L'Arche du Péché

Chapitre 15 : En proie au danger

13659 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 18/01/2021 20:59

En proie au danger


Le silence, ombre carnivore et assourdissante, enveloppait les dunes gelées s’étendant à perte de vue, comme une chape de plomb mortuaire défiant toute vie d’oser seulement penser à s’installer au sein de la toundra verglacée. Puis, lentement, la tempête gagna les environs, l’épaisse couche de neige recouvrant la glace se mit à frémir sous les assauts des frimas. Continuant sa course, le souffle ondoyant parcourut les rares plaines herbeuses, entrecoupées de plaques scintillantes. Leur apparente tranquillité n’était que façade, le moindre choc suffisant pour fendre la glace servant de porte de sortie aux nombreux geysers sous-jacents, n’attendant qu’un signe afin de jaillir de leur prison naturelle, souffle brûlant au sein des flocons dansants. La bise, d’intensité moindre qu’au plus fort de la tempête sans cependant avoir rendu les armes, caressa ensuite les piton les plus ascendants, s’engouffrant gracieusement dans les hautes passes, se jouant des obstacles avec l’aisance conférée par sa nature même.

Troublant l’ordre indicible et immortel régissant ces lieux éternellement soumis au fouettement des rafales et aux frissons de la neige, un sourd bruit de glissement, comme une porte en terre cuite poussée sur ses rails, résonna doucement, le friselis étouffant rapidement cette manifestation incongrue. À flanc de montagnes, au pied d’un des plus petits sommets, un pan calcaire de la taille d’un homme pivota sur lui-même. Jaillissant précipitamment de l’entrée, deux silhouettes, trop grandes pour des enfants, et l’une encore un peu trop petite pour être adulte, continuèrent leur course encore quelques pas, avant de faire volte-face. Une fois la « porte » refermée, la plus petite tendit les mains, desquelles surgit un rayon blanc-bleu couleur neige, la scellant plus efficacement encore, quoique imparfaitement.

– Voilà, ça nous donnera de l’avance, conclut Zane, frottant ses mains afin de débarrasser ses gants de la poussière de la grotte.

Retenant un petit soupir agacé, il les leva à hauteur de ses yeux, examinant les petites déchirures sur ses poings. La peau en-dessous avait prit une teinte mauve, un peu violette par endroits, l’équivalent des rougeurs dues à l’irritation des humains, mais sur sa propre peau. Une conséquence on ne peut plus logique, à force de distribuer châtaignes sur châtaignes à des espèces de zombies sans visages, incapables de comprendre qu’une frappe sur la tempe les mettaient censément hors-jeu plus d’une ou deux minutes ! Enfin, excepté les légères brûlures à cause du frottement de ses gants, rien de grave.

La morsure récoltée sur sa nuque l’inquiétait plus que ce petit bobo. Passant précautionneusement ses doigts sur la plaie, une humidité malvenue transperça en partie le tissu. Impossible que ce soit le résultat du mauvais temps ambiant, pas après avoir passé plus d’une heure confiné au travers de tunnels à peu près étanches. Ramenant sa main, le rouge-noir tapissant son index et son majeur confirma ses doutes. Et histoire d’aider, le vent s’engouffrant dans son col allait lui amener un rhume à ce train-là ! Quoique, il évita le pire, avec la tignasse installée sur son crâne, seule la base du cou se trouvait atteinte, non couverte par le bleu céruléen. Enfin, il fit jouer les muscles de son épaule, satisfait de ne ressentir qu’un picotement supportable. Le fut un peu moins en soulevant discrètement le tissu, constatant un large demi-cercle absolument pas régulier, et un peu trop de peau lacérée à son goût. Comme ça, Tekris verrait qu’il n’avait guère l’exclusivité des blessures au bras ! Au moins, il s’estimait à peu près en état de se battre.

Tournant le regard vers Ekayon, il conclut également sur son génie d’économiser son énergie kaïru en allant à l’affrontement physique. Le solitaire vérifiait de même la gravité de ses blessures, dissimulant mal une grimace de douleur en bougeant sa cheville. Si les quatre marques imprimées sur son flanc droit restaient nettes, un bon signe, les saletés incrustées par les ongles de son assaillant nécessitaient une désinfection rapide. Par contre, son visage restait pâle, son corps ayant tendance à se mouvoir plus lentement qu’à l’accoutumée.

Un signe ne trompant pas, l’homme avait épuisé une bonne partie de son énergie. Une ou deux attaque, et il ne serait plus en possibilité d’utiliser ses pouvoirs.

Remarquant enfin être le centre d’attention des pupilles onyx, son sujet d’observation se redressa, reprenant un air neutre, quoique légèrement enjoué. Et cela intrigua réellement Zane. Qu’y avait-il de satisfaisant dans leur situation ? Ce type paraissait plus irresponsable encore que Diara, ce qui n’était pas peu dire !

– Ça te fait rire ? finit-il par demander, ton sec.

Se tournant afin de lui faire face, Ekayon le balaya de la tête au pied, hésitant à répondre. Encore un détail horripilant ! Bon, à la réflexion, il s’en fichait comme d’une guigne : que le solitaire continue à ressembler à un clown stupide tant qu’ils pouvaient sortir d’ici le plus vite possible !

Et accessoirement prendre des chemins séparés, éloignés, sans jamais se retrouver coincés tous les deux une nouvelle fois, il en allait de sa sanité mentale déjà un peu bancale sur les bords ! Et dire qu’il trouvait Zair pénible… Il se découvrait une sacrée capacité de relativisation suite à cet accompagnement forcé !

– Rire, pas vraiment, mais on est vivant, c’est pas mal non ? Presque un exploit avec ces créatures !

– Pour une fois, je suis d’accord. Tu as eu de la chance que je sois là pour te protéger, mais n’espère pas que cela se reproduise !

– Hum, étant donné l’état de ton réseau labyrinthique, ça m’étonnerait. Désolé que ces créatures soient si envahissantes. Enfin, je suppose que ce qui se ressemble s’attire.

Furieux, Zane le dévisagea, crispant les poings. S’il faisait vite, il pouvait l’atteindre…

– Pardon ? Qu’est-ce que tu sous-entends exactement ?! Que je suis envahissant ?!

– C’est pas moi qui le dit, répondit Ekayon du tac-au-tac.

– Alors voilà le comble ! s’écria l’adolescent, levant les bras au ciel dans un geste exaspéré. Je te sauve la vie une première fois, te fais découvrir l’un des secrets les plus important de mon équipe, te guide à travers une série de décombres, je te sauve une deuxième fois la vie dans les tunnels que je t’ai indiqué, puis une troisième fois devant ces marionnettes sans visage ! Tout ça pour quoi ? Me faire insulter ?!

– Je t’en prie, arrête d’en faire tout une histoire, c’était une boutade, voilà tout, tempéra l’autre.

Plus que son expression mi-figue, mi-raisin, ce fut son sourire à peine dissimulé qui persuada Zane de la fausseté de cette dernière affirmation.

– Tu me prends pour un idiot ? J’aurais dû laisser Saïn te faire tomber cette avalanche sur la figure !

Ekayon haussa les sourcils, avant de les froncer, ne souriant plus.

– Tiens donc, une avalanche ? Oh, la cause de la « gratitude éternelle » que je suis censé te vouer ?

– Exactement. Fou comment ta mémoire peut être efficace, quand elle le veut. Très sélective.

– Pas autant que la tienne. D’ailleurs, tu te trouves bien informé, dis-moi ? Je n’ai guère vu d’avalanche pour ma part, et encore moins m’arrivant droit dessus.

– Évidemment, puisque je l’ai arrêtée ! Et j’ai simplement rencontré ces trois tarés avant toi, comprenant leur plan en les espionnant. D’autres questions ?

– Puisque tu proposes, pourquoi es-tu venu ici, dans le froid et la neige ? Sûrement pas pour me sauver ?

Pas la peine d’être un génie pour comprendre que la dernière phrase se trouvait purement rhétorique. Serrant et desserrant alternativement les poings, Zane regretta plus que jamais la résistance du combattant à l’épuisement. Mais il lui devait vraiment reconnaissance infinie, il y tenait !

– Voilà une désagréable plaisanterie ! À cause de toi, nous nous trouvons dans cette situation atroce, je suis obligé de supporter tes bavardages inutiles à longueur de journée, et tu oses demander… ça ?!

– Si ça te déplaît tant, il ne fallait pas proposer, répondit le solitaire, haussant les épaules.

– Quel culot ! Même Diara est moins insupportable que toi !

– C’est parce que tu ne vis pas avec toi-même ! Cette mission est la plus difficile de toute ma carrière !

– Ah oui ? Une relique a-t-elle été détectée dans les environs ?

– Hein ? Non ! Tu ne comptais pas aller récolter du kaïru dans notre état ? fit Ekayon, tout à coup soupçonneux – à dire vrai, cela ne l’aurait guère étonné.

– Donc, tu me suivais bien ! Ne nie pas, tu t’es trahi, triompha le vert, pointant un doigt accusateur.

– Ne me dis pas que ça te choque ? Ose dire n’avoir jamais espionné tes ennemis.

– Je n’ai jamais espionné mes ennemis.

La surprise restait un doux euphémisme pour décrire ce que ressentit le châtain à ce moment.

– Sérieusement ? C’est vrai ce mensonge ? Toi, pas une fois tu as…

Il se tut, sans savoir comment achever, et l’adolescent savoura son air totalement perdu. Voilà une révélation à laquelle le solitaire ne s’attendait pas !

Cela ne dura pas plus de temps que celui qu’il fallut à Zane pour rouvrir la bouche.

– Tu m’as mis au défi d’oser. Sans préciser si ce devait être vrai.

