La Fin Infinie

Chapitre 8 : Chapitre V : Révélation.

3183 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 29/10/2017 17:24

« Salut, Corvus ! » S’exclama la jeune fille en souriant. « On ne s’attendait pas du tout à te voir dehors à une heure pareille. »

Sean recula alors qu’elle s’approchait. D’abord Corvus, maintenant Tony et Arianna ! Qu’est-ce qui se passait ?

« Ça n’a l’air d’aller », remarqua Tony. « Il s’est passé quelque chose ? »

Pourquoi ils lui parlaient à lui ? Ce n’était pas lui, Corvus. Lui, c’était Sean. Sean Hayden. Pas Corvus Je-ne-sait-quoi. Il devait y avoir une erreur.

« Corvus ? »

Ils le regardaient d’un air inquiet. Qu’est-ce qu’il devait faire ? Qu’est-ce qu’il devait faire ?

Il eut alors le réflexe de se retourner vers Corvus, le vrai, que les deux autres ne semblaient pas du tout remarquer. Ce dernier semblait tout autant consterné ; alors comme ça, il disait vrai lorsqu’il a affirmé que personne ne semblait se rendre compte de sa présence. Étrange…

Mais peu importe. Sean se trouvait dans une situation qui ne lui permettait pas de réfléchir à autre chose : comment il devait agir.

« Euh… je ne suis pas Corvus… »

« Quoi ? Arrête de plaisanter. »

« Mais si ! Corvus est juste là. » Il dirigea le regard vers le jeune homme qui les regardait du coin de l’œil.

« Où ça ? »

Ça ne fonctionnait pas.

« Joue leur jeu », lui indiqua Corvus. « On verra bien ce que ça donne. »

Jouer leur jeu, facile à dire ! Il ne savait même pas quel genre de relation il avait avec eux, et en plus, son caractère et celui de Corvus étaient plus opposés que le jour et la nuit. Comment était-il censé se faire passer pour lui ?

« Tu es sûr que ça va ? » Demanda Arianna. « Tu sembles un peu confus. »

« C’est vrai que tu es timide de nature », lui répondit Tony. « Mais nous sommes tes amis. D’habitude, tu es plus à l’aise avec nous. »

Corvus fronça les sourcils. Lui, timide de nature ?

« Et on ne t’as pas vu de toute la journée au marché noir », termina le jeune garçon. « Je me suis dit que tu avais un jour de repos comme il n’y avait pas de ventes aujourd’hui. »

« Tu n’aimes pas trop sortir, après tout », termina Arianna. Son frère approuva en hochant la tête.

Corvus n’en revenait pas. Ce n’était pas du tout lui, ça. Mais oui, bien sûr que ce n’était pas lui ! Ils parlaient à Sean, après tout. Mais… pourquoi l’appelaient-ils par son nom à lui, et l’ignoraient, lui, le vrai ?

« Bon, il faut qu’on rentre, Tony. »

« Oui. Repose-toi et on se reparle demain, OK ? »

Ils lui firent un signe et s’apprêtèrent à partir, lorsque Tony s’arrêta à nouveau.

« Arianna, attends ! Tu as oublié de lui donner cette lettre. »

« Ah oui ! »

Elle s’approcha à nouveau de Sean et lui tendit une enveloppe qu’elle gardait dans la poche de sa jupe bleu marine.

« Un homme que je ne connais pas me l’a donnée et m’a demandé de la donner à Corvus. Tiens ? »

Sean prit la lettre d’une main tremblante et les deux Barde s’en allèrent.

Il resta un instant debout, la fixant, se demandant dans quelle galère il était tombé, lorsque la voix de Corvus derrière lui vint le sortir de ses pensées.

« C’est encore plus compliqué que ce que je croyais. »

Il sursauta. Se retournant lentement, il remarqua que l’autre garçon ne semblait pas aller très bien lui non plus.

« On dirait qu’ils parlent de toi, juste en transformant Sean par Corvus. Tu les connais ? »

« Oui… enfin non. Enfin, je les connais, mais ils ne me connaissent pas. »

En voyant l’expression de Corvus, Sean se jura de ne plus dire quelque chose qui le ferait passer encore plus pour fou. Après tout, comment allait-il lui expliquer qu’il connaissait Arianna et Tony parce qu’il avait joué à Professeur Layton et l’appel du spectre ?

Il lui tendit la missive.

« Tiens », dit-il en tournant la tête, évitant de le regarder. « Elle a dit que la lettre était pour Corvus. Elle est donc à toi. »

« Sauf qu’apparemment, c’est toi, Corvus. » Il y avait dans sa voix quelque chose qui sonnait comme du dédain.

Ne négociant pas, Sean reprit la lettre.

« Au pire, nous pouvons la lire tous les deux », suggéra le chef du clan du corbeau noir.

