L'Arche du Péché

Chapitre 21 : Palinodie monastèrienne

11808 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 18/01/2021 20:51

Palinodie monastèrienne


Profitant d’un bref instant de répit, Ekayon prit appui sur ses avant-bras, tendant exagérément le cou dans l’espoir de distinguer l’arène du monastère de Maître Baoddaï. Là où se réunissaient, en ce moment même, les Redakaï pour débattre des troublantes informations rapportées par leurs combattants terriens. Un Conseil auquel les élèves n’étaient, bien évidemment, pas autorisés à assister. Si l’équipe débutante entraînée par Baoddaï, les Taïro, fut particulièrement ravie d’obtenir ainsi près d’une semaine de repos, profitant de leur temps libre pour se baigner dans le lac bordant les plateformes rocheuses supportant les bâtiments composant le monastère, ou révisait les connaissances déjà acquises (enfin, tout dépendait de quel enfant était-il question, bien entendu), le combattant solitaire mourrait d’envie de savoir ce qui pouvait bien se dire, derrière les épais murs de pierre jaune pâle, voir de botter un peu les fesses des Maîtres pour qu’ils se décident à intervenir en personne, aussi peu respectueuse soit cette pensée. Maya partageait en partie ce sentiment, excepté qu’elle souhaitait surtout en profiter pour apprendre le plus de choses possibles issues des années d’expérience de ces vétérans du kaïru, bien qu’elle se refusât à écouter aux portes. Une délicatesse n’étant guère partagée par ses équipiers ; Ky et Boomer, quand ils ne jouaient pas à la console, ne faisait pas de vol de contrôle à bord du X-Scaper, ou ne partaient pas en mission, dévoilaient des trésors d’ingéniosité pour surprendre ne serait-ce qu’un bout de conversation pouvant les informer sur les décisions prises, tout en argumentant, quand l’un des Maître venait demander quelques précisions aux combattants, qu’ils seraient bien plus utiles en participant directement au Conseil, répondant sans attendre aux questions éventuelles posées par le Redakaï. Une vision des choses partagée par Ekayon.

Hélas, leurs chances de convaincre les Maîtres avoisinaient le zéro absolu, depuis que, quittant en silence la réunion afin de chercher quelques documents utiles aux débats, Maître Kriboff, un homme à la peau couleur parchemin, son visage allongé encadré par deux longues mèches grises, le reste de sa chevelure étant nouée en une queue-de-cheval serrée, surprit les apprentis espions avant qu’ils ne puissent prendre la poudre d’escampette. Après avoir gratifié les indiscrets d’un regard désapprobateur, adouci sans le vouloir par la douce couleur dorée de ses iris, l’homme s’arrangea pour leur donner suffisamment de corvées pour les occuper jusqu’à la fin de la journée, « puisqu’ils avaient le temps de lambiner ». Voir toute la semaine, si ou l’un de ses collègues découvrait qu’ils réitéraient leur fâcheuse impolitesse. Nul besoin de distribuer des châtiments à tout va ; pestant de vive voix – et dans le dos des Maîtres, comme il se devait –, les deux adolescents obéirent à l’ordre implicite, bombardant de questions les adultes les plus conciliants, à savoir Maître Baoddaï, Quantus et Atoch, le propre mentor d’Ekayon.

Comme ils l’apprirent en soupirant, conciliant ne signifiait guère prolixe. Un manque crucial d’informations, frustrant également la jeune Maya de frustration. Avide d’apprendre, au point connaître presque sur les bouts des doigts la bibliothèque de Maître Baoddaï, elle se rabattait sur ce mystère des « comptes perdus », trente ans environ auparavant. Malheureusement, elle ne parvenait à mettre la main sur ce qui provoqua cette erreur se chiffrant en milliers, s’arrachant les cheveux de ne rien trouver de concluant. Sans jamais se décourager, cependant, s’acharnant à recopier des milliers de lignes serrées quasiment illisibles pour les étudier au calme. Mais un évènement imprévu ralentit considérablement le rythme de ses recherches. Intrigué quand sa combattante lui demanda quelles étaient les ressources principales du Redakaï, quatre jours après l’arrivée du Conseil, Maître Baoddaï ne refusa pas pour autant de répondre à ses interrogations, déclamant même avec fierté que sa protégée ferait une excellente Maître Redakaï, étant donné le sérieux de son implication. Confiante, quand l’homme lui expliqua que cela dépendait des années, des évènements, etc, Maya demanda ce qu’il en était, durant cette fameuse période, sans pour autant préciser avoir dénichée une erreur.

Aussitôt, l’attitude des Maîtres changea imperceptiblement. Alors que presque tous se tendirent, ou lui jetèrent de soupçonneux regards, Atoch sembla plonger dans une profonde méditation, presque… hésitant. Ekayon ne le vit jamais, avant ce jour, autrement que comme un homme sûr de lui, et du chemin à suivre.

Plus décidé encore que Baoddaï, il faisait partie de ceux capable d’influencer les foules et les avis définitifs, aidant la balance à pencher d’un côté ou de l’autre, quitte à remuer un peu les puces de ses congénères doucement mais fermement. Même Baoddaï, en tant que Grand Maître, écoutait le plus souvent ses conseils considérés comme judicieux. Une belle revanche, songea Ekayon en bombant le torse, quand il se remémorait que son Maître, ayant découvert tardivement son don pour le kaïru à plus de trente, dut travailler d’arrache-pied pour apprendre à le maîtriser, au milieu d’apprentis persuadés qu’il était trop vieux pour atteindre un rang supérieur à celui de combattant. La nature se montrant joueuse, en six ans à peine, Atoch fut suffisamment fort pour remporter le titre de Champion kaïru, là où Ky, des plus prometteurs, attendit bien une dizaine d’années, en étant entraîné depuis l’enfance. Quatre ans plus tard, il passait avec succès l’épreuve lui permettant de remporter le titre de Maître kaïru, décidant lui-même d’attendre une année de plus pour acquérir les connaissances lui manquant encore. Si Atoch n’était pas le plus jeune homme à avoir atteint ces titres, il restait celui les ayant gagné le plus rapidement.

Ceci dit, imaginer un trentenaire au milieu d’enfant de dix ans apprenant les rudiments du kaïru ne manquait jamais de plier en deux de rire Ekayon. Si Maître Quantus, le plus vieux des Redakaï, et par conséquent le plus influent, n’appuya pas personnellement le recrutement d’Atoch, il ne serait pas certain que celui-ci ait pu jamais osé espérer embrasser sa destinée.

Bref, Maya, pensant obtenir une réponse précise, en fut pour ses frais quand, changeant de comportement, Maître Baoddaï s’enthousiasma un peu trop exagérément de sa soif d’informations, clamant avoir besoin de certains renseignements qu’il ne retrouvait pas. Catapulté « fouineuse personnelle du monastère », selon Boomer, la jeune femme n’avait plus beaucoup de temps pour se soucier de ce trou dans les comptes et l’histoire du Redakaï. Une preuve de plus, s’il en était besoin, que le conseil du Redakaï en savait plus qu’il ne le prétendait devant les jeunes combattants. Le naturel, avec lequel Baoddaï énonça cette mesure, n’empêchant guère le solitaire de penser que quelque chose clochait derrière ce Conseil, un ou plusieurs détail que le Redakaï n’avait visiblement pas l’intention de leur révéler.

Si les plus puissants combattants de l’Univers en personne en venait à faire des cachotteries, mais où allait le monde ! Plus sérieusement, cela intriguait fortement Ekayon, et seul Ky, dans les élèves de Baoddaï, partageait l’opinion la plus semblable à la sienne. En dépit de sa méfiance naturelle envers le solitaire, le chef des Stax prenait régulièrement quelques minutes, afin de venir converser sur l’origine de cette exclusion des plus frustrante. Hélas, s’ils convinrent que leurs Maîtres avaient probablement une bonne raison n’étant pas destinée à toutes les oreilles, ils divergèrent rapidement quant à la cause. Ekayon privilégiait un squelette dans le placard, tandis que Ky, pas du tout convaincu, prêchait pour une multiplication des attaques venant des mystérieux combattants, le Redakaï se réunissant afin de décider que faire sans inquiéter outre mesure.

