L'Arche du Péché

Chapitre 26 : Pris au piège

11734 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 18/01/2021 20:45

Pris au piège


– Explosion de photons ! clama la voix puissante d’Adriel.

Jaillissant de sa paume ouverte, un faisceau éblouissant, d’un turquoise presque aveuglent, frappa avec violence l’arche de glace sous laquelle Tekris, Zair et Ekayon s’étaient réfugiés. Courant le long de son pilier gelé droit, une fissure de la taille d’un poing atteignit son sommet, accompagnée d’un crissement – fort douloureux aux gencives de Tekris – n’annonçant rien de bon.

– Il faut sortir d’ici, cria le solitaire, suffisamment fort pour couvrir le vacarme.

Cette simple phrase résumant toutes les pensées des Radikors à ce moment précis, les adolescents poussèrent sur leurs jambes, une fraction de seconde avant que la structure, dangereusement fragilisée, ne cède sous son propre poids. Par chance, le colosse, courant juste derrière sa coéquipière, fut assez massif pour empêcher celle-ci de se faire atteindre par l’un des éclats volant en tout sens.

Zair n’attendit guère que la poussière soulevée suite à l’effondrement se soit dissipée. D’un volte-face calculé (Tekris, surprit de ce soudain retournement de situation, dut sauter de côté pour éviter une collision fort malvenue), elle leva le bras en direction de l’arsank, visant plus précisément sa cavalière.

– Coup foudroyant ! invoqua-t-elle avec ferveur, les sourcils plissés sous la colère.

L’éclat vert de l’attaque força le colosse à détourner légèrement la tête. Hélas, aussi rapide soit l’attaque, d’un souple battement de ses ailes gigantesque l’animal se plaça de profil, redressant presque immédiatement. Un sourd bruit d’explosion, dans le lointain, résonna ironiquement, soulignant à quel point la jeune femme venait de manquer sa cible.

– Piqûre, enchaîna Ekayon d’un mouvement sec du bras.

Possédant plus d’impact offensif, mais bien plus lente que le « coup foudroyant », l’arsank n’eut guère plus de mal à s’en tirer que pour ce dernier. S’appuyant sur l’air, il s’éleva d’un bon prodigieux vers le ciel, l’écarlate frôlant à peine ses épaisses pattes arrières. Le ricanement moqueur d’Adriel, tandis qu’elle conduisait son animal en piqué, droit sur le trio, crispa douloureusement les mâchoires du solitaire. Pour une fois, Tekris le comprenait totalement ; cela faisait plus d’une bonne dizaine de minutes qu’ils se faisaient chasser sans arrêt par l’arsank, leurs quelques cachettes automatiquement détruites au bout de quelques assauts de la brune. Et aucune des offensives de leur camp ne daignaient atteindre l’insupportable cavalière du ciel, quand ils avaient seulement l’occasion d’en placer une.

– Mais c’est pas vrai, siffla Ekayon. Notre angle de tir est trop mauvais !

– Sans blague ? On avait pas remarqué, railla Zair, au moins aussi frustrée d’avoir manqué sa cible.

Son vis-à-vis ouvrit la bouche, sur le point de répliquer vertement.

– Ce n’est pas le moment de se disputer, intervint Tekris. Poussez-vous plutôt !

Un avertissement qui ne servait pas uniquement à prévenir tout accrochage non désiré. À quelques mètres de hauteur, une distance se réduisant rapidement, l’arsank ouvrit grand sa gueule démesurée, toutes griffes en avant, poussant un hurlement guttural digne de percer les tympans.

– Écran de fumée ! invoqua précipitamment Zair, enveloppant ses compagnons dans un épais brouillard.

Malgré cela, Tekris sentit les ongles acérés de l’animal râper le sol juste à côté de lui, le souffle de ses ailes manquant le faire vaciller sur ses appuis. Fouillant méthodiquement la zone échappant désormais à sa vue, Adriel n’accepta de remonter dans les airs qu’une fois qu’elle eut la certitude absolue que ses proies ne se cachaient plus dans la vapeur d’un bleu profond.

Néanmoins, les effets de camouflage ne dureraient que peu de temps. Connaissant sur le bout des doigts l’attaque de son amie, Tekris n’eut guère beaucoup de difficulté à retrouver son chemin, une main posée sur son nez pour s’empêcher de tousser éperdument. Émergeant de la masse compacte générée, il piqua un sprint monumental afin de rejoindre Zair, déjà sur le point d’atteindre un énième rocher recouvert de glace. Une autre attaque d’Adriel l’effleurant, il sauta les derniers mètres, effectuant une roulade avant de se relever, aux pieds de la jeune femme. Lui adressant un regard approbateur, celle-ci fit mine de venir l’aider, y renonçant quand le colosse s’empressa de revenir debout, affectant une posture presque nonchalante, comme si ce genre de situation lui arrivait tous les matins. Elle ne fut pas dupe, il le devinait sans peine, néanmoins eut la grâce de ne faire aucune remarque.

Aussitôt après, le solitaire débarqua à son tour dans une glissade contrôlée et une gerbe de morceaux de glace. Adriel ne renonçait pas si facilement à transformer ses ennemis en brochette de glaçons, fallait-il croire… Vaguement vexé de voir le monastèrien se redresser sans problème, Tekris croisa les bras, boudeur. Avant de se morigéner intérieurement. Ce n’était pas le moment de faire la tête !

– Impossible d’atteindre le passage, ou de la viser, grogna-t-il à la place, se redonnant une contenance. Il y a bien un moyen qu’elle se retrouve hors d’état de nous nuire !

– Pour le moment, se mettre à l’abri de sa monstruosité volante m’irait déjà très bien, soupira Ekayon.

– C’est sûr que là, on n’entend plus parler de son désir de discrétion, approuva Tekris. Elle a décidé de passer à l’attaque, et compte bien nous le faire savoir. Je ne sais pas ce qu’elle cherche, mais elle y tient…

Le solitaire opina du chef, entièrement d’accord. Au moins eut-il le bon sens de ne pas poser plus de questions, ou de faire allusion à l’objet possible de la quête d’Adriel. Devoir accepter de prendre un ennemi dans leurs rangs titillaient déjà expressément les Radikors ; en rajouter avec leurs possibles secrets aurait franchement fait déborder la coupe !

– J’ai peut-être une idée, marmonna Zair. Les arsank sont les rois du ciel, entre autres (Tekris n’aurait guère parié que cette dernière allusion soit réellement réservée à leurs oreilles). Leur habileté et leur grâce sont incomparables, d’accord, et ce spécimen a l’air d’être l’un des meilleurs de sa catégorie.

– Là, tu me déprime plutôt qu’autre chose, fit remarquer Ekayon.

– J’y viens ! rétorqua Zair avec humeur. Ce que je veux dire (elle fut obligée de s’interrompre, protégeant sa tête avec ses bras d’une autre explosion déclenchée par Adriel)… c’est que ces créatures sont insupportablement pataudes sur la terre ferme. À peine sont-elles capable de mettre une patte devant l’autre ! Si nous parvenons à faire tomber l’arsank, et à le garder, même brièvement, au sol, il ne représentera plus qu’un danger mineur, et nous pourrons sûrement retarder assez Adriel pour atteindre le passage.

– Oh, et comment sommes-nous censés faire puisque nous n’arrivons même pas à atteindre ce monstre ? fit ironiquement Ekayon, légèrement penché pour vérifier la position de leurs assaillants.

Tekris le foudroya du regard. Non mais il ne pouvait pas se montrer plus poli avec une jeune femme respectable ?! Qu’il propose autre chose, s’il se pense si malin !

Retenir le flot de paroles rageuses montant dans sa gorge fut extrêmement pénible pour le colosse. Mais s’il intervenait, alors que Zair ignorait complètement la réflexion du jeune homme, nul doute qu’elle s’en sentirait affreusement vexée, voir risquait de lui battre froid, ou encore d’être distante, ou encore…

Comprenant qu’il n’aurait droit à aucune réplique, Ekayon soupira lourdement, dépité.

– C’est plus drôle quand c’est Zane qui me répond, marmonna-t-il pour lui-même.

Allons bon, voilà qu’il se mettait à délirer…

Détournant son attention du solitaire, Tekris explora les alentours d’un regard précipité, sautant rapidement d’un élément du paysage à l’autre. Il devait bien y avoir un moyen de se débarrasser de l’arsank ! Avec des reliefs si accidentés, si effilés, l’un ou l’autre bloc de glace offrirait bien la solution à leur « problème » !

