L'Arche du Péché

Chapitre 14 : Eaux troubles

13066 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 18/01/2021 21:01

Eaux troubles


Le plus difficile fut de trouver le moyen de descendre dans les entrailles de la crevasse. Longeant avec prudence le pourtour de la faille durant de précieuses minutes, désormais perdues pour leur course-contre-la-montre, les deux combattants trouvèrent un endroit où la roche paraissait suffisamment solide pour ne pas s’écrouler à cause leurs poids, ne s’effritant que très peu sous les doigts de Zair. Bon, n’était pas vraiment la définition d’idéal, d’autant que Zair préférait largement voir le fond des ravins dans lesquels elle descendait, mais à défaut de mieux il faudrait s’en contenter.

Se détournant de l’obscurité engloutissante, s’étendant où qu’elle portât le regard, elle scruta de nouveau le ciel, à la recherche du jaune passé indiquant le X-Scaper, vaisseau des Stax. Rien, excepté cette brève apparition, un peu plus tôt, ne laissait supposer que l’équipe de combattants ennemis rôdait dans les environs. Un des principal atout de leur quête était de rester discrets, aussi Zair ne douta pas un seul instant qu’ils ne fut guère loin. Simplement, ils avaient probablement dû poser le vaisseau un peu plus loin, derrière la première ligne des collines, hors de sa vue.

Elle claqua de la langue, agacée de devoir se baser sur des suppositions, alors que Tekris s’assurait à son tour que la paroi ne s’effondrerait pas sous son poids, bien plus conséquent que celui de l’adolescente. La faute à une nutrition des plus aléatoires, mise en place dès ses quatre ans par son cher géniteur, grinça la Radikor, contemplant avec dépit ses bras, bien trop maigres pour ses quinze ans tout frais. Pourtant, son père détenait une fortune des plus conséquentes, ou du moins suffisante pour assurer l’entretien de deux maîtresses, accompagnées chacune de leur progéniture, cependant il prônait sans cesse l’entretien du corps, tout aussi important que celui de l’esprit, en guise de prétexte pour affamer progressivement sa famille. Il aimait les plaintes de sa mère, quand, sa fille quémandant désespérément de quoi remplir son estomac, elle cédait pour réclamer cette faveur à son époux. Il aimait se baigner dans la reconnaissance de son amante quand, pris d’une magnanimité sans nom, il confiait enfin de quoi nourrir décemment sa descendance. Tout comme il aimait parfois refuser, s’amusant sans le paraître, pour qui n’avait pas appris à le connaître, des tentatives d’argumentation parfois raisonnées, puis de moins en moins construites à mesure que les raisonnements s’épuisaient.

Zair le soupçonnait amèrement de vouloir entretenir une rivalité constante entre sa mère et celle de Zane, songeant qu’au final il était seule décideur de leur quotidien, pouvant à loisir le transformer en un paradis sublime, ou au contraire un enfer sans nom. Le pouvoir qu’il détenait, pourrissant son âme avec une minutie relevant de l’incroyable, se devait de s’exprimer de la manière la plus évidente possible : en étant reconnu par toutes et tous. Aussi détestait-il que la mère de Zane ne s’abaissa jamais à quémander le moindre quignon de pain pour son fils. Tout comme il haïssait le fait que, malgré son diktat, son rejeton paraissait bien moins affecté par la faim que sa fille unique. Jamais Averitia n’avait commis le moindre faux-pas, laissé penser qu’elle volait, bien que tout le monde s’en doutât. Or, son père, très attaché à son image, ne punissait pas non plus sans un prétexte, aussi bancal soit-il, et ses épouses ne lui en fournissaient, au final, aucun pour défouler la brutalité qu’il dissimulait soigneusement en lui. Oh, il ne buvait pas, jamais. Mais il entrait parfois dans des rages noires, profondes, à l’affût de la moindre raison, valable ou non, pour venger sa dignité bafouée comme il adorait l’appeler. Les mères restant hors de portée, très souvent, ce fut sur les enfants qu’il passait ses nerfs, souvent quand l’une ou l’autre s’y attendait le moins.

Par chance, si elle pouvait l’appeler ainsi, la mère de Zair réagissait bien souvent comme son époux s’y attendait, s’empressant de supplier sa clémence, ou, au contraire, en se montrant en accord parfait avec ses principes. Là où Zane, souvent, essayait de s’interposer entre eux, tout comme Zair, bien moins forte, optait pour une diversion quand son père s’emportait sur son frère, avec plus ou moins de succès.

Mais Averitia, elle, n’avait jamais demandé pardon pour son rejeton, ni parut se soucier des traces, parfois volontairement visibles, ne laissant aucun doute possible. Non, elle se contentait d’observer, puis de reprendre le cours de son existence d’une manière toujours aussi irréprochable. De mémoire, Zair ne se souvenait pas d’un seul moment où elle aurait perdu patience, ou montré les véritables émotions qui l’animaient, du moins, jamais directement. Jusqu’à sa disparition, tout aussi étrange que l’était la femme, quelques années plus tard, sans que son époux ne la fisse rechercher de quelque manière que ce soit.

– Tu as fini ? fit-elle à son coéquipier, coupant sans pitié le fil de ses pensées.

Elle abandonna l’observation des alentours, frottant vigoureusement ses biceps malgré le soleil éclatant, baignant le moindre brin d’herbe d’une aura réconfortante. Si ce n’était les fissures gigantesques, remplies d’une énergie nocives pour l’environnement, se tenant à seulement quelques pas de là.

Quelque chose dans cet endroit lui déplaisait. Et pas uniquement à cause de son impression d’être observée en permanence. Avec un peu de chances, ce n’était que la faute aux innombrables statues jonchant la plaine.

Peu inquiet, comparé à sa coéquipière, Tekris émit un vague bruit difficilement définissable, concentré sur la tâche à mener. Prenant sa réponse pour un assentiment, Zair le dépassa, s’engageant la première en s’appuyant sur un affleurement rocheux, droit vers le fond du gouffre. D’accord, en cinq années de quête du kaïru, l’énergie ne cessait de prouver qu’elle adorait les recoins inaccessibles, mais elle pourrait quand même faire un petit effort, de temps en temps !

Quoique ne menaçant pas de provoquer un nouveau tremblement de terre au moindre choc, la paroi restait tout de même très instable. La principale difficulté, devina rapidement Zair, était que si la roche en profondeur résistait encore à l’influence du kaïru obscur, ses strates supérieures se trouvaient largement corrompues, ne formant par endroits qu’une fine couche friable où poser ses mains. Elle redoubla de vigilance, transmettant l’information à Tekris.

– En gros, marmonna le colosse, on va se taper une descente à trois appuis ?!

– Autant que possible, confirma Zair.

Comme pour prouver ses dires, tout un pan de la roche s’effondra sous ses doigts, s’écrasant lourdement au fond du gouffre, la forçant à reposer précipitamment sa main là où elle se tenait auparavant. Elle mordit l’intérieur de sa joue pour s’empêcher de crier de surprise, se penchant légèrement pour suivre avec angoisse la chute de ce que, au premier abord, elle avait cru être un affleurement rocheux solide, imitée de Tekris.

– Tu vois, souffla-t-elle, mieux vaut la prudence à la rapidité…

Comme quoi, être la plus légère de l’équipe détenait quelques avantages. Avantage que Tekris aurait, exceptionnellement, bien voulu détenir, si elle se fiait à son visage livide.

– Je crois que tu vas devoir emprunter un autre chemin, reprit-elle, constatant que la majorité de la roche ne pourrait jamais supporter son coéquipier. Essaie sur ta droite, ça paraît un peu plus solide.

– Pour moi, toutes les pierres se ressemblent, maugréa l’intéressé, suivant néanmoins son conseil.

– Sauf que certaines t’emmèneront au fond du ravin plus vite que prévu.

Sans ajouter mots, elle reprit son cheminement, relevant régulièrement la tête pour pouvoir observer la propre progression de Tekris, au cas où, commettant une erreur potentiellement fatale, il aurait besoin d’une aide immédiate. Cependant, elle n’eut guère besoin de lui porter secours : beaucoup plus lent que sa coéquipière, elle constata malgré cela que contrairement à la plupart des mâles, guidés uniquement par leur orgueil, Tekris prenait garde à assurer ses appuis avant de déplacer son corps, s’efforçant d’allier toute la rapidité et l’efficacité dont il était capable.

Constatant ne plus être qu’à quelques mètres du fond, enfin visible à mesure que la luminosité décroissait significativement, l’adolescente parcourut les derniers mètres d’un bond, se réceptionnant sans grande extravagance, mais dénuée de contusions.

À présent, plus qu’à attendre Tekris, songea-t-elle, s’adossant à la paroi irrégulière, surprise de la découvrir moins glacée qu’elle ne se l’imaginait. Autant prendre un repos bien mérité, avant de repartir à l’assaut de la relique. Se laissant glisser au sol, elle tira de sa botte une petite lame, jouant machinalement avec le métal parfaitement poli pour tromper son impatience. Un coup à se retrouver accusée de trahir le Code d’Honneur si les Stax l’apercevaient, tiens, qui interdisait formellement aux combattants d’user d’armes autres que issues de techniques kaïru. Un changement qui l’avait particulièrement perturbée, quand Zane, revenu d’une pêche aux informations, le lui avait annoncé. Cette règle contrevenait à toutes ses leçons enseignées durant son enfance, tout autant que les techniques martiales délivrées par les Maîtres, essentiellement basées surtout sur l’esquive et la manière d’envoyer les attaques kaïru.

