Une brève histoire de Temps

Chapitre 1 : Ce futur dont tu ne veux pas, je le vivrai pour toi

Chapitre final

11822 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 16/12/2021 17:11

~ Une brève histoire de Temps ~




Cette fanfiction participe aux Défis d’écriture du forum Fanfictions .fr : Coupez ! On la refait - (novembre décembre 2021).




Lorsque l’on quitte l’endroit où l’on est né, généralement, il finit toujours par nous manquer. Et lorsque l’on y revient, généralement, on finit toujours par ressentir un peu de nostalgie.


Eh bien, pour Massko, ni l’un ni l’autre de ces deux événements ne s’était produit.


Qui pouvait aimer un monde où il ne pleuvait jamais – donc pas d’humidité –, où le soleil ne se levait jamais – donc la nuit régnait constamment en maître –, où le vent ne soufflait jamais, où les gouttes d’eau restaient suspendues aux branches… En clair, un monde complètement figé et exempt de tout mouvement ? Qui pouvait aimer un tel univers perpétuellement recouvert par les ténèbres ?


Il soupira d’agacement en entendant une voix trop familière se plaindre derrière lui. Depuis tout à l’heure qu’il marchait, cette « petite » qui l’accompagnait n’avait cessé de se lamenter pour tout et n’importe quoi, et il se demandait comment il pouvait encore la supporter.

En tout et pour tout, leur groupe se constituait de trois Pokémon, des créatures peuplant le vaste monde, toutes plus différentes les unes que les autres. Elles possédaient des spécificités propres, qu’il s’agît de leur apparence physique ou bien de leurs attaques. Massko, lui, par exemple se tenait fermement sur ses deux pattes, et la quasi-intégralité de son corps arborait une couleur verte, à l’exception de son ventre, rouge ; une longue et fine feuille verte partait du sommet de son crâne pour finalement descendre et presque toucher le sol. Son expérience se ressentait dans sa musculature affirmée ainsi que dans son mental particulièrement déterminé. Si l’on ajoutait à cela son caractère pour le moins solitaire, on pouvait logiquement conclure que rien ne l’avait prédestiné à prendre le moindre… voyageur à ses côtés.


Et pourtant.


Derrière lui trottinait sur ses quatre pattes une Evoli pour le moins enquiquinante, au poil brun clair, dont la queue touffue se terminait par un motif blanc arrondi qui prouvait qu’elle était une femelle : il aurait été plus linéaire dans le cas contraire. Ses oreilles pointues restaient constamment dressées sur sa tête, et un bandana couleur zinc entourait son cou. Elle portait également par-dessus ce morceau de tissu une simple cordelette, au bout de laquelle pendait un petit caillou sur lequel on discernait un dessin étrange. Quel était son nom, déjà… ? Hmm, il ne s’en souvenait pas. Il ne se rappelait pas lui avoir même seulement demandé, d’ailleurs. Ni à elle, ni à la partenaire qui l’accompagnait et avec qui elle discutait joyeusement – bien trop joyeusement à son goût, pour quelqu’un qui venait d’affronter des épreuves comme celles qu’elle avait subies récemment.


Une jeune Pikachu marchait à côté d’elle ; là encore, il en déduisait qu’il s’agissait d’une fille en raison de sa queue zébrée dont la pointe s’achevait en biseau. Malgré l’obscurité, il parvenait presque à deviner le doré de sa soyeuse fourrure et le rouge vif de ses joues. Ses longues oreilles duveteuses – dont un ruban azur à l’aura puissante ornait celle de droite – s’agitaient à chaque pas qu’elle effectuait sur le sol froid et pierreux sur lequel ils évoluaient ; en plus de cela, elle transportait en bandoulière un sac en cuir marron et à la lanière coquelicot. Contrairement à sa camarade, elle paraissait particulièrement courageuse et dotée d’un bon sens devenu rare, en cette ère sombre. Honnêtement, elle lui rappelait même trait pour trait…


Il secoua la tête. Maintenant n’était guère l’instant pour repenser au passé.


–       Eh, derrière, avancez. Sinon les Ténéfix vont nous rattraper.

–       Massko, je n’en peux plus ! Tu es sûr qu’on va dans la bonne direction, au moins ?


L’intéressé s’arrêta et se pinça l’arrête du nez, las des complaintes. Malgré le temps qu’ils passaient sur cette planète lugubre, l’impression persistait en lui qu’un ingrédient manquait à leur groupe pour qu’il fonctionnât pleinement. D’ailleurs, il ne comprenait toujours pas ce que ce tandem fabriquait ici. Que lui eût été enlevé, c’était une chose, et la raison, il la connaissait pertinemment. Mais ces deux-là – il se retourna pour leur faire face – ne possédaient aucun lien avec cet avenir apocalyptique. Elles ne le connaissaient même pas, pourquoi diable les avait-on kidnappées pour les exécuter, elles aussi ? Plus il cherchait une raison rationnelle à cet événement, moins il trouvait la réponse.


–       Je t’ai déjà pourtant expliqué la situation, il me semble. Vous venez du passé, d’où Noctunoir vous a arrachées, pour ensuite tenter de vous éliminer. Le seul moyen de rentrer chez vous, maintenant, c’est de retrouver Celebi.


Son interlocutrice baissa instantanément la tête, non sans pousser un petit gémissement plaintif au passage, et, pas pour la première fois depuis leur arrivée dans le futur, le Pokémon appartenant au type Plante sentit une certaine culpabilité lui piquer douloureusement le cœur, un sentiment quelque peu familier, pour lui, et ce depuis un long moment.


C’est que, même s’il refusait de l’admettre, il s’était malheureusement un peu trop attaché aux deux petiotes, alors que pourtant, jusqu’ici, il avait toujours agi dans le but de conserver une certaine distance de sécurité entre eux. Il fallait tout de même dire qu’elles avaient essayé de l’arrêter à plusieurs reprises dans le passé, alors qu’il effectuait tout son possible pour récupérer les Rouages du Temps et leur sauver la peau ! Mais bon, elles n’avaient pas été les seules à tenter de le capturer, à l’époque, et maintenant qu’il les voyait aussi perdues dans cet univers qu’elles ne maîtrisaient pas, il… éprouvait de la pitié, pour elles.


Du moins, il s’entêtait à le croire. Et il refusait de réfléchir plus loin, car sinon… il aurait pu confondre cette pitié avec de l’affection.


–       Ça va aller, Lily, la rassura la Pikachu en lui posant une patte chaude et réconfortante sur l’épaule. Je suis sûre que nous arrivons bientôt à destination.


Cette Evoli s’appelait donc Lily. Voilà bien la première fois que Massko entendait son nom, mais après tout, le groupe ne voyageait pas ensemble depuis longtemps. Par curiosité, il hésita à demander son prénom à sa partenaire, mais s’abstint finalement. Le temps filait – quelle ironie de dire cela dans un monde complètement figé et paralysé – et ils devaient rejoindre le point de rendez-vous le plus prestement possible.


Ils atteignirent rapidement le cœur de la Forêt Crépuscule – en tout cas, plus rapidement que ce qu’il n’aurait cru. Il n’avait pas escompté que ses deux compagnes de voyage se débrouillassent aussi bien. Aucune expulsion de donjon – ainsi appelait-on ces lieux qui changeaient de topographie à chaque passage et d’où l’on ressortait sans sou ni objet si l’on tombait à court d’énergie, et la forêt en faisait partie – à déplorer, et ils gagnèrent les hauteurs du bois avec aisance, car celui-ci s’étendait sur le flanc d’une montagne.


L’endroit… n’avait pas changé, depuis le dernier passage de Massko – elle l’accompagnait, à ce moment-là, et cette pensée menaça presque de le faire pleurer, mais comme à son habitude, il se ressaisit promptement pour ne montrer aucune émotion, et scruta les alentours à la recherche du Pokémon légendaire dont il nécessitait l’aide. Un paysage désertique et désolé, complètement gris et dénué de la moindre couleur, s’étendait autour de lui, et des pierres plus ou moins pointues flottaient littéralement dans les airs. Apparemment, cela fascinait les deux coéquipières, en retrait, mais ce paysage lui était tellement familier qu’il n’y prêtait plus vraiment attention.


