L'Arche du Péché

Chapitre 29 : Conte d'une planète lointaine

11633 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 18/01/2021 20:42

Contes d’une planète lointaine


Soulevant discrètement son sweat rose pâle, traversé de triangles inégaux d’un blanc tirant sur le brun (un changement vestimentaire impératif après son dernier affrontement… et un choix un peu plus personnel quand elle avait vu Tekris sourire en la voyant hésiter à mettre ce vêtement), Zair passa doucement sa main sur l’épais bandage ceignant sa taille, retenant une grimace de douleur (ainsi qu’une imprécation particulièrement véloce) quand une vague pulsation brûlante lui rappela que vérifier toutes les minutes l’existence des griffures zébrant son flanc ne les aideraient pas à disparaître plus rapidement. Comme elle l’avait deviné en vérifiant son état général, juste après la confrontation avec Adriel, les trois plaies se révélaient moins profondes qu’elle ne le craignit de prime abord. Cependant, bouger, et surtout marcher de long en large, restait pénible et douloureux pour l’adolescente, contrainte à la fois par son corps et par Zane de se reposer au maximum, le temps de son complet rétablissement.

Heureusement, le développement du kaïru intérieur permettait aux combattants de guérir plus rapidement que la normale, et Zair se savait suffisamment résistante pour pouvoir reprendre ses activités normales au bout de quelques jours seulement. Mais en attendant, le Dôme seul comprenait son énervement croissant !

Remettant en place le morceau de tissu, satisfaite de ne trouver que quelques faibles auras rougeâtres tranchant avec le blanc immaculé, Zair jetant observa son coéquipier à la dérobée, s’assurant qu’il ne remarquait pas son manège incessant. À quoi bon tout faire pour paraître en aussi grande forme que possible, pour tout gâcher en étant surprise à contrôler toutes les minutes sa blessure ? Elle connaissait désormais assez le colosse pour savoir que ce serait le prétexte idéal pour l’envoyer dans la chambre du garçon, sous une pléthore de couettes dénichées à droite et à gauche, avec interdiction de se lever jusqu’à son retour ! Et vu que rien ne pourrait la convaincre de rester plantée dans une chambre vide, seule, sans activité capable de la distraire, jamais la Radikors n’aurait obéi. Au risque d’agacer son ami, voir de les mettre en désaccord. La dernière chose qu’elle souhaitait au monde. Pas alors qu’elle s’apprêtait à lui dévoiler la vérité sur ce qu’elle était, sur ses pouvoirs, et tant d’autres sujets délicats. L’angoisse de le voir le repousser, de subir le dégoût s’installant sur son visage, était suffisamment risqué sans qu’elle n’ajoute d’autres éléments la discréditant.

L’espace d’un instant, Zair regretta d’avoir insisté pour que Zane reparte avec Ekayon, le temps qu’il retrouve un véritable contrôle de lui-même. Et pourtant, le faire accepter de partir ainsi, sans surveiller le bon état de sa sœur, ne fut pas une mince affaire. Peut-être qu’à eux deux, les choses auraient été plus faciles…

Elle secoua la tête, s’admonestant furieusement mentalement. Ce n’était certainement pas le moment de se montrer égoïste ! Bien que son frère ne l’admettrait jamais, avide de reprendre la situation en main et de se prouver qu’il pouvait tenir le coup, la priorité était que Zane prenne un repos obligatoire, se reconcentrant sur ce qu’il était, ses convictions, afin de repousser un bon moment durant la chose le suivant depuis l’enfance. Là seulement, l’équipe pourrait discuter des derniers évènements, ensemble, et décider du plan d’action à suivre. Même si le désir d’apprendre ce qu’il s’était passé du côté de son chef d’équipe la rongeait, au point qu’elle commençât à établir maintes conjectures sans intérêt. Si Zane avait perdu le contrôle aussi brutalement, alors qu’il paraissait parfaitement normal avant son départ, pressé d’en découdre avec l’équipe de triplés, il devait forcément être arrivé quelque chose de grave ! Sans oublier qu’il fallait savoir s’il avait pu obtenir de plus amples renseignements sur les agissements des triplés, et les buts de Teos et son équipe…

Soupirant cette fois, afin de se forcer à lâcher le fil de ses pensées, Zair laissa son dos s’appuyer contre le mur, l’un des rares de sa chambre à ne pas se retrouver parsemé de cratères dignes de la petite vérole. Finalement, s’allonger sur la couverture disposée à la hâte par Zane, un quart d’heure plus tôt, ne semblait pas une si mauvaise idée… Seule sa fierté, puisqu’elle avait refusé en plaisantant sur l’inquiétude exagérée des garçons (car, évidemment, il fallait que Tekris et Ekayon soient, miraculeusement, du même avis !), l’empêchait de ne pas choir fort peu gracieusement, couchée sur son côté exempt de blessures. Entendant son amie remuer, Tekris cessa un instant de déblayer les gravats bloquant l’accès au bureau, fixant ses verres teintés sur sa frêle silhouette, hésitant à intervenir. Haussant les épaules, Zair fit mine de bâiller, trouvant un soudain intérêt scientifique à la vitre explosée un peu plus tôt.

Cédant le premier, le colosse la balaya une dernière fois de la tête aux pieds, sur le point d’ajouter quelque chose, avant d’y renoncer et de retourner à son grossier nettoyage.

Ça aussi, se rappela Zair, Zane avait voulu participer à peine l’idée lancée, alors qu’il se relevait à peine, soutenu par un Ekayon ayant passé un bras autour de ses hanches pour le soutenir. L’adolescente, tout comme Tekris, crurent l’espace d’un instant que leur irascible chef d’équipe enverrait balader l’insolent osant s’approcher si près de lui, et surtout si familièrement, carrant instinctivement les épaules au cas où ils devraient se montrer aussi stoïque qu’un chêne au milieu de la tempête. Étrangement, Zane s’était contenté d’un regard noir, l’épuisement diminuant grandement son effet, Ekayon répondit par un sourire de sale gosse illuminant ses traits tirés par une fatigue moins intense, mais bien réelle. Au final, le vert n’avait rien rajouté, finissant par s’appuyer, sans réellement s’en apercevoir, sur le solitaire. Sa cape à la main, l’adolescent ordonna à Tekris de filer à l’infirmerie, lui ramenant de quoi soigner sa sœur, ignorant les protestations de cette dernière quand, quittant l’abri bienfaisant des bras d’Ekayon, il s’était agenouillé près d’elle, ôtant sa veste afin d’accéder à ses blessures. Évitant de la regarder droit dans les yeux, se concentrant sur ses soins pour ne pas réfléchir à ce qu’il venait de se produire. Au contraire de Tekris et Ekayon, ne sachant plus vraiment quoi faire, Zair n’avait pas tenté de le dissuader ; s’occuper l’esprit à tout autre chose, tandis que ce que Zane appelait « la chose » devant elle venait tout juste de le quitter, l’aidait bien souvent à reprendre totalement ses esprits. Sans un mot, elle s’était contenté d’apprécier ce petit moment, certes loin de se trouver idéal, pendant lequel son grand frère s’occupait d’elle, exclusivement, sans autre arrière-pensée. S’ils avaient été seuls, peut-être se serait-elle laissé aller à un geste de tendresse envers lui. Et peut-être en aurait-il fait de même ? Comme avant, quand ils se retrouvaient en cachette dans sa chambre d’enfant, pour s’allonger tous les deux dans son trop grand lit, elle se blottissant contre la poitrine parfois traversé de marques rouges, mais toujours forte, de son frère. Avant que tout ne se précipite, évidemment, et qu’il ne s’attache qu’à sa rancœur, sa haine et son désir de vengeance, se consacrant exclusivement à son ascension de la puissance.

Un doute traversa soudain l’adolescente. Zane adoptait ce comportement proprement mégalomaniaque plus particulièrement depuis son renvoi du monastère, dégoûté d’être rejeté à la fois par son ancien Maître et par celui qu’il considérait comme son meilleur ami, Ky Stax. Au point que tout le reste, ou presque, se trouvait occulté. D’accord, depuis l’enfance cherchait-il à être le meilleur, mais cela ne différait guère des autres enfants des Maîtres, ni même d’elle-même, poussée par la compétition entre leurs deux mères, chacune luttant pour obtenir le maximum de faveurs de l’homme ayant engendré leur progéniture.