Ce qui ne l’avait pas empêché de poursuivre son entraînement infantile, au cas où, avant son entrée dans la quête du kaïru. D’abord seule, répétant inlassablement les mouvements dont elle se souvenait, puis avec Zane quand, la voyant exécuter une figure pour la énième fois sans succès, il lui avait demandé si elle pouvait lui montrer ce qu’il n’avait pu apprendre. Sûrement la seule fois où il enjoignit Zair de prendre, en quelque sorte, le rôle de mentor. Avant de l’endosser à son tour quand Tekris les avait rejoints, Zair ne se sentant guère à l’aise pour commander qui que ce soit, et certainement pas un garçon à demi humain qui l’intéressait bien trop pour qu’elle se concentre réellement.

Le gamin, digne d’une mauvaise herbe, très grand déjà, mais pas bien gros, avait beau se montrer très enthousiaste, il manquait très clairement de maîtrise de quoi que ce soit. La première semaine, Zane ni Zair se persuadèrent qu’il quitterait leur compagnie dès le premier village trouvé, incapable d’acquérir rapidement ce qui relevait du réflexe pour eux. Pourtant, Tekris avait suivi sans peine le mouvement, prouvant qu’en dépit de leurs persuasions il détenait des ressources internes surprenantes.

L’expression de Zane, au moment où il avait pleinement réalisé que leur tout nouveau compagnon était bien plus endurant que ne le laissait supposer son physique, valait toutes les photos de l’Univers, aux yeux de Zair. Comprenant qu’il ne s’en débarrasserait pas à l’usure, l’aîné avait accepté de continuer à lui montrer quelques mouvements de base, mais très utiles pour la suite. Lui avait enseignant, en guise de première leçon, de se relever chaque fois, peu importait son état, s’il voulait survire. Un conseil judicieux, vu le nombre de fois que Tekris finit à terre, le nez en sang si ce n’était autre chose. La seconde fut de rester en mouvement, ne pas être une cible facile, casser les pieds de ses adversaires pour les pousser à l’erreur. Une chose essentielle, mais pas si facile quand l’élève ne voyait pas beaucoup mieux qu’une taupe. Voler les lunettes qui, encore aujourd’hui, permettait à Tekris de recouvrer une vision correcte fut le meilleur trait de génie de son frère. Et ce, malgré les protestations premières de Zair, jugeant trop dangereux de tenter le coup. De fait, ce fut effectivement périlleux, Zane ne réussissant à se lever sans grimacer qu’au bout d’une semaine, mais au moins leur compagnon pouvait marcher sans avoir besoin de tenir la main de quelqu’un.

Au travers de ces sessions, Tekris s’était tout naturellement mit sous les ordres de Zane, apprenant vite à ne pas se le mettre à dos, évitant surtout de le provoquer. Le colosse n’aimait pas les conflits directs, ce qui fascinait Zair depuis leur première rencontre. Voir ce grand truc éviter soigneusement de se battre autrement qu’en défi kaïru, était un paradoxe intéressant à étudier. Ce fut à ce moment, remarquant le plaisir éprouvé par Zane à commander quelqu’un, à se faire obéir, heureux de cette forme de pouvoir, qu’elle avait commencé à imiter leur nouveau coéquipier. En laissant son aîné diriger leur petit groupe dans un premier temps, puis en effectuant des commandements simples, partir en éclaireuse, lui ramener telle ou telle chose, faire ceci au lieu de cela, adoptant, de fil en aiguille, cette place désormais la sienne. Alors oui, Zane fut ravi de pouvoir exercer son autorité naturelle, chose qui lui avait été fermement refusée depuis sa naissance. Et Zair avait été joyeuse de le voir s’épanouir, d’une certaine façon. Se satisfaisant bien trop, insidieusement, des rôles de chef et de subalternes se mettant doucement, mais fermement, en place, encouragée par la nécessité de se dissimuler aux yeux de leurs potentiels poursuivants.

Leur équilibre aurait pu durer. De ça, elle s’en trouvait persuadé, quels que soient les signes semés progressivement. Mais ils avaient entendu parler d’un homme, capable de maîtriser le kaïru (tout en ignorant à cette époque à quel point cette énergie différait de celle connue depuis l’enfance), et acceptant de prendre des élèves sous son aile. Elle avait certes approuvé l’idée de son aîné, trouver, sur cette planète, quelqu’un capable de continuer l’enseignement prodigué pour ne pas laisser leurs capacités à l’abandon, mais avec le recul, elle reconnaissait que certaines choses auraient pu être évitées. Elle avait accompagné Zane lors de leur premier repérage du monastère, ayant entendu parler de ce Maître Baoddaï, particulièrement réputé. Habitués aux pièges, les enfants de l’époque décidèrent de se séparer, si jamais le maître jouait un double-jeu, uniquement destiné à les attirer. Zane, plus âgé d’une année, se présenta à la porte comme désireux de devenir son élève, jugeant de la fiabilité et de ce que l’homme pouvait leur apporter. En ces temps-là, acquérir le plus de connaissances et de pouvoir, afin de pouvoir se défendre, primait sur tout. Sans que Zair ne se rende compte que pour son frère, cette dimension du kaïru revêtait un aspect bien plus viscéral, plus vital qu’à ses yeux, ou ceux de Tekris.

Pendant ce temps, Tekris et elle habiteraient dans la forêt avoisinante, suffisamment touffue et fournie en gibier, baies et poissons pour assurer leur survie. Régulièrement, Zane vint leur apporter d’autres repas, des couvertures et quelques pièces d’étoffes, dérobés durant ses heures de repos, enrichissant le quotidien de ses compagnons. De nombreux soirs également, le futur chef des Radikor se glissait hors de sa couchette, en dépit de l’interdit formel du règlement monastèrien, pour les retrouver et leur montrer les techniques apprises précédemment, affinant sa propre maîtrise tandis que les deux autres découvraient une toute autre manière de se battre, bien moins physique. Si, passé une année, le trio estimait l’humain digne de confiance, Zair et Tekris viendraient le rejoindre et suivre à leur tour l’enseignement du maître.

Sauf que la vie aurait été trop belle, si leur plan s’était déroulé sans accroc. Environ onze mois après la mise en place de leur vie temporaire, une puissante sensation pulsante au creux de sa poitrine l’interrompit dans ses tâches quotidiennes. Instinctivement, elle sut que c’était Zane, étonnée qu’il n’ait pas dissimulé plus habilement sa présence, comme il en avait prit l’habitude. Une vague inquiétude sourdait derrière sa joie de le revoir plus tôt que prévu, sentant confusément que quelque chose clochait. Malgré la disparition progressive de leur lien, plus profond que le sang, elle n’eut aucune peine à sentir combien il se trouvait perturbé.

Sans même fermer les yeux, l’adolescente d’aujourd’hui revoyait sans mal la terre battue semée le long de son chemin, recouverte d’aiguilles de conifères à l’odeur mielleuse et de feuilles mortes, écorchant ses pieds nus quand elle n’y prêtait plus attention. À tout hasard, elle avait dit à Tekris de l’attendre un peu plus loin, caché un peu en amont de leur cabane rudimentaire, destinée à les protéger des frimas. Elle n’eut pas à déambuler longtemps dans la forêt bruissant de léger crissements, traversée par moments par un chant mélodieux ou, au contraire, un grincement qu’elle ne parvenait pas à identifier, malgré les mois passés en pleine nature, si perturbants pour Tekris, habitué à se retrouver entouré en permanence.

Guidée par le lien qu’elle partageait avec Zane, elle ne tarda pas à tomber nez-à-nez avec lui, assis au beau milieu d’une clairière sur un tronc renversé, recouvert d’une mousse épaisse réputée pour tâcher les vêtements. Le dos voûté, les mains serrant avec force ses tempes comme s’il voulait les faire exploser, son aîné avait quitté le kimono d’entraînement obligatoire au monastère, pour revêtir les atours qu’il portait, au moment d’entrer sous l’égide de Maître Baoddaï. Alors qu’il se révélait, jusque-là, le plus méfiant des trois, ordonnant aux autres de se taire au moindre froissement courant dans les buissons, Zane n’avait relevé le nez qu’en entendant une branche craquer, à quelques mètres de lui, surpris et en même temps contrarié de la trouver là, en face de lui.

Elle n’eut pas besoin de poser la moindre question. Rien n’était pire que l’écarlate cerclant les pupilles du garçon, au point d’envahir presque totalement l’iris. Esquissant un mouvement de recul, elle se reprit en ne le voyant pas attaquer, ou se comporter agressivement. Pas encore ? La question effleura son esprit, puis repartit aussi sec. Détournant avec empressement le regard, Zane s’était redressé d’un bond, jetant un coup d’œil furtif en direction de la touffeur des arbres, à quelques pas, l’angoisse tirant ses traits. Tous ses muscles étaient crispés, luttant entre fuir, combattre ou observer, incapable de masquer sa confusion. La plus grosse erreur aurait été de s’enfuir, ou de s’en prendre à lui, Zair le savait, au risque de déclencher un réflexe défensif malheureux. Peu importait qu’elle fut une connaissance ; le contrôle sur ses émotions de son aîné était déjà miraculeux en soi. Une fois seulement, elle avait vu ce que donnait une attaque directe sur Zane, quand il ne se maîtrisait que si peu, et le résultat ne s’effacerait jamais de sa mémoire. Pliant les genoux, elle s’accroupit lentement, silencieuse, masquant du mieux possible la peur nouant ses entrailles.