–       C’est… C’est là que Celebi est censée se trouver ? osa Lily d’une voix mal assurée.

–       C’est exact. C’est dans les environs que je l’ai rencontrée la dernière fois, répondit son interlocuteur en se tournant vers elle. Mais si Dialga Primal a entendu parler de cet endroit… alors Celebi se sera réfugiée ailleurs.


Si elle en a eu le temps, pensa-t-il amèrement. La dernière fois, lui et elle disposaient de plus d’avance et une distance considérable les séparait de leurs poursuivants.


–       Cependant, si cet endroit reste inconnu de nos ennemis… alors Celebi devrait toujours y être, affirma-t-il comme pour préserver le peu d’espoir qui lui restait, et il fit à nouveau volte-face. Ohé, Celebi ? C’est moi ! Massko ! Montre-toi… si tu es là !


Seul le silence répondit à son appel.


–       Elle… ne se montre pas… constata Lily en regardant autour d’elle avec inquiétude.

En d’autres circonstances, Massko aurait été profondément agacé du fait que l’Evoli énonçait bêtement l’évidence, seulement l’angoisse montait bien trop en lui pour reprocher à quiconque d’enfoncer des portes ouvertes. La réalité commençait à le prendre lentement à la gorge et à lui faire tourner la tête.


Celebi n’était pas là.


Le Pokémon Plante porta une patte tremblante à sa tête. Pas de Celebi signifiait pas de Couloir du Temps. Et sans Couloir du Temps, pas de voyage entre les époques possibles. Ils avaient besoin de ce large tunnel électrique spatio-temporel qu’elle seule pouvait activer pour retourner dans le passé et empêcher la Paralysie de la Planète. Ce mal dont souffrait ou souffrirait bientôt ce monde, selon si l’on considérait celui du futur ou du passé, seul remettre les Rouages du Temps, des artéfacts bleus, à leur place dans la Tour du Temps pouvait le prévenir. Et les réunir alors qu’ils demeuraient plus ou moins éparpillés aux quatre coins du monde relevait de la prouesse.


–       Est-ce que… Dialga Primal l’aurait fait fuir ? hasarda Lily. Et si…

Massko déglutit lentement. Ô combien il souhaitait ne pas entendre la fin de cette phrase.

–       Et si… Dialga Primal l’avait faite prisonnière ?


Autant cette éventualité s’avérait effrayante, autant le Pokémon Plante devait malheureusement reconnaître qu’elle devenait de plus en plus probable au fil des secondes qui s’écoulaient. Dialga se trouvait être un immense Pokémon d’une couleur bleu foncé, à quatre pattes et au très long cou, le diamant rouge brillant sur son buste imposant le rendant reconnaissable parmi toutes les autres créatures peuplant ce territoire. Sa métamorphose en une version ressemblante mais également terriblement plus sombre de lui-même s’était déroulée après l’effondrement de la Tour du Temps, un édifice immense et imposant, régulant le cours de chaque seconde, minute, heure, jour, mois, année, siècle et millénaire qui s’écoulait. Suite à cela, Dialga Primal, gouverné par un puissant intinct de conservation, avait basculé dans la folie profonde et ordonné de se débarrasser de tous ceux qui tentaient de changer le cours des événements. Massko appartenait à cette catégorie, et Celebi également.


Ce qui signifiait… qu’elle était en danger, elle aussi. Et si jamais il lui arrivait le moindre ennui… son ami ne se le pardonnerait jamais.


–       Ne soyons pas pessimistes. Elle est peut-être aller se réfugier ailleurs ? proposa la Pikachu d’une voix claire. Si nous continuons à chercher, je suis certaine que nous la retrouverons.


Elle avança de quelques pas avec pour objectif de réconforter leur camarade de route.


–       Désolé de vous décevoir, mais je suis au regret de vous annoncer que… vous n’irez pas plus loin.


Chacun des trois membres du groupe tourna son regard vers la provenance de la voix. Mais avant même de discerner la silhouette du mystérieux arrivant, Massko avait parfaitement reconnu ce timbre particulièrement grave, et sentit son sang se glacer dans ses veines. Une sueur froide coula le long de son cou, et lui et les deux autres reculèrent de quelques pas.


Que Celebi ne se trouvât pas dans la forêt, c’était une chose. Mais y croiser ce Pokémon-là, surtout maintenant… il ne l’avait pas vu venir, celle-là.


Malheur.


–       Noctunoir… murmura-t-il de manière presque inaudible.


Car il s’agissait effectivement de lui : un Pokémon de type Spectre à l’apparence d’un cyclope et au corps presque entièrement gris, sans pieds et évoluant en flottant. Malgré tout, ses deux immenses bras recelaient une puissance colossale. Chacun dans le trio pouvait en témoigner. Sous les ordres de Dialga Primal en tant que son fidèle bras droit et sbire de la première heure, il lui obéissait aveuglément sans jamais (se) poser de questions, et le nombre de problèmes qu’il causait aux gens atteignait un chiffre record. Dire qu’il avait voyagé dans le passé et prétendu être un célèbre explorateur ! Et en plus de cela, il fallait évidemment que maintenant, ses sous-fifres, des sortes de petits diablotins mauves dont les yeux en forme de diamant brillaient constamment de méchanceté, l’accompagnassent. En une fraction de seconde, ils entourèrent les fugitifs.


–       Les Ténéfix sont là, eux aussi… constata Lily, manifestement peu rassurée.


Encore une fois, Massko aurait très certainement pu se passer de ses remarques peu pertinentes, mais encore une fois, la situation actuelle ne se prêtait guère aux chamailleries. Jurant quelque chose entre ses dents, il commença à réfléchir à la meilleure solution pour se sortir de ce pétrin indemne, pour peu qu’une solution existât, du moins, mais renoncer n’appartenait pas à son vocabulaire. Ayant voué quasiment toute sa vie à la mission d’importance capitale qu’il devait accomplir, il ne comptait pas s’arrêter simplement parce que son projet contrariait les mauvaises personnes.


–       Comme ça, tu as réussi à prendre de l’avance sur nous et à capturer Celebi, constata-t-il, en tâchant de ne pas paraître trop perturbé.

–       Alors, tu veux dire qu’ils l’ont… commença la Pikachu derrière lui.


La phrase resta en suspens, sans doute parce que la voix de celle qui venait de la prononcer se trouvait trop nouée par l’émotion, et il devinait sa coéquipière tout autant sous le choc. Rien de surprenant : elles débarquaient à peine dans cet univers. Lui en revanche, y était né, et il ne calculait plus le nombre de coups durs encaissés pour en arriver au niveau où il était.


–       Je ne m’attendais pas à ça, admit-il, en voulant se donner un air confiant. Il faudra que je m’excuse auprès d’elle lorsque je la reverrai.


Si elle était là… Elle me dirait sûrement que ce n’est pas mon genre, de m’excuser, songea-t-il, amusé.


Il secoua vivement la tête. Bon, il fallait agir vite, maintenant. L’enlèvement du Pokémon légendaire créait certes quelques complications, mais rien d’insurmontable. Il suffirait de retrouver rapidement sa trace et d’aller la chercher, et tout rentrerait dans l’ordre ensuite : ils pourraient emprunter le Couloir du Temps, et lui, reprendre sa quête. Et pour cela, pas le choix, ils allaient devoir se frayer un chemin et affronter leurs opposants.


En parlant d’eux, justement : les Ténéfix avançaient dangereusement vers leur groupe, leurs yeux à l’apparence de pierres précieuses luisant de cruauté. En conséquence, il sentit les deux filles se rapprocher de lui, dans son dos, leurs regards fixés sur les adversaires qui les encerclaient.


