L'Arche du Péché

Chapitre 24 : Divergences temporelles

11472 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 18/01/2021 20:48

Divergences temporelles


Garder les Hiverax dans son champ de vision se révéla rapidement impossible pour l’irascible adolescent. Bien qu’il suivit visuellement l’étrange équipe de triplés aussi longtemps qu’il lui fut possible, Zane finit par les perdre de vue au bout de presque une heure. Ouvrant grand les yeux et les oreilles, l’astre diurne à peine suffisamment puissant pour réchauffer la peau verte du frileux garçon, l’X-Reader tenu en main se révéla précieusement utile dans sa traque pour retrouver l’équipe inconnue. Voir indispensable, tant les pythons rocheux au sein desquels ils s’enfouirent progressivement se révélèrent touffus. En plus de suivre la trace de la grande quantité de kaïru récoltée – que cela lui fut pénible d’y penser une nouvelle fois ! Tant d’énergie entre les mains de ses ennemis ! –, l’appareil hérité de Lokar sembla réussir à repérer les Hiverax en tant qu’eux-mêmes. Oh, relativement imparfaitement, et quand aucune interférence ne venait troubler le signal sous la forme d’un temps désagréablement lourd, mais suffisamment pour éveiller sa curiosité. L’électricité statique ne cessait de venir redresser les petits cheveux ayant le malheur de s’écarter de son épaisse chevelure en reposant sur sa nuque, et le résultat se révéla pire encore quand, agacé de devoir écarter sa mèche recouvrant son œil gauche, parce que des filaments bleutés s’égaraient entre ses lèvres, il décida de passer une main gantée sur son crâne pour discipliner le tout. Bien au contraire, cela rendit sa coiffure plus folle encore, et l’adolescent n’eut guère besoin d’entortiller une mèche autour de son doigt pour deviner qu’elle se collerait au tissu telle une sangsue !

Outre le désagrément manquant le faire jurer abominablement, le grain semblant se préparer au sein du ciel plombé, envahi de vagues cotonneuses grises foncées, puis noir, avant de retourner au blanc relatif s’étendant tels des voiles soulevés délicatement par la brise, éveillait de bien mauvais souvenirs. Combiné aux échalas de rochers instables qu’il considérait d’un air méfiant, cela ne lui disait rien qui vaille. Seulement cinq minutes auparavant, il avait entendu le grondement caractéristique d’un éboulis dévaler la pente abrupte, en même temps que la roche vibrait sous sa paume. Tous les signes annonciateurs d’un orage des plus classique à première vue. Cependant, Zane tendait à se méfier du tonnerre depuis qu’il précédait une tournure des évènements à un vinaigre des plus acide, avec ou sans ses coéquipiers. Une autre manipulation du type coincé dans son univers suspendu entre l’espace et le temps ?

Interprétation, une nouvelle fois, des plus subjective, mais qui lui parut correspondre à merveille. Hélas, en plusieurs semaines, Zane n’était parvenu à retrouver la trace du trouble-fête. Méditation, concentration et autres techniques plus spirituelles que ses aptitudes ne lui apportèrent aucune réponse, l’enrageant plus encore. Au moins, cela lui permit de trouver un palliatif à l’ennui manquant de le ronger par moments, son caractère impulsif ne supportant que difficilement l’immobilité et l’inaction. Quand, bien entendu, quelconque désagrément ne venait troubler sa concentration pour le mettre en rogne. Toujours était-il qu’il en revenait au même point : aucun indice ne venait l’éclairer sur l’identité de l’inconnu.

Nous sommes reliés, a-t-il dit, songea l’adolescent morose, tandis se dissimulait derrière un renfoncement de granit brut, veiné de stigmates couleur rouille.

D’accord, mais qu’est-ce que cela pouvait bien signifier ? Lui ne se sentait pas du tout attaché à qui que ce soit, au contraire ! Plus le temps passait, et plus la perspective de mener l’ensemble de l’Univers à la baguette revenait titiller ses pensées. Mais en dépit de la confusion menaçant de le faire hurler de frustration, il devinait que la véritable identité de cet homme était la clé de plusieurs des mystères prenant place dans sa vie actuelle. Tout comme il entrevoyait avec de plus en plus de clarté l’importance qu’eut la première mission qu’il effectua avec l’X-Reader de Lokar en sa possession.

Machinalement, il plaça sa main gauche sur son œil. Encore une fois, les contours du paysage se floutèrent, rendant la forme des arbustes pourtant proches brouillée. Au contraire de son passage en Islande, où la neige éblouissante agressait sa rétine, la pénombre obombrant les environs le rendait presque aveugle, au point qu’il dut plisser le front afin de se repérer. Pourvu que sa vue ne continue pas à baisser, il avait tout sauf le temps de consulter un ophtalmologiste. De toute façon, il ne faisait jamais confiance aux humains.

Il ne put en découvrir davantage : pas de tracé plus précis concernant l’image qu’il devinait imprimée sur sa rétine, pas de révélation miraculeuse. Pourtant, il se sentait sur le point de mettre le doigt dessus, comme un détail à la périphérie du champ de vision que l’on ne parvient pourtant pas à capturer, même en tournant la tête.

Grognant de frustration, Zane pencha le buste, vérifiant l’absence de Hiverax dans les parages. Aucun visage affublé d’une peau grisâtre ne venant troubler les lourdes racines s’agrippant avec une facilité déconcertante aux parois abrupts de pierre, effritées par endroit sous le poids de ces serpents végétaux, il reprit son chemin, lorgnant l’écran de l’appareil tenu dans sa main droite. Par précaution, le propre X-Reader de l’adolescent était en sécurité dans sa poche dimensionnelle, lui permettant de progresser sans craindre de l’égarer. Juste au cas où. Il doutait d’avoir besoin de s’en servir, mais il avait retenu des évènements récents à ne pas se fier uniquement à la logique.

D’autant plus qu’il ignorait quand sa vision d’un Lokar scarifié, mécontent de ses agissements, viendrait lui reprendre son bien, se produirait. N’ayant pu voir très précisément l’endroit dans lequel le Maître et l’ancien élève se retrouveraient, celui-ci préférait garder quelques cartes en main. S’il parvenait à maîtriser de nouveau toutes ses attaques, et pas seulement celles issues du kaïru obscur, son X-Reader ne serait plus au bord de l’inutilité. Pourquoi ne pouvait-il pas conquérir le monde une bonne fois pour toutes, sans avoir à se soucier d’un millier de tracas ?! Le pire étant que, trop enragé par cet état de fait, Zane refusa catégoriquement de se pencher sur la question, s’efforçant de maîtriser le plus finement possible Bruteron et ses aptitudes. Cela n’avait rien à voir avec une quelconque crainte de perdre ses pouvoirs, pas du tout !

Encore un coup du type à la capuche, bien sûr ! Chaque fois que cet homme apparaissait, outre pour lui apporter des ennuis tous plus profonds les uns que les autres, une inexplicable sensation l’accompagnait, une chose intangible qui, chaque fois, le poussa à relever le regard en sa direction. Sans être un expert dans ce que Zair appelait les « espace-temps » (intérieurement, cela le vexait d’ailleurs quelque peu qu’elle ait attendu tant de temps pour lui en parler), ou même en perception d’énergie, il ressentait que quelque chose clochait avec ce type, quelque chose d’anormal, aussi subjective cette notion puisse-t-elle être.

Tout ce dont il se sentait à peu près sûr était que l’autre ne se situait pas exactement dans le même plan d’existence, mais se promenait dans une dimension bizarre accessible seulement sous certaines conditions. Une petite indication pour l’aider à éclaircir ce mystère n’aurait pas été de refus.

Sautant souplement au-dessus d’une faille tranchant le chemin sur plusieurs mètres, Zane attendit de faire quelques pas supplémentaires avant de reprendre le fil de ses pensées. Le point symbolisant l’énorme quantité de kaïru récoltée par les Hiverax choisit pile ce moment pour s’immobiliser, quelque part au sein même du pic rocheux sur lequel l’adolescent crapahutait de mauvaise grâce. Enfin, aucune autre interprétation ne justifiait la position de l’équipe, en tout cas.

