Fer de Lance

Chapitre 20 : Retour à Ébènelle

2330 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 25/04/2018 19:19

Sandra et Peter étaient assis côte à côte, mais ne se parlaient pas. Lui regardait le paysage défiler par la vitre de l'autobus qui les ramenait à Ébènelle, tandis qu'elle maugréait, comme elle n'avait eu de cesse de le faire depuis plusieurs jours, sur la mauvaise note qu'elle avait obtenue à son devoir de pokémonologie.

Cette ombre au tableau gâchait presque le plaisir qu'elle ressentait à l'idée de bientôt retrouver Karai. Même si elle avait été très occupée, à Mauville, il ne s'était pas passé une seule journée sans qu'elle ne songe à sa dragonne. Elle avait hâte de la serrer dans ses bras et de reprendre l'entraînement.

Peter ne lui parlait jamais de ses cours de dressage et changeait précipitamment de sujet chaque fois qu'elle tentait d'en faire mention, mais elle se doutait qu'il avait dû beaucoup progresser depuis la rentrée. Karai et elle n'auraient que deux semaines devant elles pour se mettre au niveau, si Sandra ne voulait pas permettre à son cousin de creuser l'écart.

La neige se mit à tomber peu après que le bus eut entamé l'ascension du mont Cristal. Des flocons gros comme des billes s'écrasaient mollement contre les fenêtres qui ne tardèrent pas à devenir blanches, à l'instar de la route. À un peu moins d'un kilomètre d'Ébènelle, le chauffeur pila.

- Qu'est-ce qui se passe, monsieur ? demanda aussitôt Sandra. Nous ne sommes pas encore arrivés.

- Non, mais je ne peux pas aller plus loin. La voie n'a pas été dégagée et la neige la rend impraticable.

- Quoi ? Mais... Et nous ? bredouilla Peter.

Ils étaient les derniers passagers à bord, les seuls à se rendre à Ébènelle. Tous les autres étaient descendus lors des précédents arrêts. Sandra bondit de son siège, en dépit des protestations véhémentes du chauffeur, et marcha jusqu'à lui.

- Je suis désolé, mais il faut que je fasse demi-tour. Je vais vous ramener à la gare routière, où nous contacterons vos familles pour tenter de trouver un moyen de vous rapatrier jusqu'à chez vous.

- Vous voulez dire que vous nous reconduisez à Mauville ? s'exclama Sandra. Pas question ! Ouvrez les portes.

- Aurais-tu perdu la tête, ma petite ? Vous êtes sous ma responsabilité, et il est absolument impensable que je laisse sortir deux enfants alors que la nuit est tombée et qu'une tempête de neige fait rage au-dehors.

Sandra grommela, tout en jetant un regard furieux à Peter, qui n'avait pas bougé de la banquette et qui ne semblait pas décidé à le faire. Lorsqu'elle revint vers lui, en fulminant, ce fut pour lui donner un coup de poing à l'épaule.

- Merci pour ton soutien.

- Franchement, la perspective de parcourir un kilomètre de côte dans le noir et le froid ne m'emballe pas. Je préfère attendre mon père à Mauville.

- Chochotte ! siffla Sandra en lui assénant une deuxième tape. Puisque c'est comme ça, fais comme tu veux, mais moi, je rentre à la maison.

Sur ces mots, elle se mit debout sur le siège, piétinant la cuisse de Peter au passage, et tira de toutes ses forces le frein d'urgence. Le chauffeur cria, mais trop tard pour l'arrêter. Le véhicule s'immobilisa, les portes s'ouvrirent et la fillette se précipita vers celle qui était la plus proche, abandonnant derrière elle son sac d'école.

- Sandra, ne fais pas ça ! s'exclama Peter.

- Petite, reviens ici tout de suite !

L'intéressée les ignora. Elle bondit hors du bus et fut aussitôt happée par le blizzard qui s'abattait sur le mont Cristal. Heureusement, les quelques semaines passées à Mauville n'avaient pas suffi à la déshabituer de la rudesse du climat local et à la rendre frileuse. Sandra se contenta de boutonner son manteau jusqu'à son cou, d'enfiler ses gants et de partir à l'assaut de la route enneigée.

Peter, à travers la vite, la regarda s'éloigner d'un pas décidé. Il leva les yeux au ciel, soupira, mais n'hésita pas longtemps avant de passer son bonnet, ainsi que son écharpe, et de s'élancer à sa suite après avoir ramassé son sac au passage. Juste avant de sauter à son tour de l'autobus, il adressa une parole d'excuse au chauffeur, puis quitta à regret la sécurité qu'offrait le véhicule.

- Sandra ! appela-t-il. Sandra !