Il recula d’un pas ou deux, avant de chuchoter :


–       Eh ! Est-ce que vous êtes prêtes à vous battre ?!

–       Hein ?! Tu parles que je suis prête ! s’exclama Lily.


Il ne sut trop si sa question l’avait prise au dépourvu parce qu’elle était trop concentrée, ou bien si elle était tout simplement scandalisée qu’il eût seulement osé la poser, comme s’il pensait qu’elle abandonnerait sans aucune résistance, ce qui aurait été, en soi, la chose la plus sensée à faire, sans doute, pour s’éviter des ennuis. Toujours est-il qu’elle poussa un grognement agacé, les oreilles aplaties et les poils hérissés, comme pour témoigner de sa détermination à vaincre tous les obstacles sur son chemin. Mais d’où tirait-elle soudain cette impressionnante assurance, elle si craintive et peureuse d’ordinaire ?


–       Il semble que nous n’ayons pas véritablement le choix…


Les joues de la jeune amie de l’Evoli crépitèrent d’électricité tandis qu’elle prononçait ces mots. Hm, alors comme ça, elles prévoyaient de passer à l’attaque – ou tout du moins, de se défendre ? Massko aimait cette attitude. En plus c’était bien de cette manière-ci qu’ils s’étaient échappés de la sinistre Cour des Condamnés, plus tôt, alors qu’ils étaient sur le point d’être exécutés. Quelle autre option restait-il, de toute façon ? Il ne les comprenait que trop bien : lui non plus ne souhaitait pas spécialement que les griffes acérées de ces Pokémon les taillassent en pièces. Plus d’une fois cela avait failli lui arriver, la dernière d’entre elles remontant au fameux épisode de cette Cour, et les deux autres avaient également manqué de peu d’être déchiquetées comme lui, à ce moment-là.

Un sourire franchit ses lèvres. Cette équipe, même si peu expérimentée comparée à d’autres, s’avérait décidément pleine de ressources, finalement. Bien plus qu’il ne l’avait escompté au départ. L’attachement qu’il ressentait pour ses membres devenait de plus en plus difficile à nier au fur et à mesure du temps écoulé en leur compagnie. D’ennemis, ils étaient devenus compagnons d’infortune, puis alliés, et maintenant… quasiment amis. Dans son existence, il n’avait jamais appelé que deux personnes ainsi : Celebi, et elle – un cas à part, dans tous les sens du terme.


Bon. Trêve de réminiscences. L’heure approchait de lancer une offensive.


–       On va passer en force ! indiqua-t-il, toujours à voix basse. Repoussons-les sur les côtés… et fonçons droit devant nous !

–       Compris ! répondirent les deux autres d’une même voix.


En face d’eux, Noctunoir parvint à entendre la discussion. Seul un petit rire s’échappa de sa bouche ventrale, son corps légèrement secoué par ce geste.


–       Alors comme ça vous comptez nous résister ? Ne vous donnez pas cette peine. Vous n’avez aucune chance.


Comme pour accentuer ces propos, les Ténéfix se rapprochèrent encore d’un cran.


–       Ça on ne le saura… qu’après avoir essayé ! Noctunoir, c’est entre toi et moi ! lança Massko en adressant un regard déterminé à son interlocuteur.


Comme au bon vieux temps. L’interpellé parut être quelque peu surpris, avant de secouer la tête d’un air désabusé, et d’ouvrir légèrement les bras, comme pour expliquer quelque chose à un enfant un peu long à la détente.


–       Massko. Es-tu réellement assez stupide pour croire que je suis venu seul ?


Les yeux du Pokémon Plante s’écarquillèrent de stupeur et il tourna la tête.


–       Quoi ?!


Il balaya frénétiquement les environs du regard, à la recherche du moindre indice. Les Ténéfix se trouvaient déjà là. De qui d’autre de suffisamment puissant Noctunoir aurait-il pu bien avoir l’appui ?! Il avait beau réfléchir en long et en large, il ne trouvait pas.

Il déglutit lentement. Tout cela ne lui plaisait pas.


–       C’est à vous de jouer, Maître Dialga ! appela le Pokémon Spectre en se retournant.


L’obscurité complète s’installa juste ensuite. Bien sûr, le jour ne se levait jamais, donc les ténèbres restaient omniprésentes dans tous les cas, mais on parvenait néanmoins à discerner des formes, même imprécises. Là, ils auraient pu être aveugles que cela aurait été exactement la même chose. Ce noir absolu arracha même un cri mêlant surprise et angoisse de la part de Lily, et le fugitif pourtant si solitaire regretta de ne pas se trouver juste à côté d’elle pour pouvoir lui tenir la patte ou au moins la réconforter. Même lorsque, pour la troisième fois depuis leur voyage jusqu’à la Forêt Crépuscule, elle lança une remarque dénuée de pertinence, il ne put réprimer un sourire, rapidement évanoui face à la situation délicate dans laquelle ils se trouvaient.


Deux flashs de lumière successifs dissipèrent quelque peu l’ombre, temporairement. S’ensuivit un long hurlement, à la fois grave et aigu, et surtout terrifiant. Située au plus haut de la montagne, une immense créature, au corps d’un bleu particulièrement sombre, bien que certaines parties adoptassent une teinte plus proche du ciel, notamment au niveau de sa queue pointue et du buste, hurlait de toutes ses forces. Une ligne orange parcourant sa peau complétait le tout. Dialga Primal rugit une nouvelle fois, plus fort que précédemment ; cette fois, la légère clarté revint pour de bon, et le Pokémon Plante put constater que son ennemi n’avait malheureusement pas bluffé, à son grand désespoir.


Il aurait tellement souhaité, pourtant. Maintenant, ils étaient tous condamnés, peu importait ce qu’ils entreprenaient comme action.

Il se sentait tellement abattu qu’il entendit à peine lorsque Lily lui demanda l’identité de cet imposant nouveau venu. Lui-même, ses yeux rivés sur ledit Légendaire, ne parvenait pas à le croire, et pourtant, il devait le reconnaître. Il répondit d’une voix qui ne lui parut pas être la sienne à son interlocutrice, et même la provocation de son opposant n’eut aucun effet sur lui, lui qui d’habitude se plaisait à fanfaronner et à se moquer de ses ennemis.


Seulement… la situation avait changé.


–       Cette fois… C’en est fini de nous, capitula-t-il, en serrant les dents.

–       Hein ?! Mais pourquoi ?! On va se battre, pas vrai ?!


Encore une fois, l’Evoli montrait bien sa profonde méconnaissance de ce monde et qu’elle ne comprenait rien à la situation. Elle ignorait complètement la puissance et les capacités de Dialga Primal. Même s’ils parvenaient à s’enfuir du bois, ils seraient retrouvés et éliminés en moins de deux. Personne ne maîtrisait le temps mieux que lui.


–       C’est sans espoir. Noctunoir tout seul, c’est une chose… Mais nous n’avons pas la moindre chance face à Dialga.


Cela le travaillait. Pas (uniquement) sa propre fin, parce qu’il savait que sa mort n’était qu’un contretemps et que… le succès de sa mission était assuré. Mais… ce qui l’inquiétait le plus, désormais, se résumait aux petiotes derrière lui. Il s’en voulait de prendre une décision à leur place, surtout quand elles paraissaient déterminées à lutter pour leurs vies, mais le choix n’existait même pas : leur fin arrivait maintenant.


–       Vous avez prouvé votre valeur jusqu’ici… admit-il avec une aisance et une sincérité qui l’étonnèrent lui-même. Désolé de vous décevoir, mais c’est ici que tout s’arrête.


S’il avait cru dire ça un jour à ses deux compagnes d’infortune !


Il sourit, un sourire discret mais sincère. Non… amies, plutôt. Cela sonnait mieux.