Génial, il allait en plus falloir chercher un moyen d’accéder au cœur de la roche. Vraiment fantastique, ajouta-t-il pour lui-même, levant les yeux vers le sommet arrondi. Pas étonnant que les Hiverax ne soit intervenus si rapidement sur le lieu de la relique, leur repaire ne se situait qu’à quelques dizaines de kilomètres des rizières. Bande de tricheurs !

Dissimulé derrière sa large capuche, le visage de cet inconnu ne risquait pas de lui dire grand-chose. Physiquement, en élargissant, il ne connaissait que bien peu de choses de lui. Un adulte, visiblement, assez costaud pour lui coller une droite qui laisserait Zane étourdi, et des vêtements grossiers tout en étant entretenus. Le détail le plus important restant sa peau, d’un vert clair proche de la sienne, aussi mince cela soit-il. Certes, les personnes possédant une telle teinte de chair ne couraient pas les rues de l’Univers, mais ce n’était pas un indice probant s’il n’était pas possible de le relier à autre chose. Quoi qu’il en soit, Zane le détestait aussi puissamment que possible. Et pas seulement parce qu’il lui rappelait vaguement sa propre mère.

Pas le moment de penser à… elle. Concentre-toi sur ta mission !

D’accord, il laissait de côté toutes ces considérations… mais y avait-il une chance qu’elle soit en vie, quelque part ? Il lui restait pas moins de dix ou vingt vérités à lui balancer à la figure. Mourir sans avoir pu les lui dire remontait immanquablement un arrière-goût de bile au fond de sa gorge.

Soudain, l’icône indiquant les Hiverax s’évanouit de l’écran de l’X-Reader, ne lui laissant qu’une carte en deux dimensions des lieux, raisonnablement précise mais parfaitement inutile dans son cas puisqu’elle ne répertoriait pas les entrées et sorties du pic rocheux !

Inutile de s’attarder sur les limites des X-Readers, se morigéna Zane. La disparition brutale de l’énergie indiquait sans aucun doute que les Hiverax venaient de la délivrer à leur Maître, quel qu’il soit.

Frissonnant, l’adolescent se demanda si ce jour allait signer celui de sa rencontre avec son ancien Maître.

Peu importe, je ne me laisserait pas humilier comme il le désirerait !

Le ciel se déchira, traversé par un éclair de feu, une fraction de seconde avant qu’une pluie diluvienne ne s’abatte sur les troncs pendus entre roche et vide. La luminosité brutale irritant sa rétine fragile, Zane ferma sa paupière gauche, baissant le nez vers le sentier s’esquissant un peu plus bas. Lors de sa poursuite des Hiverax, il avait remarqué cette bande de terre serpentant contre le flanc de l’une des parois rocheuses, une quinzaine de mètres plus bas. À peine assez large pour que deux personnes y circule de front, le sentier ressemblait toutefois à une promenade taillée à même le minerai, destinée aux visites touristiques, ou toute autre activité lucrative connaissant les humains. Une option bien plus praticable que la semi-escalade de Zane, forcé de vérifier que ses prises ne risquaient pas de lui glisser entre les doigts à tout moment, l’emmenant terminer sa course sur un affleurement rocheux, une ou deux crevasses plus loin. Mais la très légère tendance à la paranoïa de l’adolescent lui soufflait que justement, le chemin paraissait bien trop parfait pour être honnête. D’ailleurs, plus il y pensait, plus cela le faisait penser à un terrain propice pour tendre une embuscade aux nigauds osant y poser les orteils. Il existait toujours un infime risque qu’il se trompe, mais pourquoi les Hiverax s’embêteraient à couper à travers la frondaison, s’ils pouvaient gravir les innombrables étages du pic rocheux sans risque ?

Néanmoins avec sa cape alourdie par les trombes venues du firmament, Zane hésita franchement à obliquer, tandis que son corps se collait plus étroitement encore à la paroi piquetant son dos. Inspirant profondément – après tout, ce n’était qu’un bête orage –, il redoubla de prudence, progressant à petits pas mesurés malgré son désir d’en finir le plus vite possible.

Il ne put aller plus loin que la corniche située à deux jets de flèches.

Cette fois, ce fut tout d’abord le granit qui se mit à trembler convulsivement, comme le jouet gigantesque secoué par un enfant ogre piquant une crise de colère, poussant l’adolescent à cesser tout mouvement, mains refermées sur ce qui lui semblait être des prises acceptables. Quand vint la sonorité suivante, suivant un nouveau coup de tonnerre, l’entièreté de son corps se figea, tandis qu’il levait instinctivement les yeux vers le sommet.

La montagne vomit un mélange de terre et de boue d’un ocre répugnant, telle Charybde projetant ses flux vers sa bien-aimée Scylla. Les hauteurs, engorgées en un instant, déversèrent leur trop-plein sur la nature avoisinante. Figé, Zane eut l’impression que durant un instant, trop bref, le déferlement stoppa sans explication sa course, suspendu par la volonté d’une force invisible et cruelle se délectant des traits affaissés de ses futures victimes.

Puis le croc de granit et de racines aussi épaisses qu’un bras charrièrent le contenu d’un estomac imaginaire, mais ô combien dévastateur.

Le tremblement s’accentua encore, quand un flot de rochers vint se mêler aux graviers et à la terre gorgée d’humidité, fleuve éphémère et dévastateur. Incertain de la solidité de ses appuis, l’adolescent chercha du regard un endroit où se réfugier le temps que dure le déferlement. Aucune trace d’une caverne apparaissant providentiellement, ni d’affleurement rocheux sous lequel s’abriter. Impossible de courir de roche en roche, à moins de se rompre le cou sous la puissance des éléments (ce qui ne figurait nullement sur sa liste des choses à faire), ou de se mettre hors de portée du danger. Peut-être les corniches le surplombant seraient-elles assez étendues pour le protéger de la rage du ciel ?

L’instant d’après, le torrent l’engloutissait avidement, parant son monde d’un mur opaque mou mais compact, épousant les formes de son corps plus atrocement qu’un pantalon de cuir sans talc.

Bloquant sa respiration, Zane résista au réflexe de recracher la boue avalée, mâchoires fermement serrées. Alors qu’il ne pouvait se coller plus qu’il ne l’était à la montagne, il eut l’impression qu’un océan de force brut s’infiltrait entre son corps et la paroi, tentant de l’en décoller par tous les moyens, afin de l’entraîner dans un corps-à-corps létal que l’adolescent ne désirait pas entamer, aussi belliqueux fut-il. Ses mains étreignirent plus étroitement encore les prises rocheuses sur lesquelles elles se tenaient. Hélas, en dépit de ses efforts pour ne pas se faire emporter par le courant, le tissu de ses gants glissait inexorablement, centimètres par centimètres. Ses genoux ployèrent sous le poids, menaçant de céder à toutes instants. Mais pas autant que sa nuque cependant, plus fragile. La vague, trop vive, ne lui avait guère laissé le temps de protéger sa tête, le laissant l’échine courbée, chevelure collée à ses tempes, à son front, à ses lèvres.

Si l’éboulement ne cessait pas très rapidement, ou si jamais un rocher venait le frapper de plein fouet, il ne donnait pas cher de sa peau ! Il ne pourrait pas tenir indéfiniment dans cette position.

La soudaine disparition du poids écrasant ses épaules manqua le faire définitivement basculer en avant. Le tonnerre grondait toujours à ses oreilles, quoique qu’elles fussent relativement bouchées, cependant le roulement assourdissant de la marée boueuse s’éloignait promptement, emporté par l’inclinaison montagnarde. Toussant comme un perdu, Zane s’ébroua, papillonnant un instant des paupières avant de les ouvrir pour de bon. Haletant, il s’autorisa à prendre une grande goulée d’air vivifiant, pestant contre les intempéries, décidées à lui faire perdre un temps précieux qu’il ne pouvait pas se permettre de gaspiller.

