Chaos Sanctuary

Chapitre 8 : Fragments

Catégorie: G

Dernière mise à jour 08/11/2016 14:54

- Falke, Renji, venez voir ! s'écria la petite voix – plus si enfantine, de Noa.
Je poussai un soupir faussement exaspéré.
- Encore ? Qu'est-ce que tu as trouvé ?
Renji et moi, nous la rejoignîmes. La fillette était accroupie dans les hautes herbes, fascinée par le spectacle qui s'étendait devant elle. Une colonie entière de Chenipan, qui devait bien comporter une cinquantaine d'individus, avait établi ici son domicile. Il y avait même quelques Chrysacier parmi eux, qui avaient fixé leur cocon sur les quelques arbustes environnants.
- Wow, souffla Renji. Ils sont nombreux.
Noa se retourna vers lui en souriant.
- Que tu es perspicace, aujourd'hui, Renji !
Puis elle reporta son attention sur la colonie.
- Je n'en avais jamais vu une aussi grosse... Regardez le Chrysacier là-bas, fit-elle en agitant son doigt en direction de l'un des Pokémon insecte, on dirait qu'il va bientôt éclore.
- Eh bien, on va le laisser éclore en paix, d'accord ? proposai-je.
- Je n'ai jamais vu d'éclosion, poursuivit Noa comme si elle n'avait strictement rien entendu de ce que je venais de dire. Et si je me souviens bien, Chrysacier évolue en Papilusion. On en capture un ?
- Oh, bonne idée, ajoutai-je d'un ton sarcastique. Et si on l'appelait Noa ?
La fillette se tourna vers moi avec un regard mauvais.
- Très drôle, mais qu'est-ce que tu dis de ça ?
Et sans prévenir, elle bondit sur moi et me martela de coups superflus avec ses petits poings. Je me mis à rire et plaçai vaguement mes bras dans une position défensive.
- Wow, quelle attaque ! ironisai-je. Avec un peu de chance, dans quelques dizaines d'années tu me battras en duel singulier.
Renji, lui, était resté à observer la colonie pendant que nous nous chamaillions, tableau qui commençait à devenir habituel depuis notre départ le matin-même.
- De toutes façons, fit-il d'un ton très sérieux, si vous tentez quoi que ce soit contre une de ces bestioles, vous finirez relativement mal.
Noa sembla alors oublier sa vengeance et se retourna vers les petits Pokémon.
- Relativement mal ? interrogea-t-elle.
- Oui, fit Renji, comme lui, là-bas.
Il montra du doigt ce qui semblait à vue de nez un petit tas blanchâtre qui gigotait. Mais si l'on faisait attention, on apercevait effectivement une petite tête d'insecte en sortir. Il s'agissait d'un Aspicot. Sans doute avait-il voulu défier un de ses cousins insecte, ou voler quelque nourriture, toujours est-il qu'il avait fini ligoté par une attaque Sécrétion, comme nous l'expliqua Renji. Après cette pause culture, nous reprîmes notre route.
Nous marchions depuis le lever du soleil, et, nous étant réveillés d'assez bonne humeur, la matinée avait été peuplée de discussions et de taquineries en tout genre. Noa semblait évacuer la pression qu'exerçaient sur elle les responsabilités qu'elle pensait devoir endosser en retrouvant un caractère propre à une enfant de douze ans, et je dois avouer que de la voir gambader et poser des questions par dizaines me fut étrange, mais pas désagréable. Moi qui avais l'habitude de ses répliques bien placées et de son ironie, sa bonne humeur me procura la mienne, et la route en parut moins longue. A midi, nous nous arrêtâmes pour manger un morceau, vérifier notre route et prendre un peu de repos. Peu après, nous arrivâmes près d'un petit cours d'eau où nous nous fîmes une joie de nous rafraîchir et de nous désaltérer. Puis nous entrâmes dans une prairie de hautes herbes, celle-là même où la fillette débusqua la colonie de Chenipan. Pour ma part, j'en appris plus dans cette journée au sujet des Pokémon que tout ce que j'avais jamais appris durant toute mon existence, en partie grâce à Renji, qui était redoutablement savant.
Le soir venu, nous installâmes un pseudo-campement derrière des rochers, et je m'occupai de faire un feu , la chaleur du jour commençant à céder la place à un froid assez conséquent.
- Alors, fis-je lorsque nous fûmes tous réunis devant le feu, quels projets pour demain ?
- Pas mal de marche, répondit la fillette. Renji, comme prévu, il faudrait que tu ailles à Safrania faire soigner nos Pokémon et que tu nous rejoignes ensuite. Navrée de t'imposer ça, mais je pense que Falke et moi ne sommes plus en sécurité au sein des villes.
Pour ma part, je trouvais qu'elle en faisait un peu trop, du moins à mon sujet. La Team Rocket m'avait croisée par deux fois, il était impossible qu'ils m'aient déjà identifié et ajouté à la liste des personnes à éliminer. Quoique, le fait que je sois avec Noa rendait l'hypothèse envisageable, mais pour moi qui avait toujours écoulé une existence relativement paisible, se faire rechercher activement par une bande de malfrats était d'une plausibilité moyenne. Cependant Renji ne sembla pas s'en offusquer et acquiesça d'un signe de tête.
- Ne t'en fais pas, je le ferai, fit-il. Je te dois bien ça, après tout.
Les paroles de Noa me revinrent alors en mémoire. Je me rappelai effectivement que Renji avait une « dette » envers elle, pour utiliser ses termes. La fillette lui adressa un léger sourire, me laissant dans mes interrogations.
- Ne pense pas à ça, le pria-t-elle, tu seras largement acquitté lorsque tu auras rempli ta part du marché, en ce qui concerne le plan.
- Je l'espère, lâcha-t-il.
Puis il but une grande gorgée de l'infusion préparée par les soins de la brunette. Je crus bon de rappeler ma présence par un léger toussotement caricatural, ce qui fit rire Noa.
- Oui, c'est vrai, Falke n'est pas au courant, fit-elle en se retournant vers le jeune homme. Tu lui expliques ?
Il acquiesça.
- Eh bien l'année dernière, elle m'a sauvé la vie, si j'ose dire. Nous étions voisins depuis l'enfance et lorsque mes parents sont morts, j'ai voulu rejoindre Carmin Sur Mer seul avec mon petit frère, pensant que j'étais de taille à effectuer le voyage et à le garder en sécurité.
Il s'interrompit et but une nouvelle gorgée.
- Il y a eu un accident de train. Enfin, un accident, je doute que c'en ait vraiment été un. Toujours est-il que je me suis retrouvé avec des blessures graves, échoué dans un reste de wagon, à dix minutes de ma ville. Je possédais un Roucoups, à l'époque, et il est allé prévenir Noa. Si elle n'était pas arrivée rapidement pour m'amener à l'hôpital, je ne sais pas si je serais encore en vie à l'heure actuelle. J'ai été le seul rescapé de cet accident, mon frère est mort sur le coup.
Ressasser ces évènements ne sembla pas l'émouvoir pour autant, et il vida sa tasse d'une traite. Pour ma part, j'étais sidéré. Comment rester sain d'esprit après avoir vécu tout cela, et surtout, comment faisait-il pour en parler d'un ton si détaché ? Je lui posai la question.
- Oh, on ne peut pas dire que j'ai eu une enfance particulièrement atroce, répondit-il. Je n'ai pas eu de chance, c'est tout.
Je laissai un instant de silence.
- Vous habitiez donc la même ville, auparavant ? demandai-je.
Noa acquiesça d'un signe de tête.
- Oui. Jadielle. Enfin, jusqu'à ce que mon... père déménage à Céladopole, pour son travail.
Je sentis une pointe de tristesse se mêler à sa voix, et me demandai alors de quoi elle pouvait bien parler. Mais dans le doute, je m'abstins de lui poser la question. Noa ne m'avait jamais parlé de ses parents, c'était une évidence qui ne me frappait que maintenant. Qui pouvaient-ils être ? N'étaient-ils pas inquiets de savoir leur fille sur les routes d'un Kanto en crise actuellement ? Je me rendis alors compte que mes questions étaient stupides. Aucun parent ne laisserait son enfant partir dans ces conditions, surtout après tout ce que semblait avoir enduré Noa. De toute évidence, ses parents étaient des gens... peu communs.
- Bon, sur ce, il est tard, lança Noa, comme si elle voulait couper court à la conversation, et je vous conseille de vous coucher tôt, demain nous partons à l'aube et je me ferai une joie de vous réveiller si vous êtes plongés dans un profond sommeil.
Je grommelai une phrase inintelligible, qui pour moi signifiait très clairement : « c'est un véritable réveil sur pattes ». Je fus donc le seul à profiter de ma réflexion, et je doute que Noa se soit laissée faire si elle l'avait entendue. Sans doute la journée se serait-elle alors terminée par un échange de petites tapes et de chamailleries. Chacun rentra dans son sac de couchage et de brefs « Bonne nuit » furent échangés. Après quoi nous tentâmes séparément de trouver le sommeil.
Pour ma part, il ne vint qu'après une heure ou deux. Je ne pus m'empêcher d'ouvrir les yeux pour regarder le plafond étoilé, et la fumée des flammes qui crépitaient encore dans notre cheminée improvisée qui montait pour finalement se perdre dans la voûte céleste. La nuit était silencieuse, mis à part quelques hululements par-ci par-là, et je n'entendais que le souffle de mes compagnons derrière moi. Ce genre de tableau calme avait toujours eu le don de m'apaiser, et je finis par m'endormir sur des pensées confuses.

