Chaos Sanctuary

Chapitre 11 : Le trio dispersé

Catégorie: G

Dernière mise à jour 09/11/2016 11:11

- Je ne comprends pas comment ça a pu arriver... gémit Noa.
Après que nous eûmes identifié qui étaient les auteurs du chaos auquel nous avions assisté, les sbires avaient pris grand soin de ne laisser aucun témoin la scène. Tout individu se trouvant dans les 500 mètres environnants avait été raflé et embarqué sans ménagement. Tous les autres avaient été mis sous clef dans un gigantesque entrepôt, un peu plus loin, entrepôt dans lequel nous pensions nous retrouver aussi. Mais l'un des sbires reconnut Noa et nous identifia comme ses amis. Nous eûmes donc le luxe de nous voir jetés dans une autre salle, étroite, sans fenêtres, et avec pour seule issue, une porte fermée à double tour. « Ce sera votre chez-vous jusqu'à nouvel ordre », nous avait-on annoncé, ce qui laissait entendre qu'il ne fallait pas s'attendre à sortir prochainement.
- Au final, bousiller leur réseau n'aura pas servi à grand chose, fit Noa, défaitiste. Ils peuvent toujours mener des actions de groupe. Regarde ! Ils ont capturé Electhor, ils sont en possession de deux légendaires. Rien ne pourra les arrêter, avec ça !
Elle marqua un temps de silence.
- Mais quand même, voir deux légendaires se battre entre eux... murmura-t-elle. C'était horrible. Je n'aurais jamais imaginé que ça irait jusque là.
Des frissons parcoururent son échine, et les poils de ses avant-bras nus se hérissèrent. Je baissai la tête, acquiesçant faiblement. Le désespoir qui accablait Noa était mien.
- Je ne pensais pas que Raikou obéirait à leurs ordres, en vérité, déclara nonchalamment Renji. Les légendaires ont une volonté réputée pour être quasiment indestructible, pourtant il était bien là ce soir, à lutter contre un de ses semblables. Je me demande comment la Team Rocket s'y est prise.
- Ils l'ont rendu fou, affirma la brunette. Je ne sais pas comment ils s'y sont pris, mais il y avait de la folie et de la rage dans le combat de Raikou, ce soir... Et c'en sera de même pour tous ceux qui suivront.
Je n'en revenais pas de constater que nous nous trouvions là, prisonniers, sans aucune possibilité de fuite, et que Noa se souciait davantage de ce qu'il allait advenir des légendaires que d'elle-même. D'autant que je me doutais que, si on nous avait emprisonnés dans une salle séparée, il y avait bien quelqu'un quelque part qui souhaitait faire de nous quelque chose de particulier.
- Quel jour sommes-nous ? demanda alors Noa, changeant radicalement de sujet.
J'avais moi-même perdu toute notion du temps, et ce depuis bien longtemps. Renji regarda sa montre.
- Le 23 novembre. Il est quatre heures du matin.
Noa eut un faible sourire.
- J'ai treize ans, aujourd'hui.
Etonné par la nouvelle, je songeai qu'il y avait là un bien triste coup du sort. J'aurais souhaité à Noa de fêter cela dans des conditions plus joyeuses, d'autant que j'avais l'esprit bien trop occupé pour m'en réjouir pleinement. Treize ans. C'était toujours peu, mais cette simple idée la grandissait à mes yeux.
- Bon anniversaire, ma grande ! fis-je en tentant d'ajouter à ma voix un peu d'entrain. Sans succès.
Je lui ébouriffai affectueusement les cheveux, n'ayant rien de plus à lui offrir.
- Bon anniversaire, crevette, ajouta Renji avec un large sourire, qui fendait son visage du menton jusqu'aux oreilles.
Je m'étonnai de sa jovialité non-feinte. Renji était un être étonnant que j'avais depuis longtemps renoncé à décoder, et ce fut le seul à fêter l'événement avec une réelle légèreté, comme s'il n'était absolument pas affecté par notre situation actuelle.
