L'Arche du Péché

Chapitre 27 : L'autre côté

12653 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 18/01/2021 20:44

L’autre côté


La roche, encore et toujours, entourant les corps et les sons au sein d’un étau étouffant, toute lumière occultée par les entrailles du cloaque, dans lesquelles Zane s’enfonçait toujours plus profondément. Aucun son, aucune lumière ne filtrait à travers les opaques stalactites susurrant moquerie et prédictions sur le sort de l’inconscient ayant osé pénétrer dans ce lieu construit comme inaccessible, villégiature du maître de la grotte obscure, à leurs comparses les stalagmites, profitant de ce que le couvert de la nuit leur apportait comme absolution, soustraits aux regards curieux, déjà bien rares, devenus inexistants. Cela faisait déjà bien longtemps que Zane, renonçant à s’engager sur le chemin rempli de creux et autres bosses traîtres promptes à lui fouler la cheville (ou plus), utilisait son X-Reader pour s’éclairer. La faible lueur de l’appareil projetait d’étranges ombres orangées sur les « murs » de base tordus dans d’étranges formes impossible à identifier, et il ne pouvait voir à plus de trois pas devant lui, mais cela valait toujours mieux que d’errer sans certitude, au risque de se perdre à jamais dans le dédale minéral.

Car, évidemment (songea-t-il avec une forte pointe d’amertume teintée d’un énervement croissant), le tunnel masqué par le voile d’illusion ne mit guère longtemps avant de se séparer en divers corridors, certains visiblement creusés au fil des ans par les éléments, d’autres taillés à partie du relief initial. Au point de former tout un réseau terriblement perturbant. Seul l’impérieuse nécessité de quitter aussi vite que possible les lieux empêchait l’irascible extraterrestre de piquer une crise de nerfs mémorable, sa migraine pulsante n’améliorant guère son humeur. Réfléchir calmement relevant de l’impossible pour son caractère enflammé, le garçon, après une brève réflexion l’ayant fait serrer les mâchoires d’impatience, décida d’emprunter les couloirs sur lesquels une intervention ultérieure se devinait. En effet, se dit-il, de base, une grotte ne contenait qu’une issue, son entrée. Hors, ses années passées à côtoyer Lokar lui permirent d’apprendre une chose : l’homme, atteint d’une paranoïa crevant le plafond, n’aurait jamais choisi un abri sans, au minimum, quatre ou cinq sorties. Sans oublier le plan B si jamais cela ne suffisait pas. Et C. Et ainsi de suite jusqu’au Z… Bref ! Pour construire ses échappatoires, Lokar avait forcément dû mettre la main à la pâte. Et puisque Zane détestait la gauche, quand un carrefour se présentait à lui, il empruntait systématiquement la voie de droite. Oh, plus le temps passait, plus il détestait prodigieusement les grottes !

Si encore il n’avait à gérer que l’environnement hostile, propre à l’égarement… Peut-être l’imagination de l’adolescent lui jouait des tours, sûrement son expérience traumatisante survenue quelques instants plus tôt (une heure ? Deux ? Ou moins encore ? Dans cette ronde monotone des minerais, se repérer relevait de l’exploit), toujours était-il qu’il ne parvenait à se défaire de l’impression que le silence assourdissant régnant dans cet insupportable espace clos renfermait quantité de murmures haineux, prêts à tout pour le faire chuter.

Ne surtout pas céder à la panique ! Ah ah, si Zair m’entendait, elle qui se plaint tout le temps de ma manie d’imaginer toute sorte de choses… Par les tripes du pis de vache de ma mère, cette grotte a-t-elle une fin ? Reprends-toi mon grand, l’important est de fuir cet endroit… Non, de le quitter ! Zane ne fuit pas !

Encore secoué du déferlement de visions, en sus de sa presque perte de contrôle, le chef des Radikors ne se sentait guère bien assuré sur ses jambes, bien qu’il se refusât formellement à prendre appui sur quelconque surface pour progresser. Néanmoins, pour une fois, il n’aurait pas refusé un bras pour le soutenir… Hors du champ de vision de Zair et Tekris, bien sûr. Il leur avait montré assez de faiblesse comme ça, pas la peine d’en rajouter. De la faiblesse ? Non, quelques moments d’indécision, rien de plus, et…

Oh, et puis, il se sentait trop fatigué pour se disputer avec lui-même. Gérer la fichue présence, calée juste derrière son épaule, empirait déjà tant sa migraine qu’au final, il se contentait de l’ignorer, détournant ses pensées chaque fois qu’elles y revenaient d’un peu trop près. Plus tard, l’ectoplasme n’existant que dans les tréfonds de son crâne ; ça, il se le répétait tel une litanie, refusant de donner corps à ce qui le tourmentait depuis les premières années de son existence.

Contrarié, Zane se gratta la nuque, front plissé au point que les fins traits noirs remplaçant les sourcils chez un humain se touchèrent presque. Rien n’était plus frustrant que la certitude d’un danger menaçant (grosso modo, ne nous mentons pas, songea-t-il ironiquement) tout ce qu’il possédait – tout ce qu’il construisait de ses propres mains ! –, sans pouvoir se battre pour conserver ce qui lui revenait de droit ! Il aurait bien donné l’entièreté de ses X-Drives, plutôt que d’être ainsi réduit à l’impuissance, et ce pourquoi ? Parce qu’il se trouvait incapable de trouver la sortie d’une bête et stupide grotte !

Quand je dominerais enfin le monde (juste avant ma conquête de l’Univers, bien évidemment), je rayerais ces antres humides et obscures de la surface de la Terre !

À se demander comment il faisait pour ne pas être encore claustrophobe ! Et si ce foutu courant d’air pouvait cesser de lui souffler ainsi dans le cou, avant qu’il ne perde pour de bon le peu de contrôle de soi lui restant, cela lui éviterait de faire sauter la région !

Une petite minute ? Un courant d’air ?! Enfoncé si loin dans la montagne ?

Se redressant d’un bond, le chef des Radikors balaya les environs du regard, sans bouger de l’endroit où il se tenait. Chatouillant le peu de peau nue lui restant, un mince filet intangible circulait autour de son corps tel une rivière autour d’un rocher, s’égarant parfois à caresser doucement la chair ainsi découverte, si doucement que si l’adolescent ne s’était pas arrêté un instant, rien ne garantissait qu’il puisse le sentir. Décidant qu’une poignée de secondes suffisait largement à conclure que oui, pépère Éole (ou peu importe le nom que peuvent bien donner d’autres cultures) s’amusait à le titiller de manière fort narquoise, merci bien il avait autre chose à faire, il se mit à palper frénétiquement la paroi, à la recherche de la moindre fissure, de la plus petite ouverture pouvant bien justifier la présence d’air à cette profondeur.

Plusieurs minutes passèrent, sans qu’aucun indice ne vienne l’éclairer sur ce qui se présentait comme une porte de sortie providentielle. Crispant les mâchoires pour ne pas hurler de frustration, l’adolescent serra son poing tremblant de frustration. Cédant au besoin irrépressible d’exprimer la colère sourdant violemment en lui, il frappa un grand coup dans la paroi du tunnel, emmagasinant dans son geste toute l’impuissance taraudant son esprit sans lui laisser de répit. La douleur, minime comparée à ce qu’il avait pu connaître durant sa jeune existence, ne lui arracha qu’un grognement irrité, sans pour autant lui offrir la solution sur un plateau d’argent comme il en rêvait.

Pourquoi donc les choses devaient-elles ainsi se compliquer ? Il suffisait de le laisser mener à bien ses plans, et l’humanité accompagnée des puissances célestes n’aurait plus à se soucier de si futiles considérations !

Bon sang, que faire pour trouver la source de ce maudit courant d’air !

À contrecœur, il s’exhorta à garder la tête froide. Foncer tête baissée, cette fois, ne lui serait d’aucune utilité ; il avait beau posséder le sang chaud, même un sourd imbécile se serait aperçu ne pas faire le poids contre l’empire minéral l’entourant. Sauf s’il tentait de tout détruire à coup d’attaque kaïru… et se retrouver emprisonné sous une tonne de gravats.

Pour la première fois de sa vie, voilà qu’il se trouvait forcé de… réfléchir calmement !

L’écran de son X-Reader depuis longtemps déjà déverrouillé, Zane parcourut d’un regard vif l’ensemble des X-Drives contenus en son sein. Quelque chose de relativement utile devait bien se cacher quelque part ! Difficile à trouver, quand la majorité des attaques étaient du goût de leur propriétaire, particulièrement offensives. Ou destinée à finir rapidement un combat.

Il dut rapidement se rendre à l’évidence. Rien ne pouvait l(aider, du moins pour le moment, dans le petit appareil. Ne lui restait plus qu’une seule idée en stock.