Des cascatelles continuaient de dégouliner sur les flancs du mont, séparées par endroits par le nivelé du défilé, les forçant à contourner petits obstacles avant de se réunir un peu plus bas, quand elles ne se divisaient pas pour de bon. Pour autant, le plus gros semblait passer, la pluie diminuant à son tour d’intensité.

Que lui avait donc dit Maya, un jour où il faisait encore partie des élèves de Baoddaï ? Que le temps en montagne pouvait changer en un claquement de doigt, s’il se souvenait bien.

Le danger passé, Zane la liberté d’enlever l’une de ses mains de son perchoir, massant précautionneusement sa nuque douloureuse. Un bon torticolis aurait été préférable à l’ankylose envahissant les muscles de son échine, tiens. Au moins s’en tirait-il juste avec quelques contusions.

Un sifflement impressionné franchit la barrière de ses lèvres quand il baissa ses pupilles onyx vers le vide. À quelques pas d’un éboulement bloquant tout passage, qui paraissait antérieur au déluge s’il se fiait à l’accumulation de rochers agglutinés les uns aux autres, le sentier aperçu un peu plus tôt se coupait net, détruit par le martèlement des éléments. Un peu plus bas gisaient des blocs irréguliers, constituant quelques minutes encore auparavant la continuité du palier, charriés par les eaux tumultueuses dans un ordre compréhensible de la nature seule, pour tant que cela signifiât quelque chose.

Et moi qui hésitait à descendre ! J’ai eu chaud.

À croire que la chance souriait effectivement aux audacieux.

Promenant son regard, à la recherche d’une ouverture pour continuer sa route sans risquer de finir en galette de blé noir à la confiture, Zane ravala de justesse le juron fleuri qui manqua échapper à son contrôle.

La catastrophe éloignée et les victimes potentielles désormais hors d’atteinte de leurs bras joueurs indicibles, les bas et lourds nuages annonciateurs d’orage daignèrent se retirer, laissant gracieusement de nitescents rayons se faire une petite place dans leur royaume céleste, leurs couleurs irisées déployées au travers de trouées amincissaient la couche dérivant au-dessus de la tête de l’adolescent. Si cela ne suffisait pas à dissiper totalement les nuages grisâtres, Zane put tout de même remarquer que les corniches en contrebas n’étaient pas toutes atteintes par l’éboulement. Nombre d’entre elles, d’ailleurs, ne souffraient que de quelques fissures peu dangereuses, ou d’éclats remodelant leur forme originelle.

Sur l’une d’entre elles, encore affalés suite à ce qu’il devinait être une chute fort désagréable, Maya et Boomer se relevaient péniblement, restant un instant à genoux afin de se remettre de leurs émotions. Quelques arbres pendant dans le vide au-dessus d’eux, Ky se balança de branche en branche, s’élançant avec une confiance que Zane abhorrait de plus en plus à mesure que le temps passait (inutile de se donner autant en spectacle ! Ce n’était qu’un fanfaron, voilà tout !), les rejoignant en quelques bonds. Bien sûr, le chef des Stax se trouvait être le moins atteint par l’orage, histoire d’améliorer l’humeur de l’E-Teens, déjà en parfaite adéquation avec l’atmosphère ambiante.

Que faisait donc l’équipe de Maître Baoddaï ici ?! Et surtout maintenant ? S’ils étaient venus dans le but de récolter la relique détectée dans la rizière, ils se seraient montrés pour participer au défi afin de la remporter. Enfin, il imaginait mal les Stax rester planqués, comptant les points pour déterminer le gagnant !

Sans se l’avouer vraiment, Zane se mit à scruter les alentours, au cas où un quatrième larron plus insupportable encore ne vienne s’immiscer dans des affaires ne le concernant pas. Pourvu que non, sa dernière vision en date fut des plus claires : il devait aider Zair à se sortir d’une situation potentiellement dramatique, pas jouer à l’accrobranche avec Ky dans les montagnes ! Et puis, Zane n’était pas sûr de réussir à garder son calme s’il se montrait avec son insupportable sourire assuré. Sans parler qu’il voudrait le suivre, le harcelant de questions auxquelles il n’avait aucune envie de répondre, et…

Minute ! Et si les Stax, justement, poursuivaient le même but que lui ? À savoir, pister les Hiverax afin de trouver leur repaire ?

Oh… Par les Six, pourvu que l’équipe d’humains ne l’ait pas vu se faire battre par les fichus triplés ! Et s’ils l’avaient vu utiliser son kaïru intérieur au beau milieu du combat, et le rapportait à leur Maître ?! Qui sait quelle décision risquait de prendre le Redakaï si l’un d’entre eux déclarait qu’il fallait tirer cela au clair ?

Vraiment, c’était à se demander si Zane ne possédait pas des antennes à ennuis ! Au moins, Maya avait l’air de s’en être tirée sans trop de blessures graves : déjà elle se relevait, accompagnée de son coéquipier blond.

Et elle, qu’en penserait-elle alors ?

L’adolescent claqua de la langue pour chasser ces pensées de son esprit, agacé. Un problème après l’autre, pour l’instant l’urgent était de trouver un chemin menant au cœur de la montagne.

Comme pour se moquer de ses difficultés, le destin choisit ce moment précis, pour que les Stax dénichent ce qui, même de loin, s’avéra être un tunnel… apparemment idéal pour pénétrer dans la montagne en toute discrétion.

Soupirant lourdement, l’E-Teens se détourna, frustré de constater l’avancée de ses ennemis alors que lui piétinait sur place. Impossible de se lancer à leur suite, sans savoir s’il aurait l’occasion de se dissimuler à leurs regards s’ils décidaient de vérifier leurs arrières ! Et puis sa fierté s’insurgeait : hors de question d’emprunter un chemin identique au leur, découvert par les humains en prime !

Puisqu’il se trouvait bloqué, sans trop élaborer de plan pour s’en sortir par ses propres moyens, cela ne lui coûtait rien de laisser jaillir son énergie intérieure, juste le temps de se creuser son passage personnel…

Non ! Pas question de céder une nouvelle fois ! Surtout pas si vite…

D’un autre côté, à quoi bon lutter sans arrêt contre les élans de son pouvoir, à présent qu’il savait quelle force se mettait à sa disposition quand il se laissait aller, juste quelques minutes…

Peut-être, mais en perdant tout contrôle de moi-même, à la merci de pulsions. Je ne veux pas perdre la tête !

Pas comme ce jour-là où, uniquement guidé par la douleur de la cérémonie, il avait eu la bêtise de se laisser berner par une voix doucereuse promettant monts et merveilles. À quoi cela l’a-t-il mené ? Plus bas que le déchet le plus infâme, tout juste bon à récurer les déchets des puissants qu’il était censé côtoyer tout au long de sa vie et satisfaire leurs instincts pervers, accompagné d’un parasite cloué à lui qui ne le quittera probablement jamais ! Et par toutes les divinités sadiques de l’Univers, quand sa tête allait-elle arrêter de bourdonner ?!

Etonné de constater qu’aucun mal de crâne malvenu ne venait ponctuer cette sensation, pire, qu’elle s’entêtait à toquer à la porte de son esprit, l’adolescent finit par accepter de se concentrer dessus, promettant en son for intérieur de chercher un moyen de dresser des barrières mentales plus efficaces que la négation systématique des émotions susceptibles de lui faire perdre pied.

Sa surprise crût davantage quand il reconnut la voix mentale qui s’invita dans son esprit.

Je croyais avoir demandé à ne pas être dérangé, sauf situation d’urgence ! siffla-t-il, mécontent.

C’est une situation d’urgence, rétorqua Zair, mécontente d’être ainsi alpaguée.

Son poignet rencontra une discontinuité, accrochant les bandes recouvrant ses avant-bras. Sautant sur une petite plateforme, à présent qu’il ne craignait plus que très moyennement d’être découvert par les Hiverax, il s’accroupit devant sa trouvaille.