Il s’arrêta soudainement, apercevant quelque chose du coin de l’oeil, revint en arrière…

– Attendez un peu, interpella-t-il ses camarades. Regardez !

Pointant son doigt vers l’avant, il fut rejoint par Zair d’abord, qui posa une main aussi légère qu’une plume sur son biceps. Un geste simple, qui fit pourtant remonter un long frisson le long de l’échine de l’adolescent… Hélas, le solitaire arriva à son tour, bien trop rapidement pour que Tekris puisse profiter de cette caresse presque enivrante. Pour faire bonne figure, il soupira bruyamment, s’attirant une mine surprise, et quelque peu incrédule, venue de l’humain. Avant qu’un fin sourire ne se dessine sur les lèvres moqueuses, alors qu’il aperçut la délicate main de la seule Radikors.

Comprenant ce que regardait le jeune homme, Tekris posa sa propre grosse patte sur celle de sa coéquipière, avertissant silencieusement le monastèrien à la fois de ne pas faire de commentaires déplacés, et de bien vouloir regarder ailleurs s’il ne voulait pas se prendre un bon coup de pied aux fesses, « par accident » !

– Qu’est-ce qu’il y a ? intervint Zair, coupant ses réflexions.

Sursautant fort peu virilement, Tekris se détourna immédiatement, se retrouvant face à deux iris pâles, interrogateurs. À coup sûr, elle allait le prendre pour une andouille maintenant…

– Hum, oui, vous voyez les deux blocs de glace, juste en face, presque côte-à-côte ?

– Ceux qui ressemblent à un poltergeist en colère et une œuvre affreuse de l’art moderne ? demanda Ekayon.

– Heu, non.

– Je les vois alors.

Cette fois, le regard que s’échangèrent Zair et Tekris exprimaient exactement la même pensée. Le solitaire venait-il de se faire congeler le cerveau, ou s’agissait-il de son état habituel ?

– Si on arrive à faire tomber l’arsank à proximité, il sera possible d’utiliser des attaques de type fouet pour l’enserrer, et de là passer l’attaque autour de ces blocs. Ainsi, il se retrouvera coincé entre les deux, et ne pourra plus s’envoler, expliqua Tekris, se détournant de la question. Toi, Zair, tu possèdes le « fouet de glace », et toi, Ekayon, le « coup de fouet à énergie », pile ce qu’il nous faut. On peut le faire !

– Oui, à condition de l’étourdir suffisamment pour relier les deux, remarqua Zair. Et que les lanceurs restent en place pour maintenir les effets de l’attaque. Tu penses que c’est possible de vaincre Adriel en duel ? C’est beaucoup trop dangereux !

– Sans parler qu’on ne sait toujours pas comment toucher cette grosse bébête, rajouta Ekayon. À moins que l’un d’entre nous ne joue les appâts.

– Il ne s’agira pas de la vaincre, juste de la repousser pour mettre hors d’état de nuire l’arsank, tempéra Tekris. Et pas besoin de rester en place, il suffira de nouer les fouets.

– Nous n’aurons pas beaucoup de temps avant que les attaques ne se dissipent, déclara Ekayon, sentencieux.

Une nouvelle gerbe de glace envahit leur abri, tandis que la roche trembla dangereusement. Adriel ne pouvait peut-être pas les atteindre sans s’exposer directement, mais elle ne semblait pas particulièrement s’embarrasser de ce détail.Bientôt, l’ensemble céderait de nouveau…

– Je maintiens que c’est trop risqué, continua Ekayon, une fois certain qu’il n’avait pas à courir sur-le-champ. Surtout que si l’on t’écoutes, l’appât, c’est toi !

– Dans ce cas, je ne suis pas d’accord non plus, répliqua immédiatement Zair. Nous avons besoin de tout le monde, ajouta-t-elle promptement, grimaçant de sa spontanéité un peu trop directe.

Pour un peu, et bien qu’il appréciât sa coéquipière plus qu’il ne le devrait, Tekris en aurait grogné d’agacement. Croyaient-ils vraiment avoir le choix ?! Dans quelques minutes, seul demeurera un morceau de gruyère, là où se tenait fièrement le rocher se dressant entre les Radikors et l’arsank.

– Mais si on supprime l’idée de l’appât, vous êtes d’accord, non ? insista le colosse.

– Ce serait un peut-être, les risques sont mine de rien très nombreux, fit Ekayon.

– Exact, répondit en même temps Zair.

Aussitôt, les deux se figèrent, s’observant en chiens de faïence prêts à sauter l’un sur l’autre.

Un violent choc ébranla pour de bon la structure derrière laquelle ils se trouvaient, la pointe effilée du rocher oscillant d’un air menaçant, à deux doigts de s’écraser au sol.

– Nous n’avons plus le temps de trouver un nouveau plan, coupa Tekris. C’est maintenant ou jamais ! À trois ! Un…

– Arrête ça tout de suite, hors de question de se jeter à l’aveuglette sans filet de secours, intervint Ekayon. Oh bon sang, c’est vraiment moi qui vient de dire ça ? Les Radikors ont vraiment une mauvaise influence.

– Deux…

– Tekris, non, ne fait pas ça ! s’exclama Zair, enserrant le bras de son ami.

– Trois, se contenta de répondre le colosse, dégageant son membre aussi doucement que possible.

Ignorant les protestations s’élevant dans son dos, il quitta l’abri à peine utile que lui offrait l’ombre du rocher, s’élançant dans la poudreuse, juste assez épaisse pour lui coller aux semelles.

– Coup de tonnerre ! invoqua-t-il, visant au petit bonheur la chance.

Un rugissement guttural retentit, accompagné du rire de la brune. Aucun doute que ni l’un, ni l’autre, n’avait été atteint par le tir fort peu précis de l’adolescent.

– Tu croyait vraiment pouvoir me toucher ? cria Adriel par-dessus le rugissement du vent. Serais-tu tellement désespéré d’empêcher ta maîtresse de se faire décimer ?

– Et toi, tu as les oreilles bouchées, hurla-t-il à son tour. Zair et moi sommes des égaux, mais ce n’est pas étonnant de penser ainsi quand on est le chien bien obéissant de Teos !

Impossible de voir le visage de la brune, de là où il se trouvait ; néanmoins, il n’en eut pas besoin pour deviner la rage s’étant emparée d’elle. Une salve d’attaques frappa le sol, soulevant la glace sur plusieurs centaines de mètres tant la jeune femme mettait de conviction.

À la réflexion, provoquer Adriel n’était peut-être pas la plus brillante de ses initiatives… Par contre, elle n’avait aucun problème à se focaliser uniquement sur sa petite personne (aussi petit pouvait-il être quand, à moins de seize ans, il faisait déjà près d’un mètre soixante-dix-huit) ! Un peu trop d’ailleurs… Au vu du nombre d’attaques lancées à la minute par la cavalière, comment se faisait-il qu’elle ne gisait pas déjà au sol, vidée de toute son énergie ?! Il doutait qu’un Maître kaïru en personne puisse seulement tenir la cadence. Pourvu que Zair – et Ekayon, accessoirement – se dépêchent de mettre l’arsank à terre !

Malheureusement, bombardé sans relâche par des offensives de plus en plus brutales, et de plus en plus offensives, il n’eut guère le loisir de s’attarder sur la question. Hâtant sa course, il zigzagua autant que possible, gardant un œil sur la forme agressive planant au-dessus de son crâne. Une flopée d’éclairs explosa juste devant lui, créant un fossé qu’il aurait tout juste pu franchir en sautant. Obligé de freiner des quatre pieds, puis de sauter sur le côté afin de ne pas se transformer en grillade, il roula sur le sol, stoppant son mouvement du pied, tout en se servant de la propulsion pour reprendre son chemin.

Postée juste à côté des deux glaciers désignés par Tekris plus tôt, Zair avait quitté la sécurité relative de leur abri presque entièrement détruit, visant l’arsank, ses mains luisant d’une aura écarlate.