Zane restait-il obsédé par la recherche du pouvoir en grande partie pour ne pas se laisser emporter par la chose ? Pensait-il qu’ainsi, il ne se laisserait plus tenter par ses promesses de force et de destruction, puisque son véritable lui serait plus puissant encore que la chose ? Cela déterminait-il ses pensées et ses actions ?!

Zair ferma les yeux, serrant les mâchoires. Si sa brutale théorie comprenait ne serait-ce qu’un semblant de vérité, cela expliquait beaucoup de choses. Apportait un éclairage nouveau sur bien d’autres. Ne serait-ce que sur le soudain craquage de son frère, quand il lui donna les feuillets de Lokar et avait fini en pleurs sur le sol. Bien sûr, elle ne lui pardonnerait jamais l’entièreté de ses actes, certains reproches restant ancrés dans son être. Mais, peut-être, cela lui prouvait qu’il n’était pas impossible de jeter un pont, au-dessus du gouffre les séparant ? Qu’un jour, ils parviendraient à être autre chose qu’un chef d’équipe et une coéquipière ?

Un maigre espoir, qu’elle n’attendait guère. Qu’elle peinait à accepter. Pas tout de suite, se morigéna-t-elle. Les élancements de sa chair, et la confusion du jour écoulé la perturbait trop pour qu’elle parvienne à réfléchir convenablement à un sujet aussi sérieux. Et surtout, ajouta-t-elle en rouvrant les paupières, observant avec nervosité le dos parfaitement dessiné de Tekris, un sujet à la fois, sinon elle finirait débordée avant d’avoir compris à quel moment elle s’était trop précipitée.

– Tu devrais me laisser t’aider, tenta-t-elle, prenant appui sur ses paumes pour se lever.

Terminant de placer les objets récupérables dans une caisse contenant initialement des sacs de béton, Tekris toussa longuement, quittant avec joie cette place désormais envahie par la poussière. Intérieurement, Zair l’admira. Une nuit seulement s’était écoulée depuis la nouvelle attaque de la forteresse (pourvu que cela ne devienne pas une habitude ; reconstruire en majorité l’édifice était déjà assez pénible la première fois, mais si Teos ou ses sbires continuaient de réduire en miettes leurs efforts, cela risquait d’être très long…), pourtant le colosse s’attelait déjà à trier ce qui, dans la chambre de son amie, pouvait être récupéré, et ce qui partirait directement à la poubelle, voir se trouvait trop enterré pour le moindre diagnostic. Tout en refusant, au grand dam de la principale intéressée, de se voir aidé par qui que ce soit, arguant qu’elle devait absolument se reposer. Une affirmation qu’elle partageait… mais à l’égard du colosse, justement.

Ni elle, ni lui, n’avaient vu sortir Zane de ses propres pénates, et encore moins Ekayon, qui s’était arbitrairement – et en dépit des protestations véhémentes de l’irascible chef d’équipe – désigné comme son veilleur officiel. Oh, Zane avait merveilleusement usé de son vocabulaire fleuri et de ses réflexions acerbes, prouvant qu’en dépit du cercle écarlate ceignant encore ses iris il redevenait l’adolescent que tous connaissaient, jurant que si l’autre continuait à lui courir sur le haricot il se prendrait un coup de marteau bien mérité. Mais rien n’empêcha le solitaire de le traîner sans douceur derrière lui, se dirigeant sans hésitation – et à la grande interrogation des deux autres Radikors sur son incroyable clairvoyance – vers la chambre de Zane, ce dernier, malgré sa hargne, ne pouvant lutter contre le moins atteint physiquement du quatuor. Cependant, ils soupçonnaient fortement le solitaire, en entendait le chef des Radikors lui hurler qu’il n’avait pas le droit de lui cacher son marteau, de ne pas s’être rendu directement sur le champ de bataille, face à l’arsank d’Adriel. Un choc brutal, suivi d’un « c’est pas du jeu ça ! Tu m’as dit être trop fatigué pour parler, par contre me frapper, aucun problème », subodorait que Zane avait trouvé un substitut efficace.

Au moins s’étaient-ils rapidement tus, à bien y réfléchir, permettant aux habitants de la forteresse de profiter du repos posé par Zane, arguant qu’ils ne feraient rien de bon dans leur état, cédant enfin au bon sens.

Déposant son fardeau près d’une première caisse, entreposée près de la porte, Tekris frotta ses mains l’une contre l’autre pour en ôter le maximum de retombées poussiéreuses.

– Pas la peine, j’ai presque terminé, assura-t-il, évitant soigneusement d’utiliser l’excuse de la momentanée faiblesse de sa coéquipière. Ta cible était intacte, et en poussant quelques pierres j’ai pu récupérer ta réserve de couteaux de lancer. Par contre, le reste, à part ton bureau, je ne crois pas pouvoir faire grand-chose…

– Ce n’est pas grave, que du matériel, répondit-elle, pragmatique. Le plus important, c’est est-ce que tu as retrouvé les feuillets de Lokar au milieu des décombres ? Adriel les a-t-elle fait tomber quand Zane l’a affronté, ou au moment où ses marionnettes ont été touchées, quelques chose comme ça ?!

Désolé, le colosse secoua négativement la tête, se mordant la lèvre inférieure. Donc, à l’heure qu’il était, Teos avait sûrement en main les précieuses informations contenues au fil des pages… Moins pressé que sa coéquipière, le noir risquait de rapidement comprendre qu’il ne s’agissait que de copies. De là, qui savait quelle décision prendrait-il ? Surtout en apprenant qu’Adriel était à deux doigts de les tenir tous en échec ? S’il cherchait juste à avoir entre ses mains les notes de Lokar pour ce qu’elles contenaient, peut-être les laisseraient-ils tranquilles un moment. Mais si le Daminien souhaitait en réalité empêcher les Radikors d’accéder à ces informations, une nouvelle offensive était à prévoir, et sous peu.

Dire que si elle n’avait pas rendu les originaux à Zane, ils auraient tout perdu… Annoncer cette très mauvaise nouvelle risquait de le mettre dans une rage folle, envers qui, elle ne le savait pas vraiment, mais il était certain que cela risquait de provoquer le retour de la chose. Et elle ne se sentait pas prête à lutter de nouveau. Pourvu qu’Ekayon se montre assez persuasif pour le convaincre de garder son calme…

Bon sang, elle, une Radikors, en était venue à souhaiter qu’un solitaire reste encore un peu avec eux.

– Les choses changent, déclara Tekris, comme en écho à ses pensées si parfait qu’elle en sursauta. Et nous faisons face à chaque fois, même quand tout le monde nous croit perdant. Ne culpabilise pas, Zair, tôt ou tard ces feuillets seraient tombés entre leurs mains, s’ils les voulaient vraiment. Et puis, grâce à toi, nos cuves de kaïru sont intactes ! Ce n’est pas rien !

L’adolescente sourit, ignorant les élancements douloureux de son cœur à la pensée que peut-être, bientôt, d’aussi gentilles choses ne lui seraient plus adressées. Mieux valait crever tout de suite l’abcès.

– Je te rappelle que tu as subi une forte pression mentale, et au sens propre. Ce n’est pas parce que tu n’as plus qu’un mal de tête, et des vertiges intermittents, que tu dois t’épuiser. Viens t’asseoir.

Son ton n’admettait aucune réplique ; aussi, levant les mains en guise de reddition, Tekris abandonna sa quête en cours, dissimulant un vacillement en faisant mine de sautiller pour arriver plus vite.

Un tendre sourire fleurit sur les lèvres de l’adolescente. Qu’il était adorable, avec sa maladresse !

