Entre infini et au-delà

Chapitre 67 : Petite sœur

1878 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 06/07/2017 20:17

Cassy était debout, au centre de l'Arène, et bien qu'elle tourne le dos aux gradins, elle pouvait sentir le regard inquisiteur de Sandra braqué sur elle. Il provoquait des picotements dans sa nuque, tandis qu'elle prenait de grandes inspirations pour garder son sang-froid. Draco paraissait beaucoup plus calme, et l'adolescente aurait aimé posséder le même flegme.

- Tu es prêt ? demanda-t-elle dans un murmure. Moi aussi, alors allons-y. Ouragan !

Les boucles de Cassy, qui conservaient leur couleur rousse artificielle grâce aux teintures, s'agitèrent autour de son visage, pendant que le dragon provoquait un tourbillon de bourrasques multiples. Dès que sa maîtresse le jugea suffisamment puissant, elle passa à la seconde étape de l'enchaînement.

- Hydroqueue !

C'était la phase la plus délicate. Après s'être exercé des heures durant au cours de ces trois derniers jours, Draco avait fait d'énormes progrès, mais il était encore loin de la perfection. Le combo ne fonctionnait en moyenne que huit fois sur dix, et Cassy croisa les doigts pour que, statistiquement parlant, cette tentative ne compte pas parmi les deux restantes.

De l'eau s'immisça dans la spirale et se mit à tournoyer avec elle, pendant que la jeune fille serrait les dents. C'était maintenant que tout allait se jouer. Elle s'éleva, de plus en plus haut, jusqu'à effleurer le plafond. La trombe était droite, élégante, grâce à la concentration qui se lisait dans les yeux de Draco.

Sur un geste de Cassy, il projeta l'attaque combinée vers le mur, où elle se fracassa, répandant des éclaboussures dans toute la pièce, y compris dans les gradins, et inonda le sol. Un large sourire fendait le visage de l'adolescente lorsqu'elle pivota face à Sandra, qui fulminait en essorant ses cheveux mouillés. Sylvain, lui, applaudissait à tout rompre sans se soucier de ses vêtements trempés.

- Bravo ! s'exclama-t-il en sautant sur ses pieds. Vous avez réussi !

- Ça, c'est à moi d'en juger, répliqua la Championne. Tu as respecté les consignes, je te le concède, mais la performance était médiocre. Ton combo manquait de maîtrise, d'harmonie et de raffinement. C'était pathétique ! Tu as intérêt à faire nettement mieux, la prochaine fois.

Sur ces mots, Sandra se leva et, de sa démarche hautaine, gagna la porte qui menait hors de la salle. Sylvain enjamba un par un les bancs qui le séparaient de l'Arène et se précipita vers Cassy, en train de caresser la tête de Draco pour le féliciter. Une fois à sa hauteur, il lui frappa amicalement l'épaule.

- Ne l'écoute pas, c'était une performance admirable, déclara-t-il. La coordination est très différente du combat, surtout pour quelqu'un qui n'en fait pas sa discipline de prédilection, mais ce que vous nous avez montré tous les deux était digne d'un Concours à Unionpolis.

Cassy rappela Draco dans sa pokéball, puis Sylvain et elle quittèrent l'Arène. Il était plus de onze heures et demie, de qui impliquait qu'il était largement temps pour eux de se mettre aux fourneaux afin de préparer le déjeuner avant que Sandra décide de le faire. À cette pensée, ils esquissèrent une grimace sans même avoir besoin de se concerter.

Le Topdresseur était en train de rouler des boulettes de viande pour accompagner les spaghettis et Cassy se chargeait de la sauce lorsque la Championne fit irruption dans la cuisine. Elle avait l'air encore plus maussade qu'à l'accoutumée, ce qui n'était pas peu dire. Elle avait pourtant paru normale lors de la démonstration de son élève.

- Sylvain, va t'occuper ailleurs, ordonna-t-elle. Je vais terminer.