Ses lèvre s’étirèrent en un large sourire provocateur. Oh qu’il aimait lui rabattre enfin le caquet !

Pas pour longtemps, hélas.

– D’accord, tu as raison, t’es content ? Mais tu ne peux pas user de cet argument contre moi ! Ni contre les Stax. Peut-être diras-tu que ce n’est pas digne des combattants du bien, espionner l’équipe adverse…

– Ça m’a effectivement effleuré l’esprit. Avoue que venant des méchants, ces pratiques n’ont rien de surprenant. Mais concernant le Redakaï ? Voilà qui met à mal vos chers principes ! Ne venez pas prêcher quelconque leçon de morale après ça !

– Il s’agissait d’une simple mission de reconnaissance ! Cette histoire nous concerne tous, Redakaï compris, en particulier si Lokar se cache derrière le kaïru obscur et ces nouvelles équipes.

– Ces ? répéta Zane, intéressé. Tu veux parler de Teos, bien sûr, et de qui d’autre ?

– Une nouvelle équipe de E-Teens, des triplés, tous identiques à l’exception de leurs yeux et d’un symbole sur leurs combinaisons. Plus on en apprend sur eux, plus les indices tendraient à prouver que Lokar a survécu.

Un lourd frisson parcourut l’adolescent ; instinctivement, il resserra les pans de sa cape autour de son corps fatigué. Une simple réaction à la température ambiante, rien de plus… Amer, il ne put que constater qu’en dépit de ses bonnes résolutions, le retour de son ancien maître s’annonçait tellement catastrophique qu’il peinait à accepter pleinement cette hypothèse. Certitude, se corrigea-t-il.

Tu parles, en réalité, tu ne sais pas comment tu te comporteras face à lui, voilà la raison de ta peur !

Il referma doucement ses paupières, soupirant. Il ne manquait plus que ça… À tous les coups, impossible de compter sur le monastère pour faire la peau au Maître du Mal, avec leurs bons sentiments et grands principes, impossibles à transposer dans la réalité évidemment !

Sentiments, toujours les sentiments, tant de faiblesses… Je n’ai pas besoin d’aide ! Par le slip léopard de mes ancêtres, le fichu Seigneur Héritier, rien que ça ! À nos trousses ! Mais pourquoi ? Comment nous ont-ils retrouvés ?

Pinçant les lèvres, il frappa une congère à sa portée, frustré. Tant d’incompréhension, de zones d’ombres, sans personne à qui demander… Demander quoi ? Il n’avait pas besoin d’aide ! Il pouvait gérer cette situation seul, ou avec ses équipiers à la limite !

Vraiment ? Pourtant ils sont à nos trousses ! Reprends-toi, allez, tu es le combattant le plus puissant de l’Univers, tu vas trouver une solution, leur faire regretter d’être nés, et surtout de se frotter à toi ! Ta colère est terrible ! Et puis, qu’est-ce qu’un simple Seigneur Héritier accompagné de ses sbires ? Il n’est guère intouchable pour toi, vu que de toute façon seule ta mort les intéresse. Courage Zane !

– Zane, tu es au courant que l’endroit n’est pas idéal pour une sieste sauvage, rassure-moi ?

Quoique majoritairement moqueuse, la voix conservait une intonation prudente. Presque inquiète. Elle eut au moins le mérite de le sortir de ses pensées sombres, fâché qu’on puisse le prendre pour un faible.

Prenant une grande inspiration, l’intéressé se redressa, laissant ses mains retourner sur ses hanches.

– Faut pas avoir peur comme ça, c’est juste l’équipe la plus forte rencontrée jusqu’alors, ironisa Ekayon.

– Ta gueule, grogna l’adolescent de méchante humeur, le toisant brièvement avant de le dépasser.

Bouche bée, le solitaire ne resta pas longtemps en arrière. Quelques bonds, et il se retrouva au côté de l’extraterrestre, revenu à son éternelle bonne humeur. Quelque chose pouvait-il vexer cet animal plus d’une ou deux minutes ? Zane aurait payé cher pour le savoir.

Une bonne chose, sortir des galeries souterraines calmait crescendo sa soif de paroles. Suffisamment pour sortir des montagnes dans un silence relatif, poursuivis par la tempête. Cette dernière stagnait, ne prenant ni ne perdant d’ampleur, mais gardant toujours les deux garçons en son sein. Une idée ridicule, jugea Zane en la chassant immédiatement. Les évènements récents se trouvaient largement suffisants pour alimenter sa paranoïa encore de nombreuses années, pas la peine de s’en rajouter soi-même ! Pourtant, force fut de constater, à force de lever régulièrement les yeux au ciel, la quasi-absence de frimas hors d’un certain cercle autour de la zone de progression des combattants. Oh, tout ne se trouvait pas concentré sur leurs seules personnes – encore heureux –, néanmoins pas un col, pas une passe ne fut franchie sans que retentisse à leurs oreilles le sifflement des rafales voraces, s’engouffrant dans sa cape, la gonflant comme une voile avant de plaquer ses pans sur son corps déjà bien refroidi.

Libre de réfléchir de nouveau, Ekayon se tenant quelques mètres plus avant (l’instinct du solitaire remontant à la surface, sans doute. Ils étaient peut-être deux, mais lui agissait maintenant comme s’il se trouvait seul. Déformation professionnelle bienvenue, sûrement). Naturellement, il prenait le rôle de l’éclaireur sans daigner consulter son compagnon de galère. Ironiquement, Zane songea que sans le savoir, l’homme adoptait un rôle similaire à celui de Zair dans sa propre équipe.

Bref, il restait à découvrir la raison de la présence de Teos et compagnie (un de ces quatre, une appellation plus efficace, et surtout plus brève, devrait être trouvée !) en ces contrées. Dommage, exactement comme dans sa vision, le Radikor s’était trouvé trop éloigné des trois adolescents pour écouter leurs conversations, en particulier dans ces conditions. Mais surtout, pourquoi ce qu’il avait vu ne correspondait pas exactement au déroulement des évènements ? Maya, du peu qu’il en savait, avait des visions se réalisant toujours au poil de derrière près, quelle que soit la prédiction en question. Donc pourquoi les siennes pouvaient être ainsi modifiées ?

Mieux valait laisser tomber ce questionnement. Au fond, l’important était de réussir à rester en vie, et ceci peu importe le pourquoi de ses visions.

L’adolescent grogna, accélérant sans y prendre garde le pas, avalant la distance le séparant du solitaire. Bien sûr que non ! Le comment, au contraire, l’intéressait au plus haut point. Ces manifestations oniriques ne venaient pas d’apparaître comme par magie, oh non, à son grand malheur. Au contraire, cela le poursuivait depuis l’enfance, mais toujours de manière à précipiter encore davantage sa chute.

Dès la première manifestation de cette capacité, tout indiquait que cela ne pourrait que lui causer davantage de problèmes.


µµµ


Emmitouflé dans une épaisse couverture, l’enfant de cinq ans observait attentivement le chaos régnant tout autour de lui. Une rébellion civile, dans la demeure des Potentiels, destinée à former les futurs soldats du Dôme. À son âge, il ne saisissait pas tout, seulement que le désordre suivait ces hommes et ces femmes refusant stupidement de servir les Trônes – si il avait su, à l’époque ! Ils n’avaient qu’à se suicider, s’ils acceptaient de ne pas être assez puissants pour maîtriser le Pouvoir, au lieu de s’en prendre aux autres !

Près de lui, une petite fille, une année plus jeune, à la peau doucement rosée, écarquillait les yeux, comprenant moins encore que son frère le déroulé des évènements. S’extirpant de la chaleur du tissu, il trottina jusqu’à sa frêle silhouette, prenant sans un mot sa main, avant de s’asseoir à ses côtés. Du haut des appartements de leur Père, les escarmouches étaient encore plus impressionnantes. Un froissement de velours, et une autre forme longiligne vint s’accroupir près des enfants. Sans un geste de tendresse, mais couvant avec satisfaction le garçonnet des yeux, elle esquissa un froid sourire. Sa bouche s’ouvrit, elle allait parler, mais se trouva interrompue par de petits coups précipités sur la porte magnifiquement champlevée d’émail écarlate, doré et argent. D’une voix pressée, la femme ordonna à l’individu d’entrer, nouant artistiquement ses longs cheveux bleus en un chignon négligé.

Entièrement apprêté pour le combat, le soldat salua les trois personnes présentes, embrassant le bout de ses doigts, puis les déposant successivement sur son front et son nez. Son armure, légère mais recouvrant et épousant son corps telle une deuxième peau, était noire aux bordures cuivrées luisantes, tout comme le symbole s’étalant sur le plastron, une rondache surmontant une flèche horizontale, pointant vers la droite. Le signe de la famille Arstin. Sans armes, une coutume obligatoire dans les Hauts Appartements, il portait une petite besace à la ceinture, de laquelle il tira un rouleau de cuir. Pendant que l’élégante dame saisissait le message, ouvrant le tube, l’homme murmura un bref « pardonnez-moi ». Surgissant des portes insérées dans les trois murs sans fenêtres, d’autres soldats, armés cette fois, fondirent sur le trio sans défense. Sans leur laisser la moindre chance de fuir, ou de se défendre. Criant de terreur, le garçonnet ferma les yeux devant la lame s’apprêtant à s’abattre sur son corps…

pour se réveiller, haletant, étroitement emmitouflée dans une épaisse couverture. Il sut qu’il avait crié, les yeux de sa petite sœur le fixant avec surprise. Cela le décida à reprendre un visage neutre, masque de sérénité qu’il se devait d’adopter en toute circonstance. Rassurée, elle se reporta son attention sur la bataille se déroulant en contrebas. S’extirpant du cocon de chaleur, il trottina jusqu’à elle…

Se figea.