Le lendemain fut le premier jour où nous pûmes constater les premières conséquences qu'eurent l'avertissement de la population, comme je les ai citées précédemment. Quelques kilomètres avant Safrania, nous arrivâmes dans un petit village, dont aucun de nous ne connaissait l'existence. Il ne devait compter qu'une petite centaine d'habitants, si bien que les seuls bâtiments qui longeaient la rue principale étaient des habitations, et le village en question ne possédait pas même un Centre Pokémon. Seule une route, menant à Safrania, leur autorisait des achats réguliers et un contact avec le reste du monde. Nous ne nous y serions pas attardés si nous n'avions pas remarqué qu'il semblait régner une certaine agitation sur la place principale.
En effet, Renji fut le premier à s'apercevoir, au fur et à mesure que nous nous approchions, que tous les habitants étaient réunis sur une petite place qui avait peine à tous leur procurer un espace suffisant, et qu'il y avait là des conversations animées entre toutes les générations, bien qu'elles soient peu mélangées. Nous n'avions pas prévu de nous arrêter sur le chemin, mais Noa jugea que ce ne serait pas une perte de temps trop importante, et qu'il n'y avait quasiment aucune chance que des agents de la Team Rocket se trouvent ici justement en ce moment précis. Nous entrâmes donc dans le village et tentâmes de nous frayer un chemin parmi la foule.
- Excusez-moi, demanda Noa à un homme d'une trentaine d'années, que se passe-t-il ici ?
- Vous ne savez pas ? rétorqua celui-ci. Monsieur Syrano a essayé de gagner Hoenn hier soir, et il en est revenu, pas plus tard qu'aujourd'hui : toutes les frontières sont surveillées, et impossible de sortir du pays, quelque soit la façon que vous employez. Des Pokémon bloquent les routes maritimes, terrestres et aériennes, sans aucune explication. Personne n'a réussit à les battre, et à vrai dire, peu de gens ont pris ce risque.
Ledit monsieur Syrano se trouvait au milieu de la place, et témoignait de son expérience auprès d'un public relativement élevé en nombre et qui débattait. Noa s'accorda un temps de réflexion, durant lequel son visage prit un air grave.
- Je vous remercie... finit-elle par marmonner.
- Mais vous savez, reprit l'homme, je doute que nous ne nous laissions faire. Il y a là beaucoup de jeunes qui pensent qu'il faut y aller à plusieurs et combattre contre ces Pokémon pour fuir Kanto. Les choses sont bien troubles, ces temps-ci...
Noa acquiesça et se retourna vers nous. D'un signe de tête, elle nous amena à l'écart de la foule.
- C'est la Team Rocket, annonça-t-elle d'une voix sûre, encore et toujours.
- Quoi, ces Pokémon qui gardent toutes les frontières et tous les points de fuite ? demandai-je. Décidément, ils sont derrière de plus en plus de choses ces temps-ci.
Noa prit un air grave.
- Je suis sérieuse. Je suis certaine que ce sont eux. Et la raison semble évidente : après le chamboulement de Kanto, suite à l'annonce du danger que les gens encourent, ils ont prévu que la majorité des citoyens chercheraient à fuir. Or s'ils fuient, ça n'a plus aucun intérêt pour eux.
Je n'étais pas sûr de très bien comprendre, encore une fois Noa parlait plus pour elle et Renji que pour moi, mais je ne dis rien. Sans doute que la Team Rocket avait pour idée de s'emparer de Kanto. « Pour changer » , me fis-je à moi-même sur un ton que je voulais ironique.
- Oui, c'est logique, poursuivit la fillette. Le pays serait bien moins important et cela n'aurait aucun intérêt de le dominer, si la moitié de sa population migrait. Donc, ils barricadent toutes les sorties possibles. Et du même coup, ils augmentent l'état de confusion dans lequel tout le pays se trouve déjà.
La brunette se renfrogna et je la surpris à serrer les points et les dents.
- Bordel, ils ont pensé à tout...
- Si j'ai bien compris, repris-je, ils veulent s'emparer de Kanto, c'est bien ça ?
Noa acquiesça d'un signe de tête.
- Oui, leurs objectifs sont rarement bien différents de celui-ci. Le projet initial était bien de s'emparer de Kanto, mais comme je te l'ai dit, à la base, l'évasion des Pokémon légendaires n'était pas prévue. Ça n'empêche qu'ils ont trouvé un moyen de faire tourner la situation à leur avantage. Il va falloir qu'on soit malins, je crois qu'on n'est pas au bout de nos surprises.
Et en effet, comme vous le savez déjà, les impacts de la chose eurent une ampleur bien différente ce que j'avais imaginé, et la Team Rocket sut en profiter là aussi. Mais passons, les choses n'en étaient pas encore là. Toujours est-il qu'un vrai doute commença à s'insinuer dans les idées de Noa. Nous continuâmes notre route, et si nous échangeâmes quelques mots, ce fut à propos de ces premiers bouleversements.
J'avais toujours pensé que la Team Rocket, aussi nombreux qu'ils soient, étaient un adversaire dérisoire, très loin de l'intelligence de la fillette que je suivais depuis quelques temps déjà. Une bande d'abrutis qui avaient le projet ambitieux de dominer le monde. Je fus bel et bien démenti cette fois là, car s'ils n'avaient pas brillé par leur intelligence lors de nos deux premières rencontres, ils venaient bel et bien de prouver leur mérite, et pour cause : ils avaient fait tourner les évènements d'une façon que Noa n'avait pas prévue ce qui n'était jamais arrivé jusqu'à présent. Elle avait toujours eu l'air de tout savoir et de maîtriser parfaitement la situation, mais cette fois, elle avait été prise de court. Et ces impressions, encore assez vagues pour le moment, seraient confirmées par la suite.

