L'Arche du Péché

Chapitre 23 : Un voile se déchire

12264 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 18/01/2021 20:49

Un voile se déchire


– Il faut que nous sortions de la forteresse ! À l’intérieur, nous faisons des cibles faciles !

Joignant le geste à la parole, Zair courut jusqu’à la salle d’entraînement quittée quelques minutes auparavant, récupéra son X-Reader, laissé sur une table avoisinante le temps que Tekris lui apprenne comment créer un bouclier sans l’aide du petit appareil, tandis qu’elle continuait sa course vers la porte coulissante menant au couloir.

Pestant contre les coïncidences un peu trop à l’avantage des ennemis des Radikors, l’adolescente ouvrit instinctivement son esprit, cherchant à contacter mentalement Zane.

Au bout du troisième essai teinté d’urgence, elle obtint enfin une réponse. Peu amène, mais cela valait mieux que rien dans la situation présente.

Je croyais avoir demandé à ne pas être dérangé, sauf situation d’urgence ! siffla la voix de Zane.

Justement, c’est le cas, rétorqua-t-elle, la forteresse est attaquée. Sans en avoir la certitude, je pense, vu le nombre, qu’il s’agit des serviteurs d’Adriel, ceux que tu nous as décrit comme ne possédant pas de visage.

À cette évocation, Zair eut grand-peine à ne pas grimacer. Depuis que le chef des Radikors avait fourni la description de ces créatures, elle peinait à croire en la véracité de cette partie. Des humains, voir des extraterrestres manipulés au point de n’être plus que des marionnettes destinées à répondre aux moindres désirs de leur maîtresse, pourquoi pas. Mais devenir défiguré à ce point ? À moins de faire partie d’un peuple pour qui cette particularité est monnaie courante, cela lui semblait difficile à imaginer !

Quoi ? Combien sont-ils ?

Toute mauvaise humeur déserta du ton de Zane. Au contraire, rien d’autre n’existait à ce moment précis, que cette menace planant sur sa forteresse. Évidemment, si quelqu’un osait s’en prendre à ses biens, l’adolescent se précipiterait à la rescousse de ses coéquipiers afin de bouter hors de ces murs les impudents.

Pourtant, en ce moment précis, Zair préférerait qu’il continue sa propre mission.

À vue de nez, cinq ou six. Mais Tekris pense que ce sont seulement les plus proches.

Très bien, j’arrive. Restez où vous êtes, et tenez vos positions !

Pile ce qu’elle craignait d’entendre. Restait à le convaincre de ne pas intervenir.

Non, continue ta mission. Tekris et moi, nous pouvons les repousser.

Par pitié, cesse ta petite crise d’autorité permanente ! Je l’ai supporté suffisamment longtemps pour avoir les poils qui se hérissent chaque fois que ça te reprend ! Tu ne connais pas la force de ces choses, moi si. Je vais leur régler leur compte avant qu’ils n’aient eu le temps de s’apercevoir être impuissants !

Vexée, Zair laissa une petite moue déformer les traits de son visage, pinçant les lèvres. Comment ça, une petite crise d’autorité ?! Non mais il s’entendait le Zane parfois ? Bon, d’accord, durant un petit moment, elle ne pouvait s’empêcher de contester la majeure partie des ordres de son chef d’équipe, mais de là à se faire traiter de la sorte, il y avait une marge !

Peut-être, mais tu nous en as assez parlé pour que nous nous méfiions correctement d’elles. Et puis, c’est toi qui as insisté pour aller en mission en solo, contre nos avis, alors mène-la au moins à bien, histoire de nous prouver que tu avais raison !

La donne a changé, et vous avez besoin d’aide ! protesta Zane, grinçant mentalement des dents. Rien ne dit qu’Adriel ne se trouve pas dans les parages !

Un son très désagréable, qu’il aurait pu épargner à sa coéquipière s’il le voulait vraiment…

Alors, achève rapidement ta mission. Tu sais que c’est la meilleure chose à faire.

Encore un effort, et elle pourrait l’entendre crier de frustration à travers leur lien ! Ceci dit, l’adolescente percevait clairement l’hésitation de son vis-à-vis à couper la communication, pour revenir à la forteresse sans demander l’avis de personne. Faire appel à la raison de Zane n’était peut-être pas la meilleure idée…

D’accord, marmonna-t-il cependant. Mais tu me le paieras, ce coup-là !

Soupirant de soulagement – après tout, il pouvait donc encore se raisonner ! –, Zair laissa la pression retomber, juste ce qu’il fallait pour laisser claires ses capacités de réflexion.

Dès que j’ai fini ici, je viens ! prévint malgré tout l’adolescent. Et, au fait, bonne chance.

Toi aussi, souffla-t-elle, surprise.

Seul témoin de la colère de l’adolescent d’avoir accepté si facilement, elle le sentit fermer sans préambule son esprit, la laissant terriblement seule au creux de sa tête. Mais pas dans le monde physique.

Un peu plus en arrière résonnèrent les claquements indiquant que son coéquipier venait de suivre son exemple. Jugeant, au son de ses bottes, avoir plusieurs mètres d’avance, l’adolescente laissa échapper malgré elle un soupir soulagé. Savoir garder l’avantage de la vitesse, exactement comme elle s’y attendait, lui assurait de bien faire face à son Tekris, et pas à un corps prenant son apparence, et se conduisant plus ou moins imparfaitement comme lui.

Étrangement, et contrairement à l’avis de Zane sur ce sujet, elle resta persuadée que jamais plus le colosse ne se laisserait prendre une seconde fois au terrible piège ourdit par Teos, quelques mois auparavant. D’abord, pour une raison purement technique : le contrôle mental issu du kaïru de Thiers fonctionnait beaucoup moins bien une fois la cible avertie et sur ses gardes. Tekris refusant même l’idée de tomber une seconde fois dans un tel piège, les chances qu’une telle chose se reproduise restaient terriblement minces. Surtout si, tel que le laissait penser les récents évènements, les capacités de l’ennemi penchaient davantage pour la possession que la destruction mentale. Une différence certes minime, mais cependant existante. De toute façon, les Maîtres du Dôme s’arrangeaient pour que ne vive jamais longtemps toute personne pouvant potentiellement, un jour ou l’autre, les plier à sa volonté… Ce qui, dans la situation actuelle, était des plus appréciable, il fallait le reconnaître ; elle ignorait totalement dans quelle mesure le colosse, ou elle-même, seraient capables de résister à une pression mentale importante induite par un pouvoir spécifique. Expérience qu’elle ne souhaitait nullement tenter, par ailleurs, songea-t-elle avec sarcasme.

Mais dans ce cas, personne ne serait à l’abri d’un tel pouvoir, et Tekris n’aurait pas à se retrouver unique cible de la colère de son chef d’équipe. Ironiquement, Zane pourrait bien être la seule personne à ne pas se faire manipuler par un tel don… mais en plongeant de plein fouet dans sa propre folie.

Un lourd frisson glaça son échine, et elle dut produire un puissant effort pour repousser le plomb qui semblait tenter de prendre le contrôle de ses jambes. Ce n’était pas le moment de penser à pareille catastrophe, voyons, se morigéna-t-elle. Ma fille, d’autre problèmes autrement plus urgents t’attendent !

Alors, pourquoi ce satané mauvais pressentiment semblait-il si étroitement chevillé à son corps ?! Voyons, à quoi pensait-elle juste avant ? Ah oui, Tekris.

La seconde raison se révélait des plus personnelles. Zair voulait croire que Tekris ne lui ferait jamais de mal, et s’efforcerait de la protéger de son mieux, comme il le lui faisant, depuis récemment, comprendre à demi-mots. Pour sa part, Zair laissait plus que largement sous-entendre qu’elle n’avait besoin de personne pour veiller sur elle, s’attirant immanquablement un regard dubitatif, quand le colosse ne faisant pas mine de ne pas comprendre le double sens de son discours. À moins qu’il ne le saisisse, justement, pas à chaque fois ? À force d’évoluer au sein de non-dits et de faux-semblants, Zair se laissait atteindre par une légère paranoïa… Qui prenait déjà possession de Zane depuis un bon moment, hélas.

Son frère, encore un problème à peine émergé, qu’elle ignorait comment gérer, ou au minimum surmonter. Encore ce gouffre presque infranchissable entre eux, ce vide rempli de rancœur, erreurs et maladresses ancrées profondément en eux.

