L'Arche du Péché

Chapitre 22 : Sombres visions

12296 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 18/01/2021 20:50

Sombres visions


Les courants contraires s’engouffraient sans cesse dans l’épaisse cape de laine marron, ralentissant régulièrement la vitesse de l’adolescent tandis qu’il volait vers sa prochaine destination. À si basse altitude, à peine une petite centaine de mètres au-dessus du sol, il ne faisait pas encore très froid, et l’accessoire vestimentaire n’aurait pas forcément été des plus nécessaires, si son propriétaire ne tint pas tant à renvoyer une certaine image de lui-même. Peu importait les rafales manquant de peu de le faire dévier de sa trajectoire, le forçant à incliner légèrement son corps pour profiter d’un souffle tourbillonnant ascendant pour reprendre son élan, Zane trouvait sans conteste que la cape apportait une classe, et une prestance, moindre sans un minimum d’effets de tissu. Aussi la garderait-il aussi longtemps que possible.

Une nouvelle bourrasque manqua le faire chavirer, le forçant à revenir plusieurs pas en arrière. Restant quelques secondes en vol stationnaire, il maugréa dans la bise, ses paroles immédiatement emportées bien loin. Remarquant que ses doigts commençaient à danser un ballet des plus nerveux, il poussa un grognement exaspéré, ramenant les mains le long de son corps en foudroyant ses innocentes extrémités d’un regard mauvais. Puis, constatant n’avoir plus aucun échappatoire possible, il se remit en chemin, après une rapide consultation de son X-Reader quant à l’emplacement de la relique.

Aussi puissant soit le vent, il ne serait le retarderait jamais suffisamment à son goût…

Partir en quête d’une relique kaïru en sachant pertinemment devoir la perdre, quoi qu’il arrive, se révéla être déjà des plus frustrant, mais devoir supporter les regards lourds de reproches de Zair, accompagnée d’un Tekris tentant, sans y paraître, de le dissuader de partir seul à l’aventure, fut pire encore. En particulier parce qu’elle avait chaque fois, dans ses yeux promptement baissés, comme un incompréhensible reflet de culpabilité, qui malgré tout inquiétait vaguement le chef des Radikors. Enfin, incompréhensible, pas tant que cela, devait-il s’avouer ; du moins supposait-il sans trop craindre de se tromper que cela avait un étroit rapport avec son petit « moment de faiblesse ». Lui-même ne se pardonnait pas de ne plus réussir à supporter quelques moments de pression sans se mettre à pleurnicher comme un gosse à qui l’on vient de confisquer un bonbon. Ou peut-être regrettait-il de n’avoir pu couper la diatribe de l’adolescente, remplie de reproches injustifiés, il tenait à se le préciser, d’une remarque acerbe, comme autrefois. Était-il en train de perdre le contrôle sur son équipe ? Probablement, et il fallait rééquilibrer la balance avant que tout ne lui échappe ! À moins que ce ne soit sa propre vie qui glissait entre ses doigts sans qu’il ne puisse faire autre chose que la regarder s’écouler, insensible à ses désirs ? Une impression revenant bien trop souvent ces derniers temps. Ça, et les cauchemars venant le tenir éveillé de longues heures durant… Seul l’orgueil de refuser se faire contrôler par des mauvais rêves le poussait encore à fermer les yeux le soir, pourtant, la fatigue demeurait, une vieille amie des plus omniprésente. Bref, qu’elle qu’en soit la raison, croiser les pupilles vert pâle de l’adolescente était affreusement pénible ses derniers temps. Comment tenir sa promesse de protéger son équipe, s’il ne pouvait en garder la cohésion ?

Et encore, s’il n’y avait que cela !

Pour la énième fois depuis le début de cette mission, il se demanda s’il n’aurait pas mieux valu conserver le secret de la chambre forte de Baoddaï pour lui seul. Un atout de cette valeur, le dévoiler aussi aisément à ce satané combattant solitaire ?! Rien qu’en y repensant, une saveur amère titillait son palais, accompagnée d’un ressentiment bien plus fort qu’il ne devrait être, même pour l’irascible extraterrestre. Cependant, ses nerfs à fleur de peau occultaient bien souvent sa rationalité, déjà bien maigre d’origine, plus particulièrement en cette journée détestable. Oui, mieux vaudrait être le seul à connaître les secrets de Baoddaï…

Hélas, assailli alors qu’il s’entraînait inlassablement pour tenter de récupérer sa maîtrise des attaques kaïru autres que liées au kaïru obscur par une vision manquant le laisser face contre terre (une chance qu’il ne supportait pas que ses coéquipiers soient témoins de ses échecs dans ces conditions, son humiliation se serait montrée pire encore !), celle-ci fut des plus claires. Se voyant, dans un premier temps, face à Ekayon tandis qu’il lui révélait l’emplacement de la cachette de Baoddaï, la prémonition continua par une ellipse, montrant le solitaire en train de sauver sa propre sœur d’une brume ressemblant bien trop aux capacités d’Adriel, utilisant son attaque de la « lame foudroyante » pour la dissiper. Malheureusement, aucun marqueur temporel ne lui indiquait combien de temps s’écoulerait entre les deux parties de sa vision, et même si cela se révélait aussi agréable que d’avaler une centaine de canards en sucre, Zane refusait de prendre le moindre risque. La Zair de sa vision parut empêtrée dans une situation suffisamment pénible pour le convaincre de renoncer, juste l’espace de quelques heures, à sa fierté lui commandant de s’amuser à laisser le solitaire dans le flou.

Massant distraitement sa mâchoire (l’imbécile lui avait fait mal, en se jetant sur lui comme un affamé sur des Snickers !), il tenta de se concentrer sur la suite du déroulement de sa mission. Mais pourquoi devait-il absolument perdre, par la Source ?! Là encore, il détenait la réponse, tout aussi peu satisfaisant que les précédentes. Outre la méconnaissance de l’ensemble des combattants sue les Hiverax, ceux-ci paraissaient tout bonnement invincibles à en croire les dires du solitaire. De plus, sa vision (encore une ! Bientôt, il signerait une pétition pour ne plus posséder ce maudit « don » qui ne lui apportait que des ennuis !), eut durant sa chute de l’arbre, quand il se trouva frappé par l’éclair, le montrait clairement se faire littéralement écraser par l’étrange équipe, sans possibilité de triompher. Certes, les détails restaient des plus flous, comme pour les autres prémonitions subies au même moment, mais la finalité restait la même. Savoir que les Stax en personne, particulièrement Ky, perdait très régulièrement contre les triplés, ne lui apportait qu’une réjouissance douce-amère… Ensuite, planté devant l’évidence sans pouvoir le nier, une ébauche de plan se forma dans son esprit : puisqu’il ne pouvait les mettre à terre, autant en profiter pour découvrir leur fief, en suivant la trace du kaïru qu’ils récolteront. La source des rizières, s’il en croyait son X-Reader, contenait suffisamment d’énergie pour mettre son idée à exécution ; une nouvelle fois, il fallait espérer qu’il ne se trompait pas. Une hypothèse peu probable, son expérience lui soufflant que ce serait amplement suffisant. Il avait bien essayé, afin de s’épargner cette peine, d’utiliser ses disques, qu’il appelait Reflets de Localisation (un nom un petit peu ronflant ne faisait jamais de mal !), pour les localiser à distance ; en vain. Un échec qui se produisait toujours quand une force puissante brouillait ses propres perceptions. C’était également pour cela qu’il dut faire appel à Koz pour surveiller les débats du monastère, au lieu d’espionner les Maîtres en personne. Une délégation qui ne lui plaisait guère, enfin, il finirait peut-être par s’habituer. Ou pas.

Penser à sa vieille blessure amena l’adolescent à la palper machinalement, à travers le tissu de son vêtement, puis réajusta la position du X-Reader de Lokar, porté autour du cou, prenant garde à ce qu’il ne repose pas sur le mauvais endroit de sa poitrine, aussi triviale cette expression soit-elle. Malgré tous les soins apportés, elle ne guérissait jamais totalement, ayant plutôt tendance à se rouvrir quand l’adolescent forçait excessivement sur son corps, ne manquant jamais de l’élancer douloureusement en plein effort pénible (aussi s’arrangeait-il pour éviter au maximum de grimper les montagnes les plus abruptes, alors que jusque là il préférait voler au minimum pour ne pas alerter les Stax de la présence de son équipe). Par chance, avec le temps, il pensait de moins en moins à ce désagrément, le pénible pincement l’avertissant de ses limites ne comptant plus que comme un désagrément ressemblant au chewing-gum dont on ne pouvait se débarrasser.