Nous arrivâmes à Safrania vers la mi-journée, et comme prévu, Noa et moi fîmes un grand détour. Quant à Renji, il s'occupa d'aller faire soigner nos Pokémon au Centre et nous rejoignit à un point fixé, après quoi nous reprîmes notre route. La fillette était soucieuse, mais cela ne l'empêcha pas de s'amuser de la même façon que les autres jours. Pour le moment, voir Noa faire preuve d'une telle vitalité suffisait à me mettre de bonne humeur, comme si elle la distribuait par poignées autour d'elle. Le reste du voyage se déroula donc tranquillement, et nous en vînmes presque à oublier les évènements du matin. Néanmoins, une fois installés dans un nouveau campement, je me ressassai les choses avant de m'endormir, et je suppose que ce fut le cas pour chacun d'entre nous. Plus le temps allait, et plus la Team Rocket semblait prendre une place importante. J'espérai donc que notre plan serait mis à exécution sans trop de problèmes. L'idéal aurait bien sûr été qu'il soit appliqué à la lettre, mais je savais bien que les choses ne se déroulent jamais comme prévu.
Et effectivement, notre intrusion dans le repaire Rocket ne se passa pas tout à fait – ou pas du tout, comme prévu.

Céladopole, neuf heures du soir.
Nous étions arrivés sans soucis dans la ville. Qui plus est, à cette heure, il y avait moins de monde dans les rues – quoique l'activité soit toujours intense, et le tout s'en retrouva facilité. Renji et moi dûmes faire confiance à Noa pour retrouver l'emplacement du repaire, puisqu'elle était la seule à le connaître. Elle nous conduisit donc dans un dédale de rues plus ou moins grandes et plus ou moins fréquentées, pour finir par s'arrêter dans un endroit désert, face à ce qui semblait être un vieil entrepôt. Et les vieux entrepôts, je commençais à en avoir ma claque.
- Si vous vous posez la question, fit-elle, il s'agit de l'ancien Casino de Céladopole. La Team Rocket avait son repère ici auparavant, et comme ce Casino a fait faillite elle a décidé que laisser le Repère à l'endroit où il se trouvait n'engendrerait aucun risque. L'espace a seulement été réaménagé en... plus grand. C'est tout de même le repère principal, celui où le plus de ressources sont concentrées.
Je la regardai un instant.
- C'est bon, t'as fini ta tirade ?
Noa prit un air faussement vexé et croisa les bras.
- Oui, eh bien, entrez.
Elle nous laissa l'honneur de pénétrer en premier dans ce lieu, à mon goût fort désagréable. L'ancien Casino était totalement désaffecté, et l'on pouvait deviner que, le long des tables de bois noir qui trônaient dans toute la pièce s'étaient étendues quelques années auparavant des machines à sous. Quelques autres éléments du décor étaient également identifiables, mais je n'eus pas le temps d'étudier davantage les lieux. Noa s'avança directement vers le fond de la pièce – assez spacieuse, mais pas assez pour en faire un repère, et s'accroupit au sol.
- Qu'est-ce que tu fais ? demandai-je.
Elle me répliqua par un « chut » mi-agacé, mi-indifférent, et je me sentis prodigieusement stupide de rester là, debout, à attendre, sans savoir de quoi il s'agissait. Elle frotta en quelques points sur le sol, puis finit par découvrir ce qu'elle cherchait. Là, sur le sol, on distinguait si l'on observait bien un carré dont les contours se détachaient du reste. Noa fit coulisser ce qui semblait être une sorte de couvercle, et un clavier, comportant les chiffres jusqu'à neuf, apparut derrière.
- Il est bien caché, il faut le reconnaître...
Elle recula et regarda Renji.
- Bien, pourrais-tu court-circuiter ce système de sécurité, s'il te plaît ? demanda-t-elle. On ne peut entrer qu'en composant un code à cinq chiffres... Sauf si on sait bricoler un peu.
Renji acquiesça et semblait prêt à se mettre au travail, mais je m'interposai.
- Et pourquoi tu ne le rentres pas, ce code ? proposai-je.
Noa se retourna vers moi et me regarda comme si je venais de dire la chose la plus absurde qui soit.
- Tu le connais, non ? repris-je. Tu as fait partie de la Team Rocket.
- Oui, mais c'est évident qu'ils ont changé le code, qu'est-ce que tu crois, fit-elle d'une voix cynique. Ils savent très bien que je connais les codes de tous les repères, c'est potentiellement dangereux, ils les ont donc changés.
Un éclair de compréhension passa dans ses yeux et elle s'arrêta soudainement.
- Attends un instant... marmonna-t-elle à l'intention de Renji.
Celui-ci s'écarta du clavier, et Noa se pencha dessus. Elle pianota à une vitesse folle cinq chiffres, que je n'eus pas le temps de voir. Un petit déclic se produisit, et une trappe s'entrouvrit, juste derrière le boîtier. La fillette resta interdite quelques instants.
- Eh bien, manifestement, ils n'ont pas pris cette précaution... suggérai-je.
Elle se retourna vers moi.
- Tu ne comprends pas, fit-elle, ça ne veut pas dire qu'ils ont oublié, ça veut dire qu'ils savaient que j'allais tenter quelque chose contre eux. Et plus exactement...
Elle se retourna vers la trappe et laissa filer quelques secondes.
- Ça veut dire qu'ils nous attendent patiemment à l'intérieur.
Le principal atout du plan qu'avaient trouvé Noa et Renji durant notre séjour à Lavanville était la surprise. Or, si nous n'en disposions plus, il y avait de fortes probabilités que les choses tournent mal.
- Continuons tout de même, fit Renji avec un sourire, imperturbable. Nous ne sommes pas venus jusqu'ici pour rien, et je doute qu'ils aient prévu et compris notre plan dans sa totalité. Advienne que pourra !
Et sur ces mots, il s'engouffra dans la trappe. Sidéré, je le regardai faire avec peur et envie à la fois. J'avais pensé de nombreuses fois au moment où je me retrouverais devant l'entrée du repère Rocket, mais la réalité était... intimidante. Ce serait après tout la première fois que je participerais activement à un plan de Noa. La fillette suivit le jeune homme, et je les rejoignis finalement, après quelques hésitations.
