Filigrane Infini

Chapitre 1 : Filigrane Infini

Chapitre final

4629 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 27/10/2023 20:22

[ Filigrane Infini ]


Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions .fr : Le fil du destin - (septembre octobre 2023).


Tandis que la porte de sa chambre se refermait derrière elle, ses jambes faillirent se dérober. La leçon qui venait de lui être offerte par Tony lui avait absorbé le peu d’endurance qu’elle possédait. Après tout, ne fallait-il prendre en considération que Cerise n’avait jamais dansé de sa vie, avant ses premiers pas trois jours auparavant ?

La princesse du Royaume Verdoyant, homonyme de la jeune Cerise, avait fait irruption chez cette dernière, débarquant d’un portail reliant leurs armoires. Désireuse de devenir une élève du monde de Cerise, elle l’avait suppliée d’échanger leurs places pendant au moins un mois. Effectivement, seulement trente jours les séparaient du Bal de Saint-Lyon, un grand évènement de danse largement attendu dans tout le royaume.

Curieuse de cet univers inconnu, Cerise échangea sa place avec la princesse sans réellement hésiter à prendre cette décision. Certes, il ne s’agissait que d’un bal et uniquement d’un mois, mais elle ignorait tout de ce qui pouvait se trouver de l’autre côté de l’armoire !

Ses premiers jours furent effectivement emplis de découvertes. Elle dut se familiariser avec l’ensemble des six princes qui s’entraînaient régulièrement pour le bal. S’ils venaient tous de royaumes voisins, tous résidaient ici pour le mois précédent le Bal de Saint-Lyon. Tant de personnalités uniques ne sortaient pas la jeune fille de sa zone de confort, elle y avait été habituée dans sa classe, à l’école. Toutefois, ce fut bien l’univers princier et les codes de la danse qui purent la troubler. La troubler oui, mais pas longtemps. Cerise parvenait à s’accommoder aisément, malgré son jeune âge.

Exténuée, elle posa sur son guéridon son diadème royal. Cet accessoire, comme les quelques autres qu’elle avait pu acquérir depuis son arrivée, l’avait conquise immédiatement. Nul besoin de se changer pour revêtir une robe de princesse au lieu de son uniforme d’écolière, pas de problème de coiffure ou de tenue de danse grâce à eux. Effectivement, elle avait découvert qu’il lui suffisait de les porter pour qu’elle se transforme immédiatement. Chaque accessoire possédait son effet magique et la métamorphosait entièrement. À chaque fois qu’on lui en faisait cadeau d’un nouveau, elle s’imaginait déjà les porter avant les entraînements avec Tony et découvrir la tenue qui lui était reliée.

À peine Cerise avait-elle eu le temps de s’allonger pour se ressourcer un instant qu’elle entendit des coups frappés sur sa porte avec excitation. Elle releva alors ses yeux vers Kip Hamoon Stallon VII, son majordome et ami. Kip, diminutif pratique et largement utilisé par Cerise et son alter ego, avait pour apparence un petit animal blanc aux larges oreilles, flottant dans les airs. Son air lui suggérait que la meilleure chose à faire afin de savoir l’identité de la personne ayant frappé était encore de lui ouvrir. Si Kip apprenait encore à connaître Cerise et vice-versa, ces derniers semblaient malgré tout dotés de caractères similaires, propices à une bonne entente : taquins, impulsifs et peu rancuniers.

La nouvelle princesse s’enquit d’ouvrir la porte à la personne sollicitant son attention. Ses yeux bruns rencontrèrent les iris bleus du Prince Vincent Wright. Surnommé Vince par l’ensemble des personnes qu’il rencontrait, ce jeune prince très farceur ne paraissait pourtant guère enclin à piéger Cerise avec ses bêtises. Même l’épi de ses blonds cheveux affichait une mine abattue, tout comme lui semblait nerveux.

« Que se passe-t-il, Vince ?!, s’inquiéta légèrement la jeune fille.

– C’est simplement… voilà, c’est juste ça. »

Alors, Vince tendit à Cerise un petit fil de laine d’un bleu profond, telle une nuit ayant chassé la lune. À son propre index, noué, la princesse put distinguer un fil d’une teinte canari.

« Dans mon royaume, commença à expliquer le jeune prince devant le regard interrogé posé sur lui, il est coutumier de nouer des fils de couleur autour de nos doigts, entre amis. Alors j’ai pensé que ça pourrait être sympa qu’on en porte un, tous les deux, pendant qu’on danse…

– Une coutume ? Elle existe depuis longtemps ?