Cependant, ça ne changeait strictement rien aux circonstances actuelles. Les premiers pas qu’il effectua dans l’optique de combler la distance qui le séparait de Noctunoir s’avérèrent les plus douloureux de son existence. Pour autant, il refusa de baisser la tête devant son ennemi et s’arrêta rapidement avant d’arriver devant lui, plantant fermement ses yeux dans le sien, unique, avec la fierté et la dignité qui le caractérisaient. Les sons de protestation de Lily et de son amie lui parvinrent de loin, mais il tâcha de les ignorer, le cœur lourd cependant.


–       Je me rends, Noctunoir. Fais ce que tu veux de moi.

–       Massko, attends ! Il n’existe réellement aucun moyen d’arranger la situation… ? demanda derrière lui la Pikachu de sa voix si douce.


Même leur principal rival se trouva déçu que les choses se terminassent aussi rapidement, l’indiquant d’ailleurs à haute voix. Sans doute avait-il escompté un peu d’action de la part du Pokémon Plante.


–       Oui, je renonce, en effet, admit celui-ci. Mais… il y a toujours de l’espoir. Si tu te souviens… la dernière fois, quand je suis parti dans le passé pour empêcher la Paralysie de la Planète…


Il ferma les yeux, comme pour laisser les souvenirs affluer dans son esprit.


–        Je n’étais pas seul. Il y avait quelqu’un d’autre, avec moi.


Derrière lui, Lily poussa un cri de surprise. Il supposait que cela se comprenait, après tout. Il avait été leur ennemi, à l’époque, alors il ne s’était certainement pas épanché avec elles sur son histoire personnelle. Ni avec d’autres personnes, soit dit en passant. Mais il devinait qu’il leur devait quelques réponses, sûrement les dernières de leur existence, de toute façon. Alors ce n’était plus le moment de faire preuve de pudeur, surtout avec l’Evoli dans son dos qui insistait manifestement pour tout savoir, alors que sa coéquipière respirait le calme. Comment ces deux-là pouvaient-elles si bien se compléter ? Il l’ignorait, mais elles formaient un sacré tandem.


–       J’étais accompagné lors de ce voyage, expliqua-t-il en se tournant vers les filles. Nous sommes partis ensemble dans le passé. Mais il y a eu un problème alors que nous traversions le Couloir du Temps…


Sa gorge se noua douloureusement à ces mots.


–       Mon acolyte doit encore se trouver dans le monde du passé. Même si on m’élimine… notre mission sera menée à bien. Et la Paralysie de la Planète sera évitée.


Il leur adressa un regard confiant. Voilà la principale raison pour laquelle disparaître ne l’effrayait pas tant que cela. Il avait encore quelqu’un sur qui compter, puis, il ne pouvait se permettre de faire une tête d’enterrement devant ses alliés, ce n’était pas convenable. Et surtout, il imaginait bien la tête de Dialga Primal et de ses sous-fifres qui croyaient avoir définitivement réglé le problème et gagné alors que–


Le rire de Noctunoir qui troubla le silence ensuite le figea sur place. Ce n’était pas un rire hypocrite, ou simulé, non… c’était un rire terriblement sincère et c’était assurément là ce qu’il y avait de plus inquiétant, car rarement voire jamais le Pokémon Spectre ne souriait avec autant… de satisfaction. Derrière ce rire jovial se cachait assurément une raison. Et cela l’angoissait.


–       Que… Qu’est-ce qu’il y a de si drôle ? osa-t-il demander en se tournant vers le sbire de Dialga Primal.


Il craignait profondément la réponse, comme en témoignait son pouls qui commençait à s’emballer, mais en même temps… il existait bien une raison à l’enthousiasme de son ennemi. Et il voulait la savoir.


–       Ah ! Alors tu affirmes que tu n’es pas le seul à être parti dans le passé… À tout hasard, peut-on connaître le nom de ton acolyte ?


Devant le mutisme de celui à qui il s’était adressé, le bras droit de Dialga le pressa :


–       Son nom, donne-nous son nom.

–       Pourquoi ? finit par répondre Massko, dubitatif et sur la défensive. Tu le connais aussi bien que moi, tu nous as toujours pourchassés sans relâche, tous les deux.


Ses poings – ou comment on appelait cela chez les Pokémon, s’il existait toutefois un terme pour cela – se contractèrent sous les intenses émotions qu’il éprouvait. Honnêtement, il ne souhaitait guère poursuivre cette conversation plus longtemps, alors que deux demoiselles non concernées par cette histoire se trouvaient dans les parages. Il apparut cependant que Noctunoir, tenace comme toujours, n’ambitionnait guère de changer de sujet pour l’instant.


–       Serais-tu dans l’incapacité de me le dire ?

–       Mais enfin, à quoi est-ce que cela rime ?! demanda-t-il, sans comprendre. Tu sais pourtant parfaitement qu’elle s’appelle Marie ! Nous sommes les meilleurs amis du monde…


Ces mots eurent à peine franchi sa gorge que des cris d’exclamations se firent entendre derrière lui.

Au départ, il n’y prêta pas attention, bien trop occupé à chercher ce que son rival de toujours essayait de lui transmettre comme message – car il en existait forcément un, le Pokémon Spectre était tout sauf un idiot – et de lui expliquer. Qu’il allait capturer sa partenaire ? Elle le dépassait largement en taille et savait se débrouiller, il n’en doutait absolument pas. Même si lui échouait à collecter les Rouages, elle s’en occuperait à merveille pour lui, et d’ailleurs ils se vouaient une confiance aveugle mutuelle. Si l’un échouait, l’autre prendrait la relève. Leur plan réussirait, il n’y avait pas à en douter.


À moins que…


–       Quoi… Qu’est-ce que tu dis ?! Massko ! Tu as bien dit Marie ?!


… Pourquoi Lily s’affolait-elle ainsi ? Elle ne pouvait pas connaître la personne en question, de toute façon.


–       Marie est ici avec nous ! Là, regarde !


Quoi ?!


… Marie se trouvait ici ?! Dans le futur ?!


Mais… ça n’avait aucun sens ! Elle avait emprunté le Couloir du Temps avec lui ! Comment aurait-elle pu revenir dans leur monde, et surtout, pourquoi ?! Les Rouages du Temps devaient être remis à leur place dans la Tour du Temps dans le passé ! Il n’existait aucune possibilité pour eux de réapparaître ici, sauf exceptions, et de toute façon, après avoir accompli leur mission, ils n’en auraient pas eu l’occasion. Alors que diable tout cela signifiait-il ?!


S’attendant à tomber nez à nez avec son amie, le fugitif ressentit une profonde incompréhension lorsqu’il se retrouva face-à-face avec la Pikachu accompagnant Lily. Elle paraissait… particulièrement déstabilisée, sans qu’il n’en comprît toutefois la raison. Pourtant, c’était elle que Lily, non moins choquée, désignait d’une patte tremblante.


La stupéfaction le figea complètement. Il ne pouvait adhérer à ce qu’on venait de lui dire.


–       Tu es… Marie ? demanda-t-il, incrédule.


Ses iris à lui approchant la couleur que possédaient parfois les champignons, les châtaignes ou même les marrons – depuis combien de temps n’en avait-il pas vu, sur ce territoire désolé ? – croisèrent les siens, à elle, d’un ambre de toute pureté, et il la contempla longuement, même si l’obscurité ambiante rendait difficile le discernement de l’environnement autour de lui. Franchement, elle ressemblait à un Pokémon absolument normal, sans aucun réel signe distinctif qui pouvait amener à supposer que son apparence banale masquait quelque chose d’autre.


–       … Non… C’est impossible. Ça ne peut pas être toi, affirma-t-il sans détacher son regard du sien. La personne que je connais du nom de Marie n’est pas un Pokémon. C’est… un être humain.


Les yeux de son interlocutrice s’écarquillèrent davantage, et l’Evoli poussa un cri de stupéfaction presque étranglé par l’émotion. Le rire du sbire de Dialga Primal résonna dans son dos, avec plus de force et d’intensité que jamais. Et cette fois, il sonnait… différemment. Beaucoup plus… cruel.


–       Ha ! Ha ! Ha ! Précisément !