Comme mû par un sixième sens, le duo aérien tourna la tête vers elle, profitant de ce que l’enquiquinant colosse soit forcé de ralentir sa course. Immédiatement, Adriel commanda à son animal d’obliquer sur la gauche, le « faisceau corrosif » de la Radikors se perdant dans les tourbillons neigeux derrière elle. Décrivant un large arc de cercle, l’arsank descendit en piqué dans le même mouvement, Adriel armant son bras afin de riposter à son tour, à bout portant.

Zair n’aurait jamais le temps de se pousser, réalisa soudain Tekris !

Incapable de retenir le cri de désespoir qui franchit la barrière de ses lèvres, le colosse courut, comme jamais il ne l’avait fait dans sa vie. Il savait pertinemment que ce serait complètement inutile ; comment rivaliser avec une créature gigantesque, capable d’avaler les distances comme du petit pain ?! Mais l’arsank, situé juste en face de sa coéquipière, ne lui permettait pas de lancer ses propres attaques sans risquer de la toucher également. Il fallait qu’il fasse quelque chose, n’importe quoi, juste pour ne pas devenir fou d’angoisse !

Bouge, hurla-t-il mentalement. Ne reste pas planté là, tu ne vois pas que tu ne pourras pas t’en sortir, pas cette fois ?! Mais Zair n’esquissait pas d’autre mouvement qu’un instinctif geste de recul. Paralysée par la peur, sans doute, se dit Tekris ; pour la première fois que cela lui arrivait depuis qu’ils s’étaient rencontrés, ça devait lui arriver maintenant, pile à ce moment !

Une aura d’un gris morbide entoura la brune, désormais à quelques pas de la Radikors…

Alors que l’animal semblait ne jamais devoir s’arrêter, une violente nitescence brûla les yeux du colosse, déjà asséchés par son refus de les fermer. Surgissant du flanc droit de la bête, une série de « rafales de l’oubli » la frappa de plein fouet, la fauchant sans aucune douceur. Éjecté de l’arsank, Adriel lâcha un cri de surprise, ce dernier tombant lourdement sur la glace. Malgré lui, Tekris ne put s’empêcher d’être fasciné. L’attaque obscure figurait parmi les plus puissantes connues, et pourtant l’animal ne dévia de sa trajectoire que de quelques mètres, glissant sur la glace.

Zair s’écarta enfin, laissant l’arsank finir sa chute. Sautant au bord de la crevasse dans laquelle il s’était caché, Ekayon fonça vers la créature. Pour moins que ça, Tekris l’aurait embrassé !

– Maintenant, Ekayon ! lança la petite femme, invoquant son propre fouet de glace.

L’imitant, le solitaire enroula son fouet d’énergie autour de l’une des ailes majestueuses, continuant sa trajectoire en décrivant une ligne courbe, rejoignant son propre bloc de glace. La Radikors opta pour enserrer la gueule, luttant contre les soubresauts agitant déjà sa proie afin de pouvoir nouer son arme autour du rocher lui ayant été assigné. Le solitaire ne mit guère longtemps à immobiliser son côté de la créature, soufflant bruyamment. Et lui qui se plaignait d’avoir froid en arrivant !

– Je vous interdis de poser vos sales pattes sur mon Evdam ! hurla Adriel.

Sa résille échappée, son épaisse chevelure cascadait librement sur les épaulettes du long manteau l’affublant, des plaques de neige semées un peu partout sur son corps, elle représentait parfaitement l’incarnation de la fureur. Ses lèvres s’entrouvrirent, commençant à former le nom de ce que Tekris apprit à reconnaître comme une « collision démente ». Une petite minute ?! Ce n’était pas une attaque de Teos, ça ?

– Onde de choc ! cria-t-il, plus rapide – ce qui ne lui était guère habituel.

Obnubilé par le sort réservé à son arsank adoré, Adriel ne vit pas l’attaque arriver, frappée sur le côté. Tombant à genoux dans la poudreuse, une main au sol tandis qu’elle refusait de gésir sur le sol, elle riva ses prunelles étincelantes dans les lunettes métalliques de Tekris. Jamais le colosse n’avait vu une haine si pure brûler dans les yeux de quelqu’un… Excepté Zane par moments, évidemment.

Sans perdre de temps, il enclencha le starter, avalant la distance le séparant de ses compagnons d’arme. Leur tâche achevée, Zair et Ekayon se mirent face à la brune, X-Reader prêts à intervenir en cas de menace directe. La technique des fouets ne tiendrait pas longtemps, la force que mettait l’arsank faisant trembler les piliers le maintenant prisonnier, mais ils n’avaient besoin que d’emprunter le passage de Lokar – et de le refermer derrière eux, quelque minutes seulement seraient nécessaires à sa libération.

Une forme sombre se précipita dans son champ de vision, venant de sa gauche. Glapissant de surprise, il n’évita la marionnettes d’Adriel que grâce à un miraculeux réflexe, évitant ainsi de se faire plaquer au sol.

Dents serrés, il jura d’un trait dans la langue natale de sa mère. Il avait oublié ces espèces de zozos, tiens !

Assailli à son tour, Ekayon tourna sur lui-même, laissant l’une d’entre elles jouer le taureau de la corrida, avant de vaciller quand une seconde se jeta entre ses jambes, une troisième enserrant son torse de ses bras massifs. La femme maigrichonne les ayant déjà attaqués, accompagnée d’une autre marionnette cette fois masculine, fondirent simultanément sur Zair. L’E-Teens dégaina si vite que Tekris ne vit rien, jusqu’à ce que la première recule, une lame enfoncée dans son sternum. Se mouvant d’une vivacité surprenante, même pour le colosse, Zair esquiva les assauts de « l’homme », bloquant ses coups de poing tout en prenant garde aux possibles attaques qu’il pourrait lancer.

Ce fut d’Adriel, remise sur pieds, que vint la salve suivante. Usant une nouvelle fois de son « explosion de photons », elle visa Ekayon, relativement immobilisé, se heurtant au bouclier que Zair créa en catastrophe, protégeant le solitaire d’un assaut douloureux. En dépit de l’état déplorable de la situation, Tekris fut particulièrement fier de voir que l’une de ses techniques avait aidée son amie.

Sur le point de s’en prendre à la brune, il dévia en catastrophe ses « pinces dévastatrices » sur sa marionnette, revenue à la charge, la frappant en pleine poitrine.

Oui, vraiment, comment faisait Adriel pour paraître si peu fatiguée, quand ses propres muscles réclamaient grâce ? Débarrassé provisoirement de la collante créature, il envoya un « tremblement de terre » sur Adriel, bien décidée à frapper Zair cette fois. D’accord, ce n’était pas très malin, admit-il alors qu’il profitait de ce court laps de temps pour effectuer une glissade sur la glace, se rapprochant de ses compagnons d’arme. Encore une ou deux attaques en force, et il se retrouverait à court d’énergie.

– Non mais tu vas me lâcher, oui ? pestait Ekayon, une fois qu’il se trouva à portée de voix.

– Tekris ! s’exclama, pour sa part, Zair, l’air soulagée. Tu vas bien ? Je t’ai vu te faire attaquer…

– Tout baigne, ne t’inquiètes pas pour ça. Enfin, sauf que je vous ai ramené mon copain malheureusement.

La jeune femme acquiesça, concentrée sur sa protection qui déjà vacillait, la regardant comme si elle regrettait de ne pas pouvoir la consolider. Ou du moins, pas comme elle le voudrait.

D’un regard, Tekris prit la place de son amie, priant pour que son énergie interne lui permette de tenir encore un peu, érigeant un bouclier tremblant sous les assauts d’Adriel. Dégainant l’une des lames cachées dans sa botte, Zair l’enfonça dans le bras de la marionnette bloquant Ekayon, repoussant sa compagne d’un coup de pied dans l’entrejambe. Aussitôt les créatures restantes menèrent un assaut de front, se jetant sur leurs proies.

– Cette fois, ça y est, j’en ai marre, siffla Zair quand Tekris dut lâcher son bouclier pour reculer.

Levant les bras, elle inspira profondément, fermant à demi les paupières.

Puis elle les rabaissa dans un mouvement brusque, sous les regards intrigués des deux garçons.

Ce fut comme si une onde de choc invisible se propagea de sa faible silhouette, traversant ces derniers sans autre effet qu’un grand froid les envahissant brusquement. Agitées de violents tremblements, les marionnettes avancèrent encore un peu, d’une marche saccadée, peinant à esquisser le moindre geste. Se figeant soudainement, elles semblèrent comme… désactivées. Non, corrigea Tekris, remarquant qu’elles ne s’étaient pas totalement arrêtées, considérablement ralenties.