Mais le solitaire avait un avantage, il détenait certaines informations dont Ky n’avait probablement jamais eu vent. Que ce soit le jeune brun, ou le châtain, qui détenait la clé finale du « pourquoi », Zane sous-entendit clairement, lors de sa dernière visite à la forteresse, l’existence d’autres ouvrages, hors de la classique bibliothèque de Maître Baoddaï se trouvait étrangement incomplète. Et pas par hasard. Malheureusement, le comportement (qu’il aurait qualifié de nerveux chez tout personne autre qu’un Maître Redakaï) du Conseil tendait à prouver que Zane parla d’or, sans pour autant que l’extraterrestre ne daigne préciser sa pensée, ou lui donner le plus petit indice pouvant orienter ses recherches. Et ne parlons même pas du contenu de ces fameux « ouvrages perdus ». Une constatation lui donnant envie d’aller s’écorcher la langue à force de passer du papier de verre dessus, tant cela lui semblait irréaliste.

Que pouvait-il bien s’être passé trente ans auparavant, pour perturber tant de monde ? Surtout que s’il existait un rapport (que le solitaire soupçonnait étroit) entre les évènements du passé, et ceux du présent, mieux valait en connaître le plus possible afin de mieux combattre, eh bien, il ignorait quoi au fond. De nouveaux adolescents sanguinaires décidés à tanner la peau de tous ceux venant se mettre en travers de leur chemin ? D’un désir de conserver quelconque secret qui pourrait leur être fatal ? Sans oublier un ancien élève de Lokar particulièrement mégalomane, livrant des informations au compte-gouttes, et bien décidé à éliminer l’équipe des Stax une bonne foie pour toutes. Que du bonheur…

Marmonnant de frustration – la vue de sa chambre d’invité donnait sur la cour intérieure du monastère et son gigantesque bonsaï, soit à l’opposé de l’arène où se tenait le Conseil –, il se laissa retomber sur le lit.

Bien que cela le répugnait de seulement envisager agir sans l’aval ni le concours des Maîtres kaïru, en particulier d’Atoch, Ekayon fit plus qu’envisager examiner les « endroits où il ne s’attendait pas », suivant implicitement le conseil (ou la provocation ? Par moments, le solitaire peinait à deviner sur quel pied danser, quand il examinait après coup ses échanges avec l’irascible extraterrestre) non-formulé comme tel de l’E-Teens. Profitant des nombreuses heures d’absence des vénérables adultes, et s’évertuant à échapper au regard inquisiteur de Ky et Boomer, il commença à observer plus attentivement les pièces composant le monastère. S’il passa très rapidement sur les endroits communs tel la cuisine (bien trop exposé, du moins de son avis), il fut aisé de réaliser qu’un millier de cachettes pouvait se dissimuler sans difficulté au sein des murs de l’édifice rectangulaire, en particulier s’il existait des passages secrets et autres cachettes activées en appuyant sur les bons boutons. Quoique cela ne désignait pas forcément un objet physique, connaissant le Redakaï.

Jusque là, ses investigations ne menèrent à rien, excepté devoir obliquer brusquement dans un couloir latéral pour ne pas se retrouver nez-à-nez avec un Maître revenant sereinement à ses pénates. Sa blessure, pas encore totalement cicatrisée (jamais le solitaire n’eut cru qu’un coup de couteau procurait un tel désagrément, ou plutôt il s’imaginait qu’en une ou deux semaines tout serait rentré dans l’ordre. Ou il se découvrait naïf, ou son corps mettait plus de temps que la moyenne à se réparer ; dans un cas comme dans l’autre, cela ne le satisfaisait pas), lui fournissait un excellent prétexte pour ne pas participer à chaque combat amical proposé par les garçons des Stax. Mais rien ne lui garantissait que l’un ou l’autre des combattants ne vienne frapper à la porte de sa chambre, afin de prendre de ses nouvelles. Une possibilité ne portant pas à conséquence si Maya était cette personne, car la jeune femme couvrait généreusement ses arrières, à condition qu’il l’informe de toute avancée significative. Un des débutants de Maître Baoddaï ne poserait pas non plus de problèmes, car ne s’y intéresserait pas suffisamment longtemps pour venir lui mettre des bâtons dans les roues. Mais si, par exemple, Mookee se rendait compte de l’une de ses « disparitions »… Soupirant d’abondance, Ekayon observa le petit alien, pas plus grand que le trio d’enfants d’une dizaine d’années s’ébattant joyeusement dans le lac, remonter en trottinant le ponton menant au bâtiment de vie. Visiblement pressé, il ne ferait probablement que le traverser pour répondre à la demande de l’un ou l’autre des Maîtres.

La bouille avenante de l’extraterrestre à la peau orange incitait à la confiance et à l’amitié (enfin, sauf si l’on s’appelait Radikors bien évidemment), et son physique qualifié de « mignon » par Djia renforçait encore cette impression. Assez rondelet, Mookee avait un visage en forme de pentagone aussi haut que large, de grands yeux aux pupilles d’une couleur caramel atténuée, douce, et il possédait une petite barbiche rectangulaire, ainsi qu’une large bouche dont une sorte de petite fossette au-dessus de la lèvre supérieure en partait. Pour Ekayon, cela ressemblait à un bec-de-lièvre version alien, mais il préféra garder sagement cette opinion pour lui ; et puis, cela ne serait pas très sympathique de le crier sur tous les toits, alors qu’il appréciait en général Mookee. Enfin, d’étroites moustaches tombantes encadraient un nez presque collé au visage, deux autres morceaux de … Poils ? (le solitaire n’en était pas certain) partait de l’avant et de l’arrière de son crâne pour former deux fines houppettes, et ses oreilles étaient largement décollées. Rien qui ne paraissait très menaçant, et tout le monde connaissait sa fidélité à Maître Baoddaï. Cependant, Ekayon le savait également assez crédule pour déballer l’entièreté des secrets du monastère en croyant aider, et sa facilité à prendre peur provoquait souvent quelques catastrophes. Aussi, se fiait-il à Mookee pour surveiller les arrières des combattants, mais pas comme coéquipier.

En résumé, songea-t-il, croisant les mains derrière sa nuque, il lui fallait réfléchir et organiser ses recherches. Surtout que le monastère lui était proprement quasiment inconnu, le solitaire n’ayant guère pris le temps de l’explorer de fond en comble jusque là. Maya accepterait peut-être de lui fournir une carte des lieux ? Cela ne lui prendrait pas plus de quelques minutes, après tout. Au moins, cela lui permettrait d’éliminer toutes les pièces où logeaient les Maîtres invités ; à moins que Baoddaï n’aime déplacer sans arrêt ses secrets, les ouvrages manquants ne se trouveraient sûrement pas dans une chambre d’ami, au vu et au su de tout personnage un peu trop curieux. Les souterrains creusés au sein de la montagne restaient une piste plus intéressante, bien qu’ils ne s’enfoncent pas excessivement profondément dans ses entrailles.

Espèce de lâche, soupira-t-il intérieurement, se levant pour faire les cent pas. Bien sûr qu’il tournait autour du pot, en essayant de déterminer tous les endroits possibles et imaginables ! Et certainement pas pour deviner où se trouvait la fichue cachette ! Enfin, si, en partie, mais il ne s’agissait pas de son idée originelle. En listant ainsi presque l’entièreté du monastère, il souhaitait détourner son esprit de l’endroit le plus probable, celui où Baoddaï pourrait consulter si besoin les ouvrages sans craindre de se faire surprendre là où il ne devait censément pas se trouver. La propre chambre du Grand Maître…

Un endroit qu’Ekayon, auquel Maître Atoch enseigna les notions de l’honneur et du respect comme primordiales, n’avait aucune envie d’explorer. Fouiller les appartements d’un homme ayant plus que prouvé sa valeur au cours de sa vie… Et tout cela, en supposant qu’il y ait tromperie volontaire de sa part. Si le solitaire ne serait sans doute pas exclu pour s’être fait prendre la main dans le sac, la découverte de ses intentions pouvait lui valoir une sacrée punition. Sans parler de la moralité de cet acte…

D’un autre côté, s’il devait attendre que le Redakaï se décide à leur parler de la véritable raison de leur inquiétude, il n’aurait pas à se tritures les méninges ! Surtout que Zane, encore, laissa complètement flotter que cette option ne figurerait pas au programme des adultes en tuniques longues.

