L'Arche du Péché

Chapitre 25 : Points de passage

12068 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 18/01/2021 20:47

Points de passage


Les étendards obscurs du crépuscule laissaient lentement place aux premières lueurs chatoyantes de l’aurore. Laissant une longue traînée évanescente derrière elle, une étoile filante qui n’avait d’astre que le nom traversa le ciel encore d’un outremer profond par endroits. Se jouant des gravités terrestre attirant à elles quelconque objet, le vaisseau jaune rouille des Stax creva l’épaisse couche nuageuse comme s’il eût s’agit d’un simple rideau de brouillard. Profitant des dernières bribes nocturnes afin d’apaiser leurs yeux las, épuisés de leur dernière mission, l’équipe monastèrienne lâcha un lourd bâillement à l’unisson, Boomer se frottant vigoureusement l’œil gauche qui menaçait de laisser sa paupière le recouvrir. La lumière seule de l’habitacle du vaisseau, qui pourtant n’était pas particulièrement agressive, blessait presque la rétine des jeunes gens, les poussant à plisser le front afin d’en supporter les néons.

Chacun d’eux restait plongé dans de sombres pensées connues de leur seule personne. Ky, le chef d’équipe brun, se retenait exceptionnellement de fanfaronner quant à leur toute récente victoire, au sein de la grotte servant visiblement de lieu de résidence aux Hiverax. Habituellement, et bien que l’adolescent soit capable de mettre son orgueil de côté en cas d’urgence, il ne se gênait pas pour laisser ce dernier prendre le contrôle de sa langue, fâcheuse manie ayant déjà mené son équipe au-devant d’ennuis. Mais cette fois, rien ne pouvait le détourner de l’étrange reflet qu’il avait cru apercevoir, dans l’un des bassins de la grotte en question. Au départ, il ne s’était approché de la superposition des cuves naturelles, remplies d’une eau ondoyant d’un reflet doré mais fraîche, uniquement pour suivre la direction indiquée par son X-Reader censée le mener aux réserves de kaïru de l’étrange. Néanmoins, toute considération propre à sa quête fut balayée par un simple mouvement, d’abord capté du coin de l’œil. Son attention attirée, il se concentra sur le reflet venant brutalement d’apparaître, sur le reflet du relief juste devant lui. Puis, l’entièreté de son corps parut se glacer instantanément, une sueur froide coulant le long de ses tempes. Certes, la vision avait disparue presque aussitôt, guère plus qu’une image à peine visible, mais le combattant du bien était certain de ce qu’il avait vu. La silhouette d’une tête et du haut d’un buste, massive, le corps en entier étant très probablement plus grand que lui-même. Et surtout, l’apparence rectangulaire de l’ensemble, comme délimitée au millimètre près… Les caractéristiques que Ky attribuait immanquablement au Maître du Mal censé avoir péri dans l’explosion de son repaire. Lokar, le pire ennemi du monastère.

Mais il avait eut beau se tourner et se retourner dans tous les sens, explorer d’un regard paniqué l’ensemble des voûtes ocre garnies de stalactites, rien n’était venu confirmer ou infirmer sa théorie. Et à peine eut-il le temps d’expliquer la raison de son soudain mouvement terrifié à ses coéquipiers, que les Hiverax apparurent à son tour, l’empêchant de pouvoir réfléchir plus avant. À présent, le défi kaïru remporté et attendant impatiemment de retrouver son propre Maître, Ky avait tout le loisir de tourner dans tous les sens l’image qui lui semblait avoir distingué, peaufinant encore et encore son souvenir dans l’espoir d’en retirer une certitude. En vain pour l’instant. Enfin, personnellement, il restait convaincu qu’il s’agissait de la silhouette de Lokar, du moins le doute subsistant restait minime. Mais comme l’expliqua si justement Boomer, il faisait sombre dans cette grotte, et il n’avait pas prêté attention à l’apparition avant qu’elle ne vienne frapper son œil. En tous les cas, il lui fallait rapporter dès que possible cette désagréable nouvelle à Maître Baoddaï, et au Redakaï, puisque ses membres résidaient en ce moment au monastère. C’était son devoir de combattant.

Boomer, quant à lui, luttait pour garder sa blonde tête droite, fixant avec prudence la route céleste s’étalant devant le pare-brise du vaisseau. Il se savait pilote émérite, mais la fatigue engourdissait progressivement ses membres, manquant d’endormir à plusieurs reprises sa vigilance de conducteur. Heureusement, la seule idée de provoquer un accident, et donc de blesser potentiellement ses amis, suffisait à lui provoquer quelques sursauts bienvenus, le laissant un instant désorienté mais suffisamment réveillé pour continuer à piloter. Maya ne sachant pas piloter, et Ky tenant davantage du danger public que du conducteur de formule 1, le solide garçon ne pouvait guère passer la main à qui que ce soit. Quant à Mookee, leur petite mascotte extraterrestre et propriétaire légitime du vaisseau, elle était restée au monastère afin d’aider à la réception des Maîtres. Au moins, il y avait tout de même une bonne chose entre la bataille dans une grotte (légèrement claustrophobe, Boomer s’était fait une joie de s’immerger dans le combat pour en oublier son cadre. Et encore, avant d’accéder à la gigantesque salle au sein de laquelle les Stax se confrontèrent aux Hiverax, les premiers furent obligés d’emprunter un mince boyau afin d’y accéder, à peine assez large pour contenir la forte musculature du blond) et le vol de nuit. Une fois revenus au vaisseau, il put – enfin ! – déguster un large bol de riz gluant. Pas qu’un seul, d’ailleurs. Pourquoi fallait-il toujours qu’ils soient envoyés en mission avant le petit-déjeuner ?

Et encore, si leur première mission ne s’était pas déroulée au beau milieu d’une rizière ! Il en avait salivé tout du long, rêvant aux nombreuses déclinaisons du riz consommables ! Enfin, il avait bien senti que les choses ne seraient pas si simples ; à partir du moment où, juste quand les Stax s’apprêtaient à s’opposer aux Hiverax, Zane était apparut tel un boîte sortant de sa boîte, pour se planter directement face à l’équipe de triplés. Et dire que le monastère supposait que cette dernière travaillait pour Zane ! Évidemment, au lieu de se mêler joyeusement à la mêlée pour empêcher quelconque E-Teens de prendre la relique sous leur nez, Ky et Maya préférèrent attendre et observer, histoire d’en apprendre plus encore sur les protagonistes. Après la défaite du chef des Radikors, impossible d’empêcher les triplés d’empocher la relique, puisqu’ils l’avaient remportée au cours d’un défi kaïru… Encore heureux que les Stax, dissimulés derrière les hautes herbes et le rebord d’une rizière, ne se firent pas découvrir par l’un ou l’autre ! Si encore cela s’était arrêté là… Mais puisque les Hiverax ne travaillaient pas pour Zane, fit remarquer Ky, c’était peut-être qu’ils travaillaient pour Lokar. Et le chef des Stax ayant de la suite dans les idées, il décida de suivre l’équipe afin d’en avoir le coeur net. Trouver la grotte où se cachaient les Hiverax, les débusquer, les battre puis faire le trajet de retour au monastère… Tout cela combiné, les Stax furent absents de leur lieu de résidence pendant une bonne journée entière. Autant dire que Boomer en avait vraiment plein les pattes !

Quant à Maya, ses préoccupations étaient à la fois proches, et très éloignées de celles de ses camarades. Assise sur les marches précédant le couloir menant à l’arrière du vaisseau, et aux chambres des adolescents, juste à côté de son chef d’équipe, la jeune femme s’efforçait d’analyser froidement tout ce qu’il venait de se passer, tapotant nerveusement sa cuisse du bout des doigts. Elle aussi pensait dur comme fer que Lokar se trouvait impliqué dans l’arrivée des Hiverax, de quelque manière que ce soit. Elle ignorait encore si Ky avait bien vu le reflet du Maître du Mal dans la grotte, mais rejoignait l’avis de celui-ci quant à son lien avec l’équipe de triplés, bien que ses raisons diffèrent. Comme elle l’avait avoué à ses amis, juste avant de partir à la poursuite des Hiverax, une vision troubla sa nuit, la veille. Elle y avait vu la fameuse équipe, face à une brèche dans les stalactites d’une grotte remplie d’ombres si denses, que seule une voix en sortait. Une voix ressemblant fortement à celle de Lokar… son grand-père. Celui de qui elle avait hérité les marques bleues ornant ses joues. Il ne lui restait plus qu’à comprendre le sens de sa vision.