– Qu’est-ce qui se passe ? souffla Ekayon.

– Dépêchez-vous, rétorqua sèchement Zair. Je ne vais pas pouvoir les retenir éternellement !

Un instant, le colosse crut que le solitaire allait insister. Donnant l’exemple, il franchit le cercle formé par les marionnettes, bondissant largement au-dessus de leur tête.

– Étreinte mortelle !

Esquivant de quelques mouvements souples les anneaux meurtriers, Adriel se heurta à la « lame foudroyante » d’Ekayon, projetée en arrière. Elle se releva presque immédiatement ; néanmoins, ce fut suffisant pour que le solitaire la frappe d’une « charge supersonique ». C’était au tour de la brune d’être incapable de résister, ahanant au fur et à mesure que les attaques devenaient de plus en plus dures à éviter. Restant en retrait, Tekris regretta d’avoir usé tant d’énergie. Certes, Ekayon tenait, à lui presque seul, admirablement le rythme, frappant autant que possible le sol pour projeter éclats et poudreuse, et la brune paraissait céder progressivement. Zair, de son côté, serrait les dents mais parvenait à maintenir les effets de son étrange paralysie. Alors pourquoi le colosse avait-il tant l’impression que quelque chose clochait ?

Un formidable cri de douleur des éléments, gaine de glace cédant brutalement, assourdit Tekris. Il se retourna… juste à temps pour voir l’arsank déployer ses ailes, encore au sol, mais sur le point de prendre son envol. Aucune entrave ne le retenait plus. Détournant le regard une fraction de seconde, il chercha celui de Zair, ouvrant la bouche pour la prévenir.

Quelque chose le heurta durement, comme si un bus lui passait dessus, face contre terre. Avant même d’avoir compris qu’il était tombé, il se demanda si sa coéquipière avait, elle aussi, été touchée. Son X-Reader gisait sur le sol, à quelques pas de sa main, trop loin pour qu’il puisse l’atteindre. À moins de se relever, songea vaguement son cerveau terriblement embrouillé. Il toussa, évacuant la neige envahissant sa bouche.

Il ramena péniblement ses bras contre son corps, tentant de pousser pour quitter le froid humide s’infiltrant dans ses vêtements. Sans parvenir à seulement mouvoir son corps. Était-il donc si épuisé, qu’il ne parvenait à seulement continuer de se battre ?!

Soudain, il s’aperçut que quelque chose pesait de tout son poids sur son dos, l’empêchant de bouger autre chose que ses bras, sa tête, et ses pieds. Il comprit en un clin d’oeil quand une gueule démesurée s’approcha de son oreille, son souffle brûlant piquant désagréablement sa peau à peine réchauffée par le combat.

Autre chose le frappa, plus durement que ne le fit l’arsank. Le silence était retombé tout autour de lui, un silence de plomb, agressant ses tympans. Enfin, sa vision accepta de cesser de se flouter. Droit devant lui, Zair continuait d’immobiliser les marionnettes d’Adriel, mais sa posture se faisait hésitante, avec peint sur le visage ce qui ressemblait terriblement à de l’inquiétude. Ekayon, quant à lui, s’était également figé, observant Tekris avec des yeux ronds, puis passant à la fine silhouette de la brune maîtresse de l’animal, furieux. Enfin, les pièces du puzzle se mirent en place dans le crâne de Tekris.

Et pour un peu, il en aurait pleuré de rage.

– C’est mon dernier avertissement, déclara sentencieusement Adriel. Rendez-vous, ou il meurt.

– Et qu’est-ce qui me garantit que vous ne l’abattrez pas, même si nous obéissons ? rétorqua Ekayon.

– Vous n’êtes pas en position d’exiger quoi que ce soit. Mais, si cela peut vous rassurer, vous allez m’être utiles. Maintenant, décidez, ou il ne restera plus qu’une charpie de Tekris sous la patte de mon Evdam chéri.

Obéissant à l’ordre muet de sa maîtresse, l’arsank accentua la pression sur la colonne vertébrale du colosse. Mordant sa langue pour étouffer un gémissement, il enfouit son visage dans la neige, dans le vain espoir de dissimuler sa souffrance aux deux autres. Peinant à seulement respirer, le pire fut, malgré tout, de lutter contre le réflexe instinctif du vivant de se débattre pour sa survie.

– Arrête ! cria Zair, la voix claire si ce n’était un léger tremblement. C’est bon, on se rend.

Ramenant les bras contre son corps, elle expira longuement. Libérées de leur torpeur, les marionnettes s’empressèrent de l’empoigner, l’une d’entre elle invoquant, avec l’aide d’Adriel, des liens de plasma pour attacher ses mains. Digne, Ekayon rangea son X-Reader, toisant les deux qui s’approchaient de lui.

– Sachez que votre lâcheté me répugne, déclara-t-il à l’attention de la brune.

Le solitaire subit le même sort que la Radikors, ramené sans douceur auprès d’elle. Alors seulement, l’arsank s’écarta, permettant au colosse d’avaler une grande goulée d’air, une main posée sur ses côtes pour les masser. Clignant plusieurs fois des paupières, il sentit à peine les poignes de fer de la marionnette l’assaillant depuis le début, les poignets à leur tour enserrés fermement.

Soulagé de ne pas trébucher, il fut « guidé » jusqu’à se tenir auprès du solitaire. Le plus éloigné possible de Zair, évidemment… D’un geste ample, Adriel débarrassa sa crinière de la neige l’encombrant, tapotant les manches de son manteau afin de le faire revenir, autant que possible, à sa couleur d’origine.

– Avant que tu ne dises quoi que ce soit, souffla Zair en fixant Tekris, ce n’est pas ta faute, d’accord ?

Le colosse haussa les épaules, morose. Elle devait bien être la seule à y croire…

– Bien, cette petite formalité réglée, Zair, tu vas baisser la protection que tu as érigée tout autour de la forteresse. Car c’est bien ton œuvre, n’est-ce pas ? Parfait.

Une satisfaction, au moins, la brune paraissait un peu plus fatiguée qu’il ne l’aurait cru au premier abord. Cependant, elle était largement capable de tenir un deuxième tour, il le devinait aisément, alors que lui se sentait tout juste capable de tenir sur ses deux jambes… Arrivé plus tard dans la confrontation, Ekayon gardait sûrement encore un peu d’énergie en réserve. Quant à Zair, la tête bien droite, elle était à peu près aussi fatiguée qu’avant de lancer son, euh, assaut invisible. Ce qui n’était pas dramatique, mais pas franchement brillant non plus.

Délivrée provisoirement de ses liens, la jeune femme maugréa entre ses dents serrées, massant ses poignets.

– Si je veux baisser la barrière, il me faut un petit artefact, que j’ai perdu avant que l’on se batte, rétorqua-t-elle. Sans lui, je n’ai pas assez de puissance, et donc ne peux rien faire.

Un mensonge, Tekris le savait. Jamais Zair n’aurait créé une protection sans avoir au moins une porte de sortie. L’espace d’un instant, il crut que la ruse allait leur faire gagner un peu de temps, tout en laissant supposer à la brune que Zair détenait moins de puissance qu’en réalité.

Plongeant la main à l’intérieur de son ample manteau, Adriel, un sourire triomphant aux lèvres, en ressortit une petite figurine, représentant un dragon enroulé autour d’une épée.

– Je suppose que tu veux parler de ceci ? railla-t-elle.

Le corps tendu à l’extrême, la seule fille des Radikors ne put qu’acquiescer, s’emparant de l’objet.

– N’essaie pas de me tendre un piège, ricana Adriel. Il y a juste assez de kaïru dans ce jäadi pour que tu puisse mener à bien ta tâche. Ne compte pas sur ça pour te donner un quelconque avantage.

Tekris plissa le nez. Sa coéquipière n’avait-elle pas prétendue que cela amplifiait les pouvoirs, au contraire ?!

Sous bonne escorte, Zair fut poussée devant la haute stature de la forteresse, Adriel, bras croisés, surveillant ses moindres faits et gestes. Un dernier regard en arrière, vers Tekris et Ekayon, s’attardant plus longuement sur le premier. Si son visage se faisait résigné, ce simple contact visuel suffit à l’adolescent pour comprendre qu’elle n’abandonnait pas si facilement la partie.