La trappe débouchait sur un grand hall. Noa et Renji avaient envisagé la possibilité de découvrir des caméras, mais ce ne fut pas le cas. Les murs étaient blancs et droits, et aucun de leurs coins ne pouvait déceler un pareil matériel. La fillette se retrouva rapidement à l'aise dans ce décor qu'elle connaissait manifestement bien, et se tourna vers son compagnon.
- File à la salle de contrôle, on se rejoint tous au Centre Pokémon si quelque chose ne tourne pas rond.
Renji acquiesça et, muni d'un plan des lieux griffonné par Noa qu'il avait soigneusement étudié, il se faufila par l'interstice d'une des nombreuses portes qui s'offraient à nous, nous laissant seuls Noa et moi. La suite ne s'annonçait pas simple.
- Bon, eh bien, je suppose qu'on a un comité d'accueil quelque part dans ce repère, fit-elle en soupirant. Autant y aller directement, sans même chercher à être discrets. Les bureaux se trouvent à l'étage inférieur.
Nous dévalâmes sans nous presser une volée de marches, avant de nous retrouver dans un long corridor longé de portes brunes et semblables, indiquant toutes un nombre différent. Ma complice se dirigea sans hésiter vers la salle étiquetée « 204 » et avant qu'elle n'ait pu poser la main sur la poignée, la porte s'ouvrit et la lumière de l'intérieur nous éblouit.
- Noa, fit une voix rauque, ma petite Noa. Comme on se retrouve. Entrez-donc, nous vous attendions, toi et ton ami !
« Il ne sait pas que nous sommes trois, à priori » pensai-je. « C'est déjà ça ».
Noa s'avança sans ciller et je la suivis, d'un pas bien moins assuré que le sien.
- Infiltrer le repère Rocket dans lequel tu as fait tes preuves. Et ce dans le but de nous nuire, reprit l'homme dont j'arrivais à présent à dissocier les traits, c'était assez probable venant de toi. J'ai donc pris le soin de placer une alarme à faisceau infrarouge, invisible à l'œil nu, qui m'a averti de ton arrivée.
Il se redressa du fauteuil dans lequel il était assis.
- J'aime accueillir mes invités, fit-il avec un sourire mauvais.
La douzaine d'agents qui l'entouraient étaient impassibles, attendant des ordres. Pour ma part, je n'étais pas rassuré. Pas du tout, à vrai dire. Cet homme me filait la chair de poule. Il était grand, c'était la première chose qui marquait chez lui. Approchant sans doute des deux mètres, il dominait tous ses sbires, et sa carrure impressionnante n'arrangeait rien. C'était un homme robuste, aux épaules carrées et aux pieds solidement ancrés sur terre. Il avait en somme, l'allure d'un frigidaire, si vous me passez l'expression. Un frigidaire humain. Mais ce qui me déplaisait le plus était néanmoins le regard mauvais qu'il lançait à Noa. En revanche, il n'avait pas posé l'œil sur moi depuis le début, comme si je n'étais pas digne de son intérêt.
Noa ne perdit pas son sang-froid et serra au creux de son poing une des Pokéball attachées à sa ceinture.
- Je suis venue pour te proposer un défi, Boss, fit-elle d'une voix assurée. Si je perds, ma vie ainsi que celle de mon compagnon sera entre tes mains et je servirai tes desseins.
Le fameux « Boss » sembla se réjouir de cette perspective, et un léger sourire fendit à nouveau son visage en deux.
- Mais si je gagne, tu devras répondre à toutes les questions que je te poserai, et me laisser repartir sans chercher à me suivre par la suite. Tu acceptes ?
Le Boss leva les bras en l'air, apparemment ravi de ce défi.
- Tout à fait, ma petite, tout à fait ! Néanmoins...
Il tourna alors ses yeux d'un bleu glacé vers moi.
- Permets-moi de changer quelque peu les règles du jeu. Ton compagnon – Falke, n'est-ce pas ? , ne sera pas présent dans cette pièce. Je ne voudrais pas que tu tentes une de ces petites ruses dont tu as le secret. Il sera pris en charge par l'un de mes sbires, qu'en penses-tu ? Aucun mal ne lui sera fait.
Noa se mordit la lèvre et se retourna vers moi, l'air de dire « Tiens, un premier imprévu ». Je lui fit part d'un discret haussement d'épaules, signe que ça n'avait pas d'importance. Je ne savais que trop que la seule action qui comptait réellement dans ce plan était celle que menait secrètement Renji à l'heure actuelle. Noa et moi n'étions que des pions, de vulgaires appâts. Par la même, son affirmation comme quoi « aucun mal ne me serait fait » sentait le mensonge à plein nez. Comme je l'ai déjà dit, je sais reconnaître les mensonges, et c'est certainement l'une des seules choses que je fais très bien. Mais inutile d'en avertir Noa, il fallait que je me débrouille seul, et je trouverais bien un moyen.
- J'accepte, souffla la fillette, un peu moins à l'aise bien qu'elle n'en laissa rien paraître.
- Fort bien, rétorqua le Boss, dans ce cas le match peut commencer. Ah, et une petite mesure de précaution, toutes les portes de ce Repère seront fermées, on ne sait jamais.
Cela compliquait encore les choses, mais le tout n'était pas insurmontable. Noa se contenta d'acquiescer d'un signe de tête, et son adversaire lui adressa un sourire satisfait.
- Dans ce cas, que la fête commence !
Il leva le bras en l'air et claqua du doigt. Aussitôt, deux de ses sbires et non pas un comme il l'avait annoncé, vinrent vers moi, et je n'eus pas le temps de réagir qu'ils m'avaient déjà pris en sandwich et empoigné solidement par un bras chacun. Je savais qu'il était inutile de protester, aussi les laissai-je m'emmener sans résistance, après un dernier regard en direction de Noa, et en espérant de tout mon cœur qu'elle s'en sortirait. J'étais également inquiet pour Renji. Saurait-il s'en tirer, seul, avec tous ces sbires dispersés dans toute la structure ? Après tout nous étions sur leur territoire. De lourdes portes d'acier automatiques se refermèrent derrière moi, si bien que je ne vis plus que le corridor, et les sbires qui m'amenaient vers une direction inconnue.