- Vous êtes sûre ? Je peux...

- Dehors !

Elle cria si fort que l'adolescent posa précipitamment le morceau de viande qu'il tenait à la main et, sans prendre le temps de s'essuyer, disparut hors de la pièce. Sandra prit sa place sur le plan de travail, non loin de Cassy.

- Il paraît que tu t'es disputé avec ton meilleur ami avant de venir dans mon Arène, lâcha-t-elle après plusieurs minutes de silence. Est-ce que c'est vrai ?

- Sylvain devrait apprendre à tenir sa langue...

- En fait, c'est moi qui l'ai interrogé pour avoir des informations à ton sujet. Je voulais évaluer tes forces et tes faiblesses, et je pensais qu'il pourrait me renseigner.

- Et qu'en avez-vous conclu ?

- Que tu caches quelque chose. Tu ne parles jamais de toi, ni de ta vie. Tout ce que Sylvain sait, c'est que tu viens d'Azuria, que tu as travaillé un temps comme éleveuse pokémon et qu'il y a eu cette querelle. Moi, j'ai pour habitude de voir plus loin que le bout de mon nez. M'est avis que tout ça n'a pas uniquement à voir avec ton meilleur ami. Que tu aies voulu changer de vie, c'est une chose, mais on ne renie pas la précédente à cause d'une simple prise de tête.

Cassy continua à remuer machinalement le contenu de la casserole, parfumé aux baies Tomato, qui cuisait à feu doux. Elle avait blêmi et ses doigts avaient raffermi leur prise sur le manche de la cuillère en bois. Qu'allait-elle fait si Sandra commençait à suspecter quelque chose ?

- Est-ce que tu as des problèmes avec ta famille ? demanda la dracologue.

- Je... Je ne tiens pas à en parler.

Cassy ne tenta pas de mentir. Sandra venait de prouver à quel point elle était perspicace et tricher ne servirait à rien. Le silence retomba sur la pièce durant un court instant, avant que la Championne le brise à nouveau :

- Peter doit venir ici.

L'adolescente cessa de tourner sa sauce Tomato pour orienter sa tête vers Sandra. Le regard turquoise de celle-ci était posé sur la viande qu'il restait à rouler, mais elle ne l'avait pas encore touchée. Sa mauvaise humeur avait laissé place à une profonde mélancolie, qu'elle exprimait rarement.

Cassy comprit mieux la raison de cette conversation. Sandra n'avait pas l'intention de l'interroger sur son passé ou ses secrets, elle avait simplement besoin de se confier à quelqu'un, et elle avait trouvé en son élève la personne qui lui semblait adéquate pour cela.

- Quand ça ? s'enquit Cassy.

- Pour les fêtes de fin d'année. Je viens de recevoir une lettre par Roucool, dans laquelle il m'avertit de sa visite prochaine. Je devrais être heureuse, mais...

- Mais vous n'y parvenez pas, n'est-ce pas ?

- Voir mon cousin pendant dix jours ne compensera pas son absence le reste du temps. Quand nous étions enfants, nous étions inséparables, le savais-tu ?

- Non, murmura Cassy.

- Ce sont mes parents qui nous ont élevés, tous les deux. Ma tante est morte quand Peter avait cinq ans et mon oncle ne s'en est jamais remis. Il a beaucoup voyagé, à la recherche de nouveaux pokémon dragon, car c'était la seule chose qui lui permettait d'oublier sa peine. Mon père tenait l'Arène, en son absence. Nous vivions plus souvent ici que chez nous. Dans le fond, Peter et moi sommes plus frère et sœur que cousin et cousine.

Cassy comprenait ce qu'elle pouvait ressentir. Contrairement à ses parents, Éric lui manquait infiniment. Elle ne lui en voulait pas d'avoir été dans la confidence de leurs secrets, à ses dépends. En revanche, elle ne pardonnerait jamais ce silence à ses géniteurs.

