Entre infini et au-delà

Chapitre 49 : Wherever I go

1967 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 08/03/2017 21:16

Cassy sortit en trombe dans le parc et manqua de glisser sur l'herbe humide dans sa précipitation. Sa chemise de nuit blanche flottait autour d'elle, lui conférant l'apparence lugubre d'un fantôme. Les semelles de ses bottes émettaient un bruit spongieux dès qu'elles heurtaient le sol boueux.

Sans ralentir la cadence, l'adolescente courut jusqu'aux stalles, située à l'autre bout du vaste terrain. Elle savait qu'elle y retrouverait son Galopa, probablement sur le qui-vive à cause du vacarme produit par l'hélicoptère qui survolait le Bourg-Palette. C'était la première fois qu'elle voyait l'un de ces appareils autrement qu'en photo et elle pourrait dorénavant dire qu'elle ne les appréciait pas.

Un spot lumineux puissant balayait le village en contrebas, probablement pour tenter de la repérer. De combien de temps disposait-elle avant que ce rayon ne soit braqué sur elle ? Cassy n'était plus qu'à une vingtaine de mètres, désormais. Elle pressa l'allure et s'engouffra à l'intérieur de l'abri en bois.

Elle serait momentanément dissimulée aux yeux de l'hélicoptère, mais elle était loin d'être tirée d'affaire pour autant. Il lui fallait encore réussir à mettre le plus de distance possible entre le Bourg-Palette et elle, ce qui ne s'annonçait pas chose aisée, d'autant que la robe chatoyante de Galopa ne passerait pas inaperçue dans la nuit.

Quelques mois plutôt, Cassy avait fabriqué un grossier porte-selle, sur lequel elle avait entreposé son équipement équestre. Malgré l'agitation à laquelle il était en proie, son pokémon se laissa docilement passer la bride. Un seul mot de sa maîtresse avait suffi à lui faire comprendre l'urgence de la situation.

Elle passa la sangle son ventre, l'attacha, et après avoir perdu de précieuses secondes à s'assurer qu'elle était correctement fixée, Cassy se hissa sur le dos de Galopa. Calant son sac contenant ses maigres possessions sur ses genoux, elle s'élança au galop.

Tandis qu'ils se dirigeaient vers la palissade, la jeune fille jeta un regard en direction du laboratoire. Elle dut lutter contre les larmes qui menaçaient d'affluer dans ses yeux lorsqu'elle songea à la situation périlleuse dans laquelle elle avait plongé Régis, ainsi que son grand-père.

Cassy souhaitait croire son ami assez malin pour s'en sortir, mais elle n'oubliait pas qu'il était sur le point de se confronter à de dangereux criminels, qui n'avaient eu aucun scrupule à éliminer toute sa famille. Comment pourrait-elle continuer à vivre si, par sa faute, les Chen subissaient un sort identique à celui des Granet ?

L'adolescente se ressaisit. Elle avait presque atteint la clôture et elle devait se concentrer sur ce qui l'attendait. D'un coup de talon, elle enjoignit Galopa à accélérer. Le saut qu'il fallait réaliser était gigantesque, et il aurait besoin de tout l'élan possible pour y parvenir.

Il exécuta sa foulée d'appel et ses antérieurs quittèrent le sol, pendant que ses postérieurs se tendaient au maximum. Ses sabots heurtèrent la barrière en bois, mais sans l'entraver. S'il retomba un peu lourdement de l'autre côté, au moins, ils avaient réussi à passer. Le soulagement de Cassy fut de courte durée, car le cri lugubre d'un Grahyèna parvint à ses oreilles.

En plus d'être rapides, ces pokémon possédaient un flair redoutable. Dès qu'ils seraient lancés sur sa piste, elle aurait un mal fou à les semer. Le seul moyen qu'elle avait de leur échapper était de les distancer, mais y parviendrait-elle ? Galopa était endurant, il pourrait maintenir une cadence élevée sur plusieurs kilomètres. Cela suffirait-il ?