Il ne restait plus qu’à espérer, songea Tekris, que le kaïru contenu dans ce qu’il devinait à présent être un réservoir serait suffisant pour, le moment venu, chasser Adriel de la forteresse.

– Votre chef, il y a de cela quelques temps, a trouvé un coffret, dans lequel se trouvait cachée la clé de la prison de Lokar, reprit d’ailleurs celle-ci, d’un ton à la fis glacial et neutre. Mais ce n’était pas la seule chose enfermée en son sein. D’autres feuillets l’accompagnaient, entre autres. Menez-moi à ces documents.

– Vous devez faire erreur, contra Tekris. La clé était perdue dans les débris de l’explosion. Il n’a jamais été question d’un coffret, et encore moins de documents.

Lui-même s’étonna de l’aplomb avec lequel il débita ce mensonge, d’un naturel hallucinant qu’il était bien loin de ressentir. Hélas, loin de sembler contrariée par une telle révélation, la brune ricana audiblement, une étincelle mauvaise dans ses pupilles.

Avant que quiconque n’ait pu réagir, Adriel se retrouva juste devant lui, empoignant solidement son crâne des deux mains. La seule chose qu’il put remarquer, fut la brume grisâtre entourant ses paumes, avant qu’elle ne les claquent contre ses tempes.

Puis, l’entièreté de ses perceptions se vrilla, un millier de poinçon frappant l’intérieur de son crâne en une ronde infernale, hurlant, riant, se heurtant sans s’arrêter, tourbillonnant encore et encore. La douleur explosa en lui, et seule elle comptait, existait, envahissante, prenante, insupportable, martelant son corps cruellement. Un cri de douleur étranglé résonna ; il mit plusieurs secondes à comprendre qu’il s’agissait du sien, tant il se sentait perdre pied dans cet océan de souffrance l’emmenant de plus en plus loin du rivage de sa conscience. Pire, lâchement, il espéra de tout son être perdre connaissance, que cela s’arrête, qu’il n’ait plus à supporter l’insupportable, cette brume insidieuse pressant son cerveau entre ses mains immatérielles, s’interrogeant, tiendrait-il le choc, ou giclerait-il dans tous les sens ?

Le châtiment d’Adriel ne dura qu’une brève minute ; pourtant, quand enfin elle le lâcha, et que ses jambes flageolantes cédèrent sous son poids, s’effondrant dans la poudreuse, il eut l’impression que cela faisait des siècles qu’il endurait cette torture. À bout de souffle, la sueur empoissant ses vêtements et collant ses courts cheveux contre sa peau, il luttait pour ne pas trembler. Ainsi que pour retrouver un semblant de lucidité.

Une paume puissante se posa sur son front, avant qu’un bras musclé ne ceigne ses reins, l’aidant à se remettre debout. Il remercia intérieurement cet appui inattendu, la gorge trop sèche pour articuler un son. Sans lui, sûrement se serait-il déjà étalé de nouveau contre le sol. Enfin, sa vue s’éclaircit, ses oreilles se débouchant d’un seul coup, comme un bouchon de champagne enfin tiré au clair. Maintenue fermement par deux des marionnettes d’Adriel, Zair invectivait violemment la brune, la voix assez forte pour couvrir le rugissement du vent. Mais pour le moment, il ne comprenait pas très bien ce qu’elle disait, encore embrumé.

Tournant lentement la tête, il croisa le regard inquiet d’Ekayon. Ainsi, c’était donc le solitaire en personne qui le soutenait ? Devait-il en rire ou en pleurer. Lui aussi parlait, mais à lui, remuant les lèvres desquelles s’échappaient des sons que le colosse épuisé ne parvenaient à reconstituer. Les mains du jeune homme étaient étrangement déliées, une incongruité qu’il mit un moment à comprendre. Sûrement Adriel avait-elle laissé le soin au solitaire de se charger de transporter le Radikors, guère en état de marcher, lui accordant pour cela de garder les mains libres ? Oui, mais pourquoi ne pas demander à l’une de ses marionnettes ?

Bah, la chère et impitoyable brune n’avait probablement pas voulu employer ses joujoux à des fins si ingrates. Au moins était-il désormais le seul à garder les poignets attachés…

Étrangement, quand Adriel franchit les quelques mètres les séparant, il n’eut aucun mal à comprendre ce que disaient les lèvres pulpeuses de l’adolescente.

– La prochaine fois que tu mentiras, je ne m’arrêterais pas.


µµµ


Au sein de la grotte aux parois déchiquetées, comme grignotées par les crocs avides d’une créature fantasmagorique affamée, la seule source de lumière potable résidait en le petit feu rehaussé de margotins, qui finiraient eux-aussi par brûler, leurs fins diamètres déjà noirci par les langues léchant le bois par intermittence. En effet, Zane avait dut passer bien plus de temps que prévu dans ce maudit repaire des Hiverax, car la petite lumière qui le guidait autrefois, au bout du mince tunnel grâce auquel il pénétra en ces lieux, avait entre-temps disparue. Aussi la danse immuable des flammes aux reflets dorés seule pouvait sommairement le guider afin de retrouver le chemin vers la sortir, puisque son départ de l’espèce de dimension ne l’avait guère ramené sur le même promontoire, mais au centre de la salle au sol si rugueux, qu’il sentait le tranchant des arêtes en dépit de ses épaisses semelles.

Fouiller la voûte carnivore frénétiquement du regard demeurait pour le moment le seul moyen de détourner son attention de tout ce qu’il venait d’apprendre de la bouche de l’homme inconnu. Et de la puissance écrasante qui manqua l’enfermer pour un bon moment (le mot « éternité » refusant catégoriquement de se former dans son esprit) dans cette bizarre dimension. Se concentrer sur le plus urgent : sortir le plus vite possible d’ici, avant que Teos ou les Hiverax ne reviennent. Hors de question d’être servi à ses pires ennemis sur un plateau d’argent ! Invariablement, ses pupilles onyx en revenaient à l’espace ai centre de la salle, entre les deux stalagmites gigantesques. Pour le moment, la voix menaçante semblait s’être tue, mais de combien de temps disposait-il encore, avant son retour ? Et qui lui disait, d’ailleurs, qu’elle ne se trouvait pas déjà présente, à l’épier en silence dans la pénombre insondable, guettant le meilleur moment pour frapper ?

Une fourberie digne de Lokar… Bon sang, où est ce fichu tunnel ?!

Soudain, au beau milieu de ses recherches, un point au beau milieu de sa nuque le démangea. Comme si quelqu’un, dissimulé d’un voile de ténèbres, l’espionnait en toute impunité. Se retournant d’un bond, il ne vit rien d’autre que le bleu-argent légèrement scintillant de la roche, ainsi que les silhouettes chinoises que formaient les creux et irrégularités des murs frappés par la lueur pâle du foyer. Tekris, sans aucun doute, se serait empressé d’imaginer pléthore de monstres assoiffés de sang en interprétant les ombres ainsi projetées, songea-t-il, vaguement pensif. Bon sang, il lui fallait absolument quitter cet endroit, revenir à la forteresse, afin de bouter une fois pour toutes Adriel, et ses deux congénères tant qu’on y était, hors de ses murs !

Se remettant au travail, puisqu’il ne voyait rien d’alarmant, il s’efforça de respirer doucement, profondément, maîtrisant du mieux possible l’angoisse montant doucement en lui. Ce n’était qu’un effet de son imagination, probablement, dû à un trop temps passé sans respirer un air pur… Enfin, parmi l’uniformité intrigante régnant dans la grotte, il repéra le couloir lui ayant permit de pénétrer dans la voûte caillouteuse.

À cet instant précis, il ressentit de nouveau cette démangeaison posée sur sa nuque.Cette fois-ci, il ne pouvait plus se voiler la face, quelqu’un osait clairement suivre ses moindres faits et gestes !