Par chance, il finit par reprendre totalement ses esprits, laissant son corps tomber brutalement au sol. Le choc ne le fit que peu réagir, laissant ses bras suivre le mouvement de balancier induit par sa chute.

– Je devais la contrôler, avait-il murmuré dans un souffle.

Certaine à présent de retrouver son Zane, Zair s’approcha, jusqu’à s’asseoir en tailleur sur le tronc juste à côté de lui. Si elle avait parlé, il se serait refermé comme une huître.

– Tout allait bien, trop bien ! Et alors que je m’entraînais, près du lac, je l’ai vu, rôdant dans les environs. Je te jure que c’était là ! Je ne sais pas comment il nous a suivi, mais il ne tarderait pas à attaquer Baoddaï aurait tout découvert, et il nous aurait livré ! Mais, il existe une technique… interdite par le maître, extrêmement puissante parce qu’il ne nous jugeait pas assez fort. L’attaque « Reflet de gloire ». Je savais que je pouvais la maîtriser, je devais au moins tenter, pour ne pas nous laisser…

Il s’était tu, plongeant Zair dans une drôle de sensation, perdue. Elle devinait instinctivement ce qu’il s’était passé, mais jusque-là, elle n’avait jamais aperçu quoi que ce soit pouvant ressembler à la description de son aîné. Le doute, atroce, compressa sa poitrine, alors qu’elle le voyait sous un tout autre jour.

– Avant que je ne m’en sois rendu compte, j’étais en train de la maîtriser. Mais je ne voulais pas m’arrêter, oh non ! Tu aurais senti sa puissance, continua-t-il, le regard brillant de convoitise. Je pouvais réussir à la maîtriser ! Et de toute façon, c’était trop tard, je ne pouvais pas m’arrêter ! La sensation, si…enivrante ! Et Ky a tout gâché, avec sa manie de fourrer son nez là où ça ne le regarde pas ! Et après, il a osé me laissé tombé devant le maître, pathétique petit toutou, à me seriner ses bêtises d’honneur et de règles !

Rageur, il frappa du pied une motte de terre, s’écrasant un peu plus loin dans un bruit spongieux, sans pour autant regarder directement sa cadette. Alors qu’elle pensait qu’il n’ajouterait rien de plus, il lâcha un profond soupir, intensément triste – ce son seul suffit à lui serrer le cœur –, passant sa main sur son visage.

– Baoddaï est digne de confiance, enfin, il ne nous vendra pas au premier trafiquant venu tant qu’il vous croira de simples disciples. Toi et Tekris, vous pouvez vous engager près de lui, finit-il par déclarer, amer. Enfin, si tu ne crains pas la présence d’un ennemi dans les parages.

Refusant de comprendre le moindre sous-entendu, elle avait alors secoué la tête.

– Et toi ? Je croyais que nous devions étudier le kaïru ensemble ?

– J’ai été renvoyé. Renvoyé ! s’était emporté son aîné, levant les bras au ciel comme pour le prendre à témoin. Ce qui signifie qu’aucun autre Redakaï n’acceptera de me prendre comme élève ! Ce n’est pas juste ! Je suis doué, Baoddaï l’a dit lui-même !

Elle s’attendait à le voir pleurer de rage, crier sa peine et son impuissance. Une réaction logique, l’adolescent se laissant régulièrement emporter par ses émotions. Une faiblesse que leur père avait exploitée sans vergogne à maintes reprises dans le passé.

Mais son visage se durcit considérablement, se teintant d’une expression encore inconnue, apaisant considérablement les tremblements incontrôlés de ses bras. Cette expression, Zair avait appris à l’identifier plus tard, la retrouvant à de nombreuses reprises, dès que Ky ou le monastère se trouvaient en jeu. Le désir de vengeance, totale, en surpassant ses ennemis dans tous les domaines.

En une fraction de seconde, Zair avait pris sa décision.

– Je reste avec toi. On trouvera bien quelqu’un d’autre. Et je suis sûre que Tekris sera d’accord.

Un mince sourire étira les lèvres de l’adolescente, alors que le colosse, marmonnant une insulte quelconque, se retourna pour lui adresser un petit signe confiant. Bien sûr qu’il les avait suivi, sans poser beaucoup de questions. Tant qu’il avait l’assurance de ne pas rester en arrière, livré à lui-même, Tekris les suivrait n’importe où dans l’Univers.

Pourtant, elle ne pouvait nier, à présent, que cela avait créé la première grande fracture entre le Zane qu’elle connaissait jusqu’alors, et celui qu’elle côtoyait enfant, alors qu’elle commençait à douter de l’état mental de son aîné, le surveillant comme du lait sur le feu. Elle refusait encore et encore de l’admettre réellement, s’accrochant à une image ne correspondant plus à la réalité, alors que Zane lui répétait de plus en plus souvent, en privé, d’arrêter de le traiter comme un fou, ce qu’elle niait avec force.

Une fracture rapidement suivie d’une seconde, incarnée sous la forme d’un nouveau maître, Lokar, dont la proposition de remanier leur entraînement avait séduit Zane, autant que le désir de vengeance de l’homme envers Baoddaï acheva de le convaincre. Peut-être aurait-elle dû, à ce moment précis, intervenir, se dresser contre la façon d’enseigner de Lokar, exacerbant tout ce qu’il y avait de plus mauvais, de plus détestable en ses élèves, à commencer par son entretien des rivalités entre équipes d’une même faction. Pourtant, elle détestait tout autant que ses coéquipiers les Imperiaz et autre Battacor, mais adhérer aux méthodes de son ancien maître n’avait fait que l’éloigner encore de son aîné, alors qu’elle constatait, sans pouvoir rien y changer, les traits de son caractère qu’elle aimait le moins se renforcer.

Définitivement, il était peut-être temps de l’admettre ?

Un vide, paradoxalement presque douloureux, la glaça l’espace une seconde. Elle avait pourtant cru, avec la reprise de leurs conversations mentales, leur moment d’intimité partagé dans la chambre de Zane, ressentant presque à nouveau sa présence à la périphérie de sa conscience, l’impression d’être moins seule…

Intérieurement, la combattante se désola de sa propre naïveté. Qu’elle se soit persuadé que cela fut possible, durant toutes ces années, relevait du miracle. Ou de la bêtise ? Comment jeter un pont par-dessus un gouffre, quand les efforts ne venaient que d’un côté ?

Dans un sens, elle aurait préféré souffrir plus, pleurer peut-être. Mais elle ne ressentait rien d’autre que ce vide, obsédant, remplissant tout l’espace dédié à Zane dans ses pensées, sa mémoire à mesure que sa présence ne se révélait qu’une illusion de son esprit encore gamin, il fallait croire. Seul subsistait le regret.

Que leur était-il arrivé, à eux si proches autrefois ?

– Ça y est, fini ! déclara joyeusement Tekris, atterrissant bruyamment à son tour.

L’adolescente manqua sursauter, fixant sans comprendre d’abord son coéquipier, visiblement très fier d’être parvenu à ses fins en un seul morceau. Bon, restons positive : occupé à se féliciter, Tekris n’avait sûrement pas dû remarquer sa surprise. Sinon, elle pouvait être certaine d’en entendre parler jusqu’à la fin de ses jours, et elle tenait trop à son désarroi, quand elle se retournait pile au moment où son coéquipier croyait la surprendre.

– Ravie de voir que tu as fini de jouer les singes sur la paroi, sourit-elle, à demi moqueuse seulement.

Ignorant les protestations, dénuées de conviction, du colosse, elle sortit son X-Reader, consultant rapidement l’écran. Si elle en croyait les données sous ses yeux, la relique ne se trouvait qu’à quelques dizaines de mètres. En se dépêchant un peu, ils avaient peut-être une chance de l’atteindre les premiers !

– En route, c’est par ici. Et ne fais pas cette tête : supporte ta frustration de ne pas être applaudi, il y a bien assez d’un seul caractériel dans l’équipe !

– S’il t’entendait, il serait sacrément vexé, tu sais ? Surtout depuis qu’il a pris la grosse tête, avec le X-Reader de Lokar. S’il décide de s’en prendre à nous, on ne pourra pas l’arrêter.

– Zane veut régner seul sur le monde, mais en dépit de toute sa volonté, je ne compte pas me laisser trucider pour un de ses mouvement d’humeur, déclara-t-elle, pleine d’une assurance dont elle ne se croyait pas capable. Inquiète-toi plutôt pour toi. Je n’ai pas envie que, ne me voyant pas dans les parages, il décide de se venger sur toi.

La dernière phrase avait été déclamée sèchement, et elle ignorait complètement pourquoi. Ou plutôt, elle en avait une vague idée, en permanence trop consciente des émotions l’agitant. Après son égarement au sein de ses souvenirs, restait présent à son esprit qu’elle commença à se placer sous les ordres de Zane, uniquement parce qu’elle avait vu Tekris faire de même, attirant la satisfaction du vert. Un des pires choix de sa vie.

