L'Arche du Péché

Chapitre 3 : Le calme avant la tempête

8360 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 22/01/2021 20:02

Les ennuis commencent


Bâillant à s’en décrocher la mâchoire, Saïn s’allongea plus confortablement sur les coussins multicolores qui jonchaient le sol de la grande pièce. Ne prenant pas garde, ses pieds déchaussés se retrouvèrent en contact avec le sol éternellement glacé – à première vue, il aurait pu s’agir de marbre, mais un deuxième regard plus avisé détrompait le visiteur –, faisant remonter un frisson le long de ses jambes, qu’elle ramena vivement contre son corps. Son visage ovale prenant une moue ennuyée, elle s’efforça de lisser du plat de la main ses vêtements afin de les défroisser un peu. Elle avait beau être entrée des dizaines de fois dans cette pièce, se retrouver dans l’antichambre aux murs recouverts de soie sombre du Seigneur Héritier impressionnait toujours la daminienne qu’elle était. Même si l’agacement montant en elle en gâchait quelque peu l’effet. La patience et l’immobilité n’étaient pas ses plus grandes qualités.

Outre les tentures, des fenêtres gracieusement ajourées, leurs grilles de métal représentant des créatures fantastiques pour la plupart volantes, laissaient passer la chaleur de l’après-midi. De multiples décorations vertes, argentées et grenat ornaient le plafond dans un assemblage de figures géométriques complexes. Deux portes imposantes chantournées faites de métal sombre au motif aussi travaillé que ceux du plafond gardaient l’entrée de la pièce, tandis qu’une autre située sur le mur gauche, plus petite et d’un seul battant bien que de même forme, menait aux appartements proprement dits du Seigneur Héritier. Une table basse se tenait au centre exacte de la pièce, d’autres coussins disposés autour en guise de sièges, à l’exception d’un fauteuil drapé de taffetas blanc et pourpre tout au bout. L’odeur d’encens flottait dans la pièce, mais au lieu d’être douceâtre comme sur Terre, celle-ci était âcre, rappelant l’odeur de la poudre et de la fumée d’incendie. Cela ne paraissait pourtant pas déranger les deux adolescentes qui attendaient depuis presque une heure à l’intérieur de la chambre démesurée. Saïn la trouvait même particulièrement agréable à vrai dire.

Changeant pour la énième fois de place, en prenant garde cette fois à ne pas toucher le sol glacé, elle tripota machinalement l’ouverture de la pochette de son X-Reader. L’ayant obtenu à seulement onze ans alors que l’âge moyen était de quatorze, il faisait d’elle une Élitiste, un rang de soldat particulièrement élevé puisque capable de manipuler le kaïru de Thiers. Désormais âgée de dix-sept ans, elle se trouvait très fière de posséder cet objet rectangulaire, qui lui permettait à la fois de lancer des attaques et de se transformer en monstre, faisant d’elle l’une des daminiennes les plus puissantes de son peuple. Bien sûr, elle n’oubliait pas que jamais elle ne pourrait arriver au niveau du Seigneur Héritier – puisse sa vie être longue et constellée de victoire – capable de se moquer des distances, mais avec un peu d’entraînement, elle était certaine de finir par pouvoir dépasser Adriel. Le pouvoir et la puissance étaient les deux moteurs du Dôme, et à condition que les Trois Tabous – le Trône, le Pouvoir et la Mort – se trouvaient être respectés, tous les coups étaient permis pour s’élever le plus haut possible de sa condition. Sans se vanter, Saïn trouvait s’en être jusque-là très bien sortie. Certes, sa famille était considérée comme parvenue, mais élevée par le Seigneur Régent en personne, qui aurait eu la stupidité de l’affirmer ouvertement ?

– Pouvons-nous savoir ce qui t’amuse tellement ?

Agacée d’avoir été tirée de ses agréables pensées, Saïn foudroya sa comparse du regard. Rigide comme à son habitude, Adriel n’avait pas bougé d’un iota à partir du moment où elle s’était assise sur l’un des coussins entourant la table. Tandis que Saïn était incapable de rester dans la même position plus de quelques minutes, Adriel continuait de la fixer calmement, les lèvres pincées – un visage qu’elle n’avait guère quitté depuis que Saïn la connaissait, et cela faisait quand même neuf ans. Légèrement plus puissante qu’elle dans le kaïru selon les Recruteurs, Adriel n’était pas uniquement choyée parce qu’elle avait réussi à atteindre sa Compétence. Elle était également la promise du Seigneur Héritier, et se devait de faire ses preuves dans les Trois Tabous avant de voir sa candidature validée, et le Trône lui ouvrir les bras. Et malgré ses seize ans, Adriel n’avait plus qu’à se montrer digne de la Mort, son respect du Trône et son Pouvoir étant admis par tous.

Aussi, admettre avoir pensé être capable de dépasser la future Seigneurie Héritière pouvait se trouver dangereux… Hiérarchiquement, Adriel restait au-dessus de Saïn. Au moins pour le moment.

– Eh bien, Teos – puisse-t-il avoir une vie longue et constellée de pouvoir – nous a demandé de patienter quelques instants, et voilà bien une heure que nous attendons dans cette antichambre. Où est donc le phare que nous devons éteindre ?

– Tu n’as pas tort, approuva Adriel. Jamais un ordre de mission n’a pris tant de temps.

Saïn se retint de justesse de ricaner. La jeune femme s’arrangeait pour ne pas froisser sa compagne, mais ne se plaignait pas de l’attente. Rien d’autre que de la politesse en somme, idéale pour ne pas paraître insultante à l’une ou l’autre partie. Cette petite était faite pour le pouvoir, décidément…

Enfin, un grincement sourd leur indiqua que les lourdes portes venaient de s’ouvrir. Tournant la tête, les deux jeunes femmes observèrent Teos, Adriel toujours aussi droite, Saïn se résignant à se lever pour s’asseoir à son tour à la table. Puis Teos s’installa dans le fauteuil qui lui était réservé du geste fluide d’un habitué. Adriel fut la première à prendre la parole.