Ses yeux s’écarquillèrent lentement, alors qu’il réalisait pourquoi il ne fit pas immédiatement attention à ses perceptions, attendant qu’il soit trop tard pour que ses signaux internes se se mettent en alarme. La présence, progressivement écrasante à mesure que le temps passait… Juste derrière lui… Cette impression de pouvoir poser les yeux sur elle, si seulement il tournait légèrement la tête vers son épaule gauche…

Le sang glacé, il resta figé, ses pupilles onyx dérivant sur le côté sans qu’il n’esquisse la moindre mouvement, le cou raide. Il était là, juste à côté de lui… Non, il devait refuser de penser ainsi, ce serait lui donner corps, lui accorder une existence propre ! Pourtant, au sein de cet espace clos, étroit, jamais ça ne lui avait semblé si proche de le toucher, de tendre une main immatérielle pour reprendre son empire sur sa personne ! Non, il rêvait, juste un effet du stress, découvrir que Teos était de mèche avec les Hiverax l’avait bouleversé ! Haletant, il fit un pas en avant, prudent. Aussitôt, il eut la nette impression qu’autre chose venait d’effectuer le même geste, sans un bruit, sans se manifester outre mesure. Sans le quitter d’une semelle.

Rarement Zane avait ressenti sa présence aussi nettement, en seize années de vie. Rarement… excepté avant qu’il ne perde le contrôle. Que l’écarlate résidant en son être ne s’impose, sans qu’il ne puisse l’en empêcher.

Pourquoi me poursuis-tu ? gémit-il intérieurement, ne se rappelant que trop tard qu’il ne devait pas lui accorder la moindre vie propre. Pourquoi ne me fiches-tu pas la paix une fois pour toutes ?!

Haletant, il craint, un instant, d’entendre une quelconque réponse. Seul le silence lui répondit, lourd de présence. S’il s’en sentit soulagé un instant, l’angoisse reprit rapidement le dessus. Un doute, qu’il éprouvait depuis son enfance, depuis la première fois ; était-il atteint de folie? Les manifestations de ça n’étaient-elles que les expressions d’un esprit gangrené, comme le clamait sans arrêt son père ?

Non, je ne suis pas cinglé ! Pas des plus équilibré, mais c’est là, avec moi !

Oh oui, c’était là, recommençant à murmurer à son oreille des promesses de puissance et de gloire s’il se laissait faire, sans parler, sans même ouvrir une bouche n’existant, au final, guère. Mais ça murmurait bel et bien. Ricanant que cela ne le quitterait jamais, puisqu’il le trimballait depuis sa naissance. Pourquoi ne pas se laisser entraîner par le flot d’émotions trop longtemps contenues, au lieu de lutter sans arrêt ? Quand il avait pris les rênes lors de son face-à-face avec les Hiverax, brièvement, réduisant à néant leurs « spirales de confusion », le résultat n’avait-il pas été satisfaisant ? Et lui qui courrait sans arrêt après la puissance, pourquoi ne se laissait-il pas tenter, une bonne fois pour toutes ?

Serrant les lèvres, le seul moyen de retenir un cri de rage, Zane lutta, de toutes ses forces, renforçant en catastrophe le barrage de ses émotions pressantes, réclamant de sortir, ramper sous sa peau, se répandre sans retour arrière. Et ça, encore, si proche que s’il avait un souffle, il en éprouverait la chaleur sur sa peau !

Les émotions, encore et toujours ! S’endurcir, je dois… c’est le seul moyen !

Gémissant lourdement, l’adolescent se força à focaliser toute son attention sur ce qu’il contrôlait : la réalisation de sa vengeance contre le Redakaï, la domination du monde ! Seuls Tekris et Zair auraient le droit de rester à ses côtés, sinon, il n’avait nul besoin d’aide, juste ses coéquipiers, c’était tout ! Ne surtout pas se laisser déborder, ce n’était pas pour rien qu’il laissait exploser sans arrêt sa colère. La retenir en lui, avec son caractère un – gros – chouïa susceptible, c’était accepter qu’elle le contrôle !

Admets que tu mens, sifflait chaque fois son père, pointant du doigt les marques maudites inscrites sur ses poignets, cachées depuis sa naissance par d’épais gants. Dis-le, que tu n’es qu’un menteur, que tu inventes ces histoires de présence reliée à toi juste pour te rendre intéressant ! ajoutait-il, levant sa ceinture pour ne laisser aucun doute sur sa façon de traiter les mensonges de son fils. Zane mit plus de sept ans, avant de renier ce qu’il savait vrai au fond de lui, se débattant seul avec ses crises et ses sensations. Tant et si bien qu’aujourd’hui, il ignorait s’il devait prendre ça réellement au sérieux, ou si ce n’était que le résultat d’une quelconque maladie mentale. Mais non, enfin, il n’était pas malade ! Juste désorienté…

L’écarlate de son kaïru intérieur, symbole des Dastiva, l’écarlate de ses yeux quand il perdait le contrôle, l’écarlate, l’écarlate, l’écarlate, la puissance, perdre le contrôle, montrer une fois pour toutes qui je suis, kaïru trop instable, incapable de supporter l’injection du kaïru de Thiers… Sa vie allait bien mieux, jusqu’à ce que ce maudit homme qui se prétendait son père avait voulu lui faire passer l’Épreuve ! Là où, pour la première fois, ça c’était manifesté de manière imprévisible et offensive. La douleur quand le morceau de lame pénétra sa chair, quand les Maîtres continuèrent le rituel, la puissance quand l’écarlate jaillit de lui, réduisant en miettes les personnes osant maintenir fermement son corps contre le froid carrelage, la souffrance encore quand, jugé indigne de recevoir le Présent, ce dernier lui fut retiré aussi vite qu’il était entré, le noir quand il se retrouva assommé, afin d’éviter d’autres morts…

Tekris, le corps couvert de chaînes, luttant contre une force écrasant son esprit, une force à laquelle il était tenu d’obéir sans le vouloir… Le Redakaï, de huit Maîtres à quatre, sans retour possible… Apecks, le gamin trouillard, un voile gris recouvrant ses paupières, et se tenant au-dessus d’une Maya perdant connaissance… Le kaïru pur, de son bleu éclatant, devenant tour à tour violacé puis gris… Et un corps surtout, gigantesque, colossal, vide d’abord, puis remplit d’une énergie si maléfique qu’il en frissonnait dans sa transe…

Rejetant la tête en arrière, Zane hurla, la tête entre les mains. Peu lui importait d’être entendu, il avait de toute façon à peine conscience d’être présent, d’exister en tant que Zane, alors que ça tendait ses mains intangibles vers son pouvoir avec avidité, tentant de s’en emparer sans plus jamais le lâcher.

Encore, il se trouva sur le fragile fil tendu au-dessus de l’abîme, au bord de la reddition, la poitrine comprimée tandis qu’il avalait de grandes goulées d’air, la bouche entrouverte. Lentement, la confusion de son esprit reflua, alors qu’il se répétait inlassablement « je suis Zane, le chef des Radikors, successeur de Lokar, le meilleur combattant de tous les temps ». Refusant catégoriquement de tomber au sol, l’extraterrestre redressa au contraire les épaules, vérifiant sa bonne capacité à mettre un pied devant l’autre sans se casser la figure avant de se diriger jusqu’au mur le plus proche, s’y appuyant le temps de retrouver contenance. Il devinait toujours, derrière son épaule, la présence de ça (bien loin de la représentation d’un clown tueur, puisque aucune forme à proprement parler ne lui correspondait), avide, guettant son prochain faux pas, néanmoins il parvenait désormais à penser clairement, en dépit d’une désagréable pulsation bourdonnant sous son crâne. Un instant, il hésita à emprunter le canal le reliant à Zair, usant de sa stabilité émotionnelle pour accélérer le reprise de son contrôle de soi. Hum, mauvaise idée à la réflexion, elle avait sûrement déjà bien suffisamment à faire du côté de la forteresse, pour qu’il ne vienne ajouter ses dérangements personnels. Il devait enfouir de nouveau ça au fond de lui seul, comme un grand dirait-on…

Et que penser de ces images survenant au beau milieu de sa lutte contre lui-même ?! Des visions, encore, en série, comme lorsqu’il eut ses toutes premières s’étant révélées exactes, quand il était encore évanoui suite à sa blessure au torse ? Il espéra sincèrement que ce ne soit pas le cas, pas avec les horreurs qu’elles prédisaient. Enfin, disons que même s’il ne comprenait pas la moitié de leur signification, aucun des éléments présents ne lui évoquait le monde des licornes et des Bisounours enchantés !

Et comment expliquer qu’il en ait eu tant, en à peine quelques minutes ? Cela avait-il un rapport avec la violence de la manifestation s’étant incrustée à ses côtés ?