Pouvait-elle vraiment accuser inconsciemment Tekris de cette étouffante situation, parce qu’il était indirectement à l’origine de son changement de comportement ?

Son cœur blessé affirmait que oui, justifiant même cet état de fait. Sa raison clamait non. Elle avait eu la possibilité d’emprunter une autre voie, mais s’était aveuglée par son désir de contenter Zane. Tekris n’était pas responsable de ses errances et erreurs, il n’avait pas à en porter le chapeau. Plus encore, il lui arrivait, par moments, d’être un soutien plutôt agréable.

– Sauf que c’est toi qui m’inquiète. Tu es sûr que tout va bien ?

Sautant par-dessus un tas de gravats, elle déboucha dans une seconde salle, un poil plus grande que la précédente. Pas vraiment, si elle devait jouer la franchise. Depuis son passage dans la brume d’Adriel, les paroles de la brune ne cessaient de tournoyer encore et encore au creux de son crâne. Elle se sentait complètement paumée, elle pouvait se l’admettre à elle-même, après tout, remettant sans cesse en question ce qu’elle savait, ce qu’elle croyait vrai de ce qui était en réalité pudiquement dissimulé sous un voile d’hypocrisie. Découvrant à quel point le cerveau était capable d’auto-persuasion quand on refusait d’admettre la vérité. Elle savait seulement qu’elle ne savait rien, cherchant quelle image, de toutes celles exposées devant son œil mental, représentait la réalité. Tout en craignant de se leurrer de nouveau, une possibilité qu’elle refusait.

Une part d’elle-même avoua intérieurement avoir en quelque sorte besoin d’évacuer ne serait-ce qu’une infime fraction de cette incertitude accompagnant désormais chacun de ses pas. L’autre murmurait que cela ne servirait qu’à induire davantage de déséquilibre encore.

– C’est compliqué… Simplement, je me sens un peu perturbée. L’attaque de la forteresse a été brutale pour tout le monde, et totalement inattendue. J’ai juste besoin d’un peu plus de temps pour remettre les choses en place. Tu dois comprendre ça, non ?

Voilà, une réponse parfaite. Plausible, cohérente, et assez éloignée de la vérité pour que Tekris n’aille pas chercher trop loin.

Celui-ci acquiesça silencieusement, continuant néanmoins à l’observer. Gênée sans trop savoir pourquoi, elle croisa les bras, grattant nerveusement leur intérieur. S’en apercevant, elle cessa immédiatement, retenant un soupir de soulagement quand l’adolescent se détourna.

La mission, donc, s’admonesta-t-elle, reprenant contenance. Elle déplaça lentement son X-Reader le long des parois, tentant de localiser plus précisément l’origine du signal.

Son excuse dut satisfaire Tekris, puisqu’il l’imita rapidement sans insister.

D’un geste, elle lui intima de la suivre, ce qu’il fit sans hésiter. Les Stax avaient sûrement eut le temps d’atteindre les statues moaï, avec toutes ces palabres, songea-t-elle, accélérant le rythme.

Laissant derrière eux les adolescents pour se replonger dans leurs rôles de combattants, les deux Radikor progressèrent en silence, suivant les indications de leurs X-Readers, les appareils frôlant la crise d’apoplexie tant le signal sonore s’affolait. La quantité de kaïru obscur devait être impressionnante pour provoquer une telle réaction !

Et évidemment, Zane ne paraissait pas décidé à montrer le bout de sa trogne, comme convenu, histoire de les aider à remporter un possible défi ! À deux contre quatre, Zair ne leur donnait pas grandes chances de remporter la victoire. Il ne restait plus qu’à espérer qu’elle avait suffisamment récupéré pour offrir un combat à la hauteur.

Mais qu’est-ce qui prenait tant de temps à leur chef pour traîner de la sorte ?!

Non, ce n’était pas exactement la question trottant en boucle le long de ses petites cellules grises.

Avait-il décidé de les abandonner à leur sort, finalement, décidant que rien ne justifiait qu’il se salisse les mains ?

Voilà, ainsi formulé, cela ressemblait davantage à sa pensée. Décidément, elle pouvait se voiler la face en invoquant la mission, ses souvenirs, le Père Noël ou même le Grinch si ça lui chantait, toutes ses pensées revenaient à lui, encore et toujours. Zane qui se destinait à devenir un conquérant, Zane qui ne daignait pas venir les soutenir… Zane et son espace-temps étrange, incompréhensible, trop prenant pour qu’elle puisse l’ignorer. Comme une sorte d’espace-temps capable de créer son propre temps, de son plein gré, dans un espace particulier. Une réalité incompatible avec la réalité, puisque chacun vivait dans un temps parfaitement intégré dans tous ceux de l’Univers. L’unité dans la multiplicité. Comme avec Tekris, tellement en accord avec les espace-temps qui l’entourait, sans même qu’il ne s’en rende compte, au point de former une véritable harmonie. Zane, lui, dissonait complètement, tel une symphonie chaotique qui ne s’imposait pas, tout en ne pouvant pas être ratée. Impossible à rater.

Une telle conformation d’espace-temps paraissait tellement… Contre-nature ! Un espace-temps difforme, créé de ses propres mains, sans savoir comment.

– Fais attention, il y a un pic joliment perpendiculaire au sol, sur sa droite, fit Tekris, la ramenant au présent.

– J’ai vu, merci.

Relevant la tête, une fois la collision entre l’affleurement rocheux et son front loin derrière elle, elle ne put s’empêcher d’éclater de rire devant l’expression purement éberluée de son coéquipier. Oh, que la tension permanente n’était pas bonne pour ses pauvres nerfs bien malmenés !

Se mordant avec force l’intérieur de la joue, elle parvint, tant bien que mal, à freiner son hilarité.

– Bon, marmonna Tekris, incertain de devoir se sentir vexé, ou flatté de l’avoir distraite de ses pensées moroses, je vais plaider pour la folie passagère…

– Crois-moi, ça vaut mieux, confirma Zair, attrapant une larme échappée de son doigt. Et arrête de me surveiller en douce, ou je vais vraiment finir par m’énerver !

Quoique, là, tout de suite, associée au colosse, la réaction lui paraissait… mignonne. Et peu importait combien de neurones avaient soufferts dans le processus.

Haussant les épaules, elle tenta un sourire à l’encontre de l’adolescent, au moins pour le décrisper un peu, son humeur soudainement bien plus lumineuse.

– Ouais, bon, si tu veux. Hum, la relique est par là, déclara simplement le colosse, oscillant entre l’indécision la plus totale, ou répondre à son invitation muette.

Visiblement ravi de trouver un dérivatif qu’il maîtrisait bien mieux, il pointa le doigt vers sa gauche, désignant ce qui ressemblait vraisemblablement au fond de la grotte.

Au contraire du reste des falaises formées à partir des tremblements de terre agitant régulièrement les alentours, déjà instables, l’ouverture pointée par l’E-Teens présentait une forme ovale, s’étendant sur une ou deux dizaines de mètres, les parois irrégulières faisant irrésistiblement penser à un tunnel creusé par un ver géant – et doté d’un estomac à toute épreuve. Des stalactites pendaient ; si jamais un autre séisme venait à secouer la grotte, une bonne majorité d’entre eux se décrocherait à coup sûr, jaugea Zair, le coup tendu en leur direction. Si la roche gardait sa teinte bleu-gris à l’entrée du tunnel, elle cédait rapidement sa place à l’éclat violacé, menaçant, du kaïru obscur. Envahissant possessivement la totalité du sol au-delà, l’énergie illuminait son intérieur, là où la seule lumière disponible, le soleil frappant les gravats au travers d’une large fissure au-dessus de leurs têtes, n’aurait normalement pas pu l’atteindre.

Parcourue d’un frisson, Zair se demanda si la création de Lokar pouvait de son propre chef choisir son lieu de résidence. Celui-ci, en particulier, semblait fort peu naturel pour du kaïru. L’état de délabrement de la roche, à partir de ce point précis, paraissait indiquer une installation déjà lointaine, mais rien n’était moins sûre. Plus d’une fois elle avait été témoin de la capacité de l’énergie à affaiblir tellement l’endroit où elle se logeait, qu’il paraissait abandonné, ou détruit, depuis des années. Elle parierait sa chemise (qu’elle ne possédait guère) que s’étalait sous leurs yeux l’épicentre des tremblements secouant la région. Et un gros épicentre.

– Voilà un bon paquet d’énergie, siffla admirativement Tekris, résumant sa pensée.

– Tu l’as dit. Nous devrions le récolter avant de nous retrouver face-à-face avec les Stax.

Comme s’il s’agissait d’un signal, le kaïru obscur s’agita, sa surface se ridant comme une pierre jeté dans un étang. Sans crier gare, il se jeta violemment sur l’ovale de son abri, heurtant de toute sa force les parois instables. L’entièreté de la caverne remua, à peine un frémissement, l’avant-garde avant que la véritable charge ne survienne. Celle-ci ne tarda pas, surgissant du cocon choisi par le kaïru, se propageant le long des parois, sur le sol, remontant vers la surface à une vitesse vertigineuse.

Venus de la surface, d’immenses rochers s’effondrèrent dans un fracas du diable, transformant la grotte en véritable guet-apens pour qui s’attarderait.