Bon sang, il ne pouvait pas être un peu plus précis, au lieu d’arborer ce sourire moqueur ? L’E-Teens restait, mine de rien, la première cible de ces fous au kaïru si étrange ! A croire qu’il ignorait le sens du mot collaboration. Non, se corrigea-t-il, le vert l’interprétait sans aucun doute à sa manière, comme d’habitude.

En y réfléchissant, Ekayon aurait préféré mettre sa main dans la gueule d’un crocodile somnolant. Au moins, avec l’animal, il était à peu près certain de savoir quand numéroter ses abattis.

Dans un bruissement feutré, le battant de la porte, aussi fin et lisse que du papier crépon couleur crème, coulissa, laissant apparaître la silhouette de Maître Atoch. Cessant de tourner comme un lion en cage, Ekayon sourit, inclinant brièvement la tête en guise de salut, un sourire venant fleurir inconsciemment sur ses lèvres. Lui rendant son salut, Atoch fronça néanmoins les sourcils en découvrant le lit déserté de son patient, et visiblement fort peu utilisé au vu des draps à peine froissés.

S’il se comportait plus comme un mentor qu’un maître, au sens strict du terme, le métisse se montrait le plus souvent intransigeant quand il s’agissait de se reposer. Qui veut aller loin, ménage sa monture ; ce dicton lui convenait à merveille. Enfin, à propos de son élève, surtout. Un autre paramètre pouvant gêner ses investigations, bien qu’il appréciât du plus profond de son coeur Atoch. Plus d’une fois, ce dernier fit irruption dans sa chambre, afin de vérifier si son élève ne s’amusait pas à contrevenir à ses conseils dans le but de n’en faire qu’à sa tête. Une attitude qu’Ekayon ne comprenait que moyennement ; enfin, ce n’était pas dans ses habitudes pourtant ! Sauf en ce qui concernait sa dernière blessure, bien sûr, mais les circonstances exceptionnelles faisaient qu’il devait bousculer ses habitudes. Aussi, deux fois déjà, ne put-il revenir à ses pénates avant que son radar de Maître ne l’y attende, bras croisés sur la poitrine, et fort mécontent.

Par chance, trouver le jeune combattant là où il était censé demeurer (à quelques mètres près, si l’on comptait le lit) dissuada l’homme de proférer un sermon sur la nécessité de ne pas négliger les conseils de ses aînés. Cependant, avant que le solitaire n’ait eu le temps de dire « ouf », Atoch vérifia l’absence de présence dans les couloirs (une précaution toujours prise avant de se mettre à traiter son élève comme un fils turbulent incapable de prendre soin de lui. Et encore, parce que Ekayon demanda à ne pas faire montre de telles manifestations en public), il fut aux côtés de son élève, prenant son pouls.

– Trop rapide, marmonna l’homme, adressant à son élève un froncement de sourcils désapprobateurs. Depuis quand as-tu décidé de creuser un trou dans le plancher de ta chambre ? Je doute que Maître Baoddaï apprécie de voir son monastère ainsi dégradé.

– Je vous en prie, Maître, lui sourit Ekayon en levant les yeux au ciel (un manquement au protocole qui aurait fait dresser les cheveux sur la tête des autres Redakaï, et peut-être de Ky également), vous êtes habituellement bien plus subtil que cela !

Dévisagé sous toutes les coutures, il craignit un instant que son professeur ne se mette à le traiter de tête de pioche, le mettant de force au lit. Et une fois ce point atteint, rien ne disait qu’il finirait le reste de la journée sous les couettes, à écouter nombre d’histoires sur les petits garçons pas sages…

Aussi capitula-t-il prudemment, prévenant l’excès d’attention dont il serait sinon la cible.

– Cela ne fait que quelques minutes que je me suis levé. Je n’en pouvais plus de rester allongé !

La strict vérité ; une petite heure au fond des draps, et il se sentait comme un quartier de viande que l’on massacrerait à coup de marteau pour l’attendrir. Il détestait l’inaction ! Par contre, son Maître n’était pas obligé de savoir qu’avant cela, toute sa matinée fut consacrée à l’exploration du monastère.

Si Atoch se douta de son mensonge par omission, il n’en montra rien, se contentant de le faire asseoir sur une chaise, lui faisant signe de remonter son T-shirt, au niveau du flanc. Pas une visite ne se passait sans que quelqu’un ne vienne lui demander d’exposer ainsi sa blessure. Le Code d’Honneur kaïru interdisant formellement l’utilisation d’armes, dans un souci de justice car l’énergie en était déjà une très puissante, la mésaventure d’Ekayon se révélait être une curiosité dont peu de personnes ne souhaitait en examiner la preuve. Seuls Maya, préoccupée par bien d’autres sujets, et Maître Atoch, forcé de l’observer pour contrôler l’avancée de la guérison, échappaient à cet intérêt morbide. Enfin, peut-être un peu le reste du Redakaï, plus désireux de l’interroger sur le manipulateur de la lame avant la blessure en elle-même.

– La réunion d’aujourd’hui est déjà terminée ? fit Ekayon pour passer le temps.

Un peu parce qu’il s’étonnait de la présence du mentor si tôt dans les couloirs du monastère aussi, il devait l’avouer. Même pour le surprendre en flagrant délit de fuite, il ne quitterait pas le Conseil uniquement dans ce but. Atoch faisait partie de ceux prenant avec le plus grand sérieux les allégations de son élève.

– Pas encore, mais Maître Baoddaï dut s’interrompre, pour envoyer les Stax à la recherche d’une relique kaïru détectée, expliqua l’autre de sa voix profonde. Comme il nous manquait certains documents nécessaires pour rendre notre verdict final, je me suis proposé de les récupérer, le temps que les Stax s’organisent. Et comment pourrais-je entrer dans le monastère, sans te rendre visite ?

Grimaçant, Ekayon put presque entendre le « puisque tu n’es pas capable de prendre correctement soin de toi », qui flotta entre eux deux un petit moment. Son attention entièrement tournée vers la blessure, Atoch ne s’attarda guère sur le sous-entendu. Plissant les yeux, il palpa prudemment les flancs du jeune homme, guettant le premier signe d’inconfort. Puis, voyant qu’excepté aux proches alentours de la marque, aucune réaction n’indiquait une souffrance, il fut interrogé sur son appétit, son sommeil, si des maux de tête ou des nausées impromptues survenaient, dut regarder à droite et à gauche tandis qu’Atoch examinait sa pupille. Enfin, après une dernière vérification, le Maître déclara qu’il laissait la plaie à l’air libre de nouveau, le dernier essai n’ayant pas rouvert la croûte, solide, qui se forma. En dépit de ces encouragements, et ce qui pouvait être considéré comme une bonne nouvelle officielle (après tout, il put officieusement grimper les parois de la forteresse sans trop de mal), Ekayon capta la lueur intriguée qui traversa les iris chocolat, tandis qu’il s’attardait sur le faible halo bleu-gris entourant la plaie. Se relevant, Atoch caressa machinalement la boucle dorée qu’il portait à l’oreille droite, un tic signifiant qu’il se trouvait face à une incertitude l’inquiétant. Sans nul doute, cela avait un rapport avec l’avalanche de questions posées par les Maîtres sur les effets de ce satané coup de poignard. Alors qu’il sentit une vague angoisse remonter dans sa poitrine, Ekayon décida de se montrer confiant, autant pour endormir les soupçons, que rassurer son mentor.

– Je me sens très bien, je vous assure. Et j’apprécie l’attention que vous me portez. Quand pourrai-je reprendre les missions kaïru ? Je peux déjà reprendre doucement les entraînements, et ce sans douleur.

– Bientôt, bientôt, soupira Atoch, laissant redescendre sa main. Il te faudra cependant attendre encore un moment, avant de pouvoir vaincre de nouveau les E-Teens. Je ne veux prendre aucun risque.

Le solitaire dut mobiliser toute sa volonté pour s’empêcher de marmonner entre ses dents. Connaissant son Maître, cela signifiait qu’il resterait cloué au monastère (car il ne passerait certainement pas le reste de son séjour à se morfondre au fond d’un lit !) encore un bon moment. Atoch maniait avec une habileté les euphémismes égale à l’ironie chez Zane, bien qu’il ne se montrasse pas excessivement prudent auparavant.