Ôtant les épais gants, presque trop petits, protégeant ses mains, le colosse s’agenouilla près de Zair, jetant les accessoires au loin sans daigner regarder où ils atterrissaient, sa gambade presque enfantine rapidement remplacée par une expression pensive, alors qu’il tordait ses doigts les uns après les autres.

Brusquement gênée, Zair se détourna, croisant les jambes. Devina qu’il cherchait comment aborder le sujet de sa promesse. Celle de répondre à toutes ses questions. Exactement ce qu’elle redoutait.

Refusant de prolonger davantage le malaise s’installant insidieusement entre les deux adolescents, elle se reprit tout aussi promptement, se forçant à planter ses iris pâles dans ceux, invisibles, du colosse. Mieux valait prendre les devants, crever l’abcès une bonne fois pour toutes, et se construire en fonction de ce qu’il se passerait. Ne lui restait plus qu’à savoir quand elle tiendrait le pacte passé avec elle-même. Avouer ses sentiments véritables à l’égard de son coéquipier. Juste après avoir répondu à ses questions, peut-être…

– Ne tourne pas autour du pot, Tekris. Dis-moi ce que tu veux savoir, je t’ai promis de ne dire que la vérité.

Alors qu’il semblait impatient de pouvoir libérer ses interrogations et trouver des réponses, le colosse hésita.

– Je ne sais pas par quoi commencer, avoua-t-il, passant la main dans ses cheveux.

– Peut-être que le début serait un bon point de départ ? proposa-t-elle, l’encourageant d’un sourire.

– Pourquoi Adriel, Teos et Saïn semblent-ils partager leurs attaques ? Non, trop loin. Qu’est-ce que c’est que le Dôme ? D’où viennent les… pouvoirs (il s’accompagna d’un large geste) que tu as utilisés ?

– Trois débuts ? Pourquoi pas. Tu soulèves beaucoup de points importants. Auxquels je ne peux pas répondre en deux phrases, souffla Zair, serrant les poings pour les empêcher de trembler.

Voilà, elle ne pouvait plus reculer à présent. Le passé, repoussé depuis tant d’années, masqué par le voile des non-dits et des sous-entendus qu’elle ne partageait plus qu’avec Zane glissa des doigts immatériels de sa volonté, longuement dissimulé pour frapper son existence avec plus de force encore. Son frère et elle avaient eu tort de croire qu’ils parviendraient à garder la raison même de leur existence secrète, évoluant au sein de l’art du kaïru en ignorant imparfaitement les capacités cachées en chacun d’eux. Car en niant leur ancienne vie, ils ne s’étaient pas préparés au moment fatidiques où la réalité les rappelleraient à l’ordre.

Inspirant profondément, elle se lança, se forçant à adopter un ton calme et assuré, comme si elle racontait simplement une histoire sans importance. Un peu quand, enfant, Zane venait lui raconter l’histoire du Dôme qu’il venait tout juste d’apprendre, sur l’insistance de sa belle-mère. Alors que la mère du garçon exhortait son fils à considérer la fille de sa rivale comme un obstacle à écraser le plus vite possible, celle de Zair usait d’une toute autre tactique, poussant son enfant à passer le maximum de temps avec son frère pour créer un lien entre les eux enfants, s’assurant ainsi un parachute doré si jamais Zane se trouvait élevé au rang de Seigneur Héritier de leur père à sa place. Une tactique qui aurait sûrement fonctionné, bien qu’au final personne ne pouvait deviner les réelles intentions de sa mère… pas même sa fille.

– Tous les peuples de l’Univers, que ce soit les gigantesques artriens, ou les insupportables greuvit en passant par les terriens, évidemment, sont reliés entre eux par l’énergie kaïru, à l’origine de toute vie sur Terre. Si les êtres en contiennent tous un fragment nécessaire à leur existence, rares sont ceux capables de posséder l’étincelle leur permettant de la manier sous sa forme pure, présente en lui-même, ou à l’aide d’X-Drives d’attaques et de monstres. Ne m’interromps pas, Tekris, je m’efforce de relier tes commencements à un seul qui répondra à leurs interrogations.

Refermant les lèvres, qu’il avait ouvertes afin de remarquer que cela ne différait en rien des leçons dispensées par les Maîtres kaïru dès que leurs élèves devenaient novices du kaïru, le colosse se cala plus confortablement, glissant sur le côté, une main maintenant sa nuque tandis que son visage restait levé vers sa compagne. Captivé, il se laissa bientôt guider par sa voix posée, elle le vit à la lueur intéressée brillant derrière les verres cachant des yeux qu’elle savait d’un bleu pâle. Qu’elle n’avait aperçu qu’une ou deux fois.

– Les plus doués d’entre eux, les Maîtres, prirent sous leur égides les potentiels manipulateurs de kaïru qu’ils repérèrent, afin d’en faire des combattants dédiés à leur service, afin de récolter l’énergie disséminée dans l’Univers sous forme de reliques. Mais au cours d’une période bien nébuleuse, même pour les archives du Redakaï selon Zane, presque tout le kaïru sous cette forme finit par se trouver entre les mains de tel ou tel Maître, rendant plus rares les missions.

– C’est pour ça que Lokar a réussi à voler tout le kaïru de l’Univers, durant le Grand Cataclysme ?

– Je vais vraiment te laisser raconter l’histoire à ma place, soupira l’adolescente, oscillant entre l’agacement, et l’amusement de voir le colosse tenter de comprendre de lui-même. (laissant filer quelques secondes par précaution, elle reprit) Aussi, les Maîtres se réunirent, formant le Conseil du Redakaï, dirigé par le Grand Maître, Baoddaï aujourd’hui. Continuant à former leurs élèves et à les envoyer dès que possible, ils créèrent une structure de rassemblement pour tous les combattants de l’Univers, ancrée au sein de la Galaxie et accessible par le biais de vaisseaux ou de portails, pour les plus puissants. Pendant des siècles, l’entente régnant entre ces éminences du kaïru fut cordiale, et si certaines tensions existaient entre les Maîtres au sujet de sujets spécifiques, aucun n’aurait eu seulement l’idée de trahir le Code d’Honneur, risquant de tout perdre. Oh, sûrement existe-t-il quelques âmes charitables qui n’œuvraient que pour l’équilibre du kaïru. C’est d’ailleurs ainsi que les Maîtres se doivent de penser. Mais j’ai toujours eu quelques doutes sur l’altruisme.

Le kaïru est positif, bénéfique, alors les Maîtres n’avaient nul besoin de se ranger de quelconque côté, puisque tout le monde partageait la même opinion. L’Histoire enseigne que Lokar fut le premier à se détourner des enseignements prodigués depuis des temps immémoriaux, assoiffé de pouvoir et de désir de conquête. Pratiquant de multiples expériences sur le kaïru, il s’attira les foudres du Redakaï dès qu’il comprit le but de ses agissements, banni il y a de cela une dizaine d’années environ, n’étant stoppé que depuis cinq années. Tu connais les évènements du Grand Cataclysme : volant tout le kaïru de l’Univers et l’embarquant à bord de son vaisseau, Lokar s’est servi de la formidable énergie pour tout dévaster sur son passage, détruisant Nervod dans sa rage de conquête, amenant à la destruction du vaisseau kaïru et à sa dissémination sur Terre, où il s’est écrasé. Lokar créant son propre camp, s’arrogeant Maître du Mal, à la tête des E-Teens.

Nous, soi-dit en passant, jusqu’à ce que Zane récupère l’X-Reader de Lokar, ajouta-t-elle mentalement.

– Mais ce sont les gagnants qui écrivent l’histoire, n’est-ce pas ? Et ce que les gagnants veulent absolument cacher, c’est que Lokar a eu un prédécesseur en matière de corruption kaïru, trois cent ans auparavant. Emmett Thiers, le véritable premier Maître Renégat à avoir été banni par-delà les confins de l’Univers. Alors que Lokar isola bon et mauvais kaïru, développant ses créations les plus marquantes, en particulier le kaïru obscur, à partir de ce dernier, Thiers s’est concentré sur les X-Drives en eux-mêmes. Nul ne sait exactement comment il parvint à cet « exploit », mais il réussit à s’en prendre à la structure propre des monstres kaïru d’abord, fabriquant une nouvelle génération de créatures, vouées à la domination au point que peu de ses élèves-cobayes purent résister à leur influence, ceux ne perdant pas la vie sur le coup périssant après des heures de délire, dans lesquelles ils hurlaient sans cesse que la Source les absorbaient, dévorant leur âme vivants. Cela resta longtemps caché, et cela aurait pu le rester, si Thiers, sentant qu’il venait de découvrir un tout autre aspect du kaïru, ne décida de poursuivre plus loin encore ses expériences.

