Entre infini et au-delà

Chapitre 55 : J'y crois encore

2390 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 05/04/2017 21:39

- Hyporoi, utilise Dracochoc !

Cassy, tombée à la renverse sous le coup de la peur, se protégea le visage de ses mains tandis que le Draco qui l'avait surprise fondait toujours sur elle. L'attaque qui venait d'être lancée le heurta de plein fouet, déviant ainsi sa trajectoire. Le pokémon fut propulsé sur plusieurs mètres et sa tête percuta le sol rocheux de la caverne. Assommé, il ne se releva pas.

La jeune fille entrouvrit les yeux pour voir une pokéball voler en direction de la créature inconsciente. Elle l'absorba dans un éclair de lumière rouge, avant de remuer trois fois. Un cliquetis confirma la capture de la cible. Une cape traversa le champ de vision de Cassy, toujours recroquevillée sur le ponton, pendant que Sandra l'enjambait.

- Encore là ? constata-t-elle. Qu'est-ce que tu peux être collante ! Tu as déjà failli provoquer un accident alors qu'il n'est même pas encore midi. Tu m'as tout l'air d'être une véritable catastrophe ambulante.

- Je n'ai rien fait ! protesta l'adolescente avec véhémence. C'est ce Draco qui m'a foncé dessus. Je n'y suis pour rien, moi !

- C'est ça, oui... En tout cas, ou bien tu es stupide, ou bien tu es inconsciente. Ou les deux, ce qui ne m'étonnerait pas. Seuls les dresseurs compétents peuvent oser pénétrer dans l'Antre du Dragon, les autres se font manger tout crus. D'ailleurs, cet endroit est interdit aux gamins, c'est bien trop dangereux.

- Je ne suis plus une enfant, et je crois que c'est d'autant plus malvenu de la part d'une fille qui est à peine plus âgée que moi de me dire ça.

- D'où l'intérêt de distinguer les morveux dans ton genre des dresseurs compétents dans le mien. Je suis une Championne d'Arène et une dracologue de renommée interrégionale. Toi, tu es juste une demi-portion qui a le droit de se taire.

Cassy se mordit la joue. Elle venait de se laisser emporter et elle ne devait pas continuer dans cette voie si elle voulait atteindre son objectif. Aussi insupportable Sandra soit-elle, elle avait besoin d'elle. Il fallait que quelqu'un l'instruise si elle voulait survivre à tous les dangers qui la menaçaient.

Elle profita du temps que la Championne mit pour aller ramasser la pokémon afin de se calmer. Ses poings, qui s'étaient serrés par instinct, se détendirent. Quant à ses jambes, elles avaient cessé de trembler, à présent que l'alerte était passée. Alors qu'elle se relevait, Sandra lui lança :

- Pourquoi es-tu revenue ?

- Puisque vous ne souhaitez rien m'apprendre, j'ai décidé de vous observer par moi-même. Avec un peu d'assiduité, je finirai bien par saisir quelques bribes de connaissances.

- Je ne te le permets pas.

- À moins de m'arracher les yeux, je ne vois pas trop comment vous pourriez m'en empêcher, souligna Cassy.

- Pour qui est-ce que tu te prends ? Ne t'avise pas te continuer à me parler sur ce ton.

Les traits de Sandra trahissaient la fureur que lui inspiraient les paroles de la jeune fille. Ses yeux lançaient des éclairs et Cassy songea que, pour la flatterie, elle avait plutôt mal réussi son entrée en matière. Ce n'était pas très grave, cependant. Une autre idée était en train de germer dans son esprit. La dracologue était vaniteuse et suffisante. Deux défauts qu'elle pouvait peut-être retourner à son avantage.

- En fait, je sais pourquoi vous refusez de m'enseigner quoi que ce soit, décréta Cassy avec une assurance qui la surprit elle-même. Vous n'êtes pas aussi douée que vous voulez bien le faire croire et vous avez peur que je m'en aperçoive. Après tout, si vous êtes ici, à diriger une simple Arène, alors que votre cousin est à la tête du Conseil Quatre, ce n'est pas pour rien.

- Qu'est-ce que tu insinues ? gronda Sandra, la voix rendue si vibrante par la colère qu'elle aurait pu faire trembler un Rhinastoc.

- Que Peter est bien meilleur que vous. Peut-être même devez-vous davantage votre titre de Championne au fait que vous êtes la nièce de son père, votre prédécesseur, qu'à votre véritable talent, si toutefois vous en avez.

Sandra grommela quelque chose qui ressemblait fort à une injure, puis baissa les yeux sur la pokéball du Draco fraîchement capturé qu'elle tenait encore entre ses mains. D'un mouvement sec, elle la jeta à Cassy, qui la rattrapa de justesse avant qu'elle tombe dans l'eau, par manque de réflexe.

