La Fin Infinie

Chapitre 6 : Chapitre III : Chapitre III.

2526 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 10/10/2017 08:02

Il descendit au rez-de-chaussée où le reste de la famille l’attendait autour de la table du dîner. Sa mère, sa petite sœur, et un autre jeune homme visiblement un peu plus âgé que lui.

Il avança la tête baissée, percevant à peine les mots que sa génitrice adressait à son égard. Sans doute une autre remarque comme quoi il avait mis trop de temps à descendre. Ce qu’il pouvait s’en foutre !

Il prit place à côté de la plus jeune, saisit sa cuillère et commença à manger sans regarder personne. Pendant un instant, un silence gênant s’installa, un silence que le jeune homme assis en face de lui finit par briser.

« Alors, Sean, tu étais encore avec ta fanfic ? »

« Oui », répondit Sean d’une voix détachée, sans même lever la tête.

« C’est la dernière partie que tu entames, c’est bien ça ? Maria m’en a un peu parlé ; ça l’air intéressant. »

« Hum… ouais. »

« Mais ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi tu ne veux rien publier ? Je veux dire, les fanfictions sont faites pour ça. Il y aura des gens qui vont lire et te donner des conseils. À la place tu refuses de montrer tes écrits à qui que ce soit. »

Sean leva la tête.

« De quoi tu te mêles ? » Lança-t-il sur le même temps ennuyé.

« Moi ? Ben, j’aimerais bien lire ce que mon petit frère écrit, c’est tout. »

« Lire ce que mon petit frère écrit ? » répéta-t-il avec un petit rire moqueur. « J’y croirai presque ! »

« Pardon ? »

« La ferme ! »

Le regard surpris, le plus âgé des deux fixa son cadet, muet, alors que celui-ci continuait de manger en silence, ignorant les regards intrigués de sa mère et sa sœur posés sur lui.

Il posa sa cuillère, recula sa chaise et se leva.

« Tu n’as pas fini de manger ! » L’interpella Maria.

Mais il ne répondit pas. Il quitta la pièce, laissant derrière lui trois personnes qui, une fois de plus, ne comprenaient rien à son attitude.

Le pouvoir de S était absolu. Tant qu’il ne quittait pas les murs de cette pièce trop sombre.

Il entra dans sa chambre et ferma la porte à clé. Il ne voulait voir personne, ni parler à personne. Il ne voulait qu’une seule chose : écrire.

Il s’assit donc à nouveau face à son ordinateur, allumé et ouvert sur un fichier word vierge. Il devait commencer un nouveau chapitre.

Lestement, ses doigts qui avaient appris la position de chaque lettre sur le clavier tapèrent « chapitre III », puis il recula à nouveau et réfléchit un instant à ce qu’il allait écrire.

Peut-être la réponse de Flora à Luke… ou peut-être un chapitre sur Emmy. Non, mieux ! Un chapitre sur lui… cette personne… le plus grand antagoniste. Le boss final.

Comme il avait fait avec Axerik. Parler de lui avec une certaine touche de mystère sans dévoiler son identité, glisser un indice là, une fausse piste là, et se délecter face à la confusion totale de ses personnages.

Sean n’avait aucune pitié lorsqu’il écrivait. Il était capable de tout.

Oui. Lui… il allait parler de lui. « Escrime ». Fencing. Le dernier antagoniste. L’ennemi final. La fin… il aimait vraiment ce mot.

C’est pour ça que le titre du dernier tome de sa trilogie, c’était ça. « La Fin. » Certains penseront que ce n’est pas très original comme titre, mais lui, Sean, S, aimait ce titre plus que tout.

La fin. La fin. La fin. Rien que le répéter dans sa tête le rendait fou de bonheur !

Il écarta d’une main ses cheveux qui retombaient sur son front, laissa un très large sourire se dessiner sur son visage pâle, et se pencha en avant.

La Fin…

********

Chapitre III : … je trouverai un titre quand j’aurai terminé d’écrire…

Il tapa le poing sur la table, si violemment que quelques papiers s’envolèrent pour tomber par terre.

« Non, non, non ! Comment avez-vous pu permettre une chose pareille d’arriver ? »

La jeune femme en face de lui recula instinctivement. Il faisait vraiment peur lorsqu’il était énervé.

« Vous m’aviez demandé de ne pas réagir, juste de le guider… »

Il se retourna vers elle.

« Mais je ne m’attendais pas à ce qu’il se fasse tuer ! » Hurla-t-il si fort que la jeune femme sursauta.

Elle détourna le regard.

« Vous savez… il avait tout prévu, il savait qu’il était en danger, et s’était préparé, il était prêt à faire face à Descole. »

« Bien sûr qu’il était prêt ! C’était sa mission ! » Répliqua-t-il toujours d’une voix colérique.

« Mais… Claire, il ne s’y attendait pas. Personne ne s’y attendait. »

Il recula de son bureau et commença à marcher dans la pièce.