– La Terre donc, c’est cela ?

Teos hocha affirmativement la tête, jetant un regard sur une liasse de papier, tenue à la main depuis son entrée.

– Cette fois, notre mission sera peut-être plus exaltante que les autres. Tout d’abord, il ne s’agit pas de gamins à peine sortis de l’enfance. D’après notre informateur, notre cible se trouve au sein d’une organisation hiérarchisée manipulant le kaïru, appelée le Redakaï.

– Pourquoi, « Redakaï » ? C’est bizarre comme nom.

– Il s’agit du titre de l’élite de cette organisation. De ce que je sais, le Redakaï actuel est composé de sept hommes, mais ce ne sont pas les premiers Maîtres Redakaï – c’est le nom de leurs Recruteurs. Avant d’accéder à ce rang, ils sont appelés des combattants kaïru, l’équivalent de nos Élitistes, et encore avant cela des novices – nos Potentiels. C’est à partir de là que cela devient intéressant… En effet, à la base les futurs Redakaï étaient au nombre de huit. Seulement, l’un d’eux, du nom de Lokar, décida de se tourner vers le mal, et finit par être chassé du Redakaï. Néanmoins, dans sa fuite, il vola tout le kaïru de l’Univers, d’après ces écrits païens.

– Mais c’est impossible, s’écria Saïn. Cet informateur est complètement stupide ou quoi ?

– Il croyait dur comme fer à ce qu’il racontait en tout cas, mais je te rejoins, c’est impensable. Bref, Lokar se servit de toute cette énergie pour semer la destruction, réduisant une planète à l’état de néant, ce que le Redakaï appelle le Grand Cataclysme. Un homme réussit cependant à prendre le contrôle du vaisseau contenant le kaïru, pour peu de temps car Lokar le retrouva. L’homme, nommé Connor, n’eut que le temps de diriger le vaisseau vers la Terre, où il s’écrasa, le kaïru se répandant aux quatre coins du globe avant de se loger dans diverses reliques.

– Pas très malin ton Lokar, tout le monde sait que le kaïru en tant que tel est instable, incapable de vivre plus de quelques heures.

Pour la première fois, Teos sembla hésiter, pianotant avec ses doigts sur l’accoudoir du fauteuil.

– Ce que je vais vous dire, vous devrez le garder pour vous. J’ai confiance en votre bonne foi, mais si jamais vous vous avisez de me trahir en allant tout répéter au premier venu…

Outrées, les deux adolescentes sursautèrent devant une telle insinuation. Plus rapide que Saïn, qui allait répondre vertement, Adriel demanda d’une voix calme, bien que glaciale :

– Avons-nous déjà répété quoi que ce soit, à qui que ce soit ?

– Non, bien évidemment, sourit Teos. Je disais donc que ce kaïru, au contraire, une fois logé dans une relique, peut survivre pendant des années (il leva une main pour empêcher Saïn de l’interrompre). Les Redakaï formèrent leurs combattants à le récolter au nom du bien, tandis que de son côté Lokar a formé ses E-Teens à le recueillir au nom du mal. Sauf que, il y a de cela peu de temps, ce Lokar est censé avoir péri durant l’explosion de son repaire.

Incapable de se retenir, Saïn éclata de rire.

– Voilà qui est fâcheux, et particulièrement idiot !

– Tu me pardonneras de ne pas partager ton hilarité, la tança Teos, mais je n’ai pas terminé.

– Ah bon, il y a autre chose ? Tu m’étonnes que tu y ait passé tant de temps aujourd’hui !

Teos la foudroya du regard, la réduisant au silence. Toute son attitude lui indiquait clairement que le jeune homme n’avait nullement envie de plaisanter. Au contraire, son visage était grave.

Le remarquant également, Adriel se rapprocha de lui, allant jusqu’à mettre une main sur son épaule.

– Que se passe-t-il, Teos ? Notre cible est un maître Redakaï ?

Inspirant profondément, l’intéressé se redressa. Si Saïn ne le connaissait pas si bien, elle aurait pu croire son Seigneur Héritier – puisse sa vie être longue et constellée de victoire – mal à l’aise.

Cette constatation lui glaça les sangs, cependant, ce n’était rien à côté de ce qu’annonça Teos.

– Pire que cela, Adriel. Notre cible… c’est impensable, pourtant, a brisé un des Trois Tabous.


µµµ


Tapotant furieusement contre sa cuisse, Zane marmonna une aménité, à peine audible. Il était rentré de la grotte-prison retenant jusqu’à récemment les parents des Imperiaz d’une telle humeur qu’il s’était enfermé dans sa chambre, ne décrochant pas un mot depuis son avertissement du possible retour de Lokar et ses conséquences à l’adresse de l’équipe princière. N’en ressortant que rarement, pour s’entraîner ou superviser l’arrangement de la forteresse, chaque fois soigneusement évité le plus possible par Zair et Tekris attendant avec impatience qu’une nouvelle relique kaïru soit détectée. Ainsi, leur chef pourrait passer ses nerfs et se détendre sur autre chose que ses coéquipiers.

Zair, qu’il avait entendu discuter à voix basse avec Tekris, avait déclaré que s’il n’était pas content de la tournure des évènements, il ne fallait pas délivrer aussi facilement les parents des Imperiaz. Ce à quoi Tekris répondit en suggérant que c’était plutôt l’échappée des Stax qui l’avait mis dans un tel état d’humeur.