Soupirant lourdement, il ouvrit la pochette grise battant sa hanche, rangeant son X-Reader. Aussitôt, les environs plongèrent dans un noir complet, empêchant l’adolescent de distinguer seulement le bout de ses doigts s’il les mettaient sous son nez. Ou dissimulant un guet-apens. Bah, au point où il en était, cela l’aiderait à se concentrer. Un exercice qu’il aurait largement préféré éviter.

Fermant les poings, il colla ses phalanges l’une à l’autre, abaissant ses paupières après un dernier regard circulaire ne lui ayant rien appris d’utile (excepté qu’il faisait effectivement très sombre, et que si jamais quelqu’un tentait de l’approcher sans sa permission, impossible pour lui de ne pas être entendu, rien ne troublant le silence régnant dans ces tunnels).

Faire le vide en lui se révéla plus aisé que prévu, à sa grande surprise. Comme quoi, les entraînements un peu moins physiques possédaient une petite part d’intérêt, conclut-il ironiquement. Ressentir son kaïru intérieur, l’énergie fantastique tout autour de lui, base de tous les exercices de concentration des combattants, ne fut qu’une formalité qu’il remplit en quelques secondes à peine en dépit de son peu d’intérêt accordé au sujet. Invoquer sa force intérieure, afin de lui donner la forme désirée, fut en revanche plus difficile, l’adolescent devant s’y prendre à trois ou quatre fois avant de parvenir au résultat souhaité.

Enfin, sentant le moment où il réussirait venir, Zane abaissa ses mains, paumes tournées vers le ciel, les positionnant de manière à les garder en coupe, sans pour autant les laisser se toucher entièrement. Jaillissant dans un petit bruit évoquant un scintillement, quoique plus mystique, le kaïru se tordit brièvement, le temps qu’il fallut au chef des Radikors pour lui constituer forme. Puis, l’énergie se concentra au milieu de la coupe formée par ses mains, prenant l’apparence d’une petite flamme, volontairement fluette. Écarlate, en opposition à la douce lueur bleutée habituellement caractéristique du kaïru pur, ou celle d’un violet agressif propre au kaïru obscur, elle ne produisait aucune chaleur, ne risquant pas de brûler le tissu des gants de l’adolescent. Si fine ; prête à vaciller au moindre souffle d’air.

Très fier de sa performance, Zane observa fébrilement son œuvre, s’assurant de la secouer au minimum pour ne pas risquer d’éteindre sa flammèche par un mouvement trop brusque. À leur plus haut niveau, les Maîtres kaïru étaient en mesure de manipuler les éléments, à condition de posséder un minimum de matière ; néanmoins, invoquer son énergie interne afin de s’éclairer, ou autre tâche simple, restait possible du moment que l’on possédait la puissance et la technique nécessaire. Pour être tout à fait honnête, Zane n’était pas certain de réussir à plus ou moins « combiner » ces deux méthodes, donnant au kaïru la forme qu’il désirait. Jamais, auparavant, n’avait-il tenté pareille expérience, bien plus attiré par le côté physique du kaïru. Et aucun Redakaï ne daignait éclairer sa lanterne sur la marche à suivre, sans parler de Lokar qui ne se souciait pas de cet aspect de l’enseignement de ses E-Teens. N’empêche, lui, le Grand Zane, venait de plier son kaïru intérieur à sa volonté, et presque du premier coup ! Rien que pour ça, il se sentait terriblement fier !

Comme pour le ramener à de plus humbles dispositions, sa flamme choisit ce moment pour vaciller dangereusement, forçant l’adolescent à revenir au présent. Cessant totalement de bouger, juste le temps qu’il fallut pour laisser la lueur revenir à une taille acceptable. Une fois certain de ne plus risquer devoir recommencer l’opération de son début, il la ramena à hauteur de buste, scrutant avec attention les oscillations délicates. Il n’eut guère longtemps à attendre, la flamme se tordant grossièrement entre ses doigts.

Le bout de la flammèche plonge vers l’est…

Tournant son corps dans la direction opposée, Zane s’engagea résolument dans le tunnel lui faisant face, ne relevant les yeux de son guide que pour s’assurer d’emprunter le bon chemin. Certes, ainsi, il voyait moins bien encore qu’avec son X-Reader, mais cela restait encore plus efficace qu’un briquet. Enfin, il n’allait tout de même pas se moquer de sa toute première flamme ! Ne restait plus qu’à espérer que personne ne vienne se poster en plein milieu du couloir ainsi suivi.

S’arrêtant au carrefour suivant, il choisit la voie de droite, l’écarlate kaïru oscillant plus fort encore. La bise s’intensifiait sensiblement, il renforça légèrement l’énergie (se gaussant de parvenir à l’alimenter sans trop de difficultés), s’autorisant à marcher rapidement, puis à entamer une course lente une fois certain que cela ne le priverait pas de sa seule boussole.

Soudain, alors que les sections façonnées par les années et les éléments cédaient la place à de récentes structures, taillées avec acharnement et quelques outils fort peu subtils (Zane soupçonnait quelques X-Drives bien placés, étant donné le peu de subtilité du travail), son X-Reader se mit à vibrer avec force dans sa pochette, émettant le bippeur caractéristique de la détection d’énergie kaïru. Pestant – en grande partie – intérieurement contre l’option « muet » encore inconnue sur ce genre d’appareil, Zane ralentit presque imperceptiblement. Il retint son souffle quand il fut obligé de confier la charge de sa flamme à une seule de ses paumes. Expirant de soulagement en constatant sa solidité relative, il plongea la main droite vers sa hanche, agrippant l’X-Reader, à peine surpris qu’une ou deux reliques ne se cachent dans les entrailles du repaire des Hiverax. Après tout, leur Maître n’était sûrement pas arrivé sur Terre sans précaution, et la maudite équipe gagnait régulièrement des reliques.

Par contre, la quantité d’énergie détectée le laissa estomaqué.

Ce n’est pas un contingent de reliques, ça… C’est bien l’équivalent de dix de notre cuve d’énergie ! Non, plus, vingt, au moins !

Récolter tant de pouvoir aurait nécessité des années de quête du kaïru… Si le petit appareil n’avait pas été formel : il s’agissait de kaïru obscur. La création de Lokar ne se réduisait apparemment pas à la quantité échappée de l’ancien repaire du Maître du Mal, lors de son affrontement contre Ky Stax. L’ancien professeur de Zane n’avait donc pas chômé, tandis que ses E-Teens ramenaient tant bien que mal le fruit de leur labeur !

Et qui d’autre aurait bien pu posséder tant de kaïru obscur, excepté son créateur en personne ? Ce n’était ni plus ni moins que la preuve manquant tant au chef des Radikors sur la survie de l’homme, et il se dirigeait droit vers ses réserves. Une chance que les Hiverax et leur Maître soient occupés ailleurs.

Plusieurs minutes lui furent encore nécessaires, avant qu’enfin le boyau, dans lequel il était obligé de plier le dos ou exagérément les genoux s’il ne voulait pas se heurter sans cesse aux divers stalactites et stalagmites, ne s’élargisse brutalement. Coupé par une main visionnaire, le plafond s’élevait abruptement en une nouvelle cavité, largement au-dessus de la tête de l’adolescent. Sans source de lumière disponible, comme dans la salle dans laquelle Zane échoua au tout début de sa mission, la roche avait une apparence davantage ocre, veiné de nuances plus claires tirant sur le beige. Découpée en large plaque semblant assemblées dans un puzzle gigantesque, elle se trouvait dépourvue des diverses crevasses, pics pointant vers le sol ou tutoyant le ciel, et autres pièges naturels tels que des culs-de-poules. Au contraire, l’ensemble de la crypte paraissait comme grossièrement poli, suffisamment pour en ôter tous les chausse-trappes, mais pas assez pour lui conférer une apparence lisse. Le nouveau couloir, en forme de tête d’épingle verticale démesurée, courait sur plusieurs dizaines de mètres encore, jusqu’à une autre section, moins large encore bien que toujours aussi élevée de plafond, que Zane ne parvenait à distinguer à cause d’un tournant fort mal placé, accompagné d’une volée de marches ascendants absolument pas naturelles.

Complètement survolté, l’X-Reader commençait à sérieusement chauffer dans la main de l’irascible extraterrestre. À tout parier, il devinait avec certitude que s’il continuait dans cette direction, il ne tarderait pas à tomber nez-à-nez avec les réserves d’énergie du Maître des Hiverax. Regrettant de ne pas avoir le temps de s’attarder à ce sujet (ou de prendre un instant pour se servir généreusement dans le kaïru récolté par l’ennemi), il se promit de revenir y faire un petit tour, une fois cette histoire réglée.