Un tunnel, révélé par l’éboulement, ou bien ce dernier ôta le mécanisme dissimulant son entrée aux yeux indésirables, un peu plus petit que la taille de Zane. S’il se décidait à s’enfoncer dans ces ténèbres, il lui faudrait se courber. Perspective peu réjouissante…

Au même instant, l’X-Reader posé contre son torse se mit à vibrer frénétiquement, détectant une nouvelle source kaïru. Non, corrigea l’adolescent quand il eut consulté l’écran. Pour que l’appareil soit aussi survolté – il pouvait presque le sentir chauffer au creux de sa paume ! –, la quantité de kaïru à l’intérieur de la montagne devait être bien supérieure à celle d’une relique !

Il observa de nouveau le linceul de crépuscule recouvrant les parois irrégulières du passage qu’il venait de découvrir. Des stalactites à intervalles réguliers, d’autres stalagmites accolés aux parois, voire légèrement détachés, constituaient de parfaits pièges dignes d’écorcher le moindre morceau de chair imprudent venant se frotter à leurs artifices de pierre. Quoique, s’agissait-il vraiment de pierre ? En tout cas, c’était bien trop froid pour qu’il se réjouisse de mettre le nez entre les parois circulaires !

Se rappelant la présence de sa sœur au creux de sa tête, Zane se concentra sur sa voix éraillée, remettant à plus tard la décision d’emprunter ou non le tunnel. Bien qu’il sache que sa décision était d’ores et déjà prise. Au fond, avait-il vraiment le choix ?

Sa mine s’assombrit, au fur et à mesure que Zair venait lui faire un rapport succin, mais représentatif, de la situation à la forteresse.

Fais confiance à Ekayon, ordonna-t-il à contrecœur. Je reviens le plus vite possible.

Le solitaire avait intérêt à remplir son office, s’il ne voulait pas que Zane le poursuive jusqu’au fin fond des enfers, quitte à devoir y finir à son tour !


µµµ


Le conduit se rétrécit encore, obligeant Zane à se mettre à quatre pattes pour pouvoir continuer à avancer. Désormais habitué au manque flagrant de luminosité des lieux et aux nombreux stalactites semblables à des crocs garnissant une mâchoire avide de se refermer aux longueurs trop variées pour être prévisibles. Plus d’une fois, il lui fallut tendre le bras à l’aveuglette, tâtant les parois du tunnel afin de s’orienter, manquant, à deux reprises, de s’assommer contre une irrégularité dénuée de logique. L’adolescent essaya de se remémorer pourquoi, à l’origine, il avait eu la bêtise de laisser Zair seule avec Tekris, surtout après la possession bizarre subie par son coéquipier. Et si le colosse recommençait à perdre la raison, s’attaquant à la jeune femme sans qu’elle ne s’y attende ?

Zane dut laisser sa méfiance innée au placard, choisissant même, de son plein gré, d’accorder sa confiance au solitaire puisque lui ne pouvait intervenir ! Il eut beau fouiller sa mémoire, tourner et retourner la discussion dans tous les sens, à présent, il ne parvenait à retrouver les raisons l’ayant poussé à accepter de laisser les deux autres Radikor gérer la situation. Qui sait si cela n’allait pas l’encourager dans l’espèce crise d’autorité qu’elle suivait depuis quelques temps ? Et si, après l’avoir vu craquer dans sa chambre, elle le trouvait trop faible pour se laisser diriger par quelqu’un comme lui, sapant son influence au gré de ses envies tout en se servant de lui comme bouclier si les choses tournent mal ?

La pointe d’un stalactite évitée de justesse le rappela à l’ordre. Pas le moment de tergiverser, il ne pouvait faire autrement que de lui accorder sa confiance, à elle aussi. Et puis, Zair ne lui ferait jamais un coup bas comme ça… n’est-ce pas ? Les dernières semaines furent particulièrement éprouvantes pour l’adolescent de ce point de vue, incapable de comprendre ce que l’adolescente attendait de lui, ce qu’elle désirait réellement derrière ses réflexions devenues habituelles et autres conduites d’opposition plus ou moins franches. Jusqu’à ce qu’elle lui apporte un semblant de réponse, lorsqu’ils se tenaient dans la chambre du chef des Radikor. Elle voulait un frère, déclara-t-elle, en avait besoin. Pas uniquement d’un chef.

S’était-il vraiment comporté aussi mal qu’elle le prétendait ? Zane n’en savait rien : s’il écoutait son avis personnel, il avait agi selon son bon droit, peu importe l’avis général. Une époque où il pouvait se comporter comme bon lui semblait, et comme il voulait, possédant toute la puissance de Lokar grâce à un coup du sort trop fantastique pour n’être dû qu’à la chance – si e ’X-Reader de son ancien Maître s’était pas retrouvé à ses pieds, ce n’était pas un hasard ?!

Que cela lui semblait loin, à présent !

Était-ce pour cela que dans sa vision, Zair décidait de ne pas lui venir en aide ?

Ça aussi, une éternité s’était écoulé depuis qu’il s’était posé cette question pour la première fois. Pour garder sa sœur à ses côtés, et pas seulement physiquement, il lui faudrait donc changer. Accepter de ne plus agir comme si seule sa propre destinée comptait. Mais était-ce seulement possible ?! Arriverait-il à laisser tant de place vacante près de lui ?

Les grandes épopées héroïques ne précisaient jamais tous les dilemmes endurés par leur protagoniste hors du champ de bataille ! De quoi enrager !

Alors que ses reins heurtaient un des crocs imaginaires, il lui fallut se contorsionner pour éviter le suivant, retenant à grand-peine un grognement de frustration mécontent. Bientôt, il se retrouva presque plié en deux, sa carrure, si elle n’était guère aussi impressionnante que celle de Tekris, ne lui permettant pas de continuer en restant à quatre pattes. Son orgueil lui interdisant formellement de ramper, puisque qu’avec quelques efforts il arrivait encore à se tenir sur les genoux, l’adolescent passa le temps en imaginant le sort qu’il réserverait à Teos et sa clique, si jamais Zair lui revenait avec ne serait-ce qu’une égratignure. À cette vitesse, les Stax auraient fouillé le repaire avant qu’il ne sorte du goulot !

Par la maudite Source pourrie, devait-il chaque fois risquer de tout perdre pour s’apercevoir qu’il tenait plus qu’il ne le croyait à certaines personnes ?! Sans parler de Tekris… Pour être tout à fait honnête, il s’habitua tellement à distinguer sa puissante silhouette, quand il regardait par-dessus son épaule, que la perspective de le voir disparaître pour de bon laissait une insupportable sensation d’échec dans sa poitrine. Devenait-il si faible ? Non, c’était tout à fait normal pour un chef de garder son équipe d’une main de fer, quitte à ne pas supporter que d’autres viennent lui chercher des noises.

Tekris, tu as intérêt à t’assurer que rien n’arrive à Zair ! Et toi, petite pénible, je t’interdis strictement de ne pas me revenir saine et sauve ! Quant à toi, maudit solitaire, je te réserve le pire des sorts !

Enfin, Zane atteignit l’entrée du tunnel révélé par l’éboulement.

Les lieux lui semblaient étrangement familiers, en particulier les parois irrégulières quoique lisses, des colonnades au relief tout aussi accidenté s’élevant aléatoirement du sol. Chichement éclairées par la lueur d’un petit feu situé à peu près au centre de la grotte, seule source permettant de dissiper la pénombre enveloppant les lieux, celles-ci arboraient une teinte plus proche d’un bleu-gris glacé que de l’ocre-safran tapissant le tunnel d’où venait l’adolescent. Cependant, les crocs le jalonnant trouvaient leurs continuité sur la voûte, juste assez grande pour permettre à un homme de se tenir debout sur les épaules d’un autre. Les stalagmites se raréfiaient, au contraire, remplacés par des pierres soudées au sol, recouvertes d’une couche de minerai rappelant les cloques apparaissant sur une peau brûlée.