Les iris vert pâle dévièrent vers le colosse, toujours en arrière bien qu’il s’échinait à la rattraper. Imperceptiblement (mieux valait ne pas le vexer, ou heurter l’ego masculin qui parfois, se révélait des plus étranges, à ressurgir aux moments les plus improbables), elle ralentit la cadence en dépit de l’urgence de la situation, afin de le laisser remonter à sa hauteur en quelques foulées. Mouais… Mieux valait pour elle ne pas oublier que Tekris possédait de très longues jambes, capables de tenir la cadence quand elle ne produisait plus d’efforts. Pourtant, au lieu de se remettre à calculer de quelle façon pourrait-elle parer au plus efficace ce désavantage physique, elle s’en sentit rassérénée, plus encore quand il lui sourit à son tour, comme ravi de réussir à se tenir à ses côtés.

Oui, avec Tekris pour la soutenir, lui conférer une force prenant source dans sa volonté, Zair se sentait enfin en droit, et surtout osait envisager, de jeter une passerelle par-dessus le ravin la séparant de Zane. Au lieu de chercher à retrouver une complicité et un passé perdus, pourquoi ne pas en créer de nouveaux avec son frère ? Enfin, demi-frère, mais elle ne prêtait guère attention à de telles considérations pourtant rabâchées sans cesse tout du long de son enfance. Même père, des mères différentes, quelle importance au fond ? Au diable les principes que tant tentèrent d’inculquer au fond de son crâne, en la croyant plus malléable que Zane ! Dans un sens, ce n’était pas entièrement faux… Plus jeune, et plus crédule, l’adolescente se serait sûrement autrefois fait prendre au piège des attentes et « grands espoirs » fondés en sa personne… S’il n’y avait pas eu Averitia. Génitrice de Zane, plus calculatrice encore que son enfant aujourd’hui, qui décida de tout faire pour que les deux Radikors se lient d’amitié. En espérant pouvoir, par la suite, s’en servir à son avantage. Un plan qui échoua lamentablement, mais qui permit à Zair de garder un certain recul. Qui se révéla, quelques temps plus tard, des plus profitable.

– Attends un peu ! s’époumona Tekris, sur sa droite. Laisser la forteresse sans surveillance, c’est un peu la leur offrir sur un plateau d’argent, non ? Nous dehors, les machins qui nous attendent dehors auront le champ libre pour prendre possession des lieux, et nous empêcher de rentrer à l’intérieur !

Arrivés devant la porte d’entrée de la chambre à coucher de Zair, ils ralentirent, cette dernière mordillant nerveusement sa langue d’impatience devant l’insupportable lenteur à laquelle le battant coulissait. Elle savait pourtant que sa vitesse ne changeait nullement, pourtant, elle eut l’impression qu’une éternité s’écoula entre le moment où elle glissa sa main sur le métal, et celui où elle put enfin s’engouffrer dans ses pénates.

– Alors, autant faire en sorte qu’ils n’entrent pas, rétorqua-t-elle.

Écartant sans ménagement les papiers encombrant le plateau de son bureau, l’adolescente manqua pester entre ses dents. Par les Six, pourquoi était-ce toujours dans ces moments critiques que l’on ne retrouvait plus ses affaires ? Elle fut pourtant certaine d’avoir posé ce satané machin dans le coin !

Remarquant son manège, Tekris haussa un sourcil interrogateur, reprenant son souffle.

– Je peux savoir ce que tu cherches ?

– Une sorte de figurine, un dragon enroulé autour d’une épée, répondit machinalement Zair.

Soupirant contre sa maladresse, elle s’autorisa à lever les yeux au ciel. Fallait-il être niaise pour balancer des informations cruciales avec un tel naturel, à gifler ! Et Zane qui souhaitait la plus grande discrétion par rapport à ses découvertes ! Voilà qu’elle laissait leur coéquipier fouiller ses affaires sans prendre de précautions… Ceci dit, le temps pressait, et Tekris avait toute sa confiance ; il suffirait de demander le secret.

– Non mais c’est quoi tout ça, souffla l’extraterrestre. Tout un tas de papier dans plein de langues différentes, et ça alors ? Des traductions ? Tu traduis ce qui est écrit sur ces machins ?

– Dis donc, tu n’as jamais appris que c’est très mal élevé de fouiller dans les affaires d’une fille ? Si tu veux en savoir plus, t’auras qu’à demander à Zane (mordant sa lèvre pour étouffer un rire quand elle imagina la scène, Zair évita de penser à ce qu’il se passerait si Tekris suivait réellement son « conseil »). Je la tiens, finit-elle, brandissant triomphalement la petite statuette en question.

Descendant du meuble sur lequel elle grimpa, au cas où, dans son désordre organisé le petit objet se retrouverait coincé entre le mur et le bois massif (une intuition qui se révéla, justement, correcte), elle prit la main que Tekris lui tendait pour l’aider.

– Alors, où en sont les envahisseurs à ton avis ? questionna-t-elle à tout hasard. Revenir jusqu’à la salle de contrôle risque de nous prendre pas mal de temps précieux. Trop, conclut-elle en repartant dans le couloir.

– Exact, confirma Tekris. C’est pour ça que j’ai installé sur mon X-Reader (tout en parlant, il tira ledit appareil de la pochette reposant contre sa cuisse droite, maintenant qu’il ne portait plus ses énormes manchons l’abritant auparavant) un système pour relier les appareils de sécurité de la forteresse au mien.

Sa compagne laissa échapper un petit sifflement appréciateur, assez impressionnée.

– Pas mal. J’ignorais que tu as ce genre de compétences.

– Bah, ce n’est rien de très compliqué en fait, il m’a suffit de relier le signal à la fois à l’ordinateur, et à mon X-Reader, comme ça ce qui est repéré par les détecteurs de mouvement s’affichent sur les deux écrans.

– D’accord, je serais des plus heureuse de t’entendre me raconter de quelle façon tu as appris à faire un truc pareil dans quelques heures, mais pour l’instant, j’aimerais surtout savoir si nous devons bouter hors de notre chez-nous une bande de lemmings, coupa la jeune femme.

Loin d’elle l’envie d’être malpolie ; simplement, elle connaissait suffisamment les hommes pour savoir, et tout particulièrement à l’ère de l’adolescence, qu’ils aimaient déblatérer sur leurs succès dans le but de rouler des mécaniques, presque autant qu’ils mettaient d’énergie à nier et enterrer leurs échecs.

Enfin, elle n’eut plus qu’à espérer que dans le feu de l’action, Tekris omettrait sa « promesse » de l’écouter plus tard. Elle peinait déjà à garder le minimum de distance nécessaire pour ne pas plonger dans une relation ne pouvant que finir douloureusement, alors s’ils commençaient à tomber dans le piège des rendez-vous réguliers, elle ne donnait pas cher de ses barrières bien minces…

Le colosse ne s’offusque guère de cette intervention pressée ; au contraire, il parut presque contrit d’avoir laissé de côté le plus urgent en ce moment précis. Voir légèrement gêné, sans que Zair n’en comprenne la raison. Consultant rapidement le vert se reflétant dans ses verres de lunettes, il releva le visage vers sa compagne, masquant presque astucieusement l’inquiétude barrant ses traits.

– Si je ne me trompes pas, personne n’a put pénétrer dans la forteresse. Par contre, je compte maintenant sept silhouettes ! Dont une qui se déplace plus rapidement que les autres.

– Comment c’est possible, ça ? Pardon, oublie, question stupide. Je te parie ma chemise que ce sont les étranges spectres rencontrés par Zane en Islande !

– Ceux contrôlés par Adriel ? s’étonna Tekris, de moins en moins rassuré.

– Tu en connais d’autres ? Bon, ne paniquons pas, reprit-elle d’un ton plus doux. D’après Zane, il en existe entre dix et quinze, peut-être un peu moins comme il en a éliminé un ou deux.

– Je croyais qu’il avait dit au moins cinq ? fit remarquer le colosse.

Au ton manquant affreusement de conviction, Zair devina qu’il n’y croyait pas vraiment non plus.

– Le connaissant, il a dû grossir les chiffres. Bref, soit cette fichue peste en a gardé en réserve, soit le reste de ses sbires nous attend dans un recoin sombre pour un guet-apens. Puisqu’ils se divisent en petits groupes, nous allons les attaquer séparément. Cela augmentera nos chances de les battre !

La haute silhouette de l’entrée de la plateforme se profila, quelques mètres devant les adolescents. Il fallait à tout prix réussir à garder la forteresse entre les mains des Radikors, se répéta Zair. Hors de question de laisser leur bien aux mains de ces insupportables Daminiens ! Tout comme elle ne comptait guère dormir à nouveau sous une tente, ou dans un foyer pour jeunes, puisque l’équipe extraterrestre n’avait aucun domicile hormis les murs à l’extérieur gelé par les bourrasques incessantes balayant les plaines. Et que le Dôme, le Seigneur Héritier Teos ou les Maîtres aillent plonger d’eux-mêmes dans la source, et leur fiche la paix !