Retenant un petit soupir inquiet, elle en revint à ses réflexions. Une mission très étrange, vraiment… Si elle fut également extrêmement surprise de voir Zane débarquer de nulle part, elle restait plus perplexe encore sur sa confrontation avec l’équipe. Tout d’abord, parce qu’elle sentait instinctivement que quelque chose lui échappait, sans pouvoir mettre le doigt dessus. Les deux équipes semblaient se connaître sans s’être jamais rencontrées, par exemple ! Mais le plus incompréhensible à ses yeux, restait la manière dont Zane avait réussi à se débarrasser des « spirales de confusion » des triplés. Un instant, le chef des Radikors gisait presque à terre, comme incapable de jamais se relever ; et la seconde d’après, il se redressait, faisait un bizarre mouvement à l’aide de son bras, et… Eh bien, Maya n’était pas très sûre de ce qu’elle avait vu. Une sorte de lame peut-être, jaillissant en suivant le geste circulaire de l’E-Teens, tranchant d’un coup d’un seul le brouillard l’enveloppant. La jeune femme pensa premièrement qu’il s’agissait d’une utilisation de son kaïru intérieur, mais ce dernier arborait toujours une couleur bleutée, propre à l’énergie mystique. Là, la force qui avait fendu l’attaque des Hiverax était d’un rouge carmin, presque écarlate, agressif. Comme extrêmement concentrée dans cette seule offensive. Mais surtout, ce fut comme si elle avait arrêtée en pleine élan, prête à tout ravager sur son passage, bien que Maya ne comprenne pas la raison de cette impression. Mais tant de nouvelles choses se précipitaient autour du kaïru en ce moment, cela ne l’étonnerait pas plus que cela d’apprendre que Zane, suivant les traces de son Maître, ait tenté de manipuler l’énergie à son tour. Tout comme Lokar parvint à créer le kaïru obscur, cette si sombre et dévastatrice énergie… Sauf s’il s’agissait d’une autre capacité de Zane, qu’il cachait depuis des années au monastère, ainsi que ses illusions ? Mais dans ce cas, devait-elle en parler à Maître Baoddaï, elle qui s’était promis de garder le secret tant que l’E-Teens n’utilisait pas ce pouvoir contre le monastère ?

– On arrive bientôt à la maison ? demanda-t-elle finalement, dans l’impossibilité de répondre à ses propres questions.

– Dans dix minutes, déclara presque instantanément Boomer, avant de bâiller longuement pour la énième fois (intérieurement, Maya serra les dents, afin de résister à l’envie d’étirer ses propres mâchoires. Pourquoi les humains devaient-ils tant imite instinctivement leurs congénères ?!).

À tous les coups, le solide adolescent comptait depuis leur départ les minutes les séparant du monastère…

– Boah, tant mieux ! Je suis impatient de donner cette sphère à Maître Baoddaï, intervint Ky à son tour, le visage grave.

Puis, le chef des Stax abandonna rapidement le sérieux pourtant gravé une seconde auparavant sur ses traits, étirant les bras vers le plafond tout un lâchant un long bâillement sonore.

– Et de sauter dans mon lit ! acheva-t-il, les yeux brillant de fatigue.

Afin d’appuyer plus encore ses propos, il bâilla encore plusieurs fois, avant de s’avachir sur les marches, mains placées à la hâte dans son dos pour ne pas se rogner la colonne vertébrale avec leur rebord.

Maya hocha vigoureusement la tête, se tournant à demi vers la sphère en question. Déposée un peu en arrière des deux adolescents, calée entre les rails d’une discontinuité du X-Scaper proche du sol (bien que cela ressemblât terriblement à un accoudoir, la jeune femme ne voyait pas très bien quelle pourrait bien être son utilité à cette distance… De la décoration peut-être ?), l’objet semblait attendre patiemment, tressautant à peine à chaque changement de direction de l’appareil. Il s’agissait d’une boule faite d’un matériau ressemblant à du verre, ou du cristal, transparente. Afin de la préserver des chocs, Ky tendait régulièrement la main, l’immobilisant sur son socle. Luisant d’une mince aura presque mauve, la sphère se trouvait remplie d’une énergie d’un bleu si éclatant qu’il en devenait blanc, pure d’après le don de Maya de ressentir l’énergie kaïru. Des sortes de petites bulles provenant de l’intérieur de l’objet venaient par moments s’écraser contre ses parois, tandis que de minuscules éclairs parcourant régulièrement sa surface. Les Stax l’avaient trouvé juste après leur victoire contre les Hiverax, luisant dans l’un des bassins de la grotte, si puissamment qu’ils en furent un instant éblouis. Bien que l’intensité lumineuse ait drastiquement décrue, la sphère continuait d’attirer les regards de chaque membres des Stax – quoique, moins celui de Boomer, occupé à surveiller la route devant eux. Maya espérait vraiment que cet étrange objet en valait la peine ; ils avaient bien décidé de partir sans fouiller la grotte à cause de cela.

Enfin, la silhouette du monastère se profila à l’horizon, apaisant la jeune femme comme chaque fois qu’elle rentrait de mission. L’incomparable sensation de rentrer à la maison… Il lui faudrait aussi rendre visite à Ekayon, avant de prendre un repos bien mérité, ne serait-ce que pour s’assurer qu’il se portait bien. Et voir où en étaient ses recherches par rapport au mystère que cachait le Redakaï.

Faire atterrir le vaisseau ne fut qu’une formalité pour l’excellent pilote qu’était Boomer, bien qu’il manqua heurter les échafaudages de bois dans son impatience de se délasser enfin les jambes. Comme il le dit si bien, « pourvu que Mookee n’ait rien vu » ! Très attaché à son vaisseau, le petit extraterrestre ne manquerait pas, le cas contraire, de passer un savon en règle au combattant kaïru. À la suite de ses compagnons, Maya emprunta l’escalier de fer servant de passerelle au vaisseau, prenant garde à ne pas tomber bêtement. À bien y réfléchir, elle regrettait presque de ne pas avoir prit une seconde assiette de choucroute, son estomac criant famine. Mais bon, elle emprunterait un ou deux trucs à grignoter auprès de Mookee, tandis qu’elle éplucherait inlassablement les livres de comptes confiés par Maître Baoddaï… Plus elle travaillait à la tâche qui lui eut été assignée, moins elle avait l’impression d’en voir le bout ! Et dire qu’Ekayon attendait ses conclusions, avant de pouvoir continuer ses propres recherches !

Bah, prendre une petite heure de temps pour la consacrer à ses objectifs personnels ne pouvait pas être terriblement préjudiciable, après tout ?

Le temps de débattre mentalement de cette idée (elle n’y avait pas pensé premièrement, mais si elle s’écoutait, il lui faudrait désobéir indirectement à son Maître ! Ce n’était pas rien !), les Stax se retrouvèrent dans la cour du monastère, se présentant au chef de ces lieux afin de présenter leur rapport. Arrivé en dernier, Ky tenait dans la paume de sa main l’étrange sphère en question.

Debout au pied du bonsaï géant, surélevé sur une petite plateforme de pierre, le vieil homme n’aperçut pas sur-le-champ son équipe, plongé en grande discussion avec deux de ses confrères, Maître Atoch et Maître Quantus. Chacun des trois grands Redakaï arboraient une mine sombre, voir franchement inquiète à propos du métisse aux lobes percés. Maître Quantus, le plus âgé des membres du Conseil, alla jusqu’à poser une main qui se voulut rassurante sur son épaule, la pressant avec toute la sérénité émanant de sa vénérable personne. Si elle fut impressionnée de se retrouver face à trois éminents Maîtres kaïru, Maya s’en trouva néanmoins fort curieuse. Le Redakaï avait-il enfin pris une décision quant à la situation ? Pour une simple mission kaïru ayant mal tournée, ces messieurs prenaient beaucoup de temps…

Nul doute pour la jeune femme que les choses étaient bien plus graves qu’ils ne le laissaient paraître.

Réalisant enfin qu’ils n’étaient plus seuls, les trois Maîtres se turent, Atoch et Quantus prenant le temps d’incliner le chef à l’attention des jeunes combattants. Le visage de Maître Baoddaï se détendit imperceptiblement, tandis qu’il croisait les mains derrière son dos, impassible comme à son habitude. En revanche, celui de Maître Atoch exprima un profond désarroi, tandis que les tempes du plus vieux sage du Redakaï se para de minuscules ridules.

– Il n’est pas avec eux non plus, souffla le métisse, oscillant entre l’agacement et le dépit.