Ses monstres appartenant visiblement désormais à un autre plan de l’énergie, il travailla jusqu’à ce qu’il puisse les convertir en une autre énergie, du kaïru, mais possédant des propriétés inédites. Modifiant des milliers de X-Drives, il accumula une quantité impressionnante de ce qu’il renomma le kaïru de Thiers, peinant à la contenir tant elle se mouvait en cherchant à s’approprier l’espace. Le Redakaï commençant à ressentir la présence de cette nouvelle chose qu’ils devinaient intimement mauvaise, ou du moins contrefaite tant elle était artificielle, Thiers accéléra ses recherches, usant de son pouvoir pour ouvrir une, comment dire ? Disons une « porte » sur ce plan de l’énergie, dans laquelle il stockait tout le kaïru créé qu’il parvenait à obtenir. Mais bientôt – enfin, c’est relatif, plus de dix années s’écoulèrent en réalité –, il se heurta à un problème : les X-Drives qu’il tentait, au bout d’un moment, de créer, se révélaient trop instables pour former de véritables attaques, quand ils ne s’effondraient pas sur eux-mêmes. Alors, il utilisa la méditation, l’exploration astrale, toutes les techniques kaïru possibles et imaginables, pour explorer en personne ce plan de kaïru si insolite. Plus le temps passait, plus il s’enfonçait profondément, laissant sa femme et sa fille se charger de l’entraînement des combattants.

Et un beau jour, il la trouva. La Source hantant ses jours et ses nuits depuis la folie de ses premiers cobayes. Nul ne sait ce qu’il vit exactement, mais il est dit qu’il resta plus d’une semaine hors de son corps, sans paraître souffrir de faim et de déshydratation. Quand il revint à lui, le Maître passa trois jours entiers à dormir, puis se nourrit avec appétit. Puis, il réorganisa entièrement le plan de kaïru, qu’il renomma les Chemins Temporels, autour de sa si obsédante Source, qu’il avait, au final, créée de ses propres mains. Un plan dont il tenta d’enseigner l’accès à sa fille, prometteuse combattante. En vain, hélas pour lui. Lui, inventeur du kaïru de Thiers, avait développé une conscience accrue de son environnement, aussi à l’aise dans un plan d’existence que dans l’autre. Mais les autres combattants ne possédaient pas un lien aussi fort avec son énergie que lui. Comment pouvait-il donc permettre à ses fidèles, capables de résister à l’influence du kaïru de Thiers sans périr, d’augmenter encore leurs capacités ?

Encore une fois, nul ne connaît les secrets de fabrication qu’il employa. Mais il parvint à concentrer son kaïru de Thiers, lui faisant prendre la forme de cristaux inspirés des reliques kaïru, dans le sens où ils emmagasinaient l’énergie. Le jäadi. Une fois insérés sous la peau de ses fidèles manipulateur de kaïru de Thiers, il leur noircissait la peau au fil des années, laissant entrer le kaïru plus profondément en eux et leur permettant enfin d’utiliser les X-Drives conçus par leur Maître. Mais en plus de cela, Thiers découvrit que cette nouvelle maîtrise tendait à se transmettre aux descendants, et les plus puissants de ces derniers parvenaient parfois à débloquer un don particulier, particulier au kaïru de Thiers. Une Compétence.

– Même moi, souffla Tekris, captivé, je sens la majuscule que tu donnes à ce mot.

– Et pour cause. Les Compétences se divisent en quatre catégories : celles en rapport avec les dimensions, par exemple Teos qui peut se téléporter n’importe où, peu importe les conditions. Celles concernant la matière, comme Adriel capables d’user de brume et d’en user à sa guise – à ce propos, je dois avouer que personne, jusqu’à présent, ne m’avait paru aussi puissante dans sa Compétence. Puis viennent celles propres au kaïru en tant qu’énergie, bien que ce terme soit parfois débattu car trop imprécis. Et enfin, les plus rares, les… Compétences temporelles, capables d’arpenter les Chemins Temporels et les espace-temps. Encore une autre notion que je t’expliquerai plus tard, tu veux bien ? Revenons à notre début, maintenant.

Ainsi, en plus de parvenir à créer de toutes pièces une énergie proche et si différente du kaïru, Thiers développait son propre système d’entraînement et de hiérarchie au sein des murs de son monastère. Fier de ses découvertes, et avide de convertir chacun à sa culture, il compulsa l’ensemble de ses travaux dans un livre, le publiant dans la foulée. L’ouvrage eut l’effet d’une bombe. Le Redakaï entier fut choqué de ses révélations, le considérant comme une abomination intolérable, rapidement banni, les tirages arrêtés et brûlés. Puis, le Conseil au grand complet se rendit à la rencontre de Thiers afin de le livrer à la justice.

Mais Thiers ne comptait certainement pas se laisser faire. Le Redakaï se heurta à une véritable petite armée réunie autour de son Maître, frappant avec toute la puissance de leur nouveau pouvoir. Si le reste des combattants, déroutés par cette utilisation peu orthodoxe de l’énergie, garda la vie sauve en ce funeste jour, ce fut uniquement parce que la Source, en tant qu’entité artificielle, n’est pas inépuisables, et qu’elle dispense les mêmes attaques générales, utilisables par tous les combattants de Thiers en ayant la puissance.

– Je comprends. C’est pour ça qu’Adriel peut utiliser la « collision démente » censée être détenue par Teos ? Au lieu que quelques X-Drives seulement soient en double, ce sont les mêmes qui reviennent au fur et à mesure, limitant les attaques et les monstres disponibles. Les Compétences étant, en réalité, les composantes spécifiques à chaque combattant.

– C’est exactement ça. Mais il en existe bien assez pour nous faire souffrir, et tous les combattants de Thiers ne peuvent utiliser tous les X-Drives. Des affinités existent. Bref, après avoir repoussé une première fois le Redakaï, Thiers passa à l’offensive, s’en prenant aux fiefs des Maîtres laissés sans défense. Beaucoup de personnes ont soufferts durant ces quelques jours. Et Thiers ne s’arrêta pas là, dévastant planète après planète en se proclamant souverain de l’Univers. Il faillit parvenir à ses fins, rasant d’un revers de main ses adversaires à l’aide de la Source. Seulement, et pour l’unique fois de l’ensemble de l’Histoire du kaïru, les Maîtres, devant le désastre, décidèrent de suspendre l’une des règles fondamentales du Code d’Honneur : l’interdiction d’employer des armes. Puisant dans leurs fonds, ils engagèrent au travers de toute la Galaxie des mercenaires, des combattants, réunirent tous ceux capables de manipuler même imparfaitement le kaïru, se plaçant à la tête d’une véritable armée. Enfin, comprenant qu’ils n’avaient qu’une seule chance, ils attendirent Thiers et ses forces sur Maredo, qui fut par la suite dénommé le coin le plus sombre de l’Univers.

Les combattants du bien possédaient une très légère supériorité numérique. Apprenant de leurs erreurs, ils s’étaient préparés en conséquence, prêts à en découdre jusqu’à la fin. Ce que je vais te raconter ensuite, c’est ce que Zane en personne m’a conté, alors qu’en tant qu’élève de Baoddaï il avait fouillé dans ses affaires, découvrant une cachette de son ancien Maître.