Jetant un bref coup d’œil à sa flamme, l’adolescent remarqua que le courant d’air provenait de cet endroit en particulier, inclinant nettement sur la gauche. S’avançant jusqu’à la paroi ainsi indiquée, il approcha un peu plus encore la boussole improvisée de la paroi rocheuse. Sûrement, à cause de sa disposition particulière taillée au cœur même de la montagne, ce pan devait donner sur l’extérieur. Il suffisait de trouver le bon emplacement, de balancer une frappe judicieusement sélectionnée auparavant, et il créerait ainsi son propre passage vers la liberté. De là, peut-être pourrait-il ouvrir un portail, à présent qu’il serait certain de ne pas être repéré sur-le-champ par l’ensemble de ses ennemis tapis dans les ombres !

Il n’eut pas le loisir de s’attarder sur ses recherches. À peine eut-il avancé le pied en direction du goulot plongé dans les ombres, que la plateforme sur laquelle se tenait, auparavant largement aussi solide que ses consœurs, céda brutalement sous son poids comme si elle n’était guère plus solide qu’un ballot de paille.

Poussant un cri de surprise, Zane, par un réflexe bienheureux, protégea sa tête de ses bras. Précipité dans une nouvelle grotte inférieure, son corps heurta sans douceur aucune la roche en tapissant les contreforts. Entraînés par sa brève mais impitoyable chute, divers débris se détachèrent des stalactites accrochés à la voûte pierreuse, s’écrasant plusieurs dizaines de mètres plus bas, ébranlant les fortifications de la grotte. La poussière, âcre et brûlante, râpait sa gorge, envahissait ses poumons au point qu’il en toussa comme un perdu, alors que le voile ocre soulevé occultait entièrement sa vision, l’empêchant de prévoir où atterrissaient les blocs immenses ainsi détachés de leur corniche. Fermant ses paupières afin de protéger ses yeux, il ne put que rapprocher ses genoux de son torse, priant pour que rien ne vienne « malencontreusement » s’écraser pile là où il se trouvait allongé. Quelle brillante carrière cela serait-il, pour le jeune chef des E-Teens ! Qui ne rêverait pas de terminer écrasé tel une tarte à la fraise agrémentée aux boyaux ?!

Au bout d’un long moment, le vacarme cessa soudain, en même temps que les murs retrouvaient la stabilité leur ayant tant fait défaut juste avant. Négligeant d’attendre les quelques secondes nécessaires pour s’assurer de l’absence de danger, Zane ouvrit lentement les bras enroulés autour de sa tête. Serrant les mâchoires, ses côtes, son dos, ses mollets agressés par la pluie de minuscules gravats tombant de la voûte associée à la dureté du sol sur lequel il avait échoué, l’adolescent risqua un coup d’oeil vers le plafond, en quête de signe annonçant une nouvelle salve de destruction.

À l’endroit exact où il se tenait, juste avant de tomber, s’ouvrait un trou au diamètre quatre ou cinq fois plus grand que lui, aux rebords déchiquetés arrondis, de multiples fissures courant tout du long prêtes à céder à la moindre attaque mal placée. Une étrange coïncidence, tout de même, remarqua Zane.

Prenant appui sur son coude, il glissa précautionneusement sur le côté, épargnant son flanc droit sur lequel il était tombé. Ses muscles protestèrent vigoureusement quand son coude râpa le sol, disposé de façon à lui servir de béquille pour se relever. Ignorant tant bien que mal les pointes douloureuses titillant son corps, il grimaça cependant de douleur quand il secoua vigoureusement la crâne pour ôter les gravats de ses épais cheveux bleus, juste avant qu’il ne parvienne à se redresser, soufflant bruyamment d’agacement.

– Tout n’est pas perdu, grogna-t-il pour lui-même. Je suis seulement à l’étage du dessous, je peux toujours détruire le mur de mon choix avant de filer à la Radikors. (secouant la poussière recouvrant sa fine cape, il avança de quelques pas, précautionneusement) Heureusement, mes jambes n’ont pas trop souffert.

Il n’aurait plus manqué se tordre la cheville, tel la blonde de service dans les films d »horreur de série B !

– Cela m’a l’air vrai, confirma la voix de Teos, mais tu n’aurais quand même pas dû te relever…

La bouche entrouverte, Zane se retourna, ouvrit sa pochette afin de dégainer son X-Reader, levant l’appareil pour invoquer l’une de ses attaques… Trop lentement. Heurté de plein fouet par une frappe kaïru du garçon à la peau d’ébène, il décolla du sol, traversa dans les airs la caverne sur sa longueur, avant que son dos n’aille percuter une arête saillante, à près d’une dizaine de mètres de là. Rebondissant contre la roche, il retomba contre le sol, ne devant son salut qu’à sa main, lancée en avant, qui empêcha sa tête de se cogner sans douceur aucune. Un craquement sinistre, suivi d’une douleur perçante dans le poignet, lui fit penser qu’il ne s’en était as sorti indemne pour autant.

Son X-Reader gisant à près d’une portée de flèche de lui, l’adolescent tenta, en désespoir de cause, d’invoquer son kaïru intérieur. Hors de question de laisser ce misérable extraterrestre le ridiculiser de la sorte ! En particulier quand ledit bonhomme l’avait attaqué dans le dos (qu’il avait d’ailleurs fort en compote, conclut-il douloureusement), et sans daigner lancer quelconque défi kaïru ! Après tout, c’était lui, le spécialiste des attaques en traître et des coups bas !

Hélas, impossible d’atteindre la source de son énergie interne. Ou plutôt, il la devinait encore en lui, mais quelque chose l’empêchait de l’utiliser, comme si quelqu’un s’était amusé à nouer le canal les reliant et d’apposer un gros verrou sur le nœud ainsi créé. Mais enfin, ça ne pouvait pas être réel ! Son kaïru intérieur lui appartenait, personne ne pouvait, ni n’avait le droit de le lui prendre ! À sa connaissance, seul le kaïru noir, une énergie encore une fois conçue par Lokar, possédait le pouvoir d’incapaciter un combattant, et même un Maître ! Et ce satané Ky Stax avait, depuis un bon moment déjà, brisé la seule source restante connue de cette maléfique énergie !

Alors qu’il repérait enfin la présence également de Saïn, dissimulée dans un renfoncement obscur, une douleur atroce frappa son être, une pression insupportable s’attaquant à l’essence même de son pouvoir. Derrière son épaule, le murmure vengeur retentit, comme chaque fois que ses émotions devenaient incontrôlables dans pareille situation ; mais cette fois, il en était anormalement faible, presque inaudible tant la souffrance vrillait efficacement ses sens. Incapable de réagir, ou de mobiliser une parcelle de son énergie, son corps se redressa contre sa volonté, agenouillant l’adolescent ; une tourbe nauséabonde l’entourant horriblement forçant ses membres à se mouvoir contre sa volonté, exactement ce qu’il ressentait. Tirés en arrière et vers le sol, ses bras se tendirent péniblement à leur maximum, entraînant dans le même mouvement son dos, jusqu’à rejoindre ses chevilles, collés plus étroitement encore que s’ils étaient liés par une corde.

Sa nuque, maintenue dans un solide étau intangible, ne lui permettait que de rouler des yeux, affolé, sans pouvoir distinguer clairement ce qu’il se passait autour de lui. Serrant fortement les paupières, il les rouvrit presque immédiatement sous la pression. Les muscles tendus à craquer, presque plié en deux (qu’il regrettait de ne pas posséder une souplesse équivalente à celle de Zair ! La jeune femme, capable de passer son dos entre ses jambes puis de saluer son public sans ressentir de douleur, se serait sans aucun doute sentit à son aise), il luttait pour empêcher nombre de spasmes de parcourir son corps, ajoutant à la douleur de son corps torturé. Bon sang, il avait l’impression que s’il tentait de bouger ne serait-ce qu’un orteil, il se casserait en deux sans avoir pu rendre la monnaie de sa pièce à ses deux tortionnaires !

Refusant d’abandonner si aisément la lutte, il ignora les cris silencieux d’alarme de son corps, se débattant tant bien que mal contre les entraves le maintenant dans cette inconfortable position. Si seulement il n’avait pas mis tant de temps à réagir, englué dans une stupide stupéfaction mortelle, sûrement aurait-il réussi à éviter l’attaque de Teos, gardant assez de forces pour contrer juste après cette maudite Saïn !

