lui faisait la fête comme un jeune ponchiot, la scène avait quelque chose d’affreux à regarder, on aurait dit un mauvais film d’horreur dans lequel le héros se fait dévorer par un monstre marin entre deux effets spéciaux ringards.

« Colo colo colomaow ! 

- Ouais ! Eh eh ! Moi aussi je suis content de te revoir mon vieux ! S’exclama Fry avec bonne humeur.

- C’est un pokémon de ta famille ? Demanda Jessy.

- C’est même mon premier pokémon, mon starter comme vous dites à Kanto ! Eh eh ! Arrête t’es lourd maintenant Momo !

- On est arrivés ? Fit Jenny, aussi perplexe que sa sœur.

- C’est juste là ! Viens Momo !

- Colo colo ! »

Derrière le palais victoire se trouvait une petite maison avec un grand jardin entouré d’une clôture en bois à la peinture écaillée. C’était la dernière habitation avant l’entrée des vergers d’agrumes. Quelques pokémon dont un noadkoko d’Alola trainaient dans les parages, le colhomard de Fry cria dans leur direction avec enthousiasme et ses compères lui répondirent avec la même bonne humeur. En entendant les jappements agités des pokémon, une femme d’une trentaine d’années sortit de la maison avec un torchon à la main pour voir qui s’approchait ainsi de la propriété. Elle écarquilla les yeux en voyant Fry en train de jouer avec colhomard et noadkoko devant la barrière.

« Fry ? S’étonna la femme bronzée.

- Bonjour Lizzie. Tu sais où est papa ?

- Il est au stade, il s’entraine avec ta mère.

- Ah ok. Je dois lui parler. »

Fry tapota gentiment la tête de son colhomard

« Reste ici Momo, je reviens vite. A tout de suite Lizzie ! »

La femme toujours aussi étonnée répondit au petit signe de main de Fry avec un air absent. Alors que le petit groupe s’éloignait d’Elizabeth, Jessy continuait de la regarder par-dessus son épaule. Finalement, elle se tourna vers sa sœur.

« Jane, cette femme, elle ne te…

- On l’a déjà vu plusieurs fois avec Reese, la coupa Jenny qui songeait à la même chose que sa sœur. Elle doit être vétérinaire ou infirmière, un truc du genre…

- Eh Fry ! Cria Jessy qui voulait des réponses. C’était qui ?

- Lizzie ? C’est ma tante. Elle soigne les pokémon de ma famille, ça évite de trop embêter l’infirmière Joëlle, surtout avec tous les dresseurs qui défilent ici.

- C’est elle qui soigne les pokémon de Reese ? Demanda alors Jenny.

- Ouais, elle assiste mon père à chaque combat. »

Jenny et Jessy s’arrêtèrent de marcher, elles échangèrent un regard identique de perplexité. Avaient-elles bien entendu ?

« Sans déconner… Reprit Jessy hébétée. Si je comprends bien t’es le fils de Reese ? »

Avec un sourire moqueur jusqu’aux oreilles, Fry se tourna vers elle et prit une voix suraiguë pour parodier les jumelles :

« Vous avez affronté quatre fois Reese de l'île Pomelo, le champion de la Ligue Orange, et vous n'avez jamais entendu parler de Fry Morgan ? C’est vraiment tout l’effet que ça vous fait ? »

Il s’éloigna en se marrant comme un fourbelin. Jessy bouillonnait de colère.

« Mais l’enfoiré… »

Jenny était abasourdie. Elle réfléchit rapidement et réalisa seulement maintenant qu’il leur avait bien donné son nom de famille lors de leur premier repas en commun et ni Jessy, ni elle n’avait fait le rapprochement : Reese Morgan, Fry Morgan… Jenny se mit une petite gifle, elle se sentait trop bête. Les jumelles suivirent Fry jusqu’au stade Pomelo de l’autre côté du Palais Victoire, en restant à bonne distance du jeune homme puisqu’il venait de les humilier… Le stade était vide de son public. Seule une poignée de curieux était venue végéter dans les gradins pendant l’entrainement de leur champion. L’un d’eux aperçut les jumelles et Fry entrer dans l’arène, il donna un coup de coude à son voisin à moitié endormi au soleil et les désigna en les pointant du doigt. Dans un coin ombragé du terrain, l’aquali et l’élecsprint de Reese étaient lovés sur le sol et se faisaient un câlin d’amoureux. En apercevant les rouquines et leurs raichu, la femelle élecsprint se mit à grogner mais ne se leva pas pour ne pas déranger son mâle aquatique. Au cœur de ce stade quasi désert, Reese faisait face à une belle femme en débardeur et sarouel, elle possédait de très longs cheveux bruns qui tombaient jusqu’à ses hanches. Sur son bras gauche, elle portait un tatouage représentant un Rosabyss et sur son bras droit un Serpang. Devant elle, un amphinobi était en plein combat contre le libegon de Reese. Il cherchait à atteindre son adversaire à coup de pistolet à ô. A première vue, l’objet de l’entrainement était d’améliorer la vitesse et l’esquive du libegon. La vitesse des deux pokémon était impressionnante ; amphinobi se déplaçait comme un ninja pour mieux ajuster son tir, libegon voltigeait avec une agilité qui faisait honneur à son adversaire.

« Tourbisable ! » Ordonna Reese d’une voix forte. Libegon s’exécuta et enveloppa amphinobi dans une colonne de sable.

« Maintenant feinte ! »

Libegon dont les yeux si particuliers pouvaient voir à travers les tempêtes de sable, fonça vers le mur de poussière qu’il avait dressé pour frapper amphinobi.

« Feinte ! » Répéta la dresseuse du pokémon aquatique.