Dans un sens, Tekris n’avait pas tort : que les Stax soient libres de leurs mouvements alors qu’il les tenaient entre ses mains juste avant contribuait à la mauvaise humeur de Zane. Néanmoins, le retour futur de Lokar l’irritait encore davantage. Il avait sagement fait le sous-fifre (sauf peut-être la fois où il avait trouvé le gant de Z… Lokar, là, il admettait que le tout lui était un peu monté à la tête. Mais il maîtrisait à la perfection ce satané gant !) pendant des années car cela lui permettait de combattre les Stax, et de pouvoir patienter en attendant d’assouvir sa vengeance, jusqu’au jour où il pourrait enfin avoir le premier rôle et devenir le dirigeant suprême, celui à qui l’on obéit et non pas celui qui obéit. Alors qu’il détenait enfin sa chance, que même le X-Reader de Lokar se déposait à ses pieds, lui permettant d’acquérir un pouvoir sans limites, et surtout, après avoir goûté au règne, Lokar reviendrait, le renverrait d’où il venait, c’est-à-dire à une place de sous-fifre, et tout redeviendrait comme avant ?

Une fraction de seconde, Zane tenta d’y réfléchir sérieusement. Après tout, cela ne serait pas si mauvais, les Radikors étant l’équipe favorite de Lokar… Non, il n’arrivait pas à s’y faire ! Cette idée lui laissait un goût amer dans la bouche, lui donnant une furieuse envie de cracher. Il ne voulait pas subir à nouveau cela, et surtout, refusait de connaître l’humiliation du bannissement ! Tout son corps se révoltait, ses poings se serraient, sa mâchoire se crispait, ses muscles se tendaient, et il en arrivait à trembler de rage. En particulier, l’abandon de Zair et Tekris devant Lokar le rendait furieux, et il en éprouvait encore bien du ressentiment.

Mais Lokar était son maître, et qu’y pouvait-il ? S’il lui reprenait son X-Reader, et lui ne pourrait rien y faire, à part tenter de le convaincre qu’il ne faisait rien de mal.

Se retournant sur son lit, il mit sa tête dans son oreiller, la colère montant violemment en lui. Même en ce moment, il voulait être le grand Zane, pas l’ombre de Lokar ! Son grandissime successeur, oui, à la limite, mais pas être noyé dans les agissements de son ex-maître ! C’était en grande partie pour cela qu’il avait changé de plan à la dernière minute dans la grotte, pour se démarquer, mais avait-il eu raison ou non ? Il verrait selon ce qu’en penserait le Redakaï. Mais pourquoi Zair allait l’abandonner ?

Trois coups frappés à sa porte le firent relever la tête. Une voix féminine, écho ironique à ses pensées, traversa le métal allié à la pierre.

– Zane ? Tu viens ? C’est l’heure de dîner.

– Dehors ! cria impulsivement l’adolescent. Je suis occupé !

– Ça va, pas la peine de crier, c’était juste pour te prévenir. Tu nous rejoindras plus tard, alors ?

– C’est ce que je viens de dire.

Un long silence suivit sa déclaration, seulement troublé par le son des bottes claquant contre le métal, s’éloignant de sa chambre. Guère longtemps. Après ce qu’il estimait être le temps pour ses coéquipiers de dîner, les fracas caractéristiques d’un entraînement kaïru corsés retentirent, s’échangeant des attaques plus ou moins amicales, Zair se plaignant régulièrement d’être obligée de s’entraîner contre lui. Tenté de leur enjoindre de cesser immédiatement ce vacarme, l’irascible extraterrestre décida finalement de laisser tomber, plongé dans ses sombres pensées.

Après avoir ruminé une bonne partie de la soirée, il pouvait bien s’accorder un peu de repos, décida-t-il, se laissant tomber sur son matelas en soupirant.


µµµ


Levant les yeux au ciel, habituée aux mouvements d’humeur de son chef d’équipe, Zair repartit en serrant les dents. Depuis presque une semaine elle obtenait la même réponse chaque soir, mais l’humeur de Zane paraissait particulièrement dévastatrice, pour lui comme pour les autres. Une seconde, elle décida qu’elle allait arrêter de venir le chercher, trouvant toutes les bonnes raisons possibles et imaginables – à commencer par le fait qu’elle n’était pas là pour se faire crier dessus –, avant de laisser tomber. Bien sûr qu’elle reviendrait le lendemain soir, comme tous les autres soirs, malgré les réactions excessives de Zane. Elle ne voulait pas le laisser seul trop longtemps, ou à trop ruminer après tout, s’avoua-t-elle. Mais lui semblait hermétique à tout en ce moment. Tekris lui-même disait qu’elle ferait mieux de le laisser tranquille quelques temps, mais elle n’y arrivait pas. Ou pas encore, songea-t-elle amèrement.

Était-il vraiment très sage de s’accrocher à l’adolescent si caractériel, comme elle le faisait du moins ? Elle devrait peut-être plutôt le considérer seulement comme son chef d’équipe finalement… Cette idée lui faisait mal malgré elle, mais après tout, peut-être s’agissait-il du mieux pour tous les deux, Zane lui-même semblant avoir oublié depuis longtemps qu’un jour il en avait été autrement.

Lorsque Tekris, terminant de mettre la table, la vit franchir la porte avec un air aussi sombre que ses pensées, il ne demanda rien, se contentant d’enlever le troisième couvert. Ni elle ni lui ne voyaient de vaisselle, en plus de celle des deux combattants, le matin. Après tout, cela ne le regardait pas, néanmoins Zair finissait par s’en inquiéter. Il ne voulait pas s’en mêler, évitant autant qu’il lui était possible toute sorte de tempêtes, physiques ou non, seulement il trouvait avoir assez laissé l’adolescente se charger de Zane, l’admirant secrètement de n’avoir jamais cédé à ses colères.

Ce soir, après le repas, décida-t-il, je ferai un plateau pour Zane et je le forcerai à l’avaler, enfin j’essaierai. Comme ça, Zair arrêtera peut-être de s’inquiéter.