Sauf si je ne l’avais pas vu, la laissant à loisir me neutraliser…

La pression sur son torse s’accentua, au point que sa colonne vertébrale fut à quelques dizaines de centimètres de toucher ses talons. Hoquetant de souffrance, Zane se mordit la langue au sang, retenant un cri de franchir la barrière, presque blanche à force d’être serrée, de ses lèvres. Chaque respiration lui coûtait un effort cuisant, comme si ses poumons, cédant à l’influence de ses « adversaires » pouvaient à tout moment jaillir de sa cage thoracique. Au moins, le désagréable de la situation ne suffisait guère à maintenir sa fureur, brûlante, d’alimenter son désir de se battre. Que Teos aille se faire démembrer dans les limbes, s’il croyait que le chef des Radikors céderait si facilement !

Tapotant narquoisement le X-Reader ceignant sa taille, le garçon d’ébène vint se planter à un endroit d’où sa victime pourrait le voir sans avoir besoin de rouler les yeux dans ses orbites. Une moquerie supplémentaire que Zane, subissant encore les contrecoups de sa dernière rébellion, calma en imaginant ses doigts noués autour du cou de l’insupportable adolescent. Sans gants, de préférence, histoire de ne pas gâcher son plaisir.

– Aimes-tu la formidable Compétence de Saïn ? susurra Teos, désignant du menton sa coéquipière, que Zane ne pouvait voir dans la position qui était la sienne. Notre très chère vipère est capable de ressentir le kaïru intérieur d’un Potentiel, quel qu’il soit, ainsi que ses fluctuations. Certes, cette découverte reste très récente pour elle, mais grâce à un petit entraînement intensif, la voilà miraculeusement capable de provoquer certaines… fluctuations des plus intéressantes.

Zane incendia du regard son interlocuteur, sans que cela n’eut plus d’effet que sur une pierre. Il fallait dire, songea-t-il amèrement, que la situation actuelle n’incitait guère au respect.

– Que croyais-tu donc ? ricana moqueusement Teos. Que tu pourrais nous écouter bavarder impunément, sans que personne ne te remarque ? Pensais-tu qu’en nous ayant miraculeusement échappé une ou deux fois, tu t’en tirerais éternellement ? Autant te dire que nous n’avons guère révélé notre véritable future destination aux paires d’oreilles indiscrètes tentant vainement de nous espionner ! Et cette fois, personne ne te viendra en aide pour t’empêcher de finir, eh bien, exactement comme maintenant.

– Tu ne disais pas ça quand je te propulsais dans la neige, aussi fragile qu’un nouveau-né, grinça sèchement Zane (enfin, autant que possible).

Pourquoi donc Saïn restait-elle aussi silencieuse ? Préparait-elle une offensive tout aussi déplaisante ? Mais il eut beau tenter de tourner le regard, rouler les yeux dans leurs orbites, impossible de distinguer la silhouette terriblement maigre de la peste de service. Quoique, Adriel méritait tout autant ce titre.

– Je ne te conseille pas de m’énerver, siffla Teos, glacial. Crois-moi, je suis assez remonté contre toi pour me faire tanner ta peau en descente de lit. Et saches que si je n’ai pas le droit de te tuer, il ne m’est pas refusé de m’amuser un peu avec toi. Avant de te laisser à quelqu’un qui a quelques petites choses à te dire.

La gorge totalement asséchée, l’adolescent tenta de déglutir. Manquant s’étouffer à cause de la force écrasant sa trachée, Zane voulut tousser, ne parvenant qu’à émettre un pitoyable grognement. S’exhortant au calme, il fouilla au sein de lui-même, à la recherche de ce « nœud » coupant toute capacité à utiliser son pouvoir. Ce truc se trouvait obligatoirement… bon sang, il n’en savait rien ! Quelque part, voilà tout, mais pas là où il devrait ! Et ce murmure s’amplifiant dans les tréfonds de son crâne, assourdissant, se frayant un passage au creux de sa conscience maintenant que son corps s’habituait à la douleur !

Je ne peux pas gérer à la fois les folies furieuses de Teos, et ça ! Par l’enfer, reste là où tu te trouvais !

Soit, s’il se fiait à ses sensations, derrière son épaule… Pas du tout ! Un tour ridicule joué par son esprit malmené ! Nier son existence, pour ne pas lui accorder de pouvoir !

– Il me semble bien dissipé, ricana Saïn. Peut-être faudrait-il lui apprendre à écouter ses supérieurs, quand ils lui parlent, proposa-t-elle à l’intention de Teos.

Finalement, Zane aurait largement préféré qu’elle se taise ! Un lourd frisson parcourut son corps, tendu à craquer, quand Teos, s’accordant le temps de la réflexion, sembla sérieusement penser à suivre la proposition de sa coéquipière, un large sourire aux lèvres.

– C’est une excellente idée, ricana le noir. Mais j’ai encore d’autre projet pour lui, et je veux qu’il tienne encore debout quand nous le livrerons à notre allié. J’ai été presque impressionné, continua-t-il à l’intention de son prisonnier, de constater que nombre de personnes veulent déjà te faire payer tes actes. Et dépité de constater ta stupidité à les laisser en vie.

– Fais-moi plaisir, va sauter à pieds joints dans un volcan et n’en reviens pas ! siffla Zane.

Dans un élan de rébellion désespéré, l’adolescent heurta de toutes les maigres forces qu’il pouvait encore rassembler l’obstacle le coupant de son pouvoir. Enfin, Saïn ne pouvait pas être si puissante, qu’elle le réduisait à une telle impuissance ! Surtout pour une Compétence tout juste découverte !

Mais alors qu’il s’attendait à se heurter à un nœud aussi solide que du plomb, quelque chose bloquant toute possibilité de contournement, son esprit, engourdi par la tension sourdant de chacun de ses muscles, percuta une sorte de noyau relativement mou. Un peu comme la détestable gelée anglaise, que les Radikors considéraient à l’unanimité immonde : affreusement compacte, tombant en rafale dans l’estomac, mais guère plus solide que de la barbe à papa une fois qu’on la saisissait à pleine main.

Son kaïru intérieur s’agita plus violemment, derrière le mur invisible le séparant de son propriétaire, comme en réponse au tourbillon émotionnel le secouant de part en part. Ainsi, songea-t-il, triomphant, le lien entre son pouvoir et lui n’était pas totalement occulté !

Si quelqu’un, un jour, lui avait dit qu’il serait presque euphorique de ressentir une telle agitation en lui !

Hélas, Saïn devina les intentions du chef des Radikors. Une fraction de seconde avant qu’il ne tente de lancer quelconque offensive (bien qu’il ignorait complètement comment faire) visant à le libérer, le nœud se durcit violemment, si brutalement que l’adolescent en eut le souffle coupé, un grand vide se faisant dans son estomac déjà sec comme du cuir mit à sécher au soleil.

– Qu’est-ce qu’il a fait ? demanda Teos, sourcils plissés.

Oh, alors il ne pouvait pas ressentir les mêmes choses que sa compagne ?! Intéressant, mais tout bonnement inutile dans sa situation. Et Saïn ne se laisserait plus surprendre, serrant son emprise sur sa victime sans lui laisser le moindre espoir d’échappatoire…

– Rien d’important, il a tenté une manœuvre dérisoire pour se libérer, répondit-elle, la voix bizarrement tendue. Peut-être se croyait-il mon égale ? ajouta la vipère en ricanant. Mais tout est sous contrôle !

Pour un peu, Zane en aurait pleuré d’amertume et de rage.

– Ton égale ? Parce que tu crois être plus forte que moi ? Dis-moi, si, au lieu de me prendre en traître, tu m’avais affronté à la régulière, aurais-tu seulement pu mettre en place ton petit tour de passe-passe ?! Moi, je crois plutôt que je t’aurais jeté à terre, et roué d’attaques kaïru jusqu’à ce que tu implore ma clémence !

Bon, peut-être pas à ce point, ajouta mentalement le vert. Néanmoins, le certes bref, mais lourd de sens silence qui suivit sa véhémente déclaration lui souffla que le don de Saïn, pour être puissant, n’était guère aussi développé que le prétendaient les deux Daminiens.

D’un autre côté, provoquer ainsi ceux qui le tenait en leur pouvoir n’était sûrement pas la meilleure action du siècle… En particulier s’il tenait à vivre assez longtemps pour prévenir ses coéquipiers de la fâcheuse évolution de Saïn. Et, s’il se montrait particulièrement obéissant, peut-être à Ekayon. Juste pour avoir une carte dans sa manche si les choses tournaient mal, mieux valait que le solitaire sache à quoi s’exposer. Mais il avait suffisamment courbé l’échine devant Lokar, dans l’espoir de lui succéder le plus rapidement possible (remarque, cette partie de l’équation avait enfin finie par se résoudre !), pour reproduire ce schéma devant Teos. Surtout devant Teos ! Savoir que l’insupportable garçon était forcé de le garder en vie n’était qu’une très maigre consolation, surtout quand, au final, il n’était rien de plus qu’un vulgaire « paquet » à livrer.