Sans qu’aucun des humains ne puisse voir quoi que ce soit de l’action en elle-même, l’amphinobi attaqua le premier et libegon fut projeté en arrière avec violence. Il jaillit hors des tourbisables et heurta le sol aux pieds de Reese. Le pokémon sol-dragon se releva lentement, il n’était pas blessé mais son attitude montrait clairement qu’il en avait marre de s’entrainer. La colonne de sable disparut et amphinobi apparut debout, bien dressé sur ses pattes arrières, indiquant qu’il en avait terminé lui aussi. Sa dresseuse s’avança vers Reese en train de tapoter le dos de son pokémon pour le réconforter.

« Tu ramollis mon amour…

- Ce n’est pas ce que tu disais hier soir, lança le champion en souriant de toutes ses dents avec son charme à l’épreuve du temps.

- Euh, papa ? »

Les deux adultes se retournèrent, ils n’avaient pas encore remarqué le jeune homme qui avait pourtant traversé la moitié du terrain. Lorsque la femme aperçut Reese, elle se jeta sur lui et l’enlaça en rayonnant de bonheur. En une fraction de seconde, c’était comme si le serpang s’était transformé en rosabyss : la combattante féroce venait de disparaître dans un nuage rose pour ressurgir en mégaévolution de maman gâteaux.

« Mon bébé est de retour !!!

- Maman s’teu plaît, je suis pas tout seul. » Dit Fry en essayant de repousser sa mère sans trop forcer non plus pour ne pas lui faire mal. Quand Reese vint à la rencontre de son fils à son tour, le sourire de sa bonne surprise s’ébranla en apercevant Jessy et Jenny quelques mètres derrière lui.

« Je suis content que tu sois revenu Fry !

- Euh ouais, justement, je vais pas rester très longtemps… »

Le visage de Reese pâlit et son expression trahissait une profonde contrariété. Fry préféra ne pas faire durer le suspens.

« Je voulais te prévenir que je vais quitter l’Archipel Orange quelques temps.

- Fry, on n’abandonne pas son poste comme ça, répliqua Reese avec dureté. Ta mère et moi on…

- Non Pa’: le champion c’est toi. Et tant que je ne serai pas majeur et tant que je n’aurai pas le titre de maître Pokémon ça n’aura aucun sens de rester ici.

- Tu te débines une fois de plus.

- Mais non, soupira Fry. Les filles vont m’emmener sur le continent, je vais en profiter pour combattre les autres champions d’arènes. Si j’arrive à gagner une des autres ligues du pays, je serai enfin à la hauteur du titre de champion de la Ligue Orange. C’est bien ce que tu veux ? »

Reese semblait sceptique, méfiant même. Il se pencha légèrement sur le côté pour regarder les deux jumelles à l’entrée du stade. Elles attendaient les bras croisés, leurs regards bleus perçants fixés sur lui et son fils. Il eut un petit frisson de dégoût.

« Par pitié, ne me dis pas que tu sors avec une des deux…

- Non, aucun risque, répondit Fry amusé. On a un accord elles et moi. Elles m’emmènent sur le continent et je les aide à remporter un concours de musique.

- Mouais… Fry, reste concentré tu veux bien ? Toute la famille compte sur toi, tu ne peux pas t’en aller comme ça pendant des années et n’en faire qu’à ta tête, tu as des responsabilités.

- On en a déjà parlé mille fois Pa’, je reviendrai et… Je ferai mon devoir de champion, tu as ma parole. Mais j’ai besoin de voir autre chose pour l’instant, sinon j’vais devenir dingue. »

Bon gré, mal gré, Reese hocha positivement la tête.

Un peu en retrait, Jessy et Jenny observaient Reese et son fils. En les voyant ainsi côte à côte, elles se sentaient d’autant plus bêtes : la ressemblance était frappante. Fry avait la même carrure, le même visage, le même sourire que son père, il avait le même bronzage doré. Elles avaient probablement été trompées par la tignasse châtaine de Fry, Reese se teignant toujours les cheveux en bleu, et par ses yeux bruns que le garçon avait hérités de sa mère. Fry quitta le stade avant ses parents. Arrivé à la hauteur des jumelles, il leur adressa un sourire satisfait.

« Alors les filles, vous n’aimez pas ma blague ?

- T’es un beau salopard Fry Morgan ! Gronda Jessy.

- Arrête Jess ! On l’a bien cherchée celle-là…

- C’était pas honnête de sa part ! Renchérit Jessy.

- Je ne vois pas en quoi, répliqua Jenny.

- Il a dit qu’il n’avait jamais entendu parler de nous ! On a affronté quatre fois son père !

- C’est vrai ça, se ravisa Jenny les sourcils froncés. Ton père tire la gueule à chaque fois qu’il nous voit débarquer sur votre île, il a forcément dû te parler de nous.

- Je dois vous le dire comment ? J’ai décroché depuis deux ans ! Je n’écoute pas ce que dit mon père sur ses concurrents parce que je ne veux plus rien savoir du championnat. En plus je ne reste jamais très longtemps chez moi…

- Tiens ça, ça me rappelle quelqu’un… Fit Jenny en jetant un regard en biais à sa sœur. Tu vois Jess ? Il ne nous connaissait vraiment pas.

- C’est quand même étonnant pour un fils de champion… Bougonna Jessy, les bras croisés.

- Etre le fils d’un champion ne signifie pas qu’on est concerné par le job de ses parents Jess.

- Ouais alors sur ce point je ne vous ai peut-être pas encore tout dit… »

Les filles dévisagèrent Fry, il se grattait l’arrière du crâne avec un air gêné. Il sourit de bon cœur et avoua son secret.

« En fait c’est moi le champion de la Ligue Orange.

- C’est impossible, on a gagné quatre fois la Ligue Orange, on a toujours affronté que ton père.

- Parce qu’il l’est redevenu, temporairement.

