L'Arche du Péché

Chapitre 1 : De la lumière à l'ombre

10219 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 17/12/2020 18:39

De la lumière à l’ombre


Zane exultait. Depuis qu’il avait retrouvé le X-Reader de Lokar dans les ruines de la forteresse, déposé à ses pieds comme un don des cieux le désignant tel l’Élu reprenant le flambeau de son ancien Maître, il se trouvait empli d’un nouveau pouvoir, lui donnant l’impression de déplacer les montagnes. Non, se corrigea-t-il mentalement, il était capable de déplacer des montagnes au gré de son bon plaisir ! Alors écraser les Stax dans un défi kaïru, ce n’était qu’une formalité.

Les pauvres, ricana-t-il en observant Ky invoquer une « explosion d’énergie plasma », directement dirigée vers l’adolescent. Visiblement fier d’avoir dissipé l’ « écran de fumée » précédent de Zair, ricana intérieurement celui-ci. Mais pas pour longtemps. D’un simple saut vers le haut, presque sans y penser, il esquiva l’attaque, se délectant de l’expression d’incompréhension de son adversaire. Il se prenait toujours pour le meilleur, hein ? Il allait voir qu’il n’avait plus rien à voir avec le Zane d’avant. Aujourd’hui, l’adolescent, avec le pouvoir du X-Reader de Lokar, savait être bien plus puissant qu’il ne l’avait jamais été, et quand il apprendrait cela, Baoddaï serait bien obligé de voir en face ce qu’il avait perdu !

– Tu n’es plus de taille contre moi, tes attaques ne sont pas assez puissantes, susurra Zane, toisant son ennemi de toujours.

Trop occupé à le dévisager – ou à essayer d’établir une autre stratégie peut-être, mais peu lui importait –, Ky n’aperçut que trop tard Tekris, qui le balaya d’un « coup de rocher » presque à bout portant. Dommage qu’il n’ait pas réussi à s’occuper de Maya en même temps, la jeune femme s’étant mise hors de portée d’un bon en arrière. Vraiment, des Stax, seule elle avait encore un peu de respect de la part de Zane. D’ailleurs, galvanisé par ce que venait de dire un des humains habitant dans les arbres (fallait-il être idiot… de toute façon, il n’avait pas écouté), elle invoqua son « fouet de feu », attaque favorite de la métisse, pour tenter de le faire descendre de son perchoir. Sans prévoir qu’un brusque coup de vent allait lui renvoyer son attaque…de plein fouet, sans mauvais jeu de mots.

Quelle naïve, songea Zane en jetant un rapide coup d’œil au ciel, sublime tant le kaïru l’emplissant luisait de son incroyable aura obscure. Finalement, peut-être que les éléments eux-mêmes décidaient de se mettre à son service ! En voilà qui étaient intelligents !

Un éclat de rire, le tira de ses réflexions. Un instant contrarié d’une telle interruption, l’adolescent se retint d’un geste malheureux en reconnaissant les intonations rauques caractéristiques de sa coéquipière :

– Bien visé Maya ! railla Zair, la voix déformée par son apparence monstrueuse.

– Assez perdu de temps, je vais mettre un terme à ce combat ! renchérit Zane. Dégénération !

Voir le bois du plancher s’écarter dans un craquement lugubre fut un réel plaisir. Voir Ky manquer de peu de se faire ratatiner un peu moins. Mais qu’importait ! De toute manière il l’aurait, d’une manière ou d’une autre, et plus tôt que ce soi-disant champion kaïru croyait !

Il s’apprêta à lancer un autre attaque, quand la voix arrogante de l’insupportable brun frappa ses oreilles. Et bien que le mauvais temps couvrit plus ou moins les sons, formant un chuchotement bourdonnant, enflant au point de gronder par instants, ce ne fut guère suffisant pour camoufler son culot habituel :

– Alors Zane, je croyais que tu étais devenu aussi puissant que Lokar, c’est tout ce que tu sais faire ?

L’intéressé serra les dents. Pour qui se prenait-il exactement ? Il ferait mieux de supplier son pardon à genoux au lieu de le provoquer ! Mais il voulait voir son « nouveau pouvoir » ? Eh bien, il allait être servi, et il ferait en sorte qu’il ne se relève pas !

– Tu as raison, j’ai été trop gentil jusqu’ici. C’est le moment d’en finir avec vous une bonne fois pour toutes ! rétorqua le vert, pointant un doigt accusateur vers son ennemi de toujours.

Juste le temps de le laisser réaliser l’ampleur de son erreur, avant de le voir chuter de son piédestal et savourer son humiliation !

– Tu t’es toujours cru supérieur à nous, Zane, mais tu vas tomber de haut ! retentit une voix, derrière lui.

Aucun des trois Radikors, n’avait remarqué la présence de Maya, juchée sur une branche haute dans le dos de l’équipe extraterrestre. Juste au-dessus de Zane. Mais même aveuglé par son nouveau pouvoir, celui-ci n’était pas assez idiot pour ne pas se rendre compte que le vent venait de tourner contre lui. Trop tard, réalisa-t-il que l’intervention de Ky n’était peut-être pas dictée par la seule vanité, pas quand cela avait fourni juste le temps nécessaire à la jeune métisse de grimper jusqu’à lui.

À peine eut-il le temps de vaguement regretter avoir fait durer par plaisir le combat, ses craintes se confirmèrent en une poignée de secondes, avant que lui ou l’un de ses coéquipiers ne puissent esquisser le moindre geste.

– Pointes de glace ! rugit l’unique fille des Stax, toute sa rage et sa volonté contenue dans cette seule attaque.

Grimaçant d’anticipation, Zane fouillant dans sa mémoire, imaginant un miracle soudain et inattendu pour lui épargner le sort qu’il réservait un instant plus tôt à ses victimes. Avant que l’attaque ne le heurte de plein fouet.

Pourtant, la douleur ne ressembla à rien de ce qu’il connaissait jusqu’alors, en dépit de ses années d’expérience dans le kaïru. La douleur le submergea, si bien qu’il soupçonna son esprit d’en occulter une partie pour ne pas devenir fou sur-le-champ. La lumière d’une blancheur irréelle dégagée par l’attaque l’aveugla, sans que fermer par réflexe les paupières ne change quoi que ce soit. Puis vint la brutale sensation de brûlure envahissant sa poitrine, lui coupant le souffle en même temps qu’un bruit de tonnerre retentissait.

Tandis qu’il basculait en arrière, presque incapable de penser à autre chose qu’à la souffrance qui lui déchirait le torse, il distingua, dans un brouillard qui envahissait rapidement son champ de vision, l’unique fille de l’équipe des Stax en contre-jour, le visage figé dans une expression de surprise totale.

Qui savait, peut-être reconnaissait-elle sa puissance à sa juste valeur, ne pensant pas qu’un choc aussi faible ne puisse le désarçonner aussi facilement.

Et de fait, même lui s’en trouvait étonné.

Le cri de Zair (il faillit le qualifier de désespéré, mais cela correspondait si peu à sa coéquipière qu’il censura cette idée) l’appelant, suivi de celui de Tekris fut comme le signal pour son inconscience.