Le vent qui soufflait furieusement, couplé au sol glissant, lui faisait perdre l'équilibre, en plus d'étouffer le son de sa voix. Peter claquait des dents, loin d'avoir le degré de résistance de sa cousine qui avait déjà une confortable avance sur lui. Il avait beau avoir de plus longues jambes, il peinait à avancer dans la neige, alors qu'elle-même avalait les mètres avec une facilité déconcertante.

Par chance, la lune était presque pleine, ce soir-là, et le halo argenté qu'elle projetait sur eux leur permettait de se repérer approximativement. Cela ne rendait pas leur progression moins dangereuse pour autant, car la route était tortueuse et longeait de nombreux à-pics. Un seul écart pourrait être fatal.

- Sandra, s'il te plaît, attends-moi ! insista Peter.

Il jeta un regard par-dessus son épaule, avec l'espoir d'apercevoir le chauffeur qui serait descendu pour tenter de les retenir, ou pourquoi pas faire le chemin avec eux jusqu'à Ébènelle, mais tout ce que Peter vit, ce fut le bus en train de s'éloigner. L'homme avait beau avoir prétendu qu'il était responsable d'eux, il n'était pas tenu de poursuivre une enfant inconsciente et capricieuse dans le blizzard.

Peter essaya de courir, mais il avait l'impression que cela ne faisait qu'accentuer les difficultés qu'il avait à fendre la neige. Malgré les habits épais qu'il portait, le froid avait déjà bleui sa peau et ralenti ses muscles, qui n'étaient déjà pas bien dégourdis le reste du temps.

Il renonça à rattraper Sandra, se contentant de se maintenir à moins de trois mètres d'elle, afin de ne pas laisser les ténèbres l'engloutir. Leur passage dérangea une horde de Nosférapti, dont les battements d'ailes bruyants effrayèrent Peter. Il s'empara de sa pokéball, mais les créatures ne se montrèrent pas agressives.

Il avait l'impression qu'ils marchaient depuis une éternité lorsque, enfin, ils aperçurent les lumières d'Ébènelle. Le garçon poussa un soupir de soulagement, car il était à deux doigts de s'effondrer face contre terre, éreinté. Sandra, au contraire, avait gardé assez de forces en réserve pour s'élancer en courant en direction de chez elle.

Peter la suivit, mais sans se presser. Il était fatigué, gelé et ne se sentait pas le courage de gravir la côte menant à l'Arène dans l'immédiat. Son oncle et sa tante ne verraient sûrement aucune objection à l'idée de l'accueillir un moment sous leur toit.

Il y avait moins de neige ici, car les habitants s'étaient appliqués à dégager les artères principales de la ville du mieux qu'ils le pouvaient. Ayant l'habitude des épais manteaux blancs, c'était devenu un réflexe presque systématique pour pouvoir continuer à circuler dans Ébènelle.

Sandra était hors de vue depuis un bout de temps quand Peter atteignit enfin la rue dans laquelle résidaient Gabriel et Isabelle. Il frappa à la porte, espérant qu'ils ne tarderaient pas à lui ouvrir, sans quoi il craignait de s'écrouler sur le perron et de ne pas trouver l'énergie nécessaire pour se relever.

Le battant s'ouvrit sur son oncle, qui avait les sourcils froncés par l'inquiétude. Un seul coup d'œil lui suffit pour s'apercevoir que Peter était aussi frigorifié qu'épuisé. Il le saisit par les épaules et le tira à l'intérieur, puis se pencha pour observer les environs. Après avoir jeté un regard de chaque côté, il déclara :

- On commençait à s'inquiéter de ne pas vous voir arriver. Mais dis-moi... Où est Sandra ?

***

Sandra serra les dents. Le vent était encore plus puissant à cette altitude, tout comme le froid, et ses mains gourdes peinaient à s'agripper aux fentes creusées par l'érosion dans la paroi rocheuse. Ses cheveux lui fouettaient le visage, mais elle continuait, en dépit de l'effort intense que cette escalade lui demandait.

S'interdisant de songer au salon chaud de ses parents où elle pourrait être en cet instant, elle finit par se hisser, hors d'haleine, sur la plateforme où elle avait enseveli la pokéball de Karai. Enfonçant ses doigts dans la terre durcie par le gel, elle entreprit de déterrer la petite boîte en fer contenant la sphère rouge et blanche.

Quand elle y fut parvenue, elle tremblait tellement, tant à cause du froid que de la fatigue qui commençait à la gagner, qu'elle manqua de lâcher la boule. Elle avait de bons réflexes, toutefois, et parvint à la rattraper de justesse pour presser le bouton qui actionnait le mécanisme d'ouverture. Une lumière rouge déchira la nuit.

- Karai ! s'exclama Sandra sitôt que sa dragonne se fut matérialisée.