Ce furent de bien mornes festivités, que nous célébrâmes en somnolant, affalés contre le mur, tentant de tromper notre fatigue. Je ne sais pas combien de temps nous passâmes dans cette pièce, tous les trois, sans rien dire. Une heure, une journée ? Peut-être davantage. Le temps ne s'écoulait plus de la même façon. Toujours est-il que des bruits de pas qui venaient vers nous finirent par me tirer de mon état comateux. Je me redressai mollement, les yeux plissés tant par la lumière que par la fatigue. Nous entendîmes distinctement une clef se glisser dans la serrure, puis la porte s'ouvrit, laissant entrer une silhouette massive que j'identifiai immédiatement. Je ne l'avais vu qu'une seule fois auparavant, mais cette carrure et ce visage dur ne pouvaient laisser aucun doute quant à l'identité de l'homme en question. Je me retournai vers Noa, qui affichait un air de dégoût intense. Plaquée contre le mur, elle semblait se refuser à bouger.
- Noa ! fit l'homme en souriant. Quel plaisir, je ne pensais pas que nous nous reverrions de sitôt.
Ma jeune amie ne répondit pas, n'esquissa pas un seul mouvement.
- Boss, murmura-t-elle simplement.
L'homme se tourna alors vers Renji et moi.
- On m'a donc attrapé les trois d'un seul coup, fit-il sobrement. Rassurez-vous, je n'ai aucun besoin de vous deux. En revanche, j'ai quelques petits comptes à régler avec toi, ma petite.
Le Boss fit un pas en direction de Noa, qui ne bougea pas d'un pouce, sans même esquisser un mouvement de recul. Dans son regard brillait d'une détermination farouche, comme s'il elle s'attendait à devoir mener une lutte sanguinaire pour sa liberté.
- Une chance que tu te sois trouvée dans la région à ce moment-là, décidément ! Il paraît que tu as pu assister à la capture de l'Oiseau de Foudre ?
La fillette se renfrogna.
- Oui, répondit-elle sans entrain. Toutes mes félicitations, c'était monstrueux. Tout à votre image.
Le Boss ne tiqua pas sur la remarque de son interlocutrice, j'aurais d'ailleurs juré que, pour un peu, il s'en serait enorgueilli.
- Ne parle pas trop vite, tu n'as encore rien vu, rétorqua-t-il avec un sourire.
- Je ne désire pas en voir plus.
La réplique parut irriter passablement le Boss.
- Assez joué, Noa. Tu ne peux plus t'enfuir, cette fois. Il ne t'aura sans doute pas échappé que j'ai six Pokéball sur moi – et je te déconseille fortement de tester l'endurance de mes Pokémon - , que nous sommes dans un lieu clos et que l'extérieur grouille d'hommes à qui je peux ordonner ce que bon me semble d'un simple claquement de doigts.
Il marqua un temps d'arrêt.
- Il serait faux de dire qu'anéantir notre réseau ne m'a absolument pas gêné. Non, pour tout dire, ça m'a profondément fait chier. Tu n'imagines pas toutes les ressources que tu as anéanti avec ton petit tour de passe-passe informatique. Mais ça ne signifie absolument pas que tu as gagné, non. La plupart de mes hommes me restent fidèles, même s'ils n'ont aucun contact avec moi. Je n'ai eu aucun mal à recruter une nouvelle équipe afin de mener notre projet à bien. Certes nous sommes moins efficaces, mais je suppose que tu t'es rendue compte que nous n'en sommes pas négligeables pour autant. Nous restons des rivaux pour toi.
Noa ne répondit pas, défiant le Boss du regard, sans ciller.
- Et, comme tu t'en doutes, reprit-il, je ne te laisserai pas t'échapper. Tu vas venir avec moi. Mieux encore, tu vas m'aider.
- Non.
La réplique avait fusé, cinglante, entendant un refus catégorique.
- Excuse-moi, je reformule. Tu vas venir avec moi, tu vas m'aider, que tu le veuilles ou non. Je ne te laisse pas le choix.
La fillette resta de marbre, sans chercher à lutter. Il lui était impossible d'échapper à ce qui l'attendait, le Boss avait été clair. Un silence pesant s'installa pendant une poignée de secondes, après quoi, il se retourna vers Renji et moi.
- Quant à eux, faites-en ce que vous voulez, fit-il en s'adressant à ses sbires qui attendaient devant la porte. Je n'ai pas besoin d'eux.