Implacablement, il sentit le nœud se resserrer autour de son pouvoir. Ah, donc la vipère n’avait guère appréciée sa dernière déclaration. Zane commençait seulement à comprendre à quel point la formidable énergie était nécessaire à la bonne santé des combattants ! À moins que sa foutue appartenance aux Dastiva n’amplifie cette sensation ?! Par les Six, il avait déjà eu plus mal par la passé, mais pas de beaucoup !

– Ne va pas plus loin, ordonna Teos. Il cherche à te provoquer ; sûrement croit-il qu’ainsi tu le tueras, lui épargnant de subir les conséquences de ses actes !

Le chef des Radikors voulut protester (au contraire, il comptait bien leur faire payer cette fourbe attaque dès que possible), constatant avec surprise que sa gorge, plus sèche que du parchemin, ne lui permettait pas de prononcer le moindre mot.

– De toute manière, il n’a jamais su rester à sa place, ajouta Teos, comme s’il suçait un bonbon. (S’assurant de toujours être dans le champ de vision du vert, il s’approcha lentement de lui, un sourire cruel aux lèvres) Peu importe le nombre de fois que l’on te rouait de coups, enfant, jamais tu n’as été capable de baisser les yeux quand on te le demandait, pas vrai ? C’est un miracle que ton cher Maître Lokar ait réussi à te rendre si docile, si prompt à prouver ta fidélité, ironisa-t-il, moqueur.

Un petit cri de surprise, du côté de la vipère, fit écho au soudain désarroi de Zane. Son cœur cognait si fort contre sa poitrine qu’il paraissait vouloir s’en échapper, l’adolescent mobilisant toute sa volonté pour garder un visage impassible. S’il savait porter un masque dans les pires moments, ce n’était pas pour rien.

Du bluff, seulement du bluff ! Il essaie de te perturber, de lire tes réactions ! Il ne peut rien savoir !

Instinctivement, il voulut éprouver de nouveau la solidité du nœud. Peine perdue, seule la protestation muette de son corps répondit à son appel ; l’évidence se présentait péniblement à lui : il n’avait pas assez développé le côté spirituel du kaïru durant sa formation, que ce soit sous l’égide de Lokar qui se contentait d’enseigner la force brute, ou sous celle de Baoddaï à laquelle il se montrait impitoyablement rétif. Pour la première fois depuis sa découverte du Redakaï, Zane regretta vaguement de n’avoir pas prêté plus d’attention aux leçons bien moins passionnantes, mais finalement utiles, du Maître du monastère. Et dire que Maya insistait pour le traîner à ces maudites méditations, presque toujours sans succès !

– Tu ne m’auras pas, parvint-il enfin à souffler, la voix rauque.

– Ah oui ? susurra Teos.

Le garçon d’ébène se pencha vers l’E-Teens, certain de son incapacité à réagir, si proche que son souffle âcre effleurait sa peau étirée de toutes parts. Approchant ses lèvres de son oreille, Teos reprit, dans un murmure lancinant :

– Je me posais une question ; comment Lokar a-t-il fait pour te rendre si docile, là où un Maître en personne ne réussissait à y parvenir ? Mieux, pourquoi un tel personnage s’occuperait en personne de corriger un vulgaire serviteur des bas-fonds du quartier ?

Teos n’attendait aucune réponse, aussi se recula-t-il aussitôt, savourant le masque d’indifférence de son prisonnier se lézarder impitoyablement. Lentement envahi par une vague de panique, Zane ne parvenait plus à dissimuler ses émotions… ni à les contrôler. Un cauchemar, il vivait un putain de cauchemar éveillé ! Le pire étant qu’il en avait totalement conscience, ne pouvant se réfugier dans le bienfaisant déni. À moins que Teos n’ait fait des suppositions au hasard, et venait de miraculeusement tomber sur la bonne ?!

Non, conclut-il dès que son regard se reporta sur l’objet de ses pensées. Il se montrait bien trop sûr de lui pour une manœuvre aussi imprécise… et comptait bien pousser son avantage au maximum.

Heureusement que sa position proprement inconfortable ne permettait pas au chef des Radikors de voir l’expression de Saïn, qu’il devinait au moins aussi moqueuse que celle de son supérieur.

Par fierté, Zane voulut lancer une de ses piques travaillées caractéristiques de son caractère, mais déjà sa fureur s’écoulait au travers du sablier du temps, ne le laissant qu’avec une terreur grandissante étreignant sa poitrine. Empêcher les larmes de couler le long de ses joues prenait toute son énergie restante, augmentant l’humiliation subie. Depuis quand le grand Zane, chef des Radikors et des E-Teens, possesseur de l’X-Reader de Lokar, luttait pour ne pas pleurnicher comme une fillette ?! Avait-il seulement été un jour aussi fort et puissant qu’il le rêvait, ou restait-il malgré tout un parvenu qui, bien loin d’avoir été élu pour quoi que ce soit, avait simplement su profiter d’un monumental coup de chance ?

La suite de la tirade de Teos confirma douloureusement ses doutes.

– Pas de belles phrases véhémentes ? Mes mots auraient-ils déjà eu raison de ton ardeur ? Remarque, c’est un acte sage de ta part, t’amuser à me faire sortir de mes gonds t’amènerait à penser que la démonstration de notre chère vipère est aussi douce que les caresses d’une amante. Il faut croire que les humains ont raison, quand ils affirment que la vérité est la plus grande douleur au monde. Peut-être Père acceptera-t-il de me laisser garder quelques-uns de leurs philosophes, une fois l’Univers agenouillé devant sa puissance ? (soudain, il sembla se rappeler n’être pas seul) Quant à toi, si jamais tu survis, je te prendrai à mon service. De longues, très longues années, au point que tu finiras par oublier toute tes velléités de rébellion. Mais avec un bon dressage, tu pourras m’être utile. Qui sait, un jour, j’accepterais peut-être de te laisser anéantir une petite partie du Redakaï, si tu te montres suffisamment affectueux avec ton nouveau Maître ?

Teos éclata d’un rire grinçant, cruel. Dansant sur la corde tendue juste au-dessus du gouffre du désespoir, Zane se sentit dangereusement vaciller, fixant le plafond pour ignorer les picotements de ses yeux.

– Alors, qu’est-ce que ça fait de savoir que l’entièreté de sa vie sera dédiée au bon plaisir de ton nouveau possesseur, si jamais tu réchappes de ta petite prise de pouvoir?

Fermant les paupières, Zane ne répondit pas, rêvant de plaquer les mains sur les oreilles afin de ne plus entendre pareilles sottises. Des sottises menaçant de devenir la réalité de sa vie… Il s’était échappé une première fois d’une vie toute faite, destinée à la servitude, une existence n’ayant cessé d’alimenter la flamme de la vengeance et de la haine brûlant en lui, grâce à un signe miraculeux l’ayant fait penser qu’il avait été élu pour accomplir de grandes choses ; sinon, pourquoi aurait-il été sauvé ?! Jamais son esprit farouche ne supporterait d’être réduit à une vie de domestique une seconde fois, plutôt mourir ! Hélas, Teos paraissait être exactement le type d’homme laissant ses victimes corrigées par ses soins aux portes de la mort, avant de les ramener pour recommencer une énième fois ses jeux cruels.

Par les Six, pourquoi sa colère, si prolifique en temps normal, s’effilochait-elle si rapidement au moment où il avait le plus besoin d’elle ?! La honte de voir son passé ainsi exposé devant ses pires ennemis, sans aucun doute… Comment diable Teos pouvait-il savoir tant de choses ?

Réfléchir devenait si pénible… qu’il devait être doux de se laisser aller à la douceur du désespoir…

– Une belle histoire, vraiment ! rit de bon cœur le Daminien. Je commence à comprendre le plaisir de Père, puisse Son nom être loué des siècles durant, quand il brise des esprits ! À ce propos, il doit en avoir bientôt fini avec l’intrus osant arpenter les Chemins Temporels sans sa permission. Adriel va achever tes misérables coéquipiers, une fois les informations qu’elle était censée chercher récupérées. Tu vois, tu es véritablement seul désormais.

Sursautant, enfin autant que possible quand le moindre mouvement non autorisé était formellement interdit, Zane rouvrit brutalement les yeux, dardant sur le jeune homme un regard mi-désespéré, mi-autoritaire, le plus fervent qu’il puisse faire dans son état d’esprit.

– Je t’interdis de les toucher ! croassa l’E-Teens, d’une voix qu’il aurait voulu plus assurée.

