Le soir du jugement

Chapitre 1 : Le soir du jugement

Chapitre final

1946 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 31/08/2025 23:01

16 Mars 1881, Kentucky.


Il fait froid dans cette foutue cellule. Je ne sais pas pourquoi l'humain s'évertue à punir ses semblables pour des choses qui ne le concernent même pas. J'ai l'impression que le monde change d'une manière qui ne plaira à personne. Nous sommes là, à nous entredévorer. À tout faire pour causer du tort aux autres. Ne devrions-nous pas faire notre chemin sans nous préoccuper des autres ? L'humain est mauvais, en constante recherche de supériorité. Il ne veut que s'affirmer face à ses semblables et lui montrer à quel point il domine. Et quand on veut suivre le mouvement, il suffit qu'on essaie de s'imposer face à une personne un peu trop proche de ceux qui régissent et hop, tu te retrouves dans une cellule plus froide que les pays du nord à écrire sur un journal qui lui aussi va probablement t'attirer des problèmes étant donné que



17 Mars 1881, Kentucky


C'est pas passé loin. Cet enfoiré de toutou de la Pinkerton a cru pouvoir me coincer. Depuis quand ils viennent voir les détenus directement en cellule ? Que dieu ou quiconque se trouve là-haut et qui ait un minimum de pouvoir bénisse celui qui trouvera ce carnet. Il sera la preuve de ma réussite, ainsi mon histoire sera répandue. Il faut qu'elle le soit. Je sais des choses. Des choses qui bouleverseraient ce putain d'ordre établi à deux sous. Dans un mois, quand je serais sûr que ce carnet ne sera pas trouvé, je ferais une confession. Celle qui va tout changer. Ni la Pinkerton ni aucun Gouverneur ne sera en mesure d'éteindre l'incendie. Alors si mon corps n'est pas sauvé, ma mémoire le sera. Pour faire tourner le monde, ces gens ont cru que l'argent était loi. Que toutes les horreurs étaient justifiées et justifiables pourvu qu'un lingot d'or soit en jeu. À quel moment avons-nous cessé de croire en l'égalité des chances ? Au troc ? En l'humain ? Peut-être suis-je trop utopiste. Mais je ne cesserais jamais de croire que grâce à ce que j'ai découvert, il reste un espoir de faire tomber ceux qui ont fini par nous faire croire que l'or était le salut de l'humanité. Demain, je vais allumer l'étincelle. Quand je reviendrais écrire sur ce carnet, ce sera en tant qu'investigateur de quelque chose de nouveau. Je le ferais pour toi, Louisa.


18 Mars 1881, Kentucky


Bon. Ça ne s'est pas passé comme prévu. Ces connards de soumis au système ne veulent pas comprendre qu'il ne suffirait que d'une allumette pour réduire les prétendus puissants en cendre. Eux disent que je suis aveuglé par la haine, quelle ironie sachant que certes mes yeux me paraissent de moins en moins fiables, et pourtant sur le plan moral, je suis le moins aveugle de tous. J'ai compris. J'ai compris que ces gens ne veulent pas le bien du peuple. J'ai de plus en plus de mal à écrire. J'ai peur de devenir aveugle d'ici la fin du mois. Je vais demander conseil au médecin. Il faut que je tienne. Sinon la vérité ne pourra pas sortir. Cette solitude commence à me faire réfléchir quant à leur foi. Si un dieu est capable de me sauver, je m'en remettrais à lui. J'irais voir le moine.