Déposant le plat sur la table, il fit semblant d’allumer une télé imaginaire, avant de jouer le rôle de commentateur d’un match de space-ball qui n’existait que dans son imagination. Après l’avoir d’abord regardé avec surprise et vérifié que Zane ne débarquait pas en criant qu’il voulait du calme, sa coéquipière se prit au jeu, riant parfois des maladresses de son équipier qui inventait n’importe quoi, voire des règles, pourvu que son équipe favorite imaginaire gagne, quelle qu’elle soit.

– Ah bon, la balle qui rebondit hors du terrain, ça vaut deux points pour l’équipe ?

– Ouais, c’est une nouvelle règle qui est passé juste avant la rencontre. Beau match hein ?

– Pas mal en effet, lui sourit-elle.

La soirée se déroula calmement pour les deux combattants, qui ne virent pas l’ombre de leur chef. N’étant pas fatigués, ils décidèrent de sortir s’entraîner un peu, priant pour une relique, l’inaction commençant à leur peser péniblement, habitués à parcourir le monde afin de récolter de l’énergie.


µµµ


Alors qu’il tentait d’interpréter les derniers évènements, Zane sombra dans un sommeil lourd, le fatiguant davantage qu’il ne le reposa. Dans un premier songe, dénué de logique comme s’il obéissait à ses propres lois hors de cette réalité, il se vit de retour à l’époque où il était encore élève de Baoddaï, s’enfonçant dans une marée noire sous les rires de Ky et le regard du maître kaïru qui clamait qu’il n’était pas assez puissant. Tandis qu’il se débattait pour s’extirper de la vase gluante dans laquelle il coulait impitoyablement, soudainement, les contours environnants s’effacèrent, laissant place à une falaise, non loin du monastère. Assis sur une pierre, il regardait la mer, laissant Zair et Tekris fouiller les alentours à la recherche d’une relique, les X-Readers des adolescents battant leurs hanches.

Une remarque sous-entendant sa passivité, venue de Tekris, excita sa colère. D’un main, il invoqua les « rochers ravageurs », manquant faire s’écrouler la falaise. Un détail souligné par Zair, tandis qu’il assistait à cette étrange scène comme un spectateur voyeur. Mais alors qu’il entamait un discours sur sa haine des peureux – ce qui était plus que vrai –, se tournant vers ses coéquipiers afin d’appuyer son propos, un homme, un peu plus âgé que lui, adulte depuis peu sûrement, la peau aussi sombre que la mare de son rêve précédent, jaillit brusquement dans son dos. Comme s’il avait surgi de l’océan pour s’élever en ligne droite, le balayant d’une « griffe scélérate ». Deux autres femmes, adolescentes ou proches de l’âge adulte, surgirent d’une crevasse, envoyant Zair et Tekris au tapis dans un éclat dévastateur, le nom des attaques à son origine se perdant dans le fracas. Il ne put non plus détailler les nouvelles arrivantes, silhouettes se fondant dans l’ombre obscurcissant son champ de vision. Levant le regard, il se trouva face au garçon ennemi, toisé d’un air moqueur.

– Je m’attendais à une plus grande résistance, soupira l’inconnu, comme déçu. Difficile de se cacher derrière ton équipe, ou prétendre à une feinte. Ce serait pousser un peu plus loin le stratagème, tu ne crois pas ?

Zane détesta immédiatement l’homme, et pas seulement parce qu’il venait de l’écraser – et de le tutoyer. Quelque chose en lui l’horripila.

Son adversaire, profitant de sa position de faiblesse, invoqua une « collision démente », une attaque qui lui était totalement inconnue, pour le mettre hors d’état de combattre. Dans un réflexe salvateur, il roula sur le côté, évitant de peu l’impact. À quelques pas de là, Zair et Tekris se trouvaient emprisonnés dans ce qui semblait être des lianes de plasma, incapable de se défendre face aux deux filles, ni pour lui prêter main-forte d’une quelconque façon. Une aura malsaine entoura les paumes des assaillantes, rassemblant leurs énergies afin de lancer une douloureuse salve d’énergie.

Aucun doute possible ; il avait déjà vu ce genre d’attaque !

En désespoir de cause, Zane envoya un « mur de lames », tentant de les forcer à reculer. Profitant de son manque d’attention, celui qui semblait être leur chef le frappa en pleine poitrine, lui coupant le souffle sous la douleur de l’impact, le forçant à mettre un genou à terre. Il tenta obstinément de tenir sa position, mais l’une des filles, remise de l’attaque, usa simplement d’une autre attaque, ses lèvres s’agitant sans émettre le moindre son, le faisant basculer. Conscient qu’il ne s’agissait que d’un rêve, il ressentait néanmoins tout, les attaques kaïru, la douleur, la pierre sous son dos, comme s’il était en plein défi – s’il était possible d’en faire une comparaison. La vue brouillée, il entendit vaguement Tekris lui crier de bouger. Peut-être entendit-il également la voix de Zair ; difficile à dire. Incapable d’effectuer le moindre mouvement, le seul fait de respirer étant déjà pénible, il grimaça en sentant un pied se poser sur son torse. Le garçon inconnu lui faisait face, triomphant, la main brillante d’une sombre aura bleutée.

– Mais qui es-tu ? parvint-il à souffler entre deux respirations entrecoupées.

– Tu ne le sauras jamais. Mais me voilà dépité ; j’imaginais que des individus osant s’appeler « combattants » savaient se battre.

Il est drôle lui ! Il nous a attaqué par surprise, c’est tout !

– Mais rassure-toi, tu n’auras plus à te soucier des détails. Il nous faut juste un exemple pour que ton équipe ne fasse pas la maligne. Hélas pour toi, c’est toi le chef.

Un éclair pourpre zébra l’espace, l’impression qu’on lui déchirait les entrailles suivant la douleur visuelle.

Poussant un hurlement à la fois de douleur et de rage, l’adolescent se réveilla en sursaut, heurtant quelque chose de son coude. Haletant, il posa les mains sur sa poitrine, sur son ventre, sa tête…

– Hé, calme-toi, c’est rien ! C’est juste un cauchemar ! s’empressa de dire Tekris, lui prenant les épaules pour le retenir. Un sacré cauchemar, mais juste un cauchemar !

