Boule de Glace et Volonté Ardente

Chapitre 1 : Boule de Glace et Volonté Ardente

Chapitre final

5153 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 21/06/2022 22:10

[Boule de Glace et Volonté Ardente]

Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions .fr : Quelques gouttes d’OS dans l’océan - (mars avril 2022).

Une seule et unique tente se dressait sur un relief du Mont des Capumain, éloignée de tout, s’accordant harmonieusement avec la luxuriante nature la bordant de toute part. Il ne s’agissait pas d’une simple toile, mais bien d’une véritable petite maison aux teintes rouges et bleutées qui permettait d’isoler aisément l’intérieur de l’excès indésirable de chaleur ou de fraîcheur de la Côte Lazuli. Cette isolation efficace n’était guère une exagération superflue, la Côte Lazuli abritait un climat dont le changement prompt et brutal prenait parfois au dépourvu. Certes, dominaient bien plus souvent les rayons de l’astre ardent en ce lieu, toutefois, quand la pluie diluvienne faisait irruption, ses gouttes étaient attirées si lourdement au sol qu’elles pouvaient être douloureuses en s’écrasant.

L’habitation isolée dominait une vue imprenable sur une considérable étendue de la côte littorale. La Baie Sérénité offrait aux regards ses reflets irisés, les vagues se succédant dans un rythme apaisant, achevant tranquillement leur parcours sur la plage qu’elles recouvraient de pétaralgues ou autres possessions récupérées durant leur avancée. Le doux parfum des noigrumiers ou du miel kibrille embaumait audacieusement et délicieusement les narines de qui passait par là.

Cet agréable endroit ne saurait demeurer si radieux en l’absence des pokémons qui le peuplent. Partout, on pouvait apercevoir des Apitrini volant tout près des fleurs colorées, des Moustébouée sur les plages qui s’amusaient à s’éclabousser en plongeant, des Etourmi qui grignotaient des noigrumes. Ils cohabitaient, plus ou moins sereinement, mais un certain équilibre régnait.

Graham appréciait particulièrement observer cet écosystème rayonnant de beauté et d’énergie. Il préférait l’admirer de loin cependant, et peut-être était-ce là la principale raison qui l’avait poussé à installer sa tente en hauteur, afin d’essayer de chercher un semblant de sécurité. La réflexion de Graham était parfaitement compréhensible : à cette époque, dans la région d’Hisui, les pokémons et les humains ne cohabitaient pas encore. Pis que cela, ces derniers craignaient les pokémons, et Graham n'y faisait pas exception, bien au contraire, et ce malgré sa position de Gardien dans le Clan Diamant.

Depuis longtemps déjà, Graham était en effet reconnu comme Gardien du pokémon monarque Paragruel. Si on écoutait les légendes, elles racontaient que ces rois et reines, au nombre de dix, auraient reçu leurs pouvoirs directement d’Arceus lui-même, le créateur de toute chose en ce monde. Ces monarques étaient alors bien plus grands et puissants que leurs semblables de la même espèce. Afin de protéger leur territoire et de s’assurer qu’ils ne manquent de rien, des Gardiens tels que Graham ou Garana -avec qui il maintenait une relation amoureuse un peu secrète-, Gardienne du Clan Perle protégeant le monarque de la côte, Arcanin, avaient été désignés. Quelle ironie ! Paragruel, sur qui devait veiller Graham, était un pokémon de type eau, mais aussi de type spectre, ce dernier étant la plus grande source d’angoisse du Gardien.

La peau brune de Graham ne souffrait pas des intenses projections solaires de la Côte Lazuli, et il appréciait sa résistance naturelle. Ses courts cheveux, bleus tel l’uniforme du Clan Diamant qu’il revêtait, étaient mystérieusement implantés sur sa tête comme représentant le doux mouvement des vagues océanes. À ses deux poignets, des bandages blancs avaient été soigneusement enroulés, tandis qu’à son seul poignet droit le Gardien portait un bracelet manchette à l’effigie de Paragruel. Fort affairé, il s’était équipé en conséquence : une ceinture accrochait à sa taille, d’un joli ruban marron, un petit sac, mais il en avait également une en bandoulière dotée de multiples compartiments. Certes, Graham n’était pas très grand, mais qu’importait ? Il était robuste, remplissait parfaitement son rôle et ce n’était certainement pas ceci qui allait le définir, personne n’avait jamais évoqué sa taille en sa compagnie, ni même en son absence d’ailleurs.