Sean hocha la tête.

« Rentrons chez moi, il fait trop noir ici pour lire. »

Sean hocha à nouveau la tête.

Ils reprirent le chemin en silence. Chacun était trop occupé à réfléchir à ce qui était en train de se passer. La théorie de Sean semblait se confirmer, et ça lui faisait peur. Non, peut-être que ce n’était qu’une mise en scène. Oui, c’était plus probable. Mais… ces rues, ces personnes, cette aura si spéciale, il le sentait bien.

Il était dans l’univers de Professeur Layton.

Deux mètres devant lui, Corvus marchait, le dos droit, le genre de posture qu’on pourrait imaginer chez quelqu’un comme lui. Il avait de la prestance.

Son écharpe beige se balançait au rythme de ses pas, de même que ses cheveux brun gris. Sean savait qu’il allait mal lui aussi, ça ne devait pas être super agréable de devenir invisible aux yeux du monde du jour au lendemain. Mais malgré tout, il avait su garder son calme et prendre des décisions, rapidement.

Sean sortit la lettre de la grande poche de son sweat-shirt beaucoup trop grand pour lui, et la regarda. Une lettre pour Corvus… pourquoi avait-il l’impression que cette lettre avait un rapport avec tout ça ?

« Tu as un endroit où dormir ? » Demanda soudain Corvus.

Sean sursauta à nouveau. Il n’était jamais prêt aux répliques soudaines de son compagnon.

« Tu ne viens pas d’ici, non ? Et tu ne me sembles pas avoir de l’argent sur toi. »

« Oui », répondit-il doucement en hochant la tête, bien que l’autre ne pût pas le voir.

Corvus soupira.

« Je sais que je ne devrais pas recueillir chez moi quelqu’un d’aussi louche, mais… » Il tourna la tête, un petit sourire sarcastique sur les lèvres. « Je ne vois pas qui aurait peur de quelqu’un comme toi. »

Effectivement, le jeune écrivain n’avait pas grand chose d’effrayant. Il n’était pas très grand, et avait la peau sur les os. Une peau très pale, d’ailleurs. Il nageait pratiquement dans son sweater gris, les bouts de ses doigts apparaissant à peine à la fin de ses longues manches. Pareil pour ses baskets noires pratiquement englouties sous les plis d’un pantalon noir qui avait visiblement quelques tailles de plus. Même ses cheveux noirs retombant sur son front et lui arrivant à la moitié du cou donnaient un air si négligé qu’on ne pouvait juste pas le prendre au sérieux.

Il en fut presque blessé, sauf qu’il était habitué à ce genre de remarque.

« De plus », ajouta Corvus en regardant à nouveau devant lui. « Si tu es vraiment Corvus, n’est-il pas logique que tu habites chez toi ? »

Il soupira.

« On dirait bien que je ne vais pas pouvoir me débarrasser de toi de sitôt. »

Sean ne dit rien. Lui aussi, il ne voulait plus le voir, mais avait-il d’autre choix que de rester avec lui ?

« Demain, si cette histoire n’est pas réglée, nous irons en ville. Je veux voir si Tony et Arianna sont les seuls à te prendre pour moi. »

Aller en ville ? Voir d’autres gens ? Revivre plusieurs fois la situation extrêmement gênante de tout à l’heure ?

« Et si ça doit durer, je vais devoir t’apprendre quelques trucs. Le marché noir a besoin du corbeau noir, et le corbeau noir a besoin de Corvus. L’idée de te confier de telles responsabilités ne m’enchante point, mais je peux au moins t’utiliser comme couverture. »

Sean frissonna, frappé par un vent nocturne glacial.

« Je n’ai pas mon mot à dire ? » Demanda-t-il en essayant d’avoir l’air aussi confiant qu’il pouvait.

Corvus retourna à nouveau la tête.

« Non. »

Ravalant sa colère, Sean se promit de se venger une fois rentré chez lui, devant son PC…

Enfilant la capuche de son haut, il continua à suivre Corvus dans la pénombre de la nuit.

************

Allumant la lumière, Corvus écarta quelques cartons et avança vers le milieu de la pièce.

« Ferme la porte derrière toi ! » Ordonna-t-il à l’autre qui venait de rentrer.

Sean s’exécuta. Mais il resta debout près de la porte, ne voulant s’approcher davantage, réfléchissant à ce qu’il devait faire désormais.

« Qu’est-ce que tu attends ? » S’impatienta Corvus. « Lis-nous cette lettre. »

Mais alors que Sean s’apprêtait à ouvrir l’enveloppe, l’autre jeune homme s’approcha rapidement de lui et la lui arracha.