Deux paires d’iris, l’une d’un vert éclatant pour Quantus, l’autre d’un ocre pâle pour Baoddaï, le dardèrent d’un air de reproche, comme pour lui dire de ne pas mêler ses affaires à celles actuelles.

– Vous revoilà enfin les Stax, les accueillit ce dernier, sans reproche, mais sans vouloir perdre de temps. Eh bien, votre dernière mission semble vous avoir épuisés !

Comme pour abonder dans le sens du Maître, Boomer se mit de nouveau à bâiller bruyamment, pensant pour une fois à couvrir sa grande bouche de sa main. Enfin, du moins approcha-t-il les doigts de ses lèvres… Pinçant les siennes, Maya réprima à grand-peine son rire devant les mines intrigués des autres manipulateurs de kaïru présents. À l’exception d’Atoch, ne se départissant pas de son expression inquiète.

– Oui, sans parler du voyage de nuit, confirma le blond sans paraître voir quoi que ce soit, étirant ses bras sur toute leur longueur. Mais qui n’est pas là, au fait ?

Maya hocha la tête, satisfaite. À dire vrai, elle était sur le point de poser la même question.

Cependant, son sourire s’effaça presque instantanément.

– Cela fait plusieurs heures qu’Ekayon a disparu, expliqua son Maître. Les Taïro sont venus signaler que sa chambre était vide, aussi ai-je pensé qu’il en avait eu assez de rester couché et était parti faire un tour. Ce n’est pas la première fois que mon élève décide de prendre quelques initiatives par lui-même en dépit de mes conseils (à cette évocation, la mine sombre de l’homme s’éclaira d’un mince sourire affectueux. Mais rapidement, il en revint à son souci principal). Seulement, nous avons beau eut fouiller le monastère de fond en comble, impossible de le retrouver. J’ai juste découvert que la capsule de secours de mon vaisseau avait été « emprunté », aussi, en fin de compte, avons-nous pensé qu’il était parti vous rejoindre, afin de se dérouiller un peu. Mais visiblement, ce n’est pas le cas…

– Bah, Ekayon est un grand garçon, je suis certain qu’il saura se débrouiller où qu’il soit allé, supposa Ky, trépignant d’impatience de livrer les informations récoltées durant leur mission.

– Et est-ce que vous avez essayé de le contacter ? tenta Boomer.

– Bien évidemment ! Mais il ne répond pas à son X-Com, et je ne peux pas projeter un hologramme pour lui parler, vu que je n’ai aucune idée de l’endroit où il se trouve. Vous aurait-il parlé de quelque chose, d’un lieu au sein duquel il comptait se rendre par exemple ?

Désolée, l’équipe monastèrienne hocha négativement, à la grande inquiétude du Maître. La jeune femme se mordit nerveusement la lèvre inférieure. Pourvu que le solitaire n’ait pas décidé de faire cavalier seul en allant chercher des réponses sans en parler à qui que ce soit… Le pire étant que, connaissant le jeune homme, Maya en aurait parié son X-Drive préféré que c’était le cas. Bon sang, qu’elle se sentait mal de ne pas pouvoir dire ce qu’elle savait à Maître Atoch ! Il paraissait tellement affligé de la disparition de son élève, qu’elle dut mobiliser toute sa volonté pour ne pas franchir la distance les séparant afin de le prendre dans ses bras. Mais outre le fait qu’un tel geste serait malvenu de la part d’une combattante face à un Redakaï, si jamais les Maîtres apprenaient qu’ils menaient tous les deux des recherches en parallèle, Ekayon et elle pouvaient dire adieu à leurs chances de comprendre…

– Enfin, je vais continuer les recherches, conclut Maître Atoch. Il ne peut pas non plus être très loin, avec sa blessure qui l’handicape. Je serais désolé d’accaparer tout votre temps, alors que des tâches plus urgentes nous appellent.

Pourtant, le visage de l’homme clamait que rien d’autre ne lui importait tant que de retrouver son élève.

– C’est très généreux de votre part, approuva Maître Baoddaï, compatissant. Quant à vous, mes chers combattants, je suppose que vous avez des raisons pour vous être tant attardés ?

Sautant sur l’occasion, le chef des Stax tressaillit, calant plus confortablement la sphère récupérée dans la grotte sur sa hanche.

– Nous étions pressés de vous revoir, Maître Baoddaï, intervint-il à son tour, escaladant sans efforts la pente rocheuse menant à son Maître.

Si la réaction de Ky surprit les Maîtres de par son empressement, ils n’en montrèrent rien, gardant la neutralité propre à leur statut. Si ce n’était la petite lueur satisfaite brillant leur regard, quand ils comprirent que les Stax avaient remporté la relique. Et quelle relique, songea Maya, se frottant instinctivement les bras.

– Nous avons découvert trois choses très importantes, continua le brun. Tout d’abord, cette sphère étrange…

Saisissant l’objet, que lui tendait son élève, Maître Baoddaï en écarquilla les yeux de surprise.

– Très intéressant, murmura-t-il (il la leva à hauteur de son visage, examinant ses reflets chatoyants). Extrêmement intéressant. Mmm… Qu’est-ce que ça peut bien être ?

Incrédules, Maya et Boomer, restés au pied du rocher, s’échangèrent un regard perplexe. Comment ça, Maître Baoddaï ne savait pas non plus ce que pouvait bien être cette chose ?!

– Nous pensions que vous le sauriez, expliqua piteusement la jeune femme, dévisagea son Maître.

– Je n’ai jamais rien vu de tel, déclara Baoddaï, réduisant à néant ses derniers espoirs. Je ressens qu’elle contient une grande quantité de kaïru, mais en-dehors de cela, c’est un vrai mystère… Qu’en pensez-vous, Maître Quantus ? Maître Atoch ?

S’approchant du Grand Chef du Redakaï, le premier fut plus prompt à saisir la sphère, la scrutant à son tour sous toutes ses coutures, au moins aussi perplexe que son collègue.

– Je dois avouer que je n’y connais pas grand-chose de plus que vous, avoua l’homme. Comme vous, je sens qu’elle équivaut à quatre ou cinq reliques basiques, et encore, ce peut être plus ! Mais même le kaïru qu’elle contient me paraît… étrange. On dirait bien de l’énergie pure, mais encore différente…

Promptement, cependant, il la confia à Maître Atoch, ce dernier n’y accordant qu’une attention plus brève encore, avant de la tendre à nouveau à Maître Baoddaï.

– Cela me rappelle terriblement les manipulations de Lokar sur le kaïru, lâcha-t-il distraitement.

– Oui, je sais, coupa Ky, s’attirant un regard désapprobateur de sa coéquipière.

D’accord, leurs informations relevaient de la plus haute importance, mais ce n’était pas une raison de se montrer impoli avec les Maîtres du Redakaï ! Par chance, aucun des intéressés ne s’en formalisa, bien que leurs sourcils se froncèrent à l’unisson. Même Atoch, perdu dans ses pensées, semblait intimer au jeune homme de maîtriser son impétuosité.

– Et ce n’est pas le seul mystère, continua le brun s’en paraître s’apercevoir de son erreur. Nous avons de bonnes raisons de croire que Lokar est vivant, et que nous étions dans son repaire.

Les fronts des trois hommes se ridèrent plus encore ; mais cette fois, l’impolitesse d’un jeune combattant n’était pour rien dans leur réaction. Bien moins soupçonneux que ne l’aurait pensé Maya, Maître Baoddaï intima silencieusement à son élève de préciser son affirmation.

– J’ai cru voir son reflet dans l’un des bassins d’une grotte géante. Enfin, je suis quasiment sûr que c’était lui… termina-t-il, tournant son regard vers la gauche, comme s’il se demandait lui-même si c’était possible. Mais l’instant d’après, il avait disparu !

– Oui, appuya Boomer, et puis ce sont les Hiverax qui sont apparus ! Tout ça nous fait penser que Lokar est sûrement derrière ces nouveaux E-Teens !

Maître Baoddaï tourna le dos à ses élèves, interrogeant les autres membres du Redakaï du regard. L’affirmation du blond avait suffit à tirer Atoch de ses réflexions, et comme l’ensemble des combattants présent, son visage s’était empreint d’une gravité lourde, bien que sa façon de redresser le torse laissa deviner le malaise s’emparait de lui à la mention de la survie du Maître du Mal.

– C’est une supposition extrêmement grave, déclara sentencieusement Maître Baoddaï.