Le Gardien craignait donc légèrement, malgré son rôle, les pokémons. Il craignait même, de fait, un peu tout. Une visite imprévue à sa tente suffisait à faire palpiter son cœur d’anxiété. Malgré tout, il s’était toujours sincèrement préoccupé du bien-être de Paragruel, dont il n’avait plus peur désormais. Ils s’étaient sans doute mutuellement apprivoisés, le temps les ayant aidés à consolider un lien solide de confiance. En revanche, cet environnement n’aidait pas Graham au quotidien, puisqu’il vivait constamment entouré de pokémons.

Le ciel se présentait à lui clair et dégagé tel qu’il pouvait l’être durant un bel après-midi, et il foulait alors de ses bottes rouges et noires l’herbe chlorophyllée du Mont des Capumain. Comme pour approuver le nom de ce lieu, quelques-unes de ces petites créatures simiennes effectuaient des acrobaties dans des arbres dont les branches étaient généreusement fournies de baies oran ; Graham pouvait les apercevoir de loin, cabriolant en ricanant. Leur figure jaune et violette où s’esquissait un espiègle sourire l’amusait beaucoup… de même qu’elle l’angoissait. C’est que les Capumain se montraient réellement malicieux, leur réputation n’était plus à refaire, et gare à qui eût osé laisser traîner son sandwich aux baies : il pourrait bien avoir grand-peine à le retrouver un jour… Il continua tranquillement son chemin sans rechercher à se faire remarquer d’eux, ne désirant pas recevoir quelconque farce de leur part.

Bientôt, Graham eut atteint la Plage Ginko sans encombre, s’étant agenouillé plusieurs fois afin de récolter quelques fleurs PP ou autres feuilles rondes qu’il avait aperçues sur son chemin. Cet endroit à lui seul permettait d’apaiser toutes les angoisses du Gardien. Ses bottes commençaient à s’enfoncer dans le sable tandis que la vue de cette étendue azurée faisait ressurgir de profonds et émouvants souvenirs, comme toujours. Ces derniers lui revenaient comme à chaque fois qu’il l’apercevait, le pied sur cette multitude de fins grains clairs.

Cette nuit-là, il avait ouvert les yeux sur un fait qui l’avait effrayé et peiné : cette baie si bienfaitrice, protectrice d’une faune merveilleuse, abondante, avait bien failli coûter la vie à des êtres qui lui étaient désormais très chers, notamment Garana, et avait emporté avec elle le volcanique monarque Arcanin. Sans hésitation, sans crainte, perçant les ténèbres pour sauver autrui, Graham avait fait preuve d’une bravoure sans pareille.

Ses yeux, aux iris d’un profond bleu marine, se retrouvaient bientôt humidifiés par l’émotion qui l’étreignait, qui le transportait fatalement à cet instant l’ayant affecté définitivement. Cependant, il n’eut guère le temps de se laisser aller à sa belle sensibilité, un étrange geignement l’ayant interpellé et bousculé dans ses émotions. Il ne parvint pas immédiatement à en distinguer la source, à en percevoir l’origine. Tout se déroula en quelques secondes seulement, l’adrénaline l’avait envahi. Scrutant tous les alentours de la Plage Ginko, ne se présentaient à lui que des Chaglam sur le Coteau du Passage qui tentaient de se soustraire à son regard, craintifs, dans des feuillages épais, ou des Papilord à la recherche de nourriture. Or, aucun d’entre eux ne semblait être en difficulté. Le gémissement s’intensifia alors, Graham fit volte-face devant la mer ayant alors compris qu’il naissait de cet endroit. Petit à petit, il put alors discerner qu’une forme se débattait dans l’eau, luttait en vain avec l’énergie de la peur.