Franchement, est-ce que c’est le moment de se retourner le cerveau comme ça, s’interrogea-t-il ironiquement. J’ai déjà du mal à formuler une pensée réellement cohérente, alors comprendre des notions abstraites… Partir d’ici, aider Zair et Tekris à botter les fesses d’Adriel, voilà ce à quoi je dois penser !

Relevant le nez vers le promontoire, bien au-dessus de sa tête, il crut rêver debout quand, persuadé de devoir produire un effort surhumain afin de le rejoindre, il ne vit que le granit déchiqueté, sans ouverture aucune, et encore moins de possibilité de sortie.

Allons, j’ai dû me tromper d’endroit, il me suffit de suivre la paroi du regard, et je finirai bien par retrouver le tunnel ! Quoique, en y réfléchissant, la grotte elle-même ne me semble pas tout à fait la même…

Secouant vigoureusement le crâne (sa migraine pointant à l’horizon le regrettant aussitôt), Zane se morigéna sans douceur. Il était simplement un peu perturbé, voilà tout ! Sinon, pourquoi y aurait-il encore le faible feu, les piliers de stalagmites, bref, la totalité de la voûte telle qu’elle était depuis son arrivée ! Oui, à l’exception du tunnel de sortie, bien évidemment…

S’avançant avec précaution, attentif aux moindres bruits pouvant signaler le retour des Hiverax, de Teos, Saïn ou la mystérieuse voix (cela lui semblait déjà bien étonnant qu’avec son manque total de discrétion, personne ne soit encore venu aux nouvelles), conscient que s’attarder plus longtemps signerait la fin de sa courte carrière de chef des E-Teens, Zane parcourut promptement le tour de la grotte, plissant davantage le front face à ses échecs répétés. Seul sa connaissance des effets désastreux de la panique lui permit de ralentir méthodiquement les battements de son coeur, la colère et l’énervement remplaçant aisément cette émotion ô combien néfaste dans la situation présente. Un instant, il envisagea de simplement ouvrir un portail afin de revenir directement à la forteresse. Avant d’y renoncer. Employer cette technique nécessitait de recourir à son kaïru intérieur, hors, tant qu’il ne se sentirait pas « seul », il ne pouvait courir le risque de s’ouvrir à son énergie profonde. Qui sait quels dégâts pourraient être causés, si ce n’était pas la bonne « chose » qui venait à s’emparer de toute cette énergie ?!

À force d’acharnement, il finit par retrouver la trace du tunnel, soupirant de soulagement. Avant de comprendre pourquoi il n’avait pu y parvenir jusque là. Si l’adolescent pouvait encore glisser son corps meurtri en son sein, impossible pour lui de parcourir plus de quelques mètres. Bloquant le passage sur la totalité de son diamètre, un amas de gravats coupait toute possibilité pour lui de retraite. Frissonnant au vu de la taille impressionnante du bouchon, il se demanda si le fait qu’il se soit retrouvé, lors de sa sortie du monde de l’homme inconnu, en plein milieu de la salle des Hiverax au lieu de l’entrée du tunnel n’y était pas pour quelque chose. Trop chamboulé par tout ce qu’il venait d’apprendre, le Radikors ne prêta guère à son environnement extérieur, en particulier parce qu’aucun bruit, lors de son retour, ne vint lui mettre la puce à l’oreille. Imaginer que la force qui l’avait chassé de cette dimension ait été suffisamment puissante pour influer sur le monde réel fit remonter un courant glacial le long de son échine.

Détournant ses pensées de ce fâcheux sujet, il croisa les bras, soupirant de dépit. Les Hiverax durent bien emprunter une autre voie, afin de quitter cette salle. Même chose pour la voix ressemblant un peu trop à celle de Lokar ! Une autre issue existait donc forcément, ne restait plus qu’à la trouver. Oui, mais pour les premiers, Zane venait de fouiller de fond en comble les environs, et outre le fait que cela signifiait seulement qu’il était tout à son intérêt de filer fissa afin qu’ils ne se la ramène, il ne voyait vraiment pas par où…

Sauf si…

Oh les petits salopards, ils n’auraient pas osés !?

Dans le doute, et au point où il se trouvait, autant essayer…

S’abritant contre l’une des parois afin de se dissimuler, s’enfonçant dans les ombres au cas où un individu indésirable ferait irruption en cet endroit, Zane ferma lentement les paupières. Si quelqu’un avait bien dressé une illusion afin de masquer toutes les issues de secours, il lui faudrait se reposer sur ses perceptions, aussi hasardeux cela soit-il. Il avait beau être exceptionnellement doué, de son avis, dans la création de chimères et autres mensonges visuels, en débusquer une se révélait être une autre paires de manches.

De longues minutes s’écoulèrent, éprouvant plus encore sa patience et ses nerfs à vifs, sans autre résultat qu’un échauffement à mesure de ses échecs, hésitant à tout détruire à coup d’attaques kaïru. Et cette présence, derrière son épaule, qui refusait de le quitter ! Pourtant, malgré sa fatigue étouffante, il reprenait le contrôle de son esprit avec brio ! Alors pourquoi continuait-elle à le harceler de la sorte ? Tout à coup, alors qu’il s’évertuait à dénicher trace d’utilisation de kaïru, il se heurta enfin à une sorte de voile, inconsistant, maladroit presque, mais n’ayant absolument rien à faire là. Glissant le long de ce nouvel élément, Zane ne tarda pas à en sentir les limites, mobilisant tout ce qu’il lui restait de concentration pour conserver encore une once de patience. Puis, une fois celles-ci enfin trouvées, il les « saisit » brutalement, écartant le rideau de ce qu’il devinait être de l’utilisation de kaïru intérieur. Zane espéra que ses propres illusions étaient bien moins détectables ; sinon, cela risquait de devenir problématique par la suite ! À moins que Teos n’ait enseigné cette technique à l’un de ses alliés, celui-ci ne la maîtrisant qu’imparfaitement ?

Devant ses pieds, s’ouvrit un sentier entre les gravats, si bien tracé quoique légèrement dissimulé derrière une crevasse, qu’il s’étonna de ne pas l’avoir vu avant en dépit de l’illusion. Ça, plus tout le reste, l’incita à s’éloigner sur-le-champ de ce qui ressemblait bien trop à un guet-apens à son goût. Avant d’y revenir presque aussitôt. Balaya l’intérieur de la grotte d’un regard dépité.

Avait-il vraiment le choix ? Alors qu’aucune autre solution ne venait s’offrir à lui ? Pour le coup, cela ne l’aurait pas dérangé d’avoir une vision sur l’issue de cette mission, de plus en plus dérangeante !

Résigné, l’adolescent plongea la main dans la pochette qu’il portait au côté, en sortant son X-Reader. Si besoin était, son écran pourrait toujours lui fournir un peu de lumière.

Posant le pied sur le sentier, le chef des Radikors repoussa la méfiance se distillant en son être. Oui, cela se révélait plus que suspect, et dans n’importe quelle autre circonstance, Zane ne se serait jamais aventuré au-delà sans l’assurance totale de l’absence de danger. Mais trop de temps avait déjà été perdu, alors que Zair se battait pour triompher d’Adriel. Même si Ekayon, comme dans sa vision, se joindrait à ses deux coéquipiers, il n’était pas certain que cela pèse énormément dans la balance. Par les Six, son devoir envers son équipe exigeait qu’il se rende sur-le-champ près d’elle, luttant à ses côtés, et que faisait-il, au contraire ? Il restait coincé dans une satanée grotte de malheur, laissant ses compagnons livrés à eux-mêmes !

Vraiment, ce sentier avait tout intérêt à le mener au-dehors, ou il détruirait une bonne fois pour toutes cette grotte, ses environs et ses Hiverax !