Lâchant un juron incompréhensible, Zair abandonna son observation, agrippant le bras de Tekris pour le pousser sans ménagement sous le tunnel menant à la cachette de l’énergie, à quelques pas de son entrée. À la forme bien trop régulière de certaines plaques, elle supposa qu’une bonne partie des dalles supportant les statues moaï à la surface s’était joint au reste des débris s’étant détaché des abords de la fissure.

Si se trouver hors de portée de ces assommoirs – plus ou moins – naturels avait beau être des plus agréable, la proximité du kaïru obscur se révéla bientôt des plus dérangeantes. D’ici, Zair ressentait sans peine sa puissance, et sa malveillance tapie dans la moindre parcelle d’énergie, attendant un faux-pas pour prendre le contrôle. Comment Zane pouvait-il autant apprécier manipuler cette force étrange ?! Zair avait beau adorer Crapler, mais le kaïru obscur ne cessait de leur rappeler qu’une erreur d’inattention, ou une trop grosse prise de confiance, entraînerait de fâcheuses conséquences.

Seuls les braves, les puissants et ceux possédant une volonté sans faille seront capable d’asservir cette formidable énergie, et non pas de la servir. Mais je me demande si je n’ai pas engendré de vulgaires esclaves !

Énergie différente, même sermon venu du passé…

Englouties par la terre déchirée, les faces boudeuses habituellement tournées dos à la mer s’écrasèrent lourdement au plus profond de la grotte, d’un seul mouvement sec, avant de s’immobiliser. Peut-être pour l’éternité, songea Zair, vu la hauteur d’où elles étaient tombées.

– Ce ne sont pas les seules figures humaines à tomber dans le gouffre, soupira Tekris, frappant son front de sa main.

Suivant son regard, elle retint sa propre réaction, similaire à celle du colosse. Ky, accroché à Maya, elle-même s’agrippant au pantalon de Boomer, enfin retenu à une branche, seul moyen pour eux de ne pas s’aplatir bêtement sur le sol rugueux, les silhouettes des Stax surpris par le séisme se découpaient faiblement sur le carré de ciel turquoise en arrière-plan.

– C’est pas vrai ! À tous les coups, ils vont échouer pile ici, à trois pas de la relique, et nous forcer à provoquer le combat !

– Pas si vite, contra Zair, observant leurs ennemis, paupières plissées. Ky va utiliser son X-Reader. Avec un peu de chance, il réussira à les sortir de là, et nous aurons les quelques minutes nécessaires pour récolter le kaïru.

Elle s’efforça de mettre autant de conviction que possible dans sa voix. Le destin ne pouvait pas leur tendre un doigt aussi énorme, n’est-ce pas ? Alors qu’ils touchaient au but, ce serait trop bête !

Dents serrées, elle ouvrit instinctivement son esprit, cherchant à contacter mentalement Zane. Ne serait-ce que pour lui secouer un peu les puces ! Il prenait le thé avec le lapin blanc ou bien ?!

Au bout de plusieurs tentatives infructueuses, elle abandonna, dépitée. Incapable d’atteindre son destinataire, bloqué par une sorte de brouillard semblable à celui des écrans de télé en panne, son message ne parvenait pas à quitter la surface de sa conscience.

Zane avait dû se fermer de nouveau à son contact psychique. Ça ne pouvait être que cela.

– Bon dieu de bonsoir ! lâcha Tekris, à des lieues de ses préoccupations. Il utilise une tempête foudroyante !

– Quoi ?

Zair glissa un doigt derrière son oreille, la grattant vigoureusement. C’était un choix étrange, et plus encore de la part du chef des Stax. Les attaques dirigées vers le ciel, en présence du kaïru obscur, étaient le meilleur moyen de déclencher une véritable tempête – elle en savait personnellement quelque chose.

Comme elle s’y attendait, le ciel, une seconde auparavant limpide, se couvrit de cercles violacés gigantesques couleur violette tout autour de l’île, les éclairs grenats, symboles de l’attaque lancée par Ky, déchirant les cieux, alors qu’une pluie torrentielle s’abattait en autant de hallebardes acérées. Ces manifestations, pour impressionnantes soient-elles, ne duraient jamais bien longtemps. Suffisamment cependant pour rendre la branche à laquelle se maintenait Boomer plus glissante que du savon, ôtant toute possibilité de prendre une prise correcte.

La chute des Stax pouvait se compter en secondes à présent.

– Mais quel imbécile ! Ah, ça peut se prétendre champion à ce niveau de stupidité !

– Je ne pense pas, Tekris. Selon moi, la faute vient de son X-Reader cassé ce matin. Tu te souviens, il a tenté d’utiliser les boules de feu, mais rien n’est apparut. Les dégâts doivent être importants.

– Dans ce cas, autant ne pas utiliser son X-Reader et rester sagement au monastère !

– Arrête de vociférer sur la bêtise de Ky, ça ne change rien à la situation.

– Ouais, d’accord, mais j’aurais préféré éviter un combat inutile

– Tant que ce n’est pas pour me « protéger », railla sèchement l’adolescente. Je détesterais que tu me prennes pour une demoiselle en détresse.

L’air effaré de son compagnon la renseigna plus efficacement que toutes les paroles qu’il aurait pu prononcer. Bon, d’accord, il parlait encore sans réfléchir, pour ne s’en rendre compte que trop tard.

Heureusement pour lui, l’atterrissage, pas discret pour un sou, des Stax le dispensa de répondre. Zair se contenta de lancer un regard d’avertissement, lui promettant que le sujet ne resterait pas clos longtemps, avant de reporter son attention sur leurs ennemis.

Dommage, ils bougeaient encore.

– Le kaïru obscur est quelque part dans cette grotte, déclarait sentencieusement Ky, remit sur pied.

– Sans blague, marmonna Tekris, trop bas pour être entendu de quelqu’un d’autre que Zair.

Un coup de coude dans les côtes, ponctué d’un grognement étouffé, le réduisit au silence.

– Oui, et malheureusement il semble se répandre à la surface, ajouta Maya, se tournant de trois-quarts.

Zair n’écouta pas la suite de son discours. À peu de choses près, la jeune métisse allait tomber droit sur la source. Se baissant afin de ne pas être visible, imitée par son coéquipier, la Radikor le défia silencieusement d’ajouter le moindre commentaire. Suffisamment intelligent pour saisir la menace, il referma poliment la bouche, sans pour autant chercher à masquer sa désapprobation.

– On doit se dépêcher de trouver la source et de la récolter, ou toutes les statues de l’île vont finir enterrées ici à jamais ! renchérit le chef des Stax, hochant la tête en direction de sa coéquipière.

– Ça, ce serait plutôt une bonne chose, ne put s’empêcher de marmonner Tekris.

Sursautant, il plaqua la main sur les lèvres, tentant un regard d’excuse. Retenant un soupir las, Zair le foudroya du regard en retour, le colosse se rapetissant prudemment. Il ne pouvait pas garder le silence deux petites minutes ou quoi ? Encore heureux qu’il ait eut la présence d’esprit de murmurer !

– Ils se séparent, chuchota-t-elle à son tour. Essayons de voir s’ils s’éloignent, comme ça nous pourrons récolter la relique avant leur retour.

– Excellente idée ! Comme ça, on a encore une petite chance d’éviter de se battre !

Il se mordit la lèvre, trop tard.

– Juste, tais-toi, souffla Zair, agacée.

Malheureusement, leur espérance ne fut que de courte durée. Alors que chaque membre des Stax se détournait, empruntant une direction opposée à celle de ses compagnons pour ratisser l’ensemble du périmètre, Maya stoppa net sa course, une main posée sur son front.

– Attendez, je sens quelque chose… Le kaïru est tout proche, juste à côté de nous !

Ah oui, la capacité à détecter naturellement la précieuse énergie… Un don naturel de la seule Stax féminine, que Zair avait tendance à oublier par moments, pour son plus grand dam la plupart du temps.

– Bon bah c’est plié, résuma Tekris, mâchoires serrées.

Décidément, impossible pour lui de rester silencieux… Au moins, malgré son impatience chronique, Zane ne babillait pas toutes les minutes ! Quoique, pour cette fois, l’adolescente ne se sentit pas aussi irritée qu’elle croyait, vaguement amusée de la gêne croissante du colosse.

Bah, elle y réfléchirait plus tard. Aussi silencieusement que possible, elle sortit furtivement des ombres les dissimulant, se perchant sur le rebord menant à la relique. Tekris la suivit, se plaçant à sa droite, légèrement en avant. Zair grommela devant cette tentative absolument superflue de la protéger sans en avoir l’air, bien trop évidente pour ne pas attirer immédiatement l’attention. Ils allaient se retrouver engagés dans un combat kaïru, tout le monde serait touché, sans distinction !

Un bon point cependant, remarqua-t-elle, Ekayon n’était plus avec eux. Avec Ky et son X-Reader défectueux, leurs chances de victoire n’étaient peut-être pas si minces ? Un imprévu idéal. Où que soit le solitaire, qu’il y reste, et le plus longtemps possible ! À dire vrai, elle ne se sentait pas encore prête pour un combat d’anthologie.

Maya étant sur le point de les repérer, elle s’éclaircit la voix rapidement, les prenant de vitesse. Ne surtout pas les laisser croire qu’ils avaient été surpris, mais plutôt que les Radikor les attendaient.