Pour le Gardien, ce spectacle était insupportable et le mena, sans qu’il ait pensé à son acte, à courir pour pénétrer dans la puissante étendue afin de rejoindre cette silhouette. Ses vêtements s’alourdissaient alors qu’ils se gorgeaient d’eau, s’infiltrant dans toutes leurs fibres, ce qui compliquait les mouvements de Graham. Il ne perdait pas sa vigueur pour autant, il avait déjà dû, plusieurs fois par le passé, se confronter à la mer dans de plus ardues et pénibles conditions. Mais qu’allait-il bien pouvoir découvrir, une fois arrivé à la rencontre de cette masse mouvante ?

Il releva la tête, s’essuya les yeux. C’est lorsque sa vision se fit moins trouble qu’il put réaliser qu’elle n’était rien d’autre qu’un petit Obalie qui tentait infructueusement de rejoindre la Plage Ginko. Bien vite, il analysa la situation pour en conclure que seul, il ne parviendrait jamais à sauver ce pokémon.

Les Obalie étaient des pokémons habituellement amicaux et peu craintifs, ce qui était rare à Hisui : la majorité attaquait les humains dès qu’elle en croisait, ou bien fuyait tel un Etourmi peureux. Les Obalie eux, curieux, les regardaient avec leurs grands yeux, et se roulaient vers eux pour les observer de plus près. En effet, leur corps constituait une belle sphère bleutée tachetée de blanc pour sa partie supérieure, et toute blanche sous sa mâchoire inférieure, disposant d’oreilles arrondies et de nageoires périphériques et caudales ; ils ne se déplaçaient ainsi qu’en roulant, ce qui représentait pour eux la façon la plus rapide d’avancer ! Ces pokémons étaient donc de ceux que Graham redoutait le moins.

Ignorant son anxiété, le Gardien posa sa main à demi enrubannée sur le corps rond de la créature marine. L’Obalie tourna le regard vers l’humain qui lui sourit alors, nageant sur place. Lui se débattait incessamment, s’épuisant chaque seconde supplémentaire à fournir des efforts inutiles. Graham, lui, avait attrapé sa flûte céleste dans son petit sac noué au tour de sa taille, qui avait inévitablement pris l’eau. Il l’égoutta le plus possible avant d’y coller les lèvres pour produire les quelques notes servant de signal à Paragruel. Cette courte mélodie était inscrite en lui, et il savait qu’il lui fallait accourir à chaque fois que Graham l’utilisait pour l’invoquer. Bien heureusement, ce dernier n’en abusait pas et le monarque considérait donc chacun de ses appels avec une importance égale. La nuit où Arcanin avait péri, cette nuit aussi, il avait eu besoin de son aide…

Le pokémon sphérique commençait à laisser sa panique de côté, il avait conscience que le gardien était bienveillant et à ses côtés pour le sauver. Son pataugement d’angoisse s’était atténué, cependant si Graham était venu à s’éloigner, il aurait recommencé à se noyer de nouveau, c’était certain.

Domptant les flots, réarrangeant à son aise le rythme des vagues, surprenant les Babimanta sur son passage, le seigneur de la baie apparut aux yeux de celui qui l’avait invoqué. Le monarque imposait une forme de respect indéniable : son corps vert jade à la silhouette ichtyenne était réhaussé par ses marquages et ectoplasmes rosés, dominant les pokémons de ses trois mètres de long. Empli de reconnaissance, Graham le salua et se hâta pour s’installer sur son dos, Paragruel le laissant faire. Il lui expliqua en quelques mots la situation du pokémon clap clap - tel était le nom qui fut attribué aux créatures de son espèce. D’un rugissement qui déchira la tranquillité de la côte, Paragruel lui fit part de sa compréhension et, rusé, imagina un stratagème pour transporter l’Obalie. Celui-ci mesurait tout de même quatre-vingts centimètres de haut pour quarante kilogrammes, Graham n’aurait jamais pu lui porter secours seul, mais pour le monarque, le problème se révélait d’une bien moindre ampleur.

Simplement, il ouvrit la bouche, et saisit le pokémon bleuté. L’Obalie n’eut guère le temps de comprendre ce qu’il lui arrivait que Paragruel l’avait déjà relâché sur le rivage. Ironiquement, pour un pokémon qui se déplaçait majoritairement en roulant, l’Obalie avait la tête qui tournait…

Dans des bruits d’éclaboussement, Graham sauta du dos de Paragruel et atterrit sur le sable chaud. S’agenouillant pour se baisser à la hauteur du pokémon aquatique, qu’il considérait dès lors comme son nouveau petit protégé, il s’assura avant tout qu’il se sentait mieux. Il le laissa reprendre ses esprits, quelques instants.