Renji n'a aucun mal à se repérer. Les plans, ça le connaît, et il s'enfonce sans problème dans le réseau de couloirs, la Pokéball en main, l'œil aux aguets. Il ne faut surtout pas qu'il laisse le loisir à quelqu'un de le voir et de donner l'alarme, les responsabilités qui pèsent sur ses épaules sont bien trop lourdes. Il entend des pas, un peu plus loin. Un frisson parcourt son échine toute entière, et il ouvre une porte au hasard derrière lui. Coup de chance, la salle est ouverte, et vide. Ce genre d'opportunités est rare, il le sait, et il faudra qu'il songe à d'autres cachettes par la suite. Tapi derrière la porte, il attend donc que les bruits de pas s'éloignent. Une fois hors de danger, il sort, toujours aussi attentif à tout ce qui l'entoure, et continue sur le chemin qu'il doit suivre. Le premier réel problème ne tarde pas à se poser.
Au détour d'un croisement de couloirs, Renji tombe nez à nez avec un agent de la Team Rocket particulièrement silencieux. Il ne lui faut pas plus d'une seconde pour se faufiler derrière le sbire et lui assener un violent coup sur la nuque, juste en dessous du crâne. L'homme s'effondre, inconscient. Celui-ci est hors-jeu pour un petit moment, il n'a rien à craindre de ce côté-là. Mais le laisser ainsi inanimé au milieu du couloir est trop risqué. Il le porte à bout de bras dans la salle vide dans laquelle il s'est caché tout à l'heure, et par un bricolage à la va-vite, il l'enferme à l'intérieur, grâce au peu de matériel dont il dispose : du fil de fer et un tournevis. Cette serrure n'est pas bien complexe, logique, pour une salle ne renfermant rien d'intéressant. Il poursuit donc sa route. Celui-ci était une cible facile, mais rien ne garantit que le prochain se laissera faire aussi aisément. Il tourne à droite et descend les escaliers, de plus en plus étonné par la précision du plan de Noa. Celui-ci est irréprochable. En théorie, il n'a plus qu'à longer ce couloir, et la prochaine porte sera la bonne. En théorie.

Il la lorgne d'un œil mauvais, comme s'il était absolument certain de sa victoire. Noa n'aime pas ça. Il a quelque chose en tête, c'est évident. Mais peu importe. Elle n'est après tout qu'un moyen de distraire son attention sur autre chose, et qu'elle perde ou qu'elle gagne, le résultat sera de toutes façons approximativement le même. Sauf si les choses tournent mal, évidemment. Mais elle ne préfère pas envisager cette hypothèse pour le moment.
- Match à trois contre trois, lance-t-elle, de la voix la plus assurée dont elle est capable.
Le Boss, cet homme cynique qu'elle connaît si bien, lui rend un sourire sarcastique et acquiesce. Visiblement, il n'a aucun doute de l'issue du combat. Noa sait pourtant que ses Pokémon sont plus puissants. Elle a passé longtemps à les entraîner, entourée par d'excellents spécialistes, et il est bien placé pour le savoir. Le Boss n'entraîne pas lui-même ses Pokémon, et ça n'a pas vraiment d'importance, d'ailleurs, puisque dans la majeure partie des cas, il donne les ordres et les autres obéissent, c'est tout. Non. Cette homme est le cerveau de toute la Team Rocket, et c'est ça qui le rend redoutable. Noa ne l'a jamais vu combattre de ses propres mains. On verra bien ce qu'il vaut. Elle envoie sur le terrain qui vient de se créer devant elle son Persian. Sa meilleure carte est de toute évidence le Dracaufeu, mais le Boss le sait. Et elle préfère jouer le tout pour le tout sur la fin, afin de ne pas prendre de risque. Le Boss, quant à lui, envoie un Insecateur, qui pousse en arrivant sur le terrain une sorte de rugissement destiné à effrayer son adversaire. Persian ne se démonte pas pour autant, et le combat commence enfin.
- Persian, Jackpot !
Autant commencer en douceur, c'est ce qu'elle se dit, et quelques attaques superficielles devraient lui permettre de trouver rapidement les points faibles du Pokémon insecte et de le mettre au tapis en peu de temps. Au bout d'une courte série d'attaques, la faille devient évidente : étant donné que son seul atout repose sur sa vitesse – ce qui lui permet d'esquiver un grand nombre d'attaques, il lui suffit de le blesser, même légèrement, pour qu'il perde l'avantage. Noa ordonne alors à son Pokémon d'exécuter l'attaque Feinte, frappe qui ne rate jamais son adversaire. En deux coups successifs, Insecateur est mis au tapis. On peut y voir là un bon présage, mais Noa n'aime pas ça. C'est simple. Bien trop simple.

