Nous voulions simplement être des héros...

Chapitre 2 : Mésentente

2847 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 10/11/2016 05:22

- Un avis de recherche a été lancé dans tout Sinnoh afin de retrouver les malfaiteurs, indiqua l'agent Jenny. Les services de police des autres villes nous ont garanti leur entière coopération.

- C'est la troisième fois depuis le début de l'année que cette équipe de pokémon apparaît sur les lieux d'un crime et ils entravent à chaque fois l'opération des forces de l'ordre. Pensez-vous qu'il s'agisse de complices ? Qu'ils sont envoyés pour vous ralentir, vous et vos hommes ?

La journaliste, une jeune femme aux boucles blondes interminables et au sourire fallacieux qui creusait de multiples fossettes sur son menton, brandit son micro sous le nez de la policière, qui s'accorda un temps de réflexion avant de répondre :

- Non, je ne crois pas, ou alors il faudrait conclure que tous ces incidents avaient un lien entre eux, ce dont je doute. Je pense plutôt que c'est l'oeuvre d'un dresseur qui veut jouer les justiciers à l'aide de ses pokémon, mais qui s'y prend mal. D'ailleurs, je me permets de m'adresser à cette personne, qui qu'elle soit. Je me doute que vous voulez bien faire, mais arrêtez, je vous en conjure. À cause de cette intervention, nous avons encore trois criminels en liberté dans la nature, avec plusieurs centaines de milliers de pokédollars en poche. Si vous souhaitez vraiment être utile à la société, alors laissez faire la police. Le monde ne s'en portera que mieux.

Duncan Lazlo pressa le bouton rouge de la télécommande qu'il tenait à la main et éteignit la télévision, faisant taire par la même occasion l'agent Jenny. La pièce se retrouva plongée dans les ténèbres, puisque l'écran était jusqu'à présent la seule source lumineuse.

Duncan s'étira longuement, puis se leva du canapé défoncé par des années d'utilisation et se dirigea vers l'interrupteur. L'ampoule au plafond s'alluma en grésillant, dévoilant une pièce austère et peu accueillante. Cela n'avait rien d'étonnant, puisqu'il s'agissait d'un vieil entrepôt souterrain réaménagé en habitation.

Les murs étaient gris, entièrement constitués d'acier, et aucun cadre, aucune photographie ne venait les égayer. Le sol, pour sa part, était en pierre, et renvoyait l'écho des pas qui étaient effectués dessus. Ceux de Duncan résonnaient d'autant plus que la masse corporelle du jeune homme était relativement imposante.

Il devait mesurer dans les un mètre soixante-quinze, pour près de quatre-vingt dix kilos. Il possédait des cheveux châtains clairs, des yeux havane, ainsi que le teint blême d'un individu qui ne voyait jamais la lumière du jour.

Cela faisait plus de trois ans qu'il vivait ici, dans ce refuge bâti sous terre, et qu'il n'avait pas remis le nez à la surface. Il avait négligé sa forme physique, passant le plus clair de son temps à grignoter devant son poste de télévision ou l'un de ses nombreux ordinateurs, ses seules fenêtres sur le monde réel.

 - Laisser faire la police ? répéta-t-il avec mépris. Mon oeil...

Duncan avait une dent contre les représentants des forces de l'ordre, quels qu'ils soient, depuis le fâcheux événement qui lui était arrivé alors qu'il était âgé de vingt ans et qu'il s'apprêtait à prendre part au Grand Festival de Sinnoh, réservé à l'élite des coordinateurs parvenus à obtenir leurs cinq rubans qualificatifs.

Le tournoi devait se dérouler à Unionpolis, capitale mondiale des Concours Pokémon, mais alors que Duncan était sur le point de se rendre à l'accueil des inscriptions, il avait été attaqué par deux voyous. Ceux-ci l'avaient passé à tabac et lui avaient volé son portefeuille, dans lequel il gardait non seulement tout son argent, mais surtout ses précieux rubans, avant de l'abandonner mal en point dans une ruelle déserte.

Personne ne lui avait prêté secours. Il s'était réveillé, groggy et le nez en sang, un long moment après. Son premier réflexe avait été d'avertir le commissariat le plus proche, dans l'espoir qu'ils retrouvent les deux vauriens et surtout ce qui lui appartenait, mais l'agent Jenny en personne lui avait répondu qu'avec l'affluence que subissait Unionpolis pour le Grand Festival, elle avait d'autres affaires nettement plus importantes à résoudre qu'un simple vol.

Duncan avait malgré cela tenté de s'inscrire pour participer au tournoi, mais sa candidature avait été refusée. D'après les organisateurs à qui il s'était adressé, trop de gens usaient de méthodes frauduleuses et de mensonges afin de prendre part au Concours. Il avait beau dire la vérité, ils n'avaient pas souhaité lui faire confiance.