Ça, plus que tout autre caractéristique de sa blessure, l’amenait à penser avec une certitude de plus en plus important que l’éclair l’ayant frappé n’était en aucun cas naturel. Déjà, parce que dans le cas contraire il ne voyait pas comment il aurait pu survivre. Ensuite, les probabilités qu’un tel accident arrive restaient, certes, plus importantes que les chances de gagner à l’Euro-millions (enfin, d’après un site internet terrien en tout cas), mais encore fort basses. Enfin, les contours de sa cicatrice, légèrement boursouflés et veinés de minuscules traces grisâtres, évoquaient la marque du kaïru de Thiers, mortelle dans presque tous les cas quand utilisée à une telle dose. Et vu la taille de l’éclair, il y en avait eu de l’énergie dépensée !

Mais là encore, par quel miracle put-il survivre à une telle déflagration ? Non qu’il s’en plaigne, au contraire ! Seulement, considérant que ses visions, pour la première fois de sa vie, se révélèrent justes suite à cet incident (puisqu’il survécut, Zane ne voyait pas l’intérêt de lui donner plus grande importance dans son catalogue mental), la réponse à cette question l’intéressait hautement !

Les bourrasques s’étant apaisées depuis peu, le trajet se révéla bien plus rapide que ce à quoi s’attendait l’adolescent, à son grand dam, bien qu’il ne l’avouerait pour rien au monde. S’il n’était pas en plein ciel, nul doute qu’il serait en train de traîner des pieds au point de laisser une tranchée dans son sillage. Au moins, la chape grise veinée de noir planant au-dessus des rizières s’étalant à perte de vue, se superposant avidement à l’azur ayant jusque là accompagné sa traversée, se révélait en parfaite adéquation avec la morosité plissant disgracieusement ses traits en une petite moue.

Hum, voilà qui ressemble bien trop à de la bouderie

Secouant le crâne, Zane soupira lourdement, recomposant une expression déterminée sur ses traits. Hors de question qu’en plus, les Hiverax remarquent à quel point le combat lui donnait des aigreurs d’estomac. Pire, il n’allait pas leur montrer quelconque faiblesse, qu’ils se retrouvent surpris de rencontrer plus de résistance que prévue ! Et s’ils comptaient toujours tenter de l’impressionner, ils en seraient pour leurs frais !

Ricanant allègrement, l’adolescent balaya la zone du regard. Une superposition d’immenses plaines s’étirant exagérément, composée d’une verdure savamment entretenue pour qu’elle ne monte pas plus haut que les chevilles des travailleurs et éventuels visiteurs. À moins qu’il ne s’agisse de plantations, à cette distance, Zane ne voyait guère plus que les petits chemins sillonnant les champs d’un vert scintillant par intermittence, quand le soleil daignait dévoiler le bout de ses rayons. Par endroit, ces venelles se transformaient en chemin de terre battue, assez large pour que cinq ou six adultes passent de front, destinés à faciliter le passage des charrettes et autres outils nécessaires à l’entretien des rizières.

D’ailleurs, en parlant d’ouvriers, je n’en vois aucun.

Haussant les épaules, pour une fois preuve de son désintéressement (quel intérêt de chercher où pouvaient bien s’être rendus des humains fainéants ; probablement au bar du coin), ses yeux continuèrent de parcourir le paysage s’étendant sous son regard. Rompant avec les surfaces plaines les entourant comme autant de couronnes végétales, une multitude de rizières s’échelonnaient le long des flancs de petites collines, seules quelques unes se tenant à même le sol battu. Leurs limites étaient représentées par une enfilade d’arbres à la frondaison épaisse se développant comme autant de boules de coton smaragdine, ceux-ci venant par moments prendre place devant les cultures. D’autres ressemblaient à de gigantesques plateaux tenus par de tout aussi démesurées mains noueuses de bois clair. Remplis d’une eau que Zane savait proprement imbuvable (une expérience personnelle, quand l’enfant qu’il était, peu de temps après son arrivée sur Terre, crevait de soif), les plateaux contenant les petites pousses de riz furent construits à partir de terre compactée, contrairement à ce que laissait penser le vert recouvrant leurs bordures, résultat d’adventices se développant grâce à l’humidité des lieux, et d’autres touffes herbeuses venant former d’artificielles rangées pour les protéger des éboulements. Alors qu’il se savait peu sensible aux charmes des paysages appartenant aux lieux catalogués insignifiants dans son esprit, l’extraterrestre dû reconnaître, en son for intérieur, que le contraste entre ce qu’il vit de ses hauteurs, et ce qui se révéla en s’approchant de la terre ferme, le surprit agréablement. Peut-être ne détruirait-il pas toute la planète s’il réussissait à en prendre le contrôle.

Il grogna d’agacement, se posant un bref instant au milieu d’un champ boueux éclaboussant le revers de son pantalon sans qu’il n’y prête grande attention. Il réussirait ! C’était sa destinée enfin ! Après tout, il avait trouvé le X-Reader de Lokar, presque à ses pieds !

Oui, mais ce fut à peu près la même chose pour le Gant de Lokar, et les Stax me l’ont repris.

Aucune importance, se morigéna-t-il. Cette fois, il possédait des artefacts bien à lui, que les maudits monastèriens ne pourraient lui prendre. Cependant, convint-il tandis qu’il mettait sa main en visière, mieux valait rester prudent, et ne pas exposer ses trouvailles comme il le faisait avec le X-Reader pendant autour de son cou. Encore une fois, s’il se fiait à ses visions, il finirait par perdre le précieux appareil contenant toute la puissance de Lokar. Une des raisons pour lesquelles il décida de conserver son propre X-Reader, et même, de transférer une partie de la puissance de celui de son ancien maître dans le sien. D’accord, cela baissait légèrement la force de ses frappes quand il se battait, mais même ainsi, il devait admettre que cela restait suffisant face aux Stax. En réalité, plus le temps passait, et plus les confrontations avec l’équipe issue du « bien » ; bon sang, il avait beau admettre que la division des combattants en deux camps avait de bonne raison d’exister, penser au bien quand il s’agissait du monastère manquait toujours le faire rire à s’en péter la sous-ventrière, comme disait Tekris ! Une considération toute personnelle, et quelque peu paradoxale, il en convenait aisément, de toute façon il ne se considérait pas comme le plus équilibré des adolescents de l’Univers ! Bref, voilà qu’il recommençait à s’égarer !

Où en était-il donc ? Ah oui, au fil des combats menés depuis qu’il récupéra le X-Reader de Lokar, il pensait réaliser progressivement que, en dépit de la puissance accordée par l’objet, la défaite l’attendait chaque fois au bout du chemin quand il se décidait à frapper à l’aveugle, grisé par le pouvoir tenu entre ses mains. Et pas seulement face aux Stax, en réalité. Face à Teos et ses furies, chaque fois, lui et son équipe durent faire montre de stratégie, établissant régulièrement des plans en catastrophe pour réchapper de leurs griffes.

Un Seigneur Héritier, par les Six ! Mais lequel ? Sûrement pas les Maîtres que je connaissais, après les derniers évènements, nul doute que ceux-ci auront finis la tête sur le billot, et encore, s’ils étaient chanceux.

Malgré tout, un détail continuait à le chiffonner, probablement plus qu’il ne le devrait. À force de se repasser le film de sa confrontation en Islande contre Teos, sur la falaise, il lui semblait maintenant entendre qu’Adriel parlait du Seigneur Héritier, là où, dans sa jeunesse, les nobles parlaient de leur Seigneur Héritier. Un point insignifiant, assurément, avec l’adrénaline de la bataille, il était tout aussi probable que la jeune femme ait laissé échapper un lapsus, ou que Zane comprit de travers quelques mots. Oui mais… Maintenant, l’adolescent se méfiait des coïncidences menant à des chausse-trappes.

Peut-être aurait-il dû en parler à ses coéquipiers aussi.

Le souvenir de son dernier face-à-face avec son équipe lui arracha un frisson désagréable, accompagné d’une vague sensation de malaise. Non, hors de question de supporter une seconde fois pareille discussion… Surtout si elle était suivie d’un aparté seul avec Zair. Enfin, il n’était pas un lâche !

Contractant les muscles de ses épaules (hors de question de les hausser – pourquoi naquit-t-il avec un si visible tic ?! Ou, plutôt, pourquoi était-il né tout simplement… Non, des pensées positives !), son attention fut heureusement détournée quand ses pupilles onyx croisèrent le sommet d’une petite montagne, au sommet arrondi. Chaque étalage de rizières se trouvait surmonté de pareil édifice, recouvert d’une foultitude d’arbres ayant pour la plupart dépassé la décennie de vie, s’accrochant aux parois rocheuses par leurs racines aussi épaisses que le bras d’un homme, serpentant en se mêlant les unes aux autres, créant un réseau d’entraide impossible à briser sans détruire une importante parcelle de végétation. Et même dans ce cas, il fallait réussir à seulement entailler le bois noueux !