Même amputés de Zane, ils restaient les Radikor, fallait soigner leur entrée.

– Seriez-vous en train de chercher quelque chose ? susurra-t-elle, attirant immédiatement l’attention des Stax, une main dirigée vers le kaïru qui, de toute façon, serait immanquablement repéré.

Pas mal, pour un premier essai de petit ton narquois, agaçant au possible. Un exploit dont elle était un peu fière, vu la sécheresse de sa gorge. Autant se satisfaire de peu. Mais déjà, leurs ennemis se rassemblaient côte à côte, formant une ligne défensive compacte.

– Aurez-vous la force de nous le prendre ? continua-t-elle, s’efforçant de mimer une décontraction qu’elle aurait bien aimé ressentir réellement.

Mais ils n’avaient pas à le savoir, alors autant les énerver un peu, tentant d’imaginer ce que Zane dirait, à sa place, pour obtenir le même résultat. Parfois, c’était utile pour pousser ses adversaires à la faute.

– Ce kaïru n’est pas à vous, alors n’imaginez pas que nous allons vous le laisser ! rétorqua Ky, poings serrés.

– Surtout que, ben, Zane n’a pas l’air d’être dans le coin. Vous n’avez aucune chance, renchérit Boomer, tout sourire.

Bien, cela avait au moins marché sur les deux garçons des Stax – en espérant qu’au contraire, cela n’attise pas leur volonté de combattre, songea, un peu tard, l’adolescente. Maintenant que c’était fait, de toute façon, autant assumer. Maya, cependant, parut n’entendre qu’à peine son adversaire, la concentration plissant les traits de son visage alors qu’elle prenait une pose défensive. Attentive au déroulement de la confrontation.

La stratégie élaborée avec Tekris misait tout sur l’ignorance des Stax concernant leurs nouveaux monstres de l’ombre. Paraître sûr d’eux, même en équipe réduite, pour les impressionner avec leurs nouvelles créatures obscures au moment de se transformer, était nécessaire si les Radikor voulaient avoir une chance d’ébranler leurs egos. Leur faire croire qu’ils n’avaient rien de plus que d’habitude, pour leur asséner un choc salvateur.

– Ah oui ? Alors, empêchez-nous de repartir avec ! continua la jeune E-Teens, le cœur battant la chamade.

– Oui, essayez pour voir ! Défi kaïru ! acheva Tekris.

À peu de choses près, Zair l’aurait félicité de ses progrès d’acteur. Juste à l’écoute, il paraissait certain de la défaite des Stax, voir heureux de se battre. À tout hasard, elle tenta de joindre Zane, une dernière fois. Sans succès. Bon, désormais, impossible de reculer…

Pourtant, alors que Zair imitait son coéquipier, joignant les poings, un mince espoir la caressa. Sursautant, comme giflé, Boomer grimaça comiquement, alors qu’il se hissait à la hauteur de son chef d’équipe. À cette distance, Zair ne put saisir exactement la teneur de leur brève conversation, tenue à voix basse, mais les Stax paraissaient hésiter franchement à engager le combat, observant avec insistance leur chef d’équipe.

Cependant, Ky balaya rapidement les objections de ses coéquipiers, secouant la tête en signe de dénégation. Malgré l’intervention de Maya et Boomer, il n’avait pas détaché une seule fois son regard des Radikor. Redressant le menton, Zair le toisa en retour, le cœur tambourinant violemment contre sa poitrine. Allez quoi, ce n’était pas compliqué d’abandonner le combat, juste pour ce coup-là !

Les muscles du brun se tendirent à craquer, comme si Zair, au lieu de simplement l’observer, hautaine, venait de le provoquer avec véhémence.

– Peu importe, siffla-t-il, un mince sourire ourlant ses lèvres, pas question de se défiler, on se bat !

Comment une seule phrase pouvait se révéler aussi insupportable ?! Pourtant, elle avait pris garde garde à ne pas le provoquer plus que nécessaire, tout en continuant à faire croire désirer le combat. Sauf qu’elle devait s’être trompée quelque part, apparemment… Un jeu d’équilibriste que Zane, à sa place, résolvait en courant à la confrontation. Ce qui dans un sens ne changeait pas tellement du résultat final.

– Défi accepté ! finit par clamer Ky.

Le visage peu convaincu des deux autres Stax, tous aussi incertains que les Radikor, serait une consolation en cas de défaite ! Mais ils ne protestèrent pas, joignant à leur tour les poings, ne montrant aucun signe autre qu’une foi incompréhensible pour leur chef d’équipe.

Au-delà de la faille, la tempête à peine calmée reprit de plus belle, signe extérieur de la bataille engagée. Même sans y être directement opposés, les combattants pouvaient deviner la violence des rafales, nombre de sifflements furieux frappant les parois, la luminosité tantôt presque brûlante, puis se retirant dans l’instant, plongeant les angles les plus reculés dans de profondes ténèbres. Les antiques statues moaï se transformaient, par intermittences, en monstres rugissants aux gueules béantes, engloutissant les imprudents ayant l’impudence de leur déplaire. Enfin, c’est ce que l’imagination de Tekris aurait pu produire, bien entendu.

Zair s’efforça de visualiser les sculptures comme elle les avait rencontrées quelques heures auparavant, d’énormes blocs de pierre taillée éclairés par la concentration de kaïru. Oui, c’était ça, de vulgaires statues affreuses sans aucun pouvoir quelconque.

– N’espérez pas trop ! Sans Zane, vous ferez long feu ! fit Ky.

– C’est ce que nous verrons. Il est temps de présenter nos nouveaux monstres, qu’en dis-tu, Zair ?

– Avec plaisir. Crapler !

– Maneclor ! la suivit immédiatement Tekris

La transformation d’humanoïde en monstre restait un des meilleurs moments pour Zair, une fois que l’on s’habituait à la sensation d’écartèlement, de devoir accueillir quelque chose de bien trop grand pour son corps frêle. La première fois, elle avait cru que ses entrailles finiraient éparpillées sur le sol avant d’avoir fini l’entraînement. La deuxième, l’appréhension domina le reste, et à la troisième fois, elle y prit goût.

C’était encore plus exacerbé avec son monstre de l’ombre, un peu plus gênant par moment, mais jamais réellement dérangeant. L’énergie était toute de contraste : autant libre, elle corrompait son environnement, les imprudents s’aventurant au sein de sa présence frappés par sa malveillance, autant une fois récoltée, elle se comportait comme n’importe quel autre X-Drive, sans faire de vagues. Le kaïru obscur nécessitait juste un entraînement plus intense au début, afin de saisir son fonctionnement, un peu différent du kaïru classique.

Une caractéristique des énergies artificielles, probablement, se dit-elle amèrement.

– Pinces dévastatrices ! cria Tekris avant quiconque, étonnamment rapide.

Dépitée de son propre comportement, Zair secoua lentement la tête. Si elle continuait à bayer aux corneilles de la sorte, autant ranger ses armes tout de suite et s’asseoir sur une statue échouée en mode spectatrice !

L’attaque de son coéquipier faucha Boomer, heurtant son ventre de plein fouet, pour terminer sa course encastré dans l’une des falaises. Lorsque la poussière retomba un peu, une empreinte ovale, plus large que le combattant, s’était creusé sous son poids, de petits bouts de gravats titubant tout autour de sa victime. Rien que pour cela, Zair n’aurait pour rien au monde voulut se prendre cette attaque. S’il parvint à rester debout, le blond eut quelques difficultés à sortir de son sarcophage à ciel ouvert, grimaçant en serrant son abdomen.

Derrière les Radikor, un craquement sec précéda la chute d’une poignée de stalactites, heurtant le sol silencieusement, le bruit de la collision entre les deux roches englouti par l’énergie.

Zair frissonna. Une énergie qui restait docile une fois récoltée, oui…

– Ça, c’était vraiment un coup bas, souffla Boomer. Au sens propre.

Tekris ne fit aucun effort pour le nier, souriant largement.

– Froztok !

Puis, une fois sa transformation complète, Boomer enchaîna sans laisser les Radikor répliquer.

– Fouet de glace !

Verte, l’attaque fut trop rapide pour que Tekris puisse l’éviter. Poussant un rugissement de gorge, gueule pointée vers le ciel, Maneclor se dressa de toute sa hauteur. De petites pierres tombèrent des étages supérieurs, pluie témoin de la force sonore de ses cris. Heureusement, Zair se tenait trop loin pour avoir à esquiver.

Un sourire sadique au visage, Tekris éclata de rire.

– Ça picote, lança-t-il à l’intention du monstre de glace.

Au lieu de répliquer, l’intéressé retomba sur le sol, esquissant un sourire complètement incompréhensible pour la jeune E-Teens tandis que son attaque disparaissait. Une simple impression due au monstre si ça se trouvait, leurs statures inhabituelles pouvaient se révéler très trompeuses. Encore une interrogation à remettre à plus tard. Bientôt, elle devrait se balader carnet à la main.

Elle devait faire confiance au colosse, le laisser gérer Boomer. Et elle, ferait sa part du travail. Soit Maya, dressée de toute son humaine hauteur. Impulsivement, Zair fut tentée de lancer une remarque cinglante, ne serait-ce que pour vanter la créature la recouvrant. Mais cela gâcherait de précieuses secondes.

– Choc briseur !