L’affrontement s’engagea, accompagné d’une violence jusque là totalement inconnue dans le monde du kaïru. Il est dit que ce jour-là, les si impassibles Maîtres du Conseil pleurèrent à chaudes larmes. L’issue restait incertaine, Thiers et ses forces avides de pouvoir et guidés par l’ivresse des victoires précédentes. Mais les peuples qu’ils affrontaient usaient de l’énergie du désespoir quand ils ne pouvaient manipuler le kaïru, novices luttant aux côtés de combattants confirmés, Maîtres protégeant les arrières de simples mercenaires. Une lueur d’espoir jaillit dans les cœurs des combattants du bien : chargeant de toute leur énergie, les mercenaires parvinrent à ouvrir une brèche, protégeant les trop rares combattants kaïru de leurs boucliers, les conduisant au sein même des troupes de Thiers où ils commencèrent à user de la formidable énergie. Un instant, le cours de la bataille parut s’inverser. Un trop cours instant.

Les Maîtres se joignirent à la trouée, finirent par ouvrir un passage à la force de leur bras… pour dévoiler la silhouette puissante d’une créature encore inconnue, sur laquelle se jugeait la femme de Thiers, Lynia. Monstrueuse, tout en force malgré sa tête démesurée. Un arsank. Deux Maîtres perdirent la vie en une fraction de seconde, broyés par les mâchoires de l’animal guidé par les cris furieux de sa maîtresse. Il est dit que les femmes sont les meilleures dresseuses d’arsank, grâce à la confiance que leur accorda le tout premier des leurs. Sur un signal, Thiers, jusque là hors de vue, et sa fille Déridya, jaillirent d’une montagne avoisinante, rasant le sol de leurs fantastiques créatures, semant débâcles et morts dans les rangs ennemis.

La première journée se solda par une débandade affreuse des combattants du bien. L’horreur du carnage et la révélation des arsank manqua anéantir plus efficacement que le reste les combattants. Il est dit qu’un seul Maître gardait encore la foi, seul à refuser de se rendre. Au lever du soleil, alors que chacun refusait de le voir hisser sa couche lumineuse dans le ciel rougeoyant, ce Maître, une femme du nom de Urini – et oui, Tekris, les Maîtres féminins existent, bien qu’ils soient rares –, traînant sa jambe blessée la veille, se dressa seule face aux envahisseurs, munie de son seul X-Reader. Alors que Thiers ordonnait la charge, une phalange de mercenaires karanien se plaça à ses côtés, inclinant leurs armes en la protégeant d’un cercle serré. Lentement, et bien que je doute d’une telle noblesse de la part d’êtres vivants, alors que les ennemis ne se trouvaient plus qu’à quelques centaines de mètres, les rangs se reformèrent en hâte. Ils ne pouvaient plus perdre ; je te l’ai dit, incapables d’accepter de continuer le combat, personne ne s’était avancé, aussi les combattants du bien durent-ils lutter sur les reliefs mêmes de leur campement. Juste devant la frontière menant à l’ensemble de l’Univers. C’était leur dernière chance.

Nul ne sut exactement quel miracle les sauva. D’abord, Urini ramena le vent en leur faveur, abattant d’une « explosion magmatique » l’arsank de Lynia, le plus véloce des trois. Puis, un novice du nom de Haelguen, dans un sursaut de courage, s’aida d’un promontoire pour se jeter sur Déridya, la faisant tomber au sol. L’important est que, contrairement aux pronostics, l’armée du Redakaï remporta la bataille, forçant Thiers à fuir avec ses fidèles restants et son épouse, ne pouvant récupérer sa fille. Là, les archives diffèrent drastiquement. (s’accordant une pause, Zair se passa une main sur le front, un rictus féroce écartant ses lèvres. Découvrir la vérité avait été un tel choc pour elle… ). Le Redakaï choisit d’effacer cet évènement, à la fois témoin de l’enfreint d’une règle élémentaire du Code et montrant honteusement les dérives d’un membre du Conseil agissant impunément sous leur nez. Aussi tu ne trouveras aucune référence à cette bataille. Les survivants de Thiers propagèrent une histoire de terres injustement volées, et de reconnaissance refusée, attisant la colère des manipulateurs du kaïru de Thiers.

La vérité est que Thiers retourna dans son monastère, transformé au fil de la création de sa propre société en ville de taille importante. Certain que le Redakaï ne tarderait pas à raser les dernières traces de son chef-d’œuvre, il plongea dans la Source même, englobant l’entièreté de son domaine sous un Dôme de kaïru de Thiers, impossible à briser, immortel, permettant la vie, la propagation de ses travaux. Puis, avec tous ses combattants, il détacha l’immense plateforme sur laquelle il vivait, usant de ses dernières forces et des combattants héritant d’une Compétence dimensionnelle pour fuir dans l’espace. Avant de disparaître, vaincu par la quantité d’énergie mobilisée, il posa les bases de son monde, se basant en partie sur l’organisation du Redakaï. Dérivant inlassablement dans l’immensité des planètes, ce Dôme existe toujours, Tekris.

– J’ai une question, l’interrompit-il, le plus doucement possible. Tu as dit que Thiers a « disparu » ? Il n’est pas mort ?

– Personne n’en est certain en réalité. Mais tu as raison, il a disparu, tout simplement. D’après Lynia, il est retournée à la Pérennité de la Source, adoptant ensuite cette formule pour désigner la mort en générale des combattants de Thiers. Le Dôme se trouva dirigé par les Maîtres du Dôme, toujours au nombre de Six, nommés également les Seigneurs Régents. Ceux prenant leur succession, obligatoirement issus de leur descendance, étant appelés Seigneurs Héritiers jusqu’à leur nomination. La polygamie étant autorisée, les querelles fratricides peuvent se révéler violentes.

À cette évocation, Tekris grimaça, se frottant pensivement le menton.

– Pour s’assurer le respect absolu des régents, Lynia mit en place le système des Trois Tabous, à ne jamais enfreindre : les Trônes, à savoir que personne ne se trouve au-dessus des Maîtres du Dôme et ne doit se mêler de leurs affaires. Le Pouvoir ensuite, stipulant que les personnes inférieures hiérarchiquement doivent obéissance absolue à leurs supérieurs et ne doit interférer dans leurs affaires d’aucune façon. Autant te dire qu’il n’est pas bon d’être esclave ou domestiques, bien que la différence n’existe presque pas. Enfin, la Mort, une valeur chère à Thiers. Tout le monde doit respecter le Séjour à la Pérennité de la Source, de quelque manière que ce soit, et ne jamais s’élever contre celui-ci. Une question d’honneur, soi-disant, siffla-t-elle, serrant ses poings contre ses cuisses, tout juste bonne à dissimuler l’horreur de leurs actions !

Voyant le visage de son ami se décomposer, Zair comprit qu’il commençait à pleinement réaliser le miasme putride dans lequel son geste désespéré, devant son frère étendu sans vie, venait de les plonger.

– La tâche de repérer de possibles futurs combattants fut confiée aux Recruteurs, qui peuvent également être des Maîtres, reprit-elle rapidement, inquiète d’être interrompue de nouveau, définitivement. Leurs cibles, une fois repérées et obligatoirement entraînées selon la Loi, prennent le rang de Potentiels, les novices kaïru du Redakaï. À sept ans, les enfants subissent la Délivrance, une cérémonie dans laquelle un morceau de jäadi est inséré sous leur peau pour augmenter leur connexion à la Source, au lieu de seulement utiliser des X-Drives, afin de leur octroyer la possibilité d’obtenir une Compétence. De là, s’ils le supportent, ils peuvent continuer leur formation et accéder au grade d’Élitiste, les combattants du Dôme. Plus rares encore sont ceux capables de contrôler les arsanks, majoritairement des femmes d’ailleurs. Néanmoins, le Dôme n’a pas oublié le Redakaï, ni son désir de contrôler les Renégats. Pour les premiers, les Yeux sont des espions disséminés un peu partout, souvent ignorants de leur véritable nature avant leur réveil programmé. Pour les seconds, les Oreilles se tiennent à l’écoute de la Source, sentant immédiatement ses utilisateurs à partir d’une certaine quantité utilisée, les localisant ainsi grâce au don leur étant propre.