Cette fois, définitivement, ses nerfs étaient en capilotade !

Certains sommets avaient beau se trouver plongés dans le brouillard tombant, masquant le lointain en ne laissant transparaître que de vagues formes dont on devinait leur appartenance uniquement par déduction de par leu masse, il reconnaissait sans peine celui se tenant à quelques dizaines de mètres par-devant lui. Un peu plus à droite, et il savait avec certitude que le plateau de rizière, un peu plus bas que les autres alentours, serait celui contenant à la fois la relique… et les Hiverax. Une poignée de minutes de bataille, pour des semaines de préparation et d’appréhension. Le ratio n’était pas des plus équilibré.

Par précaution, il consulta brièvement l’écran de son X-Reader, puis soupira lourdement. Bien évidemment, les directions correspondaient parfaitement. Enfin, puisqu’il fallait y aller.

Pliant légèrement les genoux, il poussa sur ses jambes, usant de ses capacités naturelles pour franchir d’un bond la distance le séparant du sommet des plateaux. Prenant garde à se baisser immédiatement, il compta quelques secondes, avant de redresser le haut de son buste. De cette distance, les barrières solidement compactées contre les digues délimitant les rizières bouchaient sa vision en contrebas, l’empêchant de distinguer l’équipe tant détestée. Tiens, il commençait à plus s’intéresser aux Hiverax qu’aux Stax.

Il n’était pas certain d’apprécier particulièrement l’ironie de la situation.

S’avançant un peu plus vers le surplomb, il prit garde à ne pas se retrouver déséquilibré par une brusque rafale provoquant de petites ridules venant s’échouer en petites vagues contres les parois des cultures. Inquiet, il jeta un coup d’oeil rapide au ciel. Bon, pas de tempête particulièrement violente visible à l’horizon, c’était déjà ça. Jamais bon signe, les tempêtes, depuis quelques mois…

Ben bravo, voilà qu’un petit grain des plus naturel va te faire psychoter ! Reprends-toi mon gars, concentre-toi sur la mission en cours, enfin !

Ramenées par le vent rabattant les pans de la cape contre ses flancs, Zane surprit un bout de conversation, incongrue dans ce paysage déserté de toute présence humaine. Plissant le front, il se pencha un peu plus. S’il ne se trompait pas, cela provenait en contrebas de sa position.

– Aucune trace… nergie Hexus ? fit une première voix.

Hexus, le prénom d’un des Hiverax, d’après Ekayon.

– Pas… mais ne… tarder, répondit une seconde, en tout point semblable à sa consœur.

Même sans entendre la totalité de la discussion, Zane en comprenait suffisamment. Donc, les triplés cherchaient encore la relique kaïru. Maigre consolation que de connaître sa localisation grâce à sa fichue vision, sans pouvoir la récupérer. Le vent retombant, le silence l’accompagna, seulement troublé par les trilles d’un volatile quelconque de la région, auxquelles fit écho un de ses congénères, moqueur.

Autant voir le bon côté des choses, Zair et Tekris ne seront pas là pour voir son échec.

Se débusquant de son abri des plus aléatoire, Zane prit son élan. Un premier bond le fit descendre de plusieurs étages, sans qu’il ne voit trace d’autres combattants. Claquant des doigts pour se pousser à remuer le derrière au lieu de traîner dans les rizières, il sauta de nouveau, profitant de sa descente pour jeter un œil vers le bas sans vraiment le voir, entièrement concentré sur sa stratégie de combat.

Et soudain, il les vit, trois silhouettes sans contours à cause de la vitesse. Retenant de justesse un glapissement surpris (déjà ? Effectivement, ils étaient particulièrement proches), il se reprit avant son atterrissage, se réceptionnant avec un genou au sol, la position la plus adéquate quand on venait de bondir en dépliant ses jambes comme il venait de le faire. Un instant, et en dépit des avertissements du solitaire, il crut voir double, enfin triple en l’occurrence. Des triplés parfaits, n’était la couleur de leurs yeux, de la forme de leur visage allongé au menton carré, à leur coupe courte suivant la forme de leur crâne d’un bleu-noir sombre, en passant par leur peau d’un gris clair et leurs combinaisons bleues veinées de blanc sur les avant-bras et le bas de leurs corps, recouvrant l’intégralité de leur peau à l’exception du cou et du visage. La seule nuance de leur vêtements étant un symbole sur la poitrine, d’une couleur identique à celle des iris de son porteur. Par contre, Zane n’avait jamais vu l’emblème triangulaire ceignant leur ceinture…

D’abord face à seulement deux Hiverax, se tenant l’un derrière l’autre à faible distance les séparant (celui aux yeux bleu clair – Nexus, s’il se souvenait bien –, et l’autre au regard évoquant les flammes de l’enfer tant il brillait d’une lueur écarlate – Hexus, donc, charmant), les frères furent rapidement rejoint par le dernier (pupilles vertes, Vexus, et pas le plus aimable si Zane se fiait à son air déterminé) du trio, celui-ci sautant de son promontoire, juste au-dessus des autres protagonistes. À peine furent-ils réunit, que le ciel changea de teinte, se teintant d’un tourbillon nuageux s’étendant rapidement jusqu’à englober les combattants dans une cloche prenant promptement une teinte bleutée caractéristique du kaïru.

Un signe ne trompant guère, le phénomène ne se produisant que quand un défi kaïru était lancé, signe qu’une importante quantité d’énergie se concentrait à cet instant précis. Ou, sinon, que les Hiverax comptaient bien utiliser leurs attaques, s’il réunissaient leurs force en préparation de leur offensive.

Presque frustré de son propre manque d’attention, Zane dut admettre intérieurement que s’il ne s’intéressait pas à part égale au futur combat et à d’éventuels guet-apens autour de sa personne, la surprise de se trouver face à des combattants inconnus l’aurait suffisamment déconcentré pour que ce signe lui échappe facilement.

Ça et l’intérêt malsain que lui portaient les trois frères, un sourire hautain peint sur leurs visages. Comme s’ils se trouvaient face à un spécimen particulièrement intéressant, et dont ils devaient tester sa capacité à résister à leurs attaques avant de s’effondrer face contre terre. Une attitude qui l’excéda au plus haut point ; encore un peu, et ils allaient lui tapoter la tête pour le réconforter de sa future défaite. Car, et même si cela lui arrachait la langue de devoir le reconnaître, les Hiverax furent absolument certains de leurs chances de victoire. Plutôt dire qu’aucun doute ne venait les troubler !

Sauf que cette fois, l’adolescent était préparé à leurs manigances. Enfin, autant que possible.

Se redressant à son tour, il les toisa avec dédain. Inclinant faussement pensivement la tête sur le côté, comme pour jauger si ses adversaires méritaient qu’il se salisse les mains, il s’appliqua à leur dédier son plus beau sourire de sale gosse, absolument pas perturbé pour un sou. L’avantage de savoir moduler ses expressions à volonté ; et puis, il adorait agacer ses ennemis. Hélas, à part un haussement de sourcils intrigué, les Hiverax ne pipèrent mots, rangés les uns à côté des autres, leur seule présence ayant comme un petit quelque chose d’impressionnant. Peut-être parce qu’ils restaient parfaitement sereins.

– Tiens tiens, on dirait bien que cette mission va être plus enrichissante que je ne le croyais, ricana Zane, croisant les bras en se remettant droit, un pied nonchalamment posé en avant de son corps.

– Nous nous rencontrons enfin, Zane, clamèrent de concert les trois frères.

Une petite minute, ils connaissent mon nom, les frangins ?! Pas étonnant qu’ils soient si sûrs d’eux.

Sauf que fort peu de personnes, sur cette Terre, étaient au courant de son identité. Si les Hiverax ne faisaient pas partie des monastèriens tout en étant combattants, le choix se restreignait plus encore. Hélas, Lokar faisait partie de ces quelques personnes, versées dans le kaïru.

– Et vous, vous êtes les Hiverax, déclara-t-il à son tour en haussant les épaules.

Des yeux s’écarquillant une fraction de seconde, sans que ne s’efface le sourire narquois, fut le seul signe que Zane réussit à surprendre ses adversaires. Une équanimité des plus énervante !