- C’est n’importe… N’importe… »

Prise d’un doute affreux, Jessy retira brutalement son sac de son dos sous les regards perplexes de sa sœur et des frères raichu.

« Rai ?

- Jessy qu’est-ce que tu fais ? Demanda Jenny.

- Non, c’est impossible… » Murmura Jessy, et pourtant elle se souvenait vaguement de quelque chose.

Comme les filles devaient voyager léger, elle n’avait pas gardé beaucoup de magazines de dressage, mais par chance elle avait gardé celui-là. C’était une revue qu’elle avait acheté quand elle était encore sur le continent, dans une maison de la presse de Doublonville. Elle vit la une du magazine avec en pleine page la photo de Fry alors âgé de quatorze ans qui souriait de toutes ses dents.

« J’hallucine ! »

Depuis leur rencontre, Jessy se baladait avec ce magazine au fond de son sac et elle n’avait jamais réalisé que Fry était ce Fry ci ! Ce n’était pourtant pas un prénom très courant et il y avait son nom de famille en gras dans le titre, sans parler de la photo à la une.

« On aura le temps d’en reparler… Dit lentement Fry. Venez, je vais vous faire visiter. »

Le trio et leurs pokémon retournèrent à la maison des Morgan. Les revenus de la famille reposaient sur deux ressources principales : leur plantation d’agrumes et la ligue Pokémon, or la Ligue Orange était la plus petite du pays et la seule qui ne permettait pas d’obtenir le titre de maître Pokémon, elle était donc moins bien financée que les autres et ses champions étaient peu rémunérés pour leurs activités. Les Morgan étaient des dresseurs de talent mais restaient avant tout des fructiculteurs, ce qui expliquait leur mode de vie à l’écart de la ville, dans une maison modeste au milieu des vergers.

Fry entra dans la petite bâtisse visiblement construite il y a plus de cinquante ans et rafistolée, c’était sans doute le mot le plus approprié, à plusieurs reprises. Il fut interpellé au passage par sa tante Elisabeth, elle lui demanda s’ils restaient déjeuner avec eux. Curieuse, Jenny le suivit jusqu’à sa chambre, mais Jessy préféra rester dehors et faire le tour de la propriété avec les raichu, elle avait aperçu d’autres pokémon un peu plus loin. Entre la clôture et les premiers arbres du verger se trouvait un terrain de sport visiblement multifonction, mais ce qui attirait Jessy c’était la sensation qu’on y combattait régulièrement avec des pokémon. Visiblement, tous les entrainements de Reese ne se déroulaient pas dans le stade Pomelo. Entre deux pamplemoussiers, Jessy aperçut une herbizarre et un bouldeneu utilisant leurs fouets lianes pour inspecter les fruits. Les deux raichu se hissèrent sur la barrière en bois pour mieux les observer de loin, Chu ne put s’empêcher de les interpeller, mais les deux pokémon plante restaient concentrés sur leur travail. L’herbizarre était petite et d’un niveau assez bas malgré sa pleine santé, en revanche le bouldeneu paraissait extrêmement fort. Jessy trouvait presque ridicule cette image de bête de combat en train de jardiner.

« Tu cherches quelque chose ? » Lança une voix derrière Jessy.

La jeune fille fit volte-face et tomba nez à nez avec la mère de Fry. La femme au serpang la fixait les bras croisés, son regard intense heurta le bleu électrique de celui de Jessy, cette rencontre faisait des étincelles. La plupart du temps, Jessy reconnaissait en une demi-seconde les dresseurs puissants, Maude Morgan était une dresseuse puissante, l’amphinobi qu’elle avait aperçu tout à l’heure ne faisait que confirmer ce que son instinct lui hurlait aux oreilles.

« A qui sont ces pokémon ?

- L’herbizarre à ma belle-sœur et le bouldeneu est à moi.

- Vous combattez encore avec ou il s’occupe simplement des fruits ?

- Je l’entraine toutes les semaines pour qu’il garde la forme… » Répondit Maude d’une voix lente.

La tension montait entre la jeune fille et la mère de famille, ce n’était pas une tension hostile, plutôt une sorte d’excitation compétitive. Jessy ne tenait plus.

« On ne s’est jamais affrontées je crois bien.

- Non, en effet. »

Maude gardait les bras croisés, elle maintenait son air dur et s’efforçait de ne pas sourire alors qu’elle en mourait d’envie. Jessy, elle, ne retint pas plus longtemps son propre sourire arrogant et déterminé.

« Vous avez le temps pour un petit duel ? »

Maude eut un rictus.

« Pourquoi pas… Si tu y tiens. »

Maude décroisa les bras et se saisit d’une de ses pokéballs. Malgré son attitude froide et calme, tout son être transpirait l’envie de gagner. Elle savait que Jessy était coriace et qu’elle avait vaincu quatre fois son mari.

« Rai rai rai ! » S’excita Pit agrippé à la clôture, ses joues grésillaient d’envie. Son frère n’était pas moins survolté que lui, même s’il savait qu’il ne pourrait pas combattre. Mais sans regarder son pokémon, Jessy tendit le bras vers lui pour lui signifier de se calmer car elle ne l’enverrait pas au combat. Pit baissa les oreilles, il était déçu. La rouquine aimait les challenges et combattre avec son raichu c’était choisir la facilité. Jessy était en transe, elle regardait la pokéball de Maude en réfléchissant : elle n’allait donc pas utiliser son bouldeneu, il y avait aussi peu de chance qu’elle envoie son amphinobi après son entrainement avec Reese. Jessy se mordit la lèvre, ce n’était pas de la nervosité mais une intense réflexion stratégique. Brusquement, elle dégaina une pokéball à la vitesse d’un insécateur, Maude libéra alors le pokémon qu’elle avait elle-même choisi et un scalproie sortit de sa pokéball. La mère de Fry était rusée, elle avait vu tous les matchs de son mari contre Jessy, elle connaissait donc son équipe par cœur. La seule véritable faiblesse de scalproie était les attaques de type combat, or Maude savait que Jessy n’avait aucun pokémon de ce type dans son équipe. Elle misait aussi sur le fait qu’elle n’enverrait pas sa dracaufeu si elle était venue en volant sur son dos. Après avoir hésité entre Médie et Misdy, Jessy avait choisi sa mysdibule. Maude affichait un sourire tordu assez effrayant.