Sous sa corniche, les Hiverax, respectueusement agenouillés, tête inclinée, côtoyaient Teos accompagné de Saïn, la vipère plissant les lèvres dans une moue de protestation muette. Le Seigneur Héritier lui-même ne paraissait pas des plus ravis, bien qu’il s’amusait de l’impatience de sa compagne. L’absence d’Adriel, pourtant bras droit du garçon à la peau d’ébène, confirmait les déclarations de Zair sur subi par la forteresse. Un cauchemar, ce ne pouvait être que cela, ou bien une blague de Zair et de Tekris à la rigueur ! Ce ne fut qu’à ce moment-là que le chef des Radikor comprit qu’avant cet instant précis, il repoussait les affirmations de sa sœur, préférant jouer la carte du déni tant qu’il ne voyait aucune preuve devant lui. Enfin, le sort ne pouvait pas s’acharner aussi méthodiquement sur son équipe !

Soudainement, une sixième voix rompit le fragile silence, manquant faire sursauter le chef des Radikor. Profonde, comme sortant des tréfonds d’un sanctuaire lointain et inaccessible…

Si Zane fut certain de ne l’avoir jamais entendu telle quelle, sa sonorité titilla sa mémoire, invoquant un souvenir qu’il ne parvenait pas encore à saisir.

– Excellent travail. Une fois de plus, vous avez rempli votre mission, les Hiverax.

La voix, gonflée de satisfaction, provenait d’un espace entre deux colonnes qui formaient les tréfonds d’une obscurité inhabituelle, même pour un lieu tel que celui-ci. Impossible de distinguer, dans ce noir absolu, autre chose que deux lueurs d’un blanc éclatant cerclé de violet inquiétant. Ce qui ressemblait à une cicatrice diagonale zébrait le reste du visage invisible, entre les deux yeux. Frissonnant, Zane posa les mains sur ses bras nus. Pourquoi devait-il toujours faire si froid dans les grottes ? À partir de maintenant, il haïssait tout espace clos rempli de pierres !

Les phosphorescences s’écarquillèrent, comme si un détail venait brutalement de revenir à leu possesseur. Un changement d’attitude qui ne passa pas inaperçu, Teos se tendant imperceptiblement.

– Un problème, Maître ? reprit Vexus. Vous semblez inquiet.

Ah. Donc, l’homme dissimulé dans les ombres étaient bel et bien le supérieur des Hiverax. Au moins, Zane n’aurait pas fait tout ce chemin pour rien. Il touchait au but.

Certes, mais comment expliquer la présence de Teos ? L’inconnu se trouvait-il être le Maître du Dôme dont ce dernier était le fils ? Ou s’agissait-il plutôt d’une alliance des plus problématiques pour les Radikor ?

– Je ressens une présence, fit la voix, courroucée. Des intrus approchent.

Le sang de Zane se figea dans ses veines.

– Ah… Les Stax ! acheva la voix.

L’espion des hauteurs lâcha un long soupir inaudible de soulagement. Affronter cinq combattants en même temps, seul, ne l’attirait pas particulièrement.

– Eh bien, laissez-nous leur régler leur compte ! rétorqua Saïn, véhémente. Ils ne pourront pas nous vaincre, pas alors qu’ils s’attendent à voir votre équipe de triplés !

– Suffit, intervint Teos (il ne haussa pas le ton, pourtant, la vipère inclina humblement la tête vers l’avant, reculant d’un pas pour lui laisser place). Ce n’est pas le moment de se montrer. Le Redakaï doit encore ignorer notre existence, si nous voulons mener notre plan à bien. Le réveil des Yeux est encore trop récent, nous n’avons pas récolté suffisamment d’informations. Mieux vaut laisser faire un… expert de ce kaïru, et observer la démonstration de ses talents.

Un expert du kaïru ? Comme un Maître ? Hélas, aucun membre du Redakaï, à sa connaissance, ne manquait à l’appel. Ce qui ne laissait guère beaucoup de choix quant à l’identité de l’homme caché.

– Ne vous en faites pas, nous allons nous charger d’eux, ajouta Nexus, satisfait de pouvoir reprendre la parole, tout en lançant un regard agacé aux deux combattants extraterrestres.

Si Zane ne se trompait pas, une certaine rivalité existait d’ores et déjà entre les Daminiens et l’équipe de triplés. Dommage qu’il ne puisse en savoir plus pour le moment, ni s’il pourrait s’en servir à son avantage.

– Un instant, le freina la voix. J’ai quelque chose de spécial pour eux. Quelque chose que je leur prépare depuis longtemps.

Ou avait-il bien pu entendre ce timbre si particulier, autre part que dans cette grotte ?

Oh, c’est pas vrai, réalisa-t-il. Justement, si, c’est ici même que je l’ai écouté pour la première fois… Quand j’ai eu mon petit… moment de faiblesse en récoltant Bruteron.

Tiquant brusquement, et sans explication apparente, Saïn sursauta, balayant les environs du regard. Par réflexe, Zane invoqua son kaïru intérieur, se dissimulant derrière un rideau représentant exactement les contours de la corniche sur laquelle il se jucha. Vu de l’extérieur, seule la pierre noircie par les ténèbres était visible. Son stratagème fonctionna, puisque la jeune femme ne s’attarda pas sur son refuge, continuant son inspection, soupçonneuse.

L’E-Teens n’eut pas à se demander ce qui troubla tant la vipère. Lui aussi sentait la soudaine… translation, aurait-il dit, qui distordit brièvement l’atmosphère. Un détail qui n’aurait pas du l’interpeller, étant donné ses médiocres capacités dans le domaine de détection des énergies, restant aussi placide que Teos et les Hiverax. Qu’il connaissait pourtant un chouïa trop bien à son goût, néanmoins…

Levant le regard, ses pupilles se posèrent presque sans hésitation sur la haute silhouette encapuchonnée, tapie dans les ombres, invisible pour qui ne pouvait percer à jour l’illusion généré par l’homme des rêves.

En plus, il se permet de copier ma technique ?! Lui aussi, je lui ferais mordre la poussière !

L’encapuchonné observait également la petite scène se déroulant en contrebas, ne faisant pas mine de s’intéresser à l’adolescent qui le scrutait pourtant ouvertement. Pour autant, Zane sut avoir été remarqué : l’homme lui avait jeté un bref regard surpris lors de son arrivée.

Saïn se rapprocha de Teos, tapotant son poignet tandis que le Seigneur Héritier ne perdait pas une miette de l’interaction entre les Hiverax et leur Maître. Une intense lumière jaillit de l’entre-deux au sein duquel se tenait ce dernier, une aura d’un carmin mauvais. Une vague sensation de malaise perturba l’adolescent, bien qu’une colonnade l’empêcha de déterminer avec précision l’origine de cette manifestation. Puisqu’il ne put récolter davantage d’informations, il se concentra à nouveau sur ses ennemis.

Teos se tourna vers sa compagne, ses lèvres s’étirant en un rictus sardonique. Sûr de lui. Sans pour autant imiter la vipère, restant concentré sur l’homme dissimulé derrière la pierre. Une chose restait cependant certaine : les Stax allaient passer un très mauvais quart d’heure à cause de la « surprise » de l’inconnu.

– Êtes-vous certain que cela suffira, susurra Teos dès que l’équipe de triplés fut hors de vue. N’oubliez pas que le Redakaï est réuni au complet, au monastère.

– Ne vous en faites pas, rétorqua la voix. Faites confiance à mes combattants. Trêve de bavardage, je vous ai offert votre artefact sur un plateau d’argent, n’est-ce pas ? À votre tour.

Zane tendit l’oreille. Les choses commençaient à devenir intéressantes.

– Il est vrai que le Poing du Colosse va nous être des plus utiles. Mais ce n’est qu’une petite partie du puzzle, malheureusement. Il nous manque encore le Cœur et la Couronne, son Poing et son Corps étant déjà en notre possession, expliqua Teos, à contrecœur.

– Certes. Mais où est le Gant de Lokar ? Je vous ai déjà indiqué comment récupérer le Poing du Colosse, en guise de bonne foi. J’ai droit à une contrepartie, ricana la voix, avide.

– Nous sommes en train de mener les recherches, répondit le Seigneur Héritier, intraitable. Cette tâche a été confiée à un Œil nouvellement réveillé. Nous prenons des risques tout autant que vous. Mon Père ne vous a-t-il pas, en guise de bonne foi, confié son unique enfant, ainsi que la future mère de ses petits-enfants ? Admettez que c’est un énorme engagement de sa part.

