Bibou & friends (recueil de one-shot)

Chapitre 1 : Une araignée au plafond

Chapitre final

8435 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/05/2022 15:05

Défi : "Retour en enfance" (mai/juin 2022)

Niveau 1 : le retour en enfance - la madeleine de Proust (avec des poils)

Niveau 2 : adaptation du registre du langage et je mâche mes mots !

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Synopsis : Un cri strident retentit dans le gymnase de l’université de Safrania, des pom-pom-girls s’enfuient en courant, c’est la panique : il y aurait un monstre hideux dans les vestiaires... Cette étrange histoire résonne comme un air de déjà vu pour Kurt en train de végéter dans les gradins.

 

« C’est pour toi que je souris, pour que toi tu n’aies pas peur ! » - Ginger

 

Une araignée au plafond

 

« T’attends quoi pour faire ta passe abruti ! »

Le rugissement de Hulk, plus proche d’un aboiement de grahyena que d’un cri humain, traversa le terrain pour stresser encore un peu plus ses joueurs.

Victor avait la balle en mains, il faisait équipe avec Maxime et Thomas. En face d’eux, Judith et Izzy défendaient le but avec leurs pokémon. Hulk avait laissé son hariyama seul dans la cage et lui, le capitaine des Draco de Safrania, se tenait sur la touche les bras croisés, il toisait son équipe en les inondant régulièrement de volées d’insultes et de quolibets.

Victor était comme paralysé, Max s’approcha de lui pour ne pas avoir à parler trop fort.

« Reste concentré.

- Facile à dire… » Marmonna Victor.

Il préféra faire la passe à son cadoizo plutôt qu’à un de ses coéquipiers humains. L’oiseau de glace se dandina avec la balle pour trouver une ouverture. Ceux de son espèce n’étaient pas connus pour être très rapides, mais lui faisait figure d’exception. Le tarpaud de Judith tenta de le bloquer pour que le noctali d’Izzy puisse lui dérober la balle et Cadoizo fut contraint de la lancer vers Spectrum.

« Sans déconner vous pouvez pas garder la balle plus de trois secondes ?!? » Beugla Hulk.

 

Dans les gradins presque vides, Kurt regardait d’un œil morne l’entrainement de l’équipe universitaire de pawball. Il mit sa main enveloppée dans sa manche de pull orange devant sa bouche pour cacher son bâillement de lassitude. Il était venu pour les pom-pom-girls à la base, enfin pour une en particulier, mais leur entrainement était déjà fini. En tout et pour tout à la fac, il n’avait que deux relations : l’une était dans les vestiaires en train de se changer, l’autre courait aux côtés de son noctali dans un maillot bleu portant le numéro dix-huit.

Kurt suivit le mouvement d’Izzy. Le dos vouté et les cervicales fatiguées, il massa sa nuque en glissant ses doigts entre sa peau et sa tignasse brune, épaisse comme le pelage d’un évoli. Il n’en était pas au stade de Maxime et de son rideau de cheveux recouvrant l’intégralité de son visage, mais il les laissait suffisamment pousser pour cacher le côté de ses joues.

Ça y est : son camarade venait d’intercepter la balle grâce à son noctali. Victor et Thomas se faisaient encore enguirlander par leur capitaine, quand soudain un cri strident fit sursauter Kurt et immobilisa tous les joueurs sur le terrain. La balle passa à travers le corps fantomatique de spectrum, tout aussi surpris que ses partenaires de jeu, pour rebondir mollement dans un angle du terrain.

« Qu’est-ce que c’était ?

- Qui a crié ? » S’interrogeaient Judith et Izzy.

Une meute de jeunes femmes dénudées jaillit par la porte des vestiaires, certaines tenaient contre elles un vêtement propre qu’elles n’avaient pas eu le temps d’enfiler. Maxime souleva d’une main son rideau de cheveux qui pendait devant ses yeux pour mieux apprécier le spectacle de ce défilé improvisé de lingerie.

Un amusement lubrique remplaça rapidement l’anxiété dans l’esprit de certains, des sifflements grivois s’élevaient en écho dans le gymnase, mais même avec son sourire salace jusqu’aux oreilles, Izzy ne put se débarrasser totalement de son inquiétude, quelque chose les avait visiblement effrayées. Il s’approcha des filles, talonné par son noctali et ses coéquipiers, plus voyeurs que sauveurs. Seuls Judith et Kurt semblaient prendre l’affaire véritablement au sérieux.

Kurt enjamba maladroitement la balustrade des gradins pour rejoindre son ami au pas de course. Une bouffée d’angoisse l’animait, car dans les vestiaires des filles il y avait…

« Ginger ! » Hurla Vanessa, la cheffe des cheerleaders.

Enveloppée dans une serviette humide, Vanessa était sortie en même temps que ses collègues hystériques, portée par le mouvement de panique. Elle semblait plus en colère qu’autre chose. Hulk la reluqua de la tête aux pieds.

« Alors ça c’est un spectacle band…

- Arrêtez les gars, ce n’est pas normal qu’elles hurlent comme ça, l’interrompit Max en se forçant à détacher ses yeux d’une paire de reins emballée dans de la dentelle rose.

- Iiiih ! Quelle horreur !

- Que se passe-t-il ? Demanda Judith.

- Un monstre ! Il est gigantesque !

- Et répugnant ! Tout rouge avec des yeux énormes !

- Il a des pattes griffues sur les côtés ! Gyaaarg !

- C’était immonde ! »

Kurt arriva auprès du groupe, il relâcha ses épaules en entendant la description des filles en larmes. Fausse alerte.

« Je vais voir ! » Annonça Izzy.

Kurt leva le bras pour le retenir, mais il manquait d’entrain.

« Non Iz… »

Le jeune homme avait déjà filé dans les vestiaires. Kurt soupira, mais il ne put s’empêcher de sourire. Tout cela lui rappelait de souvenirs.