Elle étendit ses bras de part et d'autre de son corps, pour que la Minidraco vienne se nicher contre elle. Tête contre tête, elles partagèrent une longue étreinte, qui éveilla l'émoi de la fillette. Elle dut lutter contre les larmes que lui inspiraient ces retrouvailles, car elle était une dure à cuire, et les durs cuire ne pleuraient pas.

- Tu m'as tellement manqué ! J'ai pensé à toi si souvent que c'était à peine si je parvenais à me concentrer sur autre chose.

Karai répondit par un couinement mélancolique, qui indiquait probablement qu'elle avait ressenti la même chose. Bien que les pokémon, à l'intérieur de leur ball, soient plongés dans une sorte de stase qui ralentissait leur métabolisme, ils gardaient conscience du temps qui s'écoulait.

- Je suis désolée, je n'ai presque rien appris à l'école, s'excusa Sandra. Nous allons encore devoir nous débrouiller par nous-mêmes, mais ce n'est pas grave. Je sais que nous nous en sortirons. Après tout, ça ne nous a pas mal réussi, jusque-là.

Karai agita la tête de haut en bas, en signe d'approbation. Sa jeune dresseuse la serra une fois de plus contre elle, avant de ramasser la pokéball qu'elle avait déposée par terre et de la pointer sur la Minidraco, qui poussa un cri de protestation.

- Je sais que nous venons juste de nous retrouver, mais je n'aurais même pas dû venir ce soir. Si je ne rentre pas chez moi, mes parents vont se demander où je suis passée et s'ils découvrent ton existence, tu sais très bien ce qui arrivera. Ils nous sépareront.

Karak se recroquevilla, penaude, et consentit à regagner sa ball. Le cœur lourd, Sandra la rappela à l'intérieur. Elle aimerait passer plus de temps avec sa pokémon, et ne plus avoir à se séparer d'elle, mais elle n'avait pas le choix.

Elle se promit de tout faire pour rattraper ces instants perdus, même si c'était impossible, au cours des deux semaines qu'elles allaient pouvoir passer ensemble. C'était peu, mais ce serait toujours mieux que rien. Sandra, bien que capricieuse, allait devoir se contenter de ce qu'elle avait, plutôt que de se lamenter à propos de ce qu'elle n'avait pas.

Elle remit la boîte dans le trou et la recouvrit de terre, mais garda la pokéball, qu'elle glissa dans sa poche. Cela la réconfortait un peu de savoir qu'au moins Karai ne serait plus seule ici, sur cet à-pic à flanc de montagne, mais auprès d'elle, dans sa chambre, même si elle devait rester cachée.

Sandra frotta ses mains l'une contre l'autre pour les réchauffer, avant de se lancer dans la descente. Ce fut tout aussi pénible que la montée, sinon plus, car elle commençait à avoir mal aux bras. Elle ne faisait que deux heures de sport par semaine, à l'école, et elle pouvait difficilement trouver des endroits à explorer ou à escalader dans l'enceinte de l'établissement en dehors, aussi cela avait-il nui à son endurance.

Quand elle ne fut plus qu'à un mètre du sol, elle lâcha prise et se laissa tomber dans la neige, qui amortit sa chute. À présent que Karai et elle étaient réunies, Sandra n'aspirait plus qu'à rentrer chez elle et à retrouver le confort de sa demeure, ainsi que ses parents.

Après ces semaines passées à l'internat, en compagnie de filles immatures qu'elle avait eu toutes les peines du monde à supporter, elle se faisait une joie de retrouver sa chambre bien à elle, qu'elle n'aurait pas à partager avec quiconque. Elle sourit en songeant à son lit moelleux, dans lequel l'attendait une bonne nuit de sommeil.

Il fallait qu'elle soit parfaitement reposée pour le lendemain, car elle avait du pain sur la planche. Elle avait déjà plein d'idées pour l'entraînement de Karai qu'elle escomptait reprendre le lendemain dès la première heure.

Sandra ne jugea pas utile de plaquer une main devant sa bouche lorsqu'elle bâilla, d'autant qu'elle ne le faisait pas non plus systématiquement quand il y avait des témoins. Elle songea à Peter, que le trajet jusqu'à Ébènelle avait sans doute suffi à épuiser, faible comme il l'était.

Elle avait toujours été bien plus forte, bien plus courage et bien plus dégourdie. Bref, elle était nettement meilleure que lui, et il était hors de question qu'il en aille autrement en matière de dressage.

- N'est-ce pas, Karai ? demanda-t-elle avec un sourire amusé en tapotant la poche de son pantalon, tandis qu'elle s'engageait sur la pente abrupte qui la ramènerait à Ébènelle.

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