Un silence empli de réflexion s’installa du côté de la voix, seul un faible marmonnement se faisant audible. Bien que Zane ne saisit que la moitié de ce qui se déroulait sous ses yeux, il ne fallait pas être grand devin pour comprendre qu’il s’agissait là d’une discussion de la plus haute importance. Pourquoi cet intérêt pour le Poing du Colosse ? D’accord, d’après les légendes, cet artefact offre un pouvoir immense à qui le détient, mais de là à expliquer l’engouement qu’il ressentait comme presque viscéral de Teos et Saïn, une marge existait. À moins que cela n’ait à voir avec son inclusion dans un ensemble plus grand, d’après eux.

– Indiquez-nous où se situe la Couronne du Colosse, insista Teos. Et vous pourrez réclamer votre Gant tant que vous le voudrez, s’il n’est pas déjà en notre possession.

– Quelle preuve ai-je de votre bonne foi ? Qui me dit qu’une fois la Couronne entre vos mains, vous ne chercherez pas à en obtenir plus, sans rien me donner ?

– Vous avez notre parole, déclara fermement l’extraterrestre à la peau d’ébène. Et nous avons modifié nos plans pour vous permettre d’obtenir ce que vous voulez. Sans parler de la promesse d’utiliser à votre guise la force extraordinaire que nous disposerons, une fois nos objectifs atteints. C’était le plan depuis le début. Auriez-vous une raison valable pour le modifier en cours de route ?

Zane grimaça, tordant le cou en essayant d’en voir plus, en vain. Face à lui, l’homme à la capuche se concentrait intensément, tout en le surveillant du coin de l’œil. L’imitant, l’adolescent prêta une part de son attention à chercher avidement le moindre indice pouvant le renseigner sur son identité. Mais à part une tunique de voyage pourpre usée aux bordures jaunes et orange, ses manches courtes laissant apparaître la peau verte de l’inconnu, des gants d’ébène (à cette distance, il ne put voir si quelconque fioritures les ornaient) et un pantalon sombre enfoncé dans de solides bottes de cuir marron, rien ne transparaissait de cet homme. Remarquant l’attention à laquelle il se trouvait soumis, ce dernier leva un doigt, le plaçant contre ses lèvres. Un geste manquant de pousser l’adolescent à franchir la distance les séparant pour lui envoyer une attaque kaïru digne de ce nom en plein visage.

Non mais il me croit suffisamment idiot pour faire du bruit ? Maintenant ?!

– Très bien, capitula la voix, attirant un sourire satisfait sur les lèvres de Teos. Mais n’essayez pas de me doubler, ou de vous mettre en travers de mon chemin. Ce serait une erreur qui vous coûterait très cher.

– Bien entendu, acquiesça le Seigneur Héritier, écrasant le pied de sa comparse pour l’empêcher de répliquer avec ferveur. Donc, où se trouve donc la Couronne du Colosse ?

Se désintéressant instantanément de l’encapuchonné, Zane braqua son regard sur le jeune homme.

– Ce que vous appelez votre Couronne a été divisée en deux parties, mais ne vous inquiétez pas, si vous trouvez l’une des moitiés, la seconde viendra d’elle-même rejoindre sa jumelle. Si mes informations sont exactes, reprit la voix, son ton laissant clairement supposer qu’elle se dédouanait de toute responsabilité en cas d’échec, l’une se trouvait dans le désert de sel, mais les Stax l’ont récupérée. Quant à l’autre, elle se situe dans le désert australien. Je n’en ressens que de faibles traces, mais son réveil est proche.

L’homme à la capuche se pencha en avant, laissant entrevoir un morceau de la voûte derrière lui, presque… ondulée. Comme la surface d’un miroir imparfait, une sorte de reflet altéré. Cela expliquait peut-être l’étrange sensation ayant accompagné sa venue ? En tous les cas, Saïn parut se désintéresser totalement du sujet, épaulant son supérieur dans un silence religieux. En y regardant de plus près, le chef des Radikor remarqua que les « ondulations », au contraire du corps de l’homme, restaient fixes, immobiles, ce dernier gardait les bras serrés contre son corps, les ramenant vivement si jamais l’un d’eux s’avisait de dépasser. Une frontière à ne pas franchir pour lui, donc.

– Et donc, résuma Teos, nous devons attendre qu’elle se manifeste pour la localiser et s’en emparer.

– Ce sera un peu plus compliqué que prévu. Je ne serai pas le seul à ressentir son énergie. Vous ne voulez pas affronter tout le Redakaï ? s’enquit de nouveau la voix, sincèrement curieuse.

Un rictus moqueur déforma la bouche de Saïn, à la limite de fendre son visage en deux. À l’évidence, cette possibilité ne lui effleura pas même l’esprit.

– Qu’il vienne, sourit le garçon d’ébène. Et ils ne verront rien avant de se retrouver emmené par la Source. Vous nous avez déjà fourni assez d’informations pour que nous puissions les contrer sans crainte.

– Sans doute, mais j’ai une meilleure idée : vous doutez de mon implication dans notre marché ? Laissez-moi me charger de conquérir la Couronne pour vous. En me battant dans les règles, le Redakaï en personne ne pourra pas m’arrêter. Vous n’aurez plus qu’à vous envoler avec la relique, tandis que je me repaîtrais du désespoir de Baoddaï !

La voix éclata d’un rire sonore, son éclat se répercutant sur les parois de la grotte, assourdissant. La malveillance sourdant de cette soudaine hilarité perturba davantage Zane qu’il ne voulut l’admettre. Fricoter avec le côté sombre du kaïru ne le dérangeait pas le moins du monde, et tout ce que les humains appelaient défauts le ravissait, puisqu’un Maître du Mal craint et respecté, et donc par extension puissant, réunissait ces qualités. Au contraire, l’hypocrisie des bons samaritains l’horripilai, plus encore à propos du Redakaï : des vieillards séniles tout juste bons à palabrer des heures durant sans prendre de décisions ! Cependant, cette voix… ce qu’elle représentait… le poussait à réviser en partie son jugement. Oh, pas sur la partie hypocrisie et incompréhension des humains en ce qui concernait le vrai pouvoir, ça non, une vie entière ne suffirait à changer son opinion. Mais à mesure que le temps passait, les moyens mis en œuvre par des génies maléfiques tels que Lokar pour parvenir à leurs fins ne lui apparaissaient plus aussi judicieux.

Car enfin, leur empire se basait sur la crainte et l’autoritarisme, deux notions que Zair, après des années à suivre leur voie, se mettait brusquement à rejeter. Se servir de Lokar pour gagner en puissance, suite à son renvoi du monastère, fut l’une des meilleures initiatives jamais eues de sa vie. Mais, désormais seul maître à bord, et détenant l’X-Reader du Maître du Mal, Zane devait trouver sa propre voie.

L’absence totale de son qui suivit cette déferlante se révéla pire encore. La voix venait-elle de partir à son tour ? Ou l’inconnu tapi dans les ombres était-il seulement plongé dans une intense réflexion ? L’adolescent ne prit pas le risque de bouger, ou de lever son illusion, tant que la preuve de l’absence de danger imminent ne serait pas incontestable.

Comprenant qu’il s’agissait là d’une manière de mettre fin à la discussion, Teos hocha sèchement la tête, la nuque aussi raide qu’une barre de fer. Probablement peu habitué à être ainsi congédié, cette toute nouvelle expérience lui déplaisait souverainement, si l’on se fiait aux traits crispés de son visage. Néanmoins, il ne fit aucun commentaire, prenant le bras de Saïn, avant de disparaître dans une traînée de brume en « omettant » de remercier leur informateur pour sa diligence.

Guère assez patient pour attendre davantage les bras croisés la confirmation ou l’infirmation de la présence de la voix, Zane décrocha le X-Reader de Lokar de sa poitrine, consultant brièvement son écran tout en gardant à l’œil le type à la capuche. Plus que jamais survolté, le petit appareil continuait à indiquer la présence d’une quantité phénoménale d’énergie kaïru, enfoncée plus profondément encore dans les entrailles de la montagne. Bien plus que l’adolescent ne pouvait en récolter, à dire vrai.