– Oui et non, tout dépend comment tu considères la chose ! Ce sont mes grands-parents qui l’avaient inventée, et depuis elle a largement été popularisée. Pour moi mes grands-parents sont âgés, donc je dirais qu’elle est vieille ! Mais j’ai déjà eu des remontrances par rapport à ça, alors je dis que c’était pas il y a si longtemps que ça…

– Ah, la jeunesse, intervint Kip, sans aucun respect pour ses aînés !

– J’aimerais beaucoup que tu me racontes comment tes grands-parents ont créé cette habitude, s’extasia Cerise en ignorant la remarque de Kip. Je voudrais beaucoup danser avec toi en portant ce joli fil. »

Vince offrit un large sourire à la princesse. Du haut de ses treize ans, il percevait et considérait les choses bien à sa manière.

« Quand ils étaient plus jeunes, raconta alors le jeune prince tout en nouant le fil bleu à l’auriculaire de Cerise, mes grands-parents aimaient danser. Ils aimaient vraiment très fort. Tu vois le Bal de Saint-Lyon que nous allons tous préparer ? Ils l’ont remporté haut la main, dominant de loin les autres couples ! Mes grands-parents s’aimaient de tout leur cœur. Ils s’étaient fait la promesse de ne jamais s’abandonner. 

– La promesse avec les petits doigts, comme ça ?, mima Cerise en intervenant

– Tout à fait !, sourit Vince. Ils tenaient si fort à cette promesse qu’ils voulaient qu’on puisse la ressentir dans leur danse. Ils nouèrent à leurs doigts un long fil les reliant durant leurs danses, apprirent à le dompter et créèrent ainsi des pas très envoûtants ! »

Les yeux de Cerise brillaient d’excitation. Après avoir été transportée dans un monde royal, un conte d’amour infini lui était narré.

« Je voudrais tant voir tes grands-parents danser ensemble, que leur danse doit être charmante !

– … J’aimerais beaucoup moi aussi. Je ne me souviens même plus précisément de leurs techniques. Ça fait bientôt cinq ans qu’ils sont morts… »

Cerise garda le silence tandis que son sourire se craquela. Ses doigts se serraient fort contre son fil.

« Excuse-moi, prononça doucement la princesse.

– Tu n’as pas à t’excuser ! Ce n’est pas ta faute, en aucun cas. »

En effet, incriminer quiconque n’aurait qu’accablé inutilement d’innocentes épaules. Des accidents se produisaient chaque jour, cet incident fut malheureusement l’un deux. Le roi et la reine se rendaient ce jour au Bal de Saint-Lyon. Anciens gagnants, ils étaient maintenant invités en tant que spectateurs d’honneur. Seulement leur royaume, le Royaume de la Rivière, fut tragiquement fidèle à son nom. Sous le poids des années et de la calèche, celle-ci plongea rejoindre les rapides que surplombait le pont. Personne n’était à blâmer ici, les cordes semblaient pourtant solides, néanmoins chacun devient impuissant lorsque le destin choisit l’heure où les danseurs s’allongent définitivement.

Le petit cœur de Cerise battait calmement, troublé par la tragédie vécue par la famille de Vince. Le comportement farceur du jeune prince pouvait-il s’expliquer pour les blessures que son âme avait subies ?

La princesse songea alors que leur belle histoire ne se trouvait nullement ternie par les évènements ayant rédigé ses dernières phrases. Reliés par leur fil de tendresse éternelle, ils respectèrent cette promesse sans faille, demeurant aux côtés de l’autre même au cœur du guet-apens de la mort.

Ses iris fixés sur les fils bleu et jaune s’illuminèrent alors d’une grandiose idée. Survoltée, volcanique, elle bondit sur place, laissant toutes ses pensées s’échapper en jets afin d’en faire comprendre la nature à son ami.

Le Bal de Saint-Lyon approchait à grands pas, encore plus rapidement si on considérait qu’il s’agissait de pas de bourrées. Seulement, tandis que Cerise apprenait les rudiments de la danse, la lourde tâche de trouver un partenaire lui incombait également. Boudeuse à cette idée, elle ne comprenait pas pourquoi il lui en fallait choisir un parmi tous les autres. Rien ne ferait qu’elle préférât Kiefer Bergmann à Luciano Barbosa. Pourquoi fallait-il qu’elle en délaissât au lieu de partager cette aventure avec eux tous ? La nouvelle princesse venait à peine de les rencontrer, il était inconsidéré de sacrifier tant de nouvelles danses aux côtés d’eux tous.