Clignant à plusieurs reprises les paupières, penchant légèrement le buste afin de chercher les traces d’un quelconque intrus. Une assiette, vraisemblablement amenée par son coéquipier, gisait sur le sol, avec le pain, le verre d’eau brisé et les couverts, heurté par son réveil brutal. Reprenant son souffle, il repoussa le colosse en maugréant, le laissant commencer à ramasser les restes du repas. L’inquiétude étincelait dans le regard de son coéquipier, nerveux que Zane ne lui fasse payer par la suite de l’avoir surpris en plein mauvais rêve.

– Bon dieu, tu sais que tu m’as flanqué une de ces frousses !?

– Tu sais très bien que je déteste que l’on invoque dieu en ma présence, grogna l’intéressé pour se donner un semblant de contenance, pendant qu’il reprenait un rythme cardiaque normal.

– Ça va, c’est juste une expression.

Des bruits de pas précipités se firent entendre dans le couloir, avant que la porte ne s’ouvre brusquement, montrant une Zair alertée par le cri qui venait de retentir, alors qu’elle s’endormait :

– Qu’est-ce qui se passe ? On est attaqué ?

– Absolument rien ! Je réfléchissais à une stratégie d’attaque, quand Tekris est venu me déranger pour… Pour quoi, au fait ? Quelle raison t’as poussée à avoir le culot de venir dans ma chambre ?!

– Oh, euh, je voulais juste t’apporter un plateau en fait.

Le vert poussa un soupir agacé avant de regarder Zair d’un air soupçonneux. S’en apercevant, la E-Teens le fixa interloquée une seconde avant de comprendre le fond de sa pensée.

– Attends, c’est pas moi qui l’ai envoyé ! Il a décidé ça tout seul.

Mais bien sûr, songea ironiquement Zane. Tekris qui prend une initiative aussi… risquée, étant donné l’humeur peu avantageuse de son chef d’équipe ? Il n’avait jamais effectué une action impliquant Zair ou lui sans s’assurer que cela convenait avec leurs avis personnels, alors pourquoi aurait-il changé pile maintenant ?

Son attention détournée par un bip régulier, Zane se leva, tirant son X-Reader de son étui. Un point sur l’écran clignotait, indiquant la détection d’une nouvelle relique. Ce n’était pas trop tôt !

Sa main se crispa quand il examina l’endroit où l’énergie kaïru était localisée. Un frisson remonta le long de son échine. À quelques pas du monastère (enfin, façon de parler). À tous les coups, sur une falaise. Valait-il mieux rester là et prétendre à une erreur de son X-Reader ?

Comme victime d’une crampe, il se raidit sous la pensée.

Depuis quand était-il un lâche ? Laisser la relique aux Stax sans se battre, tel un vaincu ? Hors de question ! Cette fois-ci, il ne se laisserait pas surprendre, et avec l’X-Reader de Lokar, il était en mesure de les vaincre. Sans compter qu’il s’agissait peut-être d’un simple cauchemar. Il n’avait plus eu de visions depuis des années, et celles-ci étaient toujours fausses, quelle que soit la façon dont elles lui parvenaient. De toute façon, Zair, suivant son exemple, s’emparait de son propre appareil en le voyant fixer le sien sans rien dire, coupant court à quelconque idée de mensonge. D’autant qu’elle paraissait bien décidée à y aller. Mieux valait garder une façade d’impatience pour que son trouble ne soit pas visible. Il inspira un grand coup, s’emparant de sa cape, posée sur la chaise, ainsi que sa sacoche, avant de déclamer :

– Allons-y, une relique kaïru nous attends !


µµµ


Cela faisait déjà plus d’une heure que les Radikors suivaient le chemin qui bordait les montagnes adjacentes au monastère, se guidant à l’aide de leurs appareils, bien qu’ils se trouvaient trop proches pour que le signal soit très précis. Mais après tout, ils commençaient à avoir l’habitude, en cinq ans de quête kaïru. Et si la relique se trouvait sur leur chemin, ils seraient obligés de la voir, le terrain sur lequel ils avançaient était découvert sur plusieurs kilomètres devant eux. Zane connaissait déjà un peu les lieux, les ayant déjà visité auparavant, lorsqu’il séchait les cours de méditation pour explorer les environs. Ce que Baoddaï n’avait jamais vraiment apprécié. Profitant du trajet à travers la montagne pour réfléchir, il ne lui fut guère compliqué de reconnaître à peu près les alentours de son « cauchemar » : une falaise à quelques kilomètres du monastère – qu’il était déjà possible d’apercevoir en plissant un peu les yeux –, où les novices allaient parfois s’entraîner pour leurs premières missions de simulation en terrain réel. Depuis l’arrivée de son équipe, il allait toujours dans la même direction. Droit vers la falaise. Droit vers les ennuis, il le sentait bien…

Avançant un peu plus vite jusqu’à se trouver à sa hauteur, Tekris l’apostropha, X-Reader en main :

– Dis Zane, depuis le début nous marchons vers la côte, mais la relique est peut-être plus vers les terres ? Après tout, ça correspond aussi aux mesures que nous avons.

– Non, j’ai l’intuition que la relique est là-bas, mentit à moitié l’adolescent en désignant la côte.

– Tu es certain ? grimaça le colosse, s’arrêtant pour fixer son appareil d’un air dubitatif.

Derrière eux, Zair fronça les sourcils. Rejoignant Tekris, elle lui mit la main sur l’épaule – ce simple geste lui rappelant désagréablement sa petite taille – en lui murmurant de l’attendre là, puis se dirigea en trottinant vers Zane. L’adolescent avait continué son chemin sans plus se préoccuper d’eux, plongé dans des pensées connues de lui seul. Il préférait trouver rapidement la relique et récolter son kaïru, ainsi, ils pourraient peut-être éviter la confrontation. Ou dans le cas contraire, ils seraient « rechargés » avec l’énergie récoltée.