Elle ne se lasserait jamais de cette attaque ! Rapide, plus que la métisse en tout cas, qui se prit la tête à deux mains, tombant à genoux en gémissant.

– Maya ! cria Ky, jusque-là en retrait.

– Ne t’inquiète pas, tenta de le rassurer son amie. Je ne vais pas m’humilier face aux Radikor, surtout à deux ! Harrier !

– Épée de plasma ! lança son chef d’équipe au même moment.

Zair se baissa, prête à bondir. Une attaque rouge, particulièrement désagréable si elle atteignait sa cible sur la tranche, et qu’elle ne désirait certes pas expérimenter à nouveau. Elle stoppa son mouvement, inclinant la tête sur le côté. L’attaque de Ky, contrairement à tout ce qu’elle s’était imaginé, prit subitement une teinte verdâtre fluorescente entre ses doigts. Plus encore, l’épée se divisa en une série de petites balles, s’élançant en une dizaine de trajectoires différents aux quatre coins de la grotte.

L’adolescente connaissait cette attaque, pour cause, il s’agissait d’une des fétiches de Zane. Restant à sa place, sans esquisser le moindre mouvement, elle observa avec une moue dédaigneuse la dizaine de petites grenades partir de tous les côtés, rebondissant sur chaque surface à peu près plane. Aucune ne l’atteignit, complètement hors de portée.

Oui, son X-Reader défectueux pourrait être une véritable chance pour les Radikor !

Pour Maya, il en fut autrement. Harrier, créature aérienne, s’envola de suite afin de prendre de la hauteur, un avantage certain sur la E-Teens forcée de rester au sol… pour se faire frapper par l’une des petites balles bondissantes. Engluée par l’attaque, la jeune Stax tomba lourdement sur le dos, l’une de ses pattes collées à la roche.

– Des « grenades visqueuses » ? marmonna Ky, confus. Ça ne s’arrange vraiment pas !

– Tu es censé viser tes ennemis, pas tes coéquipiers ! le sermonna Maya, toujours à terre.

– Je sais ! Va dire ça à mon X-Reader !

– Lance foudroyante ! les interrompit Zair, visant Harrier.

Sa cible n’eut que le temps de pousser un petit cri, avant de se retrouver noyée sous des hallebardes de pierre générée par l’attaque. Malheureusement, contrairement aux espérances de Zair, ce ne fut pas suffisant pour lui faire reprendre forme humaine.

– Oh non, Maya !

– Merci du coup de main, ricana la jeune extraterrestre.

Ky serra les dents, se propulsant en avant, droit vers le combat, probablement dans l’espoir de tirer son amie sans défense des griffes de Crapler. Se retournant face à lui, Zair fit luire ses mains d’une aura agressive, invoquant une attaque de force. Du coin de l’œil, elle vit Boomer utilisait les haches blizzard contre Tekris, ramassé sur lui-même. Au lieu d’apparaître sagement sous la forme de deux tranchants en demi-lune, l’attaque se matérialisa en une série de petites haches, plus petites, mais plus nombreuses. Le blond pouvait donc évoluer finalement ? Dommage de s’en apercevoir durant ce combat-ci précisément.

Son souffle se relâcha, alors qu’elle ignorait qu’il s’était coincé dans sa gorge. Bondissant pour éviter le premier assaut, Tekris dévia le second à la force des poings. Hm, technique un peu primaire, et quelque peu fanfaronne, quoique efficace car aucune ne réussit à lui causer seulement une égratignure. Toujours utile d’avoir un costaud dans l’équipe, surtout quand il avait besoin de se défouler.

Prenant le temps de viser, puisqu’elle en avait exceptionnellement l’occasion, Zair enclencha son mouvement, invoquant l’étreinte mortelle, dans le but d’enfermer Ky dans une spirale reptilienne suffocante.

Pas assez rapidement.

– Si je ne peux pas lancer d’attaque, laisse-moi au moins me transformer ! plaida Ky en apercevant l’attaque, s’adressant directement à son X-Reader. Metanoid !

Zair serra les dents quand, à ce moment précis, le capricieux appareil accéda à la requête de l’humain, sa stature fine se disloquant, s’élargissant jusqu’à laisser la place à son monstre signature S’il ne put éviter l’attaque, une puissante pression de la créature de métal suffit à la briser avant qu’elle n’ait pu prendre entièrement forme autour de son corps.

D’accord, la prochaine fois, attaquer sans viser. Tenter une attaque rouge, plus lente, avait été une erreur ! Vraiment, elle se sentait mille fois plus à l’aise avec les offensives moins puissantes, mais plus rapides !

Sans s’arrêter une seule seconde, Ky la heurta de plein fouet, enchaînant avec une saisie de son bras – à croire que ça en devenait une manie ! – qu’il retourna dans un ample mouvement circulaire. Emportée par la force et la masse des monstres, la E-Teens alla s’écraser d’une manière très similaire à celle de Boomer, un peu plus tôt.

Qu’on ne vienne pas lui dire que ce n’était pas fait exprès, pesta-t-elle intérieurement, sonnée. Encore une chance qu’elle ait choisi de se transformer dès le départ, histoire de réduire un peu l’impact…

Le pan de roche devait être plus fragilisé que celui du blond, car comme avec le rugissement de Maneclor, une pluie de galets s’abattit sur les combattants, suivie du détachement de plusieurs autres suffisamment gros pour être qualifiés de petits rochers, élevant un nuage de poussière qui se dissipa rapidement.

– Faites attention ! Cette grotte est déjà instable, il vaudrait mieux éviter qu’elle ne s’écroule, avertit Maya entre-temps relevée, observant avec inquiétude les hauteurs.

– Ne t’en fais pas, une fois écrabouillée, tu n’auras plus à te soucier de ce genre de détails ! rétorqua sèchement Zair, se relevant avec efforts. Éclair de l’ombre!

Étouffant à la hâte un glapissement, Maya s’envola dans un puissant battement d’aile, l’attaque effleurant à peine ses pattes monstrueuses. Moqueuse, elle se retourna vers Crapler, restant prudemment en l’air.

– Tu devrais t’entraîner, tu m’as complètement ratée !

– Vraiment ? susurra Zair.

Rebondissant sur les pierres, l’éclair ne se dissipa guère, revenant frapper Harrier de plein fouet dans le dos. Poussant un cri de douleur, foudroyée de l’intérieur, Maya se retrouva pour la deuxième fois du combat sur le dos. Mais toujours sans se détransformer. Vraiment, aucun effort. Pourtant, elle s’était déjà pris un choc briseur dans la face, une verte réputée pour ses rebondissements incessants tant que la cible n’était pas atteinte !

Elle s’autorisa un petit rire sardonique, sans trop savoir à qui il était destiné, avant d’utiliser éclat de kaïru sur Ky. Sous la puissance de l’impact, le brun fut forcé de reculer, avant de tomber mains au sol, les yeux fixés sur sa coéquipière. Du coin de l’œil, elle la vit trembler en se relevant, incapable de faire plus qu’un genou au sol. Une autre offensive, et la Stax ne se relèverait pas ; ses réserves d’énergie devaient être proches du zéro.

Rejoignant ses compagnons suite à un vol plané parfaitement exécuté, bien qu’involontaire (un super cataclysme sûrement, ou un tremblement de terre. Enfin, elle demandera les détails à Tekris plus tard), Boomer amortit sa chute par un roulé-boulé, se redressant rapidement. Il paraissait en meilleur état que ses compagnons cela dit.

Un nouvel élément fit pencher la balance en faveur des Radikor.

– Oh non ! gémit Ky, tournant et retournant ses mains. Après les attaques qui ne fonctionnent pas, et celles qui se déclenchent au hasard, me voilà coincé en mode monstre !

– Comment ça, tu es coincé ? répéta Maya, toujours à demi-assise.

Sautant souplement – mais réception un peu lourde encore, constata Zair –, Tekris se retrouva en une petite poussée près d’elle, grognant férocement. Son regard l’interrogea muettement, scrutateur, aussi elle fit un vague signe discret afin de lui signifier qu’elle allait bien. Sans paraître totalement convaincu, il parut s’en satisfaire, s’avançant vers leurs ennemis. L’adolescente prit quelques secondes avant d’esquisser quelques pas, renonçant rapidement, l’environnement tournant dangereusement autour d’elle. Ce n’était pas catastrophique encore, mais si elle continuait à marcher, elle n’était pas certaine de parvenir à rester debout.

Prise dans le feu de l’action, elle n’avait prêté aucune attention aux signaux de son corps, frappant de toutes ses forces tout en évitant au maximum les temps morts. À présent qu’une pause relative venait s’installer, le contrecoup des offensives répétées s’abattait, amenant avec lui sa grande amie, la fatigue. Une désagréable nausée fit remonter un goût âcre dans sa gorge, les tempes pulsant doucement. Ne pas s’appuyer contre la paroi était un effort surhumain, ou plutôt surextraterrestre.

Par chance, Tekris s’occupait de projeter les Stax à l’aide d’une onde de choc, il ne verrait pas sa faiblesse passagère. Et dire que les monastèriens était à portée de kaïru, et Zair ne pouvait pas aider le colosse à en finir une bonne fois pour toutes ! Elle avait encore la possibilité de lancer une ou deux attaques, si rien ne venait s’ajouter, c’était son ratio normal ! Une fois son petit coup de pompe passé, elle invoquera une offensive rouge, bien puissante, les balayera en un rien de temps, ramenant l’énergie à un Zane sur lequel elle aurait toute légitimité d’exprimer son mécontentement.