µµµ


La chape obscure recouvrant l’ensemble de l’environnement se dissipa à une lenteur exaspérante, provoquant un remous de frustration au sein de la part de Zane n’étant pas plongée dans un sommeil implacable. Car ce ne pouvait être que le sommeil, n’est-ce pas, à force de devoir s’occuper de tout, son équipe incapable de gérer quoi que ce soit sans lui. Le centre de cet étrange état de semi-conscience continua de s’éclaircir doucement, révélant le début d’une scène reflétant relativement fidèlement le pire cauchemar – actuel – de l’adolescent. Lokar, debout et triomphant, bien trop en vie à son goût, comme dans un mauvais film. Tout aussi peu compréhensif de l’ancien élève, furieux d’un comportement le désavouant, son défunt (même si ce mot sonna étrangement faux) Maître le condamnait à, eh bien, de cette distance Zane ne parvint pas à entendre, mais sa propre expression décomposée, miroir de sa présence intangible (était-il seulement présent, d’ailleurs ?), l’assura que cela ne lui plairait guère. Et puis, qui étaient ces trois types identiques l’entourant, comme autant de loups prêts à dévorer la brebis que Zane refusait d’être ? Et pourquoi voyait-il dans le seul coin à peu près discernable Zair refuser de venir l’aider, dans un tout autre paysage ? Elle se devait de le servir, lui qui détenait la toute-puissance, si elle voulait échapper à sa terrible colère !

Le décor s’effrita comme du sable s’échappant d’un poing ouvert, dévoilant ce qui ressemblait à un tournoi kaïru. Encore une fois présent, Zane s’observa s’agenouiller devant Lokar, celui-ci le balayant comme une mouche d’un revers de main, ravi de lui infliger une punition davantage à la hauteur de son ressentiment. Un goût amer de défaite envahit sa bouche alors qu’il revenait à un état de servitude.

Survint un cortège de fragments de scènes inconnues se succédant, un paysage de neige, un poulpe géant, une défaite, un face-à-face kaïru avec Mookee (devait-il rire ou se fâcher ??), une défaite suite à un piège cyclonique (quoique la mascotte des Stax avait invoqué un cauchemar vampirique, et non pas l’attaque bleue, ça ne pouvait pas être considéré comme une véritable défaite !), un combat à trois contre Ekayon, une défaite, un défi près d’une roue de charrette, face à ce dernier accompagné des Stax, une défaite, un autre tournoi, une défaite !

Une colère violente l’envahit, son esprit entier se cabrant ; il refusait de voir plus loin !

Comme une réponse ironique, l’étrange film revint en arrière, et il se vit étendu sur le sol, après l’attaque de Maya, promettre que ce n’était que le commencement (minute ! Il ne se souvenait absolument pas de ça !). Puis un duel kaïru avec Ky, une victoire (enfin ! Il ne pouvait vraiment compter que sur lui, voilà qui le rassurait !), suivi d’une transformation, eh bien, surprenante (qui lui arracha des frissons d’horreur, mais il ne l’aurait jamais admis ; après tout, passé ce… petit moment, il semblait particulièrement ravi, ça ne devait pas être si terrible… si seulement il n’avait pas l’impression de revivre ce qu’il enterrait depuis longtemps aux tréfonds de sa mémoire ?), son équipe en train de se battre contre les Stax avec de nouveaux monstres, et perdre quand Boomer invoqua un Froztok mutation (un quoi ???) qui finit par le propulser dans les airs sous le coup d’une attaque particulièrement violente (il ne fallait pas que ça devienne une habitude quand même !), Zair et Tekris stoppant le combat encore transformés (mais qu’est-ce qui leur prenait ? Ils devraient plutôt en profiter pour leur faire mordre la poussière !).

Enfin, le ballet infernal se stoppa brutalement (si ses yeux n’avaient pas été clos en dépit des images s’assemblant devant sa rétine, sûrement en aurait-il retiré un vertige) devant ses yeux ébahis. Trois mômes se dressaient devant son équipe, tentant de s’opposer à eux. Se brouillant afin de changer de décor, ils se retrouvèrent sur une falaise, le monastère visible au loin, une défaite encore avec l’arrivée insupportable des Stax.

Néanmoins, quelque chose changea, juste avant que les Radikors ne reçoivent ce qui ressemblait à un coup de grâce. Comme si un détail se glissait à la lisière de sa conscience, juste une trace à peine existante, et pourtant parfaitement discordant. Comme s’il se trouvait devant une intersection, sans bien savoir vers où il devait se diriger. Des contours péniblement discernables, peut-être des silhouettes, peut-être trois, ou quatre apparurent lentement, trop lentement.

Il n’eut pas le temps de s’appesantir sur le sujet. Tout ce qu’il avait pu observer auparavant se dissipa, ou plutôt retournèrent dans ce néant qui, subrepticement, leur accordait l’existence. Un peu comme s’il rembobinait une vieille cassette, ou passait en revue ses X-Drives en cherchant celui qu’il allait choisir pour attaquer, avant de s’estomper brutalement.

Alors que les alentours retournaient à l’obscurité, Zane distingua une dernière forme dans le lointain, vaguement familière, la tête recouverte d’un morceau de tissu, dos tourné et se plongeant dans les ténèbres.


µµµ


Il rouvrit péniblement les yeux, les refermant immédiatement par réflexe, groggy, incertain s’il se trouvait encore son rêve de néant, ou de retour dans le monde bien réel qu’il allait très bientôt conquérir. Et pourquoi ne sentait-il pas l’odeur des arbres mouillés après la pluie, comme dans la forêt où il combattait les Stax un instant plus tôt ? Ce n’était pas un tapis d’herbe qu’il sentait sur ses bras, ses gants entourant toujours ses mains d’une gaine protectrice. Plutôt un drap, en y réfléchissant.

Comprenant de moins en moins sa situation, l’adolescent se laissa un instant aller à l’angoisse frayant un chemin jusqu’à son orgueil pourtant de taille respectable.

Trop intrigué pour retrouver le sommeil, il fit de nouveau l’effort de soulever ses paupières. Plissant le front, il se retrouva face à un plafond strié et irrégulier, les quelques fuites le tapissant visiblement rebouchées à la hâte. Les murs, également témoins de l’explosion qui avait eu lieu quelques jours auparavant, finirent de lui apprendre son lieu de résidence actuel, notant vaguement « remettre la forteresse en état » dans sa liste mentale de choses à faire. Tournant la tête sur le côté, son regard rencontra les pieds d’une table, une chaise disposée à ses côtés accueillant une tenue de rechange. Donc, il se trouvait couché sur un lit peu confortable, recouvert d’un drap qu’il découvrait ocre.

Bien, les choses avançaient, étape par étape…

En sus du drap, une couverture remontait en partie sur sa silhouette étendue, s’arrêtant au niveau de ses hanches. D’accord, cela expliquait le froid qu’il sentait mordre sa peau, lui qui avait toujours été sensible aux basses températures.