– Ainsi, tu n’es pas totalement brisé ? Parfait, alors je vais m’empresser de récupérer les cadavres de ces deux crétins qui t’accompagnaient, et je te forcerai à les regarder, encore et encore, jusqu’à ce que leurs chairs gonflent et se couvrent de putrescence, au point que tu ne puisse plus les reconnaître, que tu te demandes même si tu ne les as pas imaginés tout ce temps, seulement pour tromper ta solitude et ta servitude, avant que je ne les jette en pâture aux arsanks. N’est-ce pas un programme délicieux ?

Malgré la pression et la douleur, l’E-Teens serra les poings. Zair et Tekris, les seuls barrages entre Adriel et la forteresse – à moins que ce foutu Ekayon ait eu l’étrange bonne idée de faire un tour du côté des steppes gelées du domaine des Radikors, attendant que leur satané chef daigne pointer le bout de ses grandes oreilles, comme il était censé le faire en tant que dirigeant des E-Teens…

S’il laissait Teos et ses sbires s’emparer de ses coéquipiers, Zane pouvait dire adieu une bonne fois pour toutes à ses espoirs de conquête. Et les Daminiens, en tête l’insupportable garçon à la peau d’ébène, auraient définitivement gagnés.

Teos l’aurait vaincu, de toutes les manières possibles !

Cette pensée raviva la colère de l’adolescent. Braquant ses pupilles onyx sur la silhouette de son ire, il lui dédia un regard qui aurait très bien pu le carboniser sur place.

Teos, triomphant ! Zair et Tekris, réduits à néant !

Sentant que quelque chose venait de changer, Teos se tourna vers la vipère, ouvrant la bouche pour lui ordonner de renforcer encore son emprise, alors que Zane peinait déjà à formuler une pensée cohérente. Une fraction de seconde trop tard.

Inspirant profondément, Zane fit la seule chose encore possible dans sa situation, la seule capable de lui assurer presque à coup sûr la victoire sur ses geôliers.

Levant ses barrières mentales, occultant les protections dressées depuis si longtemps dans le but d’éviter ce qu’il venait justement de provoquer, il laissa, pour la première fois de son existence, volontairement la présence tapie derrière son épaule prendre le contrôle.

Aussitôt qu’il abandonna la lutte, le pouvoir de ça l’emplit brutalement, l’emplissant d’un sentiment de puissance proche de l’extase. Si jouissif… là était tout le danger. Mais pour posséder une telle force à temps plein, et surtout la maîtriser, l’adolescent aurait bien donné son âme !

La pression de Saïn s’accentua encore, mais mis à l’écart dans un cocon de néant, Zane n’en eut presque pas conscience. La présence voulait accéder sans obstacle au pouvoir de son hôte ; de là où il se trouvait, le chef des Radikors devinait sans peine que ça était bien plus fort qu’elle.

Sûrement dans le but d’arrêter la puissance sur le point de surpasser la sienne, la vipère durcit au maximum le nœud créé de ses mains. Grave erreur ; tel le chêne, ça brisa le pouvoir devenu trop rigide pour le retenir. Profitant du moment, qu’il savait bref, durant lequel il se trouvait à peine conscient de ce qui l’entourait, Zane fut néanmoins surprit de la résistance de la jeune femme.

Libéré d’entrave, il se rendit à peine compte du saut spectaculaire qu’il fit, une des frappe dévastatrice de Teos frôlant son crâne. Dressant un bouclier entre lui et les deux Daminiens d’un simple geste du poignet, il savoura le son du kaïru s’écrasant contre son énergie intérieure ainsi mobilisée. Dissipant la protection, il envoya sa propre déflagration vers la vipère, la plus menaçante pour le moment à cause de sa Compétence, son attaque remplissant presque tout l’espace. La jeune femme ne dut son salut qu’à l’intervention de Teos, utilisant ses propres capacités de téléportation pour la mettre à l’abri.

Levant les mains à hauteur de ses yeux, il savoura la lueur écarlate, reflet de celle emplissant ses pupilles, les nimber d’une aura agressive. Depuis quand n’avait-il pas pu se laisser aller d’une telle manière ? Ce serait tellement facile de laisser le contrôle de son corps en ayant la certitude de gagner. Avec une telle force, personne ne pouvait lui résister…

Une petite minute, n’avait-il pas déjà pensé quelque chose de ce genre en ramassant le X-Reader de Lokar ?

Haussant les épaules, il envoya une vague écarlate, translucide et verticale, trancher impitoyablement ce que Saïn appela un « brouillard sensoriel ». Ébranlé par la « collision démente » le frappant sur le côté qu’il n’avait pas vu venir, il vacilla une brève seconde sans mettre ne serait-ce qu’un genou à terre…

… relevant le regard sur une scène totalement étrangère. L’estrade circulaire, ornée le long de son pourtour par les six symboles des Maîtres du Dôme, merveille de la planète car entièrement conçue en jäadi mordoré, veiné d’argent. S’élevant autour de son pourtour, de larges colonnes en grenat éclatant soutenant le centre d’une coupole nacrée aux reflets irisés laissaient ses rebords s’étendre en prenant la forme de vagues en mouvement, planant au-dessus de la petite assistance, confortablement installée en face du piédestal sur pléthore de coussins rembourrés. Une petite armée de domestiques, tous yeux humblement baissés sur les légères tenues formant leur habillement (une tunique vaporeuse sans manches posée sur un bermuda épousant parfaitement les formes du corps de leur propriétaire) d’un étalage coloré et, pour certains, terriblement voyant, circulait entre leurs maîtres respectifs, proposant rafraîchissement et autres distractions. « Heureusement », la plupart se rattrapaient en affichant étalage de riches parures et autres ornements ostentatoires, conçus pour être visibles de loin. Les serviteurs de luxe, dressés dans le seul but d’être agréables aux propriétaires. En posséder un en disait long sur le statut social de l’homme l’employant.

Par la Source qu’il ne parvenait pas à toucher, pourquoi naviguait-il ainsi en plein souvenir ? songea l’adolescent, entourant Teos d’une bulle de kaïru qu’il éleva dans les airs, avant de la faire violemment retomber au sol. Il savait très bien où il se trouvait, et ce qu’il se passerait. La première manifestation de ça, qui ne le quitta plus jamais après cet incident, précurseur de nombreux autres.

Une manière de le narguer, alors qu’il ne pouvait rien faire, pas encore, contre la présence usant à présent de son corps ? Même à ce moment précis, il n’aurait su dire ce que faisait ça en question, précipité dans les tréfonds de sa conscience. À peine se rendait-il compte de mouvements à la périphérie de son champ de vision, tout en sachant qu’à force, son enveloppe corporelle, trop faible pour supporter une telle puissance, forcerait cette chose à le laisser reprendre la place étant la sienne dans l’Univers, le laissant face aux conséquences de ses actes. La nouveauté étant qu’en temps normal, soit il perdait totalement pied, ne se souvenant que très vaguement d’un immense trou noir l’engloutissant jusqu’à son réveil, ou se trouvait dans un état tellement exalté qu’il ne parvenait à s’empêcher de danser au rythme de ça.

Alors plonger au creux d’un souvenir ?! Était-ce une manière de lui rappeler sa vie alors qu’il était encore seul avec lui-même ?À bien réfléchir, il se souvenait vaguement s’être trouvé seul, alors qu’il n’était encore qu’un petit enfant obsédé seulement par le désir de fourrer son nez pile là où les adultes lui interdisaient d’aller, et d’observer des heures durant le petit paquet rose couinant qu’on lui désignait comme sa petite sœur. Enfin, sa mère affirmait qu’elle n’était ni plus ni moins qu’une rivale, mais à cet âge, il ne faisait pas encore totalement la nuance.

Oui, les premières années de sa vie n’étaient pas encore emprisonnées de la présence de ça, tapi dans un recoin de son esprit, de son pouvoir, sans qu’il ne puisse l’enlever de sa personne, le jetant au loin en lui dédiant pléthore de pamphlets vigoureux qui soulageraient terriblement son être ! Du moins, s’il existait une méthode, Zane ne l’avait pas encore trouvée. La plupart du temps, la présence restait calme, à partir du moment où il s’enfermait dans un schéma de pensée, de réflexion (de manière d’être en somme, réalisa-t-il, sans savoir quoi en penser) connu dans ses moindres recoins, construits patiemment jusqu’à ce que rien ni personne ne puisse venir le troubler de quelque manière que ce soit. Et cela fonctionna des années durant, la colère, l’emportement et l’ambition, les émotions les plus proches de sa personnalité originelle, forgeant cette carapace qu’il avait patiemment consolidée, au point de ne faire plus qu’un avec elle. Oblitérer toute émotion dangereuse ou changeante, l’enfermant à double tour dans un recoin de sa tête avant de l’oublier, tout simplement. Il ne s’agissait que d’exacerber les traits de son caractère déjà présents, au point qu’ils prennent toute la place sans rien laisser au reste. Cette décision lui vint à la suite de son arrivée sur Terre, quand, après avoir définitivement perdu son monde, son univers (ce qui, en soit, n’était pas forcément une mauvaise chose, étant donné l’insipidité du rôle lui siéant désormais sur sa planète natale), il n’avait plus à craindre sans arrêt de tomber en pleine crise face à la mauvaise personne. À présent, personne ne lui demandait plus de courber l’échine et de se taire, il pouvait donc laisser libre cours à ce qui serait, plus tard, son armure. Enfin, il avait cru que cela suffirait, puisque aucune crise ne s’était manifesté suite à cette prise de décision.