– Ce n’est pas tout, ajouta Maya avant que l’un d’entre eux ne puisse commencer à émettre quelques objections. J’ai eu de nouveau une vision, et elle concernait aussi Lokar. Mais je ne sais pas ce qu’elle signifie…

– Ça veut dire que nous devons retourner là-bas et le faire sortir de sa cachette ! s’exclama Ky, plein de verve et le poing dressé devant lui.

– Non, Lokar se montrera en temps voulu, coupa Maître Baoddaï, posant brièvement sa main sur l’épaule de son élève. Si jamais il a réellement survécu.

– Plus le temps passe, plus je doute de sa mort, soupira Maître Atoch, levant les yeux au ciel.

Cette fois, ce fut lui qui dut soutenir les regards réprobateurs de ses collègues. Ignorant superbement les reproches implicites, Atoch fit mine de ne rien voir, une équanimité qu’admira la seule fille des Stax.

– Et enfin, acheva Ky, alors que nous explorions la grotte à la recherche du kaïru, Maya a ressenti une puissante concentration d’énergie.

– C’est exact, reprit l’intéressée. Cette énergie est apparue soudainement, avant de disparaître tout aussi rapidement. Seulement, ce n’était pas comme pour le kaïru pur… Et bien que j’ai senti que ce n’était pas normal, il ne s’agissait pas non plus de kaïru obscur. En fait, j’ai eu l’impression, un court moment, de me trouver à proximité d’une grande « réserve » d’énergie. Mais je ne sais pas vraiment comment expliquer ça.

– Un peu comme un fleuve qui s’écoule, sans début ni fin ? questionna Maître Atoch.

Ses deux collègues manquèrent sursauter, les yeux étincelants de ce qui, chez d’autre, aurait bien été de la colère. Si le métisse parut sur-le-champ désolé d’avoir laissé échapper une information que Maya jurerait plus importante qu’il n’y paraissait, son visage plus innocent que l’agneau venant de naître était aussi convaincant que celui de Maître Baoddaï, bien trop figé pour refléter son état d’esprit. Le Maître d’Ekayon essayait-il de leur faire passer un message ?

Jetant un regard en coin à ses amis adolescents, elle fut déçue de constater qu’elle fut la seule à trouver une quelconque importance à ce « lapsus », Ky restant obnubilé par la possible survie de Lokar tandis que Boomer se demandait seulement comment pareille comparaison ait pu effleurer l’esprit du métisse.

– Mais ce n’est hélas pas notre seul problème, intervint Maître Quantus avant que l’un des Stax n’ait pu l’interroger. Pendant que vous étiez partis en mission, nous avons reçu d’autres nouvelles inquiétantes… Vous souvenez-vous de votre quête, l’année dernière, durant laquelle vous avez empêché ce peuple de… « têtes de briques » de s’emparer du Poing du Colosse ?

Sifflotant tout en tentant de paraître discret (ce qui était plutôt problématique quand la seconde d’avant personne n’émettait le moindre son), Boomer réussit à ignorer superbement la mince roseur colorant ses joues. Les Stax oubliant le nom du peuple en question, ils avaient adopté la dénomination du grand blond, puisqu’ils ne parvenaient pas à raviver leurs souvenirs. Quelque chose qu’ils regrettaient par moments, quand les Maîtres lâchaient sans grande conviction ce « tête de briques » du bout des lèvres…

– Oui, bien sûr, comment oublier tous les gens que nous avons délivrés là-bas ?! Ils prenaient Boomer pour leur envoyé des dieux, ou quelque chose de ressemblant, s’exclama joyeusement Maya. Puisqu’ils tenaient tellement à leur idole, nous avons décidé de leur laisser, puisque toute l’énergie kaïru avait été drainée.

– C’est exact. Malheureusement, le Poing du Colosse ne semble pas avoir perdu intérêt pour tout le monde, reprit Maître Quantus. Cette information vient de nous parvenir ; mais trois jours auparavant, une attaque surprise a été menée contre ce peuple abritant l’ancienne relique kaïru.

– Oh non, souffla Maya, horrifiée. Comment vont-ils ?!

De nouveau, un pesant malaise s’abattit sur le petit groupe, bien que les Maîtres tentèrent de garder leur impassibilité. Plus que le reste, cela persuada la jeune fille qu’il s’agissait de quelque chose de grave.

– Pour l’instant, se lança Maître Atoch, nous n’avons retrouvé aucun survivant. Mais ne paniquez pas, s’empressa-t-il d’ajouter devant les mines déconfites des adolescents, je suis certain qu’ils se sont cachés dans les montagnes, et que les choses sont bien moins dramatiques qu’elles paraissent !

L’homme tenta de mettre toute la conviction possible dans sa déclaration, afin de les rassurer sur le sort de leurs amis. Mais personne, parmi les Stax, n’osa vraiment y croire. Boomer, éternel optimiste, tenta d’acquiescer, sans pourtant prononcer un mot. Même Ky avait oublié son désir de partir sur-le-champ à la grotte, ne sachant plus comment réagir. Dévastée, Maya s’appuya discrètement sur Boomer, passant lentement la main sur son front. Peut-être qu’au fond Maître Atoch avait raison… Elle aimerait tellement y croire. L’idée qu’un tel massacre puisse être perpétré était hors de sa compréhension.

– Mais pourquoi ? Pourquoi attaquer un peuple qui ne sait pas se défendre ?

– Nous ignorons encore les raisons, mais nous savons que la seule chose ayant disparue, est le Poing du Colosse. Les maisons ont été en partie détruites, mais rien n’a été volé.

– Quel intérêt, puisqu’il ne contient plus d’énergie kaïru ?

– Tel est le mystère. Mais nous ne prenons pas ces informations à la légère, nous allons en informer le reste du Redakaï, et Maître Redall est déjà parti enquêter sur place, en personne, assura Maître Baoddaï.

Dépassant les deux autres membres du Redakaï, l’homme s’avança jusqu’au bonsaï gigantesque, s’accroupissant pour déposer la sphère au pied du vénérable végétal. À côté de toutes ces nouvelles, Maya en avait presque oublié le résultat de sa mission.

– Est-ce que vous avancez dans votre Conseil ? s’enquit Ky, la voix hachée. Je veux dire, avez-vous pris une décision ?

– Nous avons quelques pistes de réflexion, répondit évasivement Maître Baoddaï.

Il ne put s’avancer plus avant dans ses explications. Alors qu’il tendait encore les bras, genoux au sol, il se figea soudainement, ses yeux se levant vers le ciel.

– Je connais ce regard, fit Boomer. De l’énergie kaïru ?

– Oui, je détecte une nouvelle source, confirma Maître Baoddaï. Je sais bien que les dernières nouvelles ont été éprouvantes pour vous, et j’en suis désolé, mais nous ne pouvons pas laisser les E-Teens nous devancer.

– Nous comprenons, assura Ky, glissant le long du rocher soutenant les Redakaï. On se reposera plus tard, on y va !

– Et si vous voulez, je peux essayer de contacter Ekayon durant le trajet, proposa Maya en s’adressant au Maître de ce dernier.

La lueur qui brilla dans les yeux de l’homme valait, pour la jeune fille, tous les remerciements du monde.

– Cela me rassurerait. Il faut juste que je te donne les coordonnées de son X-Com…

– Boomer ! s’exclamèrent un trio de voix enfantines.

Surgissant de l’autre côté du pont, les Taïro se précipitèrent vers le blond, accordant à peine un regard au reste de l’assemblée. Forcée de mettre une main sur la bouche afin de dissimuler son sourire devant la petite moue envieuse de son chef d’équipe, Maya inspira profondément. Ce n’était pas le moment d’éclater de rire ; dommage que Ky n’ait toujours pas accepté que Boomer était et resterait le chouchou des débutants !

– Est-ce que tu as encore récolté du kaïru ? s’enquit Apecks. Je parie que c’était dangereux !

– Boah, Boomer n’a peur de rien de toute façon ! renchérit Djia. Pas vrai ?

D’abord surpris par l’arrivée de la jeune équipe, le blond se remit promptement, le sourire en gâteau d’anniversaire. Dire qu’il appréciait ces marques d’affection restait un doux euphémisme…

– Le temps que notre cher ami se remette de sa séance de congratulations, je vais prendre cinq petites minutes pour essayer de contacter Ekayon, s’empressa de déclarer Maya.

Une fois isolée, il serait plus facile de lui parler de leurs… affaires personnelles.

– Ce ne sera pas nécessaire, soupira Maître Baoddaï. Les Taïro sont censés se préparer pour l’entraînement !