Dépité, le jeune homme était rentré à Voilaroc, sa ville natale, mais il avait décidé de ne pas se réinstaller chez ses parents. Il avait donc acquis ce vaste entrepôt, qui servait autrefois à stocker des marchandises pour un centre commercial qui avait fermé boutique, et l'avait aménagé en loft souterrain.

À force de vivre sous terre et de ressasser le malheur qui l'avait frappé à Unionpolis, il avait fini par développer une forme pointue d'agoraphobie, au point de ne plus remettre le nez dehors. C'étaient ses pokémon, ses fidèles alliés et surtout les seuls êtres à qui il faisait confiance, qui se chargeaient de l'approvisionner en victuailles et de lui ramener de la surface tout ce dont il avait besoin.

Un jour, alors que son Hélédelle revenait du marché avec des provisions qu'elle avait été acheter à sa demande, elle avait été témoin d'une agression. Un garçon d'une dizaine d'années se faisait attaquer, exactement comme son maître l'avait été par le passé. Elle avait décidé d'intervenir, mais le gredin avait libéré un Nostenfer qui l'avait rapidement envoyée au tapis.

Duncan, inquiet de ne pas la voir revenir, avait envoyé Zaiyad, son Luxray, à sa recherche. Elle était en piteux état lorsqu'il l'avait ramenée en la portant sur son dos. Cet épisode, couplé à celui dont il avait déjà été victime, l'avait convaincu de passer à l'action. Il s'était décidé à mettre en place un commando spécial de pokémon, destiné à lutter contre le crime, à protéger les faibles et à faire régner l'ordre.

***

Zaiyad, exaspéré, regarda autour de lui. Ses partenaires faisaient peine à voir. Ils étaient tous rassemblés dans la salle d'entraînement. Les répliques cinglantes fusaient d'un bout à l'autre de la pièce, comme à chaque querelle.

- Raphaël, tu es un Carabaffe ! souligna amèrement Ashton en abaissant le petit miroir à l'aide duquel elle arrangeait sa chevelure verte. Il serait grand temps que tu apprennes à nager, tu ne crois pas ? Ça nous épargnerait un nouveau fiasco comme celui d'aujourd'hui.

- J'y songerai le jour où toi, tu seras capable de passer vingt-quatre heures sans contempler ta royale personne.

- Moi, au moins, je ne suis pas responsable de notre échec.

- Si Willy avait sauté sur ce camion au moment opportun, nous...

- Eh ! protesta le Chimpenfeu. Vous feriez tous moins les fiers si j'avais permis à ce gaz d'échappement de nous contaminer ! Sérieusement, ils ne savent pas que les voitures écologiques, ça existe, de nos jours ?

- Aïe... J'ai mal au ventre, gémit Boulard, affalé sur le dos, à cause de tous les pots de confiture qu'il avait engloutis sur la place du marché.

- Comme si nous allions te plaindre, sale goinfre ! commenta Willy. Toi aussi, tu avais l'occasion de les intercepter quand cette camionnette est venue dans ta direction, mais une fois encore, tu n'as pensé qu'à ton estomac.

- Tu...

- Assez ! s'écria soudain Zaiyad.

Ils cessèrent quelques secondes de se hurler dessus, mais rapidement, la dispute reprit. Comprenant que s'époumoner une nouvelle fois n'aurait pas plus d'effet, le pokémon lança un Coup d'Jus qui se répandit dans toute la pièce. Il avait modéré la puissance de l'attaque de façon à ce que les autres ne ressentent qu'une fine décharge, mais cela suffit à les calmer pour de bon.

- Nous avons tous lamentablement échoué, encore une fois. Duncan compte sur nous. Il a toujours été bon pour nous, il nous a fait confiance, et pourtant, que lui offrons-nous ? Rien d'autre que des déceptions. Nous aurions pu arrêter ces trois voleurs, aujourd'hui. C'était parfaitement dans nos cordes, or nous n'avons pas réussi. Il n'y a pas qu'un seul coupable. Vous l'êtes tous, à cause de votre incapacité à exécuter les consignes, à vous surpasser et à travailler de façon coordonnée. Tous ces mois d'entraînement intensif n'ont servi à rien. Vous êtes pathétiques.

- Ce n'est pas parce que Duncan t'a nommé chef d'équipe que tu dois te prendre pour meilleur que nous, répliqua Ashton, acerbe. Je te rappelle que la plus forte, ici, c'est moi. Et, accessoirement, je suis aussi la plus belle.

- Être la plus belle est effectivement un atout considérable en combat, la railla Raphaël.

- Quand on manque de se noyer dans quarante centimètres d'eau, on ferait mieux de se taire.