Les sbires me secouèrent et me trimballèrent pendant un certain temps, pour finir par entrer dans une pièce sombre que je ne discernai pas tout de suite, et me jeter au centre. Mes jambes refusèrent de me porter, et je perdis l'équilibre, m'affalant lamentablement sur le sol.
- Eh bien, le Boss nous a demandé de nous occuper de toi, on va s'occuper de toi, m'annonça un des deux agents en retroussant ses manches. Ed', on commence par où ?
- Fous-lui un bon coup de poing dans les côtes, ça le calmera, répond son coéquipier.
Je n'eus pas le temps de me défendre que déjà, le coup partit. Une douleur fulgurante se répandit dans tout mon corps et me coupa le souffle.
- En.. Enfoirés... murmurai-je entre deux halètements.
Ils ne semblèrent pas s'offusquer de mon injure et le dénommé Ed' s'approcha de moi, sans doute dans le but de m'asséner un nouveau coup, et vu sa posture, je commençais à me douter qu'il tenterait cette fois de toucher une partie bien précise de mon anatomie.
- Arrêtez ! hurlai-je, animé par l'énergie du désespoir.
Ce qui ne les fit pas arrêter pour autant, et j'eus juste le temps de rouler sur le côté pour éviter un coup qui m'aurait sans doute été très douloureux. Je remarquai alors derrière moi un bassin assez spacieux, rempli à ras-bord. L'eau semblait s'évacuer par un tuyau qui allait en s'élargissant. Dans un premier temps, j'élaborai un plan qui me sembla assez audacieux sur le coup. J'attendis donc que l'un des deux sbires fonce à nouveau sur moi pour l'attraper par les chevilles, le déstabilisant ainsi. J'envoyai donc le dénommé Ed' la tête la première dans l'eau glaciale, ce qui le mit hors combat pendant au moins quelques instants, le temps de se focaliser sur l'autre.
Hélas, il était bien plus fort que moi, physiquement parlant, et n'eut aucun mal à me faire mordre la poussière à mon tour. Je me dégageai comme je le pouvais de son étreinte, sachant qu'il n'y avait plus qu'une solution. J'attrapai donc une des deux Pokéball accrochées à ma ceinture, au hasard, et la brandis devant moi. Evoli se matérialisa, et, étonné de n'avoir pas d'adversaire, il pencha la tête sur le côté et fit les yeux doux, ce qui eut pour effet de tirer quelques railleries de la bouche du sbire.
« Merde » me fis-je mentalement.
Quelques instants plus tard, quatre adversaires faisaient face au petit Pokémon, et Ed' était déjà en train de se sécher. Il avait l'air furieux.
« Merde » me répétai-je.
Je reculai, complètement pris au piège, et Ed' n'hésita pas à me rendre la monnaie de ma pièce en me faisant basculer à mon tour dans le bassin. L'eau glacée me fit l'effet d'un choc électrique, et j'analysai rapidement la situation dès que j'eus retrouvé mes esprits. Seulement, à moitié immergé dans de l'eau gelée, et seul contre quatre adversaires, on ne va pas bien loin.

Renji arrive devant la porte. Cette fois, pas de doutes, c'est ici. La salle de contrôle. Tout repose sur lui à présent, il n'en est que trop conscient. Il inspire une grande bouffée d'air, comme si c'était la dernière chose qu'il aurait à faire, et ouvre grand la porte.
- Que... demande une voix.
Mais elle n'a pas le temps de poser sa question qu'un gigantesque Léviator aux écailles violettes balaye la salle de coups de queue. Une fois le sbire Rocket chargé de la surveillance de la salle de contrôle mis à terre, Renji rappelle son Pokémon. Un frisson le parcourt, mais il garde son sang-froid. Jamais il n'a autant recouru à la violence en une seule journée. Mais c'est pour la bonne cause, et il le sait très bien. Il traîne le sbire et l'enferme dans une armoire remplie de câbles, à sa droite, puis s'installe sur le PC. Tout de suite, il se sent plus à l'aise. Il a rejoint le domaine qu'il maîtrise à la perfection. Ses doigts pianotent quelques temps sur le clavier. Il est temps à présent d'utiliser son savoir-faire pour tirer toute la petite bande de là.

Le Boss toise Noa d'un œil moqueur, malgré le fait que son premier Pokémon aie été mis au tapis sans causer un seul dommage à son adversaire.
« Bordel, si seulement je savais pourquoi il a l'air aussi sûr de lui » songe Noa, alors que le Boss envoie son deuxième Pokémon.
Il s'agit d'un Mystherbe, un simple Mystherbe. Là encore, Noa est étonnée. Elle sait que la Team Rocket dispose de Pokémon bien plus puissants, pourquoi le Boss s'afflige-t-il donc de créatures non expérimentées et manquant de puissance ?
« C'est un piège » pense-t-elle. « Je ne sais pas en quoi il va en tirer profit, mais c'est un piège, il n'y a pas d'autre alternative ».
Hélas, piège ou pas, elle n'a aucune autre solution que d'attaquer. Là encore, mettre le Pokémon adverse au tapis est un véritable jeu d'enfant, et plus le Mystherbe est mal en point, plus le Boss arbore un sourire radieux, plus Noa sent son incertitude croître. Le Boss finit par rappeler le petit Pokémon plante, épuisé.
- Ok, tu t'es bien battue, fait-il d'un ton faussement flatteur.
« Non, c'est toi qui en as pas foutu une pour te défendre » fait mentalement Noa à son adversaire. Fort heureusement, il ne l'entend pas.
- Néanmoins, voyons ce que tu peux faire contre ça, reprend-il.
Il affiche un sourire empreint d'ironie, et brandit sa dernière Pokéball. La fillette observe attentivement, s'attendant presque à trouver là un troisième Pokémon incompétent. Ses yeux s'ouvrent grand lorsqu'elle réalise enfin. Elle reste interdite quelques secondes, puis porte une main à sa bouche.
- Mon Dieu, non, c'est...
- Je te présente Raikou, ma petite ! lance le Boss d'un ton jovial. Mais je suppose que tu te rappelles de lui, mmh ? Allons, que le meilleur gagne.