Jusqu’à aujourd’hui, l’isolement de la Source dans les Chemins Temporels, séparés distinctement du plan de l’existence, et la dérive nécessaire du Dôme à travers l’espace, jamais au même endroit longtemps afin de ne pas se faire rattraper par le Redakaï, empêchent les Daminiens, habitants du Dôme si tu te demandes, de mettre leurs projets de vengeance à exécution. Mais si jamais les Chemins se trouvaient ouverts, d’une manière réellement physique, rien ou presque ne pourra empêcher les Daminiens de reprendre possession du monde du kaïru. Et il existe un risque pour que Lokar soit passionné par cette sombre histoire ; Zane n’appréciera pas, mais au point où nous en sommes, tu dois savoir que notre ancien Maître possédait un exemplaire du livre de Thiers.

Tekris frissonna, laissant retomber sa main sur le sol. Visiblement ébranlé par cette longue leçon d’histoire, si différente des leçons dispensées par Lokar, il parut également blessé de comprendre être le seul à ignorer tant de choses sur Thiers et son kaïru. Zair ne pouvait pas lui en vouloir, devinant qu’il se sentait exclu du duo qu’elle formait depuis si longtemps avec Zane. Mais lui révéler tout ceci plus tôt n’aurait pu lui apporter que des ennuis, peut-être pires encore que ceux qu’ils enduraient ces derniers mois.

– Très bien, tu as répondu à deux de mes débuts ? Je sais pourquoi Teos, Saïn et cette putain d’Adriel – désolé pour l’injure – partagent certains de leurs pouvoirs, et je comprends le don incroyable de la fichue brunette pour retourner le cerveau. Je sais également ce qu’est le Dôme, et j’apprécie, vraiment, de saisir un peu mieux les tenants et aboutissants de cette pénible situation. Mais il reste un début.

Évidemment qu’il n’avait pas oublié, songea piteusement l’adolescente, adoptant une expression neutre.

– Je vais sûrement le regretter, mais d’où viennent les pouvoirs que tu as utilisés, maintenant ?

– Parce que je suis la fille de l’ancien Maître du Dôme le Seigneur Régent Entryon Arstin. Ce que tu as vu est ma Compétence, la capacité de voir les espace-temps et de les manipuler, dans la limite de mes capacités. Et avant que tu ne demande, je suis également capable de me diriger parmi les Chemins Temporels. Seulement c’est quelque chose de très dangereux, plus encore si l’on cherche à échapper au Dôme.

– Wow, wow, wow ?! Attends, tu es la fille d’un des dirigeants du Dôme.

– J’étais. Le Seigneur Régent Arstin est mort, voilà déjà huit ans. Non, neuf, je crois. Dans ces eaux-là.

– Là, ma vieille, je suis désolé mais il va falloir m’en dire un peu plus.

– Et par quoi veux-tu poursuivre ? Les évènements m’ayant conduits, moi et Zane, sur Terre ?

Les quelques secondes que prit Tekris afin de réfléchir posément à sa proposition parurent durer une éternité. Allons, il n’était pas parti en claquant la porte en apprenant sa filiation, c’était peut-être bon signe !

– Dis-moi plutôt qui tu étais, déclara finalement le colosse. Parce que je sais quelle superbe jeune femme se tient devant moi aujourd’hui, mais j’ignore, au final, tout d’elle.

Superbe jeune femme ?!

– Hum, si tu insistes, fit Zair, se passant la main sur le visage pour vérifier que ses joues ne prenaient pas feu tant elles la chauffaient. Avant tout, sache que les guerres intestines de pouvoir et d’ascension sont légions, chacun cherchant au sein du Dôme à gravir les échelons du Pouvoir pour gagner en autorité. Tu comprendras par la suite. Je suis née dans le Dôme d’Honneur, une structure au centre du premier réservée aux nobles, deuxième fille d’un homme ayant prit deux femmes pour amantes, oscillant sans cesse entre l’une et l’autre sans jamais assurer qu’il en prendrait une seule pour épouse. Ma mère se trouvait donc sans cesse en compétition avec celle de Zane, Averitia, une femme plus ambitieuse que Thiers en personne, et d’une beauté gâchée seulement par son expression sans cesse orageuse. Dès l’enfance, elle nous exhorta à nous combattre, tandis que maman s’arrangeait toujours pour que Zane vienne passer quelques heures par jour avec moi. Au début, je croyais qu’elle aimait mon frère autant que moi, et autant que lui m’aimait, aujourd’hui je comprends que ce n’était qu’une manière de s’assurer une voie vers le Pouvoir et le Trône, peu importe comment tournerait le vent. Mais je n’ai pas à me plaindre, elle m’a, durant les quelques années passées avec moi, traitée avec douceur, et je n’ai pas été malheureuse.

Bien sûr, Zane rêvait déjà de devenir le plus fort, mais ce n’était encore que des taquineries entre nous. Prometteurs, sûrement les plus doués enfants du Dôme depuis des décennies, nous avons rapidement développés des dons propres à notre duo, alors que nous suivions en parallèle l’entraînement spécifique à notre peuple. La télépathie par exemple, et la mise en commun de nos esprits au point que l’un se trouvait tout le temps avec l’autre, dans un coin de nos têtes. Mais un jour, Zane… il y a eu un accident lors de sa Délivrance, et a commencé à perdre du crédit aux yeux de notre Père, s’attirant les foudres d’Averitia. Il ne parle jamais de cette période, mais parfois il sortait le matin avec une mèche de cheveux couvrant entièrement un côté de son visage, au lieu de se les laisser libres comme d’habitude. Il a gardé cela encore aujourd’hui. Et un jour, en croyant redorer son blason, il… s’en est prit à un membre du Pouvoir plus élevé dans la Hiérarchie que lui. Il s’est retrouvé banni, relégué à un rang qu’il a toujours refusé d’accepter, ce qui lui a causé beaucoup d’ennuis, alors que sa mère fuyait pour ne jamais revenir.

J’ai continué ma formation, découvert et commencé à maîtriser ma Compétence. Et puis, un soir, une rébellion éclata. Sans certitude, je suis persuadée qu’il s’agit d’un des nombreux enfants de Maîtres qui n’accéderait jamais au titre de Seigneur Héritier. Sinon, comment l’entièreté du Dôme d’Honneur aurait-il pu se soulever en l’espace de quelques heures ? En tant que Seigneurie Héritière, j’ignorais tout de ce qui se tramait. Jusqu’à ce que, en pleine nuit, un soldat censé veiller sur mon sommeil n’entre avec fracas dans ma chambre. Si je n’avais pas été réveillée par les bruits de combat, qui sait ce qui serait arrivé ? Enfin, je l’ai vu pénétrer dans mes quartiers, arme à la main. Pas besoin d’être un génie pour comprendre ce qu’il se passait ; j’ai sauté de mon lit alors que son pistolet crachait une salve de balles. L’homme fut rapidement rejoint par trois de ses congénères. Je me croyais perdue. Mais, alors que toute l’attention se concentrait sur moi, l’un des types s’effondra, tout de suite suivi par sa compagne. Tout était confus, mais j’ai pu distinguer une silhouette heurter de plein fouet le troisième, réduisant au silence le dernier soldat à l’aide d’une lame, qui disparut dans la seconde.

Tu l’as deviné. Zane se tenait devant moi, vêtu de guenilles, mais bien vivant. N’étant plus qu’un garçon de rang inférieur, doué pour se fondre dans les ombres, il avait capté des murmures prédisant l’attaque en cours, courant dans ma chambre pour me protéger. Il a risqué sa vie pour me protéger, Tekris, tu comprends ça ?!

Il m’a chargé dans ses bras, bondissant dans le couloir en m’ordonnant de me boucher les oreilles et de fermer les yeux. J’aurais souhaité que j’obéisse sur-le-champ. Mais poussée par l’inquiétude, j’ai observé les environs alors qu’il s’engouffrait dans le couloir. Pour voir les appartements des Maîtres du Dôme saccagés, mis à bas, chaque Seigneur Héritier impitoyablement renvoyé à la Source. J’ai immédiatement fermé mes paupières, mais le message était clair. Je ne sais pas quels autres Maîtres ont été nommés à la place, ni si ma mère a beaucoup souffert avant de mourir, et je ne veux pas le savoir. Le chemin pour nous enfuir est déjà suffisamment une horreur sans nom que je veux à tout prix oublier.