- Quoi ? Répète un peu, si tu l'oses.

- Bien sûr. Raphaël a failli se noyer dans une fontaine ! Bouh !

Un Pistolet à O fondit sur Ashton, qui poussa un cri horrifié. Elle venait de passer plus d'un quart d'heure à arranger sa coiffure, or voici qu'elle allait devoir tout recommencer. Son beau minois déformé par la fureur, elle s'apprêtait à répliquer avec une attaque Feuillemagik quand Vanille s'interposa dans un battement d'ailes.

- Allons, les amis, c'est ridicule ! Vous n'allez quand même pas vous battre entre vous ? Et toi, Zaiyad, ne sois pas si pessimiste que ça. Il faut toujours voir le verre à moitié plein : nous avons tout raté aujourd'hui, mais nous ferons mieux la prochaine fois.

- Ton optimisme est louable, Vanille, mais c'est notre troisième échec consécutif. Le seul réconfort que je retire de cette situation, c'est de savoir que ça pourra difficilement être pire à l'avenir.

Le Luxray tourna les talons et se dirigea vers la double porte qui menait hors de la salle, derrière laquelle il disparut. Raphaël, que les remarques acerbes d'Ashton avaient agacé, décida de se défouler sur le puching-ball, tandis qu'elle-même s'affairait à reprendre son brushing.

L'Hélédelle fixa le battant qui venait de se refermer dans le sillage de Zaiyad. Malgré sa bonne humeur naturelle, elle avait de la peine pour lui. Elle savait qu'il voulait satisfaire à tout prix les attentes de Duncan, mais jusqu'à présent, en tant que chef d'équipe, il ne lui avait rapporté aucune raison d'être fier d'eux.

Lorsque Zaiyad pénétra dans le salon, il trouva Duncan assis sur le canapé. Penaud, il vint s'asseoir à ses pieds et baissa la tête. Il s'attendait à subir le courroux de son maître, où au moins son dépit, mais rien de tel ne se produisit. Le jeune homme caressa sa crinière bleu nuit avec tendresse.

- Tu n'es pas en colère ? demanda-t-il. Nous avons été terriblement mauvais, pourtant.

Duncan possédait de solides connaissances en matière d'informatique et de robotique, ce qui lui avait permis de se confectionner un petit émetteur qu'il portait toujours à l'oreille et qui traduisait automatiquement les paroles de ses pokémon, à condition qu'il ne se trouve pas trop loin d'eux.

 

- Ce n'était que votre troisième mission sur le terrain. Vous avez besoin de temps pour apprendre à vous coordonner, voilà tout.

- Nous n'y parviendrons jamais, soupira le Luxray. Willy et Raphaël n'en font qu'à leur tête, et Boulard est loin d'avoir le niveau adéquat.

- Vous avez tous vos qualités et vos défauts, affirma Duncan. Ils doivent s'équilibrer. Vos forces doivent compenser vos faiblesses, c'est le seul moyen qui existe pour qu'elles cessent de vous tirer vers le bas.

- Pourquoi est-ce que tu refuses de me laisser tenter l'aventure en solo ? Le résultat ne saurait être plus mauvais.

- Tu le sais très bien. Si tu es tout seul et que les choses tournent mal, qui viendrait à ton secours ? J'étais seul lorsqu'on m'a attaqué et il en a été de même pour Vanille. Il n'y a qu'en équipe que vous pouvez réussir. J'ai confiance en vous.

- Moi, je n'ai pas confiance en eux, répliqua Zaiyad. C'est toujours la même histoire, ils gâchent tout. Travailler en équipe, d'accord, mais avec de bons équipiers, ce serait mieux.

- C'est toi le chef. C'est à toi de révéler tout le potentiel de chacun.

Le Luxray leva les yeux au ciel. Quel potentiel ? La connaissance pointue de Willy en matière de virus, microbes et divers streptocoques ? La capacité de Boulard à ingurgiter l'équivalent de son poids en nourriture au quotidien ? L'aptitude innée de Raphaël à se mettre en colère pour un oui ou pour un non ?

Certes, Ashton avait du talent, comme elle le lui avait rappelé quelques minutes plus tôt dans la salle d'entraînement. Hélas, son orgueil et sa vanité le surpassaient, au point de l'étouffer. Quant à Vanille, si elle était loyale et docile, sa candeur se retournait trop souvent contre elle.

Zaiyad secoua la tête. Il avait fait tout ce qu'il pouvait afin de les aider, mais cela n'avait pas suffi. Il n'était pas en mesure de lutter contre leur nature, désormais. Eux seuls étaient capables de le faire, mais apparemment, ils n'en avaient pas envie. Il ne restait donc plus au Luxray qu'à regarder le catalogue de leurs échecs s'allonger davantage à chaque fois.

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