21 Mars 1881, Kentucky


Tu me manques. Chaque jour je vois ton visage se dessiner sur les murs austères de cette prison. Tu serais une mère parfaite pour mon fils. Mon fils. Il me manque aussi. Je me demande où ils l'ont envoyé. Le plus beau serait que ce carnet lui revienne un jour. Mais je doute que ça arrive. Je ne sais même pas encore comment je vais faire sortir ces mots d'ici. Peut-être vais-je devoir m'arranger avec un des gardes. Il y en a sûrement au moins un qui comprend ce que je ressens et ce pourquoi je me bats. Surtout au vu des informations que je possède. Tu disais que le moteur des puissants se cachait en réalité souvent en ceux qui les rendaient puissants. Alors ou est-ce que ça s'arrête ? Qui rend puissant le plus puissant ? Il ne s'agit peut-être pas d'une personne en particulier, mais d'une entité ? Le système peut-il être vu comme tel ? Ces gens dehors, ils élisent à leur tête des hommes qui sont pour la plupart de plus grands bandits que je ne l'ai jamais été. Et pourtant c'est moi qui croupi ici. Ce monde n'a aucune réelle justice. Ce sont eux qui dirigent, pourtant, en comparaison, je suis comparable à un Saint.


1 Avril 1881, Kentucky


Le feu a démarré. Les gens commencent à poser des questions. Certains se rebellent, même. Pourquoi personne ne semble se préoccuper de ce qu'il se passe ici ? Pourquoi la Pinkerton vient une fois par semaine ? Pourquoi ne pouvons-nous pas être au courant de nos propres peines ? Enfin, moi, je sais ce qui m'attend. Le meurtre n'est jamais très apprécié ici. Vous avez beau essayer de leur faire comprendre que vous avez fait ce qui devait être fait, ils ne se préoccupent que des actes eux-mêmes, jamais des raisons. Tout ça va bientôt changer. Quand les cendres s'éteindront et que la poussière retombera, un nouveau système émergera. Quelque chose de plus juste, de plus équitable. Tout le monde sera puissant, alors personne ne le sera. Tu dirais que je cours après une utopie. Tu as toujours été une femme très rationnelle. Mais au fond, je pense qu'il est plus dangereux de se laisser porter par le désespoir. Car c'est là que nous commettons le pire. Ce jour là, dans ce bar, je n'ai pas commis un acte de haine. C'était un acte d'espoir. Pauvre Denis.


3 Avril 1881, Kentucky


Dieu merci mes yeux ne m'ont toujours pas complètement lâché, même si cette tâche noire qui stagne du côté droit commence à m'agacer. Tu dirais que c'est une punition divine, que j'apprends l'humilité de cette manière. Mais le jour fatidique approche et je ne peux me permettre de me décourager en me disant que tout ça n'aura pas de fin heureuse, au moins pour quelqu'un. Mon fils, peut-être. Ou le prochain possesseur de ce carnet. Denis est passé me rendre visite ce matin. Si on peut appeler ça une visite. Mes yeux ne seraient plus dans leurs orbites si les gardes n'avaient pas été là. Je le comprends, dans un sens. J'ai entaché son honneur une première fois avec toi, et une seconde fois dans le bar. Mais dois-je être reconnu responsable du fait que tu aie préféré un vrai homme à ce ramassis de merde qui ne sait pas aligner deux phrases ? Je n'ai plus envie de le plaindre, il a prouvé aujourd'hui qu'il devrait être à ma place dans cette cellule. Non, mieux, c'est lui qui aurait dû mourir ce soir là. Mais à la place, Denis est probablement en train de s'empiffrer dans son manoir.