Elle s’imaginait déjà fouler les pavés du Jardin du Tango en dansant avec Liam Goodrich pour finalement embraser la salle de bal avec Klaus Rosencrans sur un jive acidulé. Bon, elle ne savait pas encore danser le jive… Elle ne connaissait pour l’instant que la valse, en fait. Qu’importait, elle comptait fermement s’améliorer grâce aux enseignements de Tony, aux entrainements assidus ainsi qu’aux conseils de tous les autres.

Ainsi, elle exposa à Vince son désir de transformer le Bal de Saint-Lyon, exceptionnellement. Qu’il prît, pour une fois, l’allure d’un véritable spectacle plutôt que d’une compétition.

« Je te propose qu’on danse tous ensemble au lieu d’avoir chacun un seul partenaire, j’explique vraiment si mal que ça ?, se vexa Cerise en croisant les bras devant l’incompréhension du prince.

– Bah ouais, faut croire ! », rétorqua Vince en la taquinant de plus belle.

Enthousiasmé par cette proposition rafraîchissante, bouleversant d’anciennes traditions ancrées, Vince fut conquis par le fait de ne guère avoir une partenaire, mais de partager une danse avec elle ainsi que d’autres.

S’il avait supposé que Cerise imaginât cette idée pour leur remonter le moral, il se fourvoyait. Malgré cela, il ne pouvait en aucun le cas deviner qu’elle possédait un autre but derrière la tête. Les jours s’écoulèrent selon les plans de la jeune princesse. Sans difficulté, elle se rapprocha de César Dubois dont le caractère séducteur lui avait facilité les choses, il en fut de même avec la majorité des autres princes qui furent intrigués par ce curieux projet. Nonobstant, elle dut se confronter à quelques difficultés. Le prince Luciano entretenait d’ambivalents sentiments pour la danse. Alors qu’il comptait traverser les mers pour participer à une compétition renommée de tango, il hésita cependant à rejoindre Cerise dans ses plans. Il ne fut question que d’une ou deux danses pour le satisfaire. Hop, un prince de plus dans la poche ! Encore fallait-il qu’une de ses robes possédât des poches… Que nenni, aucun accessoire ne lui offrait une métamorphose dans une tenue avec des poches. Ni le collier de coquillages, ni la ceinture d’argent, pas même le chapeau de sorcière ou le chapeau aux oreilles de lapin. Quelle déception. Non, être une jeune princesse n’était pas une chose aisée au quotidien !

Cerise eut également affaire au caractère particulier de Kiefer. Malgré tout, quand ceux-ci eurent appris à s’apprivoiser, Kiefer dévoila une tout autre facette de sa personnalité. La nouvelle princesse songea alors qu’elle pouvait se considérer chanceuse d’être l’alter ego d’une réelle princesse et d’ainsi obtenir une opportunité telle de rencontrer tous ces princes ! Seulement, le réel problème se posa lorsque Cerise découvrit que le Prince Klaus entretenait une relation avec la Princesse Cynthia. Bien que Cerise ne s’intéressât point aux histoires romantiques de ses partenaires de danse, le fait qu’il fut en couple la freina quant à sa demande. Elle ne connaissait pas les habitudes de la vie royale mais n'en avait nullement besoin pour ressentir que cette demande pourrait être perçue d’une mauvaise manière. Elle se résolut alors à laisser les deux amants de leur côté, tout en se liant malgré tout d’amitié avec Klaus.

Les semaines s’écoulèrent au rythme de la rumba qui animait ses pieds se mouvant désormais d’un automatisme euphorisant. Le chachacha épousait le fox-trot et le sourire de Cerise s’offrait volontiers à l’ensemble de ses partenaires. Un jour qu’elle se rendait au Marché de la Samba afin de contempler avec envie les nouveaux arrivages de la boutique d’accessoires, elle fit la rencontre fortuite d’un Klaus abattu. Il venait, la peine au cœur, rendre la bague de fiançailles qu’il avait obtenue ici pour sa bien-aimée Cynthia. L’évidence se fit dans l’esprit de Cerise : le couple avait vu le lien d’affection qui l’unissait se dénouer pour finalement choir, s’enfoncer éternellement dans les méandres de l’oubli fatal.