– Pourquoi mettre tant de temps ? demanda le jeune homme, trépignant sur place. Cela fait presque un mois que je me repose, écoutant à la lettre vos conseils pour me rétablir (devant le haussement de sourcils dubitatif, il eut la bonne grâce de rosir, parfaitement conscient qu’il s’agissait d’une interprétation fort personnelle – et subjective – des choses). Ma blessure s’est refermée, je me sens parfaitement bien, et j’ai besoin de bouger réellement, au lieu de me promener dans la forêt alentour.

Garder un ton calme, et des plus patient, faillit épuiser toutes les réserves de conciliation du jeune homme. Et pas seulement parce qu’il n’en pouvait plus d’être couvé par des Taïro impatients d’entendre encore et encore le récit de sa « formidable » aventure ! A force, ils allaient le rendre fou ! Et encore, devait-il prendre soin à garder certaines informations pour sa seule personne, restant vigilant à ne pas laisser s’échapper quelques mots malheureux. Il haïssait les secrets… C’était le ciment du mensonge et du pourrissement des relations. Ceci expliquait peut-être pourquoi les cachotteries du Redakaï l’irritaient plus qu’elles ne l’aurait dû. Et puis, les bois entourant le monastère se révélaient certes de toute beauté, mais à force de les traverser en long, en large et en travers, il avait besoin de nouveaux horizons.

– Je connais ton impatience, mon jeune élève, mais tu ne dois pas te laisser emporter par ton enthousiasme.

Une réponse sibylline, et aussi vague qu’il était possible de faire. Agacé, Ekayon s’appliqua néanmoins à afficher une expression humble, disant implicitement qu’il se plierait à la volonté de son Maître.

– Par pitié, Ekayon, la soumission te va si peu ! pouffa Atoch.

S’asseyant sur les genoux, à même le tapis ocre recouvrant le sol, il fit signe au jeune homme de prendre place en face de lui. Ce dernier obéit, croisant pour sa part les jambes en tailleur, pianotant de ses doigts sur sa jambe gauche. Il fut étrange que l’homme prenne un moment pour discuter, si le Redakaï attendait d’autres informations complémentaires qu’il transportait, justement. Vint-il uniquement sur ordre de l’assemblée des Maîtres, dans le but de le mettre en confiance et lui soutirer certains détails ? Il espéra que non, car cela signifierait que son récit n’ait pas été suffisamment convaincant pour endormir les méfiances. A moins qu’il ne se soit trompé lors d’un de ses énièmes radotages face aux Taïro ?

De la fenêtre sans vitre, il entendit, entre deux trilles de merles joyeux, les protestations d’un Boomer obligé de partir avant le petit-déjeuner, vite étouffées par la promesse de son chef d’équipe de le laisser prendre sa part au retour. Le rire clair de Maya s’ajouta au tableau sonore, ravivant le désir d’échappatoire d’Ekayon.

Entendant également la petite discussion animée des adolescents, Maître Atoch comprit la soudaine nostalgie de son élève, lui adressant un sourire d’encouragement à la patience. Et comme un vague regret de continuer à la garder entre les quatre murs de roche clair, sans pour autant manifester l’intention d’y changer quoi que ce soit. Et après, c’était lui qui serait traité de tête de pioche ! A n’y rien comprendre !

– Je comprends, vraiment, Ekayon, reprit le Maître. Cependant, tu dois également penser que contrairement aux autres équipes de trois combattants, tu es seul pour récolter l’énergie kaïru. Tu as bien failli subir un sort fatal, lors de ta dernière mission, et la quête du kaïru en es devenue bien plus dangereuse. Je n’ose imaginer si Zane décida brusquement de te livrer à cette étrange équipe dans le but de sauver sa vie.

– Croyez-moi, il préférerait se jeter dans une fosse remplie de Ky Stax, plutôt que de ployer le genou devant Teos et compagnie, déclara spontanément le jeune homme. Quant au danger, eh bien, ne m’avez-vous pas formé pour que je puisse affronter toutes situations par mes propres moyens ? Il s’agit de la base de votre enseignement. Faites-moi confiance, je peux me battre contre eux. La dernière fois, ils m’ont eu par surprise. Maintenant, je les connais, et je sais qui mettre à terre en premier !

Bon, il n’en était pas tout à fait certain pour la dernière partie. Mais au moins, il croyait avec ferveur au reste ! Et tant qu’à attendre que sieur Zane se décide à reprendre contact, autant faire quelque chose d’utile !

Cependant, Maître Atoch ne se laissa pas persuader par la conviction de son élève.

– C’est non, Ekayon, fit-il d’un ton sans appel.

– Très bien, mais dans ce cas, laissez-moi enquêter sur cette équipe ! Ou même à la forteresse, que je sache ce que mijotent les Radikors ! Ne serait-ce que pour épauler le Redakaï dans ses décisions.

Et puis, si cela lui permettait de se rendre au fief des E-Teens avec la bénédiction de son Maître, il n’aurait plus besoin de lui cacher s’y être rendu en cachette. Il l’inclurait dans sa mission d’infiltration, simplement.

– Certainement pas ! Nous ne savons pas assez de choses au sujet des premiers, quant aux seconds, ils doivent se méfier, depuis l’échec de la mission d’espionnage des Stax. Mieux vaut en savoir plus.

Sur ce, le Maître se leva souplement en prenant appui sur ses talons, comme pour mettre fin à la discussion.

– Nous n’en saurons jamais plus, si nous ne mettons pas tout en œuvre pour savoir, fit remarquer le solitaire en se relevant à son tour. En particulier concernant les Radikors, et les Imperiaz par extension. Un seul combattant sera bien plus discret que toute une équipe, et vous le savez, puisque vous me l’avez enseigné.

Une manière, bien moins élégante que les sous-entendus affectionnés par l’homme, de lui faire comprendre qu’il n’était pas dupe des innombrables esquives du Redakaï sur le sujet. Un froncement de sourcils accentué prouva que le message fut bien reçu par son destinataire, bien que le reste de son visage reste impassible.

– Le Conseil se charge d’en apprendre plus, justement, fit le Maître après un petit moment de silence. Et dès que nous aurons déterminé précisément de quoi il en retourne, tu seras le premier informé. En attendant, pardonne-moi, mais je pense que mes confrères doivent m’attendre, moi et les documents.

En effet, le vrombissement des pales du X-Scaper découpa l’atmosphère, amenant plusieurs minces tourbillons de poussière au travers de la fenêtre. Constatant que le vaisseau des Stax dut faire un léger détour pour venir bombarder sa pièce de vie de sable fin mêlé de petits graviers, Ekayon déduisit que Boomer, pilote émérite, se trouva visiblement décidé à lui faire une petite plaisanterie. Quant à savoir si celle-ci fut initiée par Ky ou de sa propre initiative, il se ferait un plaisir de l’interroger à son retour !

– Ne pouvez-vous pas juste me dire si les débats aboutissent à du concret ? interrogea-t-il son Maître, le suppliant presque du regard. Ou pourquoi le Redakaï refuse toute allusion à ce qu’il se passa il y a trente ans?

– Je me doutais bien que Maya ne s’intéressait pas à cette époque par hasard, soupira l’intéressé.

Se reprenant, le métisse se redressa de toute sa hauteur, incarnation de la fermeté et de l’autorité.

– Il m’est impossible de t’en dire plus, et en admettant l’existence de cette… gêne, j’outrepasse sûrement déjà mon droit devant le Grand Maître. Je suis désolé, Ekayon, mais il vaut mieux que tu oublies tes prétentions concernant cette affaire, et que tu te concentres sur ta propre quête, bien qu’elle soit pour le moment suspendue. J’y pense, à ce propos, tu dois avoir envie de réviser ta théorie, n’est-ce pas ?

L’interrogation ressembla fortement à une affirmation. Alors qu’il s’apprêtait à fouiller sa mémoire pour trouver une excuse valable lui évitant de subir un sort identique à celui de Maya, quelque chose, dans l’attitude de son Maître, l’arrêta. Intrigué, il opina affirmativement du chef, lui jetant de fréquents coup d’oeil. L’expression satisfaite, mais prudente, de l’homme confirma ses impressions.