Zane a probablement emprunté un des passages secrets du Dôme, ou utilisé sa capacité à créer des portails, bien que ça m’étonnerait qu’il ait eu la force de traverser l’Univers. Peu importe, au fond. Quand je me suis décidée à quitter ma cécité, interloquée par le soudain silence régnant. Nous étions dans un monastère, sûrement d’un Redakaï dévoué au Dôme, qu’en sais-je ? Marchant des jours entiers pour mettre le plus de distance possible entre nous et notre ancienne patrie, nous avons fini par accéder à un petit village niché au creux des montagnes, où nous t’avons rencontré. La suite, tu la connais puisque nous l’avons vécu ensemble.

À la grande surprise de Zair, le colosse éclata de rire, se laissa glisser sur le dos tandis qu’il réprimait difficilement ses ricanements. Elle s’attendait à beaucoup de réactions, mais certainement pas celle-ci !

– Tu n’es vraiment pas comme les autres, finit-il enfin par réussir à articuler entre deux rires. Alors que n’importe qui se serait contenté de répondre à des questions, toi tu me sors un cours d’histoire qui balaye la presque totalité de mes interrogations.

Il retrouva soudainement son sérieux, Zair regrettant immédiatement son hilarité finalement bienvenue. Décidait-il petit à petit de rompre tout lien avec le kaïru de Thiers, et avec ses deux coéquipiers si enlisés ?!

– Donc, Zane et toi êtes des manipulateurs du Dôme, d’où les pouvoirs bizarres qu’il a employé pour botter les fesses d’Adriel ? Et c’est à cause de… ce que tu as fait dans la forêt que Teos nous poursuit ?

– Décidément, tu es bien incapable de ne demander qu’une chose à la fois, sourit affectueusement Zair. Non, je suis la seule à posséder le kaïru de Thiers, mon frère n’a pas supporté la Délivrance, sans en mourir cependant, un cas sans précédent au Dôme. Zane a hérité ses propres pouvoirs de sa lignée. C’est une histoire compliquée, qu’il n’aimerait pas que je te raconte. Néanmoins, je n’ai pas pu prendre de X-Reader avant ma fuite, et je ne dispose d’aucune attaque de Thiers. Ensuite, je pense que tu as raison. Nous nous sommes cachés des années durant en prenant garde à ne jamais employer de techniques repérables par les Oreilles, et voilà que je réduit tous nos efforts à néant en quelques secondes. C’est bien pathétique…

Claquant de la langue, sourcils froncés, Tekris se redressa, couvrant les fines mains de sa compagne de ses grandes pognes, les enveloppant entièrement, serrant légèrement en prenant garde à ne pas lui faire mal.

– Ne dis pas ça, tu as accompli un miracle, et même si ça nous attire un peu d’ennuis, tu as prouvé que tu étais plus forte que ne le croyait Lokar en personne. Enfin, je ne sais plus trop quoi penser entre Zane et toi, mais disons que c’est un résumé qui conviendra pour l’instant. La question, c’est est-ce que tu regrettes ?

Est-ce qu’elle regrettait ? La bienséance voudrait que Zair hésite, prenne le temps de la réflexion, pèse le pour et le contre. Au final, elle n’avait agi que par pur égoïsme, refusant de voir son grand frère disparaître définitivement, la laissant seule sur une Terre qu’elle n’appréciait que très moyennement. Parce qu’elle se savait incapable de gérer la douleur foudroyant son être alors qu’elle répétait une inlassable litanie au fond de son crâne : Zane était mort. Son action allait à l’encontre même de la nature et de l’ordre immuable des choses, brisant le plus important des Tabou tout en attirant la douleur sur son équipe.

Cependant, aucun doute ne vint assombrir son jugement, la réponse jaillissant d’elle-même.

– Absolument pas. Si je devais le refaire, je serais plus prudente, mais j’essayerais encore et encore.

Le colosse sourit à pleines dents, satisfait par sa réponse, se grattant nerveusement la tempe alors qu’il tentait désespérément de sélectionner la réaction la plus appropriée. Quoi que cela veuille dire, l’adolescente ne saisit pas très bien ses intentions. Mais ce n’était pas le moment de s’interroger inutilement.

Il lui restait une dernière étape, un dernier pas afin d’honorer l’engagement prit avec sa personne.

Humectant ses lèvres soudainement asséchées, elle dériva un instant le regard sur la vitre démesurée derrière le colosse, son verre brisé laissant entrer le souffle furieux des bises véloces frappant sans discontinuer les steppes glacées. Une fine pellicule de neige recouvrait déjà le sol aux endroits les plus proches, et le froid…

Allons, voilà qu’elle inventait des prétextes pour retarder le moment fatidique. Ridicule pour une combattante kaïru, et plus encore pour une Radikors à la langue bien pendue !

– Avant que tu ne décides quoi faire avec toutes ces découvertes, il faut que tu saches, j’ai encore une dernière chose à te dire. C’est… enfin, c’est compliqué, parce que tu dois garder à l’esprit que même si je suis une adolescente différente de l’enfant que j’étais, sur de nombreux aspects, mon passé ne disparaîtra pas en un claquement de doigts. J’ai essayé de le tenir à l’écart toutes ces années, pour en arriver à cette situation. Alors il me poursuivra toujours, quoi qu’il arrive. Tu dois absolument t’en souvenir !

– Décidément, tu es incapable de me parler sans me donner d’ordre, déclara ironiquement Tekris, reprenant ses propres mots un peu plus tôt. Je crois le savoir déjà, de manière plutôt évidente ! Je m’en fiche, tu peux me dire que tu veux que je m’en aille, me forcer à faire mes valises, je ne partirais jamais, compris ? Tu n’as pas le droit de me demander de m’en aller, alors que j’ai promis de rester à tes côtés !

Interdite, Zair se figea, sa gorge refusant d’articuler davantage que des onomatopées. Brutalement crispé à s’en faire mal, Tekris resserra son emprise sur ses doigts, fixant tout sauf son amie.

Franchement, il croyait qu’elle allait le chasser comme un malpropre, après lui avoir tout déballé ?!

– Oh, Tekris, sourit-elle en lui tapotant le bout du nez, dégageant l’une de ses mains. Bien sûr que non, ce n’est absolument pas ce que je veux dire ! En fait, je… Depuis quelques temps, toi et moi… Bon sang, regarde-moi bafouiller comme une adolescente juvénile renfermée ! En fait… Par le Ciel, je vais y arriver !

Avec une tendresse infinie, un doigt épais se posa sur ses lèvres si fines. Clignant stupidement des paupières, Zair fronça des sourcils, fixant son coéquipier sans comprendre. Qu’il ne s’avise pas de repousser sa déclaration ! Réunir assez de courage pour ne pas changer de sujet avait déjà été assez compliqué comme ça ! Alors si en plus il avait le culot de l’interrompre pour lui intimer de se reposer, ou autre bêtise…

– Si tu… Si tu as du mal à le dire, je peux peut-être tenter de le faire pour toi ? proposa le colosse, déglutissant péniblement.

Une petite minute… quoi ?!

– Tekris… Je ne sais pas ce que tu veux dire, mais…

Elle se tut, ne sachant pas même ce qu’elle voulait dire exactement. Aussi hocha-t-elle la tête.

– Si on m’avait dit que je tiendrais ce rôle, plaisanta à moitié son vis-à-vis, son rire forcé s’étranglant dans sa gorge. Enfin, je me lance. Ça fait des années qu’on se connaît toi et moi, des années durant lesquelles on a mangé, ri, souri et surtout combattu ensemble. Même quand Zane est parti pour le monastère de Baoddaï, nous sommes restés tous les deux dans l’orphelinat le temps qu’il s’assure qu’il n’y avait aucun piège. Aussi, on peut dire qu’on se connaît bien, hum, en excluant nos passés respectifs bien sûr. Je croyais que tu étais une bonne amie, la meilleure que je puisse avoir en dépit de nos… différends fréquents.