De sa ceinture en bandoulière, le Gardien sortit un petit paquet élaboré à partir d’une simple feuille ronde que l’on pouvait trouver un peu partout sur la Côte Lazuli. Il le déplia, révélant une pâte comestible à la couleur et à l’aspect bien curieux. Il s’agissait en fait de la gourmandise préférée de son ami monarque : un Appâgruel. La friandise était détrempée à la suite de l’aventure aquatique de Graham, et tant mieux, car c’était bien ainsi que Paragruel la préférait ! Son ami méritait bien une petite douceur, il avait eu la gentillesse de lui rendre un grand service, à lui ainsi qu’au pokémon clap clap. Il la projeta au-dessus de l’eau, et Paragruel effectua un magnifique bond pour la rattraper. Sur son visage, habituellement marqué par une expression de fausse colère, Graham put voir que ses yeux souriaient de joie. Il le comprenait et était rempli du même sentiment, faire équipe avec le monarque pour sauver autrui des chaînes de l’étendue azurée rapprochait les deux amis un peu plus à chaque fois. Ces aventures étaient d’une intensité rare, d’autant plus sur la Côte Lazuli.

Graham envoya à Paragruel un signe de la main en guise d’au revoir et une autre friandise, puisqu’il les aimait tant et qu’il avait accompli un bel acte. Silencieusement, avec l’Obalie rescapé, ils l’observèrent fendre la mer de ses ondulations et repartir vers le lointain, respectable protecteur des flots.

Graham entreprit timidement de briser le calme ambiant, tandis que l’astre diurne entreprenait son doux déclin :

« Que comptes-tu faire maintenant, Obalie ? »

Il ne savait vraiment pas si Obalie pouvait réellement le comprendre aussi bien que Paragruel le faisait, mais il voulait toute de même essayer de communiquer avec lui. Le Gardien l’avait d’ailleurs appelé Obalie comme cela, comme s’il s’agissait de son nom. Mais de fait, il trouvait cela attachant, et pensait que ça lui allait bien, qu’il n’y avait pas besoin de chercher à y rajouter des fioritures inutiles. En guise de réponse, Obalie roula une fois sur lui-même pour avancer vers Graham et frotta le sommet de sa tête bleue contre sa jambe.

En Graham, ce fut une explosion de sentiments inattendus. Partagé entre l’anxiété et l’attendrissement, il ne savait que faire de ces émotions si disparates entre elles. Comment pouvait-il se sentir mal à l’aise, mais en même temps, être ému face au geste du pokémon ?

Il ferma ses paupières, remplit tranquillement ses poumons du souffle parfumé des embruns de la côte, et mit de l’ordre dans ses pensées, calmement, apaisé par la douce mélodie des vagues qui venaient épouser le sable près d’eux. Obalie n’était plus comme n’importe quel Obalie de la Plage Ginko, ils étaient plus proches que cela désormais, comme avec Paragruel. Il ne pouvait pas continuer à le craindre comme n’importe quel pokémon.

Sa paupière gauche se souleva doucement, permettant à son regard de croiser celui de la créature qui n’avait pas bougé de la jambe qu’il avait câlinée. Elle lui sourit tout en poussant un petit cri enthousiaste, et cela suffit à Graham pour voir son propre visage éclairé d’un radieux sourire également. Il était finalement aisé de percevoir qu’il n’y avait aucune malveillance qui provenait d’Obalie !

Le Gardien avait bien compris qu’il n’allait pas repartir seul vers sa tente, ce soir-là. Quelques gouttes tombaient, au gré de ses pas, de ses vêtements encore pleinement imbibés d’eau, tandis qu’il réprimait de grands frissons. En observant le pokémon qui roulait gaîment à ses côtés, il s’interrogeait sur un fait : qu’avait-il pu se passer pour qu’Obalie se noyât ainsi ? D’autant plus qu’il était un pokémon de type eau, ayant alors une affinité naturelle pour cette dernière. Il avait déjà eu l’occasion d’observer plusieurs autres de son espèce se laissant flotter au gré du courant, cet incident résonnait donc étrangement pour Graham, le laissant sur une pointe de réflexion.