« Voilà qui s’annonce intéressant. Danse-lames Scar.

- Mysdi ? »

La mysdibule se retourna vers Jessy, par un simple regard elle lui demandait l’autorisation de choisir elle-même ses premières techniques. Sa dresseuse hocha positivement la tête et Mysdibule put se concentrer sur son adversaire. Elle choisit de dresser un mur de fer avant de lancer une provoc. Scalproie frissonna d’excitation, il sentait la force de son adversaire.

« Tête de fer ! » Crièrent à l’unisson sans le vouloir Maude et Jessy.

Pendant ce temps, Fry montait à l’étage de la maison par un escalier étroit, Jenny sur les talons. A l’étage, il y avait quatre portes, hormis celle où était accroché un panneau "WC" illustré d’un petit azurill, les autres devaient être des chambres songea Jenny. Fry se dirigea vers la porte au fond à droite, il l’ouvrit et pénétra dans la pièce. Jenny préféra s’arrêter sur le seuil, elle mourait d’envie d’entrer dans la chambre de Fry mais la politesse l’emportait cette fois sur sa curiosité.

« T’embête pas, vas-y entre, fais comme chez toi. Je vais chercher le sac de mon père, le mien ne sera pas assez grand. »

La chambre de Fry était située dans l’angle de la maison et elle avait deux fenêtres : l’une donnant sur la cour et les jardins des Morgan, l’autre donnant sur la rue. La chambre était propre, bien rangée comme une chambre qui ne servait pas souvent et elle embaumait une odeur de bois vernis et de renfermé, typique des vieilles maisons. Jenny remarqua immédiatement la guitare glissée entre la porte et l’armoire. La rouquine jeta un coup d’œil sous le lit, espérant peut-être découvrir quelques petits secrets mais le sol était immaculé. Les murs en revanche étaient couverts d’affiches en tout genre, à côté de la fenêtre à l’Est il y avait des petits posters et des stickers de groupes de musique. Sur la cloison côté porte, il y avait surtout des images de Pokémon du continent et des illustrations de pays lointains : Kalos, Galar, Alola... Et, ce qui amusa beaucoup Jenny, il y avait au-dessus de la tête de lit, près de l’autre fenêtre, un poster rétro du Bourg Palette à l’époque du professeur Chen. Elle reconnaissait sans peine le laboratoire et son éolienne intemporelle. Sur la petite table-bureau, deux manuels scolaires de classe de seconde se battaient en duel à côté d’un vieux modèle d’ordinateur portable. Jenny se laissa tomber sur le lit bien moelleux et, assise sagement, elle poursuivit son exploration visuelle. Fry revint dans la pièce avec un vieux sac de voyage rapiécé mais qui faisait bien trois fois le volume de son sac à dos personnel. Une étiquette en tissu délavée portait le nom de Reese Morgan. Il le posa sur le lit à côté de Jenny.

« Je vois que vous collectionnez les antiquités aussi, se moqua Jenny.

- Je ne suis jamais parti de l’archipel, on n’allait pas gaspiller du fric pour m’acheter un sac neuf. »

Fry ouvrit son placard et commença à sortir des t-shirts, des shorts et des boxers. Non sans une certaine excitation, il sortit également le seul pull de sa penderie et deux jeans. Il allait quitter l’archipel Orange, ce qui signifiait qu’il allait avoir froid et ça, dans son esprit, c’était déjà le début de l’aventure. Il prit aussi sa guitare et la montra à Jenny en souriant.

« Je l’emmène aussi je suppose ? »

Jenny lui rendit son sourire avec beaucoup de charme et hocha positivement la tête. Jenny se demandait combien de filles étaient déjà venues dans cette chambre. Sans doute un certain nombre vu l’absence totale de gêne de Fry, Jenny avait l’impression qu’il avait l’habitude de voir des jolies filles assises sur son lit. Elle songea un instant à prendre une position plus lascive quand un cri de pokémon attira l’attention des deux ados.

« C’était quoi ce bruit ? Demanda Jenny.

- On dirait que quelqu’un dispute un match dans le jardin. » Répondit machinalement Fry, les matchs amicaux étaient monnaie courante chez lui. Jenny se leva du lit et regarda par la fenêtre. Elle s’écria :

« C’est pas vrai… Elle ne peut vraiment pas s’en empêcher ! »

Fry profita de l’inattention de Jenny pour récupérer vite fait sa boîte de préservatifs dans un tiroir du bureau et la fourrer dans son sac, puis il la rejoignit près de la vitre pour jeter un œil à l’extérieur. Dans la cour, le combat entre Jessy et Maude était acharné. A grands renforts de cris aigus, les deux raichus encourageaient leur amie mysdibule et son humaine. Fry ouvrit la fenêtre et s’accouda au rebord pour regarder le match. Il était blasé par les compétitions mais il voyait rarement sa mère se battre contre quelqu’un d’autre que son père. Et puis à force d’entendre Jessy se vanter de ses talents, il voulait voir s’il n’y avait pas un peu d’exagération. Jenny s’adossa, ou plutôt se vautra, sur les épaules de Fry pour regarder le duel elle aussi, du moins c’était un bon prétexte pour se blottir contre le jeune homme sans en avoir l’air. Un mince sourire s’étira sur la bouche de Fry. Il ne quittait pas Jessy et son pokémon des yeux, ce regard intense et absorbé comme celui d’un archéduc remua les entrailles de Jenny. Il était vraiment beau gosse et cette expression rendait enfin justice à son intelligence, elle était un peu jalouse de ne pas être à la place de Jessy à être observée de la sorte. Même s’il n’arrêtait pas de dire qu’il avait raccroché des combats pokémon, à cet instant Jenny comprit que Fry n’était sans doute pas un champion de pacotille et qu’au fond de lui il avait toujours envie de se battre. La jolie rousse chercha un moyen d’attirer à nouveau l’attention du jeune homme.

