Fer de Lance

Chapitre 10 : L'hôpital de Mauville

2480 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 12/08/2017 22:28

Sandra était installée à table avec ses parents et mangeait une grosse part de gâteau aux baies chocco, après avoir soufflé les sept bougies posées dessus, quand la sonnerie du visiophone retentit. Isabelle et Gabriel échangèrent un regard complice, pendant qu'elle tournait les yeux vers eux.

- Tu devrais prendre la communication, conseilla son père. C'est sûrement pour toi.

- Tonton Nicolas ? Il aurait pu faire l'effort de venir jusqu'ici ! protesta la fillette. Il dit toujours que je suis sa nièce préférée, mais en fait, c'est surtout parce que je suis la seule. Tant pis. Il n'aura pas de gâteau, et ce sera bien fait pour lui.

Le menton fièrement pointé vers le haut, comme lorsqu'elle se renfrognait, Sandra repoussa sa chaise et quitta la table. Ses parents lui emboîtèrent le pas. Même s'ils étaient heureux d'avoir orchestré l'appel de Peter pour l'anniversaire de sa cousine, ils appréhendaient sa réaction. Telle qu'ils la connaissaient, elle risquait fort de lui raccrocher au nez.

Le visiophone était installé dans le vestibule de la demeure. Sandra prit place sur le petit banc qui lui faisait face, tandis qu'Isabelle et Gabriel se plaçaient derrière elle, main dans la main. La sonnerie s'interrompit au moment où elle décrocha le combiné pour le plaquer à son oreille.

Contrairement aux deux adultes, l'enfant ne fut pas surprise de voir le visage de son oncle apparaître à l'écran. Il était blême et ses traits soucieux leur permirent aussitôt de comprendre que quelque chose n'allait pas. Sandra, en revanche, affichait un large sourire.

- Tonton ! J'espère que tu as une bonne excuse pour ne pas être ici, parce que...

- Je te souhaite un joyeux anniversaire, ma chérie. Est-ce que tu peux me passer ton père ou ta mère, s'il te plaît ?

- Quoi ? s'énerva-t-elle. C'est mon anniversaire, et c'est tout ce que ça te fait ?

- Je suis désolé, c'est important. Sandra, ne...

- Vas-y, parle-leur ! Au point où j'en suis...

Elle repoussa brutalement le banc vers l'arrière et s'éloigna en direction des escaliers en fulminant, pendant que Gabriel s'empressait de prendre sa place face à l'écran. Isabelle envisageait de suivre sa fille pour la réconforter, mais elle voulait avant tout entendre ce que Nicolas avait à leur dire. Ce devait être particulièrement grave pour qu'il se comporte de la sorte.

- Il s'est passé quelque chose, ce matin, révéla-t-il. Le directeur de l'École des dresseurs vient de me contacter pour m'avertir que Peter avait fait une mauvaise chute dans les escaliers. Apparemment, il s'est cassé la cheville. Des élèves l'ont trouvé dans les escaliers et ont prévenu un enseignant, qui l'a conduit à l'infirmerie. Il va être dirigé vers la clinique de Mauville.

- C'est terrible ! s'exclama Isabelle en portant une main à sa bouche. Le pauvre petit...

- Je vais partir le rejoindre, mais je tenais à vous prévenir avant. Je suis vraiment navré pour Sandra, je...

- Tu peux l'être, admit Gabriel malgré lui. Elle était déjà persuadée que c'était le pire anniversaire de toute sa vie et je crois que rien ne pourra la faire changer d'avis. Je ne suis même pas sûre qu'elle voudra encore le fêter l'année prochaine, après ça.

- Y a-t-il quoi que ce soit que je puisse faire pour me faire pardonner ? Un cadeau spécial ? Un... Euh...

- Les cadeaux, ce n'est pas ce qui fonctionne le mieux avec Sandra. Je crois que ce qui lui ferait le plus plaisir, dans le fond, c'est... Eh ! Une minute..., souffla Gabriel. Est-ce que tu peux l'emmener avec toi à Mauville ?

- À dos de Dracolosse ? Elle a déjà volé avec moi, mais jamais sur une aussi longue distance. Est-ce que vous pensez que c'est raisonnable ?

- Ce qui serait déraisonnable, ce serait plutôt de ne pas essayer.

Isabelle acquiesça par-dessus l'épaule de son mari, qu'elle pressa tendrement. Elle adressa ensuite un regard presque suppliant à Nicolas, à travers l'écran, qui ne se fit pas davantage prié.

- D'accord, mais qu'elle ne traîne pas. Je n'ai pas envie de laisser Peter seul trop longtemps dans l'état où il est.

***

Peter était assis sur un lit d'hôpital, dans une chambre bleue et blanche qui sentait le désinfectant. Le store était à moitié baissé devant l'unique fenêtre, l'un des néons grésillait au plafond et la télévision avait été réglée par l'une des infirmières sur un programme jeunesse qu'il détestait, sans qu'elle songe à lui laisser la télécommande à portée de main.