– Ça me semble un bon plan, mais tu ne m’as toujours pas dit comment tu comptes faire pour les empêcher de profiter de notre absence dans la forteresse pour en prendre son contrôle ! Ni en quoi cette drôle de figurine va bien pouvoir nous aider en quoi que ce soit.

Terminant sa phrase, Tekris désigné de l’index le petit accessoire aux reflets changeants, passant de mauve à rouge, voir safran, en fonction de la luminosité. Sa vis-à-vis prit quelques secondes de réflexion, sondant les pupilles invisibles lui faisant face, les traits du visage de Tekris perdant progressivement leur rondeur pour devenir plus carrés, massifs, son expression déterminée et maussade à la fois.

Zane lui hurlerait de ne pas accorder sa confiance, y compris à ce garçon qu’elle connaissait depuis bien six années maintenant. Certes, mais il n’était pas là, parti en mission seul, exactement comme il le demanda – l’exigea paraissait plus correct ; elle ne pouvait se permettre d’agir contre son instinct.

Tiens, à ce propos, la soudaine intervention des créatures fonçant vers la forteresse apparaissait bien trop proche du départ de l’irascible adolescent, pour que Zair croit à la coïncidence… À moins de posséder une chance à faire pâlir d’envie n’importe quel humain, le timing était bien trop parfait.

– Très bien, capitula-t-elle. J’ai l’intention de créer une barrière autour de la forteresse. Rien d’exceptionnel, mais capable de tenir le temps que nous nous chargions de renvoyer ces imbéciles à la neige !

Clignant des paupières (du moins Zair le supposa-t-elle à son air ahuri ; il était bien difficile de voir quoi que ce soit derrière les épaisses montures du colosse), Tekris la dévisagea, incertain de la conduite à adopter.

– Hum, sans vouloir te vexer, en fait, je ne pense pas que nous ayons ce niveau de maîtrise… fit-il, guettant prudemment ses réactions. Et nous n’avons pas de Maître kaïru sous la main.

– Pas la peine. Cette figurine (elle tendit l’objet devant elle, main fermement serrée autour de l’épée), permet à son utilisateur d’attirer plus de kaïru qu’il n’est capable, de base, d’utiliser. Je m’en servirais pour développer ta technique de bouclier en l’appliquant tout autour de la forteresse.

Un demi-mensonge, seulement… Zair comptait bien prendre pour modèle la structure de la protection kaïru, mais sans utiliser une méthode analogue. Quoique, cela dépendait de quel côté on regardait.

Cependant, Tekris ne paraissait pas des plus convaincu, pianotant nerveusement des doigts sur sa cuisse.

– Laisse-moi deviner, c’est une des créations de Lokar retrouvée dans les décombres de la forteresse ? Soif de pouvoir, obsession de la puissance, ça lui correspond plutôt bien !

– Plus ou moins, je ne le sais pas vraiment moi-même, éluda Zair.

Quand il le voulait, il pouvait se montrer pire encore que Zane, bien que leurs raisons ne soient pas les mêmes, lorsqu’il s’agissait de s’opposer. Aussi ne perdit-elle pas de temps à attendre qu’il eut formulée ses récriminations à sa convenance. Franchissant les derniers mètres la séparant de l’entrée, elle poussa la porte en gardant le dragon coincé contre sa paume.

– Une petite minute, tu sais au moins comment ce truc fonctionne ? protesta le colosse, de nouveau près d’elle en un clin d’oeil. S’il y a quelconque danger, ce n’est pas une bonne idée de risquer nous mettre hors d’état de combattre. Nous avons besoin de toutes nos forces.

D’un regard en coin, il lui fit clairement comprendre qu’il saisissait ne pas être le futur utilisateur de la figurine, bien que Zair ne l’ait jamais clairement énoncé. Et il n’appréciait pas le moins du monde.

– Ne t’en fais pas pour moi, il suffit de se trouver en contact avec le dragon, et l’effet est immédiat. Mais d’après les notes que j’ai traduites, il y a un problème avec ce type de création.

Décider, sur un coup de tête, de lui révéler ce détail, au risque de se faire harceler par un Tekris peu désireux de la laisser se mettre en danger, ne faisait pas partie des meilleures idées eues dans sa vie. Mais le colosse, selon Zair, avait tout de même le droit de connaître autant d’informations que possible sur les découvertes de son équipe, alors qu’il ne savait pas le quart des connaissances possédées par Zane et Zair sur ce qui se cachait derrière l’arrivée de Teos sur Terre. Tendre culpabilité…

– Disons qu’elles ne bénéficient pas de la protection, qui serait pourtant des plus nécessaire, faisant que l’utilisateur peut manipuler à sa guise une grande quantité de kaïru. En gros, je pourrais utiliser plus que mes capacités habituelles, en restant cependant dans les limites de ce que je peux supporter naturellement.

– J’avoue ne pas tout comprendre, déclara Tekris, passant la main dans ses cheveux courts.

– Ne t’en fais pas, je t’expliquerai plus tard

Elle craignit un instant qu’il ne se remette à protester ; et dans ce cas, elle ignorait comment réagir. En effet, impossible de lui avouer que cette figurine ressemblait étrangement à du jäadi, un puits de kaïru jadis à disposition de Lokar ? Ça, plus le livre de Thiers retrouvé par Zane dans les affaires de l’ancien Maître des Radikors, ne laissait rien présager de bon… Néanmoins, le colosse se contenta de faire signe qu’il approuvait, avant de s’engouffrer dans le carré de lumière bleutée, découpée dans le sombre du métal des murs suite à l’ouverture des lourds battants. Zair lui emboîta le pas, jetant un regard inquiet en arrière.

Ils ne pouvaient pas perdre une seconde fois le peu qu’ils construisirent de leurs mains, tout de même ?!

Évitant d’emprunter les interminables escaliers menant à la plateforme permettant d’accéder aux entrailles de la forteresse, les deux adolescents choisirent d’utiliser leur capacité de voler, gagnant de précieuses minutes. Tekris occupé à sonder brièvement les alentours, au cas où certaines des créatures les entourant se serait aperçue du manège et viendrais se frotter aux Radikors, Zair en profita pour se retourner vers l’imposant édifice. L’espace d’un instant, elle eut la désagréable impression que la masse de pierre et de métal dirigeait vers elle un regard invisible, sentencieux, forteresse observatrice silencieuse d’un futur combat mené pour elle, curieuse de savoir qui sortirait vainqueur sans pour autant s’en soucier.

L’adolescente se secoua vigoureusement le crâne. Si en plus, elle se mettait à imaginer des choses, le plus insignifiant des rochers finirait par la clouer sur place, au cas où son pacte de non-agression personnel se verrait offensé par les deux adolescents !

– Localise nos ennemis, pendant que je dresse le bouclier, fit-elle, revenant de nouveau sur le présent.

Un « yep ! » plein de conviction l’informa que Tekris exécutait son ordre, à la perfection sans doute.

Fronçant les sourcils, l’adolescente inspira profondément, passant sa langue sur ses lèvres sèches dans une vaine tentative de les humidifier. Utiliser une faible quantité de la Source ne pourrait décemment pas être détectée par le Dôme, après tout… Et il paraissait peu probable que les Traqueurs connaissent son essence personnelle aussi bien qu’elle-même ; en pleine paranoïa, elle n’y croirait pas non plus. Simplement parce que fort peu de personnes se rappelleraient de la petite fille sans cesse vêtue d’une tunique d’entraînement et de solides bottes de combattante, capable de clouer sur place n’importe qui, parfois jusqu’à plusieurs minutes s’il s’agissait d’un banal serviteur à peine capable de deviner quand quelqu’un utilisait le kaïru de Thiers près de lui. Et moins encore, capables de sentir une aura, avaient survécu à la Trahison.

Encore une fois, la Source fut rapidement à sa portée, répondant presque immédiatement à son appel muet. Un des rares avantage à être détentrice d’une Compétence lui permettant d’accéder aux Chemins Temporels, l’immense dédale intangible et irréel capable de contenir le kaïru de Thiers en son sein, bien que ce soit de manière imparfaite… Une formidable énergie vint s’ajouter à sa force interne, qu’elle s’empressa de réduire à un fin filament. À grande distance des Yeux et Oreilles, chargés de surveiller les intrusions non-autorisées dans la Source en repérant les personnes possédant le Don sans être reliées de par leur énergie au Trône, elle sentait pourtant leurs sens en éveil tout autour d’elle, et en même temps tellement éloignés.