4 Avril 1881, Kentucky


Je n'ai plus que quelques jours. Et il me paraît clair, au crépuscule de mon aventure, que je n'étais pas voué à gagner. Les gardes me voient comme l'étincelle qui a allumée le brasier de la rébellion, ici. Mais les révolutionnaires ne me voient que comme un illuminé qui a perdu la tête. Je ne suis pas leur leader. Je suis un prétexte. Un phare, mais pas destiné à guider, destiné à éblouir, un écran de fumée. Je suis un leurre. J'ai pensé pendant quelques jours qu'ils voulaient vraiment me suivre. Puis je leur ai parlé de toi. C'était probablement mon erreur. Car il leur est apparu que je n'agissais pas par conviction, seulement par amour. J'ai essayé de leur expliquer que ce n'était pas incompatible. Ils ont failli comprendre, jusqu'à ce que je mentionne le bar, le meurtre. Est-ce quelqu'un ici dans l'ouest peut se targuer de ne jamais rien avoir fait de mal pour de bonnes raisons ? Cette nuit là, le tesson de bouteille n'a pas transpercé un coeur pour mon plus grand plaisir. Ce tesson l'a fait pour protéger la vérité, pour lui permettre d'éclater au bon moment. Le pire, c'est que si j'étais un vrai meurtrier américain, je ne serais pas ici. Je serais en train de négocier ma liberté en usant de corruption auprès d'un gouverneur. Mais comme je ne suis pas né dans leur putain de pays de la réussite, je ne vaux rien, je suis un nouveau délinquant à supprimer. Et pour ceux qui croient en l'humanité des étrangers, je suis un déshonneur, une fausse idole, je suis un paria. Rien n'est fait pour que je m'en sorte. Tu le sais toi, que j'ai fait le nécessaire pour le bien. C'est pour ça que je t'aime. Toi, tu ne juges pas ceux qui doivent en arriver à certaines extrémités pour le bien. Si mon coeur est un trésor, ta poitrine est le plus inviolable des coffres.


6 Avril 1881, Kentucky


Je n'arrive presque plus à voir. Il m'a fallu un temps monstre rien que pour écrire la date. Je suis désolé, Louisa. Eux ne comprennent pas comme toi. Ils ne comprennent. pas que tu l'aurais fait toi-même, si tu avais eu connaissance des enjeux. J'espère que mon fils comprendra. J'espère que celui qui lira ce carnet comprendra. Certains disent que ce qui compte en amour, c'est à quel point on aime malgré la distance. Si tu étais restée au Kentucky, Louisa, nous n'en serions pas là. Ce n'est pas la distance l'important. Je pense que des fois, il y a des jours où on aime moins que d'autres. L l'important c'est l'écart entre les jours, jusqu'ici.


8 Avril 1881, Kentucky


Je les ai vus préparer. Il est assez édifiant d'être face à ce qui va représenter notre fin. Je m'en remets à toi, Louisa. Tu es probablement la plus brillante et brûlante des étoiles. Je sais que tu sauras guider mon regard. J'ai hâte, dans un sens. Je me demande comment seront perçues ces lignes. J'aime les voir comme une lettre. Une lettre d'amour, d'espoir. Une lettre qui a corrompu mon coeur, mais qui l'a aussi payé d'une richesse folle. Une lettre d'amnistie, une preuve de mes fautes comme de mes accomplissements. Une lettre.


10 Avril 1881, Kentucky


Voilà. Si tant est que quelqu'un nous surveille vraiment là-haut, c'est ce soir qu'il va me juger. Il était temps parce que me faire juger chaque soir par ces ignares, ça commençait à devenir humiliant. Autant que quelqu'un d'important le fasse. Le médecin dit que je serais devenu aveugle dans une semaine. Tu l'as envoyée sacrément fort cette bouteille, Louisa. C'est beau. L'amour rend donc littéralement aveugle. J'ai passé 1 mois à espérer que tu ne m'en veuilles pas. J'en serais sûr ce soir. Et je sais que le nom Marston ne s'éteindra pas avec moi alors tout ça est libérateur. Si tu veux bien me pardonner, Louisa, je dois maintenant m'adresser à celui qui lira tout cela, car le temps est compté et je vais devoir cacher le carnet.


Toi, futur libérateur. Je n'ai plus le temps de faire la confession escomptée. Mais ce carnet contient toutes les données nécessaires pour faire tomber le système en place. Il me vient une révélation, alors que j'entends les pas du garde qui va m'amener à mon ultime balade. Je sais déjà que cette balade sera la plus importante de ma vie. Car le plus important, c'est la fin.

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