Un froissement de velours, et la grande femme vint s’accroupir près des enfants. Sans chaleur, mais couvant avec satisfaction le garçonnet du regard. Fronça les sourcils en le voyant paniquer. Cédant à une impulsion, il se précipita vers elle, ouvrit la bouche pour parler.

Mère, j’ai vu…

Un bref coup retentit à la porte. Agacée, elle prit en soupirant l’enfant au creux de ses bras machinalement, s’apprêtant à ordonner l’introduction de l’homme dans ses appartements. Il tira sur ses vêtements, gémit.

Non Mère, ne faites pas ça !

Elle n’écouta guère, tentant de le bâillonner avec la main, la porte s’ouvrant comme au ralenti. Sa peur redoubla, et il désigna le soldat, reprenant de plus belle :

C’est un traître, il va tous nous tuer, je l’ai vu, ses complices sont cachés derrière les portes !

Un petit cri effrayé retentit derrière eux, le nouvel arrivant se figeant, la stupéfaction lisible sur son visage.

Ne soit pas ridicule, grogna la femme. Ne faites pas attention, la rébellion l’effraie un peu.

Pas du tout, protesta le petit, j’ai fait un rêve, et tout se passait comme maintenant, il disait aux autres de sortir, et eux ils sont armés, et ils vont nous faire mal !

Jamais, s’offusqua le soldat, je ne trahirai le Seigneur Arstin en introduisant quelconque arme dans ses appartements ! Et en particulier pour semer le désordre !

Tu vois, fit la femme, serrant avec force le poignet de l’enfant, ce n’est qu’un cauchemar, alors tais-toi.

Mais je vous jure, c’est vrai, je le sais, là ! s’écria-t-il, plaquant la main sur son cœur.

J’ignore ce qu’a cet enfant, tonna l’homme, seulement je ne souffrirai pas plus longtemps accusations si ignobles, moi qui respecte depuis ma naissance les Trônes et le Pouvoir !

Sur ce, il tourna les talons, au grand soulagement de l’enfant. Qui ne dura guère.

Furieuse, la femme le rejeta brutalement de ses bras. Avant de pouvoir crier ou protester, une douleur cuisante frappa sa joue, irradiant rapidement son visage. Un nouveau cri féminin perça dans la pièce, une petite masse courant se mettre devant le garçonnet, tremblante mais déterminée.

La femme exsudait la colère, colère se cristallisant sur la frêle fillette s’interposant. Au prix d’un violent effort, elle ramena ses mains jointes devant elle, plus glaciale que les nuits les plus sombres de l’hiver.

Eh bien, tu as besoin d’une petite… fille pour te protéger, constata-t-elle, méprisante. Sache, jeune imbécile, que l’homme que tu viens de froisser est le fils aîné du Maître Phosyas, par conséquent l’un des plus fidèle adepte des trois Tabous ! Un soutien de poids pour notre famille, qui a décidé de faire son apprentissage auprès de ton Père plutôt que du sien, insulté par un enfant stupide pour… un mauvais rêve ? Combien de fois t’ai-je dit de te taire quand je te l’ordonne ? Penses-tu que je fais cela uniquement pour te contrarier ? Je t’ai expliqué cent fois que…

Elle se tut, reprenant conscience de la seconde enfant, totalement perdue à ses paroles.

Bref, reprit-elle, il s’agit de la plus grande bêtise que tu aies jamais faite.

C’est pas vrai, j’ai sauvé nos vies ! contesta le petit. Ses soldats cachés nous auraient tués !

Ses soldats cachés ?! explosa la femme. Derrière les portes, n’est-ce pas ? Voyons cela ! (Elle s’avança tout en parlant, ouvrant le battant de droite.) Comme c’est étrange, personne ! (Rebroussant chemin, celui de gauche subit le même traitement, crissant sur ses gonds.) Là non plus, il en reste une ! Tiens, rien ! Il n’y a aucun traître dans les Hauts Appartement, et tu viens d’insulter le probable futur Maître…

Que se passe-t-il ? fit innocemment une seconde voix, douce et délicate.

La fillette sourit enfin, tendant les bras à la nouvelle arrivante. Au contraire de la première, elle était petite, très menue, mais son minois faisait pâlir d’envie la plupart des femmes du Dôme, en particulier ses yeux émeraudes, plus foncés que ceux de l’enfant qu’elle prit dans ses bras.

Je viens de croiser le Seigneur Héritier Phosyas, poursuivit-elle, il paraissait furieux.

Ce n’est rien Lasne, un simple malentendu, nous nous sommes mal compris, tout est de ma faute, répondit l’autre, stoïque, gardant le visage aussi neutre que possible.

Je vois. (Les yeux de la nouvelle arrivante dérivèrent sur le garçonnet, toujours par terre, s’attardant sur la marque violacée s’étendant sur sa joue.) Averitia, ne serait-ce pas cet enfant, la cause de cette agitation ?

Nullement, il est parfaitement éduqué, seulement un peu fatigué. En courant, il est tombé sur les tapis, une petite erreur de jeunesse. Ta petite le confirmera, n’est-ce pas ma chérie ?

L’intéressée ne répondit pas, observant alternativement sa mère, la femme devant elle, et le garçonnet.

Ne t’en fais pas, fille, sourit Lasne, nous en reparlerons toutes les deux. Très chère, vous ne voyez pas d’inconvénient à ce que nous nous retirions ?

Nullement, faites comme bon vous semble, répondit Averitia, sans pour autant forcer son sourire.

À peine la porte refermée, elle cessa de prétendre, tournant ses prunelles mauves vers l’enfant.

À cause de toi, je vais devoir mentir au Maître Arstin, me ridiculiser, tout en empêchant le Seigneur Héritier Phosyas de répandre la vérité ! Mieux vaut pour toi que tu vailles l’intérêt que je déploierai à ma peine. Au moins, tu as la fille de cette garce dans ta poche, voilà une satisfaction douce à mon cœur déçu. Elle ne parleras pas, pour t’éviter les ennuis. (Se rappelant soudainement quelque chose, elle tressaillit, dénouant ses cheveux afin de les tresser élégamment.) Reste là, je vais à la rencontre de ce soldat, l’affaire doit absolument rester entre nous trois. Et surtout, ne parle plus jamais de tes visions.

Visions, avait-elle dit. Pas cauchemars. Si l’enfant qu’il était ne pensait qu’à sa future punition, une seule question, avec le recul, trottait depuis des années dans la tête de l’adolescent.

Que savait-elle vraiment ?


µµµ


Si seulement, juste cette fois, tout s’était déroulé selon ses plans…

Et maintenant, ses fichues visions se révélaient exactes, en même temps que débarquaient Teos et sa clique !

Rageur, il tapa du pied sur le sol, peu soucieux de paraître enfantin. Tout ça n’avait aucun sens ! Et pour ajouter la petite cerise sur le gâteau, Zair et Tekris refusaient toujours d’avouer qu’ils en savaient plus qu’ils ne le disaient !

– Sans vouloir te vexer, c’est complètement inutile, ce que tu viens de faire, déclara Ekayon.

S’il adoptait un ton neutre, voir moqueur, les yeux gris-bleu lui accordaient pourtant une attention globale. Ils l’observaient, sans réellement le regarder, et Zane éprouvait la désagréable sensation qu’il devinait chacune de ses pensées, captait chacun de ses gestes. Il allait devoir se montrer plus prudent, s’il ne voulait pas trahir quoi que ce soit devant lui. Quant à savoir quel était ce quoi que ce soit, la réponse fut simple.

Absolument tout.

– Nerveux ? reprit l’autre, rivant son attention sur les plaines s’étendant désormais devant eux.

Bon, Zane ne se rappelait plus comment leur marche les mena jusqu’ici. Faire attention, vraiment.

Surtout en avançant aux côtés d’un ennemi. Pire, ce monastèrien précis !

– Prudent seulement. Avec notre niveau d’énergie, se battre risquerait de nous coûter cher.

– Bah, cette étrange équipe a bien dû épuiser une partie de ses réserves, non ?

L’adolescent grimaça. Il avait bien l’envie de ne rien répondre, le laissant apprendre à ses dépends les capacités enquiquinantes de Teos, histoire de lui donner indirectement une leçon. Cependant, il ne se sentait pas prêt à affronter les trois combattants seul, si le solitaire se retrouvait à terre par excès de confiance.

Un ricanement franchit la barrière de ses lèvres. Voilà qu’il se mettait à raisonner de manière totalement opposée à son habitude ! Les conséquences de se trouver confronté à plus fort que soi trop souvent ?

Non, certainement pas ! Teos n’était pas plus fort, simplement plus fourbe, enfin… Les Radikor aussi gagnaient cette réputation… Bref, ils devaient bien avoir un talon d’Achille !

– Ne les sous-estiment pas, grommela-t-il, ça te jouerait des tours. Vois-tu quelque chose ?

– Rien, excepté que la tempête a l’air de redoubler. C’est le moment où jamais de s’envoler, non ?

– Vraiment ? Explique-moi comment tu vas faire ? Hors de question de te porter !

Tout sourire, Ekayon dirigea sa main vers l’une de ses épaisses bottes. En l’observant de plus près, Zane vit trois boutons, disposés sur la tranche de la chaussure, sous une doublure conçue pour les protéger. Quand l’homme pianota rapidement selon un ordre précis, un léger vrombissement titilla désagréablement les oreille de l’adolescent. Comme mû par le fil d’un marionnettiste farceur, Ekayon s’éleva de quelques centimètres au-dessus du sol, poussant le vice jusqu’à croiser les jambes, dans une imitation grossière de la posture du lotus. Surpris, le E-Teens se recula de deux bons pas, peinant à en croire ses yeux.