La nouvelle princesse s’approcha de lui. Une main sur l’épaule, elle lui offrit un frêle sourire. Ses lèvres bougèrent à peine, ce furent ses yeux qui transmirent l’ensemble de ses émotions. Un soutien sans faille, une amitié solide, voilà ce qui les reliait. Avec les indices accumulés depuis son arrivée sur les terres du Royaume Verdoyant, Cerise avait déduit que la vraie princesse et lui se côtoyaient depuis l’enfance, sans doute étaient-ils de proches amis. Il lui fallait être présente à ses côtés, tout comme il l’avait certainement été pour la Cerise désormais de l’autre côté de l’armoire…

Ils se rendirent du côté du Lac de la Valse Viennoise, le lieu le plus reposant du royaume. Ici, les reflets jade des brins d’herbe frétillant au vent glissaient sur la surface si calme du lac. Des libellules s’amusaient à tournoyer autour des roseaux. Les feuilles se balançaient dans des harmonies zéphyriennes. Klaus permit à un sourire de s’inscrire sur son visage. Il s’installa timidement, bien présent pourtant, Cerise pouvait en témoigner. Il ne suffisait parfois que d’un soutien fort et d’un environnement réparateur pour commencer à panser certaines plaies laissées à vif. Cerise ne posa pas de questions, elle n’avait pas besoin de savoir. Sa présence suffisait, elle le réalisait entièrement.

Rapidement, la discussion qu’ils initièrent se centra sur la danse ainsi que sur le Bal de Saint-Lyon dont la date se rapprochait doucement. Apprenant alors le projet de Cerise, il fut extrêmement surpris que l’ensemble des autres princes participât à ce qu’elle avait entrepris. Sans doute se disait-il que la princesse avait bien changé. Oh, s’il savait…

En l’occurrence, il l’ignorait, seuls Kip et elle connaissaient sa véritable identité. Sa main était encore posée sur le sommet de son crâne, réflexe qui venait à lui automatiquement lorsqu’il faisait face à une situation incommodante ou étonnante. Klaus se disait que cette révélation constituait un élément qu’il ne fallait pas prendre au hasard, peut-être lui permettrait-il de passer à autre chose tout en profitant de bal ? À peine avait-il demandé à Cerise s’il pouvait les rejoindre qu’elle acquiesça d’un vif hochement de tête. La grâce de Klaus contrebalancerait son propre déficit, avait-elle pensé.

Les entraînements s’intensifièrent. Elle suivait toujours à la lettre les conseils de Tony même si les sessions incluaient désormais les princes. Vince, Liam, César, Luciano, Kiefer et maintenant Klaus l’avaient aidée à dépasser ses lacunes. Danser seule fut un apprentissage, danser aux côtés de Tony fut un défi, danser aux côtés de six princes était quelque chose qu’elle n’aurait jamais pensé réaliser et qu’elle effectuait pourtant au quotidien.

Arriva le jour du Bal de Saint-Lyon. La salle de bal du Royaume Verdoyant resplendissait de mille couleurs. Partout, des fleurs parcouraient les murs, furent accrochées aux somptueuses chaises dans de précautionneux arrangements. On eût pu croire à un travail de Liam, si Cerise n’était pas certaine qu’il n’en avait pas eu le temps. Bien que… aurait-il pu sacrifier sa nuit pour cela ? Aucune chance, du moins l’espérait-elle. Les rayons du soleil rougeoyant qui diffusaient au travers de larges fenêtres venaient se refléter sur la vaisselle dorée. De multiples couteaux et fourchettes se rangeaient à côté des assiettes, bien que Cerise ignorât l’intérêt d’en mettre plusieurs. Peut-être était-ce au cas où ils tomberaient ? La jeune princesse s’émerveilla devant les peintures plafonnantes, chef-d’œuvre d’un artiste qui lui était inconnu. Les visages exposés au-dessus d’elles lui dévoilaient des traits si fins qu’elle ne pouvait en détourner les yeux. Elle se questionna longuement sur le développement et le travail d’un tel talent, sur les conditions de réalisation d’une peinture de cette envergure sur un plafond. Elle finit par rejoindre ses six compagnons du côté des danseurs. La nouvelle princesse avait pris son temps, ce qui lui valut d’être taquinée par les princes qui reléguèrent son sens de l’orientation à niveau encore inférieur à celui du Prince Luciano. Ses protestations ne firent guère le poids face à la malice et aux éclats de rire qui résonnaient, elle-même s’en amusait finalement.