« Tu sais quoi, je vais la lire. Ta voix est si basse que je n’entendrai rien sinon. »

Sean ne résista pas. Il resta debout sur place alors que corvus s’effondrait contre le mur et sortait la feuille. Rien n’était écrit sur l’enveloppe ; il délia la lettre et se mit à lire. Sa voix, contrairement à celle de Sean, était claire, assez élevée sans pour autant percer les oreilles de ses auditeurs, assurée, profonde, et quelque peu intriguée.

« Cette lettre est destinée à Corvus. Lequel, allez-vous me demander ? Eh bien…c’est pour toi, Sean Hayden.

Oui, je suis au courant. Je suis au courant de tout. Voyez vous… mon pouvoir est absolu.

Mais Corvus, reste ici. Tu es tout autant concerné. »

Corvus leva la tête vers Sean, le regard consterné.

« Quelle genre de mascarade est-ce ? »

« Je…n’en ai… p…pas la moindre idée. »

Curieux, Corvus continua aussitôt sa lecture.

« Alors Sean, comment se passe ton séjour ? Tu l’auras deviné, tu es désormais captif du très singulier univers de Professeur Layton.

Oui, ta théorie, aussi farfelue puisse-t-elle paraître, était juste. Si tu crois encore en possible mise-en-scène, je m’attends à ce que tu puisses m’expliquer la différence de graphismes entre la vraie vie et l’endroit dans lequel tu te trouves. »

Corvus s’arrêta de lire à nouveau.

« Mais de quoi est-ce qu’il s’agit ? » Hurla-t-il, ne comprenant rien. « Et c’est quoi ce délire autour du professeur Layton ? »

Sean ne lui répondit pas. Lui arrachant la feuille, il continua de lire.

« Bon. Je pense que tu me crois maintenant ?

Ah, suis-je bête ? Tu te demandes certainement qui je suis ? Ça tombe bien, je n’avais pas l’intention de te le dire.

Bon. Bon… il serait temps de passer aux choses sérieuses, non ?

Sean, tu es celui a écrit Professeur Layton et l’Ultime énigme et La Princesse d’Axerik, n’est-ce pas ? Tu avais l’intention de conclure en écrivant ton dernier tome : La Fin.

Eh bien, c’est très simple, tu vas l’écrire.

Bien sûr, tu te doutes que ce sera un peu différent.

À partir d’aujourd’hui, tu es un personnage à part entière dans l’univers de Professeur Layton. Tu l’as remarqué, tu as pris pour cela la place de Corvus. Pourquoi lui spécialement ? Tout simplement parce qu’il fallait un garçon de la même tranche d’âge que toi. J’ai pensé que Corvus serait un bon choix, tu ne trouves pas ?

Dans la mémoire de tous ceux qui connaissent Corvus, il a été remplacé par toi. Son apparence, Son caractère, tout. Sauf son nom est resté. De ce fait, tu es déjà intégré à l’univers. Je suis plutôt sympa à t’économiser autant de temps, tu ne trouves pas ?

Et quant à lui, il n’est plus. En fait, si, mais son existence est assimilable à celle d’un esprit que seul toi peut voir. Il n’a même pas besoin de dormir ou de manger, mais il peut le faire s’il le veut. Rassure-toi, Corvus, tu n’es pas mort. Cette situation est temporaire… enfin, j’espère. »

Corvus fronça les sourcils, la bouche entrouverte.

« Cette fois-ci, tu vas devoir écrire une histoire et la vivre en même temps.

C’est très simple. Débrouille-toi un cahier et un stylo, et entame ton écriture. Tu es écrivain, alors, tout ce que tu écriras arrivera à tes personnages. Toujours aussi simple.

Tu peux décider de tout ce que tu veux, comme pour les deux autres tomes. Faire faire aux personnages ce que tu veux, leur faire dire ce que tu veux, tuer qui tu veux, ajouter qui tu veux, interpréter ce que tu veux comme tu veux.

Ton pouvoir est absolu.

Bien entendu, tu as des limites, comme avant d’ailleurs. Si tu choisis de faire quelque chose d’illogique, de défier les lois de la physique, de sortir du caractère d’un personnage, tu peux le faire, mais après tu devras fournir une explication logique.

Aussi, Corvus étant un cas spécial et ne pouvant interagir avec personne, tu n’as aucun contrôle sur lui.

Et, lorsque tu auras l’impression d’avoir fini, tu n’auras qu’à écrire « Fin » pour que je sache. Là, ce sera mon tour… de juger ton chef d’œuvre.

Si tu veux rentrer chez toi, ce dernier tome devra être meilleur que les deux premiers.

Si je le trouve moins bien, s’il y a des contradictions, si tu n’expliques pas quelque chose, eh bien tu resteras ici pur toujours. Ta fin ne sera jamais finie, et « La Fin » deviendra « La Fin Infinie ».