Avec une aisance que seule conférait l’expérience, le monastèrien s’éleva de quelques mètres, vérifiant le bon arrangement de ses mitaines, pourtant parfaitement en place.

– D’accord, tu en as d’autres, des surprises du genre ? questionna-t-il, vexé sans vouloir l’admettre.

– Peut-être, ou peut-être pas. À toi de le découvrir !

– N’y compte pas, dès que cette stupide mission sera terminée, je t’enterrerai dans le coin le plus paumé d’Alaska si jamais nos chemins se croisent à nouveau !

– Pourquoi ce pays en particulier ?

Sérieusement, il ne pouvait pas ricaner, ou faire sa bravache, comme tout humain normalement constitué ?!

– J’aime pas l’Alaska, ça te pose un problème ?

– Du tout, ça me laisse froid.

Zane leva les yeux au ciel, sur le point d’envoyer le détestable jeune homme dans un geyser. Ledit jeune homme mimant une petite mélodie sur une batterie, toujours en l’air. Complètement idiot en somme, et très agaçant.

Se payant le culot, il s’envola à son tour, dépassant en une fraction de seconde son compagnon imposé, rasséréné par le « non mais ce n’est pas du jeu ! » qui suivit sa petite démonstration. Parvenu dans les hauteurs, il douta brusquement de la sûreté de la manœuvre, ralentissant brusquement son ascension.

Bah, au pire, les frimas les dissimuleraient aux yeux indésirables. Qu’au moins ce maudit mauvais temps serve à quelque chose !

Ekayon ne se laissa guère distancer longtemps, dédiant un petit salut de la main au E-Teens, parvenu à un pas ou deux de sa position. Zane serra les dents, le foudroyant du regard afin de le dissuader d’oser s’approcher plus près encore. L’autre haussa les épaules, s’appliquant à ne pas se faire emporter par les vents furieux, redoublant de violence.

Si la tempête continuait à s’intensifier, ils allaient devoir trouver un abri, ne serait-ce que pour le joujou d’Ekayon. Ce dernier était peut-être performant, néanmoins il ne valait pas une bonne vieille capacité naturelle, bien plus stable. Et, évidemment, ce serait à lui de supporter les sempiternelles plaisanteries puériles du jeune homme. Tout, mais pas ça !

Quoique, à sa décharge, il fallait avouer qu’Ekayon cachait bien ses quelques difficultés à voler droit.

– Il faut vraiment se dépêcher, fit soudainement son compagnon de galère. Regarde ce qui nous arrive droit dessus !

Suivant la direction indiquée par le solitaire, Zane distingua, au plus fort des tourbillons neigeux, une masse plus sombre entourée d’un halo de givre, créant un ersatz de tourbillon aussi instable que dangereux. Informe à cette distance, elle n’en restait pas moins menaçante : emportés dans un entonnoir de vents contraires, les deux combattants ne pourraient pas contrôler leur trajectoire, au risque de s’écraser au fin fond d’un fossé, ou pire. Vraiment, il n’éprouvait pas le moins du monde l’envie d’aller expérimenter la sensation d’un imbécile pris dans l’œil du cyclone. Une expression qu’aimait Tekris, ça aussi.

Une petite minute ! Elle bougeait un peu vite, cette masse, quand même, et un peu trop droit sur eux aussi… Déjà, il parvenait à en voir les contours, alors qu’à peine quelques secondes auparavant, ce n’était qu’une masse informe à peine détachée du fond.

Son cœur s’accéléra brutalement, alors qu’il comprenait que ce n’était pas le résultat d’un déchaînement des éléments.

– Ce n’est pas la tempête, hurla-t-il à Ekayon pour couvrir le bruit des rafales. Ce sont eux !

À peine eut-il le temps d’achever sa phrase. Un puissant rugissement coupa net toute possibilité de réplique au solitaire. Déchirant le cotonneux brouillard environnant, une gueule disproportionnée fondit sur le combattant du bien, seul un glapissement étonné échappant à ce dernier. Un instant, Zane craignit pour son sort, ne pouvant s’empêcher de guetter sa réapparition, nerveux.

Au dernier moment, le solitaire cambra les reins, se projetant de plusieurs pas en avant. Les puissantes mâchoires claquèrent dans le vide, à un poil du crâne de sa proie. Néanmoins, l’arsank se retourna, le tourbillon généré par le battement de ses ailes si puissant que les propulseurs ne tinrent pas, emmenant l’homme vers une chute tourbillonnante dans la toundra. La queue fouetta l’air, cueillant à son tour l’adolescent à la poitrine, le projetant avec brutalité au sol.

L’attaque avait duré moins d’une poignée de secondes.

Incertain d’avoir seulement décollé, Zane grogna, se relevant instinctivement. Dans un combat, surtout désavantagé comme celui-là, rester au sol signait fatalement la défaite. Définitive. Si le monde tangua devant ses yeux mi-clos, il ne regretta pas d’être debout, secouant son corps afin de le débarrasser de l’envahissante poudreuse. Non loin de là, le solitaire reprenait à son tour ses esprits, plus précautionneux.

Sautant de l’animal au sol, Teos et Saïn coururent vers leurs cibles, dans un ensemble parfaitement synchronisé. D’accord, après le repérage à la forteresse, ils passaient aux choses sérieuses.

Eh bien, ils ne sont pas au bout de leur surprise. Hors de question de perdre si près du but !

Prenant son élan, il s’élança à son tour, optant pour une accélération considérable, avalant les mètres. Du coin de l’œil, il distingua Ekayon se lançant à son tour dans la course, le suivant de près. Une désagréable impression de déjà-vu titilla sa mémoire, qu’il repoussa impitoyablement.

Saïn lança les hostilités, tirant son X-Reader de sa pochette.

– Slab ! invoqua-t-elle, hurlant de joie quand son corps se distendit, jusqu’à prendre la forme de la créature mi-aquatique, mi-terrestre. Explosion de photons !

Et en plus, ils veulent en finir le plus vite possible !

L’attaque, inconnue des registres du Redakaï, pris Ekayon au dépourvu, équivalant à un rayon d’énergie bleutée, en bien plus brillant. Et brûlant. Zane se baissa prestement, glissant sur le flanc, se redressant sur ses pieds dans le même mouvement. Par chance (enfin, s’il était possible de le voir ainsi), l’attaque était principalement concentrée sur lui, permettant au solitaire de ne pas se faire totalement happer à cause de la surprise. Plaquant les mains sur ses yeux, Ekayon recula de quelques pas, luttant pour retrouver le contrôle de sa vue. D’expérience, Zane savait qu’avec un peu de volonté, une ou deux minutes suffiraient peut-être.

Continuant sa volte-face, il se plaça entre Saïn et Ekayon. Ce dernier avait déjà plus ou moins affronté une première fois le démon à la peau noire, ses chances de le vaincre augmentaient s’il le laissait face à lui, plutôt que contre la vipère, dont il ne connaissait rien. Comme s’il avait le temps de jouer, en plus, les nounous !

Répliquant sans attendre, une fureur Radikor fusa droit sur la vipère, visant la tête. Inclinant son buste en arrière, l’attaque frôla le visage à présent penché de cette dernière, qui se redressa tout aussi rapidement, moqueuse. Son pied s’élança vers l’avant en une courbe dangereuse, et si elle ne se trouvait pas suffisamment proche pour atteindre physiquement l’adolescent, une décharge d’énergie jaillit de sa plante sans qu’elle n’eut invoqué d’attaque. Elle retomba lourdement sur le sol, effectua un nouveau geste de la jambe, dirigé vers le haut, et une seconde décharge suivit sa jumelle, légèrement décalée. Zane esquiva la première d’un volte-face rapide, mais, incliné de biais, le rayon ne lui laissa d’autre choix que de se trouver sur la trajectoire du suivant.

Poussant un cri d’angoisse, l’adolescent leva les bras devant son visage. Projeté sur plusieurs pas, il se retrouva allongé sur le flanc, grimaçant en constatant la dureté de la glace sous la poudreuse.

Ayant constaté la rapidité de son adversaire auparavant, Ekayon commença les offensives, évitant les attaques rouges, les plus dépensières en énergie, afin de s’économiser un peu. Une électro-rafale manqua de peu sa cible, Teos disparaissant dans un éclat grisâtre. Il réapparut, près du bras gauche du jeune homme, lui adressant un atemi brutal au plexus. Le souffle coupé, il ne put qu’encaisser le coup porté à sa cheville déjà atteinte. Une douleur brûlante remonta le long de sa jambe, laissant son cœur au bord des lèvres. Il devait rêver, cette façon d’agir était loin de correspondre au Code d’Honneur !

Sa surprise ne s’arrêta pas là. Envoyant une lame foudroyante sur le noir, il crut l’avoir enfin touché, l’autre n’ayant pas pu l’éviter. Mais une fois la fumée dissipée, nul extraterrestre effondré sur les congères, ni guère de présence humanoïde non plus.

Un éclair de douleur se plante entre ses côtes, presque à l’endroit où sa chair s’était faite lacérer auparavant. Portant instinctivement les mains sur son flanc, il sentit un liquide poisseux couler entre ses doigts, au moment où Teos se décalait furtivement, empoignant son épaule. Laissant de côté un instant les principes du Code d’Honneur, le solitaire jeta son coude vers l’arrière, heurtant la trachée du noir au moment où son poignet, hors de portée de sa vue, se rapprochait pernicieusement de sa propre gorge. Il se dégagea vivement de la poigne ennemie, reculant de plusieurs pas, fixant Teos, désormais devant lui, sans comprendre.

Remarqua le poignard qu’il tenait en main. Le délicat filet gouttant de la lame, plus encore.