Le court trajet se déroula sans souci supplémentaire et bien heureusement : c’était suffisamment d’émotions en une seule journée pour eux deux ! Une fois la tente atteinte, la lumière du jour s’était déjà considérablement amenuisée. Graham se hâta de pénétrer dans son chez-lui réchauffé, d’enfiler des vêtements secs, grelottant de tous ses membres, et invita Obalie à le rejoindre dans le confort de sa tente.

Bien que celle-ci ne fut équipée que des éléments de première nécessité, elle comptait néanmoins une surface appréciable et tous les petits conforts qu’appréciait le Gardien. Deux lits superposés se tenaient sur la droite lorsqu’on se tenait dos à l’entrée, garnis de moelleuses couettes et de draps d’où émanait une bonne odeur de propre, bien qu’en fermant les yeux, on pouvait presque y distinguer une odeur marine. Quelques affaires personnelles habillaient cet espace, çà et là, marquant l’identité de Graham. Au mur se tenait déroulé un parchemin illustré à l’image d’un homme inconnu à la chevelure flamboyante.

Obalie fixait de ses grands yeux Graham qui s’assit à ses côtés après avoir concocté un repas pour tous deux, simple mais consistant et qui leur tiendrait au corps tout en les remettant de leurs émotions. À la vitesse à laquelle le pokémon sphérique dévorait ses baies, il en conclut qu’il appréciait ce qu’il lui avait préparé et s’en réjouissait. Se montrant curieux vis-à-vis de l’ensemble des objets de la pièce qui constituaient de réelles curiosités pour Obalie, il roulait de l’un à l’autre, cherchant alors Graham du regard pour obtenir des explications que celui-ci lui fournissait généreusement de bon cœur en riant.

Il s’agenouilla à nouveau auprès du pokémon aquatique, ce dernier ayant vu ses interrogations satisfaites et alors un peu plus calme, la digestion lui ayant dérobé un peu de son énergie. L’homme aux cheveux bleus posa alors sa main sur lui, entre ses deux oreilles, et lui demanda calmement, de la bienveillance plein le regard :

« Dis-moi Obalie… T-tu vas mieux ? Tu as l’air, en tout cas… J’espère que tu as bien mangé, mais il faut croire que oui ! Bien, me voilà rassuré ! M-mais j’ai besoin de savoir quelque chose, avouait-il en lui faisant de petites caresses pour l’apaiser, dis-moi comment cela se fait-il que tu te sois retrouvé ainsi, tout à l’heure ? », demanda le Gardien du Clan Diamant, sans parvenir à camoufler les bégaiements qui perturbaient ses paroles, bien trop souvent à son goût.

Doucement, Obalie baissa le regard et le sourire qui semblait toujours l’accompagner s’estompa peu à peu. Sous ses doigts, Graham commençait à sentir le pokémon trembler et les remords l’emplirent d’emblée. Il saisit alors ses nageoires et s’excusa, s’adressa à lui d’une voix très douce afin de le rassurer. Mais il comprit donc que la raison de la situation qui eut lieu plus tôt dans l’après-midi n’était autre que celle qui l’avait également perturbé lors de leur rencontre : la peur.

Ayant décidé de ne pas l’embêter davantage, il demeura silencieusement, paisiblement aux côtés du pokémon jusqu’à ce que celui-ci se fût endormi sur les lattes de bois de la tente. Graham le recouvrit légèrement d’une fine couverture avant de se glisser lui-même sous les draps.

Avant que le soleil n’eût fait preuve de sa présence aux deux compagnons, Obalie s’éveilla et bâilla allègrement, à s’en décrocher la mâchoire. Afin de réveiller Graham, il roula une fois sur lui-même pour atteindre son lit et attrapa le pan tombant de couverture entre ses deux nageoires et la bougea légèrement pour le stimuler.

N’étant pas un gros dormeur, Graham ne s’énerva pas, ne se retourna pas dans son lit. Il s’assit doucement, se frotta l’œil droit et bâilla à son tour, ce qui provoqua, par un effet miroir, un nouveau bâillement de la part d’Obalie. Ils se regardèrent, de leurs airs encore un peu endormis, et rirent en cœur.