Il ajouta, tandis que le Pokémon Plante le regardait, perdu.

–       Mon brave Massko, il s’agit bel et bien de Marie !


De nouveau, il se retourna vers elle, les lèvres entrouvertes, et complètement sonné. Il retint un mouvement de surprise en constatant qu’à présent, elle avait sa patte droite posée sur sa bouche et les oreilles tombantes. Son cœur se serra douloureusement en voyant ses yeux se remplir de larmes.


Non…


Cela ne se pouvait…


Et pourtant… Lorsqu’il cligna des yeux, la silhouette d’une humaine, sa meilleure amie, remplaçait celle de la Pikachu en face de lui. Il se rappelait encore parfaitement ses traits : celle d’une fille à peine entrée dans l’adolescence, au teint clair et aux vêtements casuels, qui maintenait toujours ses cheveux mordorés attachés en une queue-de-cheval à l’aide d’un ruban bleu, d’une teinte avoisinant justement celle de celui attaché à l’oreille de sa compagne de voyage de type Electrik. Oui, la coïncidence, non, la ressemblance était frappante.



Ils s’étaient arrêtés quelque part sur le bord d’une falaise. Lui s’était mis en tailleur tandis qu’elle laissait ses jambes pendre dans le vide, les agitant insouciamment. L’un comme l’autre gardaient les yeux rivés sur l’horizon, mais elle rompit le silence la première.


–       Dis, Massko, tu penses vraiment qu’un jour, on réussira à mettre un terme à la Paralysie de la Planète ?


Sans hésitation, il hocha la tête. Il n’avait aucun doute à ce sujet, et il ne pouvait pas se le permettre de toute manière. Ils n’en étaient qu’au début de leur voyage, alors peut-être que cette tâche pouvait leur paraître insurmontable, mais l’importance des enjeux ne leur permettait pas de reculer.


–       J’en suis certain. Avec le pouvoir stupéfiant que tu détiens et notre détermination, nous pourrons offrir à ce monde un futur meilleur.


Pour commencer, ils disposaient au moins d’un moyen de retourner dans le passé, grâce à Celebi. Et heureusement, sinon leur mission aurait été un échec avant d’avoir commencé.


Maintenant, il restait à localiser l’emplacement des Rouages. Ils en connaissaient déjà un, dans la Forêt Linceul, mais il y en avait encore quatre à découvrir, et le monde si étendu ne leur facilitait décidemment pas la tâche ; c’était comme chercher une aiguille dans une botte de foin, même quand votre partenaire possédait un don censé rendre cette quête plus aisée.


–       Je donnerais ma vie sans hésiter pour ne voir rien qu’une seule fois un lever de soleil. Ils dépeignent ça si joliment, dans les livres…

Il ne pouvait qu’abonder dans son sens. Parmi les livres qu’ils avaient lus dans le cadre de leurs recherches, certains dépeignaient ce monde d’autrefois rempli de couleurs et de vie, et il brûlait d’envie de le connaître, lui aussi, même juste un peu.


–       Tu en verras un, Marie. Je te le promets.


Il glissa sa patte dans sa main à elle, si chaude malgré la froideur de ce monde désolé et désertique. Elle se tourna vers lui en souriant et ils échangèrent un regard complice.

Ensemble, ils étaient inarrêtables.



Lorsque ses yeux se rouvrirent doucement, il retrouva face à lui la même Pikachu qu’il avait connu depuis leur première entrevue dans la Caverne Saline. Les larmes dévalaient sans s’arrêter sur sa peau, créant de brefs arcs électriques lorsqu’elles atteignaient ses joues rouges.


–       Autrefois, le Pokémon ici présent était un être humain !


Les propos de Noctunoir l’incitèrent à se retourner pour l’écouter, même s’il était toujours sous le coup de la sidération. Ce fourbe… disait peut-être bien la vérité, finalement, ce qui ne la rendait pas plus facile à admettre pour autant.


Et pourtant collait parfaitement, si l’on acceptait cette version des faits : pourquoi le duo s’était retrouvé emmené dans le passé, pourquoi on avait cherché à les éliminer, et tant d’autres choses encore.


–       Maître Dialga m’avait confié une mission… Je devais me débarrasser de vous deux, Massko et Marie. Parce que vous aviez fui dans le passé.


Ah, c’était bien connu que les dirigeants de ce monde n’appréciaient guère de voir leur ordre préétabli chamboulé. Évidemment que les deux résistants avaient quitté leur époque pour une autre plus ancienne, avec l’aide de Celebi : car il s’agissait de la seule solution, du seul moyen d’arranger la situation. Pourquoi personne ici ne comprenait-il donc cela ?!


–       Je me suis lancé à vos trousses à travers le temps. J’ai rassemblé dans le passé des indices susceptibles de m’aider à localiser.


Ce n’avait pas dû être facile, songea la créature de type Plante. Lui avait toujours fait attention à être particulièrement discret, et Marie… avait changé d’apparence, ce qui la rendait méconnaissable. Massko aussi avait essayé de glaner discrètement quelques informations sur une humaine qui aurait été aperçue dans ce monde. Il comprenait mieux pourquoi il n’avait rien trouvé alors, mais, sur le coup, il ne s’était pas inquiété. En cas de problème, lui et sa partenaire avaient convenu d’amasser chacun de leur côté les Rouages du Temps et de se retrouver à un point de rendez-vous tenu secret, près de la mer. Ils ignoraient l’un comme l’autre l’emplacement exact de la Tour du Temps, dans le passé, de toute façon, alors autant la chercher ensemble.


–       C’est alors que j’ai fait la connaissance de l’équipe Poképotes. Mais à ce moment-là, je ne me suis douté de rien…


Pas étonnant, pensa Massko, toujours abasourdi de n’avoir rien venir. Il cherchait une humaine, et il s’est retrouvé face à un Pokémon tout à fait normal physiquement, aucune raison de soupçonner sa véritable identité.

Le voleur d’artéfacts grimaça. Cette transformation aurait au moins dû la protéger, et au lieu de cela… Noctunoir avait quand même réussi à lui mettre la main dessus et à la ramener ici. Il s’en voulait terriblement de n’avoir rien pu faire. De n’avoir pas pu la protéger comme il aurait dû.


–       Lorsqu’ils ont évoqué le Cri Dimensionnel pour la première fois, j’étais sceptique… Mais ensuite une idée a pris forme dans mon esprit… Et…


Oh. Alors c’était de cette façon qu’il avait réalisé… Évidemment. Autant il existait une infinité de Pikachu, autant seule une pouvait détenir un don aussi rare et précieux que celui qui venait d’être évoqué. Alors comme ça, elle le possédait toujours, y compris sous une apparence et à une époque différentes…


–       Ainsi un ancien être humain… sans aucun souvenir… Un être humain doté du Cri Dimensionnel… Il n’en fallait pas plus pour me convaincre !


Et comme un idiot, Massko n’avait rien vu venir.


Si seulement il avait pu faire quelque chose… Si seulement il lui avait demandé son nom… Il aurait pu faire le rapprochement et éviter un tel drame.


–       Ainsi donc, Marie souffre d’amnésie… et a subi une transformation… en Pokémon… probablement à cause de votre voyage dans le temps.


Cela tenait debout, et répondait également à un certain nombre d’interrogations. Leur arrivée dans le passé avait été… mouvementée, pour ainsi dire. Même en se tenant fermement la main, quelque chose de pas naturel avait perturbé le voyage et ils s’étaient finalement perdus de vue. Lui avait atterri dans la Forêt de l’Est, et sa meilleure amie… autre part ailleurs, vraisemblablement, où elle avait fini par rencontrer Lily et mener une existence loin de tout souci… jusqu’à présent.


–       L’amnésie de Marie fut une aubaine pour moi ! Grâce à cela, ton inestimable partenaire ne m’a pas reconnu. Ce fut un jeu d’enfant de gagner sa confiance.