– Hum, Zane ? l’interpella Zair à voix basse. Je sais que tu n’aimes pas en parler, mais… rassure-moi, si tu es si sûr de l’emplacement de la relique, ce n’est pas parce que tu l’as « vu » ? (Devant le silence de son vis-à-vis, elle continua) Tu sais que tes visions ne sont pas fiables, au contraire.

S’arrêtant en grognant de frustration, l’adolescent se retourna et répondit :

– Tu crois que je ne le sais pas ? Je m’étais vu devenir un combattant du bien quand je me suis engagé avec Baoddaï, et j’ai vu la défaite des Stax le matin où Lokar nous a envoyé dans les marais et que nous avons trouvé le gant de… Lokar ! Alors merci, mais je suis parfaitement au courant ! Je t’ai vu…

Il s’interrompit, comprenant qu’il en avait trop dit devant l’air surpris de Zair. Il secoua la main :

– Laisse tomber, juste… pour une fois, fais-moi confiance.

La jeune femme voulu protester, mais Tekris toussota légèrement pour attirer leur attention :

– Désolé de vous interrompre, mais je crois que quelqu’un nous suit.

Zane sentit l’air de ses poumons sortir d’un seul coup. Pas déjà, ils devaient accéder à la falaise avant de les rencontrer ! À moins que sa vision ne soit effectivement fausse…

Mais en tendant l’oreille, il n’entendit pas les mêmes voix que celles de sa vision, puis de son cauchemar, lui arrachant un soupir mental de soulagement. D’ailleurs, il ne les connaissait pas non plus. À les entendre, les voix étaient fluettes, ça ne devait pas être des combattants très âgés. Un sourire mauvais se forma sur son visage. Là, ils allaient pouvoir s’amuser un peu…

D’un geste, l’adolescent fit signe à ses coéquipiers de revenir sur leurs pas.

– Tu veux dire qu’ils nous indiquent en gros où se trouve la relique, mais c’est à nous de chercher ensuite ? Ça aurait été bien de le savoir avant de commencer notre première quête, fit remarquer ironiquement une voix masculine encore aiguë par l’enfance.

– Continuez à marcher. Nous finirons bien par la trouver.

– Tout ce que vous allez trouver, ce sont de gros ennuis, rétorqua Zane, qui avait fait volte-face avec ses équipiers pour se retrouver face aux nouveaux venus.

– Les Radikors !

Il ne s’était pas trompé. Ces gamins ne devaient pas être plus âgés que Zair et Tekris quand ils avaient débuté leur quête du kaïru, et n’avaient pas l’air très sûrs d’eux. Néanmoins, sa presque bonne humeur se dissipa en partie quand il s’aperçut qu’il connaissait ces gamins. Enfin, plus ou moins…

Encore cette satanée chute des arbres, et ces rêves bizarres qui ont suivis, hein ? Tout revient à ça en ce moment.

Malgré tout, Zane commença à se demander s’il allait avoir droit à un vrai défi. Avec la prudence qui s’apparentait à de la lâcheté de Baoddaï, ce dernier n’aurait pas envoyé n’importe qui en mission, mais là… Ces gamins étaient tout sauf impressionnants. Peut-être ne s’agissait-il pas d’élèves du Maître… Au moins, ils les connaissaient, ce qui était plutôt gratifiant. Le Redakaï les prenait au sérieux !

– Les Radiquoi ? C’est qui ça ?

Quoique…

– Apecks, ce sont des E-Teens, on en parle dans le manuel ! Mais je parie que tu n’en a pas lu une seule page, pas vrai ? le corrigea son copain, qui ressemblait fortement à un premier de la classe.

Zair faillit éclater de rire. Elle avait vraiment entendu ce qu’elle croyait ? Elle jeta un rapide regard aux garçons de son équipe avant de se concentrer à nouveau sur les jeunes arrivants :

– Le manuel ? dit-elle en détachant les syllabes. Vous êtes débutants ou quoi ?

Visiblement vexée du ton pris par la E-Teens, la seule fille de la nouvelle équipe crut bon de répliquer.

– En tout cas, nous savons exactement qui vous êtes, et vous ne nous faites pas peur. Alors soyez malins, partez d’ici pendant qu’il en est encore temps !

Ayant refermé son visage le temps d’écouter la petite fille, Zane eut un sourire en coin qui ne présageait rien de bon pour ses adversaires. C’était exactement ce qu’il lui fallait pour se détendre : remettre à sa place ces petits nouveaux arrogants, surtout qu’il parvenait à se transformer en Bruticon sans douleur depuis quelques jours. Oh, ce serait court, mais très amusant, il le sentait !

– Des novices du kaïru, tout plein d’idéaux et de naïveté. Vous allez voir ce qui arrive à des demi-portions dans votre genre, qui veulent jouer les petits durs ! Défi kaïru !

Si ses camarades eurent la bonne idée d’hésiter et de se consulter du regard, la fille n’eut pas cette intelligence. S’inclinant pour faire le signe du défi, sûrement pressée de prouver sa valeur, elle approuva immédiatement.

– Défi accepté !

Aussitôt, le ciel se para de nuages bleu clair tandis qu’un vent brutal se leva, ébouriffant les cheveux des novices qui parurent encore plus fragiles. Pour un peu, Zane aurait pu s’en attendrir, tiens. Ha ha ha, bien sûr que non, surtout avec son humeur actuelle ! Il se contenta de les trouver pathétiques.

Je parie qu’ils vont avoir des monstres de débutant, comme Scharachnoz ou Scorpirion.

– Scharachnoz ! cria la rousse.

Une aura verte l’entoura immédiatement, indiquant qu’elle se transformait tout de suite.