 

ooOooOoo

 

« C’est une mauvaise idée Gé… »

Le petit Kurt regardait la fillette blonde pousser avec entrain une chaise en bois au milieu du couloir. Elle était coiffée de deux couettes énormes. Ses yeux verts étincelaient de malice et de curiosité alors qu’elle fixait la trappe au plafond.

« Ça existe pas les mauvaises idées Kurtichou. Aide-moi. »

Il leur arrivait souvent de jouer aux explorateurs et cette trappe les obsédait depuis longtemps… Or, cela faisait quelques semaines que des sons inhabituels provenaient du plafond et des conduits de ventilation. Kurt avait parfois l’impression qu’on grattait derrière le mur de la cuisine ou qu’un truc vivait dans les tuyaux. C’était effrayant, il n’en dormait plus la nuit. Ginger était persuadée qu’ils trouveraient le ou les fautifs derrière cette mystérieuse trappe.

Kurt déglutit avec difficulté avant d’obtempérer et de monter sur la chaise. La fillette grimpa à son tour et, avec l’agilité d’un ouisticram, elle lui escalada le dos pour se hisser en équilibre sur ses épaules. Kurt se souvenait qu’elle lui faisait mal aux clavicules, pourtant elle était très fluette à l’époque et elle ne devait pas mesurer plus d’un mètre vingt, elle était déjà plus petite que la moyenne des filles de son âge.

« Si ça existe. La preuve : ça s’en est une, grimaça le garçon sous la douleur. Et s’il y avait un monstre là-haut ? Ou un fantôme ?

- Justement ! T’as envie de dormir avec un monstre au-dessus de ta tête ?

- Y a déjà un monstre au-dessus de ma tête là…

- T’es méchant ! »

Kurt se mit à rire nerveusement. La blague lui était venue toute seule, mais il restait mort de peur et de fatigue. Il avait à peine fermé l’œil la nuit précédente à cause des bruits inquiétants. Ginger tapotait sur la trappe du bout des doigts, elle cherchait comment l’ouvrir. Elle finit par trouver : ce n’était qu’une simple dalle de contreplaqué à soulever et à repousser sur le côté.

« Gagnée ! J’t’avais dit qu’on réussirait à l’ouvrir ! »

Ginger attrapa le bord de l’ouverture et se hissa à l’intérieur avec une habileté déconcertante pour Kurt. Il avait beau la savoir vive et impétueuse, la voir se déplacer avec plus de souplesse et de dextérité qu’un capumain le surprenait toujours.

Enfin libéré de son poids, le petit garçon sortit de sa poche une lampe torche jaune et rouge décorée d’un posipi et la confia à Ginger, elle l’alluma aussitôt.

 « Waouh ! C’est super grand !

- Fais attention, tu sais pas ce qu’il y a là-dedans…

- Aller viens ! »

Elle lui tendit la main depuis l’ouverture. Kurt devinait qu’elle ne serait jamais assez costaude pour l’aider à monter, alors il fut obligé de sauter. Il manquait d’adresse par rapport à elle, il se rattrapa au rebord en s’aplatissant comme un limonde. Par réflexe, il finit par lui prendre la main. Ginger l’empoigna par le vêtement et le tira dans la poussière avec elle. Kurt s’allongea sur le dos pour reprendre son souffle et sortit une deuxième lampe pour observer les lieux dans le halo faiblard.

L’espace était immense et immensément sombre, il devait s’étendre sur tout l’étage ou presque. La seule source de lumière provenait de la trappe ouverte sous leurs pieds. Il était aussi très bas de plafond, mais pour deux enfants de leur âge cela ne posait pas de problème. Il ne s’agissait pas vraiment d’un grenier, plutôt de combles perdus.

Ce visuel ne laissait à Kurt qu’une impression sinistre. Son cœur effrayé battait la chamade et il était abasourdi devant la détente de Ginger, greffée de son large sourire qui ne s’effaçait jamais.

« Comment tu fais pour être aussi tranquille ? T’as pas peur ?

- Si ! J’ai les méga chocottes ! Chantonna Ginger sans se départir de son sourire angélique.

- Pourquoi tu souris alors si t’as la trouille ?

- C’est pour toi que je souris, pour que toi tu n’aies pas peur ! »

Elle s’enfonça rapidement dans l’obscurité en sautillant et en regardant tout autour d’eux. Il n’y avait rien d’autres que des cartons vides et des sacs de ciment éventrés datant sans doute de la construction du bâtiment. Les deux petits faisceaux de lumière de leurs lampes éclairaient à peine leurs pas.

« A… Attends ! » Balbutia Kurt.

Il s’emmêla les pieds dans une chose invisible et trébucha.

BOUM !

« Aïe !

- Kurt ? T’es tombé ? T’as mal ? »

Le rayon de la lampe posipi chercha le visage de Kurt dans la pénombre. Lorsqu’elle l’eut trouvé, Ginger s’accroupie devant lui pour l’aider à se relever.

« Non… Non j’crois pas. »

Rassurée, Ginger repartit aussitôt dans son exploration, mais Kurt observa le sol à la recherche de ce qui l’avait fait tomber. Il éclaira des fils blancs et visqueux amoncelés en boudins à ses pieds.

« C’est quoi c’truc dégueu ? »

Il grimaça sans oser y toucher, puis il secoua la tête en réalisant que Ginger était en train de s’éloigner de lui.

« Ginger ? Eh Ginger attends !

- Tu traines Kurtichou !

- Va pas trop vite, sinon tu vas t’faire mal !

- Ih ih, c’est toi qui viens de tomber ! Ih ih ! »

Le rire espiègle de Ginger résonnait dans les ténèbres du vide. Ses cheveux et sa jupe jaunes se distinguaient vaguement dans l’obscurité uniquement percée par la lueur de leur paire de lampes.

Kurt marcha à nouveau dans des filaments gluants, il y en avait de plus en plus. Il balaya le sol avec sa dynamo, mais l’ampoule faiblissait à vue d’œil.

