Le trèfle à douze feuilles

Chapitre 23 : Vestige

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Dernière mise à jour 10/11/2016 00:27

« Le parfait voyageur ne sait où il va. »
~ Lie-Tseu


Vestige n. m. 1. vieilli Empreinte du pied d'un homme ou d'un animal, marquée dans l'endroit où il a marché. 2. (souvent au pluriel) Restes d'une chose détruite ou disparue. 3. fig. Souvenirs d'une chose abstraite.
 

22 mars 2964, 09:12 a.m.


Fascinant. C'était tout ce qu'il pouvait trouver à dire en voyant une telle situation.
Il ne faisait aucun doute que le pauvre agent avait été victime d'un meurtre, puisqu'une crise cardiaque n'arrivait jamais sans raison lorsqu'aucun problème de santé quelconque n'avait été pris en note en rapport avec celui qui l'avait contractée. Le jeune policier était certes fumeur, comme le prouvait bien la cigarette éteinte et à moitié consumée qui languissait dans son tapis de cendres ; mais une rapide autopsie avait révélé que ce n'était pas la cause de l'infarctus. Les médecins légistes eurent beau chercher, il n'y avait aucune origine naturelle à ce subit arrêt cardiaque. Les seules traces visibles étaient une compression anormale et particulièrement violente de l'organe durant un temps indéterminé, ce qui avait tout naturellement entravé le bon fonctionnement du cœur, qui avait fini par lâcher. La seule explication possible était qu'il s'agissait de l'œuvre d'un pokémon psychique. Mais il n'y avait aucun moyen d'identifier ce dernier, et donc l'affaire ne pouvait aboutir nulle part. Trop de dresseurs étaient en possession d'un tel pokémon ; il était impossible de retrouver le bon avec si peu d'indices : il n'y avait aucune trace dans la salle, ni même dans toute la demeure. L'assassin n'était même pas entré. Il n'avait de toute manière même pas eu besoin de se trouver sur les lieux du crime, puisque les attaques psychiques agissaient à distance ; surtout si le pokémon à l'origine de l'attaque était particulièrement puissant.
En clair, il n'avait plus rien à faire ici. Ses collègues avaient abandonné leurs recherches, et étaient sur le point de clore le dossier, faute d'indices. Le bureau avait été déserté, car les seules traces de quoi que ce fût d'intéressant avaient été les poils du ponchien de la victime. Les enquêteurs les plus tenaces continuaient de chercher dans les autres pièces, mais en vain ; tous avaient le sentiment qu'ils ne trouveraient rien de toute manière. Surtout pas sur la scène de crime. Et pourtant, lui restait dans ce bureau, voûté sur les papiers et l'ordinateur qui s'y trouvaient en désordre. Il avait l'intime conviction que cela avait un rapport avec le meurtre. En effet, cet agent avait enquêté, à part, sur une affaire qui ne lui était pas inconnue. Tout membre des forces de l'ordre assez bien renseigné en avait au moins entendu parler. Cela n'avait pas duré longtemps, mais la victime était trop connue dans le monde de la science et de l'archéologie pour que sa mort passât inaperçue.
Il ne se souvenait que peu des détails, car – il devait l'avouer – il n'y avait pas réellement prêté attention à l'époque. Après tout, cela ne l'avait pas concerné, puisque l'accident avait eu lieu hors de sa juridiction. Mais il avait suffisamment d'éléments en mémoire, désormais que cela lui revenait en tête, pour reconnaître que les deux affaires possédaient exactement le même mode opératoire. Les deux hommes étaient morts selon un schéma identique. Peut-être fallait-il en conclure que ce n'était pas un hasard, si le pauvre policier avait subi un infarctus du myocarde justement en faisant des recherches sur une affaire où la victime avait péri du même sort. D'une manière ou d'une autre, l'assassin l'avait su et avait désiré se débarrasser de lui, par peur qu'il découvrît son secret – ou plutôt son identité. Restait à se demander pourquoi il eut voulu s'attaquer à lui qui était seul, alors que toute une équipe de chercheurs n'avait rien trouvé auparavant ; cela n'avait pas de sens, il était évident qu'il ne trouverait rien.
Donc il lui voulait autre chose. Il était sur le point de découvrir quelque chose de beaucoup plus compromettant, qu'il ne devait pas savoir. À tous les coups, c'était cela. Et cela signifiait que cela avait un rapport avec cette autre affaire.