Incapable d’accepter qu’un combattant puisse se comporter comme son esprit, plus rapide que son cerveau, le lui murmurait, il baissa enfin le regard vers sa main, pressant avec force l’endroit où irradiait la douleur. Un filet écarlate tâchait sa peau, formant de curieuses arabesques presque poétiques sur la blancheur de la chair. Un élan de panique enserra son être dans un étau suffocant, alors qu’il réalisait que s’il n’avait pas eu le réflexe de frapper, son adversaire ne se serait pas arrêté aux côtes.

Il avait frôlé la mort… Il avait frôlé la mort dans un combat censément kaïru !

De nouveau, Teos disparut.

Le solitaire n’eut pas à le chercher longtemps, averti par le léger changement dans le déplacement de l’air, courant sur sa peau nue. Il se retourna vivement, croisant le regard sinistre de Teos. Son fouet à énergie happa en plein vol les pics aussi épais que son bras, ressemblant davantage à des lances grossières qu’à une quelconque attaque. Des pointes malveillantes de leur doux petit nom, s’il avait correctement entendu. Mais le noir lança une nouvelle salve, tout aussi véloce. Haletant, le combattant sauta sur le côté, glissa au sol, fit courageusement front, sérieusement ralenti par sa blessure, écrasant ses muscles de sa souffrance. Ce ne fut pas suffisant. Peut-être, en pleine possession de ses moyens, aurait-il pu s’en sortir de justesse.

Une première pointe l’atteignit au bras, puis au torse. La troisième lui fit faire un vol plané, le paysage se déroulant comme au ralenti alors qu’il sentait ses pieds décoller du sol.

Juste avant l’impact, une ombre gigantesque le recouvrit, happant le jeune homme entre ses griffes. Sonné, il mit une petite seconde à saisir pourquoi, au lieu de l’emporter au loin, ou de le broyer comme un vulgaire fétu de paille, l’animal s’élevait de plus en plus haut.

Puis, tout devint plus clair quand, une fois suffisamment envolé pour ne distinguer que de petits points à la place des combattants, les serres s’ouvrirent. Le vent siffla désagréablement à ses oreilles, alors que défilaient devant ses yeux un ensemble de couleurs informes, en majorité claires, sans pouvoir les distinguer les unes des autres. C’était une sensation étrange de se retrouver en chute libre, il éprouvait la sensation d’être plus lourd que la pierre, mais en même temps, il aurait été bien en peine d’affirmer tomber tant le frottement autour de son corps le soutenait. Quelle étrange empyrée…

En contrebas, Zane, repoussé vers l’arrière, cueillit la poudreuse de ses bras avant que son dos ne s’écrase, usant de l’élan de sa pseudo-chute afin de revenir sur ses pieds Abaissant de biais son corps en glissant son pied de côté, il évita de justesse ce qui ressemblait à un jet de glace.

– Liens de plasma ! siffla Saïn.

Sautant vers l’avant en décuplant sa vitesse, l’adolescent se lança dans une course brusque à l’assaut de la jeune femme, une des lanières de la jeune femme claquant contre son mollet. Une nouvelle déflagration d’énergie siffla à ses oreilles, et il dut bondir sur une congère afin de se propulser sans risquer une rencontre soudaine avec un sommeil éternel quelque peu prématuré.

Atterrissant à une dizaine de mètres de la vipère, il feinta une esquive vers la droite, il se plaqua en réalité au sol, gagnant quelques pas le temps qu’elle réalise son erreur. Prenant appui sur ses bras, il pivota, cueillant la combattante avec un coup de pied fouetté, suivit d’un œil de terreur. Agile, elle échappa aux rayons émanant du globe oculaire, mais ce dernier continua indépendamment sa course, s’écrasant contre elle. Secouée par la force du choc, elle ploya le genou, tentant de retrouver son équilibre. Continuant sa course, Zane prépara instantanément sa prochaine offensive, une attaque éclair pour la mettre définitivement hors jeu.

– Collision démente !

Il tourna la tête, juste à temps pour apercevoir Teos. Debout sur une petite surélévation de la plaine, ayant bien prit le temps de viser apparemment. Tout à lui. Il grogna d’avance, persuadé qu’un nom pareil ne pouvait rien augurer de bon.

À son grand agacement, la douleur fut exactement comme il se l’imaginait. Cuisante, et purement physique. Le choc heurtant son dos à toutes forces fit basculer sa conscience à la lisière de l’obscurité, uniquement retenue par un reste de fierté et de refus de céder si facilement. Un craquement sinistre se répercuta dans l’immensité tourbillonnante, alors qu’une fissure glissait sous ses genoux, les reliant gracieusement à ses mains en une ligne tracée à main levée. Elle s’élargit rapidement, suivie sur toute sa longueur par un souffle touffu, libéré dans l’air avec un sifflement n’annonçant guère de bonnes choses.

Au diable la prestance, Zane se contenta d’une roulade on ne peut plus classique pour ne pas se retrouver emporté par le geyser, la chaleur dégagée heurtant son visage, de petites gouttes de sueur suivant sa trace. Alors qu’il se redressait, encouragé par ses réflexes, un direct du droit le cueillit au torse, frappant insidieusement sa plaie.

Ignorant la douleur faisant vaciller sa vision, brûlant son corps au fer rouge, il saisit au vol le poignet de Saïn. Plaçant dans le même temps son bras sous le sien, il le pivota d’un coup sec, suivant le mouvement afin de ne pas faire tomber lui-même. Vu la situation, ce serait le comble !

Tentant de résister, la vipère se retrouva entraînée, tournant sur elle-même, soulevée du sol, puis retomba sans douceur sur ce dernier, dos en premier.

Chancelant, Zane manqua siffler de dépit en remarquant Teos joindre les mains, son corps entier nimbé de l’aura de son pouvoir. Même à cette distance, et en supposant qu’il n’ait aucune idée de ce que pouvait bien être ce pouvoir, quelque chose paraissait clocher, quelque chose qui, outre le fait de n’avoir jamais rencontré cette forme de kaïru auparavant, laissait une telle impression d’artificialité, qu’il était difficile de réaliser pleinement le danger qu’elle représentait. Et s’il ne se trompait pas, si son instinct, hérissé d’horreur devant la réalité de sa situation, ne daignait pas s’apaiser, ses chances de quitter les plaines islandaises se réduisaient dangereusement.

Reculant par réflexe, bien qu’il se doutât de l’inutilité de sa démarche, il balaya les environs d’un large regard circulaire, à la recherche de son allié temporaire. Personne, bien entendu, à l’exception du hurlement des rafales et le ricanement des flocons qu’il projetait. Au lieu de tenir sa réputation, voilà qu’il avait préféré s’enfuir la queue entre les jambes ! Profitant de ce qu’il soit occupé à gérer le combat pour jouer les filles de l’air, à ses dépends !

Pauvre imbécile que tu es, pourquoi croire que ç’aurait pu être différent ?!

Ne restait plus qu’à ce que Adriel décide de ramener son atroce bestiau, et autant sauter dans le hachoir en avance ! Bien qu’elle ne soit pas intervenue depuis le début du combat. Étrange, ça. Elle ne pouvait que préparer un mauvais coup : elle n’hésitait jamais à courir s’occuper de son très cher Seigneur Héritier, au point d’avoir lancé les hostilités sur la plateforme, quelques heures auparavant. Une éternité…

Se mettant en position de défense, dernier recours, le chef des Radikor balaya le ciel du regard, à la recherche de la brune. Il ne leur ferait pas le plaisir de s’enfuir à toutes jambes, alors qu’il savaient tous les trois que c’était parfaitement inutile. Les flocons furieux, dansant dans la bise véloce, masquaient efficacement sa visibilité, l’empêchant d’abord de repérer sa cible. Heureusement, l’arsank d’Adriel se trouvait largement assez massif pour être repérable à des kilomètres.

Un bref instant, il se fit la réflexion de la stupidité de se trouver si loin du champ de bataille, en particulier quand on possédait un tel appui aérien. Juste après, une forme minuscule, comparée à la stature de l’animal chuta, vaguement freinée par les frottements du mauvais temps, mais sans parachute de secours se déployant, pour éviter une chute aussi mortelle que ridicule. Adriel avait-elle acquis la capacité de voler ou quoi ?!

Enfin, il comprit. Crut avoir gelé sur place.

Ekayon ne le laissait pas tomber, c’était le solitaire en train de chuter !

Bon, pas de panique : dominer le monde nécessitait de savoir gérer des situations de crise !

L’énergie déployée par Teos, jusque-là l’entourant d’un halo impressionnant, se condensa, concentrée entre ses mains sous la forme d’une boule tenant entre ses paumes. Tant d’énergie, pressée, forcée de tenir en un si petit compartiment comparée à sa masse, provoquerait d’immenses dégâts une fois relâchée. Tout en épuisant le combattant ayant lancé l’attaque. Si Teos prenait ce risque, laissant à son adversaire quelques précieuses secondes pour fuir, signifiait qu’il était certain de réunir assez de puissance pour l’atteindre où qu’il aille.

Il y avait des journées où se morfondre au creux de son lit n’était pas une si mauvaise idée !

Son attention se reporta de nouveau sur Ekayon, les pensées en ébullition, tentant d’analyser le plus précisément possible l’ampleur du problème avec le temps qu’il lui restait. À vue de nez, une poignée de secondes, peut-être dix avec de la chance, avant la rencontre mortelle. De cette hauteur, impossible d’en réchapper, même si la neige amortissait l’impact.

Dix, donc.

Teos. Seul un Maître kaïru pouvait espérer être suffisamment fort pour contrer son offensive, réunissant empiriquement presque toutes les forces de l’homme. Il n’y avait certes pas de Redakaï dans les environs, difficile d’en débattre. Mais il pouvait acquérir leur force, même sans leur maîtrise !