– C’est bien ce que je me disais. Sinon, pourquoi t’acharnerais-tu à passer nombre d’heures dans la bibliothèque de Maître Baoddaï ? Hélas, je suppose que ta soif de lecture ne te laisse plus d’ouvrages permettant de la satisfaire. Aussi me suis-je permis de sélectionner quelques écrits n’y figurant pas. Juste pour apaiser ton désir de savoir, en toute discrétion, fit Atoch en insistant sur ce dernier mot.

Joignant le geste à la parole, sa main brune plongea sous l’épais tunique grise, ressemblant à un kimono long, bordée de noir, étant l’apanage des Maîtres kaïru. Quand elle en ressortit, elle maintenait fermement un livre, dont la couverture marron lisse ressemblait à toutes celles des milliers de pages dormant sur les rayonnages de bois de la bibliothèque. Mais à la façon dont l’homme le déposa sur la petite commode calée près de la porte, ainsi que la façon dont il humecta ses lèvres soudainement bien sèches, incita Ekayon à penser qu’il n’en était rien. Joignant les mains, Atoch fit demi-tour sans attendre sa réponse, le bruit de ses pas feutrés distançant rapidement la chambre du jeune homme, avec un empressement inhabituel.

Seul face à l’ouvrage, ce denier hésita à le prendre, prenant quelques secondes pour l’observer à distance. Son Maître venait-il de lui offrir quelques morceaux du puzzle de son plein gré, agissant vraisemblablement contre l’avis du Redakaï ? Ou lui livrait-il de quoi occuper son impatience, pour permettre justement au Conseil de prendre ses décisions sans risquer d’être interrompu par de trop inquisitrices questions ?

Il n’avait qu’un moyen de le découvrir, songea-t-il.

Tendant le bras vers le livre, avançant d’un pas, il le saisit, caressant de la pulpe de ses doigts la reliure craquelée par endroits, en dépit d’un entretien pourtant minutieux de l’ensemble. Peut-être à force d’être manipulée, ou quelques élèves imprudents l’aurait fait tomber nombre de fois au sol.

Il s’apprêta à ouvrir l’objet, vérifiant brièvement que personne ne se trouvait sur le point de venir le déranger justement à ce moment précis. Apparemment, le livre fut rédigé en un kanï-ho plus ancien que le dialecte utilisé depuis son arrivée dans les rangs des combattants du bien. Une version antérieure au Grand Cataclysme, tombée dans l’oubli et la désuétude en très peu de temps. Bien, il n’était pas des plus doué en langue, surtout uniquement écrites, mais avec un peu de patience il pourrait réussir à déchiffrer…

– Très intéressant, ton livre, fit une voix moqueuse, derrière son dos. J’aimerais vraiment y jeter un œil !

Parvenant à réprimer de justesse son bond au plafond en un léger sursaut, Ekayon referma bruyamment la couverture, faisant volte-face avant de foudroyer littéralement du regard l’insolent – et très imprévu – visiteur. Nonchalamment appuyé contre le chambranle de l’armoire du solitaire, Zane lui renvoya une expression goguenarde – et fortement ravie de son petit effet, en passant.

– Quel dommage que tu ne puisse pas mettre tes grandes pattes dessus, rétorqua-t-il cependant, reprenant rapidement tes esprits. C’était prémédité, cette entrée, ou tu es juste doué pour casser les pieds ?

Pensant avoir proféré ses déclarations d’un ton condescendant irritant au possible, Ekayon dut réviser son jugement quand il vit le sourire de l’extraterrestre s’élargir plus encore. Un petit effort, et il semblerait presque content. Un miracle tiens ! En même temps, l’humour Radikors dépassait souvent le jeune homme.

– Disons que je me suis décidé à te rendre une petite visite, afin que tu ne te languisse de moi…

– Rassure-toi, il n’y avait aucune chance, alors la prochaine fois tu passeras par la porte.

Tiquant sur la formulation tenant plus de l’ordre que de la suggestion, Zane plissa le front de mécontentement, sans pour autant cesser de sourire, ni que ça ne l’empêche de continuer sa phrase comme si de rien n’était. Le résultat était… assez sinistre, pour tout dire.

– … Et comme ton Maître s’amusait à taper la causette, dans mon immense générosité, je vous ai laissé achever votre conversation. Pourquoi, la prochaine fois, faudra-t-il que je me présente immédiatement ?

Même si l’E-Teens avait adopté un ton hésitant, il n’aurait pu passer pour un adolescent soucieux du respect de ses aînés. Comme il ne faisait pas le moindre effort pour produire cette effet, Ekayon comprit sans problème qu’il continuerait à n’en faire qu’à sa tête, surtout s’il voyait que cela l’incommodait.

– Allons, ne te fais pas plus bête que tu ne l’es, déclara-t-il d’un ton encourageant. Je suis sûr que tu vas trouver tout seul…

L’adolescent glapit, avant de toiser le solitaire comme si ses yeux pouvaient forer un trou dans son crâne par la simple volonté de sa pensée. S’il se sentit mal à l’aise de cette attention soutenue, ce dernier fit mine de n’en rien sentir, s’asseyant sur un coussin vert d’eau installé autour de la petite table rectangulaire, en bois sombre, située un peu en décalé, vers la gauche, du centre de la pièce. Sentant que la situation risquait de rapidement dégénérer si aucun ne rentait un geste vers l’autre, il fit signe à Zane de s’asseoir en face de lui, sur un autre coussin cette fois d’un blanc cassé, une ligne safran le traversant verticalement.

Étrangement, l’adolescent roula au contraire avec ostentation les yeux dans ses orbites, paraissant plus furieux encore que lors de sa tirade un rien taquine. Au contraire, il se décolla de l’armoire, venant se planter solidement sur ses pieds face à Ekayon, une tension imposant à ses épaules de rester basses. Avant, un petit air de défi tendant ses traits, de venir poser son séant sur la table, dédaignant royalement le coussin.

Ne comprenant tout d’abord pas sa réaction, la solution se présenta soudainement aussi clairement que de l’eau de roche. A tous les coups, Zane prit son invitation comme une autorisation de s’asseoir. L’extraterrestre ne supportant guère recevoir des ordres, en particulier d’un combattant du bien, il se sentit vexé d’être traité tel un sous-fifre attendant le bon vouloir de son supérieur. Une analyse à laquelle Ekayon ne souscrivait pas, mais bon, il s’agissait du chef des Radikors, donc tout était sujet à embrouilles.

Mais comment ramener un Zane à de meilleures dispositions d’esprit ? Enfin, suffisamment pour ne pas alerter tout le monastère en s’écharpant à coup d’attaque kaïru, bien évidemment. S’il comptait sur la flatterie, il pouvait toujours courir ! Avec ses coéquipiers sur le dos, tant qu’on y était. D’accord, mais en attendant, monsieur restait muet comme une tombe, se contentant d’ignorer si superbement le coussin qu’il pourrait ne pas exister du tout, transperçant visuellement son vis-à-vis comme s’il se trouvait responsable de tous ses malheurs actuels. Mais pas question de lui demander la raison de sa visite ! Il voulait venir le trouver, très bien, ils en convinrent ensemble. Le reste, qu’il se débrouille s’il voulait des informations !

– Donc, comment as-tu fais pour arriver dans ma chambre ? questionna-t-il à la place, comme s’il se moquait bien d’avoir un E-Teens à vingt centimètres de son nez sans savoir pourquoi.

– À ton avis ? (si Zane n’ajouta rien de plus, le solitaire pouvait presque entendre le « tête de buse » parfaitement explicite) Je suis passé par la fenêtre, termina-t-il en prenant un air hautain.

– Impossible, rétorqua catégoriquement le solitaire, le X-Scaper vient de passer juste devant, et il n’aurait pas pu te manquer si tu faisais grimpette aux murs.

Peu appréciateur de sa dernière partie de phrase (à noter mentalement, ne plus associer le nom « grimpette » à un E-Teens quand celui-ci se trouvait justement dans la pièce), Zane réussit l’exploit de paraître plus supérieur encore, si tant est que cela fut possible. Visiblement oui, s’il se fiait à ce qu’il avait sous les yeux.

– Je suis présent depuis ton pitoyable plaidoyer pour connaître les intentions du Redakaï, rétorqua-t-il avec humeur. Et ni toi, ni ton Maître, ne m’avez vu durant tout votre échange.