Effectivement, la gentillesse et cette faculté à se fier rapidement aux autres avaient toujours été des qualités inhérentes à la jeune fille. Même à l’époque où ils s’étaient connus tous les deux, elle avait su instantanément trouver les mots justes sans même les chercher, et ils avaient fait équipe depuis lors.


Profiter de la vulnérabilité des gens pour pouvoir mieux les exploiter et les briser ensuite. Du grand Noctunoir tout craché.


Celui-ci ricana, avant d’ajouter :


–       Et le moment venu, ce fut tout aussi aisé de l’entraîner avec son acolyte dans le futur !


Lily cria et pleura, abattue d’avoir pu être ainsi bernée par un être qu’elle avait autant admiré, mais la seule chose sur laquelle Massko pouvait se concentrer était ce que venait de lui raconter son ennemi juré. Il n’imaginait pas le choc que cela devait être pour sa camarade, derrière lui, quand lui-même encaissait si mal le coup. Sans compter la pauvre Evoli complètement étrangère à tout ça qui se retrouvait entraînée là-dedans de force… Il baissa piteusement la tête.


Tout était de sa faute. Et désormais, il était trop tard pour les pardons et les regrets.


–       Massko et Marie ! Étant donné que vous êtes ici tous les deux… finit par lancer Noctunoir, tout sera très bientôt terminé.


Qu’allait-il faire d’eux trois exactement, cela restait un mystère. Les enfermer, probablement, en attendant de soigneusement préparer la Cour des Condamnés pour leur exécution. Et cette fois-là, ils ne s’en sortiraient pas. Même lui, d’habitude si apte à mettre en sourdine ses sentiments, réprima difficilement les larmes qui lui piquaient les yeux.


Excusez-moi, Marie, Lily. Je n’ai pas été à la hauteur.


–       Voilà qui va enfin mettre un terme à la dernière lueur d’espoir à laquelle se raccroche désespérément Massko !


Si ce dernier avait tenu autant de temps, c’était effectivement grâce à sa merveilleuse partenaire, en qui il avait toujours placé tous ses espoirs et sa confiance. Sauf que maintenant…


… il n’y avait plus rien ni personne à quoi ou qui se raccrocher.


Le rire à faire froid dans le dos, si méprisable, de son vieil ennemi résonna dans l’air. Le dernier son qu’il entendit fut celui d’un claquement de doigts.


Puis, les Ténéfix leur sautèrent dessus et le noir devint total.



***



En revenant à elle, Lily ne s’attendait pas à se retrouver face à ses pires ennemis.


L’obscurité demeurait omniprésente, mais au moins, ses yeux s’y habituaient de mieux en mieux, au fur et à mesure du temps qu’elle passait dans ce monde, et cela la rassurait quelque peu. Sur quoi d’autre pouvait-elle s’appuyer, sinon ?!


Une autre remarque qui se fraya un chemin jusqu’à son esprit fut qu’elle se trouvait seule, et ce constat-là l’effraya particulièrement. Bien sûr, d’ordinaire, elle avait toujours été assez peureuse, mais depuis qu’elle connaissait Marie, et plus récemment Massko, son courage augmentait progressivement chaque jour. Sans eux à ses côtés, elle ignorait ce qu’elle allait devenir. Où… Où se trouvaient-ils, d’ailleurs ? Elle se souvenait de ses assaillants aux yeux en forme de diamant leur sautant dessus, puis on lui avait bandé les yeux et on l’avait traînée ici…


Bon, au moins, elle n’était pas encore morte. Toujours ça de pris.


–       Ah, bon retour parmi nous, ma chère Lily.


Ses poils se hérissèrent au son de cette voix horriblement, et elle retroussa ses babines.


–       Noctunoir ! Qu’est-ce que vous fabriquez ici ? Et où sont mes amis ?! grogna-t-elle.


L’équipe Crâne (une vieille équipe rivale de la leur et prête aux pires crasses, dans le passé) l’avait déjà dit, pourtant que son émotivité prenait trop le dessus ; cette fois encore, elle ne se contrôla pas et voulut se jeter férocement sur lui et sa troupe de Ténéfix qui l’accompagnait, mais quelque chose l’interrompit dans son élan. Elle laissa éclater un cri aigu de frustration lorsqu’elle tourna la tête et constata la chaîne en fer forgé attachée à ses pattes et qui la reliait à une sorte de poteau fabriqué dans le même matériau, un peu plus loin. Elle aurait dû se douter qu’ils avaient tout prévu.


–       Allons, allons. Inutile de s’emporter. Je souhaite simplement discuter.

–       Vous vous moquez de moi ?! s’emporta-t-elle, en tirant sans ménagement sur sa chaîne. Aux dernières nouvelles, vous vouliez nous éliminer, Marie Massko et moi !


C’est vrai, quoi ! songea-t-elle en fulminant et en insistant de plus belle sur ses liens. Depuis son arrivée à la Guilde de Grodoudou, il n’avait fait que jouer les parfaits hypocrites et tromper les autres en laissant croire qu’il était un grand explorateur ! Alors qu’il souhaitait juste laisser le monde s’asphyxier à petit feu ! Et maintenant, elle était censée manger des graines et boire du jus de baie comme s’ils étaient devenus les meilleurs amis du monde ? Mais quelle blague !


–       Tu te donnes beaucoup d’importance, alors que tu es un Pokémon si faible et trouillard. Je te rappelle que ce sont Marie et Massko qui m’intéressent, toi tu n’es ici que parce que tu te retrouves mêlée à cette histoire.


L’Evoli voulut répliquer, mais quelque chose au fond d’elle l’en empêcha. Elle cessa totalement de tirer sur ses chaînes.


La véracité de ces mots… la frappait de plein fouet.


Après tout, sa seule présence ici résultait de sa relation avec sa partenaire. De leur rencontre sur la plage, suivie de leur formation d’équipe de secours, suivie de leur deux expéditions (l’une toutes les deux et l’autre avec toute la guilde) suivie de l’arrivée de Noctunoir, jusqu’à la capture de Massko et leur arrivée dans ce monde… elles avaient tout traversé ensemble, sans exception. Et maintenant, tout s’écroulait. Rien ou presque de ce qu’elles n’avaient cru jusqu’alors n’était vrai, et désormais…


–       En toute honnêteté, je n’éprouve que du mépris pour les mécréants qui tentent de changer le cours de l’histoire. Mais j’estime que tu mérites aussi de savoir la vérité.

–       La… vérité ? répéta-t-elle, dubitative. Qu’est-ce qu’un menteur comme vous peut bien savoir de ce qui est vrai ou pas ?

Un profond soupir résonna dans la vaste salle – du moins supposa-t-elle qu’il s’agissait d’une salle car sa vision ne lui permettait guère de distinguer parfaitement les alentours –, avant que le Pokémon Spectre ne se décidât à finalement reprendre la parole.


–       Tu es toujours déterminée à empêcher la Paralysie de la Planète, je suppose ?

–       Évidemment ! Qui voudrait d’un univers aussi triste et désolé ?! Je me demande même comment Massko et Marie ont pu vivre aussi longtemps dans un tel endroit.


Pas de lumière, de vie, rien. Plus non plus de plaisirs aussi simples que celui de jouer dans les feuilles mortes ou sentir l’air sur sa peau. Elle n’avait jamais connu un univers pareil, et elle n’imaginait pas survivre là-dedans, alors que pourtant, d’après ce qu’elle avait compris, la Paralysie s’était déclenchée à leur époque. S’il suffisait juste de remettre des Rouages à leur emplacement, pourquoi Dialga Primal et les autres s’y opposaient-ils si fermement ? Noctunoir lui-même avait pu admirer la beauté du monde du passé. Cela n’avait aucun sens qu’il se battît pour un univers dominé par les ténèbres.


–       Ah, ces deux-là. C’est avec eux que tout a commencé, déclara Noctunoir en s’avançant.

–       Vous pourriez être plus clair ? demanda-t-elle en haussant les sourcils.