Une cheminée improvisée diffusait une petite chaleur du fond de la pièce, projetant des ombres fantasmagoriques sur la pierre chauffée qu’il refusa d’interpréter, encore influencé par les images désagréables ayant précédé son réveil. Malgré la température basse, l’adolescent sentit la sueur perler à son front quand il passa une main confuse sur son crâne.

Comme quoi, je vais arrêter de dire que les cheminées ne chauffent rien.

Apercevant une carafe d’eau posée sur le sol près de lui, un verre l’accompagnant, il tenta de se redresser. Aussitôt, une pointe de douleur perça sa poitrine, un sifflement s’échappant de ses lèvres. Plaquant la main sur la zone douloureuse, Zane, regretta la brusquerie de son geste. Baissant les yeux, l’onyx de ses pupilles rencontra le haut de son torse, soigneusement bandé sur toute la longueur du sternum, dépourvu du vêtement le recouvrant en temps normal.

Furieux que quelque chose lui échappe, alors que sa mémoire restait désespérément incapable de lui fournir la moindre explication, Zane fit la seule chose lui passant par l’esprit.

– Zair ! Tekris ! hurla-t-il.

N’obtenant aucune réponse, il réitéra, tâchant de placer dans sa voix toute la colère et la frustration de son incompréhension, retenant de justesse une imprécation qui, à coup sûr, trahirait sa confusion.

Enfin, la porte, plus ou bien moins remise dans ses gonds, s’ouvrit sur le visage de Zair, son regard voilé par une inquiétude trouvant son écho chez Tekris. Laissant juste assez de temps pour que Zane se redresse, appuyant son dos contre le mur. Bras croisés, impatient d’entendre leurs explications, son visage fermé n’augurant rien de bon. Et de fait, la bride tenue sur sa colère ne tenait qu’à un cheveu.

– Ehh salut Zane, bah dis donc t’as l’air bien remis, tenta Tekris.

– Remis de quoi ? siffla l’autre, une lueur dangereuse étincelant dans son regard. Entrons dans le vif du sujet : qu’est-ce qui s’est passé après ma chute, pourquoi je me retrouve allongé dans un lit – si tant est qu’on peut appeler ça un lit ?

Zair et Tekris s’échangèrent un regard entendu, prouvant qu’ils avaient envisagé plus d’une fois ce moment. Avant même qu’ils n’ouvrent la bouche, l’adolescent douta de la véracité de leurs futures déclarations.

– L’attaque de Maya t’as atteinte plus durement que prévue, et les branches de ces arbres géants ne t’ont pas arrangé. Pour être plus claire, tu as perdu connaissance pendant deux jours entiers.

Zane écarquilla les yeux, peinant à assimiler ce que venait de lui dévoiler Zair. Scrutant attentivement les visages des deux autres adolescents dans l’espoir vain de découvrir une mauvaise plaisanterie. Ou tenter de découvrir ce qu’on ne lui disait pas. Cependant, il ne les vit pas ciller une seule seconde, attendant sa réaction calmement. Trop, à son goût, pour que ce soit honnête.

– Pourquoi ai-je la désagréable impression que vous ne me dites pas tout ?

– Comment veux-tu qu’on le sache ? Peut-être que tu t’attendais à une autre réponse ?

Zane serra les dents. Il connaissait suffisamment Zair pour comprendre qu’il y avait un sous-entendu, en dépit de son air que quiconque d’autre aurait qualifié de sincère. Avait-il parlé pendant son inconscience ?

Il frissonna. Et s’il avait laissé échapper une de ces stupidités issues du néant ?

– Alors pourquoi ce bandage ? Pourquoi cette impression d’avoir été passé au chalumeau ?!

– Eh bien… Maya a utilisé les pointes de glace. Le froid t’a sûrement brûlé, comme tu y es sensible.

– Mm. Impossible. Ça voudrait dire qu’elle est bien plus forte que prévu, et ça, ce n’est pas possible ! Autre chose, tant qu’on y est : est-ce que j’ai dit quelque chose avant de me réveiller ?

Désarçonnés par ce changement de sujet inattendu, Zair et Tekris restèrent une seconde interdits, la jeune femme scrutant le visage en face d’elle à la recherche d’un piège.

– En comptant les menaces à l’encontre des Stax ?

– Ne te moque pas de moi, Zair, tu sais pertinemment que je ne le tolérerais pas !

– Bien sûr que non, c’était juste pour ne pas dire de bêtises, tenta-t-elle de se justifier. Pas que je sache. Et toi, Tekris, tu as entendu un truc quand tu le veillais ?

– Non, ça serait plutôt l’inverse, assura l’intéressé, regrettant que sa présence soit remarquée.

Zane plissa le front. Le colosse avait répondu précipitamment, comme pour être immédiatement oublié. Jamais, malgré ses quelques crises autoritaires, Zane ne l’avait vu agir ainsi. Pourtant, le colosse avait l’habitude d’obéir au doigt et à l’œil. Remarque, en sa qualité de nouveau Lokar, ce n’était pas plus mal que ses E-Teens exécutent ses ordres sans sourciller.

Sauf si ledit Lokar est toujours vivant, attendant tapi dans l’ombre, susurra désagréablement une voix dans sa tête.

Baissant le nez pour réfléchir, il fit un geste pour congédier les deux autres, se remémorant la première des images ayant transpercé les ténèbres de son inconscience. Lokar en pleine forme, plus que mécontent de son attitude, au point de le bannir sans la moindre hésitation.

Il leva les bras au ciel, mécontent de cette soudaine obsession. Un choc sur la tête, rien de plus, et surtout rien qui justifierait de stopper son œuvre grandiose ! Et avec l’X-Reader de Lokar, il pouvait parfaitement pallier les éventuelles difficultés !

Alors pourquoi cette sensation de malaise qui ne cessait de persister ?

Une seconde durant, ses certitudes vacillèrent à la perspective que Lokar soit encore en vie. Que ferait-il si ce dernier lui réclamait son bien ? Aurait-il le cran de le défier alors que son X-Reader lui revenait de droit ? Tout comme lui, frissonna l’adolescent. Après tout, n’était-il pas son maître, et lui le servant ? En tout cas, c’était ainsi que Lokar voyait les choses, Zane le savait.

Mais qu’est-ce qu’il racontait ?! Il n’était plus le sous-fifre de personne désormais, c’était lui qui donnait les ordres, le maître, celui à qui quiconque obéissait ! Sa puissance égalait celle de Lokar désormais, alors il n’y avait aucune raison de s’inquiéter !

Pour le moment, l’important était de reprendre des forces. Impossible de retourner crapahuter le monde dans son état – absolument passager. Quittant l’appui du mur, Zane se glissa précautionneusement sous la couverture, grognant de mécontentement en constatant que ses efforts ne l’empêchait pas de ressentir la douleur.

Plus tard, il reprendrait l’interrogatoire de ses coéquipiers, leur arrachant toutes les connaissances qu’il exigeait d’eux. Là, il pourrait démêler le vrai du faux.