Cette fois, contrairement à la nuit où elle tenta de redonner sa forme à un vase brisé quelques minutes auparavant, elle prit bien garde à ne conserver qu’une faible quantité de kaïru, jetant de fréquents coups d’oeil à Tekris, désormais sur le point d’achever sa propre tâche. Oui, c’était bien ce soir-là qu’elle laissa le colosse s’approcher bien trop près de sa personne, enfin, psychiquement…

Soupirant contre ses pensées volubiles, elle fit prendre forme au kaïru, dressant tout autour de la forteresse un bouclier protecteur, prenant soin de le rendre invisible aux yeux des autres manipulateurs d’énergie. Du moins l’espéra-t-elle ; bien plus habituée à l’attaque qu’à la défense, ce n’était que la seconde fois qu’elle érigeait une protection. Par chance, la figurine dragovienne se révéla d’une grande aide pour limiter au maximum son besoin de puiser dans la Source, réduisant ses chances de se faire repérer.

– C’est fait, déclara-t-elle, se tournant à demi vers Tekris.

L’adolescent cessa immédiatement de pianoter sur son écran, un sourire lumineux étirant les traits de son visage. D’abord intriguée de le voir achever ses calculs si promptement, Zair finit par se demander si, durant tout ce temps, il ne fit pas semblant d’être occupé pour ne pas la déranger.

– Il va vraiment falloir que tu cesses de me regarder avec cet air benêt, souffla-t-elle doucement.

Consciente de ne pourtant pas tellement le souhaiter, elle tendit la main vers son oreille, la tirant avec un mélange d’humeur et de taquinerie. La douleur, minime pour un garçon de la corpulence de Tekris, le fit cependant grogner de mécontentement. À son tour, il empoigna le poignet de la jeune femme, le ramenant devant sa poitrine, le tournant en observant son creux comme s’il détenait le secret de la vérité universelle.

– Et si je te disais que c’est plus fort que moi ? répondit-il, soudainement sérieux.

– Eh bien, j’ai hâte de voir quelle excuse tu fourniras à Zane quand il te diras de te concentrer pour ne pas finir enseveli sous une montagne de roches !

Zair aurait bien ri de sa propre plaisanterie (son imagination se chargeant de lui montrer à quoi le résultat pourrait bien ressembler) ; hélas, ils perdirent déjà suffisamment de temps. Avec un dernier regard pour le jeune homme (surpris de ce revirement, il n’eut pas le loisir de garder le bras de sa compagne dans sa poigne), elle s’éloigna de la haute stature, au sommet encore à demi-reconstruit, au pas de course. Comme si elle voulait, sans le pouvoir réellement, s’éloigner le plus loin possible de lui. Parce que le danger la suivrait où qu’elle aille, sans épargner ses proches.

Et Zane, par les Six ! Que devait-elle faire vis-à-vis de lui ?! Que leur était-il encore possible de faire ?


µµµ


Un geste, vif et silencieux. Accroupis derrière une congère, Tekris fit signe à sa coéquipière qu’un duo d’assaillants se dissimulait derrière la masse déchiquetée d’un glacier aux reflets d’un turquoise tranchant. Opinant du chef, Zair lui transmit son assentiment, à quelques pas seulement sur la gauche de l’adolescent.

Ils agirent à la vitesse de la lumière, sans se soucier d’être doux ou véritablement discrets. Si Zane n’exagérait pas ses déclarations à propos des spectres d’Adriel, l’heure n’était pas à perdre de précieuses minutes en tentant de ne pas se faire repérer ! Des « pinces dévastatrices » jaillirent des mains de Tekris, fauchant ce qui ressemblait à une femme ne possédant plus qu’une peau parcheminée sur ses os tendus à craquer. Accompagnant l’attaque, une « étreinte mortelle » apparut sous la forme d’un serpent écarlate au corps démesurément long, invoquée par Zair, venant enserrer dans ses constricteurs anneaux la seconde créature, un homme pouvant paraître à peu près normal, excepté son visage absolument lisse.

Donc, Zane ne plaisantait pas sur ce point ; bizarrement, Zair ne s’en sentit guère satisfaite !

La première chose se relevant trop rapidement pour quelqu’un ayant été heurté par des « pinces dévastatrices », elle sortit l’un de ses poignards de la doublure de sa botte, la lame dépourvue de poignée venant se ficher entre ce qui serait, en temps normal, les yeux de l’inconnue. Celle-ci s’écroula sur elle-même, ses bras s’agitant convulsivement créant de larges traces dans la poudreuse recouvrant à peine la glace. Pour autant, elle ne semblait pas prête à admettre sa défaite.

– Hum… Tu n’y vas pas par quatre chemins, commenta platement Tekris, éberlué.

Le Code d’Honneur interdisant aux combattants l’usage d’armes autres que leurs X-Drives, le colosse ne savait, pour sa part, que manier avec plus ou moins de maladresse le bâton. Et encore par la force des choses.

– Beau tir ! ajouta-t-il néanmoins, retenant un petit sifflement.

Amplifiant sa force de frappe à l’aide de son kaïru intérieur, il écrasa son poing contre une colonne gelée de plusieurs centaines de kilos. Courant de sa main jusqu’au sommet, de nombreuses fissures en jaillirent, s’élargissant à mesure qu’elles remontaient. Dans un craquement, dont l’écho se répercuta dans toutes les directions à la fois dans le vide entourant les deux combattants, l’imposante masse céda, s’abattant impitoyablement sur la créature sur le point de réussir à se relever.

– Dommage que ça ne suffise pas à convaincre nos ennemis de rester à terre.

La jeune E-Teens lui accorda l’ombre d’un sourire, pensive. Ou plutôt, se força-t-elle à sourire, contrant tant bien que mal les frissons glacés remontant le long de son échine.

La confrontation ne dura qu’une poignée de secondes, deux minutes à tout casser ; pour autant, elle était certaine de ses sensations. Ces choses, quelles qu’elles soient, ne possédaient aucun espace-temps propre ! Comme si elles dépendaient entièrement d’Adriel, leur ligne de vie brusquement déchirée pour se greffer à une autre les dominant sur tous les plans ! Même en y passant des heures entières, Zair ne pensait pas être capable de retrouver ne serait-ce qu’une trace de leur ancien plan d’existence, entièrement supplanté par le lien les unissant désormais à le redoutable brune. Ou l’espace-temps d’Adriel envahissait-il les corps de ses créatures ? Depuis sa première rencontre avec la camarade de Teos, Zair se sentait dérangée par sa proximité, plus encore qu’avec les deux autres combattants traquant les Radikors (quoique, pouvait-elle bien parler de traque, quand les ennemis savaient exactement où les trouver ?), sans parvenir à déterminer exactement pourquoi. Mettant d’abord cette impression sous le coup de la dangerosité émanant de la jeune femme, elle parierait plutôt son attaque favorite que cela avait un rapport étroit avec ses marionnettes.

Dans un sens, il ne s’agissait pas que d’une mauvaise nouvelle : sans Adriel, ses serviteurs ne pourraient plus exister. D’un autre côté, justement, elle ignorait si la brune possédait la capacité de les réveiller, ou ramener à la vie, chaque fois qu’ils périssaient – difficilement – au combat.

– Que faisons-nous de celui-la ? fit Tekris, désignant l’autre se débattant avec l’attaque de Zair.

– Laissons-la ici. Elle ne pourra pas se délivrer sans aide extérieur, et je compte bien éliminer tout le soutien possible avant qu’une de ses amies ne vienne s’en mêler.

Ils continuèrent de progresser au pas de course, prenant garde à ne pas glisser quand la poudreuse extérieur ne révélait, quand l’imprudent posait le pied, qu’un piège de glace près à s’écrouler si l’on n’y prenait garde, décrivant un arc de cercle les éloignant de la forteresse.

Comment Adriel, voir Teos, surent-ils qu’ils n’étaient plus que deux dans les parages ? Sûrement pas grâce à des espions, les trois seuls adolescents habitant les lieux se connaissant depuis des années !

En deux autres occasions, l’effet de surprise leur permit de réduire à l’impuissance d’autres duo de marionnettes, Zair utilisant pour trois d’entre elles son attaque de l’étreinte mortelle, prenant cette fois garde à les bâillonner grâce aux anneaux de la créature kaïru. Revenir ligoter à l’aide de liens physiques toutes ces créatures risquait d’être pénible, hélas, pas question de s’attarder plus de temps que nécessaire.