– Je suppose qu’une association pour mettre à bas le Redakaï ne vous tente guère ? fit l’adolescent, par acquis de conscience – mais au fond, il n’y crut pas une seconde.

La réponse ne se fit pas attendre. Le bref avancement de Nexus alerta Zane une fraction de seconde avant l’attaque.

– Frappe infernale ! clama l’Hiverax aux yeux écarlates, sans se départir de son sourire.

L’entièreté de son bras fut parcourue par de fins éclairs rouges, presque transparents, avant qu’une boule d’un noir qui s’allongea ne jaillisse de la paume ouverte, jusqu’à former… Zane avait-il bien vu comme la représentation d’un crâne, entourée d’une traîne évoquant de la lave nuageuse, aussi étrange soit cette comparaison ?! Quand l’attaque frappa l’eau de la rizière, plusieurs mètres devant l’adolescent s’étant mis hors de portée d’un bond en arrière, un mur immatériel composé de noir et de rouge s’éleva, retombant en soulevant une chape de poussière âcre. Protégeant ses yeux en relevant l’ourlet de sa cape devant son visage, le temps que les effets de l’attaque se dissipent, il dut se rendre à l’évidence.

Même en restant à sa place, la frappe ne l’aurait guère heurté, se contentant de le secouer avec ses répercussions. Les Hiverax osaient lui donner un avertissement de leur propre puissance ?!

Plus que jamais, Zane regretta de ne pas pouvoir leur infliger une cuisante correction, histoire de leur prouver qu’ils eurent tort de le sous-estimer aussi grossièrement !

– Dis donc, marmonna-t-il, ses yeux observant avec prudence la prochaine offensive des combattants, c’est moi, le seul spécialiste des coups bas et des attaques en traître.

Ces impudents eurent l’audace de lui rirent au nez de concert, poings plaqués contre les hanches !

– Et tu n’es pas au bout de tes surprises, Zane, rétorquèrent-ils avec assurance.

Une bonne petite « fureur Radikors » en pleine face, et ils cesseraient de… Bien sûr que non, soupira-t-il mentalement. Rien ne pourrait effacer leurs sourires si condescendants, il le savait.

– Puisque je suis obligé de tenir le rôle du moralisateur, déclara-t-il, foudroyant ses ennemis du regard (ce qui n’eut, une nouvelle fois, aucun effet ; comment pouvait-il énerver ces fichus Hiverax, comme il le faisait habituellement, s’ils gardaient un tel flegme ?!), je peux savoir la raison de cette agression caractérisée ?

Garder un calme apparent dans de telles conditions se révéla être un exercice des plus délicats. En particulier quand le X-Reader le démangeait de larder les environs d’attaques kaïru.

– Te voilà bien bavard, railla Vexus. Pas assez concentré peut-être ? Souffle de brume !

Répondant à son appel, un épais brouillard, comme composé de circonvolutions mouvantes, se précipita à une vitesse folle sur l’adolescent. Face à une attaque si rapide, seule une attaque verte, les plus véloces, pouvait être invoquée suffisamment rapidement pour la contrer.

– Coup de fouet à énergie ! cria-t-il, un peu plus aigu qu’à son habitude à cause de la surprise.

Entourant son poignet, la lanière qui se forma suite à son exclamation suivit le mouvement de son bras, que l’adolescent lança en avant. S’élevant brièvement dans les airs, elle s’abattit dans un claquement sec sur la brume, la séparant en deux parties distinctes tout en la ralentissant. Un nouveau geste bref horizontal, et le fouet s’enroula en divisant les parties ainsi distinctes, les dispersant maintenant que rien ne les retenaient.

– Bien, à mon tour d’attaquer ! Je serais curieux de voir ce que vous ferez face à la Fureur Radikors, siffla-t-il tandis que sa précédente attaque se dissipait.

Il ne se rappela que trop tard ; dans sa vision, cette attaque fut suivie d’un cuisant échec !

Malheureusement, tout se déroula comme il le craignait. Jaillissant de ses yeux dans un éclat rouge, le faisceau se dirigea droit vers les Hiverax… qui n’esquissèrent pas un geste pour s’écarter. L’aura éblouissante le força à plisser les paupières, ne parvenant à distinguer comment ces maudits triplés contrèrent l’un de ses plus puissant X-Drive. Quand la luminosité lui permit de scruter à nouveau la scène, non seulement les trois frères se tenaient toujours debout sur leurs jambes, sans paraître le moins du monde ébranlés, mais ils se permirent d’éclater d’un rire presque… condescendant.

– Désolé mais tu n’as aucune chance de nous vaincre, déclara Hexus comme une évidence.

Zane avait beau le savoir, l’entendre dire de vive voix ne lui fit pas plus plaisir. Scellant ses lèvres pour ne pas laisser une exclamation surprise franchir leur barrière, il opta pour une autre approche, la colère faisant trembler ses poings serrés. Il n’était pas destiné à la défaite permanente, plutôt mourir !

– Peut-être, mais je ne vais pas me prier d’essayer, rétorqua-t-il sèchement.

Se transformer en Bruteron ne l’aiderait pas dans sa situation, au contraire, il devait conserver le maximum d’énergie pour la suite. Mais s’il s’arrangeait pour surprendre un minimum les Hiverax, il gagnerait beaucoup, bien plus que dans sa vision !

Ramenant ses pieds l’un contre l’autre, il plia les doigts, ne laissant que son index et son majeur collé l’un contre l’autre devant son visage concentré. D’accord, son kaïru intérieur n’était pas des plus développé, mais il pouvait… Coupant court ses réflexions, il fit un large geste de la main, un faisceau jaillissant de ses doigts dépliés, plus petits que quand il se servait de sa paume entière. Pas la peine de faire s’écrouler les rizières non plus dans la manœuvre. Visant le rebord compacté du plateau supérieur, à hauteur des Hiverax, l’eau qu’il contenait s’échappa par l’ouverture ainsi créée. Poussant un peu plus loin sa concentration, Zane dirigea toute cette masse pour qu’elle se jette sur l’équipe des triplés en une marée malodorante, les poussant seulement à tourner la tête sans qu’ils ne se poussent, encore une fois.

Profitant de cette courte diversion, il se déplaça en utilisant son hyper-vitesse, se retrouvant derrière l’équipe de triplés. Estimant leur position relative, il plaça sa main sur le X-Reader de Lokar, le temps d’en récupérer de l’énergie, avant de diriger un faisceau violet-pourpre vers les combattants adverses.

La fumée se dissipant, il s’autorisa enfin un rictus satisfait, toisant les deux Hiverax pris au piège dans sa bulle d’énergie. Réajustant sa position pour se mettre en défense, il fit face au dernier restant, Nexus. Perdre en duel restait moins humiliant qu’une défaite écrasante face à une équipe complète, de son avis.

Sauf que le jeune homme, au lieu d’être mortellement sérieux en constatant la diminution des effectifs de son équipe, se contenta de lui lancer un regard interloqué, accompagné de ses frères. Néanmoins, s’ils semblèrent revoir leur opinion de sa personne à la hausse, ils ne parurent guère inquiet.

– Tu fais preuve d’une résistance admirable, consentit à déclarer Hexus au travers de la paroi l’emprisonnant, constatant au passage son élasticité. Tout comme nous apprécions tes tentatives de nous intimider, mais sache que tous tes efforts sont voués à l’échec.

Tentatives de les intimider ? Comme s’il s’agissait d’un spectacle ?

Alors qu’il se trouvait sur le point de laisser la bonde à sa colère – et tant pis pour son plan ! –, les trois Hiverax rapprochèrent leurs index de la surface lisse, luisant de son aura violacée. Le bout de leurs phalanges s’illumina d’une petite boule blanche. Un chuintement siffla dans l’air, jusqu’à en devenir insupportable. Par réflexe, l’adolescent releva ses mains gantées comme pour en recouvrir ses oreilles, sa fierté se rappelant à son souvenir au dernier moment pour les laisser à mi-chemin, à demi-ouvertes tandis qu’il fixait les Hiverax.

Quand il crut ne plus parvenir à supporter ce son ignoble, la bulle retenant Hexus et Vexus explosa sous ses yeux. Un instant, elle vibrait sous l’assaut des frères, et la seconde d’après, un bref éclat agressant ses pupilles l’aveuglait tout aussi promptement, distinguant les parois de sa création se distordre avant de s’évanouir, comme si elle n’avait jamais existé.

– Ceci réglé, ricana Nexus, revenant se poster près de ses équipiers, Spirales de confusion !