« Rah zut… »

Kurt remonta la manivelle pendant une trentaine de secondes qui lui parurent des heures. Le son aigu qu’elle produisait était autrement plus sonore que la voix légère des deux enfants. Un « glong », suivi d’une série de grattements suspects l’interrompirent dans sa manipulation. Un frisson glacé traversa l’échine de Kurt.

« Ginger ? Ginger t’es où ? Réponds-moi Gé ! »

Il n’obtint aucune réponse et sa lampe s’éteignit à nouveau. Il avait peur, peur d’être tout seul, mais aussi peur qu’il soit arrivé malheur à Ginger, qu’elle ait trébuchée ou qu’elle se soit cognée quelque part. Kurt tourna encore à toute vitesse la manivelle de sa dynamo et la lumière resta allumée quelques secondes. Il orienta sa torche électrique devant lui et leva lentement les yeux. Une grosse bête verte, plus longue que son torse d’enfant, avec six pattes velues et des yeux noirs brillants comme des perles maléfiques, était pendue à la verticale. Un filet blanchâtre dégoulinait de sa gueule.

CCcrrrrrccccllll…

« Aaaaaaaah ! »

Le cri de Kurt se répercuta en écho sur les parois de bois et de béton. Le petit garçon tomba en arrière, sous le choc il avait lâché sa lampe qui continuait d’éclairer vaguement la silhouette du monstre en train de baver ses sécrétions. Kurt commença à reculer en rampant sur les fesses quand il entendit l’éclat de voix de Ginger.

« Kurt ! T’es où ?!? »

Il l’entendait courir dans sa direction et vit la lumière de sa lampe se rapprocher.

« T’approche pas ! »

 

ooOooOoo

 

Izzy déboula dans le vestiaire déserté dans l’intention d’aller chercher Ginger, mais à peine passé la grande porte, il se heurta à quelque chose de large lui bloquant le passage. Il tomba brutalement en arrière. Lorsqu’il rouvrit les yeux, il se rendit compte qu’il était en face d’une énorme créature pourpre et noire, dotée de quatre longues pattes poilues mauve et jaune et de deux appendices assortis. Ses immenses mandibules baveuses, semblables à des crocs saillants, frétillaient. L’imposante bestiole avança sa tête affreuse et la pointe de sa corne venimeuse était désormais à quelques millimètres du visage d’Izzy.

Izzy avait beau être courageux de nature, il ne s’attendait pas à cette vision rebutante et menaçante. Il rampa rapidement en arrière tout en s’égosillant.

« Aaah ! »

Avant même que sa stupeur ne s’évanouisse totalement, il reconnut aisément un migalos, une espèce de pokémon poison-insecte de forme arachnéenne. Sa taille néanmoins était disproportionnée, il n’avait jamais vu un aussi gros spécimen. Le migalos géant le scrutait intensément, au point de le mettre mal à l’aise. Le dresseur lança un regard en biais au noctali à ses côtés. Le canidé faisait face à l’araignée, les membres légèrement fléchis, mais il ne grognait pas et il n’était pas en position d’attaque. Lui ne ressentait visiblement aucune hostilité dans l’attitude du monstre bariolé. Une voix féminine très aigue sortit Izzy de sa torpeur.

« Bah alors mon Bibou, t’es encore sorti de ta pokéball coquinou ! »

Derrière l’abdomen proéminent du migalos, Izzy aperçut une toison blonde platine implantée n’importe comment et ébouriffée. Même sans cette caractéristique reconnaissable entre mille, Izzy avait déjà identifié la nouvelle venue. C’est elle qu’il cherchait et sa voix restait atypique : c’était une voix de fillette puérile dans un corps de jeune femme pourtant très voluptueux.

Ginger apparut complètement devant Izzy. Comme Vanessa et une partie de ses camarades, elle sortait de la douche et était encore enroulée dans sa serviette de bain.

« Bi… Bibou ? Répéta incongru le jeune sportif toujours affalé par terre.

- Bah Izzy, qu’est-ce que tu fais dans les vestiaires des filles ?

- J’étais inquiet. Ton euh… Bibou a fait peur aux autres. »

Ginger s’approcha du migalos et lui caressa gentiment le dos. Ce n’était pas évident à percevoir sur ce corps entomologique, mais Izzy avait l’impression que l’arachnide était plus paisible qu’à son arrivée dans le vestiaire.

« Mon Bibou d’amour est le plus gentil des pokémon, il ne faut pas avoir peur comme ça !

- Ça arrive souvent que ton migalos sorte comme ça sans raison ?

- Non, quelques fois c’est tout. J’crois qu’il n’aime pas sentir que je suis loin de lui, alors quand je ne suis pas là il sort pour me chercher. »

Izzy regardait alternativement le migalos et son amie en train de se mettre à glousser. Ginger ne mesurait qu’un mètre cinquante-cinq, sans compter les quelques centimètres de plus que lui offrait sa tignasse dressée, et son pokémon était aussi grand qu’elle. Le rire de Ginger s’intensifia devant la mine perturbée du jeune homme.

« Ih ih ih…

- Qu’est-ce qui te fait rire ?

- Ih ih… Ta tête ! On dirait Kurtichou la première fois qu’il a vu Bibou ! »

 

ooOooOoo

 

« T’approche pas !

- Quoi ? »

Ginger n’écoutait pas, elle avait accouru aussitôt après le cri de Kurt.

« Ne t’approche pas il y a un… »

CCcrrrrrccccllll…

Un bruit indéfinissable et écœurant s’éleva de l’obscurité. Kurt cria à nouveau de terreur. Le petit garçon recula encore en cherchant à tâtons d’une main tremblante son unique pokéball dans sa poche. Intriguée, Ginger s’approcha jusqu’à entrer dans la lumière de la lampe torche de Kurt tombée au sol. Le pokémon qui avait senti ou entendu la fillette arriver tourna sur son fil pour la regarder. Ginger se retrouva nez à nez avec le gros mimigal accroché au plafond.