µµµ


Alors qu’elle coulissait la porte d’entrée de sa chambre, Zair, mortifiée de se trouver ainsi pieds et poings liés, jeta un regard inquiet à son coéquipier. Escorté par pas moins de quatre marionnettes d’Adriel, les mains attachées dans son dos réduisant drastiquement sa marge de manœuvre, le colosse paraissait bien mal en point, s’appuyant majoritairement sur Ekayon alors qu’il reprenait lentement contrôle de son corps. Vacillant par moments sous sa charge, obligé de tituber un instant avant de se rétablir, le solitaire n’avait pourtant pas une seule fois fait mine de délaisser son rôle de soutien, allant même jusqu’à dédier un air mauvais à la brune quand, ironiquement, elle lui faisait remarquer qu’il serait plus judicieux de l’abandonner au détour d’un couloir. Au moins Tekris avait-il réussi à articuler quelques mots tout à l’heure ; un excellent signe, suite à ce qu’Adriel lui infligea, puisqu’il signifiait que le colosse parvenait à reprendre ses esprits. À la réflexion, il s’en sortait plutôt bien, s’il s’était mis en tête de lutter contre la souffrance, s’arc-boutant même contre sa présence, il aurait pu perdre bien plus que quelques journées nécessaires à son rétablissement… Zane, avec sa manie de ne jamais accepter ce qui ne lui convenait pas, aurait bien plus souffert, conclut-elle pour elle-même. Une punition radicale, et parfaitement injuste ! À quoi bon le torturer ainsi pour quelques phrases échangées ! Tout comme ç’avait été cruel de ne pas la laisser vérifier s’il allait bien, Adriel acceptant seulement la présence d’Ekayon.

– Sur mon bureau, là où tous les papiers sont étalés, lâcha-t-elle, fort peu amène.

Étrangement, Adriel ne se formalisa pas de son ton particulièrement dur, alors qu’un instant auparavant, pour un regard de travers d’Ekayon, la brune parut à deux doigts de lui faire subir un sort analogue à celui de Tekris. Bizarrement, Zair se moquait bien de recevoir un tel « traitement de faveur ».

Méfiante malgré tout, le visage inexpressif comme à son habitude, Adriel s’avança à grands pas feutrés. Zair pouvait presque entendre son avertissement quand elle posa les yeux sur Tekris. Comme si la jeune femme allait prendre le moindre risque de lui infliger une autre « punition » !

Si rien ne semblait pouvoir empêcher Adriel de s’emparer des notes de Lokar, il restait encore aux Radikors de trouver un moyen de la chasser, ou de faire en sorte que la forteresse ne devienne pas une résidence secondaire de Teos. La situation avait beau se montrer critique, Zair n’était pas le genre de femme à laisser tout tomber sous le prétexte fallacieux que rien ne semblait pouvoir l’aider !

– Maintenant que tu as ce que tu veux, tu peux au moins me laisser vérifier l’état de Tekris, cracha la Radikors, bras croisés sur le torse et menton pointé.

Bien sûr, il était évidemment hors de question de se comporter comme une vaincue, si elle n’en avait pas la preuve absolue et indéfendable, sans parler du rapport en trois exemplaires.

Vérifiant le contenu des feuillets, Adriel ne leur accorda somme toute qu’une attention toute relative, tournant les pages à peine après en avoir lu un paragraphe. De même, l’espace d’un instant, Zair se demanda si elle l’avait entendue, tant la brune paraissait isolée du monde l’entourant.

Enfin, un bref coup d’oeil l’informa que non seulement Adriel ne perdait pas une miette de ce qui se passait autour d’elle, mais qu’en plus elle faisait sciemment patienter sa rivale.

– Est-ce qu’il y a d’autres copies de ces… découvertes ? demanda-t-elle, relevant à peine la tête.

– Franchement, tu crois que j’ai du temps à perdre en notant en double chacun de ces écrits ? Peut-être as-tu l’occasion de perdre ton temps, pas moi.

Un énorme mensonge, puisque Zair avait volontairement fait un crochet dans une université, afin de photocopier chacune des pages confiées par Zane. Mais Adriel n’avait nullement besoin de savoir qu’elle ne tenait dans la main que des doubles issus des originaux.

L’adolescente se mordit la lèvre inférieure, morose. Elle qui venait tout juste de réussir à s’opposer aux méthodes souvent brutales de son frère, s’arrangeait à la fois pour ouvrir les portes de la forteresse à l’une de ses pires ennemis, et laisser de précieux documents aux mains de la même… Si il ne profitait pas de sa bévue pour reprendre le contrôle d’elle-même, elle ne le connaissait plus…

Soupçonneuse, Adriel franchit les quelques mètres la séparant de la jeune Radikors, profitant de leur différence pour la toiser de toute sa hauteur. Un rappel de sa petite taille que détestait Zair, particulièrement susceptible à ce sujet.

Néanmoins elle ne montra rien de ses sentiments intérieurs, prenant au contraire une pause terriblement ennuyée, comme si rien d’exceptionnel, ou de notable, se déroulait dans sa chambre.

– Je crois que tu n’as pas bien compris la leçon, ricana la brune. Faut-il que tu goûtes à ton tour à ma brume pour que tu apprennes à répondre correctement aux questions ?

Du bluff, ou réelle certitude que l’adolescente cachait quelque chose ? Zair n’en savait absolument rien, malgré ses entraînements dispensés par Zane, nombreux, censés lui permettre de décrypter d’un coup d’oeil les visages. Même en s’échinant des mois entiers, cela restait loin d’être évident pour elle.

D’un geste, elle stoppa le solitaire, sur le point de répondre vertement à la brune dérangée. Décidément, ce garçon possédait un instinct de survie fortement en berne. Pourvu qu’il ne donne pas de mauvaises idées à Zane par la suite, déjà bien fourni de ce côté-là !

– Crois ce que tu veux, ça m’est égal, railla-t-elle, glacial. Si tu n’es pas capable de reconnaître la vérité quand elle pendouille au bout de ton nez, je n’ose imaginer le nombre de personnes en ayant profité.

Les prunelles de la brune étincelèrent, ses cheveux cascadant sur ses épaules ajoutant à sa beauté sauvage… et dangereuse. Si le masque d’indifférence resta parfaitement en place, maîtrisé d’une main de maître, ce qui brillait au fond des yeux de la brune ne trompait guère Zair sur son véritable état d’esprit.

Finalement, Adriel haussa les épaules, comme si rien de tout cela ne valait la peine. Sans émettre le moindre son, elle se contenta d’opiner du chef en direction de l’une de ses marionnettes. Cette dernière, quittant son poste de surveillance du couloir, s’avança jusqu’au solitaire, empoignant solidement ses poignets avant de les attacher à l’aide de nouveaux « liens de plasma ». Une façon de faire qui ne plut pas à Ekayon ; prenant le temps de déposer Tekris au sol, il parvint à mordre la main de la créature quand celle-ci, ressentant l’agacement de sa maîtresse devant son absence totale de coopération, fit seulement mine de le gifler. Heureusement pour lui, il répliqua uniquement quand il se sentit directement menacer, restant raisonnablement docile autrement.

Enfin, il fut entravé, et éloigné de quelques pas.

– Vas-y, susurra Adriel, désignant du plat de la main Tekris.

Adoptant un pas mesuré, mais cependant pressé, Zair se retrouva auprès de lui en un clin d’oeil, s’attelant sur-le-champ à vérifier l’état général de son compagnon. Quand elle passa une main fraîche sur son front, soulagée de ne constater aucune manifestation ressemblant de près ou de loin à de la fièvre, il marmonna quelques paroles incompréhensibles, ouvrant apparemment au moins l’un de ses yeux (difficile à dire, quand le garçon en question portait des verres teintés opaques).

– Zair, je suis désolé… souffla-t-il.

– Tais-toi, andouille, économise ta salive, rétorqua-t-elle affectueusement, prenant la main que le colosse lui tendait péniblement. Comment tu te sens ?

– Pas pire que la fois où Zane a fait exploser un rocher de colère, sans voir que j’étais juste derrière, plaisanta-t-il, haussant les épaules.

Au moins, excepté une bouche un peu pâteuse, parlait-il normalement…

– Profitez bien de ce petit moment, intervint soudain Adriel.

Quand Zair se tourna vers elle, elle vit briller dans ses iris foncés quelque chose qu’elle ne lui avait jamais vu. De la convoitise.

– Et dès que vous aurez terminé, tu me conduiras jusqu’à vos cuves de kaïru.


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Bonjour, ou bonsoir !


Les choses se corsent, et on en apprend de plus en plus sur l’histoire et les capacités du kaïru de Thiers ! J’espère que les choses ne sont pas trop confuses ; si c’est le cas, n’hésitez pas à le signaler en commentaire, je m’efforcerai de clarifier tout ça !


Sur ce, pourvu que vous ayez apprécié ce chapitre, et bonne journée/soirée !


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