« Ce n’était quand même pas sympa de ne pas nous avoir tenu au courant pour ton titre de champion de la Ligue Orange, dit-elle d’une voix douce et faussement indignée.

- J’aime pas me vanter, répondit simplement Fry.

- Tu es vraiment un garçon en or… Susurra Jenny.

- N’en fais pas trop. » Répondit-il en retenant un léger rire.

Derrière la maison, le choc métallique des griffes de scalproie contre l’appendice de Mysdibule raisonnait comme des coups d’épées de fer. Les pokémon acier avaient atteint un tel niveau que Maude et Jessy avaient à peine besoin de donner des ordres. Bouledeneu et Herbizarre avaient cessé leur travail pour observer le match aux côtés de noadkoko.

« Griffe acier ! Cria Maude.

- Feinte ! »

Les attaques ténèbres n’avaient presque pas d’effet sur scalproie mais leur furtivité permettait à mysdibule d’échapper plus facilement aux assauts de son adversaire. Maude ne pouvait s’empêcher de trouver cet usage très ingénieux. Elle avait toujours trouvé que Jessy avait le même défaut que son époux : elle se reposait trop sur la force brute, mais en l’affrontant elle-même, elle constatait que la jeune maîtresse pokémon savait s’adapter à chaque adversaire et se sortir des situations complexes.

« Guillotine ! »

Scalproie bondit face à mysdibule, les bras écartés, prêts à trancher les airs pour s’abattre sur la nuque de mysdibule. La technique lui serait fatale, mais encore fallait-il qu’elle l’atteigne. Alors que le bourreau s’abattait sur sa victime, mysdibule baissa la tête et utilisa son appendice mâchoire pour asséner une tête de fer au scalproie au moment où celui-ci tentait de l’assommer en la frappant dans le cou.

« Bien essayé mais le niveau de mysdibule est trop élevé pour que ça marche.

- Je devais tester, répliqua Maude sans se départir de son sourire. On va changer d’approche : tourmente ! »

Les ondes négatives de scalproie tourmentaient mysdibule qui ne savait plus comment combattre en autonomie, cela obligeait Jessy à reprendre le combat en mains.

« Câlinerie ! »

Scalproie ne s’attendait pas à cela et, à vrai dire, ce n’était pas l’attaque que Mysdibule aurait choisi d’elle-même, c’était d’ailleurs tout l’intérêt de lancer cet ordre dans l’esprit de Jessy. Mysdibule vint se coller à Scalproie dans une attaque fée très sadique, scalproie grimaça et ne réussit pas à esquiver, Maude aussi était assez surprise et laissa un instant de flottement. Puisque les deux pokémon étaient si proches elle devait en profiter.

« Fulmifer ! »

Cette fois l’attaque blessa mysdibule et elle lâcha son emprise sur Scalproie, Maude saisit l’ouverture et guida son pokémon.

« Casse-brique !

- Coup bas ! »

Mysdibule eut tout juste le temps d’utiliser son coup bas pour éviter un nouveau choc, elle opéra une rotation sur elle-même pour riposter avec sa grosse mâchoire dorsale. Sans attendre l’ordre de sa dresseuse, scalproie lança une tête de fer.

« Force poigne ! »

Après avoir bien encaissé la tête de fer, Mysdibule agrippa le bras gauche de scalproie entre ses crocs acérés et avec sa puissante mâchoire elle le souleva et le jeta dans les airs en l’expédiant sur le côté du terrain. Herbizarre et Bouldeneu durent s’écarter rapidement pour ne pas recevoir leur compagnon sur la tête. Le scalproie se releva en grimaçant de douleur et de colère, cette mysdibule était un adversaire redoutable et il n’avait pas trop l’habitude de se faire malmener de la sorte dans un match amical. Patiemment, toujours en alerte, Mysdibule attendait que son adversaire revienne sur le terrain. En s’approchant, scalproie déploya ses griffes d’acier avec un air menaçant.

« Relax Scar, t’es plus au Tour des Iles là.

- Scal…

- On y retourne : griffe acier !

- Doux parfum ! »

Scalproie semblait plus énervé qu’au début de son combat. Il se rua sur Mysdibule les griffes en avant, Mysdibule esquiva son double coup de pattes en faisant un bond en arrière, puis en s’abaissant juste à temps et en se glissant sur le côté. Elle profita de l’ouverture pour dégager son doux parfum et réduire l’esquive de scalproie comme lui avait demandé sa dresseuse. Sans que les deux maîtresses pokémon n’aient besoin de lancer un nouvel ordre, Scalproie et Mysdibule se chargèrent mutuellement avec une tête de fer. Les crânes se fracassèrent dans un son métallique, les deux pokémon avaient encore la rage de vaincre. Maude réfléchissait à une nouvelle stratégie quand, soudain, une voix féminine et enjouée cria par la fenêtre :

« Le repas est prêt ! »

Jessy et Maude échangèrent un regard de défi, Scalproie et Mysdibule firent de même.

« On s’arrête là mademoiselle Ketchum ?

- C’est une manie dans votre famille de ne pas terminer vos matchs ?

- Jessy ! » Gronda une voix offusquée dans son dos.