« Attention ! »

Dans un élan de courage et d’énergie, Kurt se releva pour bondir sur Ginger avant que le mimigal ne la touche, mais il n’en n’eut pas le temps, car elle avait déjà attrapé le pokémon et le tenait au-dessus de son visage gai et enjoué.

« Il est trop mimi !!! »

Perturbé dans son mouvement, Kurt trébucha et retomba à plat ventre contre le sol. Il releva lentement la tête avec un rictus hébété.

« Hein ?

- Bouyouh bouyouh, mimimimi ouh tu es tout joli-bibi ! »

Le mimigal produisait avec sa bouche enserrée de pinces des bruits répugnants à connotation humide, mais Ginger s’en fichait. Elle rayonnait en admirant la créature verte et duveteuse. Pour un mimigal, c’était un beau spécimen, plus gros que la normal et avec des couleurs beaucoup plus vives. Le pokémon dévisageait la fillette avec ses yeux étranges sans facette, mais il ne semblait pas du tout avoir envie de l’attaquer. Ginger sourit encore plus et le serra contre elle avec beaucoup d’affection en continuant ses onomatopées.

« Bouyouh bouyouh bouyouh, il est beau comme tout le bibou ! T’es un trop trop joli pokémon ! »

Kurt venait de se relever en se frottant un peu les genoux.

« Regarde Kurtichou ! Tu trouves pas qu’il est mimi tout plein ce mimigalou ?

Ginger brandit le pokémon qu’elle tenait à bout de bras devant Kurt, il eut un haut le cœur et recula d’un pas. Vu de près il était vraiment ignoble, avec ses globes oculaires vitreux, ses mandibules dégoulinantes de sécrétions et son corps velu aux couleurs criardes.

« Mimi ? Tu trouves ce… Ce monstre mimi ?

- Un monstre ? Roh non ! Il est beau comme tout ! Regarde ces couleurs ! Elles sont trop trop belles ! Hein petit Bibou jolinou ? »

Kurt ramassa sa lampe pendant que Ginger cajolait mimigal. L’araignée était assortie à Ginger : tous ses vêtements étaient jaunes et verts vifs, comme la décoration de sa chambre d’enfant, alors mimigal était bien dans le ton, mais de l’avis de Kurt il restait terriblement laid.

La scène était touchante d’une certaine façon ; Ginger serrait contre elle l’arachnide avec son sourire radieux et il paraissait heureux d’être câliné de la sorte, cependant il demeurait un pokémon sauvage, de type insecte-poison de surcroit, une combinaison hautement létale de ce qu’en savait Kurt.

« Fais gaffe, c’est un pokémon poison, c’est dangereux et tu sais pas d’où il sort.

- Moh il n’a pas l’air méchant ! Un tout p’tit pokémon comme lui me fera pas de mal, pas vrai mon gentil Bibou ?

- Gé, lâche-le. Il est horrible et venimeux.

- Non ! »

Cette fois Ginger perdit son sourire. Elle tira la langue à Kurt et resserra plus fermement son étreinte sur le mimigal qui remuait ses six pattes crochues.

« Il est très gentil ! Toi tu l’aimes pas juste parce que c’est un pokémon insecte, mais tu vois bien qu’il est tout calme ! Et il est tout seul ici le pauvre… Abandonné... Moi je suis sûre qu’il veut juste être mon ami !

- Comment tu le sais ?

- Je l’sais c’est tout ! Je vais le ramener en bas et le garder avec moi ! Je vais l’appeler Bibou ! Ça t’plaît comme nom Bibou ? »

Brusquement, le pokémon s’agita davantage, Ginger crut tout d’abord qu’il était content qu’elle lui parle, mais son instinct lui disait qu’il avait plutôt l’air paniqué. Trop occupés à discuter du sort de Bibou, Kurt et Ginger aperçurent trop tard dans la pénombre la liane verdâtre en train de s’enrouler autour de la cheville de la fillette. Elle sentit la tentacule lui frôler la peau et baissa les yeux.

« Hein ? »

La chose mystérieuse tira violemment sur le pied de Ginger et la fit tomber. Avant de heurter le sol, elle lâcha Mimigal et le pokémon s’enfuit en galopant dans les ténèbres. Presqu’aussitôt, Ginger fut à son tour happée vers le néant.

« Kyaaaaah !

- Ginger !!! »

 

ooOooOoo

 

Kurt gardait toujours les yeux rivés sur la porte des vestiaires par laquelle Izzy était entré. Près de lui, les pom-pom-girls dénudées piaffaient telle une volière pleine de poichigeons affolés.

« Il était horriiiible !

- Je suis sûre qu’Izzy va nous en débarrasser !

- Ouais, ce héros... » Plaisanta Hulk.

La cheffe du groupe des cheerleader se retourna vers les joueurs en pause, ils les dévoraient elle et ses copines avec de grands yeux libidineux.

« Qu’est-ce que vous regardez ? Dégagez !

- C’est bon, pas la peine d’être désagréable, on s’inquiétait c’est tout…

- Pfff… Bien sûr...

- Fausse alerte, annonça Izzy en sortant des vestiaires. C’était juste un migalos.

- Tous les prétextes sont bons pour aller fouiner dans les vestiaires des filles uh ? Le railla Judith.

- C’est bien à ça qu’on reconnaît les meufs, ricana Hulk. Un pauv’pokémon insecte et ça y est, elles courent dans tous les coins comme des spinda.

- Ce n’est pas drôle !

- C’est bon, t’es une dresseuse, t’en as déjà vu d’autres.

- Merci pour votre soutien les primates ! » Cracha Vanessa avant de fusiller des yeux la porte des vestiaires.

Ginger en sortit à son tour. Elle s’était rhabillée, coiffée et elle était suivie de son migalos. Plusieurs pom-pom-girls tremblèrent encore à la vue de cette monstruosité, les autres, à commencer par Vanessa, l’accueillirent avec dédain.

« J’en étais sûre… Marmonna-t-elle.

- Irk ! Ginger, ne me dis pas que cette bestiole est à toi ?