Ce n'était cependant pas pour cela que le garçon pleurait à chaudes larmes en serrant son oreiller entre ses bras. Ce n'était pas non plus à cause de la douleur, car l'analgésique qu'on lui avait administré à son arrivée la rendait supportable. C'était le fait d'avoir manqué l'occasion de parler à sa cousine, encore plus le jour de son anniversaire.

Il savait bien que Kévin était le principal responsable de son sort, mais il se sentait coupable, lui aussi. Il aurait dû faire plus attention, regarder où il posait les pieds. Il avait toujours été distrait de nature, et surtout maladroit. S'il avait fait montre de prudence, il aurait peut-être anticipé le piège. C'était loin d'être le premier que ses bourreaux lui tendaient depuis le début de l'année.

Un coup fut frappé à la porte et quelqu'un entra sans attendre. Il s'agissait du médecin, un homme aux cheveux gris si pâles qu'ils en paraissaient presque blancs et au visage avenant. Il saisit la paire de lunettes suspendue autour de son cou pour la poser sur son nez, puis consulta le dossier de Peter d'un œil.

- Mon garçon, est-ce que l'infirmière t'a expliqué ce qui va suivre ?

L'intéressé renifla bruyamment et essuya ses joues striées de larmes avant d'acquiescer. Il savait qu'on allait lui faire passer des radios pour évaluer le type de fracture dont il souffrait, puis qu'on le conduirait au bloc opératoire si cela s'avérait nécessaire.

- Tu sais, c'est normal d'avoir peur, mais ne t'inquiète pas, le rassura le docteur. Tout va très bien se passer. Ton père a été prévenu par le directeur de ton école et il devrait bientôt arriver. Nous pouvons l'attendre, si tu le désires.

Peter répondit par un nouveau hochement de tête affirmatif. Il ne prit même pas la peine de corriger son interlocuteur au sujet de la crainte qu'il croyait déceler en lui. Évoquer ce qui le taraudait vraiment n'aurait rien changé à la situation, puisqu'il avait déjà demandé à l'infirmière l'autorisation de passer un appel visiophonique, ce qu'elle lui avait refusé.

Le sort semblait s'acharner sur lui. Sandra ne lui pardonnerait jamais de ne pas lui avoir souhaité son anniversaire et elle aurait raison. Peter soupira. Comme si elle n'était pas suffisamment en colère après lui, depuis qu'il avait quitté Ébènelle pour étudier à Mauville...

- Je repasserai tout à l'heure, lorsqu'on t'aura conduit en radiologie, indiqua le docteur. Si tu as besoin de quoi que ce soit, n'hésite pas à utiliser la sonnette pour appeler l'infirmière.

Peter resta cette fois-ci de marbre, son regard rivé sur le mur opposé. Ce dont il avait vraiment besoin, il l'avait demandé, mais cela ne lui avait pas été accordé. Tout le reste était dérisoire, par comparaison.

***

Sandra ferma les yeux et se laissa envoûtée par la sensation grisante du vent qui faisait voleter ses cheveux autour de son visage. Gul, le Dracolosse de son oncle se laissait porter par les courants ascendants et la fillette se cramponnait à la taille de Nicolas pour ne pas être déséquilibrée à chaque bourrasque.

Lorsque ses parents lui avaient révélé que Peter avait eu un accident et qu'il avait dû être conduit à l'hôpital, elle avait refusé catégoriquement de lui rendre visite. Gabriel avait fini par la convaincre, tant bien que mal. Elle accompagnait son oncle dans un but bien précis : houspiller son cousin, comme toujours. Cette fois-ci, c'était pour avoir trouver le moyen de se blesser le jour de son anniversaire.

- Regarde, Sandra. Nous survolons Mauville.

La ville se découpait en contrebas, et le premier réflexe de l'enfant fut de lui tirer la langue. Qu'avait-elle de plus qu'Ébènelle, à part une stupide École des dresseurs ? Rien. Il y avait des maisons, comme dans son village natal, ainsi que des magasins et des rues goudronnées. La seule chose qui les différenciait vraiment était l'altitude, puisque Mauville se situait sensiblement au niveau de la mer. À cause de cela, les températures y étaient plus douces. Sandra grogna en se souvenant combien Peter était frileux.

Nicolas ordonna à son pokémon d'amorcer sa descente vers le sol. Gul piqua du nez pendant que Sandra raffermissait sa prise autour de la taille de son oncle. Le dragon plana, porté par les courants descendants, et se posa au centre d'une place relativement déserte. Seuls quelques badauds, qui marchaient dans les environs, leur jetèrent un regard curieux. La fillette les fusilla des yeux.

Elle ne prononça néanmoins pas un mot lorsque, après avoir rappelé son Dracolosse, Nicolas l'entraîna avec lui dans le dédale que formaient les rues de Mauville. Pour être sûre de ne pas le perdre de vue, Sandra lui tenait la main. Elle n'avait aucune envie de s'égarer dans cette ville qu'elle haïssait par principe.