µµµ


Huit jours. Huit jours, entiers, à attendre de pouvoir esquisser les mouvements les plus basiques sans s’arrêter, vaincu par sa blessure toujours aussi incompréhensible ! Sans compter que Zair et Tekris s’étaient habilement arrangé pour ne pas se retrouver seuls trop longtemps avec lui, afin de ne pas subir un des interrogatoires éprouvants dont il avait le secret. La restauration de la forteresse leur prenait tout leur temps, prétendaient-ils. Ou encore pléthore d’autres excuses ne croyait qu’à moitié, mais pourtant assez plausible pour qu’il les laisse travailler presque à leur guise. Au moins pouvait-il travailler à son rétablissement, et élaborer attentivement ses plans futurs, bien qu’il ait tendance à se concentrer davantage sur le résultat, que les moyens permettant d’y parvenir.

Cela prenait du temps, de préparer la conquête du monde.

D’ailleurs, avec ses nouvelles charges, Zane risquait de ne pas pouvoir assurer toutes les missions, et la dernière lui prouvait qu’envoyer uniquement Zair et Tekris n’était pas une solution idéale.

Allongé sur son lit, grognant à la piqûre désagréable de sa poitrine, mains croisées derrière la nuque, il réfléchit pour trouver une solution à cet embêtant problème. Il ne pouvait faire toutes les basses besognes après tout.

Un sourire mauvais étira ses lèvres. Mais après tout, d’autres pouvaient se salir les mains à sa place. De son souvenir, la dernière fois qu’il les avait croisés, les Imperiaz ne semblaient pas crouler sous le travail. Et avec la disparition de Lokar, ils devaient sûrement faire plus de grasses matinées que de défis kaïru, vu leur fainéantise. Un peu d’exercice et de servitude ne leur ferait sûrement pas de mal. Seulement, si lui savait qu’il était le nouveau maître, ces trois-là risquaient de ne pas le comprendre autrement que par la force. Il allait devoir être persuasif pour que ces crétins saisissent l’étendue de son pouvoir.

Une vague pensée lui glaça le sang, précipitamment écartée. Il se releva brutalement, repoussant avec rage la couverture, avant de se lever. Il était Zane, personne d’autre. Il ne ressemblait à personne. Jamais. De nouveau l’impression de brûlure lui traversa la poitrine, mais il l’ignora, marchant vers la porte en titubant, à cause du sol qui vacillait suite à sa levée trop brutale. Occuper ses pensées avant de sombrer dans de dangereuses comparaisons était sa seule préoccupation.

Ouvrant la porte avec des mains moins assurées qu’à l’habitude, il s’avança de quelques pas dans le couloir, inspirant profondément. Les voix de ses coéquipiers lui parvinrent à travers une porte entrouverte, sur sa droite. Apparemment, personne ne l’avait entendu sortir.

Peut-être était-ce l’occasion d’en apprendre un peu plus. Ses pas se firent velours, la peau de sa poitrine le tiraillant désagréablement malgré ses précautions. Près de la porte, il écouta la conversation. À peine quelques secondes.

– Au moins, tu n’as plus de raison de t’inquiéter. Il est apparemment en très grande forme, et son caractère ne s’est pas amélioré, au contraire ! J’ai bien cru qu’il allait nous envoyer promener à coup d’attaque kaïru !

Zane ne put pas en entendre plus. Son humeur, déjà franchement orageuse, s’assombrit encore considérablement. Comment résister à l’envie de faire une entrée théâtrale, et surtout de remettre ce petit malin à sa place, à faire le brave pendant qu’il le croyait allongé sur son lit ? N’avait-il pas compris le respect dû à sa toute-puissance ?

– Mon caractère va très bien, merci. Et s’il était aussi mauvais que tu le prétends, je me serais déjà débarrassé de toi Tekris.

Le plaisir de voir l’autre adolescent sursauter et se retourner d’un air confus, incapable de déterminer ce qu’il devait dire, fut un agréable spectacle pour ses yeux.

– Oui, c’est ce que l’on voit. Tu arrives à te lever sans problèmes ? intervint Zair, sans paraître particulièrement impressionnée.

– Pour qui me prends-tu exactement ? Évidemment que je suis capable de mettre un pied devant l’autre sans tomber ! Une attaque kaïru ne peut pas me faire disparaître aussi facilement, aussi puissante soit-elle ! À moins d’être spéciale…

Faisant mine de ne pas comprendre ses insinuations, Zair haussa les épaules, s’excusant vaguement. Vexé qu’elle le croie aussi faible, Zane décida de tourner les talons après un regard menaçant envers ses vis-à-vis, ne relevant pas les frasques de Tekris. Mieux valait laisser faire les menaces non dites. Et vu sa tête, il risquait de ne pas laisser pendre sa langue avant un long moment.

Alors qu’il s’apprêtait à passer le pas de la porte, Zane entendit la voix de Tekris :

– Mais tu es vraiment certain que tout va bien ?

– Parfaitement, marmonna l’intéressé d’un ton bas et lourd.

Ne pas éliminer tout de suite son coéquipier, il pouvait en avoir encore besoin. Mais mieux valait pour le colosse penser à ne pas le pousser trop fort, au risque de se prendre les orties.

Après quelques minutes de marche, Zane parvint à se repérer suffisamment pour savoir qu’il se trouvait dans l’aile est, presque à l’opposé des appartements de Lokar. S’il ne se trompait pas, l’explosion s’était produite au niveau de la réserve de kaïru du Maître. Parfois, lorsque Lokar le croyait occupé à déposer le fruit de ses efforts, Zane s’arrangeait pour entrapercevoir ce qui semblait être une alcôve très bien dissimulée. Que Lokar soit paranoïaque au point de dormir près de la fantastique énergie ne le surprenait pas outre mesure, mais il s’était fait la réflexion que ce n’était sûrement pas là qu’étaient entreposés ses biens les plus précieux.

L’adolescent frissonna quand le nom de Lokar retentit dans sa tête. Il ne croyait pas à sa soi-disant survie – qui aurait bien pu survivre suite à pareil incident ? –, mais son rêve (hors de question de le voir autrement) ne quittait pas ses pensées, en dépit de ses tentatives.

Après tout, je suppose que transvaser quelques-uns de mes X-drives dans mon ancien X-Reader ne peut pas faire de mal. Et puis, je le prendrais aussi en mission… au cas où.

Mais où l’avait-il entreposé, au fait ? Bref. Suite à cela, il s’était demandé si cette alcôve faisait office de chambre, ou s’il y avait une autre pièce de repos pour le Maître du mal. La plupart des rencontres entre celui-ci et ses E-Teens étant le plus souvent faites dans l’obscurité, le découvrir sans se faire remarquer de Lokar n’avait pas été chose facile. Mais il ne fallait jamais douter de l’entêtement de l’adolescent, surtout quand il pensait que cela pouvait l’aider à gravir les échelons. À force de prétextes et d’excursions, voir de missions de surveillance, il avait fini par découvrir que Lokar possédait également une autre chambre à coucher, où il entreposait les objets importants peu volumineux et n’étant pas d’une importance absolue, ainsi qu’une pièce plus grande où ses biens les plus précieux étaient conservés. Sûrement là que les expériences sur le kaïru avaient eu lieu, mais cela restait une supposition. En somme, la clé de la prison des parents des Imperiaz devait se trouver dans la première. Le problème étant que ladite chambre se trouvait à proximité de la réserve de kaïru. Et les chances que ce qu’il cherchait soit enseveli, voir détruit, n’étaient pas négligeables. Mais on ne pouvait pas savoir avant d’avoir essayé, n’est-ce pas ?