Hershel Layton

Tiens donc. Que faisait donc ce nom parmi les autres ? Celui-ci avait été griffonné sur un post-it, dans un coin. Juste au-dessous de ‘Dossier Kotino'. Que fallait-il en conclure ? Qu'il tenait son assassin ? Non ; il ignorait le lien entre cet homme et l'affaire. Il ne devait rien avancer sans preuves. Et puis, rien n'empêchait l'assassin de se débarrasser de ce message si jamais cela indiquait en effet le coupable. Donc non, cet homme avait un lien tout autre avec l'affaire. Mais lequel ?
Il se saisit de son téléphone portable, composa un code, fit quelques recherches ; il entra de nombreux autres codes qui lui permirent l'accès aux archives de la police. Il eut beau chercher, les mots-clés ‘Hershel Layton' étaient introuvables. Il rechercha ce nom dans les annuaires : aucun résultat. Il pénétra même dans la liste des certificats de naissances de la région, puis des voisines, puis finalement de toutes les autres. Mais ce nom ne figurait nulle part. Comme si ce civil n'existait pas. Qu'est-ce que cela voulait bien dire ? Peut-être, plutôt, que seul le nom n'existait pas. Que ‘Hershel Layton' n'était qu'un pseudonyme pour cacher son identité. Mais où ce jeune agent aurait-il bien entendu ce nom ? Comment aurait-il fait le lien avec le dossier Kotino, s'il y en avait un ?

C'était vrai. La veille, l'ordinateur de l'accueil – celui dont il avait la charge, comme par hasard – avait hébergé un porygon-Z, qui avait attaqué de suite. Il n'était pas seul, puisqu'un groupe de civils était avec lui à ce moment. Peut-être que ce qu'il avait en tête était juste. Mais il allait devoir le vérifier par lui-même. Et pour cela, rester sur la scène de crime n'allait pas lui être d'un grand secours.

Une fois arrivé au commissariat, il n'hésita pas ; il savait parfaitement que faire et où aller. Il avait d'abord songé à regarder l'historique des dernières actions menées sur l'ordinateur de l'accueil, mais il abandonna vite cette idée puisque le porygon-Z avait très certainement supprimé ces données. Ne lui restait plus qu'à demeurer un témoin externe jusqu'au bout : il se dirigea donc aussitôt vers la salle de vidéosurveillance, recherchant les enregistrements de la veille tournés par la caméra de l'accueil du bâtiment.
Ce qu'il vit était pour le moins étonnant : la caméra était toujours reliée à un ordinateur dont la tâche était de reconnaître les visages, afin de toujours identifier les personnes présentes en cas de besoin, en prenant évidemment pour modèle les cartes d'identité. Pourtant, quatre des visages présents dans le cadre de l'image, et de plus bien visibles, demeuraient non identifiés... tandis que la cinquième personne du groupe, une jeune adolescente, portait un nom qui ne lui était pas inconnu : Sandra Kotino. Il fallait certainement déduire que l'aîné, cet homme en pleine conversation avec celui qui mourrait le soir-même, était ce fameux Hershel Layton. Ce qui signifiait qu'il avait bel et bien un lien avec la famille Kotino, et peut-être même avec l'homme décédé huit ans plus tôt.
Il n'avait pas le choix. S'il voulait élucider ces deux affaires, il allait devoir parler à ce civil. Et pour le retrouver, il allait d'abord devoir passer par les Kotino.
 


« Pour la dernière fois, que voulez-vous ? Vous n'avez pas toqué juste pour rester muet après, Monsieur. Ce n'est pas poli. »

Le professeur Layton se mordit la lèvre ; Nina ne bougeait pas, se contentant de regarder sa dresseuse avec des yeux à l'aspect triste.
Il devait parler. Sandra avait raison, il ne pouvait pas la faire venir pour ne plus rien dire une fois qu'elle était face à lui. Cela ne se faisait pas. Mais d'un autre côté, que pou-vait-il lui dire ? Comment pouvait-il savoir si cela allait être quelque chose qu'il avait le droit ou non de lui dire ?

En tous les cas, la jeune fille qu'il avait face à lui était en possession d'une machine à voyager dans le temps. Le fait qu'elle se trouvât à Entrelasque le prouvait.
La machine avait été créée par sa mère, et son père l'avait utilisée pour ses recherches archéologiques. La mort de celui-ci avait eu lieu avant que les Kotino déménageassent là où ils se trouvaient sur le moment. Donc l'enfant avait une machine à voyager dans le temps, et elle le savait parfaitement. Elle savait probablement au moins autant de choses que lui à propos des voyages temporels. Il ne risquait donc peut-être pas tant de choses à lui parler. Après tout, tout ce qu'il voulait était rentrer chez lui. C'était tout. Et tout ce qu'il avait à faire était lui expliquer pourquoi.