L'hôpital n'était pas très loin, le Champion les ayant conduits au plus près, sans pour autant se résoudre à atterrir sur le parking, en raison des voitures et des ambulances qui y circulaient. Il n'était pas très grand non plus, bien loin des infrastructures aussi modernes que gigantesques de Doublonville, mais offrait le nécessaire aux patients.

Une odeur puissante d'aseptisant assaillit les Lance lorsqu'ils franchirent la porte coulissante de l'entrée principale. Un comptoir se trouvait juste en face, derrière lequel une standardiste aux cheveux bouclés répondait au téléphone. Dès qu'elle eut raccroché, elle leur fit signe d'approcher.

- Bonjour, vous êtes Nicolas Lance ? Le père du petit Peter ?

- En effet. Où puis-je trouver mon fils ?

- Chambre 24, mais il a été conduit en service radiologie tout à l'heure, et je ne sais pas s'il est revenu. Si ce n'est pas le cas, vous pourrez l'attendre sur place. C'est à droite au deuxième étage.

L'homme remercia son interlocutrice et se dirigea vers les escaliers, Sandra sur ses talons. Son cœur se serrait à mesure qu'elle se rapprochait de son cousin. Une part d'elle-même ne pouvait s'empêcher d'éprouver une pointe d'excitation à l'idée de le revoir, qu'elle s'efforçait de noyer sous sa colère.

Parvenus devant la porte arborant en chiffres écaillés le n°24, Nicolas toqua. Peter avait terminé de passer ses radios, car ce fut sa voix qui leur parvint, étouffée par l'épaisseur du battant, pour les inviter à entrer.

Il était étendu sur son lit, sa jambe blessée légèrement surélevée. Quand il aperçut Sandra, son visage s'illumina, au contraire du sien qui se renfrogna. Avant que son oncle ait pu songer à la retenir, elle fondit sur lui.

- Tu as mal ? demanda-t-elle pour toute salutation.

- À peine, mentit Peter, qui ressentait la douleur malgré les analgésiques.

- À peine, ce n'est pas assez !

Sandra saisit la cheville cassée de Peter entre ses mains et la comprima de toutes ses forces, ce qui arracha un hurlement au garçon. Nicolas dut saisir sa nièce par les épaules pour la contraindre à lâcher sa prise et à reculer, ce qu'elle ne se résolut à faire qu'en grognant.

- Comme si ça ne suffisait pas de manquer mon anniversaire, il faut aussi que tu me voles la vedette, sale égoïste que tu es !

- Je n'en avais pas l'intention, protesta Peter. En fait, j'étais en chemin pour t'appeler quand je suis tombé.

- Et alors ? Tu ne sais pas sauter à cloche-pied ? Quoique... Tu n'es visiblement pas capable de tenir sur tes deux jambes, alors je n'ose même pas imaginer la catastrophe que ça donnerait sur une seule.

- Et si tu nous expliquais plutôt ce qui s'est passé en détail ? interrompit Nicolas.

- Je...

Peter baissa les yeux. Il avait expliqué aux élèves qui l'avaient découvert, puis au professeur qui l'avait secouru, que, distrait, il s'était simplement entravé dans sa propre cheville, avant de rouler les escaliers. Ce fut aussi la version qu'il donna à son père. Il avait trop honte de révéler la persécution qu'il subissait de la part de ses camarades, en particulier devant Sandra, qui l'avait toujours considéré comme trop faible à son goût.

- De toute façon, le jour où tu arriveras à faire quelque chose... marmonna sa cousine.

- Je peux encore te souhaiter un bon anniversaire, non ?

- Un bon ? Parce que tu crois que je rêvais de le passer dans un hôpital ? Si mon père ne m'avait pas forcé la main, je t'aurais volontiers laissé moisir tout seul ici, et encore ! Ç'aurait été te faire trop d'égards.

Peter s'apprêtait à se défendre, mais un regard noir de Sandra le fit taire, couplée à l'arrivée inopinée du médecin, le réduisit au silence. Il se présenta et, sans se répandre en paroles superflus, expliqua à Nicolas qu'après avoir étudié les radios de son fils, il n'avait d'autre choix que de le descendre au bloc pour l'opérer, car l'entorse était sévère et nécessitait l'insertion de vis pour réparer l'os.

- Dites, docteur, l'interpella Sandra. Tant que vous y êtes, vous pouvez lui greffer un cœur et un cerveau ? Il en a grand besoin.

- J'aurais plutôt dit un pied droit, répondit le chirurgien avec humour, car il semble en avoir deux gauches.

La fillette éclata de rire et même Nicolas, malgré l'opération immédiate de son fils, sourit, au contraire de Peter qui s'empourpra, rivalisant de rougeur avec une baie Tomato. Au moins, lorsque Sandra s'esclaffait, elle ne semblait plus fâchée. Ce maigre réconfort le dissuada de se vexer, sans parler du fait qu'il était habitué aux moqueries. Celles de sa cousine lui étaient toutefois plus agréables que les mesquineries cruelles de Kévin et sa bande.

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