Cassy préféra ne pas se poser la question, étant donné qu'elle finirait de toute façon par avoir la réponse. Elle raffermit ses mains sur les rênes pendant que son pokémon suivait le chemin de terre qui menait hors du village, en direction de la route 1. L'adolescente n'allait pas l'emprunter, cependant. Elle avait l'intention de s'enfoncer dans le bois qui séparait le Bourg-Palette de Jadielle.

Cassy connaissait bien les lieux pour être souvent venue étudier la faune locale, en compagnie de Régis. Ceux qui la traquaient ne disposeraient probablement pas d'un tel avantage, et ce serait sa chance de prendre de l'avance sur eux. Elle jeta un regard par-dessus son épaule, juste avant d'atteindre la lisière des arbres. Elle n'avait encore aucun poursuivant immédiat, mais les aboiements se rapprochaient. Elle ne devait pas hésiter.

Galopa s'enfonça parmi les arbres. Le sol était accidenté et des obstacles, tels que des buissons ou des branches, se dressaient en travers de sa route, mais il ne trébucha pas une seule fois. Il percevait la terreur de Cassy et il savait ce qu'il adviendrait d'eux s'il commettait le moindre faux pas.

Si les Grahyèna n'auraient aucun mal à les suivre, malgré la pénibilité de l'environnement, les humains qui les commandaient auraient plus de difficulté à se déplacer au milieu de la végétation. Les canidés demeuraient néanmoins la menace principale, à l'heure actuelle. Galopa n'étant pas fait pour le combat, tout serait perdu s'ils étaient rattrapés.

Cassy avait l'impression de ne jamais s'être déplacée aussi vite sur le dos de sa monture de toute sa vie. Elle avait beau être une cavalière émérite, elle souffrait de l'inconfort provoqué par la rapidité du cheval de feu et les nombreux écarts qu'il réalisait pour éviter les embuches manquèrent de la désarçonner à plusieurs reprises. Elle avait dû enrouler ses doigts dans sa crinière incandescente pour s'y cramponner.

Les Grahyèna semblaient toujours équidistants, mais rien n'était moins sûr. Dans une forêt, les sons étaient différents et leur estimation pouvait donc être faussée. Galopa ne faiblissait pas, mais Cassy était hors d'haleine. Le simple fait de se maintenir en selle nécessitait beaucoup d'énergie.

Ce ne fut qu'aux abords de Jadielle qu'elle incita l'équidé à ralentir un peu, afin de reprendre son souffle. Ils allaient devoir contourner la ville, car la traverser serait trop dangereux. Qui savait si d'autres individus, complices de ceux qui avaient fait irruption au Bourg-Palette, ne la guettaient pas quelque part, en embuscade ?

Tandis que Cassy poursuivait son chemin vers le nord, où Argenta serait l'étape suivante, sa crainte s'estompa un peu, pour être aussitôt remplacée par le chagrin. Plus elle s'éloignait du laboratoire du professeur Chen et plus elle songeait à ce qu'elle laissait derrière elle.

Elle avait certes prévu de partir pour reprendre ses investigations, mais elle n'aurait jamais pensé que son départ se ferait ainsi, en pleine nuit, dans la peur et la précipitation. Elle aurait voulu prendre le temps de faire ses adieux à Régis, de même qu'à son grand-père, et savourer une dernière fois pleinement ce lieu qu'elle avait longtemps considéré comme un havre de paix.

Au lieu de cela, elle s'était enfuie en catastrophe, laissant son meilleur ami seul avec un vieil homme pour endiguer la menace que représentaient ses poursuivants. Elle ne les reverrait plus jamais, pas plus que le Bourg-Palette, et le dernier souvenir qu'elle conserverait serait le bruit assourdissant et inquiétant de l'hélicoptère survolant le village, à sa recherche.

Non contents d'avoir assassiné sa famille, ces monstres venaient de l'arracher brutalement à ceux qui avaient remplacés ses proches. Cassy se mordit la lèvre si fort que du sang perla. Après ces mois paisibles, devait-elle définitivement abandonner l'idée d'être tranquille ?