La rouquine se retourna et vit sa jumelle derrière elle, en compagnie de Fry. Les deux ados étaient finalement redescendus avec le gros sac de voyage de Fry. Chu sauta de la clôture pour rejoindre sa dresseuse et grimper sur ses épaules. Jenny avait les yeux écarquillés, elle avait entendu la provocation de sa sœur et elle en était effarée.

« Je vous prie de l’excuser… » Demanda humblement Jenny en s’inclinant légèrement devant Maude.

Chu leva les yeux vers Maude sans comprendre pourquoi sa dresseuse baissait la tête. La mère de Fry agita la main avec nonchalance.

« Y a pas de mal les filles. Je suppose que Fry vous a fait son petit numéro du procrastinateur.

- Maman… Geignit Fry.

- Nous on remet ça quand tu veux Jessy. » Lança Maude avec un clin d’œil à la jeune fille avant de rentrer se laver les mains pour aller se mettre à table.

Elle fit également un petit signe à son Scalproie pour l’inciter à retrouver ses camarades pokémon plantes dans le verger. Après un dernier regard hostile envers mysdibule, il s’en alla rejoindre Herbizarre et Bouledeneu.

« Franchement Jessy, tu exagères ! La sermonna Jenny. Tu ne peux pas débarquer chez les gens et les provoquer en duel comme ça, c’est vraiment déplacé !

- N’importe quoi, c’est ça la vie des dresseurs pokémon ! Répliqua Jessy en caressant la tête de sa mysdibule. »

Jenny soupira et Fry s’avança en souriant.

« Pour une fois je suis de l’avis de ta sœur, c’est pour ça que je fais un break d’ailleurs. C’est pénible de ne pas pouvoir mettre le pied quelque part sans se faire accoster par un dresseur qui veut se battre.

- En tout cas c’était sympa, déclara Jessy en renvoyant Misdy dans sa pokéball. Heureusement que ta mère relève le niveau de ton père, elle ferait mieux de le remplacer à la tête de la ligue.

- Comme je te l’ai dit, c’est moi le champion en théorie, répliqua Fry. C’est à moi de le remplacer.

- Toi ou elle, peu importe. Ton père est nul.

- Jessy ! Ça ne se dit pas ! Et en plus c’est faux ! Protesta encore Jenny.

- Mon père n’est pas nul, dit posément Fry. C’est toi qui es de mauvaise foi : sur le chemin pour venir ici tu disais que Reese était le seul adversaire à peu près à ton niveau dans l’archipel.

- A peu près c’est franchement médiocre !

- Tous ceux qui perdent un jour face à toi ne sont pas médiocres.

- Comment tu peux le savoir ? T’as pas assisté à tous les matchs de ma vie, répondit Jessy avec une stupidité évidente.

- Non, mais j’ai affronté assez de monde pour différencier un bon d’un mauvais dresseur. Vu ton niveau et ton arrogance crasse, quelque chose me dit que t’as pas dû perdre souvent, alors t’es juste frustrée et blasée, ça ne fait pas de tous les autres des gros nazes.

- Mon arrogance crasse ? Répéta Jessy en fronçant les sourcils. Je n’ai perdu que deux matchs dans ma vie, c’est pas de l’arrogance ça, c’est du talent !

- Qu’est-ce que je disais… » Soupira Fry en levant les yeux au ciel.

Lizzie terminait de mettre la table avec l’aide de Maude. Reese rentra enfin chez lui sans remarquer les ados en train de se chamailler sur le terrain d’entrainement derrière la maison.

« Ah j’ai la dalle ! Annonça Reese en s’étirant. Tiens, il y a beaucoup de couverts à table.

- Fry et les jumelles mangent avec nous, répondit Lizzie.

- Formidable… » Marmonna Reese.

Sa femme lui caressa le haut du dos avec compassion. Toute la famille Morgan s’assit autour de la table. Ils étaient déjà à l’étroit en temps normal dans la petite salle à manger, mais avec deux invitées en plus et le retour du fils prodigue, les convives étaient entassés les uns sur les autres. Heureusement, les raichu mangeaient dehors avec les pokémon de la famille Morgan. Pour la première fois, les jumelles rencontrèrent Dan, le petit frère de Reese de quatre ans son cadet et donc l’oncle de Fry. Il ressemblait beaucoup à son frère mais sans les cheveux bleus, avec moins de charme et une musculature encore plus développée. Les filles découvrirent l’un des menus typiques des repas chez les Morgan : salade de légumes de saison et d’agrumes, bol de riz et remoraids grillés.

« Non merci, pas de poisson pour moi, dit Jessy lorsque Lizzie prit son assiette.

- Jessy est végétarienne, précisa Jenny.

- Ah ! Comme Dan et moi. » Répondit Lizzie avec un sourire avant de rendre l’assiette de riz et de légumes à Jessy. Jenny comprit alors pourquoi le plat de poissons était si peu garni en comparaison de la marmite de riz et des saladiers de légumes et de fruits. Fry et son père ne purent s’empêcher de dévisager Jessy. Elle passait vraiment pour une brute épaisse au premier abord, beaucoup de gens en déduisaient donc à tort qu’elle n’avait pas de cœur et qu’elle ne se souciait pas du bien être pokémon, c’était tout le contraire.

Reese faisait clairement la gueule à table, il avait hâte de voir les jumelles Ketchum quitter sa maison, même si cela signifiait qu’elles emportaient Fry avec elles. Reese ne pouvait s’empêcher de se méfier de cette nouvelle alliance, qu’elle soit musicale n’arrangeait rien à l’affaire. Maude et Lizzie étaient plus à l’aise avec les jumelles, mais la tension était palpable entre Maude et Jessy, si bien que seule Elizabeth menait la conversation.

« C’est surprenant ça… » Commença Elizabeth en s’asseyant enfin devant son assiette après avoir servi tout le monde.