– Scorpirion !

– Circuit ! la suivirent ses deux équipiers.

Zane ricana d’avance. Il savait exactement ce qui se passait quand on invoquait un monstre et que l’on se transformait pour la première fois, ce qui devait être le cas pour ces trois-là, vu leur hâte maladroite.

Et évidemment, perturbés par la morphologie si particulière des monstres kaïru, l’étrange équipe débutante peina à tenir sur ses jambes, se rattrapant au dernier moment pour se remettre droit et ne pas perdre plus la face. Il était temps de leur montrer comment se transformaient de vrais combattants.

– Bruticon !

– Silverbaxx !

– Cyonis !

Les trois Radikors se transformèrent également avec une aisance que seules des années d’entraînement au kaïru pouvaient permettre, cette fois bien campés sur leurs jambes monstrueuses.

– On va te montrer de quoi nous sommes capables, Zane ! Détonation supersonique !

Très mauvais choix quand on commence le kaïru, petite.

Emportée par son attaque, la petite rousse se retrouva projetée en arrière et fit plusieurs roulades sur le sol, son attaque se perdant sur la falaise bien au-dessus des Radikors. Sonnée, elle resta quelques secondes au sol, gémissant.

– La moindre des choses, quand on connaît le nom de l’adversaire, c’est de se présenter, petite. Vous êtes tellement pathétiques que je n’arrive même pas à me mettre en colère. Mais vous méritez quand même une bonne leçon. Faisceau d’antimatière !

Visant la montagne, il y perça un trou, qui provoqua l’effondrement d’une partie de la paroi, révélant une grotte. C’était bien pratique de déjà connaître les lieux, vraiment !

– J’espère que vous n’êtes pas des gamins qui ont peur du noir ! Scie antimatière !

Paniqués par l’arrivée de son attaque droit sur eux, les gamins ne réfléchirent pas une seconde et se précipitèrent vers cet « abri ». Zane en profita, avec une dernière scie, pour faire s’écrouler d’autres rochers et bloquer l’entrée, les empêchant de ressortir. Comme ça, ils allaient se calmer un peu et apprendre à respecter leurs ennemis, ces pauvres gamins ! Et il avait été plutôt gentil avec eux !

Ricanant allègrement, le chef des Radikors se détransforma, ravi de sa plaisanterie. Comme ça, les Stax seraient occupés à les chercher et les laisseraient tranquille un bon moment ! Après tout, se rappela-t-il sombrement, cessant de rire, ils allaient avoir besoin de toute leur énergie.

Mieux valait ne pas tarder s’il voulait éviter les trois cinglés. S’envolant, il se dirigea droit vers la falaise, suivit de ses acolytes, toujours aussi surpris qu’il sache exactement où aller pour la relique.


µµµ


Marchant rapidement, ou plutôt Zair et Tekris étant entraînés par le pas pressé de leur chef, ils débouchèrent sur une falaise à-pic, bordée à ses pieds d’une plage de sable fin. Quelques arbres tordus poussaient çà et là, empêchant une embuscade par les bois, mais le sol irrégulier formait plusieurs crevasses parfaites pour se dissimuler si on savait bien se cacher. Quelques fissures zébraient également le sol, et celui-ci était majoritairement recouvert d’une fine couche d’herbe. Enfin, deux ou trois gros rochers gisaient, formant parfois comme de petits murets naturels.

Zane savait que la première fois, enfin dans ses… visions, bien qu’il ait du mal à y penser comme tel, il s’était assis sur celui au bout de la falaise, perdant du temps à observer l’horizon au lieu de chercher la relique. Il n’avait pas vu où était celle-ci, mais ne comptait pas refaire la même erreur. Il en profita pour examiner les recoins rocheux où quelqu’un aurait pu se cacher, et bien qu’il ne vit rien, il n’en fut pas plus rassuré. Allant jusqu’au bord, il regarda l’océan comme un ennemi doué de volonté propre. Posant les poings sur les hanches, il se demanda ce qu’il pouvait bien faire pour corriger l’histoire, alors qu’il ne voyait pas comment l’autre diable allait pouvoir surgir de l’eau pour venir faire son numéro. Il venait peut-être de la plage en contrebas ?

Ou il n’est pas encore arrivé et nous avons réussi à le prendre de vitesse, lui et les deux autres !

Zair s’approcha à son tour du bord par un autre côté. Vérifiant le pied de la falaise, elle s’en retourna vers son centre, les bras écartés en signe d’impuissance et d’incompréhension :

– On a fouillé toute la falaise, mais il n’y a aucune trace du kaïru !

Grognant de frustration, Zane s’assit sans douceur sur le rocher près de lui, la tête entre les mains.

– Et un peu d’aide serait la bienvenue, fit remarquer Tekris, ne le voyant plus beaucoup chercher depuis quelques minutes.

Zane sursauta, relevant la tête pour regarder Tekris, le cœur battant soudainement plus vite.

– Qu’est-ce que tu as dit ?

– J’ai dit qu’un peu d’aide pour fouiller la falaise nous aiderait beaucoup plus !

S’attendant à devoir se justifier auprès de son chef, Tekris croisa les bras, prêt à dire ce qu’il pensait. Aussi fut-il surpris quand l’adolescent se leva précipitamment de son rocher, fixant l’océan comme s’il s’attendait à ce qu’il se mette à parler et lui lancer un défi kaïru.

– Qu’est-ce qui te prend ? demanda Zair. Tu attends le Kraken ou quoi ?

– C’est peut-être pire que le Kraken, murmura Zane. (Puis, prenant une grande inspiration) Faites attention, je crois que nous allons être attaqués très prochainement. Méfiez-vous de cette crevasse !

– Quoi ? Mais attaqué par qui, les Stax ?

Zane n’eut guère le temps de lui répondre. Un éclat acide jaillit sans que les Radikors ne puissent deviner sa provenance.