– J’insiste, je ne serais pas longue ! insista la jeune fille, filant vers le monastère, une fois les coordonnées de l’X-Com du combattant récupérées auprès d’Atoch.

Certes, cette façon de prendre congé fut fort cavalière, mais quitte à paraître grossière, autant se dépêcher !


µµµ


– Est-ce qu’il nous suivent toujours ? questionna Tekris, haletant.

– Aucune idée, mais je n’ai pas l’intention de m’arrêter pour le découvrir, répondit Ekayon, à hauteur du colosse. Et toi ?

– Je ne te parlais pas, grogna l’intéressé. Mai si tu veux répondre aux questions, qu’est-ce que tu fichais ici, avant de débarquer comme un diable surgissant de sa droite.

Étrangement, le solitaire se retrouva frappé de surdité précoce, faisant mine de n’avoir rien entendu. Tekris n’insista pas – à dire vrai, il préférait éviter le moindre bruit pouvant possiblement les faire repérer –, bien qu’il se promit intérieurement d’en apprendre davantage plus tard.

Se désintéressant du solitaire, il reporta son attention sur l’objet de ses pensées, et pas depuis la veille. Quelques mètres derrière lui, Zair courait à grandes enjambées, un bras pressé contre son ventre encore douloureux de la frappe d’Adriel, son autre main glissée quelques minutes dans celle du colosse. Bon, à dire vrai, celui-ci ne lui avait pas tellement laissé le choix ; son amie avait beau être la femme la plus forte qu’il connaissait, et qu’il avait connu de toute sa vie, elle s’était pris plusieurs mauvais coups avant de pouvoir échapper aux sbires d’Adriel. Plutôt la traîner tout le long du chemin dans ses bras et subir ses réprimandes, que la laisser se faire distancer ne serait-ce que d’un poil de derrière !

Au moins tenait-elle sans réel problème le rythme soutenu du trio, parvenant en de logues foulées à tenir la dragée haute aux deux hommes. L’inverse aurait fortement surpris Tekris, une fierté puissante et nouvelle venant s’ajouter à l’inquiétude tenace nouant ses entrailles quant à l’état de sa coéquipière. Quoique, à dire vrai, elle paraissait bien plus soucieuse que souffrante, les lèvres pincées et la mine inquiète. Chaque fois que le colosse tentait de capter l’éclat de son regard pâle, elle se détournait promptement, comme si elle fouillait le paysage à la recherche d’une menace surgissant brusquement derrière une congère. Tekris ne s’en offusquait pas. Il se doutait pertinemment que son comportement fuyant avait un rapport étroit avec ce qu’elle avait promis de lui expliquer, une fois que la situation se serait apaisée. Ses révélations étaient-elles donc si énormes, si… affreuses, pour qu’elle craigne tant que cela qu’il la repousse, ou soit dégoûté ?

Hélas, pour le moment, seules ses propres questions tournoyaient dans sa tête, alors qu’il aimerait tellement murmurer quelques paroles apaisantes à la jeune femme, ne serait-ce que pour lui faire comprendre que rien, venant d’elle, ne pourrait jamais l’éloigner de la mince silhouette souple courant à ses côtés. En attendant de parvenir à le lui dire de vive voix, il ne lui restait plus qu’à presser affectueusement la petite main reposant dans la sienne, prenant garde à se montrer le plus doux possible. Il se savait très fort, en particulier pour un adolescent d’à peine quinze ans, et bien que Zair ait prouvé à plusieurs reprises être plus costaude qu’elle ne le laissait paraître, il éprouvait une peur bien réelle à l’idée de la blesser par accident. Aussi prenait-il ses précautions, plus particulièrement encore depuis leur rapprochement de ces derniers temps. Ils partageaient tous les deux des moments si doux, si paisibles… C’était la première fois qu’il ressentait un tel bien-être simplement en se tenant à côté d’une personne, hors de question de tout gâcher en se montrant brutal !

Enfin, pour le tête-à-tête, par contre…

Avançant inconsciemment les lèvres, presque boudeur, l’E-Teens coula un regard de biais au solitaire. D’accord, il admettait sans problèmes (du moins intérieurement ; quant à la clamer à haute voix, hum, personne ne le lui demandait, n’est-ce pas ?) que l’élève d’Atoch venait de leur sauver la mise en pli. Oui, vraiment, son intervention avait été des plus magistrales, leur permettant d’échapper aux griffes d’Adriel avant qu’elle ne puisse blesser, et ce de manière peut-être permanente, sa Zair. Contrairement à lui, Ekayon venait de faire un travail excellent… Tekris avait beau être le plus proche quand la brune s’en était pris à eux, même le plus fort du trio, il n’avait rien pu faire contre les maudits « liens de plasma » de l’énigmatique combattante.

Réduit à l’état de nourrisson, au moment où Zair avait le plus besoin de lui… Il ne cessa de se répéter pour lui-même qu’à sa place, le solitaire n’aurait pas pu plus agir qu’il ne le fit, rien ne parvenait à éteindre le feu de la culpabilité qui brûlait en lui. Certes, mais que le solitaire ose jouer au mâle viril tout-puissant devant Zair, et il verrait bien que Tekris ne se laissait pas barboter ceux qu’il aimait sous son nez sans rien dire !

Ses joues chauffèrent furieusement. Allons bon, qu’est-ce qui lui prenait encore ?! Il se doutait parfaitement que sa coéquipière n’avait pas les apanages nécessaires pour séduire le combattant solitaire – après tout, ce dernier demanda bien au colosse, à la sortie d’une mission particulièrement pénible, s’il était libre pour aller boire un verre à deux histoire de se détendre. Zane faillit d’ailleurs faire une crise d’apoplexie ce jour-là !

Peut-être, mais chaque fois, il ne pouvait s’empêcher de foudroyer le solitaire du regard, chaque fois qu’il approchait ses grosses pattes de sa coéquipière trop près à son goût. Qui sait, et si elle considérait le châtain comme un parti potentiellement acceptable ?

Allons, la mission ! Pas le moment de se perdre en conjectures inutiles !

Avisant l’arête tranchante d’un haut glacier, le colosse échangea un regard entendu avec sa coéquipière. Celle-ci, après avoir suivi son regard, hocha affirmativement du chef, faisant un bref signe du menton à l’attention d’Ekayon. Fronçant imperceptiblement les sourcils, celui-ci accéléra, dépassant rapidement le duo d’E-Teens afin de vérifier l’absence d’ennemis à proximité. Devant l’air approbateur de sa coéquipière, Tekris manqua s’élancer à son tour (uniquement pour vérifier que le solitaire ne préparait pas de mauvais coup ! Il n’avait aucune autre raison de se mettre ainsi en avant sinon… ). Mais il se ravisa presque aussitôt ; cela revenait à laisser Zair en arrière, seule. Si la jeune femme ne s’en serait probablement pas sentie plus vexée que ça, Tekris refusait de la quitter une seule seconde des yeux.

Un fin geste du poignet, quelques mètres devant, avisa le duo que la voie était libre. Pressant le pas, le colosse dut mobiliser toute sa volonté pour ne pas prendre Zair dans ses bras. Ça, par contre, l’aurait agacée au-delà des mots. Garçon manqué, elle n’avait jamais apprécié d’être traitée telle une princesse.

– Apparemment, nous les avons semé, au moins pour le moment, déclara Ekayon tandis que ses compagnons temporaires se dissimulaient à leur tour derrière leur abri improvisé. Ça m’étonne, venant de cette psychopathe, de la voir abandonner si vite la poursuite, d’ailleurs.

– Elle n’a pas laissé tombé, le contredit Zair. Je dirais plutôt qu’elle à trouvé un autre objectif à atteindre, en attendant de pouvoir s’occuper pleinement de nous. Adriel n’a jamais laissé se déliter l’une de ses « missions », à moins d’y être contrainte… ou de céder de sa propre volonté.

Tekris approuva silencieusement sa compagne, tandis qu’il l’installait en prenant toutes les précautions possibles dans cet environnement peu propice au rétablissement. Visiblement, il dut en faire trop, car Zair poussa un soupir exaspéré typiquement féminin, levant les yeux au ciel.

Néanmoins, elle ne lui intima pas l’ordre de cesser, se contentant de croiser les bras sur sa poitrine, déjà partie dans d’autres réflexions.

– Et donc, tu n’aurais pas une petite idée de comment vaincre cette folle et ses petits copains ? demanda Ekayon, s’adressant à Zair. Puisque tu as l’air de cerner plutôt bien sa personnalité…

– Qu’est-ce que tu insinues ? Elle n’a rien à voir avec Adriel ! intervint immédiatement Tekris.