« Des dresseurs musiciens : le dressage et la musique sont deux occupations très prenantes, qui demandent beaucoup d’entraînement et de persévérance, c’est difficile de maîtriser les deux.

- Et pourquoi pas ? Fry le fait bien lui, répliqua Jessy.

- Fry n’a jamais quitté l’île, il a du temps libre. » Répliqua Maude.

Reese et Fry la regardèrent, visiblement ils n’étaient pas d’accord avec ce constat. Fry trouvait qu’il n’avait pas assez de temps libre, d’où son besoin de faire une pause dans les compétitions Pokémon. Et Reese trouvait qu’il ferait mieux de mettre ce temps libre à profit pour entrainer davantage ses pokémon. Lizzie reprit :

« Vous deux vous êtes toujours sur les routes. Comment faites-vous ?

- On ne jouait quasiment plus depuis notre départ du Bourg Palette, expliqua Jenny. Mais on a terminé toutes les ligues du pays alors nous aussi on a du temps libre finalement.

- Votre départ du Bourg Palette ? Alors vous jouez depuis longtemps ?

- On a commencé à sept ans, Jessy faisait vivre un véritable enfer à notre mère…

- Il faut toujours que tu exagères tout ! Râla sa jumelle.

- Pour la… canaliser dirons-nous, Maman nous a inscrit dans tous les clubs possibles et imaginables entre Jadielle et Argenta : dessin, judo, karaté, échecs, danse, poterie…

- Ah, je me souviens du club de karaté… » La coupa Jessy.

La jeune fille se plongea dans ses souvenirs et un horrible sourire tordu se glissa sur son visage. Jenny sourit à son tour, avec beaucoup plus de fraîcheur.

« Oui, tous les garçons de notre école aussi. Plus aucun d’eux n’a osé approcher Jessy après.

- Eh eh eh… Ricana sa sœur.

 

- Et je crois bien que depuis notre départ, la prof de danse prend des anxiolytiques, ajouta Jenny d’un air atrocement guilleret.

- Vous êtes flippantes parfois… Finit par dire Fry devant sa famille atterrée.

- Bref, tout ça pour dire que nous avons finalement atterri au club de musique.

- Et pourquoi tout d’un coup vouloir fonder un groupe de musique ?

- Ça c’est une idée de Jessy. Si on arrive à gagner un concours de musique rémunéré on aura enfin assez d’argent pour quitter le pays, on rêve d’aller à Kalos depuis des années. »

Une lueur d’intérêt jaillit dans le regard de Maude et de Reese. Reese y voyait là l’occasion idéale de les voir disparaître de sa vie définitivement, à des dizaines de milliers de kilomètres de son stade, Maude quant à elle parla de ses origines.

« Je suis née à Kalos vous savez ? C’est là que j’ai eu mon amphinobi.

- Vous parliez du Tour des Iles tout à l’heure, releva Jessy. Et vu votre allure je croyais que vous veniez d’Alola.

- Ma mère venait d’Alola, répondit Maude. Moi je n’y ai passé que deux ans de ma vie pour participer au Tour des Iles.

- Niveau difficulté ça donne quoi ? Quelle ligue est la plus hard ? Demanda Jessy en quête de défis.

- Si tu cherches du challenge, tu ferais mieux d’aller directement à Galar. La Ligue de Galar est réputée comme l’une des plus difficiles au monde et le billet d’avion n’est pas plus cher que pour Kalos. »

Fry avait cessé de manger et ruminait seul face à son assiette, lui aussi rêvait de voyager dans le monde entier, mais il savait que c’était impossible. Visiter Sinnoh et Kanto avec les filles serai déjà un petit miracle pour lui.

« Il y a tout de même des moyens plus simples pour partir à Kalos, intervint Dan. J’ai entendu dire que vous aviez un niveau exceptionnel, aucun sponsor ne vous a contacté ?

- Si… Répondit lentement Jenny. Mais nous sommes deux, ça pose souvent problème, ils ne veulent prendre en charge qu’une seule d’entre nous. Jessy hausse le ton à chaque fois, mais on n’a jamais réussi à faire céder qui que ce soit. »

Une phrase vint à l’esprit de Fry : on n’attire pas les apitrini avec du vinaigre, de même qu’on ne hausse pas le ton face à un sponsor. Jenny ne voulait pas blesser sa sœur, mais il était évident que la fuite des sponsors était plus probablement liée à son mauvais caractère. La fin du repas se passa dans une ambiance cordiale, même si Reese n’adressa pas un mot aux jumelles. Maude les observait avec attention, elle avait fini par remarquer que Jenny faisait les yeux doux à Fry, en plus elle s’efforçait de jouer aux filles parfaites devant la famille Morgan. La mère de Fry fut prise, le croyait-elle, d’une illumination. Au moment de partir, elle tira son fils un peu à l’écart et chuchota à son oreille.

« En fait c’est pour toi qu’elles revenaient sans cesse affronter ton père, elles devaient avoir envie de te rencontrer.

- Non maman, je t’assure que non, elles n’avaient pas la moindre idée de qui j’étais.

- T’es sûr de ça ?

- Certain. »

Maude leur jeta un rapide coup d’œil alors qu’elles fanfaronnaient devant Elizabeth et Dan avec leur dracaufeu et leur altaria.

« Elles sont mignonnes, mais méfie-toi quand même. Tu sais comment on l’appelle ?

- Qui ça ?

- Jessy : le léviator rouge du Bourg Palette, répondit Maude avec un air éloquent.

- Je suis un grand garçon maman, soupira Fry. Je sais reconnaître les filles à embrouilles… Et je sais les gérer.

- Ils disent tous ça… » S’amusa sa mère avant de l’embrasser sur le front.