Sa main traça naturellement un cercle au contour rougeâtre dans les airs.

Sept, ou six, quelque chose comme ça.

Teos leva le bras, tel un batteur sur le point d’exécuter le lancer de sa carrière. Zane saisit le boîtier de Lokar, sa seule chance d’espérer s’en sortir à peu près indemne.

Il enfila les gants fabriqués par Lokar au moment où Teos relâchait la pression, la puissance de son énergie englobant l’entièreté de la zone dans un halo de poussière d’un gris atroce, balayé à intervalles réguliers de nuances sombres, d’une couleur indéfinissable. Des points argentés parfois, s’assemblant puis se délitant dans la violence du tourbillon.

Heu… Trois ?!

Mobiliser son kaïru intérieur, à ce moment précis, fut l’une des pires souffrances jamais éprouvée dans sa vie. Ériger une barrière en une fraction de seconde assez costaude pour s’empêcher de souffrir atrocement en fut une autre. Impossible de créer tout un dôme de protection en aussi peu de temps. Même persuadé de surpasser n’importe quel combattant en terme de puissance, l’instinct de survie de Zane restait assez présent pour le retenir de tenter l’expérience. Il dressa un mur de kaïru devant lui, adoptant une forme en demi-cercle sur quelques pas autour de son corps afin de répartir la pression de manière un peu plus équitable, compensant sa forme, terriblement rudimentaire, en injectant autant d’énergie que possible à l’intérieur, afin de ne pas finir broyé par le choc. L’impression de se trouver enfermé dans une moitié d’œuf compensée par l’espoir de ne pas finir en hachis.

Étonnamment, il trouva l’énergie déployée par Teos moins violente qu’il ne l’eut crut. Comme s’il voulait le blesser afin de le laisser hors d’état de nuire pour longtemps, pour l’achever personnellement.

Merde, merde ! J’ai dépassé le compte ! Enfin, je crois ?!

Il osa un regard en direction d’Ekayon. Pas exactement, mais pas loin non plus, le solitaire se rapprochant bien trop dangereusement du sol. Laissant un bras tendu à craquer devant lui, l’autre créa un portail sur-le-champ, priant pour qu’il ne soit pas trop tard. Mobilisant la conscience n’étant pas totalement concentrée sur « maintenir la protection histoire de survivre plus de trois minutes », il le projeta loin de lui, seul son orgueil l’empêchant de se rouler au sol de douleur. Peut-être que Teos n’utilisait pas l’entièreté de sa puissance, mais ce n’était déjà pas si mal !

Au tout dernier instant, celui où Ekayon se préparait à sentir l’horreur d’une collision entre sa chair et les arêtes tranchantes du givre, il ferma les yeux. Une lâcheté, certes, mais il pouvait bien se l’accorder, alors que ses os se trouvaient sur le point de se briser ! Pourvu que Maître Atoch ne souffre pas trop de sa disparition. Pauvre homme, lui qui était si bon avec lui, au point de recueillir un pauvre amnésique, sans lui poser la moindre question !

La pire mission de sa vie, décidément, commenta-t-il en son fort intérieur.

Il atterrit bien sur le sol, comme prévu. Mais pas de la manière imaginée.

Un instant, il se sentit comme traversé par une matière immatérielle. Ou plutôt, eut l’impression de franchir cette étrange masse, pas exactement gélatineuse, mais pas consistante non plus. Deux fois fois. Avant de se retrouver nez dans la poudreuse. Vivant.

Ce ne fut que quelques secondes plus tard qu’il réalisa. Il se trouvait face à la neige. Alors qu’il tombait dos au sol jusque-là ? Un retourné brutal en plein milieu de sa chute ?

Certes, ses muscles restaient douloureusement endoloris, et ses blessures l’élançaient atrocement. Mais s’il avait mal, son heure de rejoindre ses ancêtres, quels qu’ils puissent être, se trouvait inexplicablement retardée. Il entendait les hurlements rageurs des souffles balayant la plaine, associés à quelques vagues sons difficilement descriptibles, quoique ouatés, il humait les restes encore fumants des attaques kaïru lancées, sentait la fraîcheur sous ses vêtements, voir sur sa peau par endroit.

Ce ne fut pas la seule chose qu’il discerna. Ses sens retrouvant sans mal une qualité acceptable, le déploiement d’énergie l’entourant frappa le solitaire de plein fouet. Pas la peine de posséder la sensibilité de Maya, pour comprendre l’importance des forces mises en jeu !

S’ébrouant, il releva la tête, s’accroupissant avec maintes précautions, épargnant au maximum les parcelles douloureuses. Médusé, il n’articula pas un son, hésitant entre rêve et réalité.

Réalité, définitivement. Sinon, il se serait déjà relevé au lieu de supporter un mal de chien !

Une masse compacte d’énergie, parcourue d’éclair presque blanc, cernait les deux garçons, puisque Zane avait apparemment eu le bon goût de se ramener à ses côtés. À deux pas de lui, l’adolescent maintenait désormais des deux bras l’espèce de coupole écarlate inachevée, parsemée ça et là de lueurs bleutées disparaissant rapidement. S’il se fiait aux grimaces et aux grognements tirant les traits du E-Teens, empêcher cette… chose de les engloutir n’était pas une sinécure. Fronçant les sourcils, il distingua, abandonnés aux pieds de l’adolescent, ses gants, à côté d’un petit coffret précieusement ouvragé. Quelques feuillets volants menaçaient de se perdre dans les rafales secouant la fragile protection.

Mi-marchant, mi-rampant, Ekayon avança jusqu’à lui, refermant le couvercle après avoir rassemblé tout ce qui traînait. En écoutant seulement son désir d’en apprendre plus, et sa loyauté envers le Redakaï, il en aurait profité pour examiner discrètement le contenu du boîtier, Zane ne se trouvant pas en position de répliquer.

Mais l’adolescent venait vraisemblablement de lui sauver la mise en pli. La trahison ne faisait pas partie des principes inculqués par Maître Atoch. Ainsi, ils seraient quittes.

Boitillant, le jeune homme plaqua son dos contre celui de Zane, plantant ses plantes de pied aussi fermement que possible au sol, afin de lui offrir un appui solide pour ne pas reculer, mordant sa lèvre inférieure à sang quand sa cheville cria grâce. À défaut de pouvoir user de ses talents, autant apporter le peu d’aide qu’il pouvait fournir, songea-t-il, fataliste, appuyant de ses poings sur sa plaie, entre ses côtes.

Brutalement, le déchaînement autour du globe cessa brusquement, après une ultime poussée ayant ébranlé les adolescents, la protection générée par Zane vacillant comme pour céder. Bonne nouvelle, cette attaque avait une fin ! Honnêtement, Ekayon faillit en douter.

Il ne s’estimait guère revanchard, néanmoins, l’expression de surprise pure qui marqua les traits de Teos, accompagnée d’une colère frustrée, fut particulièrement réjouissante aux yeux du solitaire.

Son sourire se figea dans l’instant, Adriel se posant avec l’arsank aux côtés de son chef. Sur la droite, la vipère longiligne se remettait prestement en place, seulement protégée à cause du déploiement du noir.

– Une formule magique pour nous sortir de là, Zane ? finit-il par demander platement.

– Rendez vous, nous seulement vous êtes trop épuisés pour vous battre, mais de plus, nous n’hésiterons pas à nous montrer un peu plus… offensifs, susurra Teos, à peine vacillant.

– Je hais ce type, grogna le chef des Radikor.

– Une minute, nous réfléchissons ! lança le solitaire.

D’accord, cette réplique ne figurerait jamais en préface de ses mémoires, mais c’était la seule ayant daignée montrer le bout de son nez sans être une variante de « on se rend » ou « allez vous faire mettre ».

– Non, siffla Adriel, maintenant !

– Zane ? réitéra Ekayon sans prêter attention. Je ne me sens pas en grande forme pour me battre. Lutter équivaudrait à un massacre !

– Plutôt crever, marmonna l’adolescent. Une toute dernière manigance… Juste assez de forces… ça devrait passer mais… Un écran de fumée, quelque chose ! Pas le temps de créer un portail… Mais si j’accède à mon énergie grâce aux gants… Mais est-ce que mes capacités…

– Ok, je vois, fit piteusement l’homme.

Voilà qu’il délirait, trop abasourdi par le manque d’énergie.

– On arrive ! Sauf que je ne peux pas lever les mains, je crois qu’il faut que je le porte !

– Soit, mais dépêche-toi, ou cette charmante créature (Teos caressa le bout de la gueule de l’arsank, l’animal paraissant détester l’idée qu’une autre personne que sa maîtresse vienne poser le doigt sur lui) viendra vous chercher, vous transportant entre ses dents.

Ekayon hocha la tête, mortifié. Boitillant, il plaça le bras de l’adolescent sur son épaule, évitant celle se trouvant déjà blessée. Pas sûr que le E-Teens apprécie cette attention.

– Allez mon grand, on a fait tout ce qu’on a pu, murmura-t-il, autant pour lui-même.

Mobilisant plus de force que son état le laissait croire, une main agrippa furieusement le T-shirt du combattant. Surpris, il baissa les yeux. Rencontrant deux prunelles furieuses, refusant clairement de se rendre. Un battement bref se propagea dans son corps, non pas son cœur, mais de l’énergie.

– Pas encore, siffla Zane. Pas tant que je respire encore !

Le solitaire comprit, renonça à le persuader de ne pas s’épuiser plus. Zane était capable de s’asseoir sur une pierre, et d’exiger qu’elle se pousse.