- Si ! J’vous présente Bibou ! Dis bonjour Bibou ! »

L’énorme araignée se décala légèrement et agita ses pinces et ses appendices dorsaux en guise de salutations. Un concert de cris dégoutés lui servit de comité d’accueil.

En retrait, Kurt observait la scène. Il connaissait désormais suffisamment Bibou pour voir la nervosité dans ses mouvements saccadés. Le pokémon avait l’habitude de provoquer réactions hostiles et mépris, cela le rendait triste et anxieux, Kurt compatissait mieux que quiconque, mais Ginger, aveuglée par l’amour pour son migalos, ne l’avait toujours pas capté.

« S’il te plaît renvoie ce truc dans sa pokéball ! Couina une pom-pom-girl.

- Je suis désolée, il est sorti tout seul.

- On s’en fiche ! Range cette chose ! » Ordonna Vanessa.

Ginger se résigna et obéit. Elle décrocha une pokéball de sa ceinture de dresseuse maintenant sa jupe autour de sa taille d’apireine et emprisonna son précieux pokémon à l’intérieur. Les autres cheerleaders furent soulagées : plus d’abomination, le chemin des vestiaires était enfin dégagé.

Les filles en sous-vêtements contournèrent Ginger en lui lançant des regards noirs et glacés pour rejoindre les vestiaires et terminer de se changer. L’une d’elles la bouscula volontairement d’un coup d’épaule. Seule Vanessa resta sur le terrain, elle était trop en colère pour donner la priorité à sa pudeur.

« Espèce de cinglée… T’es même pas fichue de verrouiller une pokéball ! Ton horreur sort n’importe quand et vient cracher sa toile dégoutante partout !

- Tu ne la traites pas de cinglée, l’interrompit Kurt d’une voix mal assurée.

- On ne t’a pas sonné toi ! Espèce de pervers licencieux, toujours à venir nous mâter avec ta tête de sociopathe…

- Là elle marque un point. » Marmonna Maxime derrière son rideau de cheveux.

Les joueurs de pawball s’étaient éloignés pour échapper à la fureur de Vanessa, mais ils n’avaient pas repris l’entrainement pour autant. Ils attendaient, alignés, une bonne dispute valait autant qu’un défilé de jeunes femmes en petite tenue… Avec un peu de chance, ils espéraient assister à une vraie baston.

« Vous n’êtes qu’une bande de phénomènes de foire ! Fiche le camp toi et ton monstre, non pardon : tes monstres ! Se reprit Vanessa en hochant la tête pour désigner Kurt.

- Mon Bibou n’est pas un monstre… » Couina Ginger.

La petite blonde était dépassée par les évènements, elle n’avait pas du tout l’habitude de se disputer avec les gens.

« Tu ne les as pas bien regardé, pauvre conne.

- Tais-toi. »

Kurt attrapa l’une de ses pokéballs d’un geste vif.

 

ooOooOoo

 

Kurt attrapa sa pokéball d’un geste vif et s’élança dans l’obscurité.

« Ginger !

- Kurt !!! Au secours ! »

Ginger avait lâché sa lampe, Kurt shoota dedans au passage par accident. Il se fiait aux sons pour se guider dans l’ombre, il redoutait que ce ne soit pas suffisant. Il dégoupilla la capsule rouge et blanche qu’il avait dans la main et libéra l’unique pokémon en sa possession : un queulorior à la pointe bleue.

« Queulo ?

- Ginger est en danger ! Aide-moi à la retrouver !

- Kyaaah !

- Ginger !!! »

L’ouïe de Queulorior était meilleure que celle de son jeune dresseur, il pouvait également utiliser son flair. Grâce à ses sens bestiaux, il repéra la fillette dans le noir et Kurt arriva juste à temps. Il éclaira l’agresseur de Ginger avec sa dynamo, la bête plissa ses gros yeux globuleux, dérangé par cette brusque lumière douloureuse.

« Un boustiflor ! » S’écria Kurt.

Le petit garçon ignorait comment un pokémon plante de ce type avait pu atterrir dans un plafond de bâtiment bétonné en plein cœur de la métropole de Safrania, mais il était trop stressé pour laisser ces interrogations perplexes lui envahir l’esprit. Le carnivore tenait encore fermement la jambe de Ginger avec son fouet liane et il bavait abondamment. Ce boustiflor était grand mais très maigre, vraisemblablement il était affamé et prêt à bouloter n’importe quoi passant à sa portée, notamment une enfant imprudente.

« Blue retour ! »

Le jeune queulorior ne connaissait que deux attaques à l’époque : retour et poing-glace, ses possibilités étaient réduites face à un boustiflor. Quant à Kurt, il n’avait combattu que cinq ou six fois, pas plus, pourtant ses réflexes de dresseur étaient déjà là et il lui restait une dernière option…

La tension envahissait son corps juvénile en regardant queulorior frapper le boustiflor qui ne lâchait toujours pas sa prise sur Ginger. Le pokémon riposta avec un jet d’acide, Queulorior esquiva et quelques gouttes atteignirent les chaussures de Kurt. Le cuir se décomposa partiellement sous l’effet du produit. Kurt recula vivement son pied, le danger était réel.

« Attention Blue ! »

Le pokémon tenta un nouveau retour, boustiflor avait l’air plus puissant que queulorior, mais il devait être affaibli par la faim. Cette fois, l’assaillant tenta un fouet liane en direction de queulorior. C’était l’opportunité que Kurt attendait.

« Gribouille ! »

Queulorior sauta en arrière, la liane musclée de boustiflor frappa dans le vide et le pokémon de Kurt s’agenouilla un instant pour bien observer son adversaire. La gribouille… La capacité signature de queulorior, la seule qu’il était capable d’apprendre par lui-même, mais qui lui permettait d’imiter n’importe quelle attaque de n’importe quel type ou presque.

« C’est bon Blue ?

- Queulo.

- Alors fouet liane ! »

Queulorior utilisa sa longue queue beige pour fouetter le boustiflor en pleine face, une fois, puis une deuxième. Kurt en profita pour se jeter sur Ginger affalée par terre et la prendre dans ses bras.