Profitant d’une ouverture dans la paroi métallique, Zane sauta pour se retrouver à l’extérieur. Mieux valait emprunter le couloir utilisé par les E-Teens pour entrer et sortir de la forteresse, comme ça il se retrouverait au plus près de l’ex-réserve. À sa connaissance, c’était le plus court chemin, et il pourrait toujours bifurquer vers une voie plus directe si besoin. Il avança sur la glace, se frottant vigoureusement les bras. S’il pensa à prendre son X-Reader avant de s’engager, son T-shirt était resté à l’intérieur dans sa précipitation. Mais hors de question de rebrousser chemin, pas alors qu’il avait autre chose à faire. Retrouvant le passage secret de Lokar, il s’y engouffra d’un pas rapide, promenant son regard sur les murs lézardés. Attentif pour ne pas se retrouver pris au piège du labyrinthe de Lokar (une fois, n’ayant pas averti son maître de sa venue, il avait perdu plusieurs heures à tourner en rond sans pouvoir trouver le bon chemin), il se dit que les fondations de la forteresse tenaient encore très bien. Une autre bonne raison de s’y installer. Le destin lui souriait décidément en ce moment !

Il changea d’avis quand, au détour d’un chemin, il se retrouva nez à nez avec un tas de gravats qui bloquaient le passage. Sans solutions visibles pour le contourner, évidemment. Prenant son X-Reader, Zane passa en revue ses attaques. Il lui restait facilement une bonne moitié du chemin à parcourir, alors une attaque rouge risquait de créer plus de dégâts que de solutions. Et le chemin ponctué encore de nombreux tournants l’empêchait de se faire un passage en ligne droite.

Son pouce suspendit son geste devant l’attaque des « dague en plume ». Cela lui donnait une autre idée, qui lui ferait probablement gagner de précieuses minutes.

Rebroussant chemin, il ressortit rapidement du passage obstrué, essuyant la sueur qui perlait à ses tempes. Reprenant son souffle à l’extérieur, il fixa la masse sinistre de la forteresse, repérant l’endroit approximatif de la chambre de Lokar. Établissant un semblant de cartographie mentale, il souffla un grand coup avant d’empoigner la glace à deux mains, commençant son ascension. Pour pouvoir mettre son plan à exécution, il devait se rapprocher un peu plus de son objectif. Bien sûr, il aurait pu aller un peu plus loin pour avoir moins à escalader, mais il risquait de se faire voir par Zair ou Tekris ; or, il avait assez supporté leur écœurante et ridicule inquiétude ! Il allait accomplir cette pseudo-mission seul – après tout, c’était lui le chef désormais ! – et faire taire une bonne fois pour toute leurs questions sur sa santé ! Il allait très bien, et ils allaient vite s’en rendre compte !

Quoique, songea-t-il après quelques minutes, peut-être était-il légèrement fatigué. Il n’avait commencé son ascension que depuis peu, mais déjà sa poitrine le tiraillait désagréablement, et ses muscles, pourtant habitués à être sollicités, devenaient douloureux. Absolument rien d’insurmontable ! Il était bien trop puissant pour s’arrêter à de si petits détails, s’admonesta-t-il en se hissant sur une plateforme de glace en grimaçant. Il n’avait strictement pas mal ! Si seulement les deux idiots qui lui servaient de E-Teens ne l’avaient pas énervé, il n’aurait pas eu à s’embêter de la sorte ! Vraiment, il n’était pas aidé ! Mais patience, dès qu’ils se rendront compte de ce qu’il accomplissait seul, nul doute qu’ils arrêteraient de parler dans son dos et de le traiter comme ils le faisait. Car s’il pouvait grimper une montagne à mains nues et par un froid de canard, alors que c’était sa faiblesse, il pouvait très bien leur lancer une attaque destructrice par un accès de mauvaise humeur. Ils craindraient ses colères plus encore, et feront tout pour ne pas le contrarier, y compris obéir à ses désidératas les plus farfelus s’il en donnait l’ordre. La peur seule était le seul moyen fiable d’assurer son empire, et il y arriverait !

Par contre, la prochaine fois que je croise Maya, je lui ferai comprendre ce qu’il en coûte de s’en prendre au grand Zane.

Arrivant à une hauteur qu’il jugea satisfaisante, Zane cala son pied dans une anfractuosité afin de dégager sa main.

– Dagues en plumes ! Invoqua-t-il, vérifiant malgré lui que son exclamation ne déclenche pas une avalanche.

Dirigeant l’attaque contre la paroi glissante, les plumes verdoyantes de la taille de petites épées se fichèrent les unes derrière les autres dans un mouvement ascendant, créant un escalier à même la tour jusqu’à la chambre. Posant prudemment un premier pied sans lâcher tout de suite la glace pour vérifier que cela supportait son poids, il posa le premier pied, puis l’autre, le cœur tambourinant douloureusement. La hauteur était plus importante que ce qu’il croyait… Pour la première fois depuis le début de son ascension, il regretta de ne pas avoir confié cette mission à ses larbins. S’il avait été moins remonté contre eux, sûrement l’aurait-il fait d’ailleurs. Mais à présent, en équilibre précaire sur une attaque ne durant qu’un temps limité, hors de question de faire marche arrière, quelles que soient les difficultés. Il avait sa fierté tout de même !

Progressant aussi vite que possible, les mains crispées sur la paroi de glace pour se maintenir comme il pouvait, il parvint finalement à l’emplacement souhaité. Si sa mémoire était bonne, la chambre en question ne se trouvait pas attenante à l’extérieur, plutôt située vers le milieu de la tour. Le verre de la fenêtre devant lui ayant été explosé, l’adolescent n’eut qu’à chasser avec ses mains gantées les morceaux affleurant pour pouvoir entrer. À peu de choses près, car presque au moment où il passait son pied dans l’encadrement, sa précédente attaque expira, manquant de le faire glisser et tomber dans le vide. Sautant prestement par la fenêtre, il jeta par réflexe un regard derrière lui avant de détailler les lieux. Il se trouvait au plus proche du lieu de l’explosion, exceptées les parties détruites : les gravats jonchaient le sol, des pans entiers du plafond s’étaient écroulés, entraînant dans leur chute les étages supérieurs, faisant que la plus grande partie de la pièce se révélait presque impraticable. Cependant, la partie face à la fenêtre avait été raisonnablement conservée grâce aux poutres porteuses, empêchant la forteresse de sombrer, pour le moment. Elles avaient néanmoins plié sous le poids de leur charge, et bien que Zane ne soit pas un expert dans le bâtiment, aucun douta qu’il faudrait les remplacer par la suite. Mais l’agencement particulier de la sinistre tour faisait que les parties externes situées à l’est tenaient grâce aux fondations, celles-ci ayant été épargnées. Seul le haut avait vraiment été détruit par le souffle de l’explosion, permettant le maintien du reste. En somme, même si les poutres cédaient, il y aurait toujours une partie de la forteresse debout. Même si une moitié de celle-ci restait toujours moins impressionnante que le reste.