« Monsieur. Il est tard. Je devrais déjà dormir, vous savez, alors si Maman voit que je suis encore debout quand elle va rentrer...
- Evelyne n'est pas ici ? »

Elle secoua sa tête de gauche à droite.

« Elle est en conférence, comme souvent. Vous connaissez ma maman ?
- En quelque sorte...
- Vous travaillez avec elle ? Je ne vous ai pourtant jamais vu.
- Non, Sandra. Je ne suis pas scientifique, mais professeur. »

L'enfant ouvrit des yeux ronds.

« Comment vous connaissez mon nom ? Je ne vous l'ai jamais dit ! »

L'archéologue n'avait fait aucune erreur en la nommant ; s'il voulait rentrer à Londres, il n'avait en effet pas le temps d'y passer par quatre chemins. Surtout si l'enfant ne cessait plus ou moins de tourner autour du pot...

« Au contraire, Sandra, c'est toi qui me l'as dit. Seulement, tu ne le sais pas encore...
- De quoi vous parlez ? Quand est-ce que je vous l'aurais dit ? demanda-t-elle, sceptique mais méfiante.
- En 1964. Je suppose que tu sais ce que cela signifie. »

Le professeur Layton avait bien prêté attention à ce que personne ne se trouvât dans les parages sur le moment, et avait songé à baisser légèrement le ton.
L'enfant demeura imperturbable ; mais cela se voyait qu'elle faisait la comédie et feignait l'ignorance.

« 1964, c'est dans mille deux cents ans, Monsieur. Si c'est une blague, alors ce n'est pas drôle. »

La réponse avait été plutôt imprévue, toutefois. Qu'entendait-elle par-là ? Que 1964 était, au premier abord, une date future pour elle ? Il avait par ailleurs déjà eu l'occasion de remarquer que la plupart des références de l'époque qu'il trouvait indiquaient qu'ils se trouvaient dans les années 760 ; ce qui signifiait que, pour une raison ou une autre, sept cent soixante ans auparavant, une nouvelle date de référence avait été fixée pour un nouveau calendrier. Et il avait une petite idée de ce dont il s'agissait.
Quoiqu'il en fût, il fallait remettre l'enfant sur le droit chemin :

« Si tu veux... Mais ce n'est pas de ce 1964-ci dont je parle.
- Qu'est-ce que vous insinuez ? »

Elle ne lui laissait décidément pas le choix. Cela l'embarrassait légèrement d'être si direct, mais il sentait qu'il ne ferait plus que tourner autour du pot si jamais il ne se décidait pas à aller droit au but.

« Sandra. Ta mère, Evelyne Kotino, est une physicienne qui a inventé la machine à voyager dans le temps. Ton père, un archéologue, s'en servait pour ses ‘fouilles' afin de récupérer des denrées introuvables à ton époque. Un jour, tu t'en serviras pour te rendre dans une ville nommée Dublin, en 1964, et tu me rencontreras là-bas. C'est pour ça que je te connais, et que je sais tout ça. Maintenant, je me suis retrouvé à cette époque sans aucun moyen pour rentrer. Pourrais-tu m'aider ? »

Bouche bée, l'enfant commença par demeurer immobile, face à lui, le dévisageant avec deux yeux globuleux. Complètement hébétée, elle balbutia quelque chose qui ressemblait à une autorisation de passer le cadre de la porte.
Une fois que le gentleman et Nina furent à l'intérieur, la porte d'entrée claqua violemment. Sandra s'adossait contre celle-ci, comme si ses jambes frêles avaient perdu toute leur vigueur et ne lui permettaient plus de se tenir droite. Elle avait la tête basse, mais elle la releva presque aussitôt. Son regard laissa alors dégager tout ce qu'elle avait en tête, mais n'osait pas dire. Ses deux yeux noirs transperçaient littéralement l'adulte de toute la suspicion qu'elle faisait peser sur lui.

« Donc vous savez tout ça parce que je vous le dirai ‘un jour'. Et en fait, vous habitez à Dublin, en 1964.
- En réalité, je suis originaire de Londres ; mais l'année est exacte.
- Alors pourriez-vous me dire ce que vous faites ici, et avec un pokémon à vos côtés ? Si vous dites la vérité, alors vous devriez savoir que ça n'existait pas à l'époque. »

Son regard suspicieux devint tout à coup beaucoup plus compréhensible ; du fait de son silence et de son immobilité totale, en effet, le professeur avait failli oublier le dragon qui l'avait accompagné. Toutefois, il ne parut aucunement surpris.

