Les roses et les coqs

Chapitre 4 : Chapitre III

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Dernière mise à jour 10/11/2016 06:32

« Le coq se lève tôt ; mais le voleur encore plus tôt. »

Alexis Tolstoï

 

Dans la ville endormie, un concert de sirènes de police retentissait, troublant ainsi le sommeil de la capitale. Les policiers poursuivaient la proie qu’ils guettaient depuis trop longtemps, à leur goût.

L’un d’eux, sûrement le chef, appela ses officiers grâce au talkie-walkie de sa voiture. Un de ses subordonnés lui répondit, affirmant avec conviction que cette soirée sera la dernière, malgré le soupir de déception de son supérieur.

Voilà près d’un an et demi qu’ils traquaient le très célèbre voleur d’art, Fantôme R. Malgré le nombre d’enquêtes à son sujet, jamais personne n’avait pu l’identifier. Les seules informations qu’avait la police de Paris étaient que ce voleur -si l’on peut l’appeler ainsi- restituait ses larcins quelques jours après le méfait.

L’inspecteur de police jeta un regard blasé vers les toits. Une silhouette retint son attention.

C’était lui. Le fameux Fantôme R !

 

« Appel à toutes les unités ! cria-t-il dans le talkie-walkie. La cible est repérée ! Enlevez les sirènes ! »

 

L’homme plissa les yeux, et observa l’ombre qui courrait sur le toit. Pas de doute, c’était bien lui.

Fantôme R s’amusait comme un fou, tandis qu’il fuyait. Oui. S’amuser est le verbe. Pour lui, échapper de peu à la prison était aussi amusant que de jouer avec son compagnon. Il aimait le danger. Il narguait les agents de police, et les faisait passer pour des incompétents. Cette vie, il l’aimait énormément !

 

L’individu s’arrêta sur un toit particulièrement haut, et scruta la ville.

En bas, les policiers formaient une barrière de sécurité. À quoi bon ? Il n’était pas dangereux, et ne faisait que jouer avec le feu. Parfois, les adultes étaient très bizarres, du moins, le pensait-il. Le chien blanc jappa, en lui montrant un bâtiment plutôt imposant, près de leur position. Sa cape volait dans l’air frais de la nuit. C’était là, leur destination.

Un grand manoir, dans la capitale française.

 

« On y va, Fondue ? Marie nous attend ! »

 

Le duo s’élança, et sauta dans le vide. La chute n’était pas bien longue, ni brutale. Après tout, il y avait trois ou quatre étages. Ils s’arrêtaient à chaque balcon qu’ils atteignaient, et reprenaient leur descente.

En bas, le chef de la police s’égosillait.

 

« Fantôme R ! Rend-toi tout de suite, ou ce sera par la force ! »

 

L’adolescent baissa le bout de son chapeau sur ses yeux noisette, et sourit. Croyait-il vraiment qu’il allait se laisser prendre ?

Il baissa la tête, légèrement, afin de se donner un air plus énigmatique, et fantomesque, comme il aimait dire. Ainsi, il pouvait étudier les personnes sans qu’elles ne voient son visage.

C’est ce qu’il fit pour l’inspecteur Vergier. Plutôt agile et vif pour ses quarante ans, l’homme à la peau brunie le dévisageait de ses petits yeux rougis par la fatigue, derrière ses lunettes. Sa cravate, habituellement défaite, pendait le long de sa chemise blanche. Depuis le sol, il le fixait, comme s’il allait lui tomber dans les bras.

 

« Fondue, tu es prêt ? On y va ! » s’écria le rouquin en sautant de son perchoir.

 

Le chien le suivit, et les deux malfrats s’élancèrent au-dessus de la foule de policiers. Ils atterrirent non-loin d’eux, et s’entraînèrent dans une course folle.

Derrière, les cris des policiers avaient repris, et les poursuivaient encore.

 

 

Des tapements réguliers contre sa fenêtre. Voilà ce qui réveilla la jeune fille.

Elle se leva, et regarda son réveil, encore étonnée de voir qu’il n’était que deux heures du matin. Les coups légers portés au carreau retentirent à nouveau.

Elle enfila une robe de chambre, et ouvrit la fenêtre de sa chambre.

 

« Merci ! Il fait vraiment froid, dehors ! » fit Fantôme R en entrant, suivi de Fondue.

 

La fille, après avoir refermé la fenêtre, sauta au cou de son ami, respirant son parfum réconfortant.

 

« Tu m’as tant manqué ! Pourquoi tu ne réponds plus ? »

 

Le rouquin enleva son chapeau, et le mit sur le bureau de la blonde, puis posa sa veste sur la chaise, tout en s’excusant :

 

« Il s’est passé un truc étrange. Je dois voir ça avant qu’ils ne s’en aillent.

- De qui parles-tu ? interrogea-t-elle, surprise.

- Je te l’expliquerai plus tard, Marie. »

 

Il raconta alors qu’il n’était venu la voir que le temps que les policiers stoppent leurs rondes. Et lorsqu’elle l’interrogea sur la raison de sa fuite, il ne répondit pas.