« Une personne revenue du passé, c’est sûr que ce n’est pas ce qu’il y a de plus commun. Même un génie comme Théodore ne pouvait pas le prévoir. »

« C’est pour ça qu’il est mort », conclut la jeune femme avec une tristesse apparente dans le timbre de sa voix.

Il respira lourdement puis se retourna vers elle.

« Excusez-moi d’avoir crié », reprit-il d’une voix plus calme. « Ce n’était pas de votre faute. Vous avez suivi les consignes. »

Il avança un peu vers elle.

« Même si j’ai pu noter quelques… dérives », termina-t-il en avec un léger sourire qui n’avait rien de bienveillant.

Elle n’avait rien à répondre à cette dernière remarque. Il avait raison. Elle avait fait des choses qu’elle n'était pas censée faire, mais… c’était plus fort qu’elle. Au final, ça n’avait tout de même servi à rien.

« Enfin bref, n’oubliez pas de venir plus tard au rapport, et ramenez avec vous les documents que vous avez collectés. »

« Oui », répondit-elle d’un ton solennel.

Elle tourna les talons et s’apprêta à sortir, lorsqu’il l’appela à nouveau.

« Emmeline Altava ! » Elle se retourna. « Qui est Mildred Brice ? »

Elle ouvrit grand les yeux, surprise.

« C’est un faux personnage que j’ai incarné à Axerik, vous êtes bien au courant. »

Il afficha un large sourire machiavélique.

« Je le sais, mais ce nom ne vient pas purement de votre imagination, ai-je tort ? »

Emmy était sidérée.

« Qui vous a inspiré ce personnage ? »

« Vous êtes absolument au courant de tout ? »

« Mon travail m’oblige à creuser toutes les pistes. »

Elle soupira.

« Mildred… c’est une longue histoire. »

Il s’assit.

« Je suis tout ouïe. »

Elle n’avait pas envie d’en parler, mais elle savait très bien que travailler pour ce genre d’organisation signifiait qu’elle devrait tout leur raconter, même sa vie privée qui n’a rien à voir avec leur activité.

Elle se rappela de la raison pour laquelle elle faisait tout ça.

« En fait, Mildred Brice était… »

*********

Flora relut une cinquième fois sa lettre. Pas de faute, pas de remarque déplacée, elle avait vraiment peur de dire quoi que ce soit qui aurait pu brusquer le pauvre Luke. S’il sombrait encore plus par sa faute, elle ne se le pardonnerait jamais.

Elle plia la feuille et s’apprêta à la glisser dans une enveloppe, mais elle déplia aussitôt.

Je la relis juste une dernière fois.

C’était le lendemain du jour où elle avait reçu la missive de Luke. La veille, elle avait passé une journée qui n’était pas des plus agréables, et la nuit elle avait eu du mal à dormir tant elle n’arrêtait pas de réfléchir, mais aujourd’hui, Flora se sentait prête.

Il y avait aussi cette dernière note que Luke avait ajoutée à la fin. Cette histoire d’escrime… Flora, tout comme Luke, n’y comprenait rien. Ayant reçu quelques cours de français lorsqu’elle était plus jeune, elle connaissait bien le mot, mais ne voyait pas pourquoi le dire spécialement en français.

Flora n’était pas, contrairement à ce que tout le monde semblait croire, stupide.

Si le mot avait été dit en français, c’est qu’il fallait le dire en français. On n’intègre pas comme ça, des mots aussi peu communs d’une langue étrangère dans son discours. Pas dans ce genre de cas de figure, en tout cas.

Mais les parents de Luke l’avaient fait.

À partir de là, Flora comprit que la langue était importante. Ou peut-être pas la langue, mais plutôt la phonétique. Fencing n’évoquait rien de particulier, mais dans « escrime », il y avait le mot « crime ». La mère de Luke avait dit que c’étaient eux qui avaient « tué » le professeur. Crime, tuer, c’était logique.

Mais « es », qu’est-ce que cela voulait dire ?

Elle chassa ces pensées de sa tête et porta le regard vers la lettre qu’elle avait écrite.

« Cher Luke,

J’allais commencer cette lettre avec les formules habituelles, mais, tu sais, je vais m’abstenir. Je n’ai pas besoin de te demander si ça va, ni de te dire que moi-même, je ne nage pas dans le bonheur.

Nous avons vécu une horrible aventure, avec un horrible début, un horrible déroulement, et une horrible fin. À aucun moment nous n’avons eu le droit de sourire ou d’espérer quoi que ce soit.