À peine la phrase eut-elle jaillit de sa bouche, qu’il dut faire un violent effort pour ne pas rentrer la tête dans ses épaules. Avec ça, Zair allait à coup sûr le prendre pour un crétin maintenant !

– Tout doux, je ne l’accuse de rien, se défendit le solitaire, prudent. Simplement, même si je ne vous porte pas dans mon coeur – quoique, Zane est assez, hum, piquant pour qu’on s’amuse un peu –, j’apprécie encore moins la zozote d’en face. Après tout, elle m’a jeté par-dessus son animal de compagnie pour que je m’écrase !

– Effectivement, dur de laisser couler un truc pareil, commenta Zair.

– N’est-ce pas ? confirma le solitaire, tout fier. Bref, tout ça pour dire que j’ai bien envie de lui rendre la pareille. Et au centuple, si possible.

– Attends une petite minute, intervint Tekris, incrédule. Tu crois que nous, les Radikors, nous allons te laisser aller et venir sur nos terres, juste pour tes beaux yeux ?

– Meuh non, je sais que tu préfères ceux de Zair, ricana le solitaire.

Tekris se raidit, balbutiant des bouts de phrases bateaux ressemblant de très loin à des protestations (ou peut-être y avait-il une ou deux insultes dans le lot, afin de faire bonne figure ; impossible de confirmer ou d’infirmer puisque son cher cerveau décida de cesser de fonctionner pile à ce moment-là). Finalement, il se contenta de croiser les bras sur son torse, boudeur, foudroyant du regard l’andouille censée les accompagner, puisqu’il ne parvenait à rien d’autre que s’enliser sans espoir de retour. Hélas, bien qu’à quinze ans le Radikors soit déjà de quelques centimètres plus grand, et bien plus costaud, son langage corporel pourtant hautement agressif n’eut aucun effet sur l’impudent. À part lui arracher un sourire goguenard, et quelque peu intéressé. Derrière le colosse, la jeune femme manqua de s’étouffer – d’indignation, supposa le premier –, adoptant cependant des plus promptement sa position dite « l’indignation outragée et offensée » – enfin, quand elle ne se trouvait pas à portée d’oreille.

Étonné de ne pas entendre une vague de négation venant de sa coéquipière, Tekris le fut plus encore de la légère rougeur apparaissant sur les joues déjà rosées naturellement, tandis qu’elle découvrait un intérêt hautement scientifique à examiner sous ses moindres coutures le paysage glacé se trouvant pile devant elle.

La situation avait beau être grave, pour ne pas dire dramatique, le colosse ne put penser qu’à une chose. Elle n’avait pas dit non ! Et n’avait pas parut énervée par cette idée !

– Oh que c’est meugnon, railla le solitaire, à deux doigts de se rouler dans la neige en se tapant les côtes.

– Crois ce que tu veux, déclara enfin Zair d’un ton égal (une sérénité certes de façade, mais que Tekris lui envia). Toujours est-il que nous n’avons aucune raison de te laisser nous accompagner. Ce sont nos problèmes, et nous n’avons besoin de personne pour les régler !

Tekris opina vigoureusement du chef. Pas que le solitaire commençait à lui courir sur le haricot, mais c’était déjà bien assez vexant comme ça de s’être fait capturer par Adriel comme un bleu, alors nécessiter l’aide d’un monastèrien pour se sortir de ce genre de situation… Et surtout le solitaire ! Hum, non, à la réflexion, il préférait encore le châtain à la fierté crâne de Ky Stax.

– Ah bah maintenant ça me concerne aussi. Si jamais il vous arrive quelque chose alors que j’étais dans le coin, et que Zane apprend que je vous ai laissé le nez dans les ennuis jusqu’au cou, je pourrais numéroter mes abattis ! Et encore, je ne sais même pas si j’en aurai le temps… Vous ne trouvez pas que c’est un garçon un chouïa paradoxal, non ? Il ne veut être aidé par personne, mais il décolle une claque à celui qui oserai le laisser se débrouiller seul.

– En l’occurrence, Zane est plutôt du genre à refuser de s’allier avec son pire ennemi s’il n’a pas une bonne raison de le faire. Même s’il se trouve en danger de mort, corrigea Zair, sourcils froncés.

Le colosse partagea sa méfiance. Que pouvait-il bien savoir d’autre, à propos de Zane ? Et surtout, impossible qu’il apprenne à connaître l’irascible extraterrestre au cours d’une seule mission en Islande.

Une petite discussion avec leur chef d’équipe allait s’avérer nécessaire, à ce train-là…

– Vous êtes sûrs de le connaître ? fit mine de s’interroger le solitaire.

– Grosso modo, on vit ensemble, donc oui, siffla Zair. Et si tu continues à nous provoquer, ce ne sera plus Zane que tu devras craindre. Avise-toi de lancer une seule réflexion, et je te jure que tu ne pourras plus t’asseoir pendant une bonne semaine ! Au minimum.

Devant l’expression furieuse de l’adolescente, Ekayon lui-même battit en retraite, levant les mains en une tentative d’apaisement. Néanmoins, Tekris le vit déglutir avec ce qui ressemblait à de l’appréhension… Et intérieurement, il s’en sentit très satisfait !

Au moins, cela lui permettait d’occulter son propre réflexe de s’écarter prudemment de la jeune femme.

– Donc, tu nous suis, mais selon nos règles, c’est compris ? Tu fais ce qu’on te dis, quand on te dis.

– Un peu comme si j’étais un membre honoraire des Radikors ? Maître Atoch n’apprécierait pas, mais ça peut être enrichissant comme expérience. Promis, je serais l’exemple même de l’obéissance.

Le reflet même de l’expression dubitative du colosse s’afficha sur le visage de sa coéquipière. Ben voyons, et les aspirateurs volaient tiens… Bien sûr, l’attitude fortement joueuse du solitaire ne les aidaient pas à se convaincre de la totale honnêteté de son affirmation. À parier, il jurerait que l’homme leur apporterait autant d’aide que d’ennuis ! Et si jamais Zair payait les pots cassés à cause de lui…

– On verra ça, soupira cette dernière.

– Et quel est votre plan ? s’interrogea Ekayon, se rapprochant un peu trop selon Tekris.

Juste au cas où, il s’arrangea pour se retrouver juste à côté du solitaire, lui bloquant innocemment le passage sans pour autant lui tourner totalement le dos. De la méfiance, voilà, parfaitement ! En même temps, que savaient-ils de ce satané solitaire ? À part qu’il se montrait terriblement énervant ?

– Nous n’avons plus beaucoup d’énergie kaïru, et Adriel est puissante, énonça Zair tandis qu’elle se redressait (à la regarder ainsi, personne n’aurait pu penser que quelques minutes plus tôt, elle se servait du bras de Tekris comme soutien). Tu ne pourras pas la vaincre à toi tout seul.

– Je n’avais pas l’intention d’essayer, ça, c’est plutôt une manie des Radikors, rétorqua Ekayon.

Aucun des deux intéressés ne releva – enfin, Zair l’ignora superbement, tandis que Tekris se demandait sérieusement s’il était possible de revenir sur leur décision première. En particulier parce qu’aucun ne voyait le mal à cela ; d’accord, les membres de leur équipe avaient tendance à penser être capable d’affronter qui que ce soit, seul. Et alors ? C’était totalement vrai la plupart du temps.

– Si on veut la battre, il va falloir y aller en force, mener une offensive éclair. Un énorme assaut !

– En supposant que ça marche, ça va utiliser toute notre énergie, objecta Tekris.

Et il avait vu suffisamment de fois Zair vidée de ses forces ces derniers temps, merci beaucoup.

– Fais-moi confiance, si tout fonctionne comme prévu, elle n’aura pas d’autre choix que de partir.

Haussant les épaules, le solitaire laissait néanmoins trahir sa réflexion par la concentration s’affichant sur ses traits. S’il ne savait visiblement pas si son association avec les Radikors mènerait à quelque chose de profitable pour lui, ou s’il trahissait au contraire le monastère, le colosse ne vit pas l’ombre d’une hésitation dans son attitude. Il avait décidé de se battre au côté de ses pires ennemis, et il ne comptait certainement pas revenir sur sa décision. Voilà ce que le colosse comprenait.