S’intéressant de nouveau à l’homme encapuchonné, Zane vit les espèces d’ondulations se rétracter lentement, l’adulte paraissant perdre de sa substance, se renfonçant tout aussi silencieusement qu’il était arrivé dans les ombres.

Pas question de le laisser repartir ! Pas alors que j’ignore où et quand je pourrais le retrouver !

Jetant toute prudence aux orties, Zane sauta de sa corniche, ses chevilles protestant vigoureusement quand elles rebondirent sur le sol. D’un bond, il atteignit le promontoire le plus proche, attrapant de sa main gantée son rebord, poussant sur son bras pour se hisser sur la plateforme.

L’homme encapuchonnée leva la main, comme pour le dissuader de toucher les ondulations…

… et l’adolescent en eut le souffle coupé. Pas de sensation de déchirement proche de celle ressentie quand Zair était sortie du temps, d’après ses propres mots. Pas de milliers de chemins étalés devant ses yeux, manquant le rendre fou tant les données visuelles se précipitaient sur sa rétine à un rythme effréné. Rien de tout cela, non. Juste, une seconde auparavant, il se tenait dans la grotte des Hiverax, et celle d’après, il flottait sur… du néant ? Pas même du noir, seulement du vide au sein duquel se tapissait une infinité de présences indiscernables, et indéfinissables. Comme si tout d’un coup, Zane était arrivé au milieu d’une meute de loups affamés, alors que lui ressemblait bien trop à un agneau sans défense.

Par chance, l’insupportable sensation ne dura pas. Après ce qui lui sembla une éternité, un tapis de verdure parée d’une large palette d’émeraude, de saphir ou autres verts gourmands pour le plaisir des yeux constitua un sol solide sous ses pieds. Avant de se teinter d’un jaune paille de plus en plus sec, pour finir par arborer un noir cendré accompagné de quelques touches d’un marron brûlé, quand il approchait de la ligne d’horizon. Nulle odeur d’incendie, cependant, ne frappa ses narines, et Zane ne chercha pas à expliciter la raison d’une tel changement, au cas où le vide réapparaîtrait sans crier gare. Un intense sentiment de satisfaction l’envahit à la vue du ciel uniformément parme, pourtant pas à l’origine de la lumière crépusculaire inondant les lieux.

Un enthousiasme que ne partagea pas l’homme à la capuche, celui-ci se retournant furieusement vers l’intrus. S’il eut été un chat, sa queue fouetterait l’air.

– Serais-tu complètement fou !? cracha-t-il. Entrer en chair et en os ici peut avoir de graves conséquences !

– Ah oui ? fit l’adolescent, goguenard. Comme quoi, par exemple ?

– Ne plus pouvoir en sortir, et errer ici éternellement, « par exemple », rétorqua l’inconnu, croisant les bras sur son torse. Ou perdre une partie de ta raison, sans espoir de la retrouver, « par exemple ». Ou encore…

– Je n’ai pas de leçon à recevoir d’une espèce de moine ! Je n’aurais pas été obligé de sauter avec toi, si tu te montrait plus prolixe ! Et puis toi, tu vis bien ici, pas vrai ?

– Si on peut appeler ça vivre, marmonna l’homme. Si j’avais le choix, ça ferait longtemps que j’aurais mis les voiles.

Tapotant instinctivement du pied, histoire d’éprouver la solidité du terrain sans parvenir à se départir totalement de la sensation d’illusion, Zane soupira avec ostentation.

– Ça ne ressemble pas vraiment à une prison, tu peux modifier ton environnement à ta guise si j’en crois ce que je viens de voir. Est-ce que nous sommes encore dans le vide, ou tu nous as emmenés ailleurs ?

La ligne de ses épaules tremblant de colère, l’homme le jaugea à travers les ombres de sa capuche. Personne ne lui avait appris que c’était très malpoli de ne pas se découvrir en public ?!

– Nous sommes au même endroit, consentit-il tout de même à répondre. Et en même temps, nous nous sommes déplacés ailleurs. On ne peut pas dire qu’ici, les notions de lieux et de dimension aient une réelle importance… Seulement des espace-temps, plus ou moins proches de nous. Je peux transformer comme il me plaît cet endroit, parce que nous sommes temporellement très proches, mais c’est à peu près tout. Ma maîtrise reste…

– Médiocre ? proposa aimablement Zane. Je n’ai pas de temps à perdre avec des devinettes !

Une chance que Zair lui ait expliqué ce qu’étaient les espace-temps, sinon sa compréhension de la situation avoisinerait le zéro absolu.

– Et si tu es aussi coincé que tu le laisse sous-entendre, comment se fait-il que tu puisses te balader dans mon monde à moi sans problèmes ?

– Sans problèmes ? répéta l’homme, incrédule. Je te l’ai dit, nous sommes liés toi et moi, je ne peux aller dans ton monde, comme tu dis, que si toi tu es à cet endroit.

– Une petite minute ! Comment c’est possible, ça ?

Dire que Zane frôlait l’incrédulité la plus totale restait un doux euphémisme. Malgré lui, il se sentait fasciné par les paroles de l’inconnu, en oubliant presque la raison de sa venue première.

– Averitia ne t’as rien dit ? Je vois…

Ma mère ?!

Par réflexe l’adolescent tendit le bras, à la recherche d’un meuble sur lequel il pourrait s’appuyer. Un tic nerveux agita l’index de l’inconnu, son hésitation palpable. Le silence se prolongea sans que rien ne vint le troubler, Zane peinant à digérer la révélation de l’inconnu. Même la brise qui soulevait les brins de verdure ne produisait aucun son.

Pourquoi ma mère serait impliquée dans ce qui m’arrive aujourd’hui ?

– Nous partageons un espace-temps extrêmement proche, reprit enfin l’inconnu. Voir identique. Nous naviguons entre deux réalités, à la fois présents, et absents, puisqu’au fond nous n’existons pas vraiment. Ou plus.

– Hein ? Sois un peu plus clair, bon sang ! Qu’est-ce que tu veux dire à propos de ma mère ?

– Ta… ? Elle a eu un enfant ? Que vous vous soyez rencontrés, passe encore, mais j’ignorais que vous étiez aussi proches.

Ce n’est pas exactement ce que j’ai en tête…

– Nous sommes des aberrations, tout simplement, continua-t-il. Alors que nous devions suivre le destin qui nous était réservé, un grain de sable nous a fait dévier, comme si nous nous étions retrouvé à côté de la trame de l’existence. Nous vivons, en quelque sorte, dans notre propre espace-temps.

Simplement, venait-il de dire ? Outre que le fait qu’il se paye de sa tête ne pouvait être tout à fait exclu, Zane n’aima pas la manière dont l’autre le scrutait. S’ils partageaient vraiment une telle caractéristique, pourquoi le disséquer aussi intensément du regard ? Plus qu’intrigué, l’autre paraissait comme… curieux.

– D’accord, admettons, et ça nous change quoi ? Il y en a beaucoup comme nous ?

Un sourire narquois étira les lèvres de l’homme, poings plaqués sur les hanches.

– Non. Jusque là, je croyais être le seul, avec Averitia. J’ignore si nous sommes uniques. Ou si nous pouvons seulement vieillir.

– Je suis le seul fils de ma mère. Et nous n’avons rien en commun à part notre couleur de peau, rétorqua l’adolescent. Qu’est-ce que tu veux dire par « pouvoir vieillir » ?! Tu veux dire que je suis un être à part ? Immortel ?

S’il devait être tout à fait honnête, cette perspective l’enchantait ! Vivre éternellement, voilà qui réduisait à néant les efforts du monastère pour l’arrêter, puisque rien ne pouvait l’atteindre !

Une joie qui disparut dès que l’inconnu ouvrit de nouveau la bouche.

– Non. Tu es juste déjà mort. Enfin, je suppose, c’est le seul moyen que je connaisse pour que tu aies pu me rejoindre ici, souffla-t-il, la mine assombrie.