Une fois passé l’amas de pierre et de bois, en évitant les endroits où le plafond s’était effondré, Zane remarqua, entre deux interstices, ce qui s’apparentait à un chemin encore praticable, en dépit de l’état des pièces avoisinantes. Après avoir vérifié que lancer des « grenades visqueuses » ferait plus de mal que de bien, l’adolescent entreprit de passer au travers du méli-mélo. Un peu de plâtre lui tomba sur les cheveux quand il effleura de trop près une partie de mur soutenant vraisemblablement la pièce supérieure. Accélérant malgré lui le mouvement songeant que si le tout décidait de s’effondrer alors qu’il était encore en-dessous, il y aurait du pâté d’alien en entrée ce soir, il se morigéna, se convainquant que le tout était parfaitement stable, se forçant à ralentir.

Débouchant dans le couloir, il se frotta les cheveux, avant de s’appuyer au mur et se laisser glisser au sol. Sollicitée lors des quelques fois où il avait dû se tordre un peu pour passer, sa blessure le lançait affreusement, au point que le soulèvement de sa poitrine le faisait grimacer. Un luxe qu’il se permettait, puisque personne n’était présent pour constater sa faiblesse momentanée. Encore une fois, il se demanda pourquoi une « pointe de glace » lui faisait cet effet. Glissant son regard sur le blanc du bandage, l’envie de le soulever lui traverser l’esprit, l’adolescent se figea, tendant l’oreille.

– Zane, bon sang, mais où es-tu passé ! cria la voix de Zair, à l’extérieur de la forteresse. Reviens !

– Fais pas l’idiot, renchérit Tekris, montre-toi !

L’intéressé marmonna, vexé d’être traité d’idiot, même indirectement, par le colosse. Décidément, il ne pouvait pas être tranquille quand il le voulait.

De plus en plus agacé, en dépit de ses douleurs, il se releva prestement, bien décidé à revenir avec la fameuse clé uniquement. S’engouffrant dans le tournant, il entendit les voix de ses coéquipiers s’affaiblir, pour finalement n’être plus que de vagues sons presque inaudibles.

Plus il avança, plus il remarqua que seule la partie à sa gauche se trouvait trop détruite pour être simplement consolidée, et déblayée. Celle à sa droite, hormis quelques fissures et lézardes, tenait plutôt bien en place. Levant les yeux, il remarqua qu’au lieu de simples poutres en bois ou pierre, les murs et les moulures du plafond étaient faits en roche extraterrestre, que Zane savait être réputée pour sa résistance. Sans parler de son prix, extrêmement onéreux. Comment s’appelait cette planète, au fait ? Phinée ? Caprée ? Quelque chose en « é », en tout cas.

À seulement quelques mètres de la chambre de Lokar, il ne croyait pas à la coïncidence. Il sut qu’il avait raison lorsque, devant la porte menant à son objectif, il l’ouvrit pour découvrir une pièce certes en désordre à cause des secousses de l’explosion, mais épargnée par le souffle le plus destructeur.

Si Lokar avait survécu, nul doute qu’il se serait réfugié ici le temps de reprendre des forces.

Il s’admonesta une gifle mentale. Lokar ne pouvait pas être vivant, c’était impossible ! Sinon, il se serait de toutes façons déjà montré, vu comme il ne pouvait s’empêcher de surveiller les faits et gestes de ses E-Teens. N’allant pas plus loin dans ses réflexions sur le sujet, Zane commença à chercher où l’ex-Maître du mal avait caché ses babioles. Grâce à un tour de son invention (ses lèvres s’étirèrent alors qu’il mimait de tracer un cercle dans les airs, ironique), il savait que les plus importantes étaient soigneusement cachées dans un petit coffret. Restait juste à savoir où était celui-ci exactement.

Craquant les jointures de ses mains, l’adolescent entreprit de fouilles le désordre jonchant le sol de la chambre, écartant sans douceur le moindre objet dérangeant sa progression. Fouilla les alentours du regard devant son échec à dénicher quelconque meuble ressemblant de près ou de loin à un coffre. Après tout, si l’on gardait à l’esprit qu’il s’agissait de la chambre d’un Maître du Mal, rien ne dénotait particulièrement, conclut-il avec agacement, tirant sur les branches métalliques d’un petit objet de la taille de sa main, évoquant un parapluie ne conservant que ses baleines. Délaissant sa trouvaille, dont il ignorait de toute manière la fonction, il tapota les murs, cherchant à déterminer si l’un d’entre eux pouvait être creux.

Se retrouvant à nouveau les mains vides, Zane dut réfréner la montée de colère bouillonnant dans son sang, répétant l’opération sur le sol, composé d’un alliage de pierre et d’armatures si sombre qu’elles paraissaient invisibles au premier abord. Rien, évidemment.

Réfléchis un peu, Lokar ne laisserait jamais les plus précieuses de ses babioles à portée de main du premier venu. Quel système de protection aurait-il bien pu enclencher pour être le seul à accéder au coffret ?

Sans oublier que son ancien Maître tendait à confectionner des pièges à la fois compliqués, et simples, persuadé que personne d’autre ne pourrait jamais accéder à ses trésors.

Comment faisait-il pour protéger son trésor le plus important, le kaïru ?

Un sourire mauvais étira les lèvres pâles. En utilisant son kaïru intérieur, seul capable de soulever la dalle permettant d’accéder aux cuves de Lokar. Et d’ouvrir la porte menant à la salle où se trouvait cette dernière, si l’individu en question n’avait pas reçu l’autorisation de l’homme.

Délaissant l’espèce de candélabre horrifique qu’il retournait entre ses doigts, Zane se plaça au centre de la pièce. Fermant les yeux, il joignit ses poings comme pour un lancer un défi. Il se concentra sur les résidus d’énergie kaïru tout autour de lui, laissant le vide se faire lentement en lui, luttant pour laisser ses pensées s’écouler au lieu de les empêcher d’envahir son esprit. Si ses suppositions étaient justes – et elles le seraient, il n’en doutait pas une seconde –, en se concentrant suffisamment, le nouveau chef des E-Teens devrait finir par ressentir l’énergie qui avait été utilisée pour dissimuler le coffre au regard. Bien sûr, l’idéal serait que Lokar ait vérifié le bon ordre de ses babioles juste avant sa disparition, afin que les traces soient les plus récentes possibles. Sinon… eh bien, Zane aviserait.