La situation était totalement bloquée, et il n'y avait plus qu'une alternative envisageable pour moi, et bien qu'à l'époque, je ne sois pas très fantaisiste, il s'agissait là de ma seule chance de liberté. C'est pourquoi, en un éclair, avant que les deux colosses qu'on appelait des sbires ne puissent s'emparer de moi à nouveau, je rappelai Evoli et d'un coup de jambes malhabile, je me propulsai dans le tuyau d'évacuation de l'eau. La dernière chose que j'entendis après avoir pris une bouffée d'air que je pensais suffisante, fut un ricanement de la part des deux malfrats. Mon cœur s'accéléra, mais je ne pouvais plus reculer à présent, et m'engouffrai dans le tuyau.
J'ai toujours été bon nageur, et je comptais sur mes capacités pour tenir le plus longtemps possible en apnée sous l'eau. Le tuyau se déversait ensuite dans un couloir plus large, que je me hâtai de traverser, propulsé par la force de mes pieds. Je fus pris d'inquiétude en constatant que je n'en voyais pas le fond. Je n'allais pas pouvoir continuer ainsi éternellement, et bientôt, il me faudrait à tout prix ma dose d'oxygène.
Je remarquai alors une légère cavité au-dessus de moi, que l'eau n'avait pas engloutie. Une poche d'air dans ce tombeau liquide. J'ignore ce que je serais devenu si je n'étais pas tombé sur cette opportunité, sans doute serais-je mort, peut-être aurais-je fait demi-tour et serais-tombé dans les bras des deux sbires que je venais de quitter. Toujours est-il que je pus me reposer un instant et inspirer une nouvelle bouffée d'air. Mais contrairement à ce que je croyais, je n'étais pas au bout de mes peines. Car quelques mètres plus loin, je me heurtai à un obstacle. Une porte, plus précisément. Impossible de sortir.
« MERDE, MERDE, MERDE » me dis-je encore une fois. Une série de jurons me vint à l'esprit, mais je ne les prononçai pas, conscient qu'ouvrir ma bouche serait sans doute la dernière chose que je ferais. Je frappai alors d'un poing rageur contre le porte métallique, ce qui n'eut strictement aucun effet, le coup étant amorti par l'eau. Il fallait que je trouve un moyen de l'ouvrir, cette fichue porte. Et vite.

Renji fait danser ses doigts sur le clavier à une vitesse fulgurante, les yeux rivés sur l'écran. Les systèmes sont complexes, mais pas assez pour sa redoutable intelligence. Il y a des dizaines de mesures de sécurité : il les désactive toutes. Devant chaque fichier important, il y a un obstacle. Mais le jeu lui semble démesurément simple malgré tout. Il n'est pas devenu hacker pour rien. Enfin, il trouve ce qu'il cherchait. Un fin sourire se dessine sur ses lèvres.
« Au revoir, Team Rocket » murmure-t-il pour lui-même.

Noa fronce les sourcils. Il a osé. La stupeur passée, plusieurs sentiments se mêlent en elle. De la fureur, tout d'abord, une fureur implacable contre cet homme avide qui n'a que faire des autres. De la compassion, aussi, pour ce Pokémon qui se retrouve entre ses mains, sans qu'il n'ait rien demandé, voué à servir un maître bien trop ambitieux et bien trop dangereux. Et puis une certaine colère contre elle-même, également. Elle qui a été assez stupide pour avoir compris tout cela bien trop tard, alors qu'elle aurait pu empêcher tout cela une année plus tôt.
Arrachée à ses pensées par un cri strident du Pokémon légendaire, c'est avec amertume qu'elle envoie Persian à l'attaque. Il n'est pas de taille à lutter contre Raikou, elle le sait. Mais à présent, tout ce qu'elle peut faire, c'est gagner du temps. Elle ne peut pas gagner ce match, et elle en est consciente. Qui plus est, elle ne le veut pas. Elle ne veut pas faire de mal à cette créature immense et extraordinaire, qui la fascine et attire son regard. Tout ce qu'elle a à faire, c'est résister le plus longtemps possible, en espérant que l'incident provoqué par Renji détournera quelques instants l'attention des sbires et du Boss, le temps qu'elle puisse filer.
- Raikou, attaque...
Mais le Boss n'a pas le temps de terminer, le légendaire est incontrôlable. Dès qu'il entend son nom, il fonce sur son adversaire, manifestement dans l'intention de charger, sans tenir compte des ordres que lui beugle son maître derrière lui. Noa ne peut que regarder, captivée par la beauté sauvage de l'animal. Personne n'aura aucun contrôle sur lui, elle le sait. Personne ne pourra maîtriser sa rage, elle se retournera contre tous ceux qui seront sur son chemin. Le Boss n'a sur lui que le pouvoir de l'enfermer dans sa Pokéball, nulle autre tentative ne lui est permise.
Persian, pris par surprise, prend le coup en plein fouet. La charge est une attaque très typique, mais fort efficace lorsque l'on a cette carrure et cette vitesse. Le félin dérape quelques mètres plus loin et se relève, déjà haletant. Raikou le toise, le défie des yeux, et Persian a beau chercher, il ne trouve pas la moindre petite faille dans son regard fier et déterminé. Noa décide de reprendre les commandes, mais n'ordonne pas à son Pokémon de passer à l'offensive. Il a besoin d'économiser son énergie. Tenir, c'est tout.
- Persian, esquive ses attaques au maximum !
Le félin l'avait déjà compris. Quant au Boss, il ne tente même plus de reprendre le contrôle du légendaire. Il est acharné, mais pas stupide, il sait que toute peine sera vaine. A présent il regarde le combat, comme hypnotisé par la rapidité et la souplesse des membres du chien légendaire. Son arme. C'est son arme, et un peu plus chaque instant il se persuade que personne ne sera en mesure de le vaincre s'il réussit à réunir les autres légendaires. Pendant qu'une folie naissante prend place dans son esprit, Persian lutte comme il peut pour exécuter les ordres de sa dresseuse. Raikou ne lui laisse plus aucun répit, il charge, bondit, feinte, fait trembler le sol. Tout lui est bon pour causer des dommages à son adversaire. Celui-ci fait tous les efforts du monde, mais il finit par succomber lorsque Raikou a recourt à son Fatal-Foudre. Noa le rappelle, s'il encaisse encore autre chose, il sera blessé grièvement, elle le sait. Herbizarre prend le relais. Il supporte bien l'électricité, et sans doute tiendra-t-il plus longtemps.
Hélas, Raikou ne met que quelques minutes à terrasser le Pokémon plante à son tour, bien que celui-ci soit plus endurant que son prédécesseur. Le Boss, assis dans son fauteuil, n'a pas bougé d'un pouce, toujours aussi captivé. Noa n'a plus à présent d'autre choix que d'envoyer Dracaufeu au combat, à son tour. Le chien légendaire, quant à lui, et toujours au meilleur de sa forme. Si Renji ne détourne pas rapidement l'attention, le dragon sera trop épuisé pour permettre à Noa ainsi qu'à ses compagnons de mettre a exécution la dernière partie du plan, elle le sait. Reste le problème de la porte, mais elle trouvera une solution au dernier moment, comme elle l'a toujours fait. Son Pokémon volant est le plus apte à résister, étant donné qu'il peut échapper à ses coups en s'élevant dans les airs, mais si Raikou tente une seule attaque électrique, ce sera la fin, et qui sait ce qui peut arriver alors. Noa a une pensée pour Falke, au cœur du carnage qui se prépare. Qu'est-il devenu, lui qu'on a emmené loin de la pièce sans qu'il ne sache où ? Il trouvera la sortie, elle lui fait confiance, mais à quel prix ?
Le chien légendaire passe alors à l'offensive. A chaque fois, Dracaufeu évite ses coups au dernier moment, de par sa vitesse presque égale à celle de son adversaire. Celui-ci est irrité, il frappe de plus en plus fort, de plus en plus vite, sans succès. Mais le dragon reste à sa portée, sans pour autant se laisser toucher. Il ne faut surtout pas inciter le légendaire à recourir à un Fatal-Foudre, auquel cas le dragon sera mis au tapis sans cérémonie. C'est alors que survient le miracle.
Un petit déclic se fait entendre dans la pièce, et une voix mécanique s'élève d'on ne sait où. « Bonne nuit les enfants ». Noa en rirait presque si sa nervosité ne lui tordait pas actuellement les boyaux. Elle reconnaît là l'œuvre de Renji, c'est à n'en pas douter. Et sur ces quelques paroles intrigantes, qui mettent la puce à l'oreille du Boss et de ses sbires, toutes les lumières s'éteignent, et la porte s'ouvre. Il n'en faut pas plus à Noa pour déguerpir. Le temps de rappeler Dracaufeu, et elle est dehors, filant à travers les longs couloirs sinueux du Repère, courant de toutes ses forces. Le Boss remarque son absence un peu plus tard, et quelques secondes après, Noa est poursuivie par des dizaines de sbires. Elle court vite, mais il ne faut pas qu'elle s'épuise. Elle a encore un escalier à grimper et un autre couloir à traverser en sens inverse, avant d'arriver à la trappe. Après quoi, elle grimpera sur Dracaufeu et ira à leur point de rendez-vous, comme prévu.
La poursuite est rude. Les sbires courent moins vite, mais sont plus endurants, et rapidement Noa commence à s'essouffler. Elle y est presque, et ils rattrapent leur retard. Une fois devant la trappe, elle se faufile par l'interstice du plus vite qu'elle en est capable, et alors qu'elle passe, un des sbires lui attrape le pied.
- Oh, non, ne cherche pas à t'enfuir ma petite !
La fillette se débat, mais il est fermement accroché à son membre. Elle a beau l'agiter, le tirer vers l'avant, impossible de se défaire de son emprise. Le sbire quant à lui cherche à l'attirer vers lui. S'il y parvient, elle sait qu'ils ne la laisseront plus s'enfuir.
- Je ne comprends pas pourquoi les portes se sont ouvertes, reprend l'homme, mais on va avoir tout le temps d'en discuter. Ne fait pas d'histoires.
En désespoir de cause, Noa libère à nouveau Dracaufeu, qui crache une volée de flammes sur le bras de son agresseur. Dans un hurlement de douleur, celui-ci desserre sa prise. La fillette en profite pour grimper sur le dos de son Pokémon, qui s'envole aussitôt. Elle regarde la trappe derrière elle, puis une fois sortie de l'ancien Casino, contemple le bâtiment s'éloigner. Ce n'est qu'une fois que celui-ci est devenu à peine visible dans la nuit qu'elle pousse un soupir de soulagement. Elle se rend soudain compte qu'elle est extrêmement lasse. Les évènements de ce soir l'ont épuisée plus qu'il n'en faut, et à présent qu'il n'y a plus de danger, elle se pose devant le Centre Pokémon.