« Elle s'appelle Nina. Peut-être que cela te dit quelque chose. »

L'enfant ouvrit des yeux ronds, dévisageant la créature verte qui, enfin, eut un semblant de réaction en plongeant son regard plus profondément encore dans celui de la petite fille.

« Nina... » balbutia-t-elle, incrédule.

Le pokémon vint frotter sa tête contre sa joue, émettant de petits gémissements. En réponse, sa dresseuse demeura le regard dans le vide, immobile, sans aucune réaction. Puis elle se radoucit enfin, approchant sa main et se mettant à le caresser chaleureusement. Un sourire se profila sur son visage.
C'était bien elle. Il ne mentait pas. Elle l'avait reconnue, désormais.

« Qu'est-ce que tu as grandi, dis donc... » murmura-t-elle avec un semblant d'admiration.

Elle se retourna finalement vers l'adulte, lui demandant comment ils avaient pu se retrouver à son époque ; à défaut de pouvoir lui répondre, le professeur se contenta de lui expliquer qu'il fournirait probablement une réponse convenable à la Sandra qu'il connaissait. Ce qui signifiait logiquement qu'elle ne l'apprendrait que beaucoup plus tard, mais cela n'eut pas l'air de la déranger.

« Au fait, vous vouliez rentrer à votre époque... » commença-t-elle.

Elle n'acheva pas sa phrase, se contentant de lui faire signe de la suivre ; en effet, elle avait pris la direction de la cave. L'enfant les guida jusqu'à la machine à voyager dans le temps qu'elle alluma ; puis elle regarda minutieusement l'écran sans bouger, les doigts au-dessus du clavier sans pour autant le toucher.

« Vous venez d'où, déjà ?
- Londres, 21 mars 1964. Je suis désolé, mais je ne saurais pas te donner les coordonnées exactes.
- Ce n'est pas grave, la machine a une banque de données qui contient plein de points géographiques ; c'est juste que vous risquez de ne pas forcément arriver exactement là où vous voudrez. »

La jeune fille pianota quelques minutes sur le clavier ; enfin le vrombissement de l'unité centrale lui communiqua que l'enseignant était à deux pas de rentrer chez lui. Ne manquaient plus que quelques dernières manœuvres.

« Prenez bien soin de Nina, marmonna-t-elle. J'irai la chercher plus tard.
- Tu ne peux pas la renvoyer directement à son époque ? »

Elle hocha négativement la tête.

« Maman ne vous l'a pas dit ? Cette machine ne peut que relier sa propre époque à une autre qui est située dans son passé, donc le voyage vers le futur n'est pas possible dans ce sens. Même si, pour vous, ça avait l'air d'un voyage vers le futur. »

Tiens donc. Cela impliquait beaucoup d'autres choses très intéressantes...
La prochaine fois qu'il verrait Evelyne, il lui demanderait des précisions sur le fonctionnement de cette machine. Cela leur procurerait certainement des indices supplémentaires.
Mais pour l'heure, il devait rentrer à Londres. Il était plus important de rassurer ses amis... Et Emmy : il devait impérativement la retrouver. Même si pour le moment, faute de moyens, il se devait d'attendre.

« Je vois... Cependant, Sandra, il faut que je te demande quelque chose.
- Je vous écoute.
- Que sais-tu exactement à propos de ce que tu feras à Dublin ? »

Elle baissa le regard en rougissant légèrement.

« Pas grand-chose. Mon père avait juste visité cet endroit une fois, exactement à la même époque, puis il avait parlé à quelqu'un... Et puis il est mort.
- Tu veux dire que tu ne savais pas que tu irais à Dublin avant que je ne t'en parle ?
- Si... Il avait écrit une lettre, après que cet homme était parti. Il l'avait confiée à Maman, en lui demandant de me la donner quand j'aurai treize ans. Dans un peu plus de trois ans et demi. »

Ce devait certainement être une demande d'enquêter sur les lieux et de résoudre le problème. Ce qui sous-entendait qu'il savait plus ou moins ce qui allait se passer... Mais comment ?