De longues minutes de calme absolu s’écoulèrent. Puis, il sentit comme une légère pulsation, toute proche de lui. Elle sembla le caresser, l’effleurer, comme pour le jauger. Souriant légèrement, Zane se laissa faire. Comme rien d’autre ne se passa, il tenta de la localiser plus précisément, l’invitant à se montrer au grand jour. Il parvenait à sentir les traces de kaïru utilisé par Lokar, alors il se concentra plus précisément dessus. Mais malgré ses efforts, la fameuse boîte refusa de se dévoiler. Or ouvrir les yeux risquait de le déconcentrer, perdant la pulsation. Il ne pouvait pas prendre ce risque. Utiliser cette technique qui requérait de la patience et beaucoup de calme n’entrait pas, et de loin, dans sa zone de confort. Ironiquement, il se dit qu’il devait vraiment être désespéré d’obtenir ce coffre ; ce n’était pas son habitude, de perdre autant de temps. Ce genre de considérations, il les laissaient volontiers à Zair. Plus hilarant encore, ce serait une technique apprise de Maya* qui lui permettrait d’obtenir l’objet de ses désirs ; elle qui refusait soi-disant d’aider le « mal », de quelque manière que ce soit !

Devant l’absence de résultats, il tenta alors une autre approche. Inspirant profondément, il visualisa une brume bleutée de kaïru apparaître, puis celle-ci se replier sur elle-même jusqu’à former un minuscule vortex, duquel s’échappait une petite boîte. L’apparition privilégiée des reliques gorgées de kaïru. Ne sachant que de loin l’apparence du coffre de Lokar, il se focalisa sur son désir d’obtenir la clé qu’il recherchait, pour laquelle il s’était donné du mal.

Par tous les moyens !

Sentant la pulsation gagner considérablement en puissance, il rouvrit les yeux, une main en visière pour se protéger de la lumière qui venait d’apparaître. Avant d’éclater d’un rire largement autosatisfait. Devant lui, flottant en l’air à hauteur de son ventre, trônait le coffre de Lokar. Avide de son contenu, il le saisit à pleine main, l’intensité de la lumière décroissant rapidement. Il ne prêta guère attention aux dorures et aux frises finement travaillées, ne regardant qu’avec une légère curiosité le L stylisé gravé sur le couvercle – probablement le signe de Lokar. Soulevant le couvercle de l’objet, de la dimension d’un tiroir de table de chevet, son sourire s’agrandit en voyant la clé, en cristal vert clair, brillant légèrement sous l’éclat d’un faible rai de lumière, comme un présent pour lui, le nouveau maître.

Ne t’inquiète pas ma grande, nous allons faire de grandes choses ensemble, tu verras…

Il ricana intérieurement en passant la clé autour de son cou, ignorant la petite pointe aiguë lorsqu’elle vint taper contre sa poitrine. Il avait la clé de l’obéissance des Imperiaz, et un nouveau moyen de gagner encore plus de puissance, de kaïru, et d’asseoir son autorité. Dire qu’il n’aimait pas la blondinette qui faisait office de chef de cette équipe était un euphémisme. En particulier avec sa manie de l’appeler « face de lézard » !

Cela ne l’atteignait pas plus que cela, mais pour le principe.

Zane, tout à son exaltation, manqua jeter le coffre sur le sol, se ravisant au dernier moment. Après tout, peut-être trouverait-il quelque chose d’intéressant, surtout si Lokar était vivant.

Devoir perdre encore un temps pouvant être consacré à la conquête de l’Univers lui déplut, mais malgré lui cette idée ne le quitta pas. Quelques papiers, une paire de gants un peu trop grands pour lui, une statuette faisant la moitié de sa main représentant un dragon enroulé autour d’une épée, quelques pièces de diverses planètes, deux livres sur le kaïru, et enfin un rouleau de parchemin.

Décidant d’explorer le tout en détail plus tard, il referma la boîte. Il allait la stocker bien précieusement, résistant à sa première idée qui lui disait qu’il s’agissait surtout d’un tas de bazar.

Au pire, aurait-il toujours de quoi négocier si besoin.


µµµ


Débouchant de nouveau à l’air extérieur, Zane vit que le temps s’était encore gâté depuis son entrée dans la chambre de Lokar. Il vérifia que Zair ou Tekris ne se trouvait pas dans les parages, continuant à le chercher. Ne voyant personne, il repassa de l’autre côté de l’encadrement de la fenêtre, avant de se stopper. Relancer la même attaque grâce à laquelle il s’était introduit était risqué ; son angle de tir n’était pas le même, le vent se levait, et la descente promettait d’être délicate. Où très amusante, son humeur étant bien meilleure.

Balayant les alentours du regard, il repéra l’endroit qui lui semblait le plus stable et le plus adéquat.

– Rayon cryogénisant, invoqua-t-il, accompagnant sa voix d’un geste du poignet.

Un faisceau d’un bleu aquatique jaillit de sa paume, créant une rampe de glace plongeant jusqu’au sol. Une fois celle-ci à sa convenance, il utilisa un « coup de fouet à énergie ». L’attaque enroula autour d’un stalactite deux fois plus épais que son corps ; basculant dans le vide, Zane se propulsa jusqu’à la rampe. Atterrissant à une dizaine de centimètres du bord, il inclina son corps pour se rétablir, prenant garde à rester debout sur ses pieds jusqu’à se retrouver sur la glace du sol. Emporté par son élan, quelques mètres lui furent encore nécessaire avant qu’il ne s’arrête totalement, s’aidant en freinant de la main. Se relevant, il soupira devant ses gants complètement trempés à force de toucher la neige et la glace environnante.

– Ah ah ah ! Et encore une manœuvre sublime du grand Zane ! cria-t-il à l’immensité blanche.

Son exclamation lancée, l’adolescent jugea mériter un repos digne des rois. L’adrénaline retombant, une vague de fatigue l’envahit brusquement. La clé autour de son cou sembla peser des tonnes sur son sternum, qui le lançait définitivement beaucoup trop pour une simple attaque kaïru. Presque comme s’il avait fait un usage intensif de ses attaques, alors qu’il sortait de plusieurs jours de repos forcé. À peine avait-il utilisé deux ou trois X-Drives pour ne pas perdre la main, et même pas des attaques en force.

Entendant des pas précipités dans la neige, quelques mètres derrière lui, il se redressa instantanément, se reconstituant un visage neutre, quoique légèrement supérieur.

– Mes braves E-Teens, vous arrivez à point nommé !

– Zane, mais où étais-tu passé ? Ça fait plus d’une heure qu’on te cherche, et avec le temps qui se gâte, on aurait pu avoir du mal à te retrouver, s’exclama Tekris en se positionnant à ses côtés.

Zair suivi son coéquipier, se rapprochant pour le soutenir en cas de besoin.

Quant à savoir soutenir qui, Zane l’ignorait, et s’en moquait royalement, tout à sa gloire. Pensant que ses coéquipiers fixaient déjà la clé autour de son cou, le coffre ayant mystérieusement disparu durant sa glissade, il décida, grand prince, de défaire immédiatement l’inquiétude froissant leurs visages. Ôtant la clé d’un geste théâtral, il la présenta aux yeux des deux autres, qui sursautèrent étrangement, la dévisageant comme s’ils la découvraient.

– Ceci est une nouvelle marque de notre toute-puissance ! annonça-t-il, exultant.

– D’accord, l’interrompit Zair, mais qu’est-ce que c’est ?

– La clé de la prison des parents des Imperiaz. En l’apprenant, ils seront bien obligés de se mettre à mon service, et nous aurons plus de kaïru encore !

– Ça alors ! Et tu es allé la récupérer seul ? demanda Tekris, impressionné.