Pourquoi donc un tel intérêt pour eux, soudainement ? Ekayon se révélait plutôt du genre à propulser les Radikors dans un volcan à l’aide d’une attaque, d’habitude…

Bah, après tout, beaucoup de choses changeaient depuis peu. Pourquoi pas le solitaire ?

– Très bien, on te suis. De toute façon, hors de question de les laisser s’emparer de la forteresse.


µµµ


Par mesure de précaution – et un petit peu de survie aussi, il fallait bien l’avouer –, Tekris s’empressa de consulter l’écran de son X-Reader, afin de repérer la position des marionnettes d’Adriel et, pourquoi pas, de leur maîtresse en personne. La première mauvaise nouvelle fut qu’autour de l’édifice construit par Lokar, il n’y avait plus que quatre points, que Tekris identifia comme les zombies de la brune. Plus lents qu’elle, il se déplaçaient surtout de manière erratique, alors que les mouvements de personne a fortiori vivantes se révélaient plus fluides. Et tous s’étaient regroupés autour du bouclier érigé par Zair.

Malheureusement, Adriel, et deux de ses sbires manquaient donc à l’appel. Aucun des trois alliés provisoires ne voulant croire qu’elle repartirait en laissant tout le boulot à ses seules créatures, la conclusion qui s’imposa à leurs esprits mis dans une rogne phénoménale la jeune Radikors, en même temps qu’elle élabora une bonne dizaine de scénario possibles quant au fait que sa protection n’ait pas tenue face à la brune.

– Peut-être l’a-t-elle simplement détruit, proposa Ekayon, qui n’en revenait pas que Zair ait la puissance de créer un bouclier de cette ampleur.

– Non, sinon toutes ses marionnettes seraient entrées avec elles. C’est sûrement sa capacité à se changer en brume qui lui a permis de le traverser. Je me demande bien comment elle fait ça…

– Et ses marionnettes, comment elle a fait pour les emmener avec elle ?

– Je suppose que c’est sa Comp… capacité à utiliser cette brume qui l’a aidé. Qui sait, elle est peut-être capable de détruire puis matérialiser ses créatures dans une certaine mesure ? Je ne sais pas très bien quelles sont les possibilités et les limites d’un tel pouvoir.

– Perso, je donnerais cher pour le savoir, lâcha pensivement Tekris.

S’ils avaient été seuls, Zair et lui, il aurait volontiers demandé ce qu’elle comptait dire au tout départ. Hélas, impossible avec le solitaire dans les parages. Si le colosse se doutait de plus en plus clairement que Zair avait au minimum côtoyé des types dans le genre d’Adriel, il devinait également que tout cela mettait terriblement mal à l’aise la jeune femme. Sinon, elle ne craindrait pas tant sa propre réaction, à partir du moment où elle lui promit de répondre à toutes ses questions ! En rajouter une couche devant un Ekayon déjà au courant de bien trop de choses ne lui disait rien qui vaille non plus. Tiens, en parlant de marionnette…

– Au fait, héla-t-il Ekayon, en Islande, Zane a terrassé combien de créatures d’Adriel à ton avis ?

– Combien ? répéta l’intéressé (visiblement, il s’attendait à tout, sauf à ce genre de question). Eh bien, il en a tapé pas mal, mais si tu parles dans le sens éliminé de la partie, je dirais deux ou trois. Pourquoi ?

– Je le savais, triompha Tekris.

– Espèce de grand gamin, sourit Zair, enfonçant son coude dans ses côtes.

Bien que la douleur fut fort minime, de l’avis de Tekris, il lâcha tout de même un bref grognement, ne serait-ce que pour éviter de vexer l’adolescente. Heureux de la voir sourire de contentement, il ne put empêcher ses lèvres de s’étirer en une expression tout aussi béate… pour reprendre tout aussi promptement son sérieux quand un ricanement moqueur retentit dans son dos. Dédiant un regard meurtrier au solitaire, il fut soulagé de constater que Zair, un peu plus en avant, n’avait rien remarqué.

Quelques minutes supplémentaires leur furent nécessaires pour parvenir au pied de la forteresse. En dépit de leur désir de presser le pas, ils durent à plusieurs reprises stopper brutalement leur progression afin de se cacher d’un groupe de marionnettes d’Adriel, aidés en cela des capteurs, qui retransmettaient leurs images sur l’écran de Tekris. Rester de longues minutes à devoir supporter leurs respirations, soudainement devenues bien plus bruyantes à leurs oreilles, équivalait à un supplice. L’absence de regard, de nez ou de bouche de ces créatures ne les empêchaient pas de se montrer terriblement tatillonnes, bien qu’elles furent moins vivaces encore que quand leur maîtresse se trouvait dans les parages.

Malheureusement, le trio dut s’arrêter en catastrophe, quelques mètres avant d’atteindre leur objectif. Disposés à intervalles réguliers, sans former un rang serré mais suffisamment proches pour repérer les intrus, les créatures d’Adriel entouraient le bouclier créé par Zair, montant une garde précaire mais efficace.

– Impossible de passer par là, souffla Ekayon. Je pourrais peut-être, en me montrant très prudent, mais à trois nous allons nous faire repérer.

Les lèvres de Zair se pincèrent, presque imperceptiblement, alors qu’elle s’efforçait de rester concentré sur Ekayon. Mais Tekris ne manqua pas le bref regard en coin qu’elle lui lança, presque désolée. Et il comprenait très bien à quoi elle pensait : seule, la Radikors savait se montrer d’une discrétion absolue, se coulant dans les ombres sans que quiconque ne puisse la repérer. Une caractéristique partagée avec Zane, bien que ce dernier ne l’utilisât que rarement. Quand on aimait se faire remarquer, et signaler au monde sa présence, à quoi bon s’embêter ? Pourtant, il se révélait des plus utiles quant il s’agissait de tendre un guet-apens.

Mais le colosse, au contraire, attirait immanquablement l’oeil naturellement. Associé à cela son incapacité totale à dissimuler sa présence comme le faisaient si bien ses deux coéquipiers, et jamais il ne pourrait passer le barrage des créatures d’Adriel. Inutile pour protéger Zair, et pour regagner au plus vite la position d’Adriel… Vraiment, c’était à se demander comment la jeune femme en venait à l’apprécier…

– On pourrait utiliser le passage secret de Lokar, proposa Tekris, histoire de servir à quelque chose.

– Je croyais qu’il avait été détruit dans l’explosion du repaire, s’étonna Ekayon.

– Pas tout à fait. Enfin, disons que les fondations tenaient encore debout, et que nous nous sommes chargé de consolider en partie le tout. Oh, et au cas où tu déciderais, un jour, de « t’égarer » à l’intérieur, sache que nous le surveillons désormais étroitement.

– Voyons, vous me prêtez des intentions ! s’indigna faussement le solitaire, ses yeux brillant d’amusement.

Le visage de marbre, Zair le fixa un instant, comme à la recherche de la vérité sur le sens de la vie et de l’existence. Clignant stupidement plusieurs fois des paupières, Ekayon inclina la tête sur le côté, terriblement intrigué, ne voyant pas où elle voulait en venir suite à son examen minutieux. D’ailleurs, le colosse lui-même ne comprenait pas vraiment son but final.

– Tu sais, dans d’autres circonstances, tu aurais pu très bien t’entendre avec Zane, déclara-t-elle finalement, le plus sérieusement du monde.

Puis, satisfaite d’avoir, pour la première fois, réussit à clouer le bec du jeune homme, elle le dépassa allègrement, s’engageant sur le chemin menant à leur porte d’entrée de la forteresse. Se demandant s’il s’agissait du lard et du cochon, l’objet de sa déclaration marmonna dans sa barbe inexistante, grattant les cheveux au ras de son crâne avec perplexité. Tekris crut entendre quelque chose comme « Radikors » et « tous plus cinglés les uns que les autres », sans en être absolument certain. Et puis en plus, il s’en fichait comme d’une guigne, na !

Foudroyant le solitaire visuellement, le colosse s’apprêta à suivre son amie ; pas question de la laisser trop s’éloigner, même si elle restait dans son champ de vision. Se séparer était bien trop dangereux pour l’instant. Au dernier moment, une poigne de fer saisit son poignet, bloquant momentanément sa progression.

– Tu sais, elle t’apprécie beaucoup aussi, souffla Ekayon.

Le Radikors chercha une trace de plaisanterie sur le visage carré du jeune homme. N’en trouvant aucune, il haussa précipitamment les épaules, se dégageant de son emprise. Priant pour que le feu envahissant ses joues ne se remarque pas dans la lueur crépusculaire baignant l’endroit.