– Tu veux dire les disputes m’opposant à Zane durant lesquelles tu n’avais pas ton mot à dire ? plaisanta Zair.

– Ouais, c’est un bon résumé, acquiesça le colosse. Donc, je n’ai pas fait attention quand, ces derniers mois, j’ai apprécié ta présence plus que d’habitude. Mieux, je finissais par la rechercher. Petit à petit, je me sentais meilleur avec toi, une personne avec une vraie valeur, j’avais envie de me dépasser, de te plaire toujours plus. De prouver que je pouvais être davantage qu’un bon copain. J’admire la force que tu déploies en toutes circonstances, ta capacité à mettre en arrière-plan tes réflexes pour éviter des conflits inutiles. J’aime observer tes mouvements quand tu t’entraînes, ta rapidité quand les attaques kaïru de nos ennemis ne font que t’effleurer durant nos combats. Et je rêve qu’à la place de cette énergie, ce soient mes doigts qui effleurent ton corps. Vivre à tes côtés est un bonheur sans nom, dormir loin de toi me devient insupportable alors que je me souviens sans cesse des reflets de la lumière dans le flamboiement de tes cheveux, la caresse de ton souffle quand je me tiens près de toi, l’odeur de ta peau, voir tes lèvres s’étirer alors que tu ris à gorge déployée, trop rarement. J’ai tant de choses à te dire, tant de moments restant gravés dans ma mémoire, tant d’autres que je veux vivre avec toi pour remplir encore et encore le tiroir de mes souvenirs…

Profondément ému, Tekris dut s’arrêter un instant pour maîtriser les tremblements de sa voix, embrassant avec une forte tendresse les doigts repliés de son amie.

– Là où j’en viens, c’est que mon cœur est depuis longtemps capturé par la beauté de ton être ton entier, et que quand j’imagine mon avenir sans toi, j’en pleurerais tellement je me sens vide, dénué d’existence. Je suis tombé amoureux de toi, mademoiselle Zair Arstin, je t’aime aussi fort que quelqu’un puisse aimer sans se consumer entièrement dans le brasier des sentiments. Et je me déteste également, parce que si je ne crevais pas de peur à l’idée de savoir que tes préférences sont acquises ailleurs, je n’aurais pas attendu de penser trouver un écho de ton côté pour t’avouer la force de mes sentiments. Oui, je t’aime, tu es la femme de mon cœur, j’en suis certain. Et j’aimerais, si tu es d’accord, construire un avenir avec toi.

Son cerveau refusant obstinément d’analyser correctement les informations lui parvenant, peinant à croire que non seulement la vérité sur ses origines ne semblait pas choquer outre mesure le colosse, mais l’encourageait au contraire à répondre aux sentiments secouant sa propre poitrine.

– Comment peux-tu me faire une déclaration aussi belle, finit-il par s’étonner sincèrement, alors que tu viens d’apprendre que mon peuple n’est qu’une société barbare et meurtrière, à la limite de la dictature, que j’adhérais à ses principes avant la chute de Zane, et que j’étais prête à lutter pour un idéal corrompu ? Ça ne t’interpelle pas un peu, au fond ?

– Zair, ma mère était une putain, accrochée à l’idée de revoir un homme qui l’a lâchement abandonnée. Alors les apparences, je m’en fiche complètement. Je me fie à ce que je sais de la fille que tu es aujourd’hui, et à ce que je ressens. Et tout ce que je peux te dire, c’est que ça me fait tout chaud, là, termina Tekris, prenant la paume de sa compagne, la posant sur sa large poitrine.

Sous les doigts de Zair, l’organe vital du colosse battait à tout rompre, pulsant dans les tempes du jeune homme à un point tel qu’elle s’étonna de ne pas le voir vaciller. Mais le plus étonnant, fut sûrement qu’il ne mentait pas. Une douce chaleur réchauffait sa peau tiède, comme si elle se trouvait elle-même capable de ressentir un sentiment, pourtant totalement métaphysique. Reflet de la propre douceur libérant doucement son torse de l’angoisse l’ayant submergé un instant auparavant, déjà si loin…

La déclamation de Tekris correspondait si parfaitement à celle qu’elle aurait pu construire tant bien que mal, que la Radikors s’interrogea un instant sur les pouvoirs que pouvaient conférer l’amour. L’amour, oui. Elle aimait le colosse, son colosse, ne doutant pas une seule seconde de sa sincérité. Rien ne pouvait imiter l’émotion qu’elle ressentait au plus profond de son être, secouant Tekris alors même qu’il paraissait l’incarnation de la sérénité et de l’assurance.

– Je t’aime aussi, déclara-t-elle, incapable de retenir le puissant sourire qui étira ses lèvres. Je t’aime et je serais heureuse que tu te tiennes à mes côtés. Mais je dois te prévenir que je suis plutôt pénible comme fille.

– Je m’en fiche, souffla le colosse, son visage s’illuminant d’un tel bonheur qu’il aurait été impossible de ne pas se sentir euphorique à son tour.

Avec maintes précautions, sa large main quitta celle que Zair posait sur sa poitrine. Doucement, il la posa sur la joue de celle qu’il aimait, caressant la peau rêche du bout du pouce, redessinant la courbe de sa mâchoire.

Dans un souffle, à peine le temps pour elle de battre des cils, l’adolescente glissa sur le sol, silencieusement, remontant sur les cuisses de Tekris pour se surélever un peu, ses propres mains sur les côtés de la nuque du garçon, rapprochant avec assurance son visage du sien.

Elle ferma les yeux une fraction de seconde avant que leurs lèvres ne se touchent. Un instant, ils restèrent tous les deux immobiles, savourant le flot de sensations nouvelles les envahissant, savourant juste le fait d’être ensemble, pour de vrai, et pas chacun dans son coin en croisant les doigts pour que l’autre ne soit pas indifférent à leur présence. Puis, les doigts du colosse glissèrent le long de l’échine de l’adolescente, remontèrent, se perdirent dans la chevelure épaisse et flamboyante. Émerveillée de cette découverte, infiniment agréable, Zair passa ses bras autour de son cou, l’attirant plus près encore, humant avec plaisir la senteur si particulière, si sincère, de son compagnon.

Sentant les mains de ce dernier effleurer ses hanches par derrière, elle rompit le baiser, riant à gorge déployée, heureuse, juste heureuse. La douleur récoltée suite à ses blessures n’était plus qu’une vague information dans un océan de joie qu’elle n’avait pas ressenti depuis des années. Elle voulait juste profiter de cette absence momentanée de soucis, se laisser emporter par les gestes de plus en plus fiévreux de l’homme qu’elle aimait.

– Et si, reprit Tekris alors qu’il tentait de reprendre son souffle, les joues rosies par un bonheur semblable au sien, tu ne t’installais pas dans ma chambre seulement le temps des réparations ?

– Oh, tu crois vraiment que Zane accepterait ? susurra-t-elle, glissant sa main dans le col du T-shirt du colosse.

– Ce n’est pas son avis que je veux, mais le tien, rétorqua-t-il.

Taquine, l’adolescente fit mine de réfléchir, jouant faussement distraitement avec l’élastique de son pantalon. Une torture qu’elle ne put lui infliger très longtemps, impatiente à son tour.

– Dans ce cas, il va falloir me convaincre, murmura-t-elle, scellant de nouveau leurs lèvres.

Alors que son compagnon la renversait sur le fin drap, Zair sut qu’elle avait fait le bon choix.


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Bonjour, ou bonsoir !


Les évènements s’éclaircissent petit à petit, et la relation entre Zair et Tekris évolue enfin ! ;) Avez-vous apprécié la petite leçon d’histoire ? En tout cas, si jamais quelque chose est confus, ou si vous avez des questions, n’hésitez pas à me les poser en commentaire !


Sur ce, bonne journée, ou soirée, et à bientôt !


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