Zane acquiesça, ravi de voir l’admiration qu’il voulait sur le visage de ses vis-à-vis. Au moins avait-il raison : les deux autres se montrèrent surpris, au fil de son récit, de tout ce qu’il avait fait pendant qu’ils le cherchaient en vain, s’attendant à le voir encore convalescent quelques temps. Mais bien que Tekris écouta attentivement, Zair croisa les bras avec une petite moue, de plus en plus dubitative au fur et à mesure de la tirade.

Réalisant peiner à maintenir son masque d’impassibilité, Zane évita de la regarder, optant pour mimer une indifférence nonchalante. Il conservait naturellement une attitude dominante, mais Zair était la personne le connaissant le plus. À quelques exceptions près, elle savait déceler les petits tremblements presque imperceptibles traduisant son épuisement qu’il censurait en continuant de marcher dans la neige. Peut-être sentirait-elle également qu’il avait utilisé son kaïru intérieur récemment, les reproches affleurant peu après. Seulement, il absorbé par son exploit, il ne tint pas compte de ces considérations, ressassant encore et encore les moindres détails de son éclatante réussite.

Cependant, elle ne put s’empêcher de reconnaître que ce n’était pas si mal, de ce qu’elle entendait, ajouta-t-elle prudemment. Bien qu’elle ne montrât pas autant d’enthousiasme qu’il l’aurait souhaité.

Finalement, la jeune femme émit un doute, auquel Zane n’avait que très peu pensé.

– Les Imperiaz ne sont pas vraiment une équipe très puissante. Est-ce qu’on a vraiment besoin d’eux ?

S’interrompant pour se retourner vers elle, Zane répondit en baillant :

– Nous ne pourrons pas toujours assurer toutes les missions avec nos nouvelles responsabilités, sans compter la restauration de la forteresse (Zair et Tekris s’échangèrent un regard interloqué. Ah oui, il avait oublié d’évoquer ce petit détail). Avoir deux équipes permettra, si plusieurs reliques sont détectées en même temps, de gagner encore plus de kaïru pour devenir plus puissants ! Et puis, avoir des gens à son service est plus que gratifiant : les Stax verront que nous ne plaisantons pas, et Baoddaï nous prendra bien plus au sérieux ! Je prends la tête de tous les E-Teens, moi !

– Tant que tu ne nous ramène pas les Battacor…

– Je ne suis pas désespéré à ce point !

– Après tout, tu n’as pas tort. Ça pourra nous être utile ! Maintenant, dépêchons de rentrer, le temps devient vraiment menaçant, et il va falloir être en pleine forme pour exécuter ton plan.

– Au fait, renchérit Tekris, tu sais où est la prison de Lokar ?

– Bien sûr que oui ! Le plus long sera d’attendre que les Imperiaz, eux, retrouvent leurs parents.

– C’est vrai, approuva Zair, poussant les deux garçons vers la forteresse sans grande douceur. Décidément, tu n’as pas chômé en ton absence !

– Être le nouveau chef exige de donner de sa personne, rétorqua pompeusement Zane en étouffant un nouveau bâillement. Et puis comme ça, vous arrêterez de me brider, puisque je suis capable d’accomplir des missions seul !

– Effectivement, confirma Tekris en soulevant la couverture pour qu’il se couche.

Depuis quand étaient-ils de retour dans son ébauche de chambre ? Zane ne s’était rendu compte de rien. Mais ce n’était pas plus mal, conclut-il. Il se sentait vraiment épuisé de cette expédition solitaire. Et puis finalement, le lit n’était pas si inconfortable, les autres n’avaient pas trop mal travaillé. Sans compter qu’il avait plus que mérité un peu de repos.

Se tournant dos à la porte, la tête calée dans le creux de son coude, il entendit vaguement la voix de Zair annoncer qu’elle changerait sa bande plus tard, puis sombra dans un sommeil lourd, la tête lourde de projets de domination et de conquête.


µµµ


Du geste délicat d’un habitué, l’adolescent trancha gorge de la jeune femme rousse, solidement maintenue dans sa poigne de fer, sans écouter ses supplications. Quelque chose à propos du fait de ne pas se mettre en travers de son chemin, peut-être.

Le corps recroquevillé par la peur s’écroula dans un bruit mat tandis que le visage terrifié continuait de fixer le vide, suspendu. Une tache de sang sombre s’élargissant rapidement sous elle, souillant la moquette bon marché recouvrant le sol. L’adolescent soupira d’agacement, les oreilles harassées par les cris aigus d’un enfant terrifié dans la pièce d’à côté. Un « bouh ! » suivit d’un éclat de rire retentit, puis le bruit d’une détonation un peu trop puissante pour être celle d’un simple coup de feu.

Soupirant de nouveau, mais de soulagement cette fois face au calme retrouvé, il rejeta la tête au loin, s’étonnant de ne pas l’avoir fait plus tôt. Il enjamba le corps de la femme finissant de se vider de son sang, prenant bien garde à ne pas salir son pantalon. Son père venait juste de le lui offrir, ç’aurait été bien bête.

Poussant la porte d’un coup de pied, il leva les yeux au ciel en voyant sa coéquipière s’amuser à fouiller l’armoire de ses victimes, en quête d’une frusque intéressante.

– Non mais regarde-moi ça, aucun vêtement neuf dans toute la baraque ! Comment je vais faire moi, l’une des gamines a roussi ma veste !

– Nous nous occuperons de tes soucis vestimentaires plus tard. Pour le moment, il faut retourner voir mon père, et lui annoncer que les Phosyas ne constituent plus une menace.

– Tu l’as dit, ricana la jeune femme en observant avec satisfaction un petit cadavre, méconnaissable tant il avait brûlé. À moins que tu ne croies aux esprits vengeurs bien sûr, aucun ne devrait chercher à s’emparer du trône de fer !

– Le quoi ?

– Bah rien, une référence terrienne.

– Au lieu de dire des bêtises, va chercher Adriel, nous…

L’adolescent se tut, portant la main à sa tempe. Se retournant, surprise par son silence, sa comparse laissa ses lèvres s’étirer en un sourire avide.

– Papa appelle ses chiens de chasse ? demanda-t-elle avidement.

L’autre hocha la tête, fermant les yeux comme s’il était en pleine conversation mentale. Enfin, il les rouvrit, presque aussi ravi que sa partenaire.

– Changement de programme. Nous allons sur Terre : un autre phare s’est allumé dans la nuit.


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* voir l’épisode « Maléfique Maya » de la saison 1


Bonjour, ou bonsoir !


Après un bon petit moment, ce chapitre a entièrement été révisé (quelques fautes d’orthographe corrigées, des tournures moins répétitives, moins de points de vue différents n’importe tout, etc) ; j’en profite pour remercier sincèrement BakApple, qui en a fait la correction entière – et il y avait un peu de boulot ! Si vous cherchez des fanfictions de qualité et soigneuses de leur orthographe, syntaxe, etc, je vous conseille d’aller jeter un œil à son travail !


Bref, j’espère que cette version un peu remaniée plaira autant (et même davantage) que la première, et vous souhaite une bonne journée, ou soirée !


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