Sa bouche s’ouvrit démesurément, une vrille en jaillissant, grandissant à mesure qu’elle prenait de la vitesse, d’un bleu plus sombre que la nuit elle-même, d’autres spirales plus petites et plus claires se répartissant sur toute sa surface. Trop lent à réagir, Zane vit l’attaque l’engloutir dans une marée se pressant contre les reliefs du paysage, les brouillant au point qu’il ne vit plus que des formes brouillées autour de lui. Gémissant de douleur, il porta les deux mains à ses tempes, reculant en titubant. Par la Source, son crâne allait finir par éclater ! Tout se brouilla, se fondant dans un brouillard de plus en plus indistinct au sein duquel il ne parvenait plus à se repérer, une pression intolérable cognant contre les parois de son crâne, transformant ses pensées en un tourbillon l’emportant dans ses bras comme une toupie.

Comment une attaque aussi ignoble pouvait-elle avoir été créée ? Quoique, en connaissant le caractère retors de Lokar, cela n’aurait dû l’étonner qu’à demi. Car enfin, il s’agissait bien de kaïru obscur.

Un genou à terre, seul moyen de ne pas finir face contre sol au train où disparaissait dangereusement son équilibre, il haleta, mobilisant toute sa volonté pour ne pas se recroqueviller sur lui-même. Il n’arriverait jamais à supporter une seconde de plus cette torture !

Hurlant en lui, il sentait que ça s’agitait, encore, susurrant à son oreille qu’avec sa force ils ne feraient qu’une bouchée de ces misérables combattants, tout juste bon à se prosterner à ses pieds. Pas tant une véritable parole, comme un murmure chantonnant juste derrière lui, si proche qu’il avait l’impression de pouvoir en distinguer la forme s’il se retournait très légèrement. Tant de promesses, frappant de concert avec les spirales infernales de Nexus comme pour en amplifier les effets, que Zane peinait à enfermer à triple tour au fond de son esprit, comme à son habitude, réduisant la voix à un bourdonnement à peine perceptible.

Non, pas une voix ! Ce serait lui accorder une existence ! Juste une sensation, une impression erronée !

Si insistante pourtant… Puisque le X-Reader de Lokar ne lui apportait pas la puissance nécessaire pour mettre à bas tous ses ennemis, il devait lui faire confiance… Renoncer à tous ses efforts des années passées pour la remiser dans son inconscient, juste… lui laisser le contrôle un instant.

Mensonge ! Un instant qui deviendra une éternité, si je ne reprends pas ma place !

Pourquoi cette maudite attaque kaïru durait tant de temps ?! Elle aurait pu ne durer que quelques secondes, l’adolescent éprouverait malgré tout l’impression de supporter sa pression des heures durant.

Incapable de tenir plus longtemps, Zane poussa un hurlement de rage, se redressant de toute sa hauteur. La colère guidant ses gestes, son bras, posé près de sa jambe, s’éleva en un ample mouvement vers le haut.

Aussitôt, le brouillard bleuté se dissipa, ne lui laissant qu’un léger vertige laissant ses jambes encore mal assurées. Pourtant, il ne se réjouit guère de cette petite victoire, pas plus que de l’air, pour la première fois depuis le début de leur confrontation, réellement surpris qu’arboraient les Hiverax. À la lisière de sa conscience, il la sentait, plus proche de lui que jamais, ne le quittant pas entièrement. L’impression de contrefaçon liée à son kaïru intérieur, se collant étroitement à sa peau, laissant dans son sillage une saleté invisible, immatérielle, peut-être inexistante, mais pourtant clairement ressentie.

Il n’eut pas besoin d’autres signes pour comprendre que ce n’était pas l’énergie issue de l’appareil de Lokar qui lui permit de se défaire de l’influence des Hiverax. Serrant les dents, à deux doigts de vomir de dégoût, et de la flopée apporté par ça, Zane résista à l’envie de fermer les paupières pour se concentrer uniquement sur soi-même. Dans la foulée, il invoqua un « vortex de Lokar », qu’il projeta avec l’énergie du désespoir sur les Hiverax, sans prendre la peine de vérifier s’il avait touché ses cibles.

La sueur coulant le long de son front, il passa la langue sur ses lèvres soudainement desséchées. Il ne fallait pas perdre le contrôle ! Censurer l’inquiétude, l’incertitude se pressant sur ses barrières mentales !

Retrouver la maîtrise de soi, à tout prix ! Allons, tu as déjà fait ça ! Pas de sentiments, juste des réactions !

Et ne surtout pas penser à Zair, pas en ce moment, pas alors que sa sœur faisait partie des plus grandes inconnues de l’équation de sa vie en ce moment. Impossible de prédire ses réactions, et…

Le rire des Hiverax, toujours debout au milieu d’un nuage de poussière tourbillonnant autour de leur silhouettes assurées, le ramena au présent. S’il pensait presque apprécier les sonorités moqueuses sortant de leurs bouches, particulièrement en ce moment, il se serait interrogé sur sa santé mentale.

Un rire, rapidement étranglé, jaillit de sa gorge. Parce que sans ça il n’avait aucune questions à se poser ?

Deux doigts sur la temps, les Hiverax le scrutait de leurs regards inquisiteurs, avant que Vexus et Hexus ne se mettent à hocher la tête, comme pour répondre muettement à leur frère.

Une communication mentale ? Alors comme ça, le solitaire ne lui mentait guère ?

– Feu obscur ! clamèrent trois bouches au même instant, ne le laissant pas s’appesantir sur cette constatation.

À peine Zane put-il tourner le regard vers ses adversaires. Deux X-Drives appartenant aux Hiverax, la « terre obscure » et le « feu de l’ombre », se combinèrent, pour former un cataclysme de nuances rouge et émeraude, se précipitant droit vers l’adolescent.

Le souffle de l’attaque venant le heurter de plein fouet, Zane se retrouva balayé, effectuant un vol plané se terminant brutalement quand sa bouche se retrouva emplie d’un liquide épais, affreusement salé, signe qu’il venait de tomber nez en premier dans une rizière, deux étages plus bas.

Le ciel retrouva son apparence plombé, signe que la bataille venait de se terminer abruptement. Profitant de ce que sa cape lui fournissait comme écran, l’E-Teens cracha discrètement le liquide emplissant son palais, grognant de frustration. Perdre face aux Hiverax… C’était pire encore que ce qu’il avait imaginé !

Prenant appui sur ses pieds, il prit une petite seconde pour vérifier avoir le contrôle total de sa personne. Soupirant de soulagement, il constata que la présence tapie au fond de son esprit se trouvait de nouveau sous contrôle, derrière les barrières mentales qu’il s’efforçait de bâtir jour après jour, colmatant les brèches dès que nécessaire. Cependant, il la sentait comme glisser le long des protections, n’attendant qu’une faille, un moment d’inattention, pour tenter, encore, sa chance.

Épuisé autant par le combat, que par sa lutte avec sa propre personne, il resta un instant courbé, poings serrés. Ces affrontements mentaux devenaient de pire en pire… Avec un peu de chance, les Hiverax prendrait cela comme de la fureur crispant ses muscles – ce qui ne serait pas tant erroné, à la réflexion –, ou le résultat de leur attaque dévastatrice. Décidément, ce n’étaient pas des débutants !

– Vous m’avez peut-être battu cette fois-ci, siffla l’adolescent (une fois certain de tenir sur ses pieds sans risquer de s’étaler, il acheva de se redresser dans un mouvement sec, brandissant le poing à l’attention des Hiverax), mais je reviendrais, et croyez-moi je vous ferais passer l’envie de rire ! termina-t-il avec verve.

Peu désireux de supporter plus longtemps les trois frères, il tourna les talons, sautant d’un bond au bas des plateaux, avant de continuer sa course en quelques sauts prudents. Habituellement, il se serait arrangé pour disparaître dans le lointain en deux ou trois poussées, mais cette fois, il désirait à la fois ne pas prendre de risque, encore affaibli par la lutte menée quelques instants plus tôt, et rester dans les parages pour mettre à exécution la suite de son plan. La partie sur laquelle ses coéquipiers se montraient les plus réticents.

Une fois certain de se trouver hors de vue, Zane se déplaça à l’abri d’un épais tronc à l’écorce rugueuse râpant ses vêtements déjà bien trempés. Ôtant sa cape, il l’essora vigoureusement, observant avec dépit les longs filaments d’énergie kaïru scintillant monter vers les cieux, avant de redescendre en trois colonnes vers les X-Readers des Hiverax. Laisser une telle quantité entre les mains de ces satanés triplés…

Rarement il eut autant haï l’une de ses visions !