Je sais que tu n’aimes pas ta vie d’antan, mais je ne pense pas que tu préfères passer le restant de tes jours dans un jeu vidéo, entouré d’inconnus, et pas un seul objet électronique en vue, et sans plus personne sur qui exercer ton « pouvoir absolu ».

Alors fais attention, Sean.

Il en va de même pour Corvus. Si tu réussis ta mission, il reviendra à sa vie d’avant, sinon, il restera dans cet état pour toujours.

Oh ! Juste une dernière précision, en tant qu’écrivain, tu n’as le droit de changer le scénario que par écrit. Pas question d’intervenir personnellement, sous peine de voir le jeu s’arrêter immédiatement. Et si tu n’écris rien, les choses suivront leur cours naturel. Il n’y aura pas d’histoire, et tu ne seras pas libéré avant qu’il n’y ait une.

Je pense avoir tout expliqué. Tu vois qu’il n’y a absolument aucune différence avec ce que tu fais d’habitude. Normalement, tu devrais y arriver.

Corvus restera avec toi durant toute cette période. Il sera ton guide dans cet univers qui t’es familier et inconnu à la fois. L’enjeu est tout important pour lui alors, je doute qu’il refuse de se mettre de son côté. Ah ! Et je compte sur toi pour tout lui expliquer plus tard. Le pauvre ne doit rien comprendre à ce que je raconte.

Nous allons nous limiter à cela pour commencer. Je te contacterai très bientôt pour te donner plus d’instructions.

Voyons qui l’emportera, La fin ? Ou la fin infinie ?


Je te surveille de très près.

Cordialement,

Quelqu’un. »


Sean lâcha la feuille et son regard se porta sur Corvus qui ne comprenait effectivement rien. Il reporta le regard vers le sol ou la lettre gisait. Ses yeux vert foncé étaient grands ouverts, son souffle déséquilibré, et quelques gouttes de sueurs perlaient sur son front et ses mèches noires.

Ça ne pouvait être qu’une blague.

« Tu vas m’expliquer à la fin ? » S’énerva Corvus.

« Tu as de quoi écrire ? » Demanda Sean d’un ton trop autoritaire pour quelqu’un comme lui.

Corvus, vif d’esprit de nature, ne négocia pas. Il lui donna le vieil agenda sur lequel il notait les ventes prévues pour les jours suivants au marché noir ainsi qu’un stylo à plume.

Sean prit l’agenda, l’ouvrit très violemment, et, les mains tremblantes, se mit à écrire dessus. Passant la tête par dessus son épaule, Corvus lut ce qu’il nota.

« C’était une nuit assez froide. Lorsque une heure du matin sonna, un vent frappa, faisant claquer la petite fenêtre à côté du lit dans la petite chambre occupée par Corvus. Un homme habillé d’une chemise bleu clair à rayures plus foncés et d’un pantalon militaire passa devant celle-ci en chantant twinkle twinkle little star, remarquant la fenêtre ouverte, il jeta un œil à l’intérieur et remarqua le bazar qui y régnait.

-Pauvre Corvus, dit-il dans un soupir. Il a tant de travail, j’espère qu’il se repose un peu au moins.

Un second coup de vent frappa, la fenêtre claqua, et l’homme s’éloigna en continuant de chanter. »

Avec des événements aussi détaillés, si cela se produisait, c’est que le destinateur de la lettre disait vrai. Sean ne savait même pas ce qu’il devait espérer.

« Ne me dis pas que tu le crois », dit Corvus qui saisissait à peu près l’objectif de Sean sans pour autant comprendre cette histoire de tomes et d’univers de professeur Layton.

Ne répondant pas, Sean porta le regard vers l’horloge murale, surveillant la grande aiguille qui s’approchait de plus en plus douze, la petite étant pratiquement posée sur le un.

Corvus le vit compter silencieusement. Trois, deux, un…

Une heure du matin !

Le vent frappa et la fenêtre claqua. De loin, une voix qui se rapprochait se fit entendre. Corvus et Sean s’échangèrent un regard consterné.

« Twinkle twinkle little star, how I wonder what you are… »

L’homme apparut près de la fenêtre, il ne vit pas les deux garçons qui n’étaient pas dans son champs de vision, mais remarqua le désordre de la pièce.

« Pauvre Corvus. » Il soupira. « Il a tant de travail, j’espère qu’il se repose un peu au moins. »

Le vent frappa à nouveau, la fenêtre claqua, et l’homme s’éloigna.

« Up above the world so high, like a diamond in the sky… »

Sean resta immobile un instant, avant que ses mains ne lâchent prise sur l’agenda qui alla atterrir près de la lettre.


Pour la première fois de sa vie, il comprit ce que ressentaient ses personnages lorsqu’ils apprenaient une nouvelle absolument incroyable. 

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