- Nous sommes un peu pareilles, toi et moi, constata Sandra. Nous avons toutes les deux un passé qui nous fait profondément souffrir, et nous avons dû apprendre à nous accomplir par nous-mêmes.

- Vous, oui. Moi, non. C'est grâce à vous si j'en suis là. Tout ce que je sais, tout ce que je suis en train de devenir, c'est à vous que je le dois. Si je ne vous avais pas rencontrée, je... Je ne sais pas. J'ignore comment j'aurais pu...

- Tu y serais parvenue, coupa la Championne. Je suis peut-être celle qui t'aide à progresser, mais le potentiel, c'est toi et toi seule qui le possèdes. Je n'ai pas pu l'inventer.

Cassy jeta un regard à son avant-bras. Ses manches étaient sales, maculées de taches rouges, car elle ne les retroussait jamais pour ne pas dévoiler son glyphe. L'espace d'une seconde, elle songea à l'évoquer avec Sandra. Depuis qu'elle avait quitté le Bourg-Palette, elle n'avait personne avec qui évoquer le symbole. Sylvain était un excellent ami et la Championne le meilleur mentor dont elle puisse rêver, mais cela n'avait rien à voir avec Cynthia ou Régis, qui étaient dans la confidence.

Cassy secoua la tête, s'interdisant d'envisager une telle éventualité. Elle savait qu'elle n'avait pas le choix : se taire était devenu indispensable pour se protéger, autant que pour protéger les autres. Elle avait déjà mis trop de monde en danger depuis le début de ses pérégrinations. Il était exclu d'exposer ses nouveaux amis à la menace, comme elle l'avait fait malgré elle avec les précédents.

- Quand Peter sera là, il pourra te donner quelques conseils pour t'aider à progresser, déclara Sandra. Le savoir d'un Maître, c'est toujours bon à prendre.

- Votre cousin est peut-être considéré comme le meilleur dresseur de tout Johto, mais je crois que je n'aurais pas pu espérer mieux que vous pour me former au dressage des dragons.

- C'est indéniable, approuva la dracologue après s'être autorisée un demi-sourire, mais il n'est jamais inutile d'étudier de nouvelles méthodes de combat ou d'élevage, afin de parfaire ses connaissances. Celles de Peter sont très différentes des miennes.

Sandra prit enfin un peu de viande dans ses mains et réalisa sa première boulette, tandis que Cassy continuait à l'observer du coin de l'œil. C'était étrange de la voir ainsi, presque vulnérable, elle qui faisait toujours preuve d'une arrogance surpassant la simple assurance. Dans un murmure, la Championne avoua :

- Parfois, je me demande comment nous avons pu en arriver là. Tout ceci n'a aucun sens.

Cassy partageait son avis. L'existence elle-même était dépourvue de logique. Pourquoi le sort s'acharnait-il sur elle, au point de lui dérober tous ses proches les uns à la suite des autres, alors qu'elle n'avait jamais rien fait pour mériter cela ? Même si elle basculait dans les ténèbres, comme Lilith tentait de l'y inciter, quel châtiment plus terrible l'Alpha pourrait-il lui infliger ? Il lui avait tout pris, et elle n'avait plus rien à perdre.

La lumière l'avait tant déçue, au cours de ces derniers années, qu'elle ne comprenait pas pourquoi elle hésitait encore à lui tourner le dos. Malgré cela, elle continuait à se raccrocher au peu d'intégrité qu'il lui restait, la seule chose qui l'empêchait de rejoindre irrémédiablement le camp de Lilith.

- Enfin, c'est comme ça, soupira Sandra. Nous n'y pouvons rien.

Cassy se tourna vers elle et lui adressa un sourire triste, qu'elle accompagna d'un haussement d'épaules, tout en confirmant :

- Non, en effet. Il faut apprendre à faire avec.

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