Tony se tenait là, non loin d’eux. Cerise faussa compagnie aux princes durant quelques instants pour se rapprocher de lui. Sous forme de lapin, il bondit pour se changer dans sa forme lagomorphe humanoïde. À son approche, l’enthousiasme illumina son regard. Emplie de reconnaissance, Cerise remercia son entraîneur pour toutes les heures qu’il avait passées à lui enseigner la danse et ses secrets. Dans une étreinte, elle lui transmit toute la gratitude qu’elle éprouvait.

Seulement, jamais elle n’aurait pu deviner que cette étreinte produirait une illumination tout autour de lui. Dans un vif flash, Tony se transforma encore une fois. Cette nouvelle apparence n’avait tout de fois rien de lapinesque. Tony se présentait désormais sous la forme d’un charmant jeune homme aux cheveux blancs et dont les yeux rouge sang perçaient Cerise de toutes parts. Du moins, ce fut l’impression qu’elle eut lorsque ses propres pupilles croisèrent les siennes. Vêtu d’un costume trois pièces agrémenté d’un haut de forme qu’il tenait de sa main gantée, il envoya à la jeune princesse le même sourire que celui qui avait déjà éclairé son visage.

« Je te remercie, Cerise. Tu as brisé le sceau maudit qui me retenait sous cette forme. Une sorcière jalouse et acariâtre n’a pas supporté ma victoire au Bal de Saint-Lyon, quelques années auparavant. Excuse-moi, j’ai un peu perdu la notion du temps depuis cette malédiction. Je vais pouvoir retourner dans mon royaume. Je suis le troisième prince du Royaume Conssooh, mais tout le monde là-bas me croit décédé sur le retour du bal.

– Pour briser la malédiction, la condition était que… ?

– Il fallait qu’une personne remplie de gratitude et d’affection envers moi m’étreigne. Je ne peux pas t’exprimer à quel point je suis moi aussi rempli de ces sentiments, princesse, mais j’aimerais au moins que tu le saches. »

Interdite, Cerise ne sut comment réagir face à ce qu’il venait de se dérouler devant elle. Elle se promit toutefois de reparler à Tony de cette sorcière une fois le bal achevé.

Cette transformation, les paroles prononcées à son égard… Le cœur de Cerise palpitait. Elle ne trouva qu’une solution pour s’extirper de cette situation.

« Tony… Toi qui nous as tous si bien entraînés, qui m’as guidée durant tout mon apprentissage, accepterais-tu de nous rejoindre dans cette célébration ?

– Comment pourrais-je refuser une telle requête ? », accepta d’une phrase le prince transformé.

Après une succincte explication envers les six autres princes, tous furent abasourdis mais durent se préparer au début de la compétition. Si celle-ci n’en était pas une pour eux, ils souhaitaient de tout cœur réussir cette performance. Tony les avait entraînés à réaliser un quickstep léger et harmonieux. C’était en vérité une demande de Cerise qui avait, de son côté, étudié la théorie de la danse durant de longs moments.

Le présentateur prononça les premiers mots à l’intention des spectateurs ainsi que des participants, puis ce fut au tour du roi de leur adresser son discours. La jeune princesse et ses compagnons sentirent la pression environnante augmenter. La hâte se joignait à l’angoisse, la précipitation à la connaissance, l’apaisement à la joie. Tout se mélangeait, la félicité et la crainte, les glaçons dans les flammes.

Sous leurs yeux intéressés, de nombreux couples exécutèrent leur propre présentation. Le public démontrait son grand enthousiasme chaleureusement, à coup d’applaudissements sonores. Le passage de Cerise et des princes approchait rapidement.

Il fut alors temps pour la nouvelle princesse de se métamorphoser grâce à l’accessoire qu’elle avait choisi. Quelle épreuve fut-ce de se décider entre tous ceux qu’elle avait obtenus durant ces dernières semaines ! Ce fut finalement la bague d’ange qu’elle enfila au doigt. Un anneau doré d’où semblait émaner une illusion de minuscules plumes blanches. Cerise tournoya sur elle-même pour finalement se retrouver vêtue d’une ample toge blanche qui lui parvenait au niveau des genoux. Ceinturée à l’aide d’une étincelante bande dorée, elle comportait également deux grandes ailes blanches qui se déployaient dans son dos. Il trônait au-dessus de sa tête, flottant mystiquement, un anneau resplendissant.