Se croyant à présent maître de lui-même et de ses émotions, le jeune garçon qu’il fut choisit de trouver un endroit dans lequel développer son potentiel kaïru, ainsi que celui de sa petite sœur. À l’époque, il ignorait encore que Tekris possédait la même étincelle lui permettant de maîtriser la puissante énergie. Guidé par les récits, innombrables, sur un groupe de personnes impies osant manipuler un kaïru corrompu, il choisit de tester l’un de ces endroits mystérieux, guidés par un Maître, laissant Zair et Tekris aux soins d’un orphelinat, au cas où un piège les attendrait. Aussi, quand, aveuglé par la colère et la jalousie envers son ami, qui devint sa Némésis, Ky Stax, laissa-t-il ça prendre le dessus sur son être, tentant de l’utiliser pour augmenter sa puissance et utiliser l’attaque interdite, l’attaque « Reflet de gloire » qui le fit renvoyer du monastère, il ne pensait pas que la présence serait en réalité suffisamment forte pour lui faire perdre le contrôle de lui-même.

Aussi perfectionna-t-il sa technique grâce à la haine, la haine envers Ky évidemment, mais également envers le Redakaï, et plus spécifiquement envers Maître Baoddaï, qui laissa un gamin d’une douzaine d’années partir de son monastère sans savoir s’il avait même un endroit où dormir. Inversement, plus sa colère grandissait, plus il se laissait guider par elle, moins il se souciait de la présence, investissant tout son temps et son énergie à gagner en puissance, et à préparer son règne sur le monde du kaïru, du monde, de l’Univers ! S’éloignant, parallèlement, de plus en plus de ses deux coéquipiers pour ne devenir que leur chef irascible et impatient. Si cette constatation lui paraissait normale habituellement, tant il s’était fait à cette manière de procéder, en ce moment de faiblesse, seul prisonnier des entrailles d’un piège dressé en partie par Teos et les Hiverax, quelque chose se tordit au creux de sa poitrine, quelque chose de douloureux.

Les récents évènements ne cessaient de prouver que finalement, sa façon d’agir n’était guère si dénuée d’imperfections, le plongeant dans des crises de plus en plus imprévisibles et brutales, qui le laissaient chaque fois pantelant, voir, comme maintenant, à deux doigts de céder. L’imprévisibilité, encore, réincarnée sous la forme de Teos, Saïn et Adriel, revenus d’un passé soigneusement enterré pour effacer toute trace de son passage, à lui et sa sœur, de ce monde. Était-ce sa presque mort qui se trouvait à l’origine du déferlements de crises, associée à sa nouvelle capacité d’avoir des visions correctes ? Son stratagème si instinctivement mis en place ne suffisait-il plus à contenir les tréfonds d’une sanité mentale fortement douteuse ? Oh, l’adolescent ne se considérait pas encore comme totalement cinglé, cependant il fallait bien une petite dose de folie pour créer un formidable génie. D’ailleurs, quand il se tenait loin de son kaïru intérieur, il ne perdait jamais le contrôle ! Les régulières offensives menées par Teos le forcèrent plus d’une fois à utiliser cette part de puissance innée résidant en chaque combattant. Cela pouvait-il être à l’origine du réveil de ça ?! Au point que ses propres pouvoirs finissent par lui glisser entre les doigts au profit d’un autre pas même réel ? L’adolescent secoua vigoureusement le crâne, grognant de frustration. Un moyen devait absolument exister de renvoyer la présence une bonne fois pour toutes dans les limbes de son inconscience ?! Mais à part la carapace devenue sa personnalité, qu’avait-il d’autre pour lutter, pour rester Zane derrière ça essayant à toute force de le plonger dans un abîme duquel il ne pourrait jamais revenir ?! La présence se révélait bien trop incontrôlable pour pouvoir le servir, sans compter qu’il ignorait complètement comment procéder ! Quant à essayer de la comprendre… Plus d’une fois, jeune, il tenta de s’astreindre à ce délicat exercice, sans résultat probant.

Et si l’homme mystérieux encapuchonné détenait la solution de l’énigme ? Après tout, il avait bien partager nombre de ressemblance avec le chef des Radikors ; sûrement savait-il quelque chose à propos de ce… truc ! Qui n’avait absolument rien à voir avec une quelconque Compétence, il avait payé pour le savoir.

Mais d’où peut-elle bien provenir ? Pourquoi est-ce que je dois supporter « ça » sans l’utiliser à mon propre service ?! Enfin, si, il suffirait de lui céder, bien sûr… Mais impossible de canaliser la force qui s’empare de moi dans ces moments-là ! Et je finis sans cesse par provoquer des catastrophes…

Surpris, il mit un petit moment à réaliser que oui, il venait bien de penser par lui-même, plus, de poursuivre une réflexion, certes chaotique, mais bien réelle…

Montant sur l’estrade de jäadi, un homme entre deux âges appela le silence de sa tonitruante voix. La cérémonie, oui… Celle à laquelle chaque personne de sa planète, du moins membre de sa caste (de son ancienne, se rappela-t-il amèrement), devait se soumettre une fois l’âge de sept ans atteint. Excepté lui, sa « chère » mère ayant insisté pour que son si prodigieux fils sollicite le droit de la subir (Zane ne voyait aucun autre mot pour exprimer ce que la Délivrance de Compétence, comme elle se faisait appeler, provoquait chez les participants) dès ses six ans. S’il doutait encore à ce moment-là (ce qui, bien évidemment, était loin d’être le cas), l’extraterrestre aurait été certain de savoir d’où venait son ambition démesurée. Permission accordée presque immédiatement par le père de Zane, désireux, après la découverte de l’engeance de son premier-né, de redorer son blason.


Normalement, se rappela Zane en invoquant une vague d’énergie kaïru, la Délivrance était censée accorder au participant la puissante possibilité de développer une Compétence, permettant au Potentiel, seulement apte à user du kaïru de Thiers en puisant sa force de la Source, de gravir les échelons en possédant une capacité particulière lui conférant un certain avantage au combat. Autant dire que le petit Zane, bercé par les rêves de grandeur de maman, fut ravi de comprendre qu’il était sur le point de gagner encore en puissance. Récoltant au passage une gifle monumentale quand, innocemment, il demanda à sa mère si, malgré cela, il pouvait attendre que sa petite sœur grandisse afin d’obtenir ensemble leur nouveau pouvoir.

À l’apogée de la Délivrance, le Maître de Cérémonie était censé prélever, avec l’autorisation et sous la surveillance d’au minimum deux Maîtres du Dôme, un des rares morceaux de jäadi purs. Plus sombres, et impossibles à briser contrairement aux artefacts fabriqués dans cette même matière, ces minuscules fragments, gorgés de kaïru de Thiers, apportaient un apport d’énergie supplémentaire permettant de développer la Compétence. Quand le corps du solliciteur était assez fort pour survivre à cette épreuve, au lieu de finir déchiqueté par une trop grande puissance en lui, que ne pouvaient gérer ses organes. Une fois le reliquat choisi, et amené par le Maître de Cérémonie, le jäadi était inséré sous la peau de l’enfant, souvent au niveau de l’avant-bras, avant d’être rapidement dissous dans le sang de l’individu, répandant le pouvoir contenu en son sein le long de ses veines. Si le solliciteur survivait, la Compétence avait une chance de surgir, certaines personnes pouvant attendre des années avant qu’elle ne daigne seulement se manifester. La peau s’assombrissait progressivement, au fur et à mesure que les entraînements et la manipulation du kaïru de Thiers s’accentuaient, atteignant une teinte ébène une fois la Compétence révélée et dûment entraînée.