Fry grimaça, il était mal à l’aise quand sa mère le traitait comme s’il avait encore dix ans. Maude aida son fils à accrocher son sac de voyage sur le dos de sa békipan dont elle caressa le bec en guise d’au-revoir. Fry avait expliqué à ses parents qu’il se rendait à Sinnoh en passant par l’Archipel Arc-en-Ciel.

« J’emmène Mozart avec moi, vous pourrez vous occuper de Lady ? Demanda Fry en donnant la pokéball de son staross à sa mère.

- On n’a pas vraiment le choix… » Ronchonna Reese.

Sa femme lui donna un coup de coude.

Reese dit au revoir à son fils en tapotant son épaule sans se départir de sa mine renfrognée qui s’assombrit encore davantage lorsqu’il vit Fry s’installer derrière Jessy sur le dos de dracaufeu. Fry salua sa famille et Jenny lança avec un magnifique sourire dont elle avait le secret :

« Merci pour votre accueil ! »

Et sur ces mots, les trois ados et békipan, leur bagagiste, s’envolèrent vers l’île d’Hamlin. Toute la famille Morgan les regarda s’élever dans les cieux. Maude et Lizzie vinrent consoler Reese en lui massant les épaules.

« J’ai comme un mauvais pressentiment… » Finit par dire Reese les yeux toujours rivés sur la dracaufeu, elle n’était plus qu’un point orange loin parmi les blancs nuages.

Depuis que Jessy avait appris que Fry était le champion de la Ligue Orange, ses méninges cogitaient, quelque chose la perturbait. Alors qu’ils volaient accrochés l’un à l’autre sur le dos d’Etna, Jessy finit par poser la question gênante.

« Au fait Fry…

- Ouais ? »

Il se pencha un peu pour essayer de voir le visage de la dresseuse guidant la dracaufeu, la jeune fille tentait de conserver une attitude désinvolte mais c’était trop exagéré. Le fait de chevaucher Etna l’arrangeait bien, elle n’avait pas besoin de regarder Fry dans les yeux de cette façon. A cause du vent, Jenny qui volait derrière eux sur son altaria aux côtés de la békipan de Fry ne pouvait pas entendre leur conversation.

« Le champion de la Ligue Orange n’est pas censé être maître pokémon ?

- Théoriquement si.

- Et donc toi… Tu es un maître pokémon ?

- Non je ne le suis pas. »

Cette fois, elle tourna brusquement la tête pour essayer de le regarder, elle ressemblait à un noarfang à l’affût d’un rattata isolé.

« Ah bon ?

- J’ai jamais quitté l’Archipel Orange, je n’ai donc participé à aucune autre ligue à part la Ligue Orange, or c’est précisément la seule qui ne donne pas le titre de maître pokémon si on arrive premier. »

Dans le pays, il existait plusieurs méthodes pour devenir maître pokémon, par exemple en entrant à l’Université de Safrania dans la section dite des élites, un cursus très demandé et très exigeant où seuls les meilleurs dresseurs majeurs du pays pouvaient s’inscrire. Certaines écoles privées, souvent très couteuses, permettaient aussi d’obtenir ce titre par le biais de compétitions élitistes. Une autre méthode, plus audacieuse, consistait à provoquer en duel le Conseil des Quatre installé au Plateau Indigo. Mais la méthode standard et la plus honorable dans l’opinion publique demeurait les ligues Pokémon. Les autres pays avaient adopté à peu près le même système, mais dans celui de Jessy et Jenny, seules quatre ligues permettaient d’obtenir le précieux titre : Kanto, Johto, Hoenn et Sinnoh. La ligue Orange, jugée plus facile car reposant sur quatre badges plutôt que huit, ne donnait droit qu’au titre de "Top Dresseur". Fry baissa la tête pour ne pas que Jessy voit son air frustré.

« Mon père a supplié le Conseil des Quatre de venir jusqu’ici pour m’affronter parce que le voyage jusqu’au Plateau Indigo coutait trop cher. Je les ai affrontés et j’ai échoué… J’avoue que ça m’a foutu un choc, mais papa a insisté pour que j’endosse quand même le rôle de champion, il pensait qu’avec encore un peu d’entrainement je pourrais ré-affronter le Conseil, sauf que j’en ai marre de toujours rester dans ce foutu archipel. J’ai tout plaqué parce que je voulais quitter la région.

- Mais tu n’es pas parti ?

- Comme je l’ai expliqué à ta sœur, je n’ai pas les moyens financiers. Quoi que je fasse je suis prisonnier de ces îles… Vous êtes ma seule porte de sortie. »

Un silence lourd de méditation s’installa entre eux. Finalement, ce fut Jessy qui rompit le silence, sa voix était percée d’une pointe de satisfaction. Sa bonne humeur était déplacée, mais en réalité, elle était juste contente de voir que quelqu’un partageait son malheur.

« Je savais que c’était louche un champion qui abandonne son titre comme ça.

- T’es plus fâchée après moi ?

- Moi aussi j’ai perdu face au Conseil des Quatre, dit-elle en regardant à nouveau vers l’horizon. J’avais pas perdu un combat pokémon depuis mes sept ans… J’ai gagné absolument toutes mes ligues, j’ai battu ton père quatre fois, mais les marioles du Plateau Indigo pas moyen de les abattre. »

Fry sourit timidement.

« Quand j’ai vu le niveau de vos raichu, j’ai tout de suite su que vous étiez des maîtresses pokémon. Je n’ai rien dit parce que ça me gavait. Quelque part, je suppose que j’étais jaloux. Désolé. »

Jessy se retourna et lui rendit son sourire poli, Fry se dit qu’elle était quand même nettement plus jolie lorsqu’elle jouait les gentilles.

« On va se concentrer sur la musique pour un temps, déclara la rouquine.

- Bien dit. »

 

A suivre…

Laisser un commentaire ?