Vint le moment de leur propre passage. Ils danseraient comme ils s’étaient entraînés : chacun était relié à un autre. À l’index gauche de Liam fut noué un fil bleu saphir qui le reliait à César ; à son auriculaire droit, un autre fil aux teintes mandarine le reliait à Vince. Lorsqu’ils s’avancèrent sur la scène, beaucoup de murmures résonnèrent jusqu’à leurs oreilles. Hormis eux huit et le présentateur, personne n’était au courant de cette danse hors du commun. Cerise leva les yeux sur l’homme qui était censé être son père ici, le roi. Celui-ci ne prononça pas un mot de contestation, il sourit simplement à la princesse. Avait-il deviné ? Était-ce un simple regard d’approbation et d’encouragement ? Cerise n’avait guère eu le temps d’apprendre à connaître cet homme durant le mois qu’elle avait passé au cœur du Royaume Verdoyant. Peut-être pourrait-elle corriger cela quand l’autre Cerise reviendrait ? Peut-être pourraient-elles également avouer leurs machinations…

Les huit partenaires se placèrent. Une angoisse glaça subitement le sang de l’apprentie danseuse. Le regard apaisant de Tony lui fit oublier son appréhension. Si elle s’était durement entraînée, ce n’était pas pour rien.

« Vince, souffla la princesse tandis que les musiciens replaçaient leurs partitions, maintenant que nous allons danser, je peux te dire pourquoi j’ai vraiment organisé tout cela. »

Les yeux jade du jeune prince fripon fixèrent Cerise. Elle expliqua, avec toute la maladresse de la jeune adolescente qu’elle était, qu’elle désirait le faire sourire en rendant ainsi un hommage à la tradition de ses grands-parents. Elle lui racontait qu’elle avait dévoilé la véritable raison de la présence des fils aux autres princes, mais qu’elle préférait lui faire la surprise.

« Je voudrais que notre danse soit un moment pour célébrer tes grands-parents. Il faut que l’on fête leur victoire si particulière, que nous célébrions ces fils. Pour la première fois depuis des années, des danseurs liés dévoileront sur ce même sol leur prestation ! »

Vince peina à contenir ses émotions. L’attention de Cerise constituait pour lui une preuve d’amitié d’une puissance incommensurable. La musique débuta, les partenaires se lancèrent sur le parquet. Leur quickstep était d’un entrain si léger qu’il libérait les âmes de leurs problèmes qui s’envolaient tandis que tous les huit sautillaient gaiement. Cerise s’amusait, un immense sourire au visage, et constatait que son sentiment n’était pas isolé. Luciano, malgré son caractère râleur, rayonnait après un chassé tournant avec Kiefer. César enchaînait les locks dans le bras de Klaus tandis qu’il venait de s’échapper de ceux de Liam. Ils réalisaient ensemble une étoffe mouvante suivant les accords des instruments.

Cerise avait accompli ce que son alter ego lui avait demandé. Au-delà de cette faveur, la nouvelle princesse réalisa ce qu’elle souhaitait elle-même. Apprendre la danse, rendre hommage à la tradition de la famille Wright et danser en compagnie de tous les princes. Elle avait même obtenu la compagnie d’un septième prince en complément, et quel prince ! Certes, il lui restait encore bien des choses à faire ici. Il lui fallait parler avec le roi, expliquer à tout le monde son lien avec la véritable princesse ainsi que son identité. Il était également nécessaire pour elle d’enquêter sur cette mystérieuse sorcière qui, elle le soupçonnait, aurait bien pu être à l’origine de la tragédie des grands-parents de Vince ainsi que de nombreuses autres, potentiellement. S’était-elle limitée à Tony et à la famille Wright ? D’autres vainqueurs du Bal de Saint-Lyon s’étaient-ils retrouvés à vivre de tels drames ? Durant ce guilleret quickstep, elle laissa toutes ces interrogations de côté pour profiter de cet inoubliable moment tandis que le public se laissait aller à cette performance enchanteresse.

À côté des huit danseurs, deux autres dansaient de même. Furent-ils aperçus par quelques yeux perçants ? La probabilité était moindre. Nonobstant, ils sautillaient, eux aussi, tous les deux en rythme. Les cheveux relevés dans un chignon haut, les bras bien droits, le couple tournoyait. D’une apparition succincte, bleutée telle la nuit, complètement éthérée, elle parcourait la salle de bal telle une volute de vapeur emportée par le vent. Ils semblaient heureux. Ils le semblaient, car encore fallait-il que les personnes les environnant les aperçussent pour percevoir leur aura emplie de félicité. Dans une allégresse aérienne, ils s’accordèrent cette ultime danse, les auriculaires liés par un fil infrangible.

 

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