Entretemps, Tekris annonça une autre mauvaise nouvelle. De nouveaux ennemis étaient apparus, les totalisant à six créatures encore en liberté, se rapprochant dangereusement de leur objectif. Le plus étrange, étant qu’une seule décidait de faire cavalier seul, plus rapide que ses congénères, au point d’avoir presque atteint les premiers murs de la forteresse. Inquiets, les adolescents ne purent que s’échanger un regard, reflet de l’angoisse tordant leur coeur, espérant à toutes forces que le bouclier érigé par Zair tienne le coup, le temps qu’ils achèvent leur tâche à l’extérieur.

Un troisième groupe s’approcha de leur position avec célérité, plus encore que les précédents. Histoire d’aider, les neutralisations voisines les prévinrent que quelque chose clochait, si Zair devait parier…

– C’est un trio, cette fois, souffla Tekris.

– Je suis vraiment désolée pour eux, rétorqua sa comparse. Vapeurs vertiges !

Restant un peu plus en hauteur, afin de ne pas se faire atteindre par l’attaque (ce n’était guère le moment d’avoir des étourdissements en prime), les Radikors scrutèrent la vallée en contrebas, donnant sur une plaine au sol irrégulier propice aux chausses-trappes et trébuchements malvenus. Juste au centre se tenait le trio, poussant de furieux rugissements en tentant de s’extraire du labyrinthe de brume crée par la jeune femme.

– Super cataclysme ! invoqua Tekris.

L’attaque kaïru, comme toute attaque rouge, se dirigea plus lentement que celle de Zair ; néanmoins elle fut hautement plus destructrice, ravageant l’environnement sur son passage en faisant apparaître gravats, coulées de terre et boue chaude, rebondissant en vague quand elle heurta le sol une première fois. S’ils se firent ensevelir, les serviteurs d’Adriel refusèrent, une fois encore, de s’avouer vaincus, poussant sur leurs corps couverts d’ecchymoses pour se sortir de ce piège.

À cet instant, Zair sentit un remous d’énergie remuer derrière elle. En d’autres circonstances, elle n’aurait probablement rien senti, mais la quantité de pouvoir apparaissant si furtivement, une fraction de seconde, fut si intense, qu’elle ne pouvait l’ignorer.

Un plissement de front intrigué avertit la jeune femme que Tekris le repéra également. Alors qu’elle commençait à peine à se retourner, elle invoqua d’instinct la Source, oubliant ses préceptes si péniblement inculqués au cours de ces années, contre-attaquant avant même de comprendre qu’il s’agissait d’une offensive. La vague d’énergie déployée par Adriel se fendit en deux sous la frappe de Zair, passant des deux côtés de son corps en soulevant un vent à l’odeur nauséabonde de pourriture. Toujours la même jeune femme, avec ce petit air arrogant peignant invariablement ses traits, n’était le long manteau sombre, dont les flancs ouverts battaient contre le vent, d’un bleu nuit bordé de fioritures exagérément couvrantes marron et grises, représentant toutes les scènes possibles et imaginables dans lesquelles put être intégré un symbole, centre de la broderie. Toujours le même ; un arsank, gigantesque si Zair se fiait aux décors.

Mais l’attaque orchestrée par le kaïru de Thiers envoya valser Tekris en arrière, le faisant chuter du promontoire, plusieurs mètres en contrebas.

– Tekris ! Non ! hurla Zair, fouillant désespérément les alentours à la recherche d’un signe de vie de son coéquipier.

Hélas, la fumée occultait toute sa vue, l’empêchant de voir à plus de quelques pas devant elle.

Ce fut suffisant pour esquiver la masse d’un ancien obèse désormais réduit à l’état de pantin, frappant sa poitrine d’un coup de pied retourné, enchaînant avec un « tremblement de terre » qui l’envoya au loin.

Un concert d’éclair déchira le ciel éternellement sombre, la foudre s’abattant tout autour de la jeune femme avec de plus en plus de précision. Encore une fois, elle réagit instinctivement, imaginant qu’il s’agissait seulement d’une « tempête foudroyante » en passant entre deux salves d’électricité. De sa main droite, elle fit jaillir une nouvelle frappe d’énergie, dirigée à l’aveuglette, là où elle pensait avoir vu Adriel se tenir.

Une vague de mélancolie l’envahit, quand elle distingua les filaments grisâtres se mêlant au bleu de son kaïru intérieur naturel. Une couleur qu’elle haïssait, et ne pensais pas revoir un jour.

Son attaque dut faire chou blanc, puisque le « déluge de foudre » d’Adriel ne cessa pas, se concentrant au contraire plus précisément encore sur elle. Trop rapidement.

L’adolescente laissa échapper un cri de douleur quand la foudre la frappa, surgissant sur son flanc gauche. Étourdie, elle eut à peine conscience de planer dans les airs, déduisant seulement que quelque chose clochait quand elle ne se retrouva plus prise au piège de la fumée soulevée par l’attaque d’Adriel.

Son souffle se coupa net dans sa poitrine quand son corps heurta un glacier. Sur le dos, elle crut entendre l’explosion d’une offensive kaïru, un rugissement résonnant à ses oreilles disparaissant soudainement. Elle ne bougea pas le petit doigt, immobile en rassemblant douloureusement ses pensées. Puis, son champ de vision s’obscurcit, et elle vit le visage de Tekris la regardant avec, dans les yeux, quelque chose qu’elle ne lui avait que très rarement vu. De la peur, une véritable peur viscérale.

Il l’aida à se relever, ne cessant de murmurer des paroles que l’adolescent ne parvint à comprendre dans le vacarme environnant. Il était vivant ! Certes, le colosse ne vivait pas le meilleur moment de son existence, et un bleu qui promettait d’être impressionnant se dessinait sur sa mâchoire, mais il n’avait pas péri sous les coups d’Adriel ! Une bonne nouvelle, vu qu’elle semblait avoir prit un chemin similaire.

– Par pitié, dis-moi quelque chose ! l’implora son coéquipier, passant un bras derrière son dos pour la soulever. Séisme sonique ! invoqua-t-il de sa main libre, envoyant promener un serviteur d’Adriel.

Ouvrant la bouche, seule une quinte de toux la secouant des pieds à la tête répondit à l’E-Teens, alors que Zair reprenait enfin une profonde inspiration. Douloureuse, mais elle ne mourrait pas tout de suite.

Quand sa gorge cessa de la gratter comme du papier de verre, elle put enfin constater la problématique de la situation. Si les trois serviteurs précédemment engloutis par le « super cataclysme » se débattaient encore sous les gravats, leur maîtresse, sautant souplement du perchoir sur lequel elle se tenait précédemment, les libéra d’une « frappe psychique » balayant la bourbe les engluant. L’obèse restait, fort heureusement, encore éloigné du bataillon, mais la combattante de Teos n’en paraissait guère inquiète. Au contraire.

Prenant sur elle, Zair termina de se redresser, toisant la grande brune avec dédain. Pesta intérieurement quand elle s’aperçut avoir perdu, dans sa chute, la figurine dragon.

– Félicitations, tu es incapable de te battre sans attaquer les gens par-derrière, siffla-t-elle. J’espère que tu ne t’attends pas à des applaudissements !

Quatre créatures leur faisait face, accompagnées de leur maîtresse. Si Zair ajoutait l’obèse, cela montait à cinq. Où était donc la dernière silhouette aperçue sur l’X-Reader de Tekris ? En embuscade ?

– Oh non, souffla Tekris, le regard tourné vers les hauteurs.

L’adolescente eut à peine le temps, en relevant le nez, de distinguer les formes des serviteurs réduits à l’impuissance auparavant, qu’elle poussa le colosse sur le côté.

Là où ils se tenaient précédemment, la glace explosa, projetant de tranchants éclats aux alentours. Une large fissure, facilement de la taille de Zair, s’y creusa, fragilisant la structure de la colonne turquoise la supportant. Face à eux, majestueuse de sérénité et de certitude, Adriel eut l’ombre d’un rictus.

– Explosion de photons ! cria la brune.

Ses mains luirent d’une aura insoutenable, deux rayons coruscants fusant de ses paumes. Encore une fois, Zair se concentra sur la kaïru de Thiers employé par la jeune femme, l’énergie de son propre corps prête à réagir au quart de tour. Plaquant la main en avant, elle stoppa net l’attaque, la renvoyant à sa combattante d’un ample mouvement du bras.

Elle ne laisserait pas cette misérable Daminienne blesser Tekris, dans une querelle ne le concernant absolument pas ! Pire, alors qu’il ne pouvait que difficilement se défendre contre un art de combat qu’il ne connaissait que depuis quelques mois, sans savoir comment le contrer !