Il lui fallait juste un peu de repos…

Ravalant un spasme douloureux, les formes retrouvant leur stabilité, elle franchit les quelques pas la séparant de Tekris.

Pour écarquiller à son tour les yeux. Elle regrettait de ne pas avoir écouté l’échange entre son coéquipier et les Stax plus assidûment.

Froztok, entouré du halo inhérent à l’invocation d’un monstre kaïru, se teintait d’une couleur rouge, totalement inconnue au bataillon de ses souvenirs. Bizarrement, elle ne la sentait pas du tout, la nouvelle bizarrerie du jour.

– Qu’est-ce que j’ai manqué ? souffla-t-elle envers Tekris, une sueur invisible sous cette forme coulant de son front.

– Ben… Il a invoqué un « Froztok Mutation ».

– Et c’est quoi ça ?

– C’est rouge.

– Sans blague ? ricana-t-elle, sa phrase ponctuée par le rugissement du monstre de Boomer.

Son coéquipier ne réagit pas à la pique, scrutant de ses pupilles jaunes le bras de Crapler. Elle se demanda ce qui fut si spécial qu’il s’en trouvait passionné, avant de se rendre compte qu’elle tremblait. Rien d’autres que de petits tressautements, cependant elle croisa les bras sur sa poitrine afin de le mettre hors de sa vue. Une simple précaution, où elle allait encore devoir subir les attentions croissantes de Tekris, tout ça pour des broutilles.

– Faut croire qu’il a enfin fait quelques progrès, déclara-t-elle, le ton neutre. Voyons voir ce que ça vaut ! Explosion paralysante !

– Zair, attends !

L’exclamation de Tekris se perdit dans le sifflement de l’attaque. De toute façon, Zair ignorerait ses remarques. Juste au cas où il ressortirait sa prudence du fond de son tiroir.

Boomer resta simplement en place, bras le long du corps, souriant désagréablement. Froztok perdit seulement l’écarlate de sa glace, se parant d’un bleu de minuit.

Les vapeurs céruléennes s’écrasèrent sur sa poitrine sans faire le moindre dommage. Ni même paraître avoir existé.

– Tu n’as pas autre chose comme attaque ? fit le blond, fanfaron.

– On a l’embarras du choix, intervint Tekris, coupant toute possibilité de riposte à sa coéquipière.

Le coup d’œil qu’il lui destina se trouvait particulièrement évocateur. Définitivement, il se fâchait de son manque de bon sens. Tant pis pour lui, elle n’avait rien promis.

– Super cataclysme !

Une immense vague de gravats, terre et boue mêlées, frappa le sol, grandissant au point d’engloutir totalement Froztok sur son passage. Mais juste avant sa disparition, Zair le vit clairement revêtir un rouge sang, sans qu’il ne paraisse esquisser le moindre mouvement de fuite.

Quand la déferlante retomba enfin, se fondant dans la masse à leurs pieds, il n’avait pas bougé d’un pouce. Même position, même air de défi accroché au visage. Rien ne semblait pouvoir l’atteindre.

– Wouah, très impressionnant, se moqua ouvertement le Stax.

La tête faite par Maneclor, avec ses oreilles pointues et la raie de mulet ébouriffée suivant la ligne de sa colonne vertébrale, fut si comique, que Zair dut étouffer un rire franc. Pourtant, rien ne prêtait à l’amusement : les Stax renversaient clairement la vapeur. Ou plutôt, c’était déjà fait, corrigea-t-elle en consultant sa réserve d’énergie. Assez pour la garder transformée, mais pas beaucoup plus.

La bile remonta le long de sa gorge, brûlant douloureusement son palais. Pas comme ça, pas à deux doigts de toucher au but, à quelques mètres de la relique ! Pas avec tous les efforts déployés pour se battre en effectifs réduits ! Sa tempe pulsa plus fort, l’amenant à poser la main sur son front, laissant échapper un soupir mi-désespéré, mi-dépité.

– Ce n’est pas juste…

– C’est aussi ce que l’on se disait il y a quelques minutes, rétorqua Ky. Explosion de magma !

Un jet puissant jaillit de ses mains, prêt à se jeter sur les deux Radikors… mais disparut à l’instant même où Ky commençait à se réjouir du bon fonctionnement retrouvé de son X-Reader.

Un répit de courte durée, Maya intervenant à son tour, face à Zair. Elle reconnaissait bien là sa veine…

– Eh bien, que t’arrive-t-il ? Tu as perdu ta langue ?

– J’ai mal au crâne, grogna-t-elle seulement, haineuse.

– Désolée, ça ne va pas s’arranger ! Rafale de vent !

Le souffle violent fouetta son visage, passant à un demi-centimètre à peine du nez monstrueux de Crapler. Zair eut l’envie irrésistible de se moquer – ah bon, c’était elle qui devait s’entraîner, vraiment ?

Prise néanmoins d’un subit doute, elle releva la tête, résignée… Juste à temps pour voir l’attaque lui revenir en pleine figure, impitoyable.

Une seconde, seul subsista un sifflement désagréable envahissant ses oreilles. Puis elle prit conscience de sa position allongée, sur le côté, et des affleurements piquant désagréablement sa chair. Trop pour être encore sous sa forme monstrueuse. Okay, le combat était terminé pour elle. Over, et qu’on la laisse dormir une année entière.

Grimaçant, elle dut s’y reprendre à deux fois avant de pouvoir se rasseoir, puis se relever. En mauvaise posture, Tekris expérimentait la portée d’un marteau de plasma quand il vous touchait à vitesse trop impressionnante pour être honnête. À sa décharge, il venait d’esquiver la congélation de Boomer.

Maya, désintéressée de celle qu’elle venait de vaincre, revint à la charge de son compagnon.

Impuissante, elle ne put que le regarder se faire propulser hors de la grotte par un jet de plasma, semblable à une éruption. Une fraction de seconde, elle parvint à se convaincre que Tekris allait redescendre, complètement sonné mais encore dans la course. Y renonça rapidement, serrant les poings sur ses cuisses.

D’accord, dès le début de l’affrontement, elle avait su que cela n’aurait rien d’une partie de plaisir, avec une équipe amputée de son meilleur attaquant. Mais l’espace d’un instant, elle avait vraiment cru qu’ils avaient une infime chance de retourner la situation en leur faveur ! Rarement la défaite avait eu un goût si amer.

Sans compter la crise de nerfs de Zane, à tous les coups, en apprenant que la relique revenait aux Stax.

Résignée, l’adolescente leva les bras en signe de reddition.

– C’est bon, vous avez gagné, marmonna-t-elle à contrecœur.

– Et pas qu’un peu ! Froztok mutation est vraiment un monstre exceptionnel, s’émerveilla Boomer, tapotant fièrement le plastron de son monstre. Pour un peu, j’en aurais presque de la peine pour vous !

– À ta place, je me méfierai d’avoir épuisé l’un de mes seuls atouts.

Glapissant de surprise, l’intéressé leva le nez, trop secoué pour songer à invoquer une attaque, à tout hasard. Prenant appui sur ses paumes de main, Zair se hissa difficilement sur ses pieds, imitant les Stax.

Se découpant sur la forme du ciel, perché au-dessus du gouffre où se déroulait la bataille, Ekayon leva un bras, l’agitant en direction de ses amis. Qu’est-ce que le solitaire fichait ici, bon sang ?! Il ne pouvait pas rester auprès de son maître, à exécuter des bondieuseries dont seul le Redakaï détenait le secret ?

Du calme. S’il décidait de se joindre à la partie, Zair pourrait tenter un écran de fumée, puis se glisser dans les ombres de la caverne, puis s’envoler pour retrouver Tekris, et rejoindre la forteresse. Détenir la capacité de voler était très pratique, mais tant qu’ils n’auraient pas les capacités pour l’utiliser en permanence, elle restait terriblement limitée.

– Ekayon ? Qu’est-ce que tu fais là ? s’étonna Ky, conservant sa forme monstrueuse alors que ses coéquipiers revenaient à leur aspect humanoïde.

– Longue histoire, éluda le solitaire, s'asseyant sans crainte sur le rebord instable. Je vous expliquerai tout au monastère.

Méfiant, comme chaque fois qu’apparaissait l’élève d’Atoch, Ky se tourna vers ses coéquipiers, une interrogation muette dans le regard. Aussitôt, Ekayon quitta sa façade d’assurance, fixant la Radikor droit dans les yeux. D’un petit signe bref, presque imperceptible, son menton se leva vers la voûte à ciel ouvert.

Interloquée, Zair fronça les sourcils. Venait-il vraiment de lui faire signe de partir ?!

Peu importait. Puisque la relique était perdue, pourquoi rester plus longtemps ?

Prenant son élan, elle parcourut quelques pas maladroits, avant de décoller brutalement, soulevant un nuage de poussière sur son passage. Zane avait quand même intérêt à avoir une bonne explication pour les avoir laissé tomber.


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Bonjour, ou bonsoir !


J’espère que ce chapitre vous aura plu ! Si vous avez un doute, une incompréhension, n’hésitez pas à le faire remarquer dans les commentaires, j’y répondrai avec plaisir !


Sur ce, bonne journée, ou soirée!


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