Sur ce, il saisit fermement Noa par le bras et la fit lever. Elle s'exécuta sans opposer de résistance, sans prononcer un mot. Avant de passer la porte, elle se tourna vers moi. Son regard perdu s'inscrivit profondément dans ma mémoire. Sans doute quelque chose en moi avait-il deviné que je ne la reverrai pas de sitôt. Il y avait dans ses yeux une lueur de désespoir étouffée, quelque chose d'alarmant qui ne m'échappa pas. Après un dernier instant, elle disparut. La porte fut refermée, des cliquetis nous indiquèrent que nous étions de nouveau enfermés, puis il n'y eut plus rien. Nous étions seuls, encore une fois. Mais sans Noa. Je poussai un grognement et m'adossai furieusement contre le mur, résigné. Toute volonté m'avait quittée, ils avaient tout pris, à présent.

- Bordel, y'a pas moyen !
Sous la colère, je donnai un coup de pied au mur et allai me rasseoir d'un pas rageur. Renji ne sembla pas s'étonner de ma soudaine crise de nerfs, prit une pomme dans son sac et se mit à mâcher tranquillement.
D'après la très vague notion du temps que j'avais dans cette pièce où les minutes semblaient des heures, cela faisait à présent une journée, approximativement, que nous étions enfermés, une journée entière sans que j'eus pris la peine de dormir ou manger. J'avais tout essayé, tout : mes Pokémon autant que moi étions incapables d'ouvrir la porte ou de trouver une solution un tant soit peu réaliste pour sortir. Je commençai sérieusement à désespérer, d'autant que chaque seconde qui passait réduisait un peu plus mes chances de retrouver la trace de Noa, ce dont j'avais la ferme intention une fois que j'aurais quitté ce trou.
- Arrête de t'éreinter, marmonna Renji entre deux bouchées, c'est un mur, ça sert à rien.
La perspective de rester prisonnier ici jusqu'à ce que quelqu'un daigne se préoccuper de notre sort ne semblait pas le déranger particulièrement. Pendant les longues heures durant lesquelles j'avais trimé, réfléchi et bataillé pour nous sortir d'ici – de façon tout à fait inutile, je l'avoue - , Renji n'avait pas bougé, ne m'avait pas regardé faire. Il avait dormi, mangé, de façon tout à fait sereine, la conscience tranquille.
- Y'a forcément un moyen de sortir de là ! répliquai-je, acharné.
- Non.
Le jeune homme mordit à nouveau dans sa pomme et poussa un soupir.
- Inutile d'essayer, reprit-il. Tout ce que tu peux faire, c'est attendre. Quelqu'un va bien finir par se rappeler que nous sommes là.
Il regarda dans son sac.
- Tu veux un truc à manger ? J'ai encore un peu de provisions.
Je n'avais moi-même dans mon bagage que de l'eau, j'acceptai donc le pain et le fromage que me tendait Renji et m'autorisai quelques instants de repos. Je m'assis à côté de lui et mordit dans mon sandwich.
- Ouais, mais quand bien même ils se souviennent qu'on est là, ça changera quoi ? demandai-je. Ils vont nous laisser moisir ici, je te dis.
- On verra bien.
Devant la mine totalement désintéressée de Renji, je n'insistai pas. Nous fûmes d'ailleurs fixés un peu moins d'une heure plus tard.
Les sbires arrivèrent sans prévenir, alors que je ne m'y attendais plus. Je sursautai en entendant la clef déverrouiller la serrure et m'appliquai à ne pas bouger lorsque les hommes entrèrent. Renji leva la tête et les regarda d'un air curieux, comme un enfant observe un inconnu. Cela n'échappa pas aux deux hommes, qui grimacèrent.
- Vous deux, là, venez avec nous, on a du travail pour vous !
- Tant que vous êtes-là, vous allez nous filer un coup de main, ricana son compagnon.
Etant donné le ton sarcastique qu'ils prenaient, je me doutai que la tâche que l'on nous avait réservée était visiblement assez humiliante. Et effectivement, après quelques mètres dans le couloir, les deux sbires s'arrêtèrent devant deux seaux remplis d'eau et une paire de balais et de serpillières.