– Ne te moques pas de moi, à deux, nous voyions toute ma chambre !

– Eh bien, il faut commencer à t’inquiéter de la sécurité du monastère, répondit l’adolescent avec un fatalisme qu’il ne devait bien évidemment pas ressentir. Plutôt bien trouvé, quand tu as dis que je préfère frayer avec une armada de Stax plutôt que me ranger du côté de Teos.

– Merci, mais ce n’était pas difficile ; Ky, tu as au moins une chance de le vaincre à un contre cent, susurra quelque peu perfidement Ekayon.

Bon, ce n’était pas des plus sympathique, mais au moins eut-il le plaisir de voir un Zane sur le point de sombrer dans une belle crise d’apoplexie. Une vision des plus agréables, en tout cas plus que celle de son crâne heurtant les lattes du plancher, quand l’adolescent le poussa brutalement de son siège.

– La prochaine fois, grinça-t-il, le visage vert emplissant tout le champ de vision du solitaire, arrange-toi pour te tenir loin de l’arsank, car je ne te rattraperais pas si tu tombes une deuxième fois.

La lumière du jour revenant réchauffer le visage aussi impassible que possible du jeune homme, il compta lentement jusqu’à dix, au cas où son irascible compagnon de chambrée décide d’en remettre une couche. Arrivé au bout de son décompte, il glissa souplement sur le côté, revenant en position assise, passant la main sur son crâne aux cheveux ras pour en enlever les petites particules de poussière venant le titiller. Relevant le nez, il tomba sur la silhouette impatiente de Zane, tapant avec agacement du pied sur le sol… et les fesses soigneusement posées sur le coussin que le solitaire lui indiqua précédemment.

Non, il ne devait pas chercher à comprendre… Pour quoi faire, sinon se plier le cerveau en huit ?

Cependant, à deuxième vue, son sang ne fit qu’un tour. Peu intéressé par le rétablissement du monastèrien, Zane, tranquillement appuyé contre la table en dépit de son pied battant toujours la mesure, feuilletant tout aussi naturellement l’ouvrage confié par Maître Atoch. Probablement tombé durant la chute du combattant solitaire. Car avant, il se souvenait très bien l’avoir gardé précautionneusement entre ses mains !

– Rends-moi ça ! siffla-t-il, se jetant sur l’effronté E-Teens en oubliant sa fausse sérénité.

Surpris par un assaut physique, et surtout sans avertissement, l’extraterrestre ne fut pas assez rapide pour l’éviter. Heurtant de plein fouet le corps musclé de l’adolescent, Ekayon tenta de lui arracher le livre, sans succès, l’autre l’attrapant par la gorge pour l’empêcher d’atteindre son but. Heureusement, un coup de genou déloyal sous la ceinture de l’adolescent lui fit lâcher prise, poussant un petit cri indigné. Cependant, il ne paraissait pas décidé à laisser couler sans se battre, roulant sur le côté pour se mettre hors de portée avant de se retrouver écraser sous le poids de l’adulte. Aussi agaçant cela soit-il pour les E-Teens (et parfois un peu pour Ky aussi), la masse d’Ekayon lui permettait de rivaliser aisément avec leurs silhouettes encore adolescentes, bien que celles-ci ne soient déjà plus fluettes pour un sou. Enfin, sauf face à Tekris, le Radikors étant déjà plus grand que lui. Mais face à Zane, il ne doutait pas de pouvoir faire face au corps-à-corps.

– Rends-moi ça tout de suite, siffla-t-il de nouveau, ou je te force à me le rendre !

– N’as-tu jamais pensé à demander gentiment ? soupira l’adolescent, faisant tout pour paraître imperturbable.

Aucune trace de peur n’était visible dans son attitude. Par contre, la colère et la frustration bataillait ferme tandis que Zane cherchait justement à les contenir. Pire, il prit un air des plus buté, allant jusqu’à croiser les bras sur sa poitrine, bombant le torse. Mais bon sang, il allait arrêter de jouer à la provocation ?!

– Et toi, tu n’as jamais pensé à demander la permission de le lire ? Bien sûr que non. Tu as donc ta réponse. Maintenant, rends-le-moi, ou je mets ma menace à exécution !

– Tu crois que tu me fais peur ?! grogna dangereusement l’adolescent, rapprochant sa main gantée de l’X-Reader pendant sur son torse. Ou tu te crois en mesure de me donner des ordres ?!

Alors que le solitaire pensait devoir se battre afin de récupérer son bien, Zane parut soudainement se rappeler de quelque chose, le regard partant dans le vide tandis qu’il sursautait. Jaugeant étrangement le jeune homme du regard, sa bouche se tordit, comme devant un plat particulièrement amer qu’il savait devoir ingérer un jour ou l’autre. Secouant lentement la tête, il marmonna entre ses dents, trop bas pour être entendu, foudroyant encore une fois son vis-à-vis comme s’il se trouvait responsable de tous ses ennuis.

Enfin, il lui tendit le livre à contrecœur, Ekayon le lui arrachant presque des mains.

– De toute façon, du peu que j’ai vu, il est incomplet, bougonna l’E-Teens.

Une simple provocation, ou avait-il réussit à déchiffrer l’idiome composant ces pages ? S’il se posa vaguement la question, Ekayon l’écarta promptement, rangea le précieux sésame dans un tiroir de sa commode. Les Radikors ne pouvaient-ils pas, une fois dans leur vie, se mêler de ce qui les regardait ?

– Tu as intérêt à avoir une bonne raison pour être venu ici, fit-il en se retournant, lui faisant face.Sinon, une relique kaïru a été détectée, donc tu ferais mieux de partir à sa suite si tu ne veux pas te faire doubler.

– Je le sais bien, marmonna l’autre, je suis en route pour la récupérer. Mais si ma présence t’es insupportable, la tienne m’est tout autant, alors autant se séparer !

Effectuant un semblant de révérence moqueuse, il commença à tourner les talons, raide comme la Justice. Croyant tout d’abord à un bluff dépité, Ekayon se persuada de ne pas tenter de le retenir – qu’il assume ! Avant d’hésiter, le voyant vérifier attentivement l’absence d’ennemis pouvant l’apercevoir de la fenêtre du solitaire. Plongé dans d’obscures pensées, il passait déjà à autre chose, la préoccupation formant comme un deuxième masque se superposant à celui de la colère moqueuse, pourtant bien plus naturelle. A tous les coups, ce jeune impertinent était sur le point de viser plus haut que ses capacités, sans accepter recueillir des conseils auprès de son aîné à cause de sa vexation, ou quelque chose du genre. Bien sûr, en temps normal, le solitaire le laisserait s’embourber dans un marasme dont il risquait de ne se tirer que difficilement, après tout, il restait l’adolescent ayant décidé de reprendre le flambeau de Lokar et d’éliminer l’équipe des Stax.

D’un autre côté, le pacte qu’ils firent, ce simple échange de renseignement, ne le poussait-il pas à s’assurer de la victoire de son camp, celui du bien, certes, mais en limitant les dégâts vis-à-vis du chef des Radikors ?

Soupirant, il leva les bras au ciel, revenant s’asseoir sur le coussin, qu’il dut remettre en place après leur brève altercation. Pourquoi être l’aîné devait-il impliquer de ne pas céder à ses impulsions ?!

– Tu n’as pas fait tout ce chemin pour battre en retraite au dernier moment ; qu’est-ce que tu voulais ?

– Comment ça, « battre en retraite » ?! siffla rageusement l’adolescent, sa cape suivant gracieusement le mouvement de son demi-tour. Tu me prends pour un lâche, c’est ça ?

Le jeune homme ouvrit la bouche pour répliquer que ce n’était pas le cas – juste une toute petite manipulation pour le pousser à rester en l’aiguillonnant un chouïa. L’extraterrestre devrait se sentir flatté que le solitaire soit si avide de « boire ses paroles », non ? Mais, pour la deuxième fois de la journée, il se demanda si l’adolescent ne se trouvait pas victime d’une brutale crise d’indécision. Dans ce cas, ce serait peut-être le moment idéal pour le convaincre de renoncer à la place à laquelle il s’autoproclama, ou du moins, le convaincre de travailler en collaboration avec le Redakaï, sans forcément se battre sous son égide. Un projet ambitieux, le solitaire en convenait, et qui ne lui correspondait pas tant que cela, à la réflexion. Seulement, qui aurait reculé face à la possibilité d’apaiser la guerre opposant E-Teens et Redakaï ? Lokar disparu, les choses pouvaient changer, aussi longtemps cela prendrait-il, il s’en trouvait persuadé.