Écarlate, une aura semblable à celle du globe les ayant protégé entoura le duo. Dans ses bras, Ekayon sentait le garçon peser plus lourd de seconde en seconde. Il déléguait sa sécurité, sa force physique, à cet homme blessé, son ennemi. Parce qu’il n’avait pas le choix, évidemment, mais le combattant du bien s’en sentit un peu flatté. Au-delà de cette bulle, il entendit le cri rageur de la créature ailée. Comme promis, elle se lançait à leurs trousses, sans intention de les laisser s’échapper. Mais il ne s’en souciait guère.

Comment en pas même quelques secondes, tant de choses pouvaient être ressenties ? Une question incongrue flottant à la lisière de sa conscience, priant pour que le geste désespéré de l’adolescent soit le bon. Un peu aussi parce qu’il en allait de sa survie. Il ignora l’inquiétude, le résignation sourde nouant ses entrailles. Le garçon dans ses bras avait besoin de soutien, bien qu’il ne l’avouerait jamais.

À ce moment précis, le mégalomane, le manipulateur, l’ambitieux Zane était lisible comme un livre ouvert. Dans ses yeux se lisait la colère, bien sûr, contre Ekayon qui osa seulement penser se rendre. La peur, plus étonnamment, bien qu’Ekayon ne parvint pas à l’interpréter correctement, surtout en si peu de temps. La fatigue également, manquant de le faire vaciller, plonger dans les bienfaisante ténèbres de l’inconscience, loin de ces plaines enneigées synonyme de tombeau. Et surtout, le doute, un doute si prenant, remplissant si clairement les pupilles onyx, qu’il dominait les autres émotions.

Alors le solitaire tenta de lui transmettre autant de certitude que possible, plongeant son regard dans le sien sien avec toute l’autorité dont il se pensait capable. Regarde-moi, concentre-toi, ne lâche pas.

L’adolescent s’accrocha instinctivement à ces ordres muets, lui qui ne supportait pas être commandé.

Puis une douleur fulgurante traversa le corps du solitaire. L’impression de se décomposer, puis se recomposer devint rapidement insupportable. Poussant un unique cri rauque, il se fondit dans le noir, presque soulagé de ne plus rien éprouver.


µµµ


Loin des hurlements rageurs essuyés sans cesse depuis son arrivée en Islande, Zane savourait le friselis délicat de la brise chantant à ses oreilles. Un repos bienvenu à ses tympans, encore résonnant des rafales incessantes enflant quand elles s’engouffraient dans les vêtements. Étrangement calme, il rouvrit doucement les paupières, sans pour autant chercher à se relever. Ses muscles qui, un instant plus tôt, réclamaient grâce, ne restaient que légèrement engourdi. Tout surpris, il tourna les poignets, puis les chevilles, tâtant prudemment son corps meurtri. Ses vêtements restaient dans le même état qu’après la bataille, il sentait sous ses doigts les irrégularités tapissant son épaule, mais ses sensations se tenaient à distance, comme un voile pudiquement levé pour lui permettre de souffler. Et ça lui faisait un bien fou !

Un mouvement sur sa gauche attira son attention. Il tourna la tête, curieux.

Lui tournant le dos, capuche étroitement serrée autour de son visage, un homme observait silencieusement l’horizon, ses bras gantés enfoncées dans les poches de son pantalon au bas ample.

Le sang de Zane ne fit qu’un tour. Désormais furieux, il s’arracha au lit herbeux l’ayant accueilli.

– Ça commence à bien faire ! cria-t-il, serrant les poings. Qui est-tu ? Pourquoi me poursuis-tu ?

L’autre tressaillit, un mouvement à peine perceptible. Aussi loin que portait le regard, il n’y avait que de l’herbe à l’horizon, arrivant à hauteur des chevilles de l’adolescent. Pas un rocher, par un arbre, pas un animal non plus trottinant au ras du sol. Pas un son, excepté celui de la brise caressante, et de sa propre respiration. Quant il ne parlait pas, évidemment. Néanmoins, au lieu de garder une teinte uniforme, la verdure se déclinait en nuances de vert, de l’émeraude au saphir, puis au jaune paille des champs, voir une nuance cendre inhabituelle, terminant par le marron noirâtre brûlé par un soleil trop intense. La lumière elle-même ne provenait pas d’un endroit en particulier, la voûte uniformément parme n’accueillant ni astre solaire, ni autre substitut y ressemblant. Pourtant, les environs restaient baignés d’une lumière crépusculaire, sans indice sur le temps passant.

Mais les étrangetés n’intéressaient pas Zane. Pas plus qu’il ne les remarquaient réellement. Tout ce qui importait résidait en cette silhouette masculine trop souvent aperçue sans comprendre pourquoi. Et pas forcément durant les meilleurs moments de sa vie.

– Je t’ai posé une question ! cracha-t-il, s’arrêtant néanmoins à petite distance.

Pas le moment de prendre de prendre le moindre risque. Les pièges, il en avait largement soupé.

– Deux, répondit enfin l’homme.

– Pardon ?

L’adolescent s’attendait à beaucoup de choses, y compris à voir débarquer une baleine mutante alien sortir d’un trou au plafond apparaissant comme par magie. Mais pas à ça.

– Tu as posé deux questions, tout à l’heure. Pour la première (le ton se fit un peu plus hésitant), je n’ai pas l’intention de te le dire. Pas maintenant.

– Oh pitié, pas de grand mystère insondable ! Pas la peine de te planquer derrière un masque, sauf si tu es trop lâche pour me faire face ! C’est plus facile de s’en prendre à quelqu’un qui est à terre, hein ?! Mais dès que ta victime se tient debout devant toi, il n’y a plus personne, pas vrai ?

– Tu penses être une « victime » ? s’étonna l’autre, le plus surprenant étant la surprise sincère de ses mots.

– Bien sûr que oui ! Tout ça, c’est de ta faute, tu étais là quand j’ai vu toutes ces choses pour la première fois, ces… visions inexplicablement exactes ! Tu l’étais aussi dans la grotte étrange, avec Teos et le type dans les ombres ! C’est suite à ton apparition que tout a commencé, les poursuites, le retour du passé dans nos vies, bref, absolument tout ! Et n’essaie pas de prétendre ne rien comprendre à mes paroles !

Il se tut un instant, reprenant son souffle. L’homme se tenait à présent de trois-quarts, toujours silencieux.

– Avant que tu ne viennes semer la zizanie dans ma vie, j’étais en passe de devenir le plus puissant des combattants de l’Univers ! Assez fort pour repousser tous mes ennemis, et ceux de Zair et Tekris aussi ! Regarde aujourd’hui, ce que tu as provoqué ! Comment puis-je protéger qui que ce soit ! Et pourquoi tu es là maintenant, te cachant jusqu’alors ? Tu veux m’achever, puisque je suis sans défense ?

– Pas du tout ! Ce serait au moins aussi préjudiciable pour nous deux, murmura l’homme, un étrange sourire élargissant ses lèvres.

– Ne parle pas comme si nous faisions équipe ! cria Zane, hors de lui. Je veux savoir !

Oui, il voulait savoir ! Posséder enfin quelques réponses, au lieu de se laisser ballotter par la succession d’évènements infernaux emportant son équipe dans un flot inarrêtable ! Il n’en pouvait plus, de se trouver sans cesse sur le point d’y passer, entouré de secrets, de mensonges, à se demander quel sera le prochain coup à encaisser, obligé d’y répondre au lieu d’attaquer le premier ! Pourquoi sa vie, son passé, ressurgissaient à l’improviste, alors que cela était censé rester derrière eux pour de bon ? Pourquoi avoir échappé à une extermination, pour se retrouver à fuir sans cesse, comme avant, mais sans porte de secours ? Et Tekris dans tout ça ? Autant faisait-il confiance à Zair, bien souvent sous-estimée à cause de sa petite taille, afin de réussir à passer entre les mailles du filet : elle connaissait presque par cœur les rets balayant les sombres abysses de la traque. Mais son coéquipier, récupéré au détour d’une taverne, qui jamais ne posa la moindre question sur leur origine, coincé lui aussi parmi les secrets au point d’en faire les frais, comment allait-il pouvoir le préserver sans lui en révéler plus que nécessaire ?

Oui, réalisa-t-il, il refusait de voir les deux derniers Radikor endurer ce que lui-même devait supporter depuis le début de cette mission – en excluant Ekayon. Oh, il continuait à faire passer ses intérêts personnels avant le reste : se faire obéir en tant que chef d’équipe sans discussion, continuer à vouloir supplanter Lokar, dominer le monde, et plus que tout se venger enfin de Ky et du monastère Mais, chose ne lui étant pas arrivé depuis longtemps, ses équipiers revêtait une importance bizarrement capitale pour ses projets. Sans eux rien n’était possible, sans eux, il ne pouvait pas… Tout comme, enfant, il provoquait aussi souvent que possible leur père afin de concentrer sa colère sur lui, exigeant de Zair qu’elle fuit, il désirait faire son possible pour préserver ses E-Teens, trouver une solution à cette situation étouffante !

– Mais je ne sais pas comment faire, murmura-t-il, passant une main sur son visage.

L’homme hocha la tête, comme s’attendant à ces mots. La colère de l’adolescent sourdait toujours à fleur de peau, bien présente, mais lointaine. Presque d’importance minime. Lui qui fut guidé par sa haine et sa colère durant des années, ce changement le perturbait grandement. Comme si ses émotions, si difficile à maîtriser dès lors qu’il ne s’enfermait plus dans son schéma habituel de comportement, se tenaient majoritairement à distance, le laissant enfin en paix.

– Je ne me reconnais plus, souffla-t-il encore. Qui… qui es-tu ?

– Et toi ? fit l’autre, l’observant à la dérobée.

Je ne sais pas.