« Blue oblige-le à la lâcher ! »

Queulorior enroula sa queue autour de la liane agrippée à la cheville de la fillette et tira avec vigueur, Boustiflor fut contraint de libérer sa captive. En colère, il cracha un nouveau jet d’acide.

« Poing-glace ! » Hurla Kurt tout en tentant de protéger Ginger de l’acide avec son bras.

Queulorior évita les projections empoisonnées et cogna le boustiflor. Son poing dur et gelé comme un bloc de glace eut raison du monstre affamé. Le pokémon s’écroula au sol, les feuilles écartées comme une fleur fanée.

Kurt avait mal au bras, l’acide était en train de traverser le coton de son pull. Il le retira précipitamment. La douleur était déjà moins vive sur son bras, mais il sentit une autre brûlure fulgurante sur sa joue. Il la frotta frénétiquement avec un bout de tissu propre avant de jeter son vêtement troué sur le côté et de se préoccuper de Ginger.

« Ginger tu vas bien ?!? »

La blondinette jeta un coup d’œil en arrière pour vérifier que le boustiflor était bel et bien K.O. et elle retrouva son sourire.

« Oui ! Enfin j’ai super mal à la cheville mais ça ira.

- Tu peux marcher ?

- J’sais pas, je vais essayer. »

Kurt l’aida à se relever, elle réprima une grimace sans perdre sa risette. Kurt éclaira son visage avec sa dynamo, il voyait bien qu’elle souffrait mais qu’elle prenait sur elle.

« Attends, je vais te porter. »

Il la hissa sur son dos. Ils avaient déjà joué au galopa par le passé, mais c’était la première fois qu’il la portait debout et de sa propre initiative. C’était incroyablement facile, il n’en revenait pas. Ginger avait enroulé ses bras autour de ses épaules et se maintenait fermement à lui. Il aimait bien cette sensation, il n’y avait ni crainte, ni douleur dans ce geste, juste de la confiance fraternelle.

« J’suis pas trop lourde ?

- Nan, t’es plus légère qu’une plumeline. Et ta cheville ça va ?

- J’ai super mal.

- Pourquoi tu souris alors ?

- Bah j’te l’ai dit tout à l’heure : pour pas qu’tu t’inquiètes.

- T’es vraiment bizarre parfois…

- Toi aussi, mais j’t’aime bien quand même. »

Kurt avait laissé son queulorior sorti. Il pencha sa lampe pour éclairer le plancher et éviter d’autres mauvaises surprises, puis il se laissa guider par le point lumineux au loin, correspondant à la trappe ouverte par laquelle ils étaient entrés. Soudain, un bruit louche de bête rampante le fit se retourner sur le qui-vive, Queulorior aussi était en alerte.

Timidement, mimigal sortit de l’ombre en agitant ses petites mandibules rouges.

« Bibou ! » S’écria Ginger à exploser les tympans de Kurt à quelques centimètres de sa bouche.

Le regard luisant du mimigal trahissait son émoi. Il n’osait pas s’approcher davantage d’eux à cause de queulorior, mais il redoutait encore plus de rester dans la même zone que le boustiflor agressif et les deux enfants percevaient aisément son épouvante.

« J’y crois pas : un pokémon insecte qui a peur d’un pokémon plante… Soupira Kurt.

- J’t’avais dit qu’il était gentil. »

 

Arrivés à la trappe, Kurt déposa délicatement Ginger sur le rebord.

« Comment on va faire pour descendre ? » Pensa-t-il à voix haute.

Mimigal trépigna autour d’eux. Il fit frénétiquement frétiller ses petites mandibules comme s’il était en train de mastiquer quelque chose. Une frange de fils blancs solides et collants coula de sa bouche, ils s’allongeaient rapidement sur le sol.

« Bibou va nous aider ! » Fit joyeusement Ginger.

Après la mésaventure avec boustiflor, Kurt n’était pas tranquille à l’idée de se laisser saucissonner par les sécrétions de mimigal, mais il finit par reconnaître que ce pokémon repoussant était véritablement doux et bienveillant.

Kurt descendit en premier pour pouvoir réceptionner en toute sécurité Ginger et la poser sur la chaise qu’ils avaient utilisée pour monter. La petite fille tendit ensuite ses mains ouvertes vers le plafond pour inciter le mimigal farouche à sortir de son antre, et l’araignée descendit vers ces bras accueillant en se suspendant à son fil.

Ginger enlaça le pokémon insecte avec une profonde tendresse. Sous l’éclairage du couloir, elle put enfin voir le visage de Kurt et, cette fois, son sourire émerveillé s’ébranla.

« Kurt ! Ta joue ! » Cria-t-elle, les yeux exorbités.

Kurt était perplexe, il ne savait pas de quoi elle parlait, il comprendrait un peu plus tard, face au miroir de la salle de bain.

« Et ton bras ! »

La douleur était supportable, alors dans le feu de l’action Kurt n’y faisait plus attention, pourtant l’aspect des brûlures de l’acide sur son bras gauche n’était vraiment pas ragoutant. Sa peau était grêlée de cloques rouges suintantes et son épiderme était déjà en train de peler. Le garçon fut pris d’une brusque nausée, mais devant la mine totalement déconfite de Ginger et ses larmes qui perlaient au coin de ses paupières, il prit sur lui et se força à sourire pour la rassurer.

« T’inquiète pas, j’sens rien et ça va vite guérir. »

 

ooOooOoo

 

« Et tu comptes faire quoi avec ça ? Crétin ! » S’écria Vanessa en désignant ses hanches entourées de sa serviette éponge, elle n’avait pas ses pokéballs sur elle.

Des ricanements s’élevèrent autour de Kurt, figé dans son élan, sa main brandie en avant avec sa pokéball dans la paume. Les insultes contre Ginger l’avaient énervé, il avait dégainé sur un coup de tête. Depuis son arrivée à l’université, il n’avait jamais provoqué qui que ce soit pour un duel en dehors des cours, pour une première, c’était un beau loupé.