–       Ils utilisaient le Cri Dimensionnel de Marie pour localiser les Rouages du Temps à ton époque et pouvoir les ramener à leur place. Ce don stupéfiant nécessite la présence d’un partenaire Pokémon en qui avoir toute confiance, et ne s’active normalement qu’en touchant des objets en lien avec les Rouages.


Oh… Alors, cela expliquait pourquoi Marie n’avait rien ressenti en touchant l’eau figée de la cascade durant leur fuite pour retrouver Celebi, tout à l’heure. Par contre…


Un partenaire Pokémon en qui avoir toute confiance ? Le Cri ne s’était déclenché que très peu de temps après leur rencontre, et cela n’avait eu aucun lien avec les artéfacts temporels ; la nature du don avait dû être modifiée entre le futur et le passé. Cela voulait-il également dire – les joues de Lily rougirent – qu’elles s’étaient fiées l’une à l’autre aussi rapidement ? Voilà qui se révélait troublant… et déroutant.


–       J’imagine que Massko ne t’a rien dévoilé de la suite de ses projets ?


La suite de ses projets ? Lily pencha la tête d’un air perdu. Non, on ne pouvait pas dire que leur coéquipier eût été spécialement bavard avec eux. Il s’évertuait à récupérer les artéfacts pour sauver la planète, car le problème provenait du passé. Mais cela dit, elle ignorait ce qu’il comptait faire ensuite. Les rapporter dans la Tour du Temps, selon ses propres termes, mais il ne savait pas où elle se trouvait, et Marie non plus. Tout ce qui comptait, pour lui, se rapportait à sa mission ; pour le reste, la bavardise ne l’étouffait pas, mais ce devait être là le prix à payer après tant d’années vécues dans un futur paralysé.


Peu importait à quel point ses défauts et ses qualités transparaissaient. Tout ce que l’apprentie de la guilde voyait en ce moment, c’était qu’il voulait sauver la planète quand le scélérat en face d’elle comptait laisser celle-ci dépérir, sans même lever le petit doigt. Elle serra rageusement les dents.


–       Lui, au moins est honnête depuis le début, pas comme vous !

–       Oh, vraiment ? s’enquit Noctunoir d’un air amusé. Ma chère Lily, je pense au contraire qu’il s’est particulièrement joué de toi en omettant volontairement de te parler d’un détail crucial.

–       Que… Quoi ? Qu’est-ce que… ?


Son manque de jugeote sembla clairement épuiser Noctunoir, qui se rapprocha d’elle, avant de secouer la tête d’un air désabusé.


–       Voyons Lily, réfléchis. Si vous parvenez à remettre les Rouages à leur place dans la Tour du Temps, vous modifierez par conséquent le cours des événements. Qu’arrivera-t-il aux Pokémon de ce monde-ci ?


Cette question, l’Evoli ne s’y était pas attendue. Qu’allait-il arriver à ce monde, hein ? Cela ne lui avait même pas effleuré l’esprit. Elle s’était contentée d’affronter ceux croisés dans les donjons, mais à part ça…


Ses oreilles s’agitèrent quelque peu tandis qu’elle organisait ses pensées. Qui aurait cru que sauver le monde impliquait autant de réflexion ?


–       J’imagine que s’il n’y a plus de Paralysie, un nouvel univers remplacera celui-ci. Ce qui voudrait dire… que les habitants de ce monde-ci cesseraient probablement d’exister, devina-t-elle, le cœur lourd.

–       Tout à fait, approuva Noctunoir. Et peux-tu me rappeler qui vient du futur ?


Les yeux du Pokémon s’écarquillèrent sous la stupeur.


Marie.


–       Non… ! souffla-t-elle.


Tout à coup, voilà que sa respiration devenait courte et que la nausée lui soulevait le cœur.


Le bras droit de Dialga Primal afficha un sourire satisfait et hocha la tête.


–       Exactement. Si tu sauves la planète, tu perdras ta meilleure amie. Mais cela, ce brave Massko ne te l’avait pas dit, je me trompe ?


Le violent choc força Lily à s’asseoir sur son arrière-train, les oreilles tombantes, sans même prêter attention au sol en pierre froid qui entra alors en contact avec sa peau, et elle resta ainsi, dans cette position, de longues secondes durant. Sa gorge devenait sèche et le moindre mouvement menaçait de la faire s’évanouir.


Marie…


Marie allait vraiment disparaître… ?


Et Massko le savait depuis le début… ?!


–       Il… Il n’en a juste pas eu le temps ! protesta-t-elle faiblement, sans oser croiser le regard de son interlocuteur. Il ignorait même que Marie se trouvait avec lui jusqu’à récemment… !


Vaguement, elle l’aperçut pencher la tête sur le côté et ouvrir quelque peu les bras, comme s’il avait pitié d’elle.


–       Penses-tu que cela aurait changé quoi que ce soit ? Tu as remarqué les yeux avec lesquels il l’a contemplée lorsqu’il a découvert son identité ? Ils se connaissent depuis des années, et tu crois qu’il va tranquillement te laisser ta partenaire, alors qu’il vient de la retrouver ?


Il lui tourna le dos, avant d’ajouter :


–       Tu ne vaux rien, face à leur amitié.


Le teint de Lily devint livide, alors qu’elle tentait difficilement de maîtriser les sanglots qui secouaient son corps. Ces mots lui brisaient le cœur en mille morceaux et il lui sembla qu’on transperçait sa chair avec des lames glacées à la pointe acérée.


« Tu ne vaux rien, face à leur amitié. »


Les larmes montèrent, de brefs picotements d’abord, puis une intense sensation de brûlure gagna ses yeux. Elle ne retint plus ses sanglots et laissa les pleurs secouer son corps, sans chercher à les arrêter.


En effet, qui croyait-elle être, exactement, pour intervenir là où on ne la désirait pas ? Parce qu’elle avait rencontré une Pikachu, un jour, elle se croyait légitime à la garder exclusivement pour elle et à exiger que personne d’autre ne l’approchât ? Elle croyait pouvoir lutter contre un Pokémon qui la connaissait depuis nettement plus de temps qu’elle ?


Bien sûr que non.


« Tu ne vaux rien. »


Seulement… Après tout ce qu’elles avaient vécu… Elle devait juste… accepter… ? Accepter que quelqu’un qui ne s’était jamais manifesté ni inquiété pour sa soi-disant meilleure amie réapparaisse soudainement et la récupère juste parce qu’il avait eu le privilège de la connaître avant ?


Non seulement ça, mais il comptait mener purement Marie et tous les autres Pokémons à leur disparition sans être tracassé le moins du monde ? Peut-être que lui s’était préparé à cette éventualité, mais, et les autres ?! Leur opinion comptait-elle seulement pour lui ?!


« Tu ne… »


–       Allons, inutile de te mettre dans de tels états, ma jeune amie, la consola Noctunoir en se retournant vers elle. J’ai une proposition qui pourrait t’intéresser.

–       Je ne suis pas votre amie, renifla Lily en passant une patte sous ses yeux pour essuyer au mieux – mais sans succès – ses larmes qui coulaient. Et… c’est quoi, cette « proposition », au juste ?

–       Rien de moins que… te renvoyer dans le passé.


Cette réponse lui fit relever la tête si vite qu’elle manqua d’en avoir mal au cou. Elle planta ses yeux dans les siens, sidérés.


–       Quoi ?! Vous plaisantez ?!

–       Pense-y. Tu retrouveras Marie et tu pourras tout recommencer avec elle comme si rien ne s’était jamais passé. Tu pourras l’avoir rien que pour toi sans que Massko ne traîne dans tes pattes et ne représente une menace pour votre amitié. Ce n’est pas ce que tu veux ?


La promesse s’avérait alléchante, effectivement. Tout recommencer à zéro, qui n’en avait jamais rêvé ?