Sauf que les choses avaient été loin de se passer ainsi, songea amèrement Zane. Il était normal de souffrir quand on recevait le cristal de jäadi, la plupart des enfants manquaient même de perdre connaissance, portés par la seule recommandation de leurs parents de se montrer puissant et ne pas pleurer. Mais ce que le chef des Radikors avait ressenti lorsque le cristal fut inséré dans sa chair, n’était pas seulement une forte douleur. La souffrance avait été intolérable, insupportable, au point qu’il eut l’impression que cela le brûlait de l’intérieur. Alors qu’il serrait violemment les dents pour ne pas pleurer, il avait prié, prié intérieurement de toutes ses forces, pour que cela s’arrête. Sa stoïcité commença à vaciller quand il aperçut l’expression du Maître de Cérémonie. Pas seulement soucieuse. Envahie d’incompréhension. Une réalité ayant frappé plus sûrement qu’un marteau le petit garçon qu’il était alors : rien ne pouvait troubler les individus affublés d’un tel titre. Levant les yeux, il avait croisé le regard sombre de sa mère… pour ne lire que de l’agacement concernant la durée de la cérémonie. Son père, quant à lui, n’exprimait qu’un ennui pourtant avide ; essayant de paraître détaché, il ne pouvait cacher qu’il voyait dans la Délivrance le seul moyen de s’assurer d’une quelconque valeur de sa descendance. Zair, encore pelotonnée dans les bras de sa propre mère, était la seule à lui adresser un sourire ravi, empli de fierté.

Alors Zane s’était retenu, encore un peu, gardant à l’esprit les mots impérieux de sa mère. Juste le temps qu’il lui fallut pour baisser les yeux sur son avant-bras. Le cristal, censé disparaître au creux de son être afin de lui accorder le pouvoir, restait obstinément collé à la base de son poignet, là où il venait d’être inséré. Sa forme (ovoïde bien qu’aplatie à ses pôles, se souvenait encore l’adolescent) se profilait toujours sous sa peau pourtant déjà bien épaisse pour son âge, tâche sombre refusant de s’étendre. Pire, plus les secondes s’écoulaient, plus Zane éprouvait l’impression que quelque chose, en lui, luttait fermement contre cette violente intrusion, lui laissant à peine assez de forces pour rester debout. Son bras avait commencé à trembler convulsivement, sans qu’il ne puisse l’en empêcher, ses yeux se mouillant contre sa volonté. Cédant à une impulsion, il avait tendu l’autre main vers la coupure, encore nette là où elle aurait dû se refermer d’elle-même, grattant furieusement le sang coagulé s’agglutinant autour de la plaie. Il ne prêta guère d’attention au Maître de Cérémonie lui assurant que rien ne pouvait retirer un cristal de jäadi une fois la Compétence accordée. À mesure que le feu dévorant son corps, se propageant par ses veines, il s’acharnait à tenter d’ôter par tous les moyens à sa disposition cette chose étrangère, ce truc qui n’avait absolument rien à faire ici et qui ne lui apportait rien de ce qu’on lui avait promis.

La suite, il ne s’en souvenait plus vraiment, à part quelques flashs brutaux dans le fil d’une semi-conscience. La première fois qu’il perdit complètement le contrôle, guidé par sa peur née de la persuasion de ne jamais pouvoir se libérer de cette douleur, la panique liée à son impossibilité de retirer le cristal, emprisonné définitivement dans les couches de sa peau agressée. Une formidable puissance, qui lui avait donné l’impression de pouvoir enfin se libérer de ce que les adultes lui assurait inéluctable. Quelques-uns tentèrent de le maîtriser, quand l’enfant ne parvint plus à se contenir, rejetant la tête en arrière en lâchant un long hurlement. Peine perdue ; d’un bref mouvement du plat de la main, ne restait des hommes qu’une carcasse vide sans aucune conscience. Le Maître de Cérémonie, bien trop proche, avait fini broyé dans le déferlement de pouvoir ayant jailli du garçon. Une force écarlate, légèrement luisante, terriblement agressive, réduisant à néant tous les impudents qui oseraient s’opposer à lui… et les autres. Totalement incontrôlable, l’entièreté de l’assistance, ce qui était sa famille comprise, avait bien faillit périr dans l’incident. Et peut-être plus si, mue par un réflexe salvateur, sa mère n’avait utilisé ses pouvoirs pour le plonger dans une transe abrutissante, le laissant étalé face contre terre.

À son réveil, lui dit-on, Averitia était en sus parvenue, par un miracle inconnu, à retirer le cristal de jäadi de la chair tendre de l’enfance, le laissant certes vivant, mais désormais pointé du doigt à chaque fois qu’il sortait de sa chambre, et détesté par la femme l’ayant mis au monde. Et la présence, ayant enfin pris corps, refusant définitivement de le quitter, surgissant de nouveau aux moments les plus pénibles pour l’enfant. Seul, son puissant lien avec Zair, désormais favorite à la succession de la famille, lui permit de prolonger son statut de demi-privilégié quelques temps encore. Jusqu’à ce que la présence se manifeste une nouvelle fois, sonnant le glas de la relative insouciance qu’il partageait encore avec sa sœur.

Brutalement, la présence quitta son corps, le laissant s’écraser au sol à la manière d’un vulgaire sac de patates. L’impact, pourtant relativement minime, lui coupa le souffle, l’adolescent luttant pour laisser l’air entrer de nouveau dans ses poumons, une douleur lancinante perçant ses muscles. Hébété d’être si rapidement redevenu – plus ou moins – maître de sa personne, Zane fut proprement ébahi quand il réalisa que la présence, réintégrant sa place derrière son épaule, sourdait à la lisière de sa conscience, comme pour réitérer ses exploits. Comme si, au contraire de ses habitudes, son corps n’avait pas atteint sa rupture, et que…

Le sol se mit à trembler violemment, faisant vaciller l’adolescent sur ses jambes, déjà fort peu vaillantes. Non, corrigea-t-il en remarquant les impressionnantes fissures, lézardant les parois à une vitesse folle.

En un éclair, il comprit la gravité de ce qu’il avait sous les yeux : la structure de la caverne, trop instable, cédait enfin sous les assauts kaïru répétés dont elle avait fait l’objet.

D’accoooord, donc ça n’y était pas allé avec le dos de la cuillère…

– Espèce de fou ! hurla une autre voix, digne d’une crécelle.

Tournant la tête (constater que le monde ne tournait pas autour de lui lui fit un bien fou, sans qu’il ne puisse s’expliquer pourquoi), Zane remarqua enfin que Saïn, solidement campée devant un Teos affublé d’une méchante plaie sur la joue, ne cessait de le héler depuis son « retour ».

Au-dessus de leurs têtes, d’immenses plaques de roches commencèrent à céder, tombant de part et d’autre de la caverne déjà fragilisée par le piège des Daminiens.

– Ce n’est pas vraiment le moment de se battre, rétorqua Zane, reculant prudemment.

S’il se souvenait bien, le pan de grotte sur sa droite menait à l’extérieur… Pourvu qu’il ne se trompe pas !

– Tu es à l’origine de tout ça, à frapper sans réfléchir aux conséquences ! siffla la vipère, mains crispées sur son X-Reader.

Derrière elle, son chef se redressa lentement ; étrangement, nullement contrarié par la tournure que prenaient les évènements, il paraissait au contraire ravi de ce qui se présentait à ses yeux. Mais la jeune femme ne lui accorda aucune attention, ses prunelles sauvages braquées sur son ex-prisonnier, daignant s’écarter seulement quand une puissante brassée de poussière manqua la heurter de plein fouet.

– Peu importe, siffla-t-elle sans que Teos ne fasse le moindre geste, allant jusqu’à croiser les bras. Tu ne sortiras pas de cette grotte ! Pointes malveillantes !

Manquant hoqueter de surprise, Zane roula sur le côté, évitant de justesse l’offensive.

– Je ne crois pas, non ! Marteau titane ! invoqua-t-il.

Une gerbe d’étincelles jaillit du granit, quand l’attaque cogna férocement le pan de minéral secoué en tous sens, brisant tout ce qui eut le malheur de se trouver sur son passage. Retenant un soupir de profond soulagement, quand une vague d’air frais, contraste saisissant avec la touffeur de la grotte le saisit à la gorge.

– Je vous conseille de ne pas rester dans les parages, à moins que vous ne vouliez retourner à l’âge de pierres, déclara l’adolescent, se tournant une dernière fois vers les deux autres combattants.

Puis, prenant une puissante impulsion, il décolla, traversant l’ouverture créée à la hâte, une attaque kaïru (dont il ne voulait pas connaître le nom) sur les talons, avant de perdre de l’altitude et retomber au fond du large canyon bordant les montagnes.

Peu importait ; enfin, il parvenait à surmonter l’épreuve de cette horrible caverne !

Tenez bon Zair, Tekris, j’arrive dans très peu de temps maintenant…


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Bonjour, ou bonsoir !


Je crois bien que c’est le chapitre m’ayant donné le plus de mal ! Enfin, j’espère malgré tout qu’il vous aura plu ; la suite arrive beaucoup plus vite !


Sur ce, bonne journée/soirée !


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