Rouge de honte mais calmé, il rangea sa capsule en s’efforçant d’ignorer les moqueries de ses camarades. Vanessa, elle, n’était pas calmée, bien au contraire. La tentative avortée de Kurt de l’affronter en combat singulier ne fit que la conforter dans son dédain envers Ginger et son allié.

« Tout ce cirque a assez duré : tu es virée ! Comme ça il n’y aura plus de raison pour qu’on voie vos sales tronches dans les parages ! »

Kurt passa machinalement une main sur sa joue. Il savait que la tâche brune-mauve imprimée par les gouttes d’acide de boustiflor était toujours là. Ce n’était rien à côté de celles recouvrant complètement son avant-bras, mais il cachait toujours son membre sous la manche de son pull. Par contre, ses cheveux mi-longs ne suffisaient pas à dissimuler la cicatrice de son visage. Il avait vainement essayé de se laisser pousser la barbe, malheureusement elle ne montait pas aussi haut.

« Ce n’est pas à toi de décider de ça, répliqua Izzy.

- JE dirige ce groupe ! Bien sûr que si !

- Désolé de te contredire ma chérie mais non, intervint Hulk. Fofolle est gaulée comme une actrice porno, si tu l’enlèves du spectacle, tu vas en décevoir plus d’un et en tant qu’capitaine de l’équipe, je mets mon véto.

- Bande de grorets…

- Fais pas genre Vanessa, tu sais bien qu’ils aiment aussi ton cul.

- Ils aiment surtout son rosélia et ton joliflor ! » Reprit précipitamment Izzy en s’interposant entre Vanessa et les autres.

Il sentait que la conversation allait déraper.

« Vanessa, tu ne vas pas foutre en l’air ta chorégraphie juste sur un coup de sang comme ça. Rentre chez toi, calme-toi et réfléchis-y à tête reposée. S’il te plaît…

- Cette conversation est terminée ! » Rugit Vanessa en tournant les talons.

Izzy poussa un profond soupir de soulagement, interrompu par Hulk qui lui donna une violente claque entre les épaules.

« Y a pas à dire : tu sais causer aux femmes !

- Ah c’est sûr qu’à côté d’toi j’ai l’air d’un poète ouais…

- Et merci pour le spectacle fofolle ! Tu recommences quand tu veux ! »

Hulk leva le pouce vers Ginger en repensant au cortège de pom-pom-girls en petites culottes.

« Mais j’y suis pour rien ! » Geignit-elle.

Déçus, les joueurs se dispersèrent, l’attraction du jour était finie. Ginger faisait la moue, jusqu’à ce qu’elle croise le regard brun de Kurt. Là, son visage s’illumina à nouveau.

« On rentre à la maison Kurtichou ? »

Plusieurs de ses camarades pouffèrent dans leur dos et Kurt se massa les tempes.

« Arrête de m’appeler comme ça quand il y a du monde…

- On fait la route ensemble ? Proposa Izzy.

- Ouais !!! »

Ginger sauta sur le dos d’Izzy sans crier gare. Elle pointa son index vers la sortie du gymnase pour indiquer le chemin à suivre à sa monture du soir.

« En avant pour de nouvelles aventures ! »


En traversant le campus à pieds, Ginger et Kurt racontèrent à Izzy comment ils avaient rencontré Bibou.

« Tu comprends maintenant pourquoi tout le monde rigole quand Tarô dit que Ginger a une araignée au plafond ?

- Ouais j’vois le genre…

- Au fait : merci pour toute à l’heure, d’avoir pris la défense de Gé…

- Ne me remercie pas pour ça, c’est normal. Je comprends ce que ressens Bibou... J’en ai vu passer plein des pokémon abandonnés au labo de mon père, ce n’est pas marrant pour eux d’être séparés de leurs amis, même pour quelques minutes. »

Le sourire franc d’Izzy avait le don d’apaiser quelques peu les tourments de Kurt.

« J’ai tout de suite su que t’étais un type bien.

- Tu progresses Kurtichou : tu as plus vite accepté Izzy que Bibou !

- Je ne sais pas comment je dois prendre le fait que tu me compares à un mimigal… » Fit Izzy avec un sourire tordu.

Le rire cristallin de Ginger s’amplifia alors qu’ils marchaient tous les trois vers le nord. Kurt, rêveur, posa par hasard les yeux sur un mur de briques nues…

 

ooOooOoo

 

« Tu commences à être lourde Gé.

- N’importe quoi ! J’suis plus légère qu’une plumeline ! C’est toi qui l’as dit !

- T’avais huit ans quand je t’ai dit ça… T’en as douze maintenant.

- Ouaip ! Et t’es un grand costaud maintenant, alors y a pas de problème !

- T’es vraiment bizarre parfois.

- Toi aussi, c’est pour ça qu’on s’entend bien Kurtichou.

- Sans doute… »

Ils étaient arrivés à destination et Kurt la déposa par terre. Devant eux se dressait une grande fresque de street-art, elle recouvrait entièrement le vieux mur de briques d’un entrepôt du quartier de la gare et elle représentait un migalos vaillant, aux couleurs chatoyantes, en pleine attaque. Bibou, alors fraichement évolué, avait bien évidemment servi de modèle. L’adolescente regardait la peinture, des étoiles plein les yeux.

« C’est trop beau pas vrai ?

- Euh… Ouais, répondit Kurt sur un ton hésitant.

- Blue peut être fier de son papa ! Et moi aussi ! »

Kurt avait détourné le regard de l’œuvre et s’était mis à la contempler elle, avec ses drôles de tâches de rousseurs parsemées sur la peau pâle de ses joues rondes, son petit nez retroussé coquin, ses grands yeux vert émeraude éblouissants et ses beaux cheveux, blonds comme les pétales d’un héliatronc, noués en l’air pour former ses deux couettes. De son point de vue, ce visage-là était on ne peut plus agréable à regarder qu’une peinture murale arachnéenne.