En face, Adriel sauta sur le côté, l’un de ses serviteurs lui servant de bouclier humain au cas où elle ne serait pas assez rapide. Sur les hauteurs, les autres marionnettes de la jeune femme sautèrent dans le vide. Droit sur les Radikors. Zair ne s’autorisa à respirer que quand elle eut la certitude que Tekris échappa à l’impact, usant de sa vitesse accélérée pour leur échapper.

– Alors comme ça, tu es capable de manipuler le kaïru de Thiers ? résonna soudain la voix moqueuse d’Adriel. C’est donc bien toi, le phare dans la nuit !

La Daminienne éclata d’un rire sauvage, écartant les bras alors que ses serviteurs, dans une seule et même nuée, se précipitait à l’attaque des deux Radikors.

– Et dire que j’ai osé avoir des doutes ! Quelle chance pour toi, que j’ai reçu l’ordre de te garder en vie… pour l’instant ! (les traits de l’adolescente se tordirent en un rictus de mépris et de haine) Alors que tu as osé briser le Tabou de la Mort ! Rends-toi immédiatement, et je ne ferais aucun mal à ton serviteur. Je sais reconnaître et apprécier quelqu’un qui prend soin de ses domestiques, et quand ceux-ci le leur rend bien.

Le plus révoltant, ou surprenant, étant que la brune fut parfaitement sincère en prononçant ses paroles ; ou, du moins, le parut-elle. Zair, le crâne menaçant d’exploser et le coeur au bord des lèvres, tentait de se concentrer sur n’importe quoi, plutôt que les déclarations d’Adriel.

– Il n’est certainement pas un domestique ! C’est mon égal, que tu le crois ou non !

– Vraiment ? Eh bien, je vais être obligée de le ramener au Dôme avec moi.

Pas devant Tekris, pas comme ça… Alors elle ne se trompait pas ; ce fut bien à cause d’elle que le satané trio, et surtout le Dôme, parvint à retrouver leur trace…

Mais elle n’avait pas eu le choix ! Ou, si, il en existait bien un, mais tellement cruel !

Comme anesthésiée, elle sentit à peine Tekris l’empoigner fermement. Tout comme elle réalisa à peine le clouer sur place d’un index posé sur son épaule.

N’ayant en tête que le désir de fuir, de ne plus devoir supporter le sourire railleur et mesquin d’Adriel, l’adolescente sortit du temps.

L’environnement se distordit, et les deux E-Teens furent soustrait de la vue de la brune.


µµµ


À la manière d’un automate, Zair se laissa dériver, loin, très loin, des steppes glacées de l’ancien repaire de Lokar. Plus loin encore des créatures d’Adriel dont elle percevait les cris, juste derrière eux, et des manipulations de leur maîtresse. Elle se revoyait dans cette forêt, lors de la si fameuse, et si détestable, mission, là où tout avait commencé. Là où elle avait sciemment brisé le Tabou, juste parce qu’elle refusait une vérité affreuse, et injuste, perdue dans sa peine.

Elle n’arrivait pas à se mettre en tête que Zane allait aussi bien, et se remettait doucement de sa blessure récoltée par la foudre. Entre deux combats et imprévus, bien entendu.

Quand les deux Radikors trouvèrent enfin leur chef, après sa chute des arbres géants, le choc les figea sur place. Étendu sur le sol, la poitrine gravement brûlée au point que la peau en était cloquée et noire, Zane ne s’était guère relevé pour les invectiver, ou remettre l’échec de la mission sur le compte de leur incompétence, comme il tendait à le faire depuis qu’il retrouva le X-Reader de Lokar. Aucun des deux n’avait pu d’abord le croire. Puis,cette affreuse odeur de viande rôtie monta aux narines de l’adolescente, étrange, puisque aucun animal capturé par le peuple vivant dans les arbres ne pouvait cuire, à cause des orages incessants ayant secoués la région suite à l’apparition du kaïru obscur. Et elle avait vu ses yeux.

Mi-clos, figés…vides. Tout d’abord son imagination inventa les hypothèses les plus folles et improbables pour justifier cette absence totale de réaction, quitte à penser qu’il élaborait une nouvelle technique destinée à faire culpabiliser les coéquipiers de l’irascible adolescent. Malgré elle, son cerveau la força à réaliser la vérité étalée devant son regard, insupportable. Elle avait refusé d’y croire, secouant Zane de toutes ses forces, hurlant en silence au plus profond d’elle. Aucun son ne franchissait la barrière de ses lèvres désespérément closes.

Ne le voyant pas réagir, elle y était allé plus doucement, lui parlant d’une voix tremblante, ses cordes vocales acceptant enfin de se remettre à fonctionner. L’appelant en lui ordonnant de lui répondre. Elle avait senti la main de Tekris se poser sur son épaule, l’écarter avec précaution. Elle avait perçu le léger tremblement qui l’agitait, en dépit de sa tentative d’être ferme. Mais elle s’était poussée tout de même.

Faisant tout pour ne pas voir l’affreuse blessure qui s’étalait le long de son buste, alors que Zair ne voyait qu’elle, le colosse posa la main sur le cou du garçon qui fixait le soleil revenu sans le voir, cherchant vainement un pouls qui ne vint jamais.

Alors, les poings serrés, il s’était relevé, la prenant par les épaules, alors qu’elle le regardait en le suppliant du regard de ne pas lui dire ce qu’elle pensait, ce qu’elle savait pourtant vrai. Mais il avait péniblement rejeté ses suppliques muettes, évitant de croiser les iris vert pâle. Puis les quelques paroles, les plus douloureuses de l’existence de la jeune femme, sonnèrent telles un glas à ses oreilles, lui disant d’une voix mortifiée qu’il n’y avait plus rien à faire désormais, qu’elle ferait mieux de passer devant pour ouvrir le chemin pendant que Tekris se chargerait de lui (il avait buté sur ce mot, elle s’en souvenait très bien, et avait failli dire « le corps »). Elle n’avait pas esquissé un seul geste, choquée. C’était impossible, ce n’était qu’un affreux cauchemar. Zane ne pouvait pas partir comme ça, de cette manière, pas après tout ce qu’ils avaient vécu pour en arriver là ! Pas quand les coups et les rabaissements continuels ne le faisaient guère seulement baisser les yeux ! Pas sans avoir accompli son satané rêve de dominer la Terre (ou l’Univers selon son humeur), le seul moyen pour lui d’exorciser son enfance méprisée durant laquelle il ne possédait aucune perspective d’avenir, le cou enserré d’un collier l’empêchant d’utiliser ses pouvoirs hérités de la branche maternelle. Trop dangereux, disait les gens de leur entourage, alors que Zane et Zair s’arrangeait pour se retrouver en cachette presque chaque jour, sans que rien de dommageable ne soit jamais arrivé à la fillette qu’elle était.

Elle avait reporté son regard sur le corps allongé. Non, la position était bien trop naturelle pour être…mortelle ! Une jambe pliée en appui sur le sol, un bras le long du corps, l’autre en travers de son ventre, et la manière dont la tête était tournée, comme s’il regardait le ciel au travers des feuillages, rien ne pouvait indiquer un drame. Tandis que Tekris tentait de la tirer à l’écart, elle vit de nouveau ces yeux vitreux, vides, sans cette impulsivité qui caractérisait l’adolescent. Elle les détesta. Tout comme elle détesta l’odeur de chaire brûlée dont les relents lui arrivèrent soudain plus clairement aux narines, qui lui donnèrent envie de vomir. Et elle sentit toute sa colère, sa haine, comme elle n’avait pu en ressentir autant auparavant, l’envahir devant ce qu’elle voyait comme une injustice, en même temps que la peine et un chagrin, si grand, que son corps tout entier ne saurait le contenir. C’était, en dépit de tout, son grand frère qui gisait là ! Il était… parti seul, sans personne pour lui tenir la main, ou l’assurer qu’il tiendrait le coup alors que l’on savait parfaitement qu’il s’agissait d’un mensonge. Trop brutal, trop soudain ! Une heure auparavant, il riait à gorge déployée des vains efforts des Stax pour le vaincre, et maintenant…

Derrière la souffrance et la colère, une résolution venait de prendre place dans son esprit. Repoussant Tekris sans ménagement, elle revint jusqu’à Zane, hypnotisée par ces yeux toujours vides.

Elle se promit d’y ramener la vie.