Fondue sentait que son maître était gêné, et ne voulait pas raconter à son unique amie les évènements de la veille. Après tout, elle ne le croirait pas s’il lui disait que lors d’une promenade de reconnaissance, il avait trouvé deux personnes inconscientes, parties explorer les ruines de Babylone. Non seulement elle le prendrait pour un fou, mais elle serait aussi inquiète à l’énonciation de « Babylone ». Une sorte de traumatisme lui reviendrait en mémoire.

Elle se mit à chercher dans un placard un matelas pour son ami, tandis qu’il se mettait à l’aise. Il avait l’habitude de venir chez elle, mais pas aussi tard dans la nuit. À présent, elle gardait toujours de la place pour qu’il dorme.

 

« Mais pourquoi m’as-tu raccroché au nez, hier ? » finit-elle par questionner.

 

L’étudiant faillit s’étrangler en enlevant sa cravate. Il ne pouvait pas lui raconter l’histoire des british… Non, quand même pas.

 

« J’étais avec des amis, et ils se chamaillaient pour un rien, finit-il par dire.

- Des amis étrangers, non ? »

 

Nouveau silence pensant. Étrangement, cette scène ressemblait à celle qu’il avait vécue avec le gamin, Luke. Chacun ignorait quoi répondre à l’autre. Même si ici, c’était différent.

 

« Euh… oui, étrangers. Ils sont Américains. Ce sont des amis de mes amis. Mais, comme je dis souvent…

- Les amis de tes amis sont tes amis » rit la jeune fille.

 

Elle posa au sol un matelas, et des couvertures. Il la remercia, et sortit de sa poche un petit paquet-cadeau, et le lui tendit.

Elle le prit, et l’ouvrit lentement, découvrant peu à peu l’objet que son ami avait sûrement volé pour le lui offrir. Quelle ne fut pas sa surprise, lorsque de la petite boîte, elle sortit un collier doré, dont le pendentif, en forme de lune, était taillé dans du saphir.

 

« Où l’as-tu volé ? s’étonna-t-elle, écarquillant les yeux.

- Je l’ai pas volé, sourit son ami. Je l’ai acheté. »

 

Marie ne se retint pas de rire. Son meilleur ami, voleur, lui avait acheté un bijou dont la valeur était inestimable !

 

« Bon anniversaire » sourit-il, tandis qu’elle l’enfilait.

 

Elle ne put cacher sa joie, et lui sauta au cou, à nouveau. Embarrassé, le rouquin s’empourpra. Ses joues étaient presque aussi rouges que sa chevelure. Du moins, le pensait-il.

Le chien, qui jusque-là n’avait rien suivit de la conversation, se mit à aboyer. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, il entonnait -du moins, tentait d’entonner- l’air de « Joyeux anniversaire ». Autant dire que c’était étrange à entendre !

Marie riait comme une enfant. Tard dans la nuit, sa chambre avait pris des allures de fête. Ses amis étaient venus pour lui souhaiter son anniversaire, pour la première fois.

 

« Il est tard, fit Raphaël en baillant. On ferait mieux de dormir. »

 

Tout le monde acquiesça. La joie se calma, et bientôt, on n’entendit plus que la respiration régulière de deux adolescents et d’un chien, qui dormaient paisiblement.

 

Il ne faisait pas encore jour lorsque Raphaël était parti de la maison de son amie. Il ne l’avait pas réveillée lorsqu’il s’était revêtu, et avait rangé son matelas. Puis il s’était faufilé jusque dehors, sans aucun bruit. Le manoir était immense, ses pas résonnant légèrement dans les couloirs ; il sortit sans déranger le sommeil de ses hôtes.

L’étudiant avait beau avoir volé son butin, ainsi que le cadeau d’anniversaire de son amie, son travail était loin d’être terminé.

Il s’était d’abord rendu chez lui, et avait repris la lettre qu’il avait écrite la veille. Et après l’avoir relue attentivement, il glissa une liasse de billets dans l’enveloppe, avant de la refermer. Ensuite, il se changea, et rangea son costume qui le « changeait » en ce fameux Fantôme R. Il rassura Fondue pour qu’il se repose, puis partit la poster.

 

Sur la route le menant à sa destination, il n’y avait pas beaucoup de voitures. Quelques rares piétons et cyclistes, encore endormis pour la plupart, le croisaient comme un étudiant normal. Mais lui, il les regardait avec méfiance. Après tout, s’ils savaient qu’il était le voleur, comment réagiraient-ils ? À coup sûr, ils appelleraient la police, et il finirait en prison pour longtemps. Dans ce cas-là, qui terminerait son « travail » ? Qui s’occuperait de Fondue ? Et les british, que deviendraient-ils ?

Il ne chercha pas plus à répondre à ces questions. Il arrivait devant l’immense bâtiment médical. À la vue de celui-ci, le jeune adulte ne put réprimer un frisson de dégoût. Il faut dire qu’il détestait cet endroit. Sa haine envers les médecins était telle qu’il posta la lettre à même leur boîte, et rentra chez lui en courant.

 

Une sorte de traumatisme, oui, songea-t-il. La raison de ma « carrière », en quelque sorte.

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