Poussant un gros soupir excédé, Zane haussa les épaules, revenant s’asseoir en face d’Ekayon avec la grâce d’un pachyderme souffrant remplaçant sans crier gare Atlas soutenant le monde. Et encore ce regard accusateur, sans que le solitaire ne sache ce qu’il fit pour provoquer une telle animosité… En tendant l’oreille, il lui sembla ouïr un marmonnement sur « ce qu’il convenait de faire, qui ne correspondait jamais à ce que l’on souhaitait », mais il ne douta pas un instant d’avoir mal entendu.

Car enfin, un Zane décidant d’assumer les responsabilités inhérentes au pouvoir ? Autant attendre que les poules se mettent à pondre des œufs carrés, tiens. Etait-ce, sinon, une bonne nouvelle que l’adolescent cesse de jouer au chef en commandant à tout va selon ses intérêts exclusifs, afin de commencer à agir en adéquation avec son « titre » ? Sous la torture, Ekayon ne pourrait répondre à cette question.

– Cela ne fera pas de mal de parler de choses sérieuses, je suppose, grogna l’extraterrestre comme si l’admettre brûlait l’entièreté de sa gorge. Bon, je veux en savoir plus sur les Hiverax.

– Encore ? s’étonna sincèrement le solitaire. Tu n’en as jamais assez ? Hélas, je ne peux pas te dire grand-chose de plus que ce que tu connais déjà. Leur monstre, leur façon de parler… Ah, si, peu importe d’où ils viennent, ou depuis combien de temps ils se sont exilés loin de la Terre, mais ils semblent tous nous connaître alors que nous, nous ne savons rien d’eux. Un sérieux avantage, même si je n’aime pas ça.

– Sans blague ? Il doit bien y avoir un moyen de les vaincre ! Votre soi-disant champion kaïru est-il devenu plus incompétent encore qu’auparavant ? Lui qui se vante d’être le meilleur, peu importe la situation ?

– Il me rappelle quelqu’un, railla spontanément Ekayon.

Un plissement de front le convainquit de ravaler son envie de rire. Soutenant les pupilles onyx, il eut cependant la présence d’esprit de ne pas continuer dans cette voie, mais n’irait sûrement pas s’excuser non plus. Car, enfin, il n’allait pas se retenir d’évoquer tous les sujets sensibles à l’ego de l’irascible E-Teens pour préserver sa sensibilité, lui ne se gênait pas pour remuer le couteau dans la plaie.

– Ce quelqu’un doit être détestable, répondit finalement Zane avec le plus grand des sérieux (devant l’air interrogateur du solitaire, il eut l’un de ses sourires carnassiers). Bref, leurs faiblesses ?

Cela sonnait plutôt comme un ordre, à exécuter le plus rapidement possible bien sûr.

– D’abord, qu’ai-je à y gagner de mon côté, rétorqua Ekayon. Je ne vais pas parler sans intérêt. Pas la peine de me regarder comme ça, il s’agit de la base de notre accord. J’y risque autant que toi, et peut-être pire.

– Comme l’exclusion ? railla l’adolescent, amer. Pauvre petit chou, c’est si terrible ! Bien, que pourrai-je te dire qui t’intéresserais, capitula-t-il néanmoins, penchant la tête en arrière.

Heureusement, Ekayon avait déjà sa petite idée à ce propos.

– Les documents secrets du monastère. Où se cachent-ils ?

Redressant le regard, Zane parut incrédule une petite seconde, avant de reprendre son expression railleuse et… un brin amusée. Comme s’il se trouvait devant un spectacle des plus hilarants sans pouvoir s’esclaffer.

– Voyons, quels secrets le monastère pourrait-il bien cacher ? A moins qu’il ne s’agisse du Redakaï tout entier, n’est-ce pas. Donc, tu es prêt à te fier à un E-Teens, et pas à vos chers Maîtres kaïru ? Intéressant.

– N’essaie pas de me manipuler, tu ne réussiras pas à créer une scission entre nous, l’avertit Ekayon. Si je cherche ces documents, c’est afin de justement nous protéger. Je fais confiance au Redakaï pour nous informer des tenants et aboutissants en temps et en heure, mais mieux en savoir plus, le plus tôt possible. Une idée n’étant pas partagée par les Maîtres. C’est tout, je ne possède pas ton esprit tordu, je ne te supplierais pas, pas plus que je ne cherche de sombres mensonges pour prendre le pouvoir. Et pour répondre à tes questions, à toi de me dire quels secrets le monastère cache-t-il, et je me fie à ton désir de semer le trouble. Tu ne me mentirais pas si cela peut, selon toi, te donner un avantage sur moi, ébranler ma confiance en ce que je crois, probablement. Et puis, si je fais chou blanc, je saurais qu’il m’est impossible de te croire.

– Voilà un magnifique discours, susurra Zane, des plus moqueurs (quoique Ekayon ne manqua pas la tension crispant impitoyablement ses épaules. Pas seulement à cause du discours du solitaire, celui-ci en mettrait sa main à couper). J’espère que tu n’attends pas des applaudissements.

– Assez perdu de temps, Zane. Dis-moi où se trouvent ces ouvrages, s’ils existent réellement.

Une petite moue désapprobatrice tordit les traits de l’adolescent. Décidément, il ne supportait pas le moindre ordre proféré à son encontre, soupira intérieurement le solitaire. Cependant, s’il le laissait avoir sans cesse la main haute sur les négociations, il finirait enchaîné dans un imbroglio insoluble d’obligations, pressé comme un citron séché au soleil, avec en retour à peine une fraction à peine équitable de détails inutiles.

– Tu devrais cesser de te comporter comme un Maître, sûr de ton bon droit, peu importe ce qu’en disent les autres autour de toi. Cela pourrais me donner des envies d’assassinat. Enfin, ça passe pour cette fois, je n’ai pas de temps à perdre en flagorneries inutiles, surtout quand elles me retardent.

– Pressé ?

– Une relique a été détectée, tu te souviens ?

– J’aurais cru que tu enverrais Zair et Tekris à sa rencontre, pendant notre entrevue.

– Cela ne te concerne pas. La cachette de Baoddaï, donc ? Tu parais surpris, mais il s’agit de son monastère après tout. Bien. Dans sa chambre, juste au-dessus de son lit, se trouve un emblème dorée, une espèce de tête géante hideuse, tu vois de laquelle il s’agit ? Très bien. Le cercle entourant ce visage, et celui à l’extérieur de ce dernier, ne sont pas d’un seul tenant. Au niveau de la « barbe » du monsieur, se trouve un minuscule espace, de la taille d’une lame, pas plus grand. Cependant, il est protégé par un piège de kaïru, interdisant à un couteau normal de s’y intégrer. C’est normal, car la clé de la cachette, c’est une sorte de baguette plate dissimulée derrière la cloche sur le mur opposé, la plus proche de la fenêtre. Tu suis toujours ? Parfait. Il faut que tu récupère l’objet dans un double-fond tout en haut de la cloche, que tu devras trouver en palpant, à l’ancienne. Attention, bien sûr, à ne pas réveiller Frère Jacques, si tu vois ce que je veux dire. Compris ? Ensuite, tu doit insérer ta trouvaille dans le trou fin repéré sur la tête moche, d’abord en tiers, puis en moitié, puis entièrement. Là, la cachette se révélera, mais le visage pivotera en faisant un bruit d’enfer si tu ne peux créer une protection kaïru contre le bruit. Soit prudent, donc. Oh, et ne retire pas la baguette avant d’avoir tout remis en place, et attendu que les yeux de la statue s’illuminent brièvement. Tu as retenu ?

– Hum, la théorie, oui, marmonna le solitaire qui sentait son crâne travailler à toute allure, mais comment Maître Baoddaï soulève-t-il la cloche ? Elle pèse trois fois son poids, au moins !

– Lévitation grâce au kaïru, je suppose, répondit l’adolescent en haussant les épaules.