Elle pourrait retrouver Marie – car il n’y avait aucune chance qu’elle la revît ici, dans le futur – et reprendre une existence normale avec elle. Reformer son équipe d’exploration et partir avec son amie et même toute la Guilde de Grodoudou pour de nouvelles aventures. Retourner savourer des jus au Café Spinda. Les tenir tous éloignés de Massko et de cette maudite histoire de planète paralysée alors que personne n’avait rien demandé. Oui, plus elle y réfléchissait…


… plus les possibilités devenaient illimitées.


–       Ma seule condition est que tu ne touches pas aux Rouages du Temps.

–       Mais ma partenaire… est venue spécialement du futur pour offrir un avenir meilleur à notre monde. Je ne peux pas la trahir…

–       Elle est amnésique et ne se souvient de rien. Tu auras juste à prendre garde à ce que son pouvoir ne se déclenche pas à ton contact, c’est tout, balaya Noctunoir d’un revers de main, exaspéré par son indécision.


Le Cri Dimensionnel… Dans le futur, il ne se déclenchait que dans des endroits en lien avec les Rouages du Temps, mais dans le passé, vraisemblablement sa nature avait évolué. Même si Marie n’avait pas de visions à chaque fois qu’elle touchait quelque chose ou quelqu’un, Lily allait devoir se résoudre à éviter d’entrer en contact avec elle au maximum, si elle comptait accepter l’arrangement de Noctunoir.


Et l’était-elle vraiment… ?


–       C’est soit le futur du monde, soit la vie de Marie, lui rappela Noctunoir. À toi de voir.


Soit je sauve le monde de la Paralysie et Marie disparaît alors que je viens de la rencontrer, soit j’accepte de voir mon monde plongé dans l’ombre, mais elle vit. Et si je refuse la proposition qui m’a été faite, je serai très certainement éliminée sur le champ.


C’est si injuste.


Massko, si imperméable aux émotions des autres et qui ne s’attache jamais à personne, a pu profiter de son amitié avec Marie pendant des années. Moi, je ne l’ai connue que quelques mois, et je dois déjà me séparer d’elle parce que c’est nous qui devons sauver le monde ? Et qu’elle doit disparaître pour ça ?!


Pourquoi moi, je n’ai pas eu cette toute petite chance… ?!


Je ne veux pas qu’on me l’enlève… ! On avait encore tellement de choses à vivre ensemble… ! On a… On a la vie devant nous… ! Je ne veux pas la perdre à cause de Massko ou de cette histoire de Paralysie de Planète qu’il faut empêcher ! À quoi bon vivre dans un monde sauvé si elle n’est pas là avec moi ?


Je voudrais simplement…


… que tout redevienne comme avant.


Je n’ai jamais…


… souhaité être mêlée à toute cette histoire.


–       Celebi refusera d’ouvrir le Couloir du Temps de toute façon, osa Lily, comme dans une dernière tentative pour ne pas accepter cette proposition terrible.

–       Qui a dit que nous avions besoin d’elle ? Les pouvoirs de Maître Dialga sont amplement suffisants pour cela. Il pourra même te synchroniser avec la toi du passé. Tu n’as qu’à demander, et tout sera réglé. Ou bien la vie de ton amie n’a aucune valeur pour toi ?


Cette fois, Lily craqua et s’effondra ; la crise de larmes qui s’ensuivit devint presque incontrôlable. Ce n’est que parce que le Pokémon Spectre avait une bonne ouïe qu’il pût distinguer les mots qu’elle prononça ensuite.


–       J’accepte… Dites à Dialga Primal que je suis prête… Je vous en supplie… !

Noctunoir afficha un sourire triomphal. Son dirigeant allait être ravi.


***

 

Un soleil couchant se profilait sur l’horizon lorsque Marie ouvrit les yeux. La brise effleurait sa peau d’une manière particulièrement agréable.


Quelqu’un… l’appelait. Avec une voix très inquiète, manifestement.


–       Oh, tu reviens à toi… !


L’odeur de la mer lui emplit les narines tandis qu’elle tâchait de se mettre difficilement debout sur ses jambes. Le bruit des vagues venant s’échouer sur le rivage dans un rythme régulier firent s’agiter ses oreilles. L’inconnue qui l’avait interpellée recula de quelques pas, sûrement pour lui laisser le temps de reprendre ses esprits.


La première chose qu’elle remarqua en observant les alentours fut qu’elle se trouvait sur une plage. Des Krabby formaient des bulles avec leurs pinces, frappées par les rayons de l’astre solaire tandis qu’elles dérivaient lentement vers le large. Des Bepikan, aux grandes ailes blanches et au bec doré, tournoyaient de temps à autre dans le ciel en poussant des cris aigus. Elle fronça les sourcils.


Mais où…où suis-je ?


Devant elle se trouvait une Evoli, avec une drôle de pierre autour du cou, qui la regardait avec des yeux remplis de larmes. Elle devait probablement se promener ici et avait remarqué quelqu’un d’évanoui sur le sable.

Pour autant… Était-ce juste une impression ou ce Pokémon faisait-il preuve de beaucoup d’émotivité, pour une personne qu’il venait à peine de rencontrer ?


–       C’est… C’est bien toi… !


Son petit corps si fragile commença à trembler violemment, si bien que Marie eut l’impression que la fille allait avoir un malaise. Elle-même ressentait encore de violents maux de tête, elle n’était pas sûre de pouvoir aider cette inconnue si celle-ci venait à ne pas se sentir bien.


–       Excuse-moi, mais est-ce qu’on se connaît… ?

–       Oh, eh bien… euh, non, pas encore du moins, ah ah. Je m’appelle Lily, et je t’ai trouvée inconsciente sur cette plage. Tu te rappelles de quelque chose ?


… Maintenant qu’elle le demande… Non, je ne me souviens de rien. Pas le moindre fragment, c’était une amnésie totale. Tout ce qui lui revenait se résumait à deux choses, mais à part cela, elle ignorait tout de sa condition, malheureusement. Son âge, sa famille, tout avait été effacé.


–       Je suis une humaine, et je m’appelle Marie, expliqua-t-elle. C’est tout, je suis désolée…


Bizarrement l’Evoli ne parut pas être plus inquiète et choquée que cela. Au contraire, elle poussa un profond soupir de soulagement, comme si elle avait craint quelque chose qui, au final, ne s’était pas produit. En fait, elle rayonnait de bonheur depuis leur rencontre, mais peut-être était-ce juste dans sa nature, après tout.


–       Je crois que je dois te prévenir… déclara-t-elle en penchant la tête sur le côté, souriante. Tu es devenue une Pikachu.


Pardon ?!


Non, ce n’était pas possible. Elle se rappelait clairement avoir été une humaine, autrefois…


Commençant à se retourner pour s’observer attentivement sous tous les angles, elle remarqua qu’effectivement, elle n’avait rien conservé de son apparence précédente. Lily ne lui avait donc pas menti, elle s’était transformée en Pokémon. Et dans un monde qu’elle ne connaissait absolument pas, elle ignorait ce qu’elle allait bien pouvoir devenir. Retrouver son identité s’avérait primordial, mais elle doutait que cela lui revînt du jour au lendemain. Si seulement elle avait au moins une marche à suivre, n’importe quoi…


L’Evoli en face d’elle, qui n’avait pas bougé, agita joyeusement sa queue touffue. Quelques larmes de joie prisonnières de sa fourrure brillaient encore, sous les rayons du soleil.


–       Je sens qu’on va très bien s’entendre, Marie. Excuse-moi si je te prends un peu de court, mais… ça te dirait de former une équipe d’exploration, avec moi ?


Eh bien… ! Elle n’a pas froid aux yeux ! songea Marie en reculant. Je viens à peine de me réveiller et elle cherche déjà à me recruter pour créer une équipe avec elle ?


En même temps… C’était toujours mieux que de n’avoir nulle part où aller ni d’endroit où dormir. Quels risques y avait-il tant à créer un groupe de sauvetage avec quelqu’un qui semblait réellement se préoccuper d’elle ? Un doux sourire illumina son visage et elle hocha la tête.


Certaines propositions ne se refusent pas, après tout.

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