Faisant voler en éclat toutes les précautions prises devant des années, elle lâcha les vannes de son kaïru intérieur, laissant son pouvoir terriblement voyant se déverser dans ses veines. Plaçant les mains au-dessus de la poitrine de Zane, elle concentra toute son énergie sur la plaie affreuse, invoquant toute l’énergie dont elle était capable, se rappelant des étranges capacités de son énergie interne, cette capacité à manipuler ce qu’elle appelait instinctivement les espace-temps, mobilisant tous ses souvenirs sur les leçons reçues pour apprendre à le canaliser, cherchant en quoi cela pouvait l’aider à sortir son Zane de son sommeil corrompu.. Elle était capable de guérir cette ignoble plaie, ignorant la procédure à suivre, mais il le fallait ! La notion de choix n’intervenait pas, en cet instant précis, seule la nécessité comptait, et peu lui importait de briser un Tabou venu d’un peuple qui pouvait bien être voué aux gémonies, que jamais personne n’entendit que quelqu’un revint à la vie sans en payer le prix. S’il en était ainsi, elle serait la première à réussir cet exploit, considéré comme une ignominie impensable par tous les maîtres kaïru possibles !

À partir de ce moment, et jusqu’au retour de Zane, ses souvenirs restaient plus flous. Elle avait cessé de penser rationnellement, se concentrant uniquement sur sa tâche, sans même verser une larme. Elle avait d’abord réussi à diminuer la gravité de la brûlure ignoble, mais le corps de son chef, de son frère, resta inerte. Si elle s’en souvenait bien, à ce moment, Tekris avait essayé de lui faire entendre raison, mais elle avait refusé d’écouter ses balivernes d’un bon sens inutile. Elle avait puisé dans ses réserves, elle s’était dépassée, canalisant bien plus de kaïru en une fraction de seconde que n’aurait pu le faire le Redakaï, au point que Tekris, ébahi, avait vu l’énergie sacrée former un halo autour d’elle, ondulant furieusement autour du corps frêle de l’adolescente. Elle avait imaginé ce cœur qu’elle devinait sous la peau battre, lutter, refuser de céder, ne pensant pas aux séquelles, l’air rentrer dans ces poumons inertes depuis déjà plusieurs minutes, la chaleur émanant habituellement du jeune homme, réchauffer cette peau tiède, trop fraîche. Imaginé le temps revenir en arrière pour l’adolescent, l’éclair ne l’ayant jamais frappé, l’odeur de chair brûlée n’ayant jamais existé !

Et elle avait réussi l’impensable.

Une barrière avait cédée en elle, faisant passer son kaïru intérieur de son corps à celui du garçon près d’elle, le halo autour d’elle brillant intensément, au point que Tekris dû se protéger les yeux dans un dernier appel à sa conscience.

Quand Tekris pu enfin les rouvrir, lui raconta-t-il par la suite, il se précipita pour récupérer la jeune femme, tenant à peine sur ses jambes,tandis qu’elle demandait inlassablement si elle avait réussi à le ramener. La dernière chose dont elle se souvenait à partir de là, et jusqu’à son réveil le lendemain, c’était la voix de Tekris pétrifié, lui disant :

-Tu l’as fait Zair, Tu…il est vivant, faible, mais vivant ! Tu es la fille la plus incroyable de l’Univers !

Exhalant un soupir de soulagement, Zair se laissa aller au creux de l’étreinte puissante de son coéquipier, sombrant dans les limbes qui l’appelaient à un repos nécessaire.

Deux jours après, elle avait pu se remettre debout, récupérant à une vitesse étonnante en dépit de toute l’énergie dépensée. Une autre caractéristique de son kaïru intérieur, qu’elle partageait avec Zane. Discutant dans la salle commune, elle avait cru entendre Zane les appeler. Et si son cœur en avait fait un bond de joie, elle n’avait pas oublié de se mettre d’accord avec Tekris sur le fait qu’il valait mieux garder ce qui s’était passé dans la petite clairière entre eux.

Depuis, ils n’en avaient pas reparlé malgré les questions silencieuses de Tekris quand il posait son regard sur elle, excepté quand ils évoquèrent ce moment durant leur mission sur l’île de Pâques. C’était sûrement pour cela qu’elle le surprenait souvent en train de l’observer en ce moment, songea-t-elle, sans même y croire. Elle était heureuse que Zane ait survécu, bien entendu…mais avec le recul, elle réalisait pleinement ce qu’elle avait fait.

Elle avait ramené un mort à la vie, même si cette formulation lui était encore douloureuse. Sans avoir la moindre idée de ce qu’elle venait de faire. Sans réussir à reproduire cet « exploit » en manipulant les espaces-temps de chaque objet lui tombant sous la main.

Le simple fait d’y repenser remontait la bile dans sa gorge, saveur âcre et douceâtre, écoeurante, brûlant son palais avec amertume. Regrettait-elle d’avoir cédé à une impulsion commandée par un esprit refusant d’admettre la vérité ? Assurément non, aussi fou cela lui paraissait-il.

En dépit de toutes les horreurs qu’ils purent s’échanger en quinze années de vie commune, toutes les injustices commises par l’un ou l’autre, la disparition du lien réunissant frère et sœur pour un substitut de servitude entre un chef d’équipe et sa coéquipière, Zair réveillerait des milliers de morts si cela lui permettait de garder Zane près d’elle. Devait-elle être folle pour s’acharner à rester près de lui…

Le bruit d’un estomac secoué plus violemment qu’une cannette de pétillant dans un siège de montagnes russes coupa net ses pensées.

Quelle idiote ! Comme si elle avait le temps de s’abîmer dans ses culpabilités et ses doutes !

La nécessité, encore elle, stoppa ses morigénations internes. Trottinant, elle rejoignit en quelques foulées son coéquipier, s’inquiétant de son teint verdâtre, trop inhabituel pour la rassurer. Se soutenant d’une main contre une dent effilée surgissant de la plaine résonnant de craquements inquiétants, Tekris semblait peiner à tenir sur ses jambes, une main plaquée sur sa bouche étouffant un haut-de-coeur peu reluisant.

– Mais qu’est-ce que c’était que ça ? hoqueta-t-il, les sourcils exagérément écarquillés. J’ai vu… Je ne sais pas, mais j’ai bien cru en devenir fou ! Si je n’avais pas fermé les yeux…

Serrant de nouveau les dents, il ne finit pas sa phrase ; néanmoins sa grimace en disait long sur son idée.

– C’est pas vrai, gémit l’adolescente, je suis désolée, vraiment ! J’ai pas réfléchi, il y avait Adriel, ses serviteurs, il fallait fuir, et… Oh, bon sang, je ne t’ai pas prévenu, et, mais qu’est-ce que j’ai fait ?!

– Ça je ne sais pas, l’interrompit Tekris, enfin faut dire que je ne comprends pas grand-chose en ce moment. (prudemment, il se redressa, attendant la certitude de pouvoir continuer sans rendre son déjeuner pour reprendre la parole) Mais ce n’est pas grave, nous sommes hors de portée, et je vais bien.

– Tu ne saisis pas ! À cause de mon inconscience, il aurait pu t’arriver… Eh bien, en fait, je crois que tu ne veux pas le savoir à la réflexion, acheva piteusement Zair, baissant le regard sur ses mains. Tout ça parce que… j’ai paniqué, stupidement !

– Nous verrons ça plus tard, reprit Tekris. Là, le plus important est de reprendre le combat. Adriel ne nous laissera pas partir comme ça (d’un geste, il lui fit signe de ne pas l’interrompre). Ne crois pas que je me fiche de ce qui est dit à demi-mots, tu n’échapperas pas à mes questions une fois ces crétins boutés hors de notre territoire. Je pense avoir mérité quelques explications…

Posant une main, tiède et tendre, sur la joue de l’adolescent, il la poussa à relever le menton, plongeant son regard métallique dans le sien. Le souffle coupé, Zair put seulement constater l’absence totale de colère dans ces lunettes dissimulant les iris de son camarade. À sa place, cela ferait belle lurette qu’elle aurait exigé de connaître la vérité sur ses liens avec l’étrange équipe les poursuivant.

Mais le colosse, lui, ne s’inquiétait que de terminer leur chasse, acceptant de remettre à plus tard les réponses qu’il prouva, à plusieurs reprises, être justifiées.

– Tu as raison, approuva-t-elle. Et je te promets de ne pas te mentir, dans la mesure du possible.

– Comme c’est adorable, railla soudainement une voix qui n’avait de chaleur que son timbre naturel. Alors c’est vrai, vous êtes des égaux ? Laissez-moi vous féliciter comme il se doit : éclat de feu !

Un torrent de jets de flammes, toutes entourées d’une aura grisâtre leur conférant une apparence plus sombre qu’elle ne devrait l’être, se précipita vers les deux adolescents. S’écartant en catastrophe l’un de l’autre, ils sautèrent sur le côté, roulant sur le flanc pour pouvoir se redresser dans le même mouvement.