- Que...

- Le voilà, ton dragon, décréta la dracologue. Puisque tu penses que ma réputation est usurpée, j'ai hâte de voir ce que tu vas en faire, toi.

- Mais je... Je...

L'aplomb de Cassy disparut aussi soudainement qu'il était arrivé pour céder la place à la panique. Ses doigts tremblaient et elle avait l'impression que la pokéball, dans le creux de sa paume, était incroyablement lourde.

- Je ne peux pas débuter avec un Draco, parvint-elle enfin à articuler. Il s'agit d'un stade évolué, il refusera de m'écouter !

- Qu'est-ce que j'en ai à faire ? Tu m'as dit que tu voulais un dragon, tu l'as. Maintenant, sors d'ici et va m'attendre à l'Arène. Je te montrerai ta chambre lorsque j'aurai terminé mon entraînement. En dépit de ce que tu crois, il ne suffit pas de s'appeler Lance pour devenir dracologue.

Cassy acquiesça sans enthousiasme. Elle avait réussi, mais elle se demandait si elle devait s'en réjouir. Dans quoi venait-elle de mettre les pieds ? Et même si Sandra semblait avoir décidé d'accepter de l'initier au dressage des dragons, elle se demandait comment elle parviendrait à la supporter.

L'adolescente regagna l'Arène, mais cette fois-ci, elle se présenta devant l'entrée privée, et non celle destinée aux challengers. La porte n'était pas verrouillée et Cassy pénétra dans un petit hall exigu, où se trouvaient un visiophone, plusieurs portes et un escalier conduisant à l'étage. Sylvain était en train d'en descendre les marches. Il l'interrogea d'un regard, auquel elle répondit par un hochement de tête affirmatif, tentant de masquer sa grimace.

- Toutes mes félicitations ! Je commençais à me sentir bien seul, ici. Je suis heureux d'avoir enfin de la compagnie.

- De la compagnie ? répéta Cassy. Il n'y a pas de dresseurs d'Arène ?

- Il y en avait, mais Sandra a pris la décision de tous les renvoyer, car elle considérait qu'ils n'étaient pas assez compétents pour travailler avec elle. En fait, je crois surtout qu'elle désirait provoquer Peter.

- En quoi est-ce que ce serait une provocation pour lui ?

- Elle voudrait qu'il lui accorde plus d'intérêt et elle espérait que, lorsqu'il aurait eu vent de ses agissements, il se manifesterait, mais bien sûr, il n'a pas réagi. Il est trop occupé par son rôle de Maître. Il a un appartement ici, à l'Arène, mais d'après ce que j'ai compris, il n'y a pas mis les pieds depuis des mois.

Cassy ne releva pas. La situation semblait tendue au sein de la famille Lance et, pour un peu, elle s'en serait presque voulu d'avoir évoqué Peter pour obtenir de Sandra ce qu'elle souhaitait. Après tout, elle-même n'était pas un modèle en matière d'harmonie familiale, puisqu'elle avait fini par éprouver de la colère plus que du chagrin à la pensée de ses parents.

- Qu'est-ce que c'est ? demanda Sylvain en désignant la pokéball qu'elle triturait machinalement.

- Un Draco. Sandra l'a capturé au moment où il s'apprêtait à m'attaquer et elle a décidé de me le donner. J'appréhende un peu... Ça ne doit pas être une créature facile à dresser.

- Non, en effet. Un dragon à son second stade d'évolution, ça ne va pas être une mince affaire. Tu vas devoir faire preuve de patience et de persévérance avant de te faire obéir de lui. M'enfin... Je suppose que Sandra sait ce qu'elle fait.

Cassy acquiesça sans grande conviction, puis accepta de suivre Sylvain lorsqu'il lui proposa de lui faire visiter l'Arène. Elle se divisait en deux parties. L'une d'elle était bien sûr la salle de combat, l'autre était réservée à l'habitation. Le jeune Topdresseur lui fit découvrir la cuisine, qui faisait également office de salle à manger, un salon assez vaste pour recevoir une dizaine de personnes et une bibliothèque. Elle était plutôt accueillante, avec ses deux tables de travail et ses fauteuils en cuir, ainsi que ses étagères qui croulaient sous le poids des livres. La plupart concernaient les dragons ou la région d'Ébènelle, mais d'autres abordaient des sujets plus généraux.

- Est-ce que tu penses te plaire, ici ? s'enquit Sylvain.

- Je ne sais pas. C'est peut-être encore un peu tôt pour le dire.

- Ne t'inquiète pas, je sais ce que tu ressens. J'ai vécu la même chose à mon arrivée. Sandra est impressionnante, elle ferait fuir n'importe qui au premier coup d'œil, mais ça vaut la peine de s'accrocher. Elle peut t'apprendre beaucoup de choses et, dès que les premiers temps seront passés, elle grognera moins. C'est sa manière à elle de sonder la personne à qui elle a affaire.