– Griffe scélérate ! clama une voix grave, menaçante.

Devant la vitesse foudroyante de l’attaque, même Zair, pourtant réputée pour sa vitesse, échappa de peu l’offensive. Prenant une impulsion, la Radikors sauta dans les airs, la griffe rasant de près sa botte. Zane parvint également à l’éviter, sachant déjà dans quelle direction aller pour l’éviter, se réceptionnant sur les bras puis sur ses pieds. Cependant Tekris, moins rapide que ses deux coéquipiers et mal placé, tomba au sol, frappé dans le dos. Il roula au sol, grimaçant de douleur. Pour s’être pris l’attaque en rêve, Zane savait qu’il ne pourrait pas se relever immédiatement, aussi lança-t-il une « dégénération » vers la crevasse, au moment où les deux femmes sortaient de leur cachettes. L’évitant souplement, elles furent tout de même repoussées par un « mur de lame », Zair couvrant les arrières de son chef. Se consultant rapidement du regard, les deux combattants usèrent de leur rapidité pour venir aux côtés de Tekris, Zair le relevant tandis que Zane se tenait prêt à répliquer.

Leurs trois attaquants se réunirent également, un sourire moqueur aux lèvres. Cette fois, ils purent les détailler, les trois adolescents leur faisant face. Agacé, Zane ne put que constater la présence du garçon à la peau noire, vraisemblablement le chef, comme Zane s’en était déjà douté dans son rêve. Ses cheveux longs étaient noués en queue-de-cheval retombant sur son épaule gauche. Ses yeux, entourés de rouge, étaient d’un gris presque translucide, tout comme ses cheveux, faisant un contraste déroutant avec sa peau d’ébène. Il portait une tunique descendant à mi-cuisses, ses manches courtes rouge carmin recouvertes d’une veste sans manches bleue, un pantalon fait d’une matière semblable bleu foncé légèrement plus clair que la veste, des marques d’usure blanchissant le tissu à quelques endroits ainsi que de solides bottes de marche de la couleur de sa tunique, parfaites pour de longues escapades autour du monde. Enfin, une pochette grise pendait sur le côté gauche de sa ceinture, et il portait des brassards de force sur lesquels avaient été gravés des oiseaux géants inconnus des terriens. Il avait la musculature de quelqu’un entraîné au combat, et l’arrogance typique de ceux qui sont les plus forts et qui le savent très bien, voir qui en profite allègrement. Deux filles l’accompagnaient, l’une de l’âge du garçon, l’autre probablement encore adolescente, bien que l’absence de rondeurs propres à l’enfance laissa supposer que cela ne serait plus le cas très longtemps.

La première avait une peau humaine quoique grisâtre, donnant une impression de poussière. Grande, plus que Zane mais moins que Tekris, ses cheveux étaient verts, lourds et épais, noués en une queue de cheval haute, et une résille recouvrait le haut de son crâne. Ses traits étaient acérés, comme coupés à la serpe, ses yeux noir-bleutés étaient petits et n’exprimaient que de la haine, ou faisaient penser à une serrure fermées à triple tour, cadenassée et piégée. Son nez était aquilin et ses lèvres très fines, de la même couleur que sa peau. Elle était vêtue de mitaines vert sombre ouverte sur le dos de la main, d’un bandeau rouge carmin sur la poitrine serré par des bordures noires, un pantalon large du même vert que ses cheveux rentré dans des bottines en cuir marron un peu usées, avec d’épaisses semelles. Enfin, une sacoche sur le côté de sa hanche faisait penser à celles contenant un X-Reader, et elle arborait avec fierté une écharpe soigneusement enroulée autour de son cou pour qu’elle ne soit pas handicapante.

La seconde, plus petite (elle devait faire un ou deux centimètres de moins que Zane), avait une peau marron très foncée, comme tannée ou brûlée par le soleil, piquetée de scarifications sur les bras, en partie dissimulées par un manchon bleu qui partait du milieu de son avant-bras jusqu’au milieu de son biceps. Ses cheveux étaient noirs, très fins, noués en tresse, et arrivaient au milieu de son dos. Ses yeux étaient vairons, violet pour le gauche et vert pour le droit, ses traits plus grossiers sans être désagréables, les lèvres épaisses et le menton volontaire tatoué d’un triangle vert foncé. Elle avait un corset cache-cœur pourpre à manches courtes maintenu par une ceinture dorée, gravée de la même créature fantastique que les brassards de l’homme, un pantalon coupe droite violet d’inspiration asiatique s’arrêtant au milieu du tibia et des cothurnes noires. Elle aussi avait un X-Reader, celui-ci dans une petite bourse qu’elle gardait dans le dos et prenait avec une aisance naturelle.

– Très bien, siffla Zane, maintenant que vous avez fait les malins, vous pourriez vous présenter ?

– Et pourquoi pas vous d’abord ? rétorqua le garçon ironiquement, souriant comme d’une blague.

– Vous plaisantez ? marmonna Zair. Vous nous attaquez en nous tendant une embuscade bien préparée, et vous voulez nous faire croire que vous ne savez pas qui nous sommes ? Est-ce qu’on a l’air si crédules?

– Bien, bien. Vous n’êtes pas si idiots. Il est toujours appréciable que les victimes connaissent le nom de leurs bourreaux. Mon nom est Teos, la vipère à ma gauche c’est Saïn, et la beauté brune, c’est Adriel. Vous voyez, nous sommes coopératifs !

– Ah oui ? Eh bien dans ce cas, on va faire ça dans les règles, siffla Zane. Défi kaïru !


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Bonjour, ou bonsoir!


J'espère que cette première rencontre avec ces nouveaux antagonistes vous a plu! N'hésitez pas à laisser un commentaire, petit ou long, pour donner votre avis, c'est toujours motivant pour continuer!


Encore une fois, merci à BakApple d'avoir corrigé ce chapitre!


Sur ce, bonne journée, ou soirée!


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