« Sandra. Tu as dit qu'il avait parlé à un homme avant de mourir. Qui était-ce ?
- Je ne sais plus... Vous savez, c'était il y a longtemps...
- Sandra, insista-t-il. C'est très important. Si ton père n'a écrit sa lettre qu'après la discussion qu'il a eue avec lui, alors c'est peut-être lié. »

L'enfant eut beau plisser les yeux, se concentrant autant que possible, ne lui venaient en tête que des images très floues. Elle ne voyait qu'un seul instant d'une durée infime, suivie de la porte d'entrée. La gamine de cinq ou six ans avait dû songer que sortir dehors était plus important qu'écouter une discussion entre adultes qu'elle ne comprendrait pas. Il fallait laisser Papa travailler tranquillement et ne pas le déranger.
Malheureusement, cela avait été une erreur. Mais elle ne pouvait le savoir.

« Ce n'est pas grave, la réconforta cependant le professeur. Nous disposons déjà de beaucoup d'autres indices. »

Elle acquiesça silencieusement, déçue malgré tout.

« Au fait, Monsieur, puisque vous venez d'avant... Comment avez-vous été mis au courant de tout ça ?
- C'est ton futur qui me l'a dit, plus ou moins...
- Je m'en doute. Mais comment est-ce que je devrais m'y prendre ? Si je vous le disais comme ça, vous ne m'auriez jamais crue, n'est-ce pas ? »

Il s'agissait d'une question plutôt ardue. En effet, il était étrange qu'elle demandât directement qu'on lui contât avec précision son avenir... Mais d'un autre côté, il était compréhensible qu'il fallait la guider. Ce genre de choses ne s'improvisait pas.

« Pas avant le vingt-et-un. », se contenta-t-il de répondre.

Elle réfléchit un instant, mais finit par comprendre ; elle esquissa un sourire satisfait tandis que son index droit plongea sur la touche ‘Entrée' du clavier.

« Va pour le vingt-et-un, alors. »

Une fois Nina à l'intérieur de sa poké ball, l'homme au haut-de-forme se rendit enfin à son époque. Sandra le vit disparaître, après qu'ils eurent échangé leurs adieux.

« Une dernière chose... »

Seule sa voix témoignait désormais de sa présence, mais l'enfant se tourna tout de même vers l'origine invisible du bruit.

« Le festival accueille toujours beaucoup de touristes, il est facile de se perdre de vue dans une telle foule ; mais on doit avoir une excellente vue d'ensemble depuis l'orchestre... J'y pense, j'ai entendu dire que le violoniste soliste s'était cassé le poignet. »

Puis il lui souhaita une bonne soirée, et les bruits de pas retentissant sur le sol prouvèrent qu'il s'éloignait pour de bon. Elle éteignit tranquillement la machine à voyager dans le temps, se remémorant tout ce que l'adulte lui avait dit.

Un fin rictus se profila sur ses lèvres. Elle tâcherait de le trouver. Cela ne devrait pas être trop ardu.

Le violoniste soliste se serait donc cassé le poignet ? Tiens donc. Quel dommage.
 

21 mars 1961, 11:27 p.m.


Le professeur d'archéologie fut à peine surpris en découvrant que le coin de rue dans lequel il se trouvait était exactement la même ruelle que celle qu'il avait empruntée avec ses amis en fin d'après-midi. Après tout, cela ne pouvait être un hasard : Sibelius devait bien en tirer les coordonnées de quelque part ; et il avait la ‘banque de données' de la machine à portée de main. Tout s'expliquait...
Il se surprit à réfléchir à tout ce qu'il avait révélé à Sandra, ainsi que ce que cela impliquait.
Elle savait qu'il était originaire de Londres.
Elle lui avait dit que quelqu'un lui avait demandé de ne rien dire. Il devenait évident que la personne dont il était question était lui-même... Certes, il avait au départ été tenté de lui dire de répondre aussitôt à toutes les questions que son passé s'étaient posées ; mais comme elle l'avait bien fait remarquer, il y avait un risque à en parler trop tôt. Il fallait qu'il fût capable de croire à une telle histoire. Même quelques mois plus tôt, il avait longtemps hésité à croire que les voyages temporels étaient réels ; il s'était avéré qu'ils ne l'étaient pas, ce qui eut logiquement accru sa méfiance si jamais Sandra avait aussitôt dévoilé son secret.
Elle avait fini par lui dire qu'elle avait bouclé sa boucle. Dans un certain sens, il comprenait désormais parfaitement ce qu'elle avait voulu dire.

Ce n'étaient pas des paradoxes temporels engendrant le chaos : c'en étaient d'autres qui ne faisaient que le consolider. La cause d'un événement était le résultat de ce même effet qu'elle provoquait. A impliquait B, qui lui-même impliquait A.

En un mot, la boucle était bouclée.

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