- J'espère que tu as raison.

- Et maintenant, que tu dirais-tu de boire quelque chose ? Histoire de porter un toast à ton arrivée ici.

- Pourquoi pas ? approuva Cassy avec un sourire.

- J'ai acheté des baies au village, ce matin. Je vais pouvoir préparer une bonne Troncinade.

- Non !

Cette exclamation échappa à l'adolescente avant qu'elle ait pu essayer de la contenir. La boisson lui évoquait Régis et le jour où ils avaient découvert l'existence des croquis d'Éric au dos de ses notes, aussi n'était-elle pas certaine de réussir à s'en faire servir un verre sans fondre en larmes. Elle était toujours aussi inquiète pour lui.

- Je... Euh... Je n'aime pas les baies Tronci, se rattrapa-t-elle en bégayant. Elles sont beaucoup trop acides à mon goût.

- C'est ce qui fait leur particularité, souligna Sylvain. Mais soit. Du Soda Cool, plutôt ?

- Va pour le soda.

Ils regagnèrent la cuisine et l'adolescent invita Cassy à prendre place sur l'une des chaises qui entouraient la table, pendant qu'il sortait deux verres du placard et deux canettes du réfrigérateur. La jeune fille le remercia d'un sourire poli avant de se servir. Elle n'avait pas bu depuis la veille, après s'être désaltérée dans un ruisseau, et elle remarqua qu'elle avait la gorge sèche.

Sylvain en profita pour lui poser quelques questions à son sujet, qu'elle éluda du mieux qu'elle put. Pour l'empêcher de continuer, elle s'efforça de détourner la conversation, ce qui ne fut pas difficile. Il lui suffit d'évoquer sa formation de Topdresseur.

- Le plus souvent, les élèves intègrent l'Académie après avoir suivi des cours à l'École des dresseurs, mais ce n'est pas obligatoire, puisqu'il existe des remises à niveau pour les novices. Les études durent cinq ans, de dix à quinze ans pour la plupart d'entre nous. J'ai obtenu mon diplôme cette année et, sitôt que nous l'avons, nous devons réaliser un stage encadré par l'établissement, qui nous permet de mettre à l'épreuve nos connaissances dans un environnement réel. J'ai choisis les Arènes, même si je n'ai pas la vocation de devenir Champion. Je me prédestine plutôt à l'élevage.

- Je suis la voie inverse, indiqua Cassy. J'étais éleveuse et je souhaite à présent devenir dresseuse. Je suppose que tu as déjà des pokémon.

- Quelques-uns. Pour le choix de notre starter, par exemple, nous ne sommes pas aussi limités que dans les Écoles de dresseurs. Plus de possibilités s'offrent à nous. Enfin, je dis ça, mais comme j'ai eu une note moyenne à l'évaluation, j'ai été parmi les derniers à pouvoir me décider, si bien qu'il ne restait presque plus de pokémon. J'ai opté pour un Abra et je ne le regrette pas. C'est une créature plutôt timide et solitaire, mais il est loyal, et depuis qu'il a évolué en Kadabra, il révèle tout son potentiel.

Cassy, qui n'avait d'abord accordé qu'un vague intérêt aux paroles de Sylvain, avait fini par suivre avec attention ce qu'il lui disait. Elle lui adressa un sourire, le premier qui était vraiment sincère. Sympathique comme il l'était, elle songea que la bonne humeur de l'adolescent l'aiderait à supporter son chagrin. Instinctivement, elle porta la main à son pendentif.

- Joli collier, commenta Sylvain. Tu es vraiment fascinée par les dragons, à ce que je vois.

- Oui... En fait, c'est surtout un cadeau de mon meilleur ami. Nous... Nous avons eu des différends, ces derniers temps, qui nous ont éloignés l'un de l'autre. C'est en partie à cause de ça que j'ai trouvé la motivation nécessaire pour venir ici.

- Je suis navré de l'entendre. J'espère que ça finira par s'arranger entre vous.

- Je le souhaite moi aussi de tout mon cœur.

« Encore faudrait-il pour cela qu'il soit toujours de ce monde », songea amèrement Cassy. La porte d'entrée claqua au même moment et des bruits de pas se firent entendre dans le hall.

- Je crois que Sandra est de retour, annonça Sylvain en avalant d'une traite le soda qui restait dans son verre. Tu dois être pressée de voir où elle va t'installer, non ?

- J'admets que je suis curieuse.

Le Topdresseur lui adressa une œillade amicale et entreprit de débarrasser la table pendant que Cassy se mettait debout, prête à subir un nouveau face à face avec la redoutable Championne.

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