Un aveu qu’il n’était pas prêt à faire de vive voix cependant. Comme à son habitude, il serra les quelques émotions survivant entre des mains imaginaires, les compressa jusqu’à les sentir douloureuses entre ses doigts mentaux, puis les enferma à triple tour dans un coin de sa tête. Inutiles sentiments, seules la colère, la rage et la fureur lui permettaient de vivre jour après jour, repoussant inlassablement les assauts de ses souvenirs !

Il refusait de les laisser partir, il en avait besoin, alors qu’elles écrasent tout le reste ! Et pas se sentir aussi… vidé. Non, ce n’était pas une paix qu’on lui proposait, en éloignant ses émotions habituelles, mais l’enfer.

Adoptant une posture hautaine, Zane haussa par réflexe les épaules, serrant ses mains devant lui pour empêcher ses doigts de se livrer mutuellement bataille.

– Au fond, cela n’a aucune importance. Si jamais je te vois traîner à nouveau dans les parages, ou même si tu t’approches de qui que ce soit ayant un intérêt à mes yeux, je te ferai regretter le jour ou tu as osé t’insinuer dans ma vie ! Suis-je clair ?

La provocation, une arme redoutable une fois bien maniée. L’homme se crispa, peinant à desserrer les poings, avant d’exhaler un soupir résigné. En proie à un intense dilemme interne.

– Impossible, finit-il par déclarer. Il va falloir t’y habituer : tu as besoin de moi, et j’ai besoin de toi.

– Pardon ? grogna Zane, abasourdi. Ma réserve d’humour est épuisée depuis bien longtemps !

– Peu importe les querelles ! J’aimerais tout te dire, mais le temps est compté. Ta venue ici est déjà un exploit. Tu ne devrais pas être assez puissant pour réussir ce tour de force.

– Je ne comprends rien à rien, s’énerva Zane, sur le point d’exploser, sa colère retrouvée.

Il se figea. Porta la main à ses gants. Ces fameux artefacts permettant d’accéder au plein potentiel de leur porteur. L’autre hocha la tête, approbateur.

– C’est une des parties de l’équation, mais oui, sans eux tu n’aurais pu venir ici. Et tu risques de ne pas pouvoir y retourner de sitôt, sans vouloir te vexer.

– Alors, viens à la forteresse, qu’on s’explique un peu ! Je t’accueillerai avec un arsenal kaïru dont tu me diras des nouvelles ! À moins que tu n’aies peur ? termina d’insinuer Zane.

– Nullement. Même si je voulais, je ne pourrais pas.

– Pourquoi ?

– C’est trop long à expliquer.

– Et pourquoi ça ? répéta l’adolescent, borné.

– Parce que le temps, normalement accordé à l’une de tes visions, est écoulé.


µµµ


Tapotant doucement dans le dos du E-Teens, s’accrochant avec force au rebord de l’unique table de la pièce, Ekayon l’observa avec une légère inquiétude s’agiter, marmonnant des paroles proprement incompréhensibles.

Il n’avait pas mis très longtemps à reprendre connaissance, suite à son espèce de transport dénué de la moindre douceur. Et s’il avait songé à filer sur-le-champ, avant de se disputer une nouvelle fois avec l’adolescent, il n’avait pas eu le cœur de le laisser seul, sans s’assurer un minimum de son état de santé. Et puis, ç’aurait été pure goujaterie que repartir sans laisser entendre sa gratitude, après cette échappée soudaine. Maître Atoch, et le Redakaï d’ailleurs puisqu’il transmettrait probablement l’information, allait être ravis d’apprendre que l’extraterrestre se prenant pour le nouveau Lokar, et rêvant d’éliminer ses ennemis kaïru, possédait la capacité de se téléporter ! Ky allait encore mettre sa parole en doute, avant de se vexer de ne pas posséder ce pouvoir… Le X-Reader de Lokar possédait décidément plus de puissance que prévu. S’il se trouvait bien à l’origine de cette capacité inattendue, se dit-il, promenant pensivement son regard sur les étranges broderies des gants de l’adolescent.

Qu’avait-il fait pour devoir supporter une teigne pareille ?

Posant le bout de la fesse sur le bois soigneusement entretenu, sa cheville montrant quelques réticences à rester debout, il observa de nouveau l’adolescent. Il ne paraissait pas exactement endormi, pourtant, mais plutôt entraîné de force dans une sorte de drôle de rêve lucide, et visiblement pas des plus agréables. Le solitaire avait déjà vu Maya, une fois, adopter un comportement similaire alors qu’elle était prise dans une de ses visions, mais rien qui ne puisse expliquer pourquoi le chef des Radikor adoptait pareil comportement. La dépense d’énergie, certainement.

Brusquement, le semi-inconscient sursauta, les yeux écarquillés et la bouche grande ouverte, comme cherchant à reprendre sa respiration. Haletant, Zane se redressa, fouillant du regard les environs, sans visiblement comprendre pourquoi il se retrouvait dans cet endroit… inattendu.

L’onyx de ses pupilles se vrilla au bleuté de celles d’Ekayon, sans paraître le reconnaître tout de suite. Incapable de censurer un mouvement de panique en l’apercevant, l’adolescent recula brutalement, manquant emporter la chaise, tâtonnant à la recherche de n’importe quoi pouvant faire office d’arme.

– C’est ça le souci, quand on fume la moquette. La redescente n’est jamais agréable, temporisa Ekayon, levant les mains en signe d’apaisement.

Voilà, comme ça, il allait bien le reconnaître avant de lui dévisser la tête, non ?!

Sa technique parut fonctionner, car l’adolescent se figea brutalement, scrutant les traits de son vis-à-vis, les rouages de la réflexion s’activant sous son crâne. Enfin, il se détendit significativement, expirant lourdement, tout en trouvant un intérêt hautement primordial aux gants recouvrant ses mains.

– Je ne t’ai pas reconnu… J’ai cru qu’un homme, très grand, venait d’entrer, juste à côté de moi, et…

Il se tut brusquement, dédiant au solitaire un regard haineux.

– Bah, tu auras juste déchiré un peu mon T-shirt dans ton échappée.

– Oh, comme c’est dommage !

Sans voir la courbe moqueuse de ses lèvres, Ekayon aurait deviné l’ironie de cette phrase.

– Pour toi, oui, c’est l’un des tiens, déclara-t-il alors, sentencieux, désignant l’association de jaune et de rouge, les couleurs favorites de Zane.

– Quoi ? Comment ça ?

– J’ai cherché dans ton armoire, vu que le mien est dans un sale état.

Ce faisant, il désigna ledit meuble, remplissant tout un coin de la pièce pour, au final, ne se composer que de quelques tenus. Stupéfait, l’E-Teens ne put que constater l’évidence. Et parut désirer très nettement se frapper. Fort.

– Je nous ai téléporté dans ma chambre, réalisa-t-il, mortifié.

– Oui, confirma Ekayon. Et très mal d’ailleurs. Maître Atoch est bien plus doux dans sa manipulation du kaïru, mais je suppose que quand on est un bourrin, on le reste pour tout.

– Pardon ? Oh, désolé d’avoir abîmé ta cervelle de moineau quand j’ai dû mobiliser toutes les forces me restant en catastrophe histoire de sauver ton insupportable derrière de l’appétit féroce d’un oiseau carnivore et de ses trois adolescents de compagnie !

– N’oublie pas de respirer, entre-deux. Voilà une façon singulière de présenter les choses.

– Je t’em…bête, stupide humain !

– Quelle politesse, vous m’en voyez ravi. En attendant, il faudrait peut-être rejoindre nos alliés respectifs, non ?

– Je rêve ou en plus tu as fouillé dans ma pharmacie ?

– J’aurais été désolé de tâcher ton beau tapis en déversant mes entrailles sur le sol.

– Dommage, l’idée me plaît bien pourtant.

Ekayon lâcha un soupir pas le moins du monde prévu pour être discret, suivant des yeux la progression de l’adolescent, de sa sortie du lit – pas un remerciement, il s’en doutait –, à la remise de sa cape sur ses épaules, en passant par la vérification d’être en état de se déplacer sans risque.

À ce propos…

– Avec ma cheville, plus ma plaie, je ne pense pas être en mesure de marcher jusqu’à l’île de Pâques.

– Chochotte, répondit l’extraterrestre.

– Non, moi c’est Ekayon. Depuis le temps, je pensais que tu l’avais compris.

Le regard suivant fut purement meurtrier. Avant de se déplacer sur le boîtier, dont Zane ouvrit le couvercle.

– Je n’y ai pas touché plus que pour y ranger tes affaires, fit le solitaire.

Étrangement, l’adolescent ne parut pas le croire avant d’avoir vérifié l’entièreté de son contenu, lui tournant le dos.

– Au point où nous en sommes, tu ne pourrais pas refaire le coup de la téléportation ?

Un autre sourire, supérieur pour changer, apparut sur le visage de Zane. Tout à coup bien plus méfiant, Ekayon le scruta avec attention. Il ne s’était pas laissé berner, ayant compris l’intention sous-jacente d’en savoir plus venant du solitaire.

– Ça, tu devras le supposer tout seul. Mais tu vas devoir voler, et loin de moi. Hors de question de me montrer avec toi dans les parages !

– Tu ne penses pas qu’il serait temps de réviser un peu ton jugement, au lieu de me houspiller ?!

– Soit c’est ça, soit je te jette par la fenêtre histoire d’avoir la paix.

Pire encore, l’adolescent était mortellement sérieux. Le solitaire tenta un sourire amical totalement inefficace, renforçant au contraire la méfiance de Zane.

– Bon, je peux au moins ouvrir ta fenêtre pour décoller ? soupira-t-il, résigné.

– Ça me donne quelques idées, mais oui, tu peux ouvrir la fenêtre.


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