Sortant son propre appareil de sa pochette, il consulta l’écran de détection du kaïru. Sourit quand il vit que l’importante source récoltée par les Hiverax agissait comme un radar, lui indiquant la direction à suivre pour pister la mystérieuse équipe. Sa journée ne serait peut-être pas complètement perdue après tout !

À condition de se dépêcher, songea-t-il. Une fois le kaïru confiée au Maître des Hiverax, il ne serait plus repérable par son appareil, ni par aucun autre d’ailleurs, sauf s’il rejoignait une immense quantité d’énergie.

Il était plus que temps de se mettre en route, conclut l’adolescent, passant une main humide dans ses épais cheveux bleu clair. De nouveau, il prit une impulsion, s’élevant rapidement dans les airs, vérifiant une dernière fois qu’il ne risquait pas de se faire repérer par les triplés.

Intrigué, il baissa le regard. Ne venait-il pas de voir plusieurs silhouettes surgir des hautes herbes, juste avant qu’il ne les perde de vue à force de s’éloigner ? Pas Ekayon quand même ?!

Ne voyant rien d’autre lui prouvant la présence d’autres combattants, il pencha pensivement la tête sur le côté, se désintéressant de la question. Penser que quelqu’un assista à sa défaite le dérangeait profondément, mais d’autres préoccupations attendaient qu’il se charge d’elles. Et puis, il avait probablement subit une illusion d’optique, ou autre bêtise de ce genre provoquée par un ou deux traumatisme crânien.

Éclatant d’un rire amer destiné aux cieux, il continua sa route sans se retourner.

Il avait rendez-vous avec son destin, et ce monsieur ne supportait guère les retards.


µµµ


Remontant furtivement les couloirs au sol faits de lattes de bois léger, aux couleurs devenues sombres patinées par de nombreuses chaussures et leurs allées-et-venues au sein du monastère, Ekayon s’arrêta à un croisement, vérifiant l’absence de toute présence autre que la sienne. Satisfait de constater être parfaitement seul, il reprit sa progression, les sens aux aguets. Certes, il savait pertinemment que Maître Atoch se montrerait des plus insatisfait s’il devinait les intentions de son élève, mais trop de mystères planaient dans l’air pour que le solitaire puisse les ignorer. Le Redakaï ne se montrant guère décidé à éclairer sa lanterne, autant aller chercher les réponses par lui-même. Le livre confié par son mentor soigneusement mis à l’abri des yeux indiscrets, il se sentait l’esprit tranquille pour rendre une petite visite aux Radikors.

D’un autre côté, il eut bien l’envie d’explorer directement la cachette de Maître Baoddaï (pour cela, il n’en revenait pas que Zane ait si facilement accepté de lui dévoiler son emplacement ; pour autant, il ne s’en plaignait pas le moins du monde), profitant de l’ absence de la présence du propriétaire des lieux dans ses pénates. Mais résister à l’envie de jeter un œil à l’avancée des travaux de la forteresse, titillant ainsi sans qu’il ne le sache l’irascible extraterrestre ? Il ne s’appelait pas Jésus non plus !

D’ailleurs, quelque chose continuait à l’interpeller dans cette discussion précédemment déroulée avec l’adolescent. Zane dit qu’il fallait créer une protection kaïru contre le bruit, n’est-ce pas ? En omettant qu’il ne voyait pas comment un simple étudiant de Baoddaï pouvait bien posséder ce savoir-faire, le solitaire hésitait à demander quelle était la procédure à adopter, sans pour autant éveiller ses soupçons, et en supposant être capable d’utiliser son kaïru intérieur à un tel niveau… Eh bien sinon, il ferait un boucan d’enfer à l’autre bout du monastère, autant pour faire diversion que masquer le bruit de ses manigances !

Captant le frottement de semelles arpentant le bois, le combattant solitaire se fondit dans les ombres du couloir adjacent. Des bruits de bavardages lui parvinrent ensuite, des voix aiguës inhérentes à l’enfance, qui depuis quelques temps lui donnait irrésistiblement envie de s’enfuir à cause de la flopée de questions qu’elles entraînaient sur sa blessure ! Que les Taïro fouillent le monastère à sa recherche, tiens !

– Je ne sais pas, je suppose qu’il est gardé avec les autres reliques récupérées par Maître Baoddaï, fit la voix de Djia, chef de l’équipe des novices de Baoddaï.

En kimono violet, elle passa devant Ekayon sans le voir, triturant inconsciemment les deux courtes couettes de sa rousse chevelure particulièrement claire. Plissant le nez, signe qu’elle réfléchissait attentivement à un problème, elle tapota sa joue, là où de petites taches de rousseur s’étalaient le long d’une ligne imaginaire, avant de refermer brièvement ses paupières sur ses yeux d’un bleu turquoise.

– De toute façon, reprit cette voix la voix de Balistar, son coéquipier, c’est normal que notre Maître ne nous dise pas où se trouve les plus puissants, et donc dangereux, artefacts pris à Lokar.

Métisse à la peau claire, le garçon était plutôt petit, aux cheveux châtain chocolat si courts qu’ils formait seulement un duvet sur son crâne. Ses yeux marrons dévisagèrent sa chef d’équipe, comme pour la convaincre du bien-fondé de sa déclaration, au cas où elle déciderait que le Redakaï faisait une erreur.

– Tant mieux, s’exclama vivement Apecks, se frottant les bras en observant les couloirs d’un air inquiet. Vous imaginez s’il se trouvait au monastère, comment Lokar lancerait une offensive mortelle pour récupérer son bien ? Il ne le laisserait jamais aux mains de ses ennemis…

– Ne t’inquiètes pas pour ça, rétorqua Djia en prenant une pose de conquérante, même si c’était le cas, nous le repousserions en lui bottant les fesses, histoire de lui montrer qui sont les meilleurs !

– Hum, n’oublie pas qu’il était le Maître du Mal, tempéra Balistar en tapotant l’épaule de sa comparse.

– Justement ! Qui vous dit que le Gant de Lokar n’est pas caché quelque part entre ces murs, et que lui il le sait, et qu’il est vivant, et qu’il reviendra le chercher quand personne ne s’y attendra, et…

– Calme-toi, Apecks, soupira la jeune fille. Arrête d’avoir sans arrêt peur !

Plus conciliant, Balistar vint entourer les épaules de son camarade de son bras.

– T’en fais pas, Maître Baoddaï l’a caché en lieu sûr, et sûrement pas ici, sinon nos X-Readers détecteraient sans problème sa présence. Donc Lokar aussi, sauf que jamais il n’a essayé de récupérer son gant.

– Sauf si notre Maître (sans que les novices n’en eurent conscience, Ekayon tira exagérément la langue pour s’empêcher de soupirer. Ces gamins pouvaient-ils placer trois phrases sans coller du « Maître » à toutes les sauces ?) a réussi à fabriquer une cache bloquant notre perception du kaïru ! Et surtout, celle des X-Readers !

Repartant sur un long et alambiqué débat sur les éléments pouvant, ou non, dissimuler la présence de puissante relique pourtant juste sous leurs nez, les enfants disparurent dans un ensemble de pépiements passionnés qui attirèrent un sourire compatissant chez le solitaire. Le Gant de Lokar, hein ? Aussi jeunes, et s’intéressant déjà aux reliques les plus protégées par le Redakaï ? Soit ils deviendraient de véritables perles du kaïru, soit Maître Baoddaï devrait prendre garde à contrôler leur soif de pouvoir !

En tout cas, ce n’était pas aujourd’hui que les Taïro viendraient le gaver de questions cent fois reformulées sur sa blessure et celui la lui ayant infligée, jusqu’à se faire chasser à coups d’invectives !

Patientant encore quelques secondes, il se faufila entre les couloirs désertés et les chambres tout aussi peu occupées, filant précipitamment dans la buanderie quand Mookee sortit en catastrophe de la cuisine pour courir, criant à tue-tête qu’il lui manquait des champignons pour la soupe tant adorée par Maître Kriboff.

Débouchant enfin à l’extérieur de l’édifice, il inspira profondément, emplissant ses poumons d’air pur, savourant la caresse de la brise autrement qu’à travers la fenêtre de sa chambre. Pourvu que bientôt, son mentor cessera de vouloir l’enfermer à tout prix sous sa couette en prétextant qu’il lui fallait se reposer… Optant pour la forêt, il passa entre les innombrables bonsaïs composant la majorité de la sylve, entrecoupés par moments d’autres espèces que le solitaire ne reconnut pas, sans doute des chênes ou autres érables communs. Parfois, des espèces végétales n’ayant rien à faire ici se développant dans cette contrée de la Chine sans explications, gagnant en une ou deux années l’équivalent d’une année entière de vie. Un « miracle » pour lequel le kaïru, excellent stimulant de la nature quand il n’était pas obscur, ne se trouvait guère étranger. Des récits de Boomer, Ekayon savait que cette énergie bénéfique pouvait accroître de manière spectaculaire la productivité d’une ferme jusque là à peine suffisante pour nourri ses habitants, par exemple.