- Y'a deux ou trois salles à nettoyer, par ici, c'est que c'est un vieux bâtiment. Le couloir aussi, ce serait pas mal, nous indiqua l'un des deux hommes.
Ils tournèrent les talons. Celui qui avait prit la parole fit volte-face.
- Au fait, n'essayez même pas de vous échapper, toutes les sorties sont contrôlées, vous n'iriez pas bien loin !
Sur quoi, ils quittèrent le couloir, vaquant à leurs occupations et nous laissant, Renji et moi, au milieu du couloir, le matériel devant nous.
- J'le crois pas... grommelai-je.
- Eh bien, au moins, tu es dehors, ce n'est pas ce que tu voulais ? fit Renji en s'emparant d'un des balais, visiblement résolu à faire ce qui avait été demandé.
- Certainement pas de cette façon-là, en tout cas.
Je fis de même à contrecœur, ne me sentant absolument pas l'âme d'un agent d'entretien, d'autant qu'une étonnante couche de crasse s'était accumulée par terre et sur les murs.
- Bordel, le dernier ménage doit dater du néolithique, grimaçai-je. Et c'est à nous de nous taper tout ça.
Ma mauvaise humeur fut décuplée lorsque je découvris, en prime, une couche de poussière tout à fait phénoménale sous les meubles. Nous fûmes très vite aussi sales que l'endroit que nous nous efforcions de rendre correct. Renji semblait avoir une certaine pratique du balais et de la serpillière, quant à moi, j'étais plutôt maladroit.
- Renji... demandai-je entre deux coups de serpillière. Où est-ce que tu penses qu'il a amené Noa ?
- Oh, le Boss ?
Le jeune homme haussa les épaules.
- Aucune idée.
Je me laissai alors aller à mon désespoir, balayant frénétiquement, traquant la poussière comme un ennemi. Noa avait disparu, je ne la reverrais plus. Cette idée me torturait, je n'arrivais pas à m'y faire. Il fallait absolument que je la retrouve, elle avait besoin d'aide. Mais Renji lui-même n'avait aucune idée de l'endroit où elle pouvait bien se trouver, et je n'avais par ailleurs aucun moyen de retrouver sa trace. Cette fois, il n'y avait aucune alternative possible, et je ne me voyais que très peu devenir technicien de surface au service de la Team Rocket.
Quelle ne fut pas ma surprise lorsque j'entendis un cri de frayeur derrière moi, puis le bruit sourd d'un corps tombant sur le sol. Je me retournai précipitamment. Le sbire qui venait de nous acquitter aux tâches ménagères était étendu de tout son long, les yeux clos, assommé. Je restai figé par la surprise pendant quelques instants, lorsque je vis qui était l'auteur de l'agression. Après tout, je n'en étais pas à mon premier miracle.

- Qu'est-ce que vous foutiez avec ces balais et ces serpillières sous le bras ?
- ... Hem, c'est une longue histoire, tentai-je de me justifier. Je ne sais pas comment te remercier.
Le visage de Kaio se crispa.
- Nous sommes venus libérer les nôtres, fit-il, c'est tout ce qu'il y a de plus normal. Et nous n'allions pas vous laisser à la merci de ces enfoirés.
C'était la première fois que j'entendais un terme injurieux dans la bouche du Chef Ultimiste, aussi m'appliquai-je à garder ma stupeur pour moi, sans doute que cela aurait semblé malvenu. Renji et moi lui devions une fière chandelle, après tout il aurait aussi bien pu se préoccuper de libérer les siens et nous abandonner à notre sort. Après avoir assommé quelques sbires supplémentaires et avoir réussi à sortir du Repère, Kaio nous avait entraîné dans une cachette improvisée, dans les sous-bois, où nous étions à l'abri pour le moment.
- A propos... où est la jeune femme qui vous accompagnait ? reprit-il en parcourant du regard la petite troupe de réfugiés.
« La jeune femme ». Je ne compris pas immédiatement à qui il faisait allusion. C'était la première fois que quelqu'un qualifiait Noa de la sorte. Moi-même, j'avais encore un peu de mal à la considérer autrement qu'une enfant. Une enfant charismatique, redoutablement intelligente et sans laquelle je me retrouvais totalement perdu, mais une enfant tout de même.
- Le Boss l'a emmenée, répondit nonchalamment Renji. Apparemment, il a des choses à régler avec elle.