« Eh bien, que se passe-t-il ? Pourquoi me réveiller si tôt, tu as déjà faim ? »

Obalie secoua la tête pour lui exprimer que cela n’en était pas la raison, et secoua les nageoires en rythme.

« T-tu… veux nager ? Tu veux qu’on essaie ensemble, c’est cela ? Je suis prêt à t’aider, tu le sais. »

Cette fois-ci, le petit pokémon acquiesça, accompagnant sa réponse d’un joyeux cri. Il avait bien réfléchi, s’étant réveillé très tôt ce matin, il voulait surpasser ses craintes, se prouver à lui-même ainsi qu’à Graham qu’il pouvait y arriver. Pas à pas, bien qu’il n’eût pas de pattes, mais il y parviendrait.

Le Gardien se prépara, sans toutefois enfiler ses bottes, mais des sandales à la place. Il savait pertinemment qu’il aurait à glisser ses pieds dans l’eau ! Les deux nouveaux amis sortirent de la tente, face à un ciel encore habillé de ses teintes nocturnes. Au loin, on pouvait deviner quelques rayons solaires perçant faiblement l’horizon. Le vent soufflait relativement fort, ce matin-là.

« Je connais un endroit qui pourrait te servir de terrain d’entraînement. C’est bien plus rassurant que de s’aventurer d’ores et déjà dans la mer, là tu ne risques rien du tout ! »

Emplis d’espoir et d’enthousiasme, ils se dirigèrent donc vers la Lagune des bains, en passant entre les monts qui les dominaient de leur éternité. Là-bas ils trouvèrent, comme annoncé par Graham, un petit étang où Obalie ne pouvait certainement pas se noyer.

« J’ai confiance en toi Obalie. Prends tout ton temps. Si ce n’est pas aujourd’hui, ce sera un autre jour, rien ne presse. Tu peux déjà être très fier de toi car tu as le courage de réessayer. », fit-il en souriant.

Le pokémon de glace trempa le bout de ses nageoires dans l’eau qui n’avait pas encore été réchauffée par le soleil, et un frisson d’angoisse le traversa. Il n’y attribua pas d’importance, et se plongea d’un coup dans l’étang, s’immergeant jusqu’à la moitié de son corps sphérique. Des souvenirs de la veille refirent surface dans son esprit, ce qu’il traduisit par un faible geignement.

« N’aie crainte, tu en es capable Obalie ! C-ce qui est arrivé hier n’a rien à voir avec ce que tu vaux vraiment, ne laisse pas ces pensées inutiles te définir. Je sais que cela n’est pas simple, ne t’inquiète pas, tu n’es pas seul. »

Graham avait lui aussi glissé ses pieds dans l’eau pour se rapprocher d’Obalie, et le rassurer. Le bruit des clapotis de leurs corps dans la petite étendue aquatique s’accordait à celui des vagues s’écrasant sur le rivage. Quand cette mélodie se fit parasiter par un son désagréable, Graham prit plusieurs secondes à en saisir l’origine. Un murmure, une sorte de plainte fantomatique. Tout ce qui pouvait mettre Graham au plus mal. Il déglutit, puis se retourna.

Face à lui, une vision qu’il aurait préféré ne jamais rencontrer, même en cauchemar : un Grodrive. Un pokémon de type spectre, rond et flottant comme un gros ballon, comme une montgolfière. Entièrement violet, sa bouche dessinée telle une croix jaune, il disposait de quatre longs bras se terminant par des extrémités de la même couleur que sa bouche. S’il ne mesurait qu’un mètre vingt, c’était bien une description du Pokédex, que le professeur Lavande lui avait un jour fournie, qui l’effrayait : il s’envolait en transportant des humains et des pokémons, mais personne ne savait où il se rendait…

Ce qu’ignorait Graham, c’est que Lavande avait mis sa description à jour : la nouvelle se dévoilait davantage poétique, et ne l’aurait guère angoissé… : « Il flotte sans bruit dans la pénombre du crépuscule. Son allure, éphémère et empreinte de mélancolie, émeut tant qu'elle est chantée au travers de récits et de poèmes. »

Le soleil ne s’était pas encore levé, alors il pouvait encore jouir de ce terrain qui était baigné par une demi-obscurité. Habituellement, Graham aurait fui. Il n’avait pas à avoir honte de cela, on ne choisit pas ce qui a le pouvoir de nous effrayer. Le Gardien avait bien du courage, bravait les flots sans s’inquiéter de sa propre vie, mais ne pouvait conserver son sang-froid face à de telles créatures.