Ginger jactait joyeusement sans discontinuer, Kurt n’écoutait rien. Au bout d’un moment, elle dût s’en rendre compte car elle s’arrêta de parler et se tourna vers lui avec son éternel sourire jovial.

« Qu’est-ce qu’il y a Kurtichou ? »

Il n’avait rien répondu.

Ce souvenir-là était vague. Il ne restait que les émotions, intenses…

Il se souvenait qu’il l’avait embrassé et qu’il avait dû se pencher pour ça. Il se souvenait de la sensation atypique de ses lèvres touchant les siennes - c’était tiède, mou et moite. Il se souvenait qu’il avait trouvé ça indéfinissable, grisant et flippant en même temps. Il n’arrivait pas à se souvenir pourquoi il l’avait fait, pourquoi à ce moment-là… Qu’est-ce qu’il lui était passé par la tête ? C’était leur premier baiser sur la bouche, le premier et le seul, car s’il ne se souvenait pas pourquoi il l’avait fait, il se souvenait parfaitement de l’angoisse sourde qui l’avait envahie juste après, pour ne plus jamais le quitter.

Il avait reculé, terrifié. Elle avait beau lui sourire comme à chaque fois, pour qu’il n’ait pas peur, pour le rassurer, pour qu’il soit heureux, ça ne suffisait plus.

 

ooOooOoo

 

Kurt secoua la tête afin de chasser ce souvenir qui le troublait toujours autant, même sept ans plus tard. Il jeta un coup d’œil à Ginger portée par Izzy, elle riait encore à gorge déployée et le buste d’Izzy était secoué de petits spasmes. Plongé dans ses pensées, Kurt avait dû louper une nouvelle blague.

Malgré une pointe de jalousie dont il ne pouvait se départir, Kurt était soulagé quand Izzy portait Ginger à sa place. Il n’aimait pas sentir ses seins fermes et volumineux contre ses omoplates, il se demandait d’ailleurs comment Izzy arrivait à en faire abstraction, lui en était parfaitement incapable. Kurt avait toujours peur, mais il avait appris à vivre avec et à le cacher, en s’inspirant de la méthode Ginger.

 

Izzy déposa sa "livraison" devant un immeuble assez cossu au nord de la ville, avant de poursuivre son chemin en adressant un signe de main amical au duo. Ginger agitait frénétiquement les bras pour lui rendre son salut.

« J’suis super contente qu’Izzy soit devenu notre copain !

- Ouais. Encore un amateur de monstres il faut croire…

- Ih ih ! T’es vraiment bizarre parfois Kurtichou. »

Les mains dans les poches, Kurt retroussa sa pommette marquée en esquissant un sourire.

« Toi aussi… Mais je t’aime bien quand même. »

 

Les deux étudiants montèrent dans l’ascenseur ensemble et Ginger appuya sur le bouton du cinquième étage. Kurt la laissa sortir en premier, elle courait presque, en bondissant occasionnellement comme un laporeille euphorique. Elle s’arrêta devant une porte, la plaque près de la sonnette indiquait : M-Mme Stark.

« Encore une journée bien remplie ! Ça fait du bien de rentrer chez soi ! Pas vrai Kurtichou ? » Déclara-t-elle en s’étirant.

Elle se tourna vers le jeune homme à quelques mètres d’elle sur le palier, il avait déjà la main posée sur la clenche de la porte voisine, celle de M-Mme Cohen. Ils échangèrent un regard complice et elle recommença à rire. Kurt avait l’habitude, il avait cessé de se demander pourquoi. Cela lui semblait désormais normal que Ginger se mette à rire sans raison apparente.

Cette même scène, Ginger avait l’impression de la revivre en boucle tous les soirs et elle adorait ça…

 

ooOooOoo

 

La première image que Ginger avait de Kurt était celle-là : un poupon châtain de deux ans tout juste, debout sur ses frêles guibolles mal assurées, le bras en l’air, accroché à quelque chose ou quelqu’un, planté sur son paillasson devant la porte de son appartement.

Kurt portait son t-shirt ample vert pâle avec une grosse tête de pikachu au milieu, comme sur presque toutes ses photos de petite-enfance. C’était son vêtement préféré.

Ginger s’était approchée, hypnotisée par ce t-shirt. Elle le pointa du doigt.

« Chu ! Chu ! »

Quelqu’un parlait, une femme a priori.

« Blablablabla, d’où tu sors toi ? Blabla. »

Et la petite blonde se répétait, elle adorait ce t-shirt.

« Chu !

- Non. Kurt, avait fini par répondre le petit garçon.

- I-chu ! »

Dans son souvenir, Ginger souriait, et au bout d’un moment, Kurt aussi s’était mis à sourire. Mais son père avait surgi de l’appartement et l’avait arrachée à sa contemplation du pikachu et du petit garçon en la prenant dans ses bras, couverts de tâches de peinture fraiche.

« Kurt ichu ! »

 

ooOooOoo

 

Adossé contre ses oreillers en caleçon de nuit, Kurt lisait tranquillement à la lueur de sa lampe de chevet un manga rempli de filles largement dévêtues aux poitrines opulentes. Elles étaient malmenées par des saquedeneu vicieux et leurs multiples tentacules. La vibration de son smartphone sur la petite table près de la tête de lit l’extirpa de sa lecture. Il referma son livre et le posa à la place du téléphone, l’héroïne en sous-vêtements affriolants sur la couverture au-dessus du gros macaron rouge [-16 ans] ressemblait un peu à Ginger. Kurt la lorgna vaguement une dernière fois, ainsi que les stigmates violacés sur son bras, avant d’éteindre la lampe.

Dans un rectangle bleu de son écran s’affichait un message de Ginger, le même que chaque soir depuis qu’il avait reçu son premier téléphone portable huit ans plus tôt :

[Bonne nuit Kurtichou <3 <3 <3]

Comme d’habitude, il répondit :

[Bonne nuit G. ^^]

Avant de s’endormir avec le sourire.

« C’est pour toi que je souris… »

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