– Que… Quoi ? (Zane dut s’arrêter pour déglutir) Tu es complètement fada, c’est ça ? Je respire, je parle et les autres me voient, je ne peux pas être mort !

– Aux yeux de la vie, tu es mort, déclara sentencieusement l’homme. Ce n’est que grâce à un coup du sort, une intervention extérieure, que tu ne te trouves pas six pieds sous terre à l’heure actuelle. Ton existence est mise entre parenthèses, vivant sa propre boucle temporelle à l’infini. Tu la construis petit à petit, puisqu’elle ne correspond plus à rien. Je le sais, je vis cela depuis bien plus longtemps que toi.

– Ce n’est pas du tout cohérent ! s’exclama Zane. Si ce que tu dis est vrai, ce dont je doute évidemment, nos espace-temps ne peuvent pas être identiques, puisque nous les créons de manière totalement différente !

– Ils sont identiques sur la forme, expliqua l’homme. C’est pour cela que nous pouvons nous ressentir, nous entrons comme en résonance.

Abasourdi, Zane se frictionna vigoureusement les bras. Un cauchemar, vraiment !

– C’est pour ça que je ne pouvais pas utiliser mes attaques kaïru classiques, réalisa l’adolescent, mortifié. Il m’a fallu du temps avant de pouvoir de nouveau en manipuler quelques-unes (il repensa à son coup de fouet à énergie, face aux Hiverax. Plier l’attaque à sa volonté l’avait forcé à reprendre les bases de l’enseignement du kaïru, manquant le faire écumer de rage à chaque échec). Parce que je devais avant tout réintroduire ces manipulations dans mon… espace-temps ? (L’inconnu hocha la tête, après un petit instant de réflexion). Pourtant, mon kaïru intérieur ne s’est pas fait la malle.

– Ton énergie profonde ne peut pas t’être enlevée, clarifia son vis-à-vis. Ce qui est propre à toi, reste à toi, et est revenu en même temps que ton corps. C’est grâce à elle que tu as pu juste survivre.

– Mais, et mes visions ? Elles étaient fausses, avant que je sois touché par la foudre ! Sauf que maintenant, elles m’attirent une tonne d’ennuis alors que je n’ai rien demandé, parce qu’elles me montrent la vérité ! Comment tu expliques ça, hein ? s’emporta Zane. Du peu que je sais, tous les membres de la famille capables de vision subissaient cette malédiction, sans exception. Même ma… mère, devait composer avec ces mensonges !

– Ta… famille ? Qu’est-ce qu’Averitia t’a raconté ?

Zane grogna, morose. En-dehors de ses compétences sur les espaces-temps, il ne savait pas grand-chose.

– Les Dastiva. D’après la légende, lâcha-t-il à contrecœur, nous possédons un kaïru intérieur particulier…Contrairement à l’habitude, il est de couleur écarlate, conférant à la famille une force de frappe plus offensive que d’autres, ainsi que ces fameuses visions. Il paraît que l’un de mes ancêtres a joué au con en essayant de s’emparer d’une arche qui détenait un grand pouvoir, en prévoyant à l’avance ses coups puisqu’il les avait déjà vus grâce à son pouvoir. Sauf que ça n’a pas marché, et pour se venger le propriétaire a maudit notre sang à partir de sa plus grande force, provoquant la chute de la famille à cause des prédictions erronées. Ce type a fait en sorte que nous ne puissions pas nous cacher, ricana amèrement l’adolescent, ôtant les bandages autour de ses avant-bras pour dévoiler les marques qui les ornaient.

Des lignes entrecroisées écarlates elles aussi, visibles uniquement sur les Dastiva. Un pouvoir qu’Averitia, sa mère, avait dissimulé à son géniteur en prétendant qu’il s’agissait de cicatrices. Jusqu’à la naissance de son fils, porteur des mêmes symboles, au trait près. Peut-être n’aurait-elle pas été, toute son enfance durant, si prompte à le lui reprocher si son père n’était allé concevoir, moins d’un an après sa naissance, un autre bébé dans le but de conjurer le sort… et de préserver la pureté de la lignée.

– La malédiction ne peut plus faire effet, puisqu’il n’y a aucun sujet à maudire, conclut Zane. C’est un peu compliqué pour moi…

– Je comprends, assura l’inconnu. Mais tu as déjà passé suffisamment de temps ici. Tu dois retourner là d’où tu viens, et le plus tôt sera le mieux, ou le Seigneur Régent va finir par te repérer. Je ne lui ai pas échappé toutes ces années durant pour qu’un gamin immature ruine mon havre de paix !

– Le Seigneur Régent ? Tu veux parler d’un des Maîtres du Dôme, n’est-ce pas ? ne put s’empêcher de demander Zane.

Savoir combien, sur les Six encore présents lors de la fuite de sa sœur et lui pouvait lui apporter de bien précieuses informations, puisque le Dôme semblait vouloir se rappeler à son bon souvenir.

– Il n’existe plus de Maître. Juste un Seigneur Régent, et son fils, le Seigneur Héritier.

Zane cligna stupidement des yeux. Plusieurs fois. Quand il croyait que c’était fini…

– Une très mauvaise nouvelle, parvint-il toutefois à articuler.

– Et croyez-moi, ce n’est que le début ! tonna une voix terrible, écrasant les tympans des deux garçons.

L’inconnu leva la tête vers le ciel, le parme envahit par une traînée noirâtre, d’apparence huileuse, ébranlant la totalité de la structure de son espace-temps.

– Dépêche-toi ! cria-t-il à l’adolescent. Créé un portail, et va-t-en d’ici !

Il ne put en dire plus. Décollant soudainement du sol, l’homme lâcha un glapissement surpris, projeté sur le tapis herbeux disparaissant sur son passage. Éberlué, Zane sentit les milliers de regards s’éveiller de nouveau, braqués sur lui, comprimant peu à peu toute son énergie, comme si le poids du monde s’abattait progressivement sur ses épaules.

– File ! fit de nouveau l’inconnu, la voix étranglé par le choc.

Il hésita à peine. S’il tardait ne serait-ce qu’une minute de plus, il n’était pas certain d’échapper à son assaillant.

Il traça un cercle de sa taille dans les airs, sa surface se mit immédiatement à trembloter, clignotant par intermittence. Zane s’efforça de le stabiliser, franchissant le seuil en priant pour que l’inconnu s’en sorte lui aussi. Il n’en avait pas terminé avec ses questions, et ne comptait pas le laisser s’en tirer à si bon compte.

Probablement, il connaissait les tréfonds de cet étrange endroit mieux que lui, il allait trouver un moyen de s’échapper…

Quand il regarda derrière lui, retrouvant l’atmosphère glaciale de la grotte dans laquelle se tenaient, quelques temps auparavant, les Hiverax heureusement absents, une sirène d’alarme s’alluma sous son crâne. Là où son portail aurait dû se tenir, attendant son bon vouloir avant de se dissiper, il n’y avait que les colonnades de granit côtoyant les stalactites. Si jamais il avait été une fraction de seconde trop lent…

L’adolescent se secoua vigoureusement la tête. Eh bien, il se tenait ici, en vie (enfin, autant que possible s’il décidait de croire le type), c’était l’essentiel. Tant d’informations à gérer, cataloguer, sans parler du tri qu’il aurait à faire entre ce qu’il décidait de croire et de rejeter ! Mais la confusion de son esprit n’était rien face à cette voix surgit du néant, la puissance qui l’accompagnait, son contrôle de l’espace-temps d’un autre… Zane aurait donné cher pour revenir en arrière, et ne pas sauter avec l’espèce de moine !

Percer la chape engourdissant les lieux fut déjà une épreuve en soi, proche de la souffrance tant il lui fallut réunir d’énergie. Une preuve des plus désagréable qu’il lui fallait encore gagner en puissance s’il voulait contrer l’ensemble de ses ennemis.


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Bonjour, ou bonsoir !


J’espère que le chapitre vous aura plu ! Si jamais vous avez une remarque à faire, un point qui ne semble pas clair, n’hésitez pas à le dire en commentaire !


Sur ce, bonne journée/soirée !



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