Cependant, il ne chercha pas à s’échapper au plus loin, pas cette fois. Derrière lui, son protégé mettait tout son cœur pour tenter de braver sa peur… Alors il avait décidé qu’il ferait de même. Il lui avait transmis le courage, par sa volonté, par son obstination malgré son échec de la veille, de faire face à ses propres peurs. Graham écarta les bras dans le désir d’empêcher le pokémon aux intentions insondables d’approcher d’Obalie. Cette scène, aussi ridicule semblait-elle, démontrait toute la bonté du cœur de Graham.

« T-toi, éloigne-toi de nous s’il te plait ! J-j-je ne s-sais pas ce que tu veux m-mais, ne dérange p-pas Obalie, je t’en prie ! »

Sa peur intensifiait ses bégaiements. Obalie, lui, se retourna. Il avait déjà commencé à nager et, même s’il avait peur et que l’étendue n’était que peu profonde, il dominait sa crainte et parvenait à nager réellement. Si l’eau avait le pouvoir de l’effrayer, les pokémons tels que Grodrive, eux, non. En effet, Grodrive ne possédait pas que le type spectre, mais également un deuxième : le type vol. Or, celui-ci était faible face aux attaques de type glace du pokémon sphérique aquatique. Obalie s’apprêtait donc à rouler jusqu’au Grodrive et à utiliser l’attaque « onde boréale », mais s’interrompit.

Le Grodrive s’était approché encore et encore de Graham, qui n’avait pas bougé, et avait clos ses paupières. D’un drôle de bruit aérique, une sorte de « boing » mélangé à un « pshiiit », Grodrive était venu s’écraser doucement contre le Gardien. Le Gardien eut un immense sursaut quand il ressentit le contact de Grodrive, il imagina que sa dernière heure était arrivée.

En réalité, Grodrive était bien incapable de contrôler où son corps flottait, principalement lors de vents forts comme c’était le cas. Il se dirigeait au gré des flux, dénué d’agressivité, en profitant de temps à autre pour servir de transporteur aux pokémons qui le souhaiteraient. Graham rouvrit lentement les yeux, ayant transpiré de panique. Obalie à ses côtés, ils observèrent Grodrive s’éloigner d’eux, peu à peu, emporté par le souffle de la nature. Le pokémon sphérique violet, de l’un de ses bras, les salua, et ils voyaient alors l’extrémité jaune s’animer et remuer de droite à gauche. De conserve, Graham et Obalie, se regardèrent en riant, puis renvoyèrent son gentil geste au pokémon Ballon, Obalie lui envoyant un petit cri d’encouragement.

Tout se terminait bien pour tout le monde, finalement. Obalie, empli d’assurance après avoir vu Graham faire face à ses peurs pour lui, désirait fermement lui prouver ce qu’il était capable d’accomplir lui aussi. Il roula dans l’étang, puis battit des nageoires, tout en se laissant flotter. On pouvait percevoir aisément qu’il se débrouillait bien mieux, désormais.

Ému de voir cela, comme s’ils s’étaient toujours connus, Graham l’applaudit énergiquement. Il savait que, quoiqu’il choisît de faire, rester à ses côtés sur le Mont des Capumain, mener librement sa vie sur la Côte Lazuli, ou rejoindre par exemple les Plaines Obsidiennes, dorénavant il était capable de se débrouiller tout seul. Et son choix restait sien, et sien seul, même s’il s’était bien vite entendu avec lui, il n’allait pas le forcer à rester.

Cependant, à voir comme Obalie, empli de fierté, roula rapidement vers Graham pour qu’ils célèbrent ensemble leurs accomplissements, la décision semblait déjà prise… Ils s’assirent alors tous les deux, sur le sable, face à cette infinie étendue qu’ils affectionnaient tant, laissant le soleil s’élever et offrir à ces terres ses divines nuances d’espoir.


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