Kaio poussa un « Mmh » approbateur et resta silencieux, l'air soucieux.
- Votre jeune amie m'a l'air d'être quelqu'un d'assez exceptionnel, finit-il par dire. Je me trompe ?
Un léger sourire se dessina sur mon visage.
- Non, vous avez raison.
Il acquiesça, puis croisa les bras et prit un air solennel.
- Restez dormir avec nous pour cette nuit, proposa-t-il. Demain, vous reprendrez votre route. Quant à nous, nous nous occuperons de chasser définitivement ces ordures de la région, après quoi nous retournerons au campement et sans doute n'entendrez-vous plus parler de nous.
Je tournai la tête vers Renji. Son visage, comme à son habitude, exprimait très clairement cette mimique qui lui était spécifique, qu'on aurait pu traduire par « Faites ce que vous voulez, je m'en fous. On mange quoi ce soir ? ».
- Ça me convient.
Aujourd'hui peut-être, mais demain ? Qu'allions-nous faire maintenant que Noa n'était plus là ? Cette question me tracassa toute la soirée. A présent que j'étais livré à moi-même, et donc, contraint de prendre mes propres décisions, je réalisai à quel point j'étais perdu sans la brunette, et cela bien distinctement du fait qu'elle me manquait. Depuis le début, c'était elle qui avait choisi, elle qui avait donné les directives, elle qui savait vers où se diriger. Moi qui ne savais même pas réellement contre qui je me battais, que pouvais-je faire à présent ? J'avais oublié depuis longtemps ce que cela signifiait, agir par soi-même, et si ce soir-là, je ne dormis presque pas, rongé par le désespoir, je retins la leçon. Peu importait tout le reste, il fallait à présent que je m'en sorte par mes propres moyens. Et quoiqu'il arrive, je retrouverai Noa. Cette nuit, je m'y décidai fermement.
Lorsque je me réveillai, ébloui par la lumière du jour, j'eus l'impression de n'avoir dormi qu'une poignée de secondes. Je me tournai vers Renji, qui lui, dormait comme un enfant. L'air rêveur et innocent qui flottait sur son visage le rajeunissait d'une bonne dizaine d'année. Je restai quelques instants devant ce charmant tableau, amusé, puis me levai et tentai de retrouver Kaio au milieu de la petite troupe d'Ultimistes qui s'affairait à rassembler tous les paquets afin de repartir au plus vite. Kaio m'aperçut en premier, et me fit signe.
- Nous allons repartir d'ici peu, m'annonça-t-il. Il est temps de chasser définitivement ces ordures de la région, nous allons nous en charger aujourd'hui même, tout cela a trop duré. Toi et ton ami, vous êtes des nôtres si vous le désirez.
Je restai quelques instants perplexes, puis je souris.
- J'apprécie la proposition, répondis-je, mais il faut que nous retrouvions Noa. C'est bien la première fois qu'elle a besoin d'aide, alors je vais essayer de la lui apporter le plus vite possible.
Kaio acquiesça d'un air solennel.
- Je comprends. Vous savez où la trouver ?
Une légère grimace se peignit sur mon visage. Bien sûr, ce léger détail compromettait fortement mes intentions.
- Eh bien...
Je soupirai.
- En fait j'en sais foutrement rien, pour être honnête. Mais je suis certain qu'il y a moyen, je mettrais tout en œuvre pour retrouver sa trace, et même si c'est peine perdue, il faut que j'essaye.
Sans doute pressentit-il l'émotion dans ma voix, puisqu'il afficha un grand sourire.
- Le choix t'appartient. Accepte ceci, dans ce cas.
Il me tendit un sac, que je pris, intrigué.
- Ce sont des provisions. Sachant que vous êtes deux et que ton ami est un gros mangeur, ça devrait vous tenir une semaine, peut-être un peu plus.
Je souris à l'évocation de Renji, qui était d'ailleurs tout à fait réaliste. Je l'avais déjà vu engloutir des quantités phénoménales sans être rassasié.
- Merci beaucoup.
- Eh bien ! Bon vent à vous deux.
Il me mit la main sur l'épaule et me regarda intensément, d'un regard profond qui me mit mal à l'aise. Kaio était quelqu'un de très solennel, quant à moi je ne l'étais sans doute pas suffisamment.