Elle avait baissé sa garde, convaincue que si personne ne l'avait retrouvée jusqu'à présent, cela signifiait qu'elle était tirée d'affaire. Quelle présomption naïve ! Ils avaient prouvé que, en dépit du temps que cela nécessitait, ils étaient capables de la localiser. Où que Cassy aille, désormais, elle ne serait pas plus à l'abri. Comment leur échapper, dans ce cas ?

L'adolescente balaya ses yeux du revers de la main, car des larmes troublaient sa vue, or elle avait besoin que toutes ses facultés soient au mieux. Elle ne devait pas faillir. Elle savait que, quoi qu'il arrive, Régis ne la trahirait pas. Il ne révélerait jamais à ces criminels les informations dont il disposait au sujet de Cassy, ou plutôt de Kathy.

L'intéressée secoua la tête. Au fil des mois, elle était devenue Cassy Rilène à part entière, Katharina Granet n'étant plus que le lointain souvenir d'une vie antérieure, qu'elle avait à peine le sentiment d'avoir vécu. Voici que ses deux identités se chevauchaient à nouveau, pour son malheur.

Qui était-elle vraiment ? Une fille dont l'existence n'avait été qu'une illusion, et les noms une étiquette qu'elle se collait en fonction de la situation. Elle n'était plus l'enfant apeurée qui s'était perdue dans le bois en suivant un Cerfrousse, deux ans plus tôt. Elle avait grandi. Elle pensait n'avoir que douze ans lorsqu'elle avait découvert le salon sanguinolent, et elle en avait à présent dix-sept. Cela avait-il fait d'elle une autre pour autant ? Pas totalement, sans quoi elle ne serait pas en train de fuir les meurtriers de la famille Granet.

Ils étaient la seule chose qui la liait encore à un passé auquel elle avait désespérément tenté d'échapper, en vain. C'était peine perdue. Si elle ne savait pas qui ils étaient, eux-mêmes seraient toujours là pour lui rappeler qu'elle avait été jadis Katharina Granet, et qu'en dépit de sa nouvelle identité, elle n'en demeurait pas moins leur cible.

Tandis que Galopa continuait à filer en direction du nord, Cassy songea aux propos que son interlocutrice onirique avait tenus, juste avant de la réveiller. Elle l'avait qualifiée de « dragon », en référence au glyphe qu'elle portait. Elle lui avait également conseillé d'en devenir un. De devenir forte. Assez forte pour ne plus avoir à craindre personne.

Cassy n'avait pas non plus oublié sa seconde recommandation, celle qui concernait Arceus. Sur le moment, elle avait refusé d'entendre ce que la femme avait à lui dire, mais à présent, elle était persuadée qu'elle avait raison. Le Créateur n'avait jamais rien fait pour elle. Il était resté sourd à ses prières, à ses suppliques.

Qu'avait-elle fait pour mériter toutes les épreuves qu'elle traversait ? Selon la Pokible, le Tout-Puissant était juste et miséricordieux, mais si l'adolescente se basait à sa propre expérience, elle pouvait tout au plus penser qu'il prenait un plaisir sadique à la regarder souffrir, à condition qu'il daigne même lui accorder quelque attention.

Cassy n'aurait jamais osé nourrir de telles pensées, par le passé, mais tout avait changé. Autrefois, elle menait une vie paisible avec sa famille, entourée par les champs et les pokémon de la ferme. Aujourd'hui, elle chevauchait à travers les bois pour tenter de sauver sa vie, une vie à laquelle Arceus attachait visiblement si peu d'intérêt.

La jeune fille avait laissé son chapelet dans le tiroir de la table de nuit, au Bourg-Palette, et elle ne regrettait pas. Elle doutait d'en avoir à nouveau besoin un jour, après toutes ces soirées gaspillées à l'égrainer pour rien. Ce n'était pas de la déception qu'elle éprouvait, mais de la fureur. Elle était furieuse contre l'Alpha.

- Je vais le faire, marmonna-t-elle. Je vais devenir forte. Et si je dois basculer dans les ténèbres, ce sera le prix à payer.

Cassy talonna son Galopa, qui reprit une allure plus soutenue. Elle ignorait où elle allait, mais puisque la lumière ne l'avait menée nulle part, jusqu'à présent, il était grand temps de suivre une autre voie.

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