La poche d'air que j'avais trouvée un peu plus tôt était trop loin pour que j'y retourne, et je sentis que l'air commençait à me manquer. Et, en sachant que les sbires m'attendaient de l'autre côté, je préférais encore rester là et essayer de trouver une solution. Je commençai par tambouriner stupidement sur la porte métallique, sans aucun effet bien sûr. Une panique totale s'empara de moi à ce moment-là. Je compris que je n'avais jamais été plus proche de la mort qu'à présent, et une peur phobique me mit la rage au cœur. Mourir noyé n'avait jamais été une de mes priorités.
Mes poumons, vides, réclamaient leur quota d'oxygène, et c'était une lutte de ne pas ouvrir la bouche afin de reprendre mon souffle. Je fus bientôt obligé de me pincer le nez afin de m'empêcher de respirer, et utilisai le peu de forces qu'il me restait encore pour réfléchir. Mais ma réflexion n'alla pas bien loin, je n'étais capable de rien dans cet état-là. Pas même de revenir à la poche d'air. Cette fois, j'étais cuit. Et tandis que j'allais me rendre à l'évidence, le miracle survint : la porte s'ouvrit, lentement, d'elle-même. Je me précipitai pour m'y engouffrer.
Je sentais ma veine palpiter violemment sur ma tempe, ou peut-être n'était-ce qu'une illusion. Chaque coup se répercutait dans mon crâne comme un écho interminable, et je me demandais si j'aurais la force de battre des pieds assez longtemps pour remonter jusqu'à l'air libre. A vrai dire, je ne savais même pas si je remontais. Je n'étais plus conscient de rien. Je pouvais très bien aller actuellement vers le fond, sans le savoir. La porte semblait déboucher sur un lac, ou quelque chose du genre. Quelque chose de profond, contenant des tonnes et des tonnes d'eau. Toujours est-il que bientôt, je vis la nuit à travers l'eau. J'y étais presque. Dans un ultime effort, je me projetai vers le haut, et ma tête émergea enfin à l'air libre.
Contrairement à ce que l'on croit, reprendre son oxygène lorsque l'on en a manqué est très désagréable. Ma première bouffée fut d'une longueur interminable, et je ne pus m'empêcher de tousser, de m'étouffer presque, lorsque l'air glacé de la nuit pénétra dans mes poumons, brûlant et irritant. Néanmoins, je sentis mes forces et ma vie même revenir. Il me fallut une ou deux minutes pour calmer mon cœur qui battait furieusement, puis je gagnai la côte, un peu moins essoufflé. Il me restait un kilomètre avant d'arriver jusqu'au Centre Pokémon. Je m'assis alors afin de reprendre mes forces et songeai à Renji et Noa. Avaient-ils réussi ? Les retrouverai-je au point de rendez-vous ? Une fois que j'eus gagné le Centre, je m'affalai, trempé et tout habillé dans mon lit. On verrait demain. Je n'avais plus la force.

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