- Retrouvez-la, fit-il. Et prenez bien soin d'elle, votre amie a quelque chose de particulier. Elle va faire de grandes choses, je le pressens.
J'acquiesçai sans répondre, mais je comprenais parfaitement ce qu'il avait voulu dire par là. Je l'avais moi même pressenti, et depuis longtemps. Noa était un être à part.
J'allai réveiller – à grand peine – Renji, après quoi nous fîmes nos adieux à tous les Ultimistes, les remerciâmes encore une fois pour leur précieuse aide, puis chacun repartit de son côté. Après avoir été enfermé de longues heures dans une pièce sans issue, il était délicieux de se sentir de nouveau libre. L'hiver commençait à s'installer, un lourd manteau de nuages gris recouvrait le ciel, et un vent glacial s'était levé, nous contraignant à porter les manteaux qui nous avaient été offerts par la Caravane. Je soupirai en trouvant celui qui était destiné à Noa, roulé en boule dans mon sac, et revêtis le mien. J'eus d'ailleurs droit à quelques moqueries de la part de Renji, d'une bonne humeur inexplicable, qui me trouva l'air d'un « genre de mammifère, mais pas tout à fait ».
Il me chambra quelques minutes alors que nous avancions dans une prairie aux herbes si hautes qu'elles nous arrivaient à la taille, puis il s'arrêta brusquement, croisa les bras et fronça les sourcils.
- Bon, c'est cool, on est dehors, on a plein de choses à manger, mais maintenant monsieur le héros, on fait quoi ?
Sa question me prit au dépourvu. Je me mordis la langue, mal à l'aise.
- Résumons notre situation, reprit-il. Nous n'avons aucun moyen de retrouver Noa, rien, niet, nada, quedalle. Toi comme moi, on doit éviter les villes, au cas où la Team Rocket courre toujours. Toute l'île est dans un état apocalyptique, les gens ont peur. On n'a presque plus d'argent. Et j'ai faim. Qu'est-ce que tu proposes ?
- Prends un sandwich.
Renji s'exécuta de bon cœur, et une fois qu'il eut prit quelques bouchées, il revint sur le problème en question.
- Je suis désolé l'ami, fit-il, la bouche pleine, mais là, je manque d'imagination.
Renji avait une façon de tout prendre en dérision qui me sidérait. Je ne l'avais encore jamais vu angoissé, mal à l'aise, ou quoi que ce soit. Néanmoins je m'avouai à moi-même que ce n'était pas désagréable. Si j'avais été seul, sans doute aurai-je été mort de trouille à l'idée de devoir m'en sortir par mes propres moyens dans ce pays déséquilibré. Mon ami, par sa simple présence, parvenait à me faire dédramatiser de tout ce qui s'était passé, et de tout ce qu'il allait advenir.
- A moins de devenir des bandits de grand chemin comme ils faisaient il y a quelques siècles de ça, fit-il nonchalamment, je vois pas trop.
J'eus un léger sursaut. Il mordit encore une fois dans son sandwich pendant que l'idée germait dans ma tête. Un grand sourire fendit mon visage.
- Renji, t'es génial.
Sur le coup, il s'arrêta de manger et me regarda d'un air suspicieux, comme s'il cherchait à comprendre où est-ce que je voulais en venir.
- Mmh... marmonna-t-il. Le pays est sans dessus-dessous, c'est une idée complètement farfelue, et dangereuse en plus. Absolument pas raisonnable, ni rationnelle.
Il réfléchit un instant.
- Ouais, ça me plaît bien !
Ce qu'il allait advenir de nous, notre avenir prochain, s'était décidé en l'espace d'une poignée de secondes. Il avait suffit qu'une des idées étranges de Renji lui vienne à l'esprit. « Bandits de grand chemin ». Le terme me convenait, et acheva de nous empêtrer dans l'illégalité. Nous allions donc commencer à vivre aux dépends des autres, en attendant d'avoir un signe de Noa ou de la Team Rocket. Renji, enchanté par cette perspective, prit tout de suite les devants, et je le suivis sans peine. C'est ainsi que, plus communément, nous devînmes « des voyous ».


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