Et maintenant, nous sommes obligés de continuer à vivre comme si de rien n’était. Chacun est parti de son côté. Tu as rejoint tes parents dans un pays étranger dont tu ne connais rien, je suis allée vivre dans un village perdu ou il n’y a aucune trace de vie humaine à part moi, Lopy est partie avec un criminel, ne laissant aucune trace d’elle. Même Emmy nous a abandonnés. Nous sommes tourmentés chaque jour par le souvenir du professeur. Oui, toi et moi comptions beaucoup, beaucoup trop sur lui. Maintenant qu’il n’est plus là, nous avons l’impression qu’une partie de notre âme est morte avec lui.

Je peux parfaitement comprendre, Luke.

Mais tu sais, parfois, quand j’y repense, je me dis que les choses sont bien comme elles sont. Plus on y réfléchit, plus on se rend compte qu’on a eu de la chance. Nous avons survécu, malgré mille dangers qui nous guettaient là-bas.

Je vais te révéler quelque chose… que je n’ai jamais dit à qui que ce soit avant aujourd’hui.

Tu te rappelles de ton départ, la toute première fois ? Oui, juste après cette histoire avec Clive et la ville souterraine. Tu es parti, nous laissant seuls, moi et le professeur. Bien sûr, tu es revenu plus tard après l’histoire qui s’est déroulée à Folsense avec Lopy, mais, sais-tu ce qui s’est passé entre-temps ?

Sais-tu que le professeur était au bord de la dépression durant cette période ? »

Flora regarda tristement cette ligne. Elle pouvait imaginer le regard de Luke en la lisant. Elle avait hésité à en parler, mais maintenant que le professeur était mort, elle ne pouvait plus garder tout cela pour elle.

« Oui. Une dépression. Bien sûr, il ne l’a montré à personne, moi comprise. Dès qu’il franchissait le seuil de sa chambre, il devenait le gentleman que tout le monde connaissait. Souriant, flegme, poli et très gentil. Il gardait sa souffrance et sa douleur pour lui et lui seul.

Mais moi, je l’ai remarqué. Ces cernes sous ses yeux, ces quelques fois où son regard se perdait dans le vide alors qu’il prenait son thé, ce timbre triste maladroitement dissimulé dans sa voix lorsqu’il me disait bonjour.

Le professeur a longtemps souffert, seul.

Oui, Luke, la douleur et la tristesse, c’est le lot de chacun dans cette vie. Chacun est condamné à en recevoir sa part. Toi, moi, Lopy, nous ne sommes pas les seuls.

Alors, si je peux te donner un conseil du haut de mes quelques années d’expérience de cette vie, c’est de passer à autre chose. Je suis bien placée pour savoir que c’est difficile, mais nous n’avons vraiment pas d’autre choix. Oublie cette histoire, c’est le mieux que tu puisses faire. Oui, le professeur nous manquera à jamais, mais comme nous nous sommes accrochés à lui, accrochons-nous à autre chose. Quelque chose de moins éphémère… je ne sais pas, un rêve, une ambition. N’importe quoi.

Peut-être que c’est une sorte d’abandon, mais je crois que c’est la meilleure chose à faire. Alors, avec amertume, je te le dis ici : moi, j’abandonne.

Laisse cette histoire d’escrime, oublie le meurtre et l’île, la Princesse, Clive, laisse tout ça derrière. Sinon, tu ne pourras jamais aller de l’avant.

Pour Lopy, je n’ai malheureusement aucune nouvelle d’elle. Je n’ai même pas son adresse pour lui écrire. Elle me manque, mais je me dis que comme le destin m’a réuni avec elle une fois, il le fera une seconde. J’espère.

Courage, Luke. Tu es le digne apprenti du professeur. Le disciple numéro 1. Ne l’oublie jamais.

Au revoir,

Flora Reinhold. »

*********

S sourit. Les passages dramatiques. Les lettres remplies d’émotions. Ce qu’il aimait écrire ça.

Il débordait d’idées. Il avait l’impression qu’un flot d’inspiration commençait à couler en lui, et il n’était encore qu’au troisième chapitre.

Ah oui ! Il n’avait toujours pas mis de titre ! Il remonta vers le début de chapitre et réfléchit un instant.

« Les espoirs de Flora » lui vint à l’esprit, pour contraster avec le titre précédent, « la mélancolie de Luke ». Il porta les doigts sur son clavier et l’index de sa main gauche se posa sur le E d’un geste machinal.

Mais à cet instant, il eut un sentiment étrange.

Sa tête se mit à tourner, il avait le vertige, et sa vision devenait de plus en plus floue.

Il s’appuya sur la table pour rester droit, mais sentit une vague de douleur s’emparer de lui.

« Mon Dieu, c’est quoi ? »

Il allait crier à l’aide, mais sa voix le trahit lorsqu’il ouvrit la bouche et aucun bruit n’en sortit.

Le monde autour de lui commençait à tourner dans tous les sens.

C’est à cet instant que ses yeux se fermèrent. Il perdit connaissance et sa tête s’écrasa sur son clavier.



« Uyè-tuèjht-uèuyèy-tè—((-_èrgiejno,encd »

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