Si Zair choisit de rester en position accroupie, au cas où il lui serait nécessaire de bondir pour échapper à une nouvelle offensive de la brune, Tekris se campa solidement sur ses jambes, une colère plus noire que la peau d’Adriel déformant ses traits habituellement si calmes, voir goguenard. Si l’adolescente pensa furtivement qu’elle ne le vit jusque là jamais autant envahi par la rage, songer qu’il y avait une chance que son origine se trouve dans les marques que lui laissaient les offensives d’Adriel ramena un peu de confiance, de détermination en elle.

– Coup de rocher ! hurla le colosse, bombardant leur adversaire sans répit.

Du coin de l’oeil, Zair distingua une forme gris-orangé courir vers son coéquipier, l’attaquant sur les côtés tandis qu’il s’occupait de l’autre jeune femme.

Des liens de plasma ! réalisa-t-elle.

– Scie antimatière ! fit-elle à son tour, privilégiant l’énergie commune aux combattants de l’Univers en ignorant tant bien que mal son désir grandissant d’utiliser le kaïru de Thiers.

Alors que les deux armes tranchaient les formes kaïru visant à emprisonner le colosse, d’autres liens surgirent de derrière les amas de glace jonchant l’entièreté du paysage. Zair, mains encore en avant d’avoir lancé son attaque, n’eut pas seulement la possibilité d’échapper à leur étreinte. En une fraction de seconde, ses poignets furent entravés. Trop tard, encore, elle comprit être tombée dans le piège d’Adriel.

Les serviteurs de la brune manipulant ces liens tirèrent d’un coup sec, écartant ses bras de part et d’autres de son corps. Étouffant entre ses dents un grognement de douleur, elle planta ses ses pieds dans le sol. Hors de question de tomber face contre terre à cause de cette traction. Elle ne ferait pas, en plus, ce plaisir à Adriel !

Voyant son amie prise au piège, Tekris frappa le sol de ses poings, invoquant un « tremblement de terre » pour déséquilibrer ses propres assaillants. Tournant le dos à ceux qu’il croyait à terre, ses lèvres formèrent le début de l’attaque « chute de foudre ». Une attaque verte, les plus rapides, et suffisamment précise pour atteindre les marionnettes sans la toucher, elle.

Oui, vraiment l’attaque idéale… si d’autres liens ne fusèrent à leur tour, emprisonnant les poignets, les mains, la gorge, tout ce qu’ils pouvaient du colosse. Furieux, Tekris se débattit avec violence, prenant entre ses doigts l’une des « corde », l’attirant vers lui d’un violent mouvement du bras. Déséquilibrée, la femme pourtant corpulente à qui il appartenait finit le nez dans la neige.

Hélas, l’obèse, enfin revenu de son vol plané, s’immisça à son tour dans la danse, couvrant le torse de l’adolescent de liens. Rugissant de rage, écartelé dans toutes les directions, Tekris patina dans le verglas, luttant lui aussi pour rester debout. Trois autres liens furent nécessaire, avant qu’il ne soit à son tour immobilisé, haletant et les prunelles luisant d’un éclat dangereux.

Impuissante, maudissant la nature de ne pas l’avoir doté d’une carrure plus impressionnante, Zair s’arc-bouta contre ses propres entraves, impitoyablement étirée par les autres compagnons de la brune. Elle en aurait pleuré de rage, contre Adriel, contre sa stupidité, contre sa faiblesse de ne pouvoir se résoudre à fuir en laissant Tekris derrière elle, alors que la raison le lui hurlait mentalement à pleins poumons !

Le vert de ses yeux toisa avec haine la haute silhouette, pour une femme, de l’objet de son ire, s’approchant d’elle, l’E-Teens réunit la salive restant dans sa bouche sèche. Attendant de l’avoir à portée de tir, elle lui cracha au visage, au moment où la brune s’apprêtait à parler.

Zair n’éprouva absolument aucune peur, même quand le visage de sa vis-à-vis s’assombrit dangereusement, avec dans le regard la promesse de lui faire payer cet acte humiliant.

Adriel essuya avec une lenteur exagérée sa joue, sans cesser de la fixer, ignorant les promesses de souffrance venues de Tekris, si jamais elle touchait à un seul cheveu de l’adolescente à la chevelure rouge. Tous ses muscles faciaux se contractèrent, une seconde avant que son poing ne s’enfonce dans le ventre de la Radikors.

Le souffle coupé, Zair se força à continuer de la regarder droit dans les yeux.

– Tu te crois sûrement maligne ? ricana Adriel, prenant son menton dans sa paume. Peut-être tentes-tu de profiter du fait que je t’ai avoué ne pas pouvoir te tuer. Effectivement, tu deviendrais une martyre, ajouta-t-elle, comme perdue dans ses pensées.

Son égarement ne dura guère, et très vite, elle fixa de nouveau l’adolescente, peinant à rester debout.

– Mais ça ne m’empêche pas de te faire comprendre où est ta place, susurra la brune.

Elle tira son X-Reader, un modèle un peu moins large que ceux utilisés par les combattants de Lokar et du Redakaï, en pointant l’extrémité sur le visage de l’E-Teens.

– Je me demande si ton cher « égal » t’appréciera autant si tu es, fort malencontreusement, défigurée, fit Adriel, tapotant faussement pensivement sa joue d’un index.

La lueur grise illuminant la pointe de l’appareil obligea Zair à clore à demi ses paupières.

Déglutissant péniblement, elle sentit un fort sentiment d’injustice, teinté d’inquiétude (et si Tekris décidait de ne pas la pardonner de ses mensonges, avec ce qu’il se passait ? Comment réagirait-elle ? Une question à laquelle elle n’avait pas de réponse), marteler sa poitrine.

Alors quoi, tout allait se finir ainsi ? Sans que Zane ne sache ce qu’il se passait ?

Soudainement, un cri trancha le silence installé, Adriel savourant sa victoire, uniquement troublé par les vociférations de Tekris.

– Rafale de l’oubli !

Un front de carré rouge-rose tournoyant se précipitèrent sur Adriel, grossissant au fur et à mesure qu’il se rapprochait. Pas assez rapide pour esquiver, la brune se retrouva projetée sur plusieurs pas, criant de surprise. Durant le court répit, quand elle se prit le crâne à deux mains, les « rafales de l’oubli » se révélant particulièrement offensives, une nouvelle exclamation retentit.

– Lame foudroyante !

Plusieurs armes blanches, facilement de leur taille, foncèrent vers Zair et Tekris.

Levant les poignets à hauteur de ses yeux, la première eut du mal à y croire, quand elle les vit débarrassés de leurs liens. Tournant la tête vers Tekris, elle fut surprise de le trouver si près d’elle, en si peu de temps.

– Tu vas bien ? demanda-t-il immédiatement, l’inquiétude lisible sur son visage.

– Je crois, mais qui… commença l’adolescente.

– Ohé ! Par ici ! claironna une troisième voix, légèrement en surplomb.

Sursautant, Zair braqua son regard vers leur interlocuteur, imitée de Tekris. Ce n’était pas le ton de Zane, plus aigu, alors qui pouvait bien…

Incrédule, elle crut sérieusement être en train de faire un cauchemar des plus désagréable.

– Ekayon ? s’exclama le colosse, traduisant sa propre incompréhension.

– Le septième point ? fit Zair pour sa part.

– Lui-même, confirma le solitaire, goguenard. Bon, vous me remercierez avec déférence plus tard, je crois que votre copine est en train de se remettre de mon attaque. Sans parler de ses petits copains.

Suivant la direction qu’indiquait le combattant, les E-Teens virent Adriel, tout sourire effacé de ses lèvres, se remettre promptement sur pied. À ses côtés, formant une haie d’honneur létale, ses serviteurs attendaient le plus petit ordre de leur maîtresse, afin de se jeter sur leurs proies. Et vu l’expression de la brune, elle ne perdrait cette fois pas de temps à s’amuser avec elles…

– Peu importe, fit fermement Zair. Nous éclaircirons toute cette histoire plus tard.

Sans attendre l’assentiment de Tekris, elle gravit la pente avec souplesse, tendant malgré tout l’oreille pour s’assurer de la présence du colosse derrière elle. Ce n’était pas le moment qu’il joue au héros en voulant la venger, se jetant sur Adriel comme un chien enragé.

Néanmoins, son humeur plongeant en flèche au fil des heures, Ekayon avait intérêt de posséder une bonne raison de venir ici ! Et qu’il ne prétende pas vouloir se rafraîchir les idées, ou autre provocation dont il avait tellement l’habitude !


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Bonjour, ou bonsoir !


J’espère que ce chapitre vous aura plu, en dépit de son retard ! N’hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé dans les commentaires, ça me fait toujours plaisir !


Sur ce, bonne journée/soirée, et à bientôt !


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