– Et comment tu as découvert tout ça ? Pas en te baladant tranquillement dans le monastère.

Chose qu’Ekayon crut impossible de prime abord, Zane parut affreusement gêné, et surtout, terriblement hésitant. Sentant qu’il avait mis le doigt sur quelque chose, le solitaire se demanda s’il devait en profiter pour enfoncer les portes ouvertes, ou si cela opposerait, au contraire, une fin de non-recevoir à l’échange.

– Disons que je suis assez habitué aux casse-têtes, soupira l’extraterrestre, visiblement pressé d’en finir. Et je n’avais pas eu besoin d’exécuter toute l’étape concernant la cloche, ajouta-t-il pensivement, sans remarquer le froncement de sourcils intrigués de son vis-à-vis. Celle-là, j’ai mis bien plus de temps à la comprendre, à force de fouiller les moindres recoins à la recherche d’un objet correspondant. Je savais qu’il était là, et je ne supportais pas l’idée de ne pas découvrir où. Une procédure néanmoins alambiquée.

– Tu l’as dit, confirma le solitaire. Merci, en tout cas (un peu de politesse ne pouvait pas faire de mal, pourtant Zane se redressa comme s’il venait de l’insulter). Les Hiverax, commença-t-il afin de remplir sa part du marché, possède tous des X-Drives de l’ombre très puissants, comme la « terre obscure » qui peut t’immobiliser sur place, ou la « nuit aveuglante » qui t’empêche de distinguer un éléphant dans un couloir de métro. La seule fois où les Stax ont vaincu Hydrax, leur monstre à trois têtes si tu préfères, ils l’ont poussé à épuiser toute son énergie, avant que Ky n’utilise une combinaison de trois attaques puissantes, transformé en monstre platine. Rien de bien facile, cependant.

– Un monstre platine, hein ? Les plus puissants connus, murmura pensivement Zane. Autre chose ?

– Eh bien, pas pour l’instant. Juste qu’ils frappent fort, et paraissent presque invincibles.

– Je vois. Bien, je me débrouillerais avec tout ça, conclut l’adolescent en hochant la tête comme pour se répondre à lui-même. Tâche de ne pas te faire surprendre par Baoddaï, il se pourrait que j’ai encore besoin de toi. Sur ce, à la prochaine, Ekayon !

Sans plus de cérémonie, l’extraterrestre prit appui sur le rebord de la fenêtre, s’envolant comme s’il ne se trouvait pas au sein du fief de ses pires ennemis. Se dépêchant d’atteindre le chambranle, puis penchant vers l’avant afin d’avoir la certitude que le Redakaï ne surprit guère la manœuvre, Ekayon resta bouché bée.

Dans les cieux d’un azur éclatant, n’était quelques traces effilochées de bandes nuageuses disparaissant déjà, poussées par une fraîche brise remuant la cime touffue du bonsaï du monastère, nul trace de l’adolescent ne subsistait. A dire vrai, si la moitié de sa chambre ne fut pas sans dessus dessous, le solitaire se demanderait même s’il ne venait pas de rêver la discussion ayant censément eu lieu quelque minutes plus tôt…

Non, impossible, sinon il ne se souviendrait pas aussi précisément de la procédure permettant d’accéder à la cachette de Maître Baoddaï, déduisit-il.

L’envie d’en apprendre plus sur les secrets du Redakaï, et plus encore sur cette satanée période mystérieusement incomplète dans les registres tenus, le tirailla impitoyablement, son regard ne cessant de se reporter sur le tiroir hermétiquement fermé, dans lequel il enferma l’ouvrage confié par son Maître afin de le mettre hors de portée de certaines mains gantées. Il ne prendrait pas le risque de l’exposer à la vue et au su de tous, en particulier si le Conseil n’était pas au courant de la transgression de l’homme. Néanmoins, la traduction des pages nécessiterait de nombreuses heures de recherches, et surtout, un autre ouvrage traduisant l’ancien kanï-ho et le plus récent. Hélas, il n’avait aucune idée de l’endroit où trouver une telle aide, à part dans la bibliothèque de Maître Baoddaï. Ce qui restait assez vague en soi.

Perdre son temps à fouiller les rayonnages en espérant tomber sur la perle rare ? Car il ne pouvait demander conseil à un Maître, au risque de trahir le sien et se retrouver à éplucher inlassablement des feuilles de compte (un châtiment des plus horrible !). Par contre, Maya saurait sûrement lui indiquer quel livre utiliser, voir l’aiderait dans la traduction de l’ouvrage, quitte à devoir lui révéler plus en détail les raisons de son soudain intérêt pour des kilomètre de papiers poussiéreux – et bien trop longs. Mais comme elle venait de partir en mission, il se trouvait obligé d’attendre son retour, trépignant dans sa chambre en espérant ne pas recevoir une énième visite des Taïro !

Hum… Qu’avait révélé Zane, au fait ? Que Zair et Tekris ne l’accompagnaient pas en mission ?

Un fin sourire étira ses lèvres, tandis qu’il cessait de remettre en place le mobilier de sa chambre.

Donc, au pire, la forteresse ne se trouvait occupé que par deux Radikors ? Deux adolescents, qui parleraient sans conteste bien plus librement maintenant que leur irascible chef d’équipe les laissa seuls.

Cela faisait ben longtemps qu’il ne rencontra de températures suffisamment glaciales pour le faire claquer des dents. Un véritable affront à ses talents d’espion, ça.

Une offense qu’il se ferait une joie de réparer. Et sur-le-champ, puisque le reste de sa matinée était libre.


µµµ


Agenouillé, presque à plat ventre, Apecks osa à peine relever de quelques millimètres ses yeux d’un vert clair chaleureux, plaqués au sol. Une démonstration de respect quelque peu exagéré, mais ce novice de Maître Baoddaï traînait la réputation (méritée) d’être un sacré trouillard.

Malgré la vive lueur du soleil éclatant, la chambre à coucher du jeune Taïro paraissait plongé dans un étrange crépuscule grisâtre, une brume de même couleur formant une protection contre les oreilles indiscrètes qui se seraient aventurées jusque là.

– Relève donc le visage, soupira Adriel, sans pour autant lui accorder plus qu’un bref regard peu intéressé.

Mains croisées derrière le dos, elle avait à ses côtés une silhouette sans visage, recroquevillée en position fœtale sur le sol. Cette vision, plus que toute autre, paralysait le garçon, laissant couler de longues traînées de sueur glaciale le long de son échine.

Oui, nombre de combattants se demandaient comment ce gamin trouillard, sursautant chaque fois qu’il voyait un monstre, pourrait un jour intégrer l’élite. La réponse était simple : il ne s’agissait absolument pas de son but dans la vie. Au contraire, s’il servait bien, d’ici peu il pourrait obtenir une place enviable…

Se redressant sur les genoux, il garda cependant la tête humblement baissée, triturant son kimono carmin, avant de réajuster ses brassards marron, de la même couleur que sa ceinture et ses bottes. Passant une main dans sa chevelure châtain, il tripota ensuite nerveusement les trois mèches redressées sur son front.

– Tu as bien compris, n’est-ce pas ? reprit Adriel, d’une impassibilité équivalente à celle d’une statue. Tu fais partie de mes plus fidèles agents, aussi ne me déçoit pas. Dans un mois, au plus tard, tu devras avoir trouvé l’objet que je recherche, le plus vite étant évidemment le mieux.

– Je vous servirais, bien sûr, se hâta d’assurer Apecks.

– J’y compte bien. Si tu me sers correctement, je pourrais même t’envisager de te lier à moi.

Un frisson parcourut l’ensemble du corps du jeune garçon. Mais ce n’était plus de la peur.

Plutôt de l’anticipation.


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Bonjour, ou bonsoir !


Nous arrivons presque à la fin de la première partie de cette fic, il reste entre cinq et huit chapitre normalement. Et les choses ne sont pas près de s’arranger pour les Radikors… Ni pour le Redakaï, dans un sens !


J’espère que le chapitre vous aura plu ; si c’est le cas, n’hésitez pas à commenter ! N’hésitez pas non plus à exprimer vos opinions sur les personnages, si chacun est suffisamment développé, etc !


Sur ce, je vous souhaite une bonne journée, ou une bonne soirée, et à bientôt !


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