Alors qu’il se rapprochait de la falaise entourant l’étendue forestière, les frondaisons épaisses s’étendirent, changèrent de formes pour s’assembler en cônes aux branches chargées de longues franges tenant plus du vert d’eau que du topaze typique des arbres des forêts. Traversant les bosquets de résineux se raréfiant crescendo, Ekayon se trouva un instant envahi par la nostalgie. C’était dans pareil endroit, ou du moins similaire, que son Maître le trouva, à peine âgé de douze ans, pour lui annoncer que le kaïru le guida vers l’enfant qu’il était alors. Avant cette période, il ne se souvenait de rien. De sa famille, de son enfance, ou de la raison pour laquelle il batifolait au sein de la forêt, rien ne venait raviver ses souvenirs perdus. Il se fit, avec le temps, à cet état de fait, Maître Atoch ayant en personne échoué à retrouver les parents de son nouvel élève, l’emmenant même avec lui lors de ses tentatives pour découvrir la vérité à ses demandes répétées. Néanmoins, il lui arrivait, par moment, de regretter ce si important trou dans sa mémoire, voir de sombrer dans une sorte de torpeur mélancolique durant laquelle il tentait de forcer son pénible cerveau à lui fournir quelques indices sur sa véritable identité, peinant à se sortir de cet état de langueur lui imposant de trouver une solution, même une bribe d’explications, n’importe quoi ! En vain, jusqu’ici.

D’autres fois, comme maintenant, il observait son passé déchiré avec un semblant de regrets, certes, mais sans en souffrir excessivement, observant sa vie aujourd’hui en songeant que cela pourrait être pire. Après tout, il faisait partie des meilleurs combattants du Redakaï, et se révélait être le plus prometteur élève entraîné par Maître Atoch. Certes, mais cela ne l’empêchait pas de désirer en savoir plus sur lui-même.

Descendant promptement la falaise – il n’avait pas envie d’arriver à la forteresse pile au moment où Zane rentrerait de sa mission. Bon, il pourrait toujours venir toquer à sa fenêtre pour le titiller un peu en demandant de plus amples renseignements, seulement cela réduirait sa marge de manœuvre.

À quelques mètres au-dessus du sol, il plongea dans l’eau agréablement fraîche, nageant vigoureusement en larges brasses destinées à produire le moins d’éclaboussures possibles pouvant alerter les résidents du monastère. Une fois hors de portée des remontrances monastèriennes, il pourrait utiliser la nacelle de secours du vaisseau de Maître Atoch, plus petite, moins stable, mais bien plus discrète, pour se rendre au fief des Radikors. Bien sûr, il lui fallait se poser un peu à l’écart, pour ne pas se faire repérer par Zair ou Tekris.

Coup de chance, ou excellente mise en application des techniques de discrétion enseignées par son Maître, personne ne soupçonna l’escapade hors des murs du monastère du jeune homme. Il espérait seulement que les Taïro n’aient pas décidé de venir, durant son absence, lui faire subir une autre de leur séance d’interrogatoire soi-disant informative, et ne découvrent sa chambre vide de tout occupant. Dans ce cas, le solitaire devait trouver une excuse justifiant sa disparition, par précaution. Il doutait que les novices de Baoddaï ne pensent immédiatement à une fugue de sa part, cependant mieux valait prévenir que guérir en parant toute accusation, certes vraie, mais terriblement désavantageuse pour ses possibles entorses aux recommandations de son mentor possiblement futures. Dommage de ne pas posséder deux ou trois anecdotes gênantes pouvant acheter le silence des derniers arrivés dans le cercle restreint des combattants.

Habitué à piloter depuis des années, Ekayon n’eut aucun mal à déverrouiller l’imposant vaisseau grenat en forme d’aile d’oiseau, son profil effilé permettant de parcourir le globe d’un point à l’autre en quelques heures seulement. Pas plus qu’il n’en eut à se faufiler dans la petite nacelle située sur son flanc droit, déclenchant d’une main habituée la procédure de largage. Grâce à l’entraînement spécifique dispensé par Maître Atoch, il aurait pu tout autant employer son kaïru intérieur pour se déplacer d’un lieu à l’autre en plusieurs fois, seulement il voulait économiser son énergie, tout en évitant d’alerter le Redakaï en usant de kaïru dans l’enceinte même d’un édifice abritant pas moins de neuf Maîtres. Le meilleur moyen d’attirer toute l’attention, au lieu de filer discrètement. Il passait volontiers son tour !

Passée la secousse annonçant la séparation de la nacelle du reste de l’appareil, le vol se déroula dans un calme savouré avec avidité par le solitaire, bien qu’il lui soit impossible d’ouvrir une fenêtre dans cette promiscuité enfermée. Impatient de toucher terre, et de voir ce qu’il pourrait découvrir à la forteresse des Radikors, il lui fallut reposer plusieurs les mains sur le volant, en forme de barre noire ondulée en son milieu, pour s’empêcher de tourner avec brusquerie les commandes d’un côté ou de l’autre, dans le seul but de s’occuper pour ne pas penser à ce qui l’obséda tout du long. Aussi ne prêta-t-il aucune attention au paysage défilant devant ses yeux, se contentant de quelques coups d’oeil quand il sentait la température chutait progressivement. Si Maître Atoch ne lui enseigna la technique permettant à son corps de supporter autant les fortes chaleurs que les froids glaciaux, il ignorait combien de couches il porterait par-dessus son T-shirt ! Là encore, aucun autre combattant ne maîtrisait ce bête coup de pouce climatique, puisque leur formation portait davantage sur le travail d’équipe et la recherche du kaïru. En tant que solitaire, Ekayon, plus souvent forcé de rester longuement en des lieux contenant une relique, car couvrant moins de terrain à la fois, devait développer d’autres aptitudes plus spécifiques, privilégiant la vitesse, la discrétion, et l’évitement du combat si possible. Tout comme lui ne maîtrisait toutes les techniques que les Stax héritaient de leur Maître. Un échange qu’il jugeait équitable, bien que pour rien au monde il n’échangerait sa place pour un rôle au sein d’un trio de combattants. Il tenait trop à sa liberté de mouvements, tout en reconnaissant les avantages d’être plusieurs. La preuve, s’il se trouva accompagné de coéquipiers, aurait-il pu prendre sa décision d’espionner la forteresse si facilement ? Assurément que non, conclut-il sans hésitation.

Néanmoins, la morsure du gel manqua faire vaciller sa concentration, indispensable à la maîtrise de sa capacité à supporter des températures extrêmes. Les Radikors devaient être fous pour vouloir vivre dans pareilles conditions ! À moins que leurs lieux de naissance ne leur confère une plus grande résistance.

Un sourire fleurit sur ses lèvres. Le solitaire ne cacha pas un seul instant ses doutes sur la disparition définitive de Lokar, bien que le Maître du Mal n’ait pas remontré signe de vie depuis l’explosion de son repaire. Pour autant, il associait désormais la forteresse de ces contrées inhabitées, sans cesse fouettées par le vent, à l’équipe reprenant la suite de leur prédécesseur, là où les Stax clamait que les lieux appartenaient encore à Lokar. Au même moment, il se demanda comment l’impétueux chef des Radikors s’en sortait face à ses camarades monastèriens ; les deux équipes durent se rencontrer, depuis le temps qu’elles partirent chacune de leur côté à la recherche de la relique. Juste une simple curiosité, inhabituelle, mais Ekayon aurait tout de même bien voulu avoir la réponse.

Posant les pieds sur la fine couche de neige recouvrant des glaciers aussi meurtriers que les failles apparaissant ici et là sans crier gare, le solitaire se frotta vigoureusement les bras, avant de se mettre en route au pas de course. À force de venir en ces lieux, il connaissait à peu près correctement les pièges naturels formés par cette barrière de glace. Aussi aperçut-il rapidement la silhouette, reconstruite en pointe, du fief des Radikors, seule construction artificielle là où la vie semblait tout bonnement impossible.

S’engageant sur le passage préalablement mémorisé avec soin, car visible seulement au travers des repères choisis par le solitaire, ce dernier se figea, fronçant les sourcils. Se plaquant contre une excroissance montant en ligne presque droite aux contours déchiquetés, il balaya les immensités fouettées par un vent ne cessant jamais tout à fait, plissant un peu plus les paupières quand un tourbillon de paillettes argentées venait occulter brièvement son champ de vision.