Ravi de pouvoir enfin partager un bref moment en – presque – tête-à-tête avec Zair, il s’empressa de la rejoindre avant que le solitaire ne sorte de sa réflexion, se postant sur sa droite, s’empressant au passage de le chasser de ses pensées. Ses sentiments ne regardaient que lui, flûte à la fin ! Sa main le démangeant affreusement, il dut mobiliser un intense effort de volonté pour ne pas saisir celle de sa compagne. Cependant, sa soudaine apparition ne sembla pas ravir autant qu’il aurait espéré la jeune femme. Sursautant en s’apercevant de sa présence, elle évita soigneusement son regard, examinant la forteresse sous toutes ses coutures, serrant ses bras autour d’elle, comme atteinte d’un violent frisson. Pour autant, le colosse n’aurait pas parié que la neige y fut pour grand-chose.

Comment la convaincre que son envie de découvrir la vérité sur ses liens avec Teos et le reste de son équipe ne changerait rien à la façon dont il voyait sa coéquipière ? Il voulait simplement savoir à quoi s’en tenir, et à quel point Zair se trouvait affectée par les évènements. Aussi morbide cela puisse-t-il être, elle pouvait bien lui avouer avoir été une meurtrière redoutable et redoutée dans le passé, il se contenterait de lui faire jurer de ne plus jamais recommencer, avant de lui proposer une balade au clair de lune.

Qui sait, il avait peut-être bien perdu définitivement la tête ?

Il dut se dépêcher de la retrouver, ainsi que ses réflexes de combattants kaïru. Tout comme il fallut se désintéresser de la frêle silhouette silencieuse de la jeune femme, pour surveiller attentivement les créatures d’Adriel. Par chance, Ekayon suivait parfaitement le rythme, sa verve mise de côté le temps de se tirer de ce mauvais pas. Loin de l’homme taquin côtoyé encore quelques minutes auparavant, il était redevenu le combattant kaïru furtif, glissant sur la neige plus qu’il ne marchait. Le colosse envia sa facilité à se déplacer… Jusqu’à reporter brièvement son attention sur Zair. Il la connaissait discrète et particulièrement adroite, mais là, elle ne laissait presque aucune empreinte sur la neige pourtant épaisse. À peine son pied se posait-il, qu’il repartait, l’E-Teens ne s’accordant de pause qu’au abord d’un glacier, là où elle ne déposerait pas de trace. Une immense fierté monta chaleureusement en lui ; qu’elle était belle, quand elle se montrait évanescente, insaisissable ! Et cela lui donnait terriblement envie de la garder auprès de lui…

Au bout d’un long moment de silence malaisant, lourd des inquiétudes les taraudant, les trois jeunes gens s’arrêtèrent brusquement. Se dressant devant eux, engloutie par les ténèbres, l’entrée de la grotte attendait goulûment les prochains osant s’aventurer en son sein. Frissonnant, Tekris cligna plusieurs fois des yeux, fixant ce trou béant dans la glace, jusqu’à ce qu’il cesse de le voir autrement que comme une simple ouverture, sans la moindre volonté propre.

Au départ bien trop visible (quoi de plus normal, puisque le passage en question, du temps de Lokar, servait à acheminer les E-Teens vers la sortie… ou tromper les éventuels intrus pensant entrer discrètement à l’intérieur de la forteresse), l’entrée avait été dissimulée aux indiscrets à l’aide d’un savant jeu de trompe-l’œil, que l’équipe avait mis des heures à assembler. Zane voulait, par la suite, créer une autre entrée, bien plus discrète, en condamnant définitivement celle-ci ; hélas, le temps avait fortement manqué pour mener à bien ce projet. Très intéressé par les capacités de rénovation des Radikors, Ekayon prit le temps de promener brièvement son regard sur les parois glacées, soutenues par un ensemble de piliers plus ou moins dépareillés. Cela ressemblait davantage à l’entrée d’une mine, Tekris le reconnaissait sans peine, mais il se trouvait content d’avoir réussi à construire quelque chose d’à peu près solide, à l’aide de simples poutres de bois.

– Une fois à l’intérieur de la forteresse, il faudra se dépêcher de retrouver cette fille. Est-ce que vous avez des caméras, ou quelque chose comme ça, à l’intérieur de la forteresse, qui nous permettrait de repérer cette folle ? interrogea Ekayon, résistant à l’envie de s’engager le premier.

– On y travaille, grommela évasivement Tekris.

– Ce ne sera pas compliqué de la retrouver. D’abord, parce que si elle s’aperçoit de notre présence, c’est elle qui viendra à nous. Ensuite, si elle cherche effectivement quelque chose – et j’en suis persuadée –, ils nous suffira de vérifier les endroits où elle pourrait se trouver. Et il ne sont pas nombreux. Bien sûr, il faudra procéder par ordre logique, et en gardant à l’esprit qu’Adriel a une certaine connaissance de la forteresse. Jai quelques idées sur l’endroit où elle se trouve, exposa Zair, comme si elle parlait de la pluie et du beau temps, et pas de la femme ayant failli la défigurer.

Le solitaire fit signe qu’il rejoignait son avis, enfin, autant que possible avec ses minces connaissances. Les iris brillant de curiosité, il paraissait avoir de plus en plus de mal à contenir le flot de questions que Tekris devinaient se précipiter sur sa langue. Pourvu qu’il tienne encore un tout petit peu, juste le temps de régler le cas « Adriel » avant que Zane ne revienne et leur remonte les bretelles pour leur incompétence…

Comme l’heure n’était pas à réfléchir aux possibles conséquences d’un courroux de son chef d’équipe, il longea la paroi la plus proche, vérifiant l’absence de guet-apens, ou d’ennemi les attendant au détour d’un couloir.

– La voie est libre, chuchota-t-il. On y va !

Ses compagnons firent un vague signe de la main, s’élançant à la suite du colosse.

À peine eurent-ils fait quelques pas, que la glace juste devant eux s’éclata brutalement dans un craquement sinistre, projetant éclats et blocs ivoire partout aux alentours, bientôt suivie d’une deuxième. Manquant de peu d’être touché de plein fouet, Ekayon laissa échapper un cri frustré mêlé d’agacement, sautant de côté pour ne pas se retrouver blessé. Reculant sans prévenir, Tekris empoigna le poignet de sa coéquipière, la plaquant contre son torse puissant afin de la protéger de son corps, le temps de retourner à l’abri de la congère qu’ils avaient, visiblement, trop hâtivement quittée.

Relâchant son étreinte autour de Zair, le colosse se pencha prudemment, scrutant de nouveau les alentours, plus attentif que jamais.

Il ne mit guère longtemps à trouver la source de l’attaque. Venue du ciel, une ombre gigantesque plongea le trio dans l’obscurité, sa silhouette décharnée fondant sur ses proies. Réagissant dans un bel ensemble coordonné, sans même l’avoir prévu, les combattants bondirent, rejoignant un second mur de glace poursuivis par une série d’explosion. Quoi de plus logique, puisque le cri qu’entendit Tekris, juste avant de se réfugier dans cet abri précaire, entendit la voix d’Adriel invoquer une « explosion de photons »…

La colère montant doucement en lui, il observa, imité de Zair et d’Ekayon, les contours de la bestiole volante de la brume tournoyer autour de la forteresse. Juchée sur son dos, sa maîtresse dirigeait son vol à l’aide de quelques tapes et autres sifflements, ajustant son prochain tir.

– Au moins, elle n’est pas parvenue à trouver un moyen d’entrer, conclut Ekayon, pragmatique.

– Oui, mais on n’atteindra pas non plus la forteresse, tant qu’elle volera au-dessus de nos têtes, rétorqua sèchement Tekris.

– Et si nous restons ici, elle finira par nous toucher, c’est évident, ajouta la seule fille des Radikors.

Les deux hommes ne répondirent pas. Eux aussi s’étaient fait la même réflexion. Et sur les trois visages, l’un pâle, l’autre d’un rosé-rouge et le dernier gris, une seule interrogation subsistait.

Que pouvaient-ils bien faire ?!


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Bonjour, ou bonsoir !


Encore un chapitre de transition, où il ne se passe pas grand-chose, mais nécessaire pour la mise en place (une nouvelle fois xD) des choses. Le prochain sera bien plus « actif », et arrivera très vite !


J’espère en tout cas qu’il vous aura plu ! N’hésitez pas à laisser un commentaire si vous avez une remarque, une question, ou tout autre chose à dire !


Sur ce, bonne journée/soirée, et à bientôt !



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