Rien ne venait troubler le silence entrecoupé de sifflements rageurs. Pourtant, Ekayon avait bien vu, l’espace d’une seconde, une forme sombre aux mouvements saccadés traverser promptement l’espace entre deux glaciers. D’une manière bien trop proche des marionnettes de cette, comment déjà, ah oui, Adriel.

Sa bonne humeur douchée par une méfiance omniprésente, il se décida à continuer sa progression, comme s’il se trouvait en territoire ennemi. Bon, techniquement, c’était toujours le cas, évidemment, mais cette fois il était presque certain que les extraterrestres, quels qu’ils soient, furent de sortie. Une bonne raison de se montrer prudent.

Cependant, préoccupé par ce qui se passait près de lui, il ne prit pas suffisamment garde à ce qui se trouvait au-dessus de lui. Là où, habilement camouflée par des mains soucieuses qu’elle ne soit guère repérée, une petite cellule de détection des mouvements, octogonale, émit une brève lumière verdâtre, avant de redevenir aussi immobile que l’objet qu’elle était.


µµµ


– Pinces dévastatrices !

Bien avant de se faire happer par l’attaque, Zair créa deux boucliers d’un bleu céruléen, le premier pour contrer les deux colonnes brutales avides de lui faire perdre le combat, le second au cas où Tekris s’amuserait, comme il avait désagréablement tendance à le faire depuis qu’il s’amusait avec cet X-Drive, chouchou de sa collection, à les faire rebondir contre un mur proche pour venir la frapper sur le côté.

Bien lui en prit. Sans se retourner, elle sentit le choc qui heurta sa protection peu après le premier impact. Avisant la moue dépitée que son coéquipier tentait en vain de cacher – aussi proches devenaient-ils ces derniers temps, personne n’aimait voir son offensive échouer –, elle leva un pouce encourageant.

– Tu avais raison, fit-elle joyeusement, ta manière de créer tes boucliers est des plus efficaces ! Plus que je ne le croyais, pour être honnête.

Bon joueur, Tekris éclata de rire, s’asseyant à côté de ses volumineux brassards de métal couleur acier. Habituellement portés au niveau des poignets, l’adolescent avait tendance à les remiser au fond du placard depuis que la jeune femme, sans réelle arrière-pensée, lui fit remarquer qu’elle le préférait largement sans ces « espèces de menottes gigantesques disgracieuses ». Depuis, elle tentait de se convaincre que ce n’était qu’une coïncidence, l’idée que ce ne soit pas le cas l’emplissant au contraire d’un sentiment de chaleur qu’elle ne voulait pas particulièrement analyser.

Tout comme elle essayait de se persuader que le fait que Tekris lui dit, un jour, la préférer sans coiffure haute, n’avait aucun rapport avec sa soudaine préférence des tresses et autres queue-de-cheval basses. Par curiosité, elle tenta, le matin même, de tresser ses cheveux, sur les tempes, en deux fines bandes rejoignant au milieu de l’arrière de son crâne une natte plus épaisse. Si elle jugeait d’après le large sourire du colosse quand il la vit, le résultat était à la hauteur de ses espérances.

– Disons, déclara sentencieusement ce dernier, qu’entre mes mains, les boucliers sont moins résistants.

Un rien d’ostentation ponctuait sa phrase, songea Zair. Avant de comprendre. Il devait s’agir d’une exagération volontaire ! Tekris lui enseignant l’humour terrien, elle avait par moments un peu de mal à reconnaître ses plaisanteries des déclarations sans arrière-pensée.

– Tu as juste besoin d’un peu d’entraînement, souffla-t-elle.

Il lui adressa un sourire lumineux, plus franc que ceux qu’il arborait habituellement. Cela surprenait toujours la jeune femme ; depuis peu, le moindre compliment de sa part sur les capacités de son coéquipier attirait immanquablement ce genre de réaction, au point que Zane, la veille, lui demanda des plus sérieusement s’il n’était pas victime de crampes régulières et affreusement douloureuses. Évidemment, bêtement, elle crut qu’il s’agissait d’une plaisanterie. La trouvant excellente, la jeune femme éclata de rire, sous les regards interloqués des deux garçons, et celui, ravi sans que personne ne comprenne pourquoi, de Tekris. Avant de se rendre compte que personne ne partageait son hilarité, et qu’elle ne s’éclipse en prétextant quelconque corvée à accomplir. Elle ne se souvenait plus du tout de son excuse, mais à ce moment, seul lui importait de filer en vitesse pour ne pas avoir à répondre en bafouillant aux interrogations qui suivraient obligatoirement.

Ou peut-être ne voulait-elle tout simplement pas admettre son ignorance, peu importait.

– Tu manques seulement d’entraînement, rétorqua-t-elle en tapotant le bout de son nez avant de s’éloigner de nouveau. Je suis sûr que tu es largement capable d’atteindre mon niveau.

– C’est sympa, mais tu sais très bien que des trois Radikors, je suis le moins puissant.

– Ne dis pas de bêtises.

Pourtant, Zair savait qu’il s’agissait ni plus ni moins que la vérité, bien que cela ne signifiait pas que Tekris serait faible. Simplement, moins fort que Zane et elle. Mais elle supportait de moins en moins d’entendre son coéquipier se dévaloriser, même quand il ne faisait qu’énoncer la vérité. Trois jours auparavant, n’avait-elle pas lancé à Zane qu’il se comportait injustement quand il déclara que le colosse devrait se remuer un peu plus durant les entraînements ? Heureusement, l’intéressé ne se trouvait pas présent ce jour-là…

– D’ailleurs, pourquoi m’as-tu montré ta technique, alors que e ne t’ai même pas promis quoi que ce soit en échange ? Ce n’est pas dans les habitudes des Radikors, avoue-le.

– Ça avait l’air de te faire plaisir, répondit simplement l’adolescent.

– Sombre idiot, murmura affectueusement sa comparse.

Un adjectif qui ne vexa pas le moins du monde le colosse, au contraire. Se relevant, il vint la prendre dans ses bras, déposant un petit baiser sur le sommet de sa tête. Soupirant d’aise, Zair posa sa joue contre son torse. Trop petite, elle ne parvenait pas à atteindre sa poitrine, une constatation qui la fit sourire. Autrefois agacée de cet état de fait, elle appréciait aujourd’hui de se dire qu’un garçon costaud se tenait près d’elle, assez fort pour ébranler les murs de la forteresse si elle le lui demandait.

– Un idiot qui te suivra partout, donc il va falloir que tu t’y habitues, rétorqua finalement Tekris.

– C’est une plaisanterie, ça ? demanda-t-elle, intriguée.

Il ouvrit la bouche pour lui répondre.

Une alarme, non pas assourdissante au point de sonner le tocsin, mais suffisamment forte pour alerter quiconque se tenait à quelques pièces de là, les interrompit. Jurant grossièrement, Zair se dégagea, Tekris lui emboîta le pas. Débouchant dans une pièce encombrée de notes diverses étalées au sol, de cartons contenant une ou deux cellule de leur système de sécurité défectueuse, et de quelques écrans représentant graphiquement la forteresse et ses environs, le colosse la devança, sautant sur la chaise à roulettes se tenant devant ses derniers. Mordillant son ongle du pouce, l’adolescente vint se poster sur sa gauche.

– Il y a du mouvement, à quelques mètres de l’entrée, marmonna Tekris, désignant un point noir sur le fond orangé se déplaçant à une vitesse correspondant à un marcheur.

– Et celui-là ? fit-elle, pointant un second rond, à l’arrière de la forteresse.

Bien plus rapide, celui-ci se divisa rapidement en deux, quatre, puis sept mobiles en mouvements se dirigeant tous droit vers eux.

– Ça, grogna Tekris, ce sont les ennuis qui commencent.

– Qui continue, plutôt, soupira l’adolescente.

L’air sombre, le colosse hocha affirmativement, sans rien ajouter. Ils n’avaient plus rien d’autre à faire, excepté défendre leur lieu de vie.


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Bonjour, bonsoir !


Les Radikors ne peuvent pas rester tranquilles bien longtemps, hé hé ! Et Ekayon a décidément un karma fort peu avantageux ! En tout cas, j’espère que le chapitre vous aura plu ! N’hésitez pas à laisser un commentaire si c’est le cas (ou même si ça ne l’est pas, les critiques constructives sont toujours formatrices), ou si vous avez des questions, et à